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M�moires de l'Acad�mie de
Stanislas - 1932-1933
S�ANCE PUBLIQUE DU 18 D�CEMBRE 1932
RAPPORT SUR LES PRIX LITT�RAIRES
(PRIX HERPIN ET PRIX DU SOUVENIR)
Par M. L�on MALGRAS (Ren� d'AVRIL)
MEMBRE TITULAIRE
MESSIEURS,
Votre Compagnie d�cerne chaque ann�e un prix qui porte un nom tr�s beau : le
Prix du Souvenir. Mais le mot - qu'il faut entendre, nous le verrons tout �
l'heure, dans un sens sp�cial - ne pourrait-il, en son acception g�n�rale,
s'appliquer aux divers travaux historiques que vous avez couronn�s? L'histoire,
c'est le Pass� dont on se souvient. Gr�ce � l'Histoire, ce que l'on croyait mort
revit; oh! non pas de la vie concr�te qui nous entoure, mais d'une vie plus ou
moins intense de l'esprit, d'une vie que dispense celui qui �crit et que le
lecteur a l'illusion de partager et de comprendre.
Notre Lorraine, sur ce point, est fort avantag�e. Des ma�tres �minents - et qui
se sont honor�s, Messieurs, de vous appartenir, - ont enrichi nos connaissances
de l'autrefois; d'autres, encore aujourd'hui, continuent avec force la
tradition. Si bien que les grands sujets s'�puisent et qu'apr�s avoir �tudi� les
duch�s et les villes importantes, il ne reste plus aux glaneurs qu'� se vouer �
des recherches sur les petits pays, ayant dans une vaste r�gion leur histoire
propre et souvent curieuse ; le Blamontois, par exemple, ou sur les petites
cit�s qui eurent pour possesseurs des personnages illustres, telle la ville de
Clermont-en-Argonne.
[...]
L'an dernier, le prix Herpin �tait attribu� � l'auteur de la monographie d'une
commune rurale. Et cette commune appartenait au d�partement de la Meurthe. Cette
ann�e (et qui ne vous louerait d'un aussi opportun �clectisme?) une partie du
prix Herpin ira tout d'abord, et vous en avez ainsi d�cid�, � l'historien d'une
petite ville meusienne.
Certes, la science d'aujourd'hui n'a plus les vastes, les un peu trop vastes
horizons de celle d'autrefois.
Si Bossuet revenait ici-bas, il ne composerait plus de discours sur l'Histoire
universelle, mais peut-�tre qu'il rassemblerait des fiches pour une monographie
de l'�v�ch� de Condom.
Je fais sans doute outrage � la modestie de M. l'abb� Alphonse Dedenon, aum�nier
de l'Hospice Saint-Stanislas en pronon�ant son nom � la suite de celui de
l'illustre pr�lat. Mais une histoire particuli�re, telle que celle du Blamontois
dans les temps modernes, n'est-elle pas d'une utilit� plus grande que toute
pompeuse consid�ration sur les gloires pass�es des peuples ?
M. l'abb� Dedenon s'est occup� du Blamontois parce que le Blamontois est cher �
M. l'abb� Dedenon, lequel, en effet, est n� � Autrepierre, � quelques kilom�tres
de la petite ville dont il �crit l'histoire.
Le comt� de Blamont, qui s'est constitu� dans les premi�res ann�es du XIIIe
si�cle au profit d'une branche cadette de la maison de Salm, comprenait la plus
grande partie du bassin de la Vezouse.
En 1506, il fut r�uni au duch� de Lorraine; le dernier comte, Olry, qui �tait en
m�me temps �v�que de Toul, ayant c�d� le pays au duc Ren� II.
C'est � cette date que M. Dedenon commence son expos� et ce point de d�part est
bien choisi, puisque Bl�mont cesse alors d'�tre un grand fief pour devenir
partie int�grante du duch�, et puisqu'� l'aube du XVIe si�cle finit le Moyen Age
et commence l'�poque moderne. Mais, pour �tre r�uni au duch�, le Bl�montois ne
s'y fondit pas; il garda son individualit� et fut assign� en douaire � deux
duchesses, d'origine �trang�re toutes deux : Chr�tienne
de Danemark, veuve du duc Fran�ois Ier en 1545, qui ne mourut qu'en 1590, et
Marguerite de Gonzague, veuve du duc Henri II en 1624, qui v�cut jusqu'en 1632.
L'une et l'autre, la premi�re surtout, r�sid�rent souvent dans le ch�teau de
Bl�mont, administr�rent le comt� par elles-m�mes ou par des fonctionnaires
qu'elles nommaient, et firent du bien � leurs sujets. Sous leur sceptre, le
comt� de Bl�mont pouvait encore se croire presque ind�pendant, comme plus tard
la Lorraine para�tra encore autonome, gr�ce au gouvernement paternel de notre
fondateur, le roi Stanislas.
Apr�s cela, Bl�mont ne fut plus qu'une simple pr�v�t�, puis fut �lev� � la
dignit� de bailliage en 1751, quand La Galaizi�re divisa les deux duch�s en
trente-cinq bailliages, nombre excessif, car certains de ces bailliages
n'avaient qu'une circonscription d�risoire. C'est le fait d'avoir �t� chef-lieu
de bailliage qui valut peut-�tre � Bl�mont, de devenir chef-lieu de district en
1790, quand fut �tablie la division en d�partements; mais les districts, on le
sait, dur�rent peu, et maintenant Bl�mont n'est plus que le chef-lieu d'un
canton, un des plus grands �
vrai dire, du d�partement, puisqu'il ne compte pas moins de trente-deux
communes.
La ville de Bl�mont se trouve plac�e sur la route qui conduit en Alsace, et, de
l�, en Allemagne et en Suisse.
Cette petite ville �tait assur�e de voir bien des voyageurs illustres : le duc
Charles III, sa fille �lisabeth qui son mariage avec Catherine de Bourbon, puis
apr�s sa seconde union avec Marguerite de Gonzague.
Deux archiduchesses, courant vers leur destin, Marie-Antoinette, Marie-Louise
travers�rent aussi Bl�mont. Les f�tes brillantes par lesquelles on accueillit de
tels h�tes sont d�crites avec complaisance par M. Dedenon.
Mais il ne se laisse pas absorber par ce c�t� pompeux de l'histoire. Il donne
des renseignements pr�cis sur l'organisation administrative et judiciaire du
comt�, sur la
construction des �difices, sur les travaux de fortification.
L'histoire �conomique, trop souvent n�glig�e, et bien � tort, par les auteurs de
monographies de ce genre, est trait�e avec soin dans cet ouvrage.
M. Dedenon n'a pas joint de pi�ces justificatives � son travail, mais il y a mis
une illustration abondante et de caract�re toujours documentaire, ainsi que
quelques cartes, bien faites du comt� et un plan de la ville de Bl�mont.
Au XIXe si�cle Bl�mont reconstruisit son �glise, en travers de l'ancienne comme
il fut fait pour Saint-Epvre de Nancy. M. Dedenon affirme qu'elle ne co�ta que
100.000 francs. C'est pour rien ! Le coll�ge, cr�� vers 1820 et aujourd'hui
disparu, eut sa belle p�riode entre 1840
et 1860.
H�las ! Bl�mont ne b�n�ficia ni du passage du canal de la Marne au Rhin, ni du
trac� de la voie ferr�e Paris-Strasbourg, et ceci explique son �tat de
stagnation. Qu'on nous permette d'ajouter que l'hygi�ne moderne lui vaut un
regain de vie, gr�ce � une pouponni�re mod�le.
Nous venons de dire tout le bien que nous pensons de l'ouvrage. En toute �quit�,
nous devons cependant laisser la parole au censeur pointilleux - lui ou un autre
- qui montra quelques-uns des d�fauts du livre de M. Georges Driant. �coutons-le
quelques instants :
Tr�s instruit de l'histoire du Bl�montois, l'auteur l'est moins de l'histoire
g�n�rale, ce qui lui fait commettre des erreurs f�cheuses. Qu'est-ce que cette
Anne de Hongrie, tante de Chr�tienne de Danemark, qui serait morte � Prague en
1548 (p. 22) ? Nous connaissons Marie d'Autriche, reine douairi�re de Hongrie,
qui �tait bien la tante de Chr�tienne et qui mourra en Espagne en 1558, quelques
semaines apr�s son fr�re Charles-Quint.
Le cardinal de Lorraine, fils de Charles III, est mort en 1607 et non en 1609,
et il n'a jamais �t� �v�que de Toul (p. 41, 42). Ce n'est pas en 1587 (p. 36),
mais d�s 1578 que Chr�tienne de Danemark a quitt� la Lorraine pour se retirer �
Tortone en Lombardie.
Il y a aussi quelques n�gligences d'expression qu'il fallait �viter, car
l'Histoire, non moins que les sciences, requiert une terminologie tr�s pr�cise.
Ainsi morgengaw est �crit pour morgengab (p. 4); Bl�mont est un fief, non un
apanage (p. 3); la Lorraine n'avait pas de Cour des comptes, mais une Chambre
des comptes (p. 47); le souverain de Milan n'est pas un archiduc, mais un duc
(p. 21); dot est �crit pour douaire (p. 18).
Malgr� ces quelques taches, l'Histoire du Blamontois reste un travail
consciencieux, � la fois int�ressant et utile. Aimant profond�ment la terre
natale, connaissant bien les traditions locales, la vie des champs, les usages
ruraux, habitu� d'autre part aux recherches historiques et � l'emploi des
documents, M. Dedenon �tait qualifi� pour l'entreprendre. Il s'en est acquitt�
avec une sympathie visible pour ce pass� dont il ne dissimule nullement
d'ailleurs les vilains c�t�s.
Pour toute ces raisons, l'Acad�mie se devait de faire participer M. l'abb�
Dedenon � l'attribution du prix Herpin, en 1932. |