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Paul Michaut (29 juillet 1827,
Lun�ville - 27 septembre 1895, Baccarat) est
ing�nieur dipl�m� de l'�cole centrale,
administrateur des cristalleries de Baccarat. Maire
de Baccarat en 1871, conseiller g�n�ral, il est
�galement administrateur de la Compagnie des chemins
de fer de l'Est et pr�sident du conseil des
directeurs de caisses d'�pargne.
Elu d�put� de Meurthe-et-Moselle le 14 octobre 1877,
son �lection est invalid�e le 5 f�vrier 1878
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Le Figaro - 18 f�vrier 1878
Lun�ville, 16 f�vrier. Apr�s avoir donn�, le
14 octobre, � l'honorable M. Paul Michaut,
chevalier de la L�gion d'honneur, conseiller
g�n�ral, directeur de la cristallerie de
Baccarat, une majorit� de 1,500 voix sur son
concurrent r�publicain, M. Cosson, les
�lecteurs de l'arrondissement se voient
appel�s, le 3 mars prochain, � ratifier leur
premier jugement. La Chambre l'a voulu ainsi
en annulant leur vote.
Les nouvelles de l'arrondissement sont
favorables � la candidature de M. Paul Michaut, et il est probable qu'il conservera
sa majorit� primitive contre son concurrent. |
Paul Michaut sera
effectivement r��lu le 3 mars 1878 :
- Paul Michaut : 11 936 voix
- Joseph Cosson : 10 357 voix ( si�geant au centre
gauche, Joseph Cosson est l'un des 363 d�put�s qui
refusent le 16 mai 1877 la confiance au gouvernement
de Broglie).
La base des parlementaires de l'Assembl�e nationale
indique sommairement : 14/10/1877 - 27/10/1881 :
Meurthe-et-Moselle - Union des Droites (3 mars
1878), sans mentionner l'interruption du 5
f�vrier au 3 mars 1878, dont les documents
ci-dessous donnent l'expos� complet.
Annales de la
Chambre des d�put�s
25 f�vrier 1878
M. le pr�sident.
La parole est � M. Masure.
M. Gustave Masure. Messieurs, j'ai l'honneur de vous
rendre compte, au nom du 7e bureau, des op�rations
�lectorales qui ont eu lieu, le 14 octobre dernier,
dans la circonscription de Lun�ville, d�partement de
Meurthe-et Moselle.
Le nombre des �lecteurs inscrits �tait de 26.643,
dont le quart est de 6,661.
Le nombre des votants a �t� de 23,087. Il a �t�
d�duit 206 bulletins n'entrant pas en compte dans le
calcul de la majorit�.
Il reste donc pour le chiffre des suffrages exprim�s
22,881, ce qui donne pour la majorit� absolue
11,441.
M. Paul Michaut, candidat officiel, a obtenu 12,248
suffrages et a �t� proclam� d�put� par la commission
de recensement.
Son concurrent M. Cosson, d�put� sortant, candidat
r�publicain, avait obtenu 10,635 voix.
(Bruit g�n�ral de conversations.)
Plusieurs membres � droite, On n'entend pas !
M. le pr�sident. Faites silence, messieurs, et vous
entendrez.
M. Haentjens. Il est n�cessaire qu'on entende des
rapports d'invalidation.
M. le pr�sident. Vous n'avez pas la parole, monsieur
Haentjens. A force d'interrompre, vous emp�chez
qu'on entende.
M. Haentjens. Je dis que quand on fait des rapports
concluant � l'invalidation, on a toujours le droit
de demander au rapporteur de parler de mani�re �
�tre entendu. (Approbation � droite.)
M. le pr�sident. Continuez, monsieur Masure.
M. le rapporteur. Deux protestations ont �t�
adress�es � la Chambre contre l'�lection de M.
Michaut : l'une �mane de M. Cosson, l'autre de
quarante-quatre �lecteurs de l'arrondissement.
Les faits qu'elles signalent sont � peu pr�s
identiques; ils sont confirm�s, pour la plupart, par
un grand nombre d'attestations individuelles et de
lettres qui sont jointes au dossier.
1. - Le premier grief articul� contre M. Michaut,
c'est qu'il a �t� candidat officiel. Il n'y a � ce
sujet aucun doute � avoir. Le journal conservateur
de Lun�ville, comprenant combien il �tait malais� de
pr�senter un prot�g� de l'ordre moral � l'une de ces
circonscriptions de la r�gion de l'Est, acquises
depuis longtemps aux id�es r�publicaines, a bien
essay� de dissimuler autant que possible le
caract�re v�ritable de la candidature de M. Michaut,
auquel il donnait chaque jour, en t�te de ses
colonnes, le titre de �� candidat r�publicain
constitutionnel. �
Ce n'�tait l� qu'une pr�caution de langage, qui a pu
impressionner un nombre plus ou moins grand
d'�lecteurs, mais qui ne change rien au fond des
choses. M. Michaut a �t�, selon la locution
consacr�e, �� le candidat du gouvernement de M. le
mar�chal de Mac Mahon � et, �-ce titre, il a eu les
affiches blanches.
Les auteurs des protestations �tablissent que, dans
un tr�s-grand nombre de communes, principalement
dans celles des cantons de Cirey et de Baccarat,
tandis que les affiches de M. Michaut �taient
abrit�es, � la porte des mairies, sous le grillage
r�serv� aux publications officielles, les placards
de M. Cosson, affiches et professions de foi,
�taient syst�matiquement arrach�es. Des maires, des
gardes champ�tres, des gendarmes, m�me un cur�, sont
d�sign�s comme ayant pris part � ces lac�rations.
Dans plusieurs communes, le garde champ�tre a
distribu� des bulletins de vote portant le nom de M.
Michaut en m�me temps que les cartes d'�lecteurs. Un
maire a fait annoncer, � son de caisse, que les
habitants devaient voter pour le candidat officiel.
Dans d'autres localit�s, il y a eu des irr�gularit�s
dans la tenue et le d�pouillement du scrutin.
Durant la p�riode �lectorale, des entraves ont �t�
mises par les agents de l'administration, et
particuli�rement par la gendarmerie, � la
distribution des imprim�s �manant du candidat
r�publicain. Plusieurs distributeurs ont �t�
poursuivis et condamn�s � l'amende pour avoir mis en
circulation des manifestes l�galement d�pos�s au
parquet.
Dans les cabarets et les auberges o� ces �crits
avaient �t� d�pos�s, des gendarmes en tourn�e
exer�aient une surveillance incessante; ils
interrogeaient les d�bitants, les intimidaient, les
mena�aient et faisaient dispara�tre les circulaires
et les journaux r�publicains.
A diverses reprises, l'Eclaireur, de Lun�ville, qui
soutenait la candidature de M. Cosson, a �t� saisi
sans �tre ensuite l'objet d'aucune poursuite
r�guli�re. Le num�ro qui parut la veille de
l'�lection, et qui fut arr�t� par la police dans les
villes et par les gendarmes dans les campagnes, fut
seul d�f�r�, un mois apr�s, � la cour d'assises.
Disons, en passant, que le g�rant fut acquitt� par
le jury.
Pendant que, par des proc�d�s injustifiables, on
entravait ainsi la propagande r�publicaine, les
attaques injurieuses et diffamatoires contre les 363
en g�n�ral et contre M. Cosson en particulier
�taient tol�r�es et r�pandues partout. Pour les uns,
r�pression � outrance ; pour les autres, impunit�
compl�te.
Le procureur g�n�ral de Nancy, si vigilant contre
l'Eclaireur, avouait � l'audience qu'il ne lisait
m�me pas les articles des feuilles r�actionnaires.
Le Journal de Lun�ville, d�fenseur de M. Michaut,
pr�sentait l'honorable M. Cosson comme le candidat ��
des mauvais sujets de village, des ivrognes, des
banqueroutiers, en un mot, de tous les hommes tar�s.
�
Un placard du �� comit� d'arrondissement �, sign�
Edmond Gu�rin, d�clarait que la r��lection des 363
patronn�s, �� par les partisans de la guerre �
outrance �, par �� les gens de l'Internationale �,
par �� les socialistes �, serait un danger pour le
maintien de la paix.
Toutes ces calomnies, sans parler du Bulletin des
communes et de libelles inf�mes sortis des officines
de l'ordre moral, �taient propag�es et comment�es
dans les villages par des agents z�l�s, quelquefois
par des maires, par des cur�s dont quelques-uns,
dans leurs sermons, dans leurs visites, dans leurs
exhortations aux abords des tables de vote, ne
craignaient pas de se m�ler � la pol�mique
�lectorale.
Des d�placements de fonctionnaires qui ne
s'expliquent que par des raisons politiques sont
�galement d�nonc�s. Le commissaire de police de
Lun�ville et un des inspecteurs de police d'Avricourt
ont �t� brusquement �loign�s. L'instituteur de Veho
a �t� envoy� en disgr�ce � Pierre-Perc�e; injustice
criante que la nouvelle administration s'est
empress�e de r�parer.
Ajoutons que, d�s les premiers jours de septembre,
l'inspecteur d'acad�mie, connu pour sa fermet� et
son d�vouement aux int�r�ts de ses subordonn�s,
avait �t� mis en cong� illimit�, avec obligation de
s'�loigner du d�partement, sous peine de r�vocation.
Tous ces faits, messieurs, constituent un ensemble
de manoeuvres r�pr�hensibles, dont le but appara�t
clairement, dont vous appr�cierez la gravit� et dont
il vous appartiendra de tenir compte. Nous les
voyons se reproduire, sous des formes plus ou moins
vari�es, dans toutes les luttes �lectorales o�
l'administration intervient en faveur de l'un des
combattants ; ils sont l'accompagnement habituel et
par suite la condamnation n�cessaire de la
candidature officielle. Si, dans le cas qui nous
occupe, nous nous sommes born� � les mentionner
sommairement sans y insister, si nous n'en parlons
en quelque sorte que pour m�moire, c'est que
d'autres faits, plus graves encore peut-�tre,
concernant d'une fa�on sp�ciale l'arrondissement de
Lun�ville et mettant compl�tement en lumi�re le r�le
que l'administration de combat y a jou�, nous ont
sembl� r�clamer plus particuli�rement votre
attention.
II. - Quelques semaines avant l'ouverture de la
p�riode �lectorale, M. Le Jouteux, le sous-pr�fet
que le 16 mai avait plac� � Lun�ville, ayant quitt�
son poste pour aller aux eaux, M. le pr�fet de
Meurthe-et-Moselle eut � pourvoir au remplacement
provisoire de ce fonctionnaire. Aux termes de
l'article 7 de l'ordonnance du 29 mars 1821, il
devait d�signer �� un fonctionnaire de l'ordre
administratif pris dans l'arrondissement ou, � son
d�faut, un conseiller de pr�fecture. � Pour se
conformer � la loi, M. le pr�fet Achille Delorme
n'avait que l'embarras du choix entre les nombreux
fonctionnaires de l'arrondissement ou, s'ils �taient
tous emp�ch�s, entre les quatre conseillers de
pr�fecture de Nancy.
Aucun d'eux n'aura-t-il voulu accepter la
responsabilit� de la mission qu'il s'agissait de
remplir � Lun�ville ? Aucun d'eux n'aura-t-il �t�
jug� digne de la confiance du pr�fet ? Nous n'avons
pas � le rechercher; toujours est-il que M. le
pr�fet ne trouva rien de mieux � faire que de
confier l'int�rim de la sous-pr�fecture � M. Gabriel
Michaut, conseiller g�n�ral et fr�re du candidat
officiel, M. Paul Michaut. Voil� comment
l'administration se conformait aux prescriptions de
la loi et aux convenances. Pendant les quinze ou
vingt jours que dura l'absence de M. le sous-pr�fet
Le Jouteux, qui ne revint � son poste que le 17
ao�t, M. Gabriel Michaut administra l'arrondissement
o� se pr�parait l'�lection de son fr�re. Il para�t
m�me qu'il s'acquitta de sa t�che de fa�on �
contenter M. le pr�fet de Meurthe-et-Moselle, car
nous voyons que, quelques semaines plus tard, en
pleine p�riode �lectorale, il est, pour la seconde
fois, charg� de l'int�rim sous-pr�fectoral. Voici ce
que l'Eclaireur de Lun�ville publiait, dans son
num�ro du 3 octobre ;
�� M. le sous-pr�fet Le Jouteux, parcourant en ce
moment l'arrondissement de Lun�ville pour patronner
la candidature officielle de M. Paul Michaut, avec
une activit� d�vorante qui rappelle les beaux jours
du pl�biscite de 1870, se trouve, para�t-il, dans
l'impossibilit� de s'occuper des affaires
administratives.
�� L'int�rim de la sous-pr�fecture a �t�, en effet,
de nouveau confi� au fr�re du candidat officiel, �
M. Gabriel Michaut lui-m�me. �
On comprend, au surplus, que M. Le Jouteux n'aurait
pu, � lui seul, suffire � toutes les charges de sa
situation, � cette �poque de tourn�es �lectorales,
dans un arrondissement qui ne compte pas moins de
163 communes.
M. le sous-pr�fet les a successivement visit�es,
haranguant les conseils municipaux, encourageant les
maires, faisant appel au z�le de tous en faveur de
la candidature officielle.
III. - Nous arrivons maintenant � une cat�gorie de
faits qui d�noncent de la mani�re la plus grave et
la plus flagrante l'action directe et ill�gale de
l'administration dans les op�rations �lectorales.
Le 12 octobre, dans la matin�e, la d�p�che suivante
�tait exp�di�e de Nancy par le conservateur des
for�ts � l'inspecteur de Lun�ville :
�� Conservateur des for�ts � inspecteur des for�ts, �
Lun�ville : �� Faire pr�venir imm�diatement tous les
pr�pos�s, par la voie de la correspondance des
gardes, qu'ils auront � se mettre � la disposition
des maires pour maintenir l'ordre dans les salles de
vote, s'ils sont r�guli�rement requis par les maires
ou les sous-pr�fets.
�� Ils seront en grande tenue, avec les couteaux de
chasse. �
Nous ne prendrons pas la peine de faire ressortir
devant vous ce qu'il y a d'insolite et de contraire
� la loi dans ces instructions enjoignant � des
agents, dont la plupart n'�taient m�me pas �lecteurs
dans la commune o� ils �taient envoy�s, de p�n�trer
et de s'installer avec leurs armes dans les salles
de vote. On nous a assur�, et il est vraisemblable,
qu'elles �taient la reproduction d'un ordre g�n�ral
adress� de Paris � tous les fonctionnaires de
l'administration foresti�re. S'il en est ainsi,
c'est un chapitre de plus que la commission
d'enqu�te devra ajouter au recueil des actes port�s
� la charge de l'ancien ministre des finances. En ce
qui nous concerne, nous n'avons � nous pr�occuper
que de la mani�re dont cet ordre a �t� ex�cut� dans
l'arrondissement de Lun�ville, o� le candidat
officiel, avant d'�tre un des grands industriels de
la r�gion, a appartenu lui-m�me, en qualit� de garde
g�n�ral, � l'administration des for�ts.
Le 14 octobre, conform�ment aux instructions re�ues,
les gardes de l'arrondissement, en uniforme et en
armes, se sont pr�sent�s dans les salles de vote, �
l'ouverture du scrutin. L'ordre leur en avait �t�
transmis par leurs chefs qui �taient m�me all�s au
del� des instructions g�n�rales. On va voir, en
effet, que les gardes se sont mis en mouvement sans
avoir �t� requis par les maires. Dans plusieurs
communes, sur l'invitation du pr�sident du bureau
leur d�clarant que leur pr�sence �tait ill�gale et
que leur concours �tait inutile, ils se seraient
retir�s. A Thiebaum�nil, o� les choses se sont ainsi
pass�es, le maire constate que le garde, en se
retirant, a d�clar� �� qu'il rendrait compte � ses
sup�rieurs. � A Vitrimont, m�me constatation du
maire, qui d�clare avoir refus� d'admettre le garde
et ajoute : �� Les r�sultats de la commune de
Vitrimont, compar�s � ceux des autres communes, o�
pareille mesure n'a pas �t� prise par les maires,
sont de nature � d�montrer l'influence qu'a d�
op�rer sur l'�lection du 14 la manifestation des
gardes forestiers. �
Dans un grand nombre d'autres communes, et nous en
citerons sur les diff�rents points de
l'arrondissement, notamment Xures, Bertichamps,
Crion, Moncel-lez-Lun�vllle, Pierre-Perc�e, Parroy,
Badonviller, Pexonne, Laronxe, Saint-Cl�ment,
Hercineuil, les gardes, avec ou sans l'assentiment
des maires, sont rest�s tour � tour dans la salle et
aux abords de la salle, pendant toute la journ�e,
jusqu'apr�s le d�pouillement du scrutin. On en cite
un qui, � Crion, bien qu'�tant �tranger � la
commune, a si�g� au bureau et a sign� le
proc�s-verbal. On en cite plusieurs qui, malgr� le
maire, ont persist� � rester dans la salle.
Voici, � ce sujet, une d�claration de M. Xoval,
propri�taire et conseiller municipal � Moncel-lez-Lun�ville,
habitant la commune depuis plus de trente ans :
�� Je soussign�, etc., certifie que, le 14 octobre
1877, � l'occasion du scrutin, se sont pr�sent�s le
brigadier Thomas et le garde Menigoz, habitant les
maisons foresti�res de Mondon, lesquels ont d�clar�
au maire qu'ils venaient par ordre de leurs chefs
pour lui pr�ter main-forte.
�� Le maire leur ayant d�clar� que leur pr�sence
�tait inutile, sans toutefois leur donner l'ordre
formel de se retirer, ils sont rest�s dans la salle
une partie de la journ�e.
�� Or, jamais, � ma connaissance, pareille
intervention ne s'�tait produite � aucune �lection
dans cette commune. �
Une d�claration du maire d'H�rim�nil constate les
m�mes faits.
Le maire de Laronxe s'exprime en ces termes :
�� Il est de mon devoir d'honn�te homme, dans
l'int�r�t de la v�rit�, de porter � votre
connaissance que l'agent forestier Raucelaut,
domicili� en notre commune, a assist� en grand
uniforme et en armes, toute la journ�e du 14 octobre
dernier, dans la salle m�me o� votaient les
�lecteurs. J'avais pr�venu cet agent que je n'avais
pas besoin de sa pr�sence; que, si elle devenait
n�cessaire, je le ferais appeler. Mais, en pr�sence
des ordres qu'il m'a dit avoir re�us de ses
sup�rieurs, il a jug� � propos de ne tenir aucun
compte de mon dire. �
Et le maire de Laronxe ajoute :
�� Je certifie qu'il va y avoir trente-deux ans que
j'exerce les fonctions de maire dans cette commune,
et que je n'y ai jamais vu aucun agent de
l'administration foresti�re ou de toute autre
assister en uniforme et en armes dans la salle o� se
trouve le scrutin.
�� Le fait qui s'est pass� lors de l'�lection du 14
octobre dernier est sans pr�c�dent dans notre
d�partement, et tout homme impartial peut affirmer,
sans crainte de se tromper, que, si les �lections
s'�taient faites librement, le candidat r�publicain
e�t obtenu une grande majorit� dans notre
arrondissement. �
Vous le voyez, messieurs, l'intervention �lectorale
des gardes forestiers �tait un fait absolument
nouveau dans l'arrondissement de Lun�ville. Jamais,
m�me sous l'empire, on n'avait mis en oeuvre un
pareil moyen de pression.
Rien n'expliquait ce d�ploiement inusit� d'hommes
arm�s dans une circonscription paisible o� aucun
trouble n'�tait � craindre et o� l'ordre le plus
complet accompagne toujours les op�rations du
suffrage universel. L'effet qu'il a produit sur les
populations des campagnes et l'influence qu'il a eue
sur les r�solutions des �lecteurs sont d'autant plus
grande que, dans ces pays bois�s, tous les
habitants, b�cherons, cultivateurs, terrassiers, -
depuis le plus pauvre pour le bois qu'il ramasse,
jusqu'au plus ais�, g�n�ralement adjudicataire de
coupes, - sont en relations journali�res avec les
agents des for�ts et souvent dans leur d�pendance.
On voit que l'administration, en donnant ses
instructions aux gardes, avait bien calcul� les
r�sultats qu'elle en pouvait attendre.
IV. - Pour compl�ter l'expos� des griefs articul�s
dans les protestations, il nous resterait � signaler
les tentatives de pression qui auraient �t� faites
sur les ouvriers attach�s aux �tablissements
industriels de Cirey, dirig�s par M. Chevandier de
Valdr�me, ancien ministre de l'empire, et � la
cristallerie de Baccarat, dont M. Michaut est
l'administrateur. Plusieurs d�clarations tendent �
faire croire que, par suite de certaines
interventions se produisant jusque dans les salles
de vote, les ouvriers employ�s dans les ateliers de
Cirey et de Baccarat et les personnes qui vivent
dans la d�pendance de ces grandes usines n'ont pas
eu partout la libert� de leur vote. Intervention
directe de plusieurs chefs des ateliers de Cirey
aupr�s des ouvriers, pr�sence d'un des fils de M.
Michaut au scrutin de Deneuvre, renvoi d'un
contre-ma�tre des ateliers de Baccarat, telles font
quelques-unes des indications que fournit le dossier
et auxquelles il y aurait lieu de nous arr�ter, si
les faits g�n�raux de pression administrative
n'�taient pas d�j� suffisants pour fixer notre
opinion sur le caract�re de l'�lection.
D'un autre c�t�, M. Michaut, entendu par la
sous-commission du 7e bureau, proteste contre
l'exactitude de ces indications, et d�clare que rien
n'a entrav� la libert� de son personnel. En pr�sence
de d�clarations contradictoires, une enqu�te
minutieuse, faite sur les lieux, avec toutes les
garanties d'impartialit� et d'ind�pendance, en
dehors des influences int�ress�es, pourrait seule
d�gager la v�rit� tout enti�re. Nous ne croyons donc
pas devoir insister sur cette partie des
protestations. Toutefois, nous avons � noter un
d�tail pr�cis qui, s'il ne montre pas la pression
pesant directement sur le scrutin, ne permet pas de
mettre en doute les tentatives faites au cours de la
p�riode �lectorale sur une partie des �lecteurs.
Vers la fin de septembre, une adresse portant la
signature d'un grand nombre d'habitants de
vingt-huit communes du canton de Baccarat fut
distribu�e � profusion dans tout l'arrondissement.
C'�tait, d�gag� de toute consid�ration politique, un
appel pressant en faveur de M. Michaut, dont on
louait l'intelligence, le d�vouement aux int�r�ts du
pays, la sollicitude pour la classe ouvri�re. Les
signataires, au nombre de 1,912, oubliant sans doute
que la loi interdit la violation du secret des
votes, annon�aient � l'avance qu'ils voteraient tous
pour l'administrateur de Baccarat.
Une pareille d�claration, pour peu qu'elle f�t
accept�e comme l'expression sinc�re et spontan�e de
l'opinion du canton, �tait bien faite pour accro�tre
au dehors le prestige du candidat officiel et lui
conqu�rir des voix dans les autres parties de
l'arrondissement. Il est incontestable que l'adresse
exer�a une influence s�rieuse sur certains groupes
d'�lecteurs. Or, que se passa-t-il apr�s le
d�pouillement du scrutin ? On s'aper�ut, non sans
surprise, que, parmi les communes qui avaient fourni
des signatures, � c�t� de celles o� signataires et
votants pour M. Michaut �taient en nombre absolument
�gal ou � peu pr�s �gal, il y en avait six o� le
nombre des voix obtenues par M. Michaut �tait
inf�rieur � celui des signataires qui avaient
recommand� sa candidature.
Que doit-on conclure, si ce n'est que, press�s et
sollicit�s, peut-�tre m�me menac�s et intimid�s,
oblig�s par leur situation de ne pas r�sister aux
agents de M. Michaut, des �lecteurs ont �t� amen�s
par faiblesse, par peur ou par int�r�t, � s'associer
� une manifestation que leurs sentiments intimes
r�pudiaient ?
En g�n�ral, les signatures de l'adresse ont �t�
demand�es � domicile et recueillies dans des
conditions qui en alt�rent singuli�rement la
spontan�it�. On a vu intervenir des maires, des
instituteurs, et m�me un capitaine des douanes. Ici,
comme ailleurs, l'attitude des douaniers dans la
lutte �lectorale n'a pas �t� correcte, et il
appartiendra sans doute � la commission d'enqu�te de
r�v�ler � cet �gard des irr�gularit�s laiss�es
jusqu'� pr�sent dans l'ombre.
Vous connaissez maintenant les faits principaux qui
ont marqu� l'�lection de Lun�ville, et vous �tes en
mesure d'en appr�cier la gravit�. Il importe de vous
faire remarquer que, dans une circonscription qui ne
compte pas moins de 26,643 inscrits et dans laquelle
22,881 suffrages ont �t� exprim�s, le nombre des
voix obtenues par M. Michaut ne d�passe que de 807
le chiffre de la majorit� absolue. D'un autre c�t�,
en comparant le total des suffrages obtenus par les
deux concurrents, on voit qu'un d�placement d'un
m�me nombre de voix aurait suffi pour amener l'�chec
du candidat officiel. Ce chiffre repr�sente 3 1/2 p.
100 du nombre des �lecteurs ayant pris part au vote.
Votre 7e bureau estime qu'on ne peut �valuer � moins
l'influence ill�gitime que l'emploi des affiches
blanches, aggrav� par les actes bl�mables de
l'administration et surtout par l'intervention
ill�gale des gardes forestiers, a exerc�e sur les
r�sultats du scrutin. Il en conclut que la
nomination de M. Michaut n'est pas l'expression
v�ritable du suffrage universel dans
l'arrondissement de Lun�ville.
Le 20 f�vrier 1876, alors qu'il n'y avait pas
d'affiches blanches, cet arrondissement avait donne
pr�s de 12,000 voix au candidat r�publicain. Trois
semaines apr�s le 14 octobre, aux �lections pour le
conseil g�n�ral et pour le conseil d'arrondissement,
sur 19,104 votants, les r�publicains obtenaient,
dans les huit cantons r�unis, une majorit� de 1,020
voix. Ne sommes-nous pas en droit de voir dans ce
rapprochement de chiffres une preuve manifeste que
les manoeuvres de la candidature officielle ont
alt�r� et fauss� le scrutin du 14 octobre ? Au nom
du 7e bureau, nous avons l'honneur de vous proposer
:
1� L'invalidation de l'�lection de M. Michaut dans
la circonscription de Lun�ville ;
2� Le renvoi du dossier � la commission d'enqu�te.
M. Gusman Serph. M. Michaut �tant absent, j'ai
l'honneur de demander � la Chambre de vouloir bien
renvoyer � mardi la discussion du rapport dont il
vient d'�tre donn� lecture.
M. le pr�sident. Il n'y a pas d'opposition?.
La discussion du rapport sera mise � l'ordre du jour
de mardi.
Annales de la
Chambre des d�put�s
5 f�vrier 1878
M. le pr�sident.
L'ordre du jour appelle la discussion des
conclusions du rapport du 7e bureau, sur l'�lection
de M. Michaut, dans l'arrondissement de Lun�ville
(Meurthe-et-Moselle).
La parole est � M. Michaut.
M. Paul Michaut. Messieurs, je ne m'attendais pas au
p�rilleux honneur d'avoir � d�fendre � cette tribune
la l�gitimit� du scrutin qui, le 14 octobre, m'a
donn� plus de 1,600 voix de majorit� dans
l'arrondissement de Lun�ville. Je sais bien qu'avant
m�me que le scrutin ait parl�, un mois d'avance, on
annon�ait que si, contre toute attente, le nom de M.
Michaut sortait de l'urne, on �tait bien s�r
d'obtenir une invalidation.
A peine le suffrage universel avait-il parl� que le
journal d�vou� � mon honorable comp�titeur contenait
tr�s-r�guli�rement dans tous ses num�ros l'avis
suivant :
�� Ceux de nos amis qui pourraient avoir quelques
renseignements � nous fournir, quelques faits � nous
signaler pour nous aider � poursuivre l'invalidation
de M. Michaut, sont invit�s � adresser leurs
renseignements � M. Cosson. �
A gauche. Eh bien?
Un membre � gauche. C'est tr�s-l�gal !
M. Paul Michaut. Je crois que c'est licite. Mais je
crois que c'est la premi�re fois qu'on voit �lever �
l'�tat de r�clame et d'annonce la poursuite d'une
invalidation. (Tr�s-bien! tr�s-bien ! � droite.)
Aussi, qu'est-il arriv�, messieurs ? c'est qu'on a
eu un tr�s-gros dossier, et comme si deux
demi-v�rit�s faisaient une v�rit�, on pense arriver
� vous persuader que les 1,600 voix de majorit� que
j'ai obtenues sont le r�sultat de la fraude et de
l'intimidation.
Messieurs, si vous voulez bien me pr�ter votre
attention, je crois que vous reconna�trez que je
suis envoy� ici parle suffrage absolument libre de
mes concitoyens. (Tr�s-bien ! tr�s-bien ! � droite.)
Ce gros dossier ainsi recueilli, il a �t� continu�
par mon comp�titeur jusqu'au jour o� il a cru
qu'enfin sa cause �tait gagn�e, et avant que j'eusse
comparu dans la sous-commission, avant que j'eusse
eu connaissance des pi�ces, il �crivait
officiellement � M. le pr�fet de Meurthe-et-Moselle
: �� Je me permettrai de vous faire observer que
l'�lection de M. Michaut n'est pas valid�e et que
j'ai le plus grand espoir qu'elle ne le sera pas....
�
M. de Baudry-d'Asson. C'est un v�ritable scandale !
M. Paul Michaut. Enfin je comparus le 3 d�cembre;
j'eus le dossier pendant trente-six heures, et je
crois que personne dans la sous-commission, amis ou
adversaires, ne contestera qu'apr�s m'avoir entendu
la sous-commission fut fort h�sitante. Elle refusa
de se prononcer, et si, � cette heure-l�, elle e�t
�t� dans l'obligation de rendre son verdict, ce
verdict e�t �t� la validation.
Elle ajourna, et alors eut lieu la constitution d'un
second dossier ; celui-l�, messieurs, il ne m'a pas
�t� communiqu�, et je ne serai pas d�menti lorsque
je dirai que je n'ai eu connaissance du dossier et
que je n'ai �t� entendu par la sous-commission
qu'apr�s la r�daction du rapport qui a �t� pr�sent�
� la Chambre. (Interruptions diverses.)
Un membre � gauche. Pourquoi ne l'avez-vous pas
demand� ?
M. Paul Michaut. On me dit : Pourquoi ne l'avez-vous
pas demand� ? Je l'ai demand� avec insistance, et
personne encore dans la sous-commission ne me
d�mentira quand je dirai qu'il ne m'a pas �t�
confi�.
J'ai dit au pr�sident du bureau : Vous ne me
condamnerez pas sans m'entendre ! Je resterai �
votre porte jusqu'� ce que vous m'ayez entendu ! Eh
bien, messieurs, cela m'a �t� refus�.
(Exclamations.)
M. de Baudry-d'Asson. C'est un fait sans pr�c�dent.
M. Paul Michaut. Voil�, messieurs, la v�rit�.
Je vous demande pardon de l'incorrection que pourra
avoir ma parole ; je ne suis pas un homme de
cabinet; je suis un homme d'affaires et d'atelier;
mais enfin, si incorrect que soit mon discours, je
demande que, quand il semblera que je m'�carte de la
stricte v�rit�, on veuille bien m'interrompre : je
serai pr�t a r�pondre. (Tr�s bien ! � droite.)
La premi�re question que nous examinerons, ce sont
les faits g�n�raux de l'�lection. Je n'entrerai pas
dans les d�tails minutieux des faits incrimin�s,
attendu que je veux observer les indications du
rapport.
Or, � cet �gard, le rapport s'exprime de la fa�on
qui suit :
�� Si, dans le cas qui nous occupe, nous nous sommes
born�s � mentionner les faits sommairement sans y
insister, si nous n'en parlons en quelque sorte que
pour m�moire, c'est que d'autres faits plus graves
ont sembl� r�clamer plus particuli�rement votre
attention. �
C'est donc plut�t une physionomie g�n�rale des faits
que nous allons examiner que les d�tails eux-m�mes.
Si, en me r�pondant, M. le rapporteur juge � propos
d'apporter un fait sp�cial, eh bien, nous le
discuterons.
Comment s'est faite l'�lection? Une �lection, quand
elle n'est pas libre, subit la pression des
autorit�s.
Quelles sont ces autorit�s? C'est l'autorit�
pr�fectorale; ce sont les maires.
Quelles sont les mesures que l'on emploie et quels
sont les moyens dont se servent ces autorit�s? Ce
sont les �crits ou les mesures de rigueur.
Commen�ons par l'autorit� pr�fectorale.
M. Achille Delorme est arriv� dans le d�partement de
Meurthe-et-Moselle au mois de mai 1877.
M. Le Provost de Launay fils. C'est un ancien pr�fet
du 4 septembre !
M. Paul Michaut. M. Delorme a quitt� Nancy au mois
de janvier, et il n'a jamais pass� la limite entre
l'arrondissement de Nancy et celui de Lun�ville. Il
ne conna�t pas la ville de Lun�ville. Il n'a donc
pas fait de d�marches personnelles.
A-t-il fait des d�marches par la parole ? non.
A-t-il fait venir chez lui des autorit�s ? non.
A-t-il fait des circulaires, et a-t-il engag� �
voter pour le candidat officiel ? non, pas une; on
n'en cite pas : il n'y en a pas une dans le rapport.
Mais arrivons aux autres moyens dont il pouvait user
! A-t-il ferm� des d�bits de boisson ? pas un.
A-t-il frapp� des maires, des adjoints, des conseils
municipaux ? pas un.
Des fonctionnaires ? pas un. (D�n�gations � gauche.)
Ah ! je vois bien que le rapporteur parle de
r�vocations et de changements de r�sidence ; je vais
vous citer les trois faits qui sont signal�s par le
rapport.
Un commissaire de police � Lun�ville a �t� chang�.
Je n'ai pas � r�pondre; le commissaire de police a
�t� chang� au mois de juin ; je n'�tais pas alors
candidat. Pourquoi est-il parti? Je n'en sais rien
et je n'ai pas � m'en occuper.
Second fait : un commissaire de surveillance de la
gare d'Avricourt a �t� r�voqu�, et, dit le rapport,
ce ne peut �tre que pour des motifs politiques. Or,
que s'est-il pass� ? Ce commissaire de surveillance
est venu me trouver � Baccarat, ma r�sidence, et
m'exposer les faits de discipline qui avaient motiv�
sa r�vocation. Sur sa pri�re, j'ai �crit � M. le
directeur de la s�ret� g�n�rale en le priant de
faire une enqu�te.
Le troisi�me fait est celui d'un instituteur ; on
n'en cite qu'un, on n'en cite pas d'autres.
L'instituteur d'une petite commune, la commune de
Veho, qui a 303 habitants, a �t� chang� de r�sidence
� l'�poque des vacances. Le fait m'a tellement �mu
que, d�s que j'en ai entendu parler, j'ai �t� dans
cette commune, j'ai vu l'instituteur, j'ai vu le
cur� et les notables du pays, et apr�s la r�union
que j'ai eue dans cette petite commune, j'ai
entretenu l'instituteur et je lui ai dit : Je ne
connaissais pas votre situation ici; elle est
intol�rable. Evidemment je ne vous bl�me pas, je ne
vous donne pas tort ou raison ; je n'ai pas � entrer
dans des consid�rations de clocher; mais il y a �
Veho le parti du cur� et le parti de l'instituteur.
303 habitants partag�s ainsi, c'est l� une situation
d'autant plus intol�rable, que la commune est plus
petite. Le cur� est tr�s-�g�. Comment voulez-vous
qu'on le change ? Eh bien, vous, on va vous renvoyer
� 3 kilom�tres d'ici; vous reviendrez un peu plus
tard.
L'instituteur me dit : Je vous remercie, je
reconnais que tout cela est vrai; seulement je vous
demande de m'aider, quand la situation le permettra,
� me faire rentrer � Veho et de m'y faire rendre mon
poste, parce que j'ai ici des int�r�ts de famille.
Et voil� tout, en fait de fonctionnaires. Est-ce de
la pression administrative? Je d�clare que non; il
n'y en a pas eu quoi que ce soit.
Maintenant arrivons aux maires. On a parl�, �a et
l�, dans le rapport, de maires. Je vais vous dire ce
qui s'est pass� � cet �gard.
Il n'y en a pas eu de chang�s ; je vous l'ai d�j�
dit; je ne veux pas le r�p�ter. Mais voici une
lettre d'un maire de canton qui vous servira de type
sur l'attitude des maires et sur l'ind�pendance
absolue dont ils ont us�, et tr�s-l�gitimement,
suivant moi.
C'est une lettre de M. le maire de Blamont ; elle
est au dossier. Je n'ai pas fait de contre-enqu�te,
et j'ai pris mes renseignements dans le dossier; je
n'en ai pas eu d'autres.
M. Brice, maire cantonal de la ville de Blamont,
nomm� par le chef de l'Etat, �crit � M. Cosson, le
23 septembre :
�� Mon cher coll�gue, j'ai re�u, ce matin, dans le
pli officiel, trois affiches Michaut; je voudrais
bien savoir ce que je dois faire d'apr�s votre avis.
�
Suit une lettre assez cavali�re au sous-pr�fet ;
puis M. Brice termine ainsi :
�� J'ai fini par d�cider quelques amis � se r�unir
chez moi aujourd'hui, et je pense former le noyau de
notre comit�; car je crois que maintenant ils sont
d�cid�s d'agir.
�� Tout � vous !
�� BRICE. �
Par cons�quent, M. le maire de Blamont s'est fait
l'organisateur du comit� �lectoral de M. Cosson ; il
pr�sidait les r�unions �lectorales organis�es en
faveur de l'�lection de ce candidat. Assur�ment,
c'�tait l� de l'ind�pendance.
A Lun�ville, il y a eu deux r�unions pour M. Cosson:
l'une pr�sid�e par son adjoint, c'�tait la r�union
des citadins, et l'autre par M. Suisse, maire de
Moncel, membre fort �minent du comit� agricole.
C'�tait la r�union des ruraux.
A Badonviller, � Blainvillle, etc., les maires ont
agi dans le m�me sens.
Je d�clare, en ce qui me concerne, que je ne fais
entendre aucune plainte. Quand on a assum� les
charges municipales, on n'a pas renonc� pour cela �
faire pr�valoir ses id�es politiques, � condition
d'y mettre de la tenue et de ne pas afficher
l'�charpe municipale.
Mais ne retournez pas l'arme contre moi. A Blamont,
comme je l'ai dit, la r�union en faveur de M.
Cosson, est pr�sid�e par M. Brice ; la mienne l'a
�t� par un ancien conseiller g�n�ral ; � Lun�ville,
par un habitant notable et pas du tout par un
fonctionnaire.
Voil� la situation g�n�rale. O� sont les faits de
pression ? A-t-on emp�ch� la circulation des
journaux ? Non. A-t-on refus� une seule autorisation
de colportage ? Pas une.
Ah ! je sais bien que le rapport va me dira ceci :
Il y a eu trois saisies du journal de M. Cosson,
dont deux venues de Paris, parce que les deux
num�ros saisis et non poursuivis contenaient un
pamphlet qu'on appelle : le P�re G�rard � ses
�lecteurs.
M. Viette. Ce n'est pas un pamphlet, c'est une
excellente brochure, tr�s-bien, faite !
M. Paul Michaut. C'est tr�s-possible. Je ne l'ai pas
lue.
J'ai demand� pourquoi la saisie avait eu lieu. On
m'a r�pondu que c'�tait sur un ordre de Paris.
A gauche. Toujours !
M. Paul Michaut. Une saisie, �galement bien tardive,
puisqu'elle s'est exerc�e sur quarante num�ros
seulement, a eu lieu, le 14 octobre, par ordre du
procureur g�n�ral de la cour de Nancy, et le journal
a �t� traduit devant la cour d'assises.
Il y a eu acquittement, mais, sans critiquer le
moins du monde le verdict du jury, je puis dire
qu'on comprend, dans une certaine limite, que
l'administration se soit �mue, puisque cet article
repr�sentait le gouvernement du mar�chal de Mac
Mahon comme pr�parant une troisi�me invasion, etc.
On m'a dit, dans le bureau : La presse conservatrice
a eu certaines vivacit�s. La presse oppos�e
s'est-elle permis les m�mes �carts ? Messieurs, je
n'�tais nullement pr�par� � r�pondre � cette
question, je n'avais que des extraits � produire et
je n'ai pu justifier la violence des journaux qui me
combattaient. Ce n'est pas l'heure de discuter la
question de savoir si la libert� de la presse est
une bonne ou une mauvaise chose, mais, enfin, quand
on se fait homme politique, quand on pose sa
candidature, il faut s'attendre � certaines
attaques. Il serait insens� de soutenir que tous nos
amis sont des anges et tous nos adversaires des
diables; les passions humaines se retrouvent
partout. S'il y a eu dans les journaux conservateurs
quelques violences, je les regrette, car je n'aime
pas les exag�rations ; par temp�rament et par
situation, je suis ami de la mod�ration.
Dans le bureau, on m'a demand� si j'avais �t� pris �
partie personnellement; j'�tais, je le r�p�te, si
peu pr�par� � cette question que j'ai r�pondu que je
ne le croyais pas. C'�tait une erreur, comme je vais
vous en donner la preuve.
Voici ce que je lis dans un journal :
�� Que voulez-vous ? Sachez-le et dites-le !
Voulez-vous une troisi�me �dition de l'empire,
c'est-�-dire une troisi�me invasion, un troisi�me
d�membrement, une nouvelle ran�on, le budget doubl�,
l'imp�t du propri�taire �gal � son revenu, l'imp�t
de l'ouvrier �gal � son b�n�fice, l'imp�t de
l'artisan �gal � son salaire ? Alors, votez pour M.
Michaut ! �
M. Plant�. C'�tait comme cela partout !
M. Paul Michaut. On faisait des plaisanteries de
mauvais go�t sur mon nom, dans le genre de celle-ci
: �� Le michautisme est la plaie de
l'arrondissement... Arri�re les Michaut ! � On est
remont� jusqu'� mon pauvre p�re, qui avait fait
partie de l'Assembl�e l�gislative et dont la
carri�re politique a fini apr�s le coup d'Etat et
ses cons�quences. (Marques d'approbation a droite.)
Je ne veux pas insister sur ce point; je crois que
la Chambre comprend et partage mon sentiment � cet
�gard... (Oui ! oui ! - Tr�s-bien ! � droite) qu'il
faut laisser de c�t� toutes ces pol�miques, � moins
qu'elles ne pr�sentent quelque chose
d'exceptionnellement grave, parce que les ardeurs de
la p�riode �lectorale excusent, si elles ne les
justifient pas toujours, certaines exag�rations.
(Tr�s-bien! tr�s-bien !)
Voil� la premi�re partie du rapport. Celle-l�, comme
j'ai eu l'honneur de vous le dire, se conclut ainsi
: �� Nous ne parlerons pas des faits de d�tail, parce
que nous allons arriver � des faits si graves, que
cela vous suffira pour vous montrer que le candidat
est entr� ici par une fausse porte. �
Le premier de ces faits si graves est celui-ci.
Quand le sous-pr�fet de Lun�ville, M. de la Rigaudie,
a �t� nomm� pr�fet, apr�s le 16 mai, il y a eu une
vacance assez longue, et l'int�rim a �t� confi� au
maire de Lun�ville. Le maire de Lun�ville �tant
absent et retenu � la Chambre, les signatures ont
�t� donn�es par un de ses adjoints. Quand le
sous-pr�fet nomm� par le minist�re du 16 mai eut
pris possession de son poste, il arriva � Lun�ville
dans un �tat de sant� assez f�cheux ; si bien que, �
peine install�, il sollicita et obtint du ministre
de l'int�rieur un cong� pour aller prendre les eaux
� Vittel ; il demanda au pr�fet de d�signer
l'int�rimaire.
Quel int�rimaire �tait possible? Le maire de
Lun�ville �tait M. Cosson, mon concurrent: le
conseiller g�n�ral du canton nord, c'�tait encore M.
Cosson ; il n'y avait pas de conseiller
d'arrondissement en r�sidence � Lun�ville. Le
conseiller g�n�ral du canton sud �tait M. Gabriel
Michaut, mon fr�re. M. le sous-pr�fet demanda � mon
fr�re de faire l'int�rim. Il s'y refusa, et dit � M.
Lejouteux : �� Il me semble qu'il serait bien plus
naturel de prier la pr�fecture d'envoyer un
conseiller de pr�fecture. � Cela fut d�clar�
impossible, et le sous-pr�fet se trouvait dans cette
situation d'arriver � l'�poque o� la saison ne lui
permettrait plus d'aller aux eaux faute d'un
int�rimaire.
Mon fr�re insista sur cette disposition de la loi
qui porte que l'int�rimaire sera un fonctionnaire de
l'ordre administratif : �� Par cons�quent, disait-il,
monsieur le sous-pr�fet, vous pourriez prier M. le
pr�fet de d�signer comme int�rimaire, un contr�leur
des contributions directes, ou un agent des
finances, ou l'inspecteur des for�ts, ou telle autre
personne appartenant � l'administration proprement
dite. � Cela fut d�clar� absolument contraire � tous
les usages.
Mon fr�re alors vint me trouver, et vous allez voir
que je suis bien plus coupable encore que le rapport
ne me fait. (Rires � droite.)
Il me posa la question, et je lui r�pondis : �� De
quoi s'agit-il ? Est-il entendu qu'il ne se fera
aucune affaire et que ton r�le se bornera � donner
des l�galisations de signatures et � signer des
permis de chasse, de m�me que moi, maire de ma
commune, et M. Cosson, maire de sa ville, nous
l�galisons tous les jours des signatures ? Cela me
para�t absolument inoffensif de remplir les
fonctions d'int�rimaire dans ces conditions
restreintes. �
Et c'est ce qui fut fait.
Je d�fie qu'on me cite un seul fonctionnaire, un
seul maire ayant eu avec l'int�rimaire des rapports
d'affaires quelconques. (Tr�s-bien ! tr�s bien ! �
droite.)
Je sais bien qu'on dit : Mais si � ce moment ce
n'�tait pas criminel, comment se fait-il que cela se
soit reproduit pendant la p�riode �lectorale ?
Messieurs, je vais vous dire comment cela est
arriv�. Le 25 septembre, mon fr�re re�oit un mot du
sous-pr�fet qui lui disait : �� Je pars pour
quarante-huit heures, ayez l'obligeance de donner
pour moi les signatures urgentes.� Cette fois, il
n'y a pas eu d'int�rim; il n'y a pas eu de
d�l�gation. Le sous-pr�fet est revenu le
surlendemain, il y avait eu des signatures donn�es,
et pas autre chose.
Mon fr�re alors dit au sous-pr�fet : �� Je regrette
que vous me laissiez ainsi la signature, m�me pour
des l�galisations ; dor�navant, vous ferez comme
vous voudrez, mais je ne signerai plus rien ! �
Voil� le fait, messieurs, j'ai tout dit, j'ai tout
avou� ! (Applaudissements � droite.)
J'arrive maintenant au second grief. Je suis
peut-�tre trop long, messieurs... (Non ! non,! -
Parlez !) Si je suis coupable dans le premier cas,
dans celui-ci je suis compl�tement innocent, comme
vous l'allez voir.
Le 12 octobre, c'est-�-dire le vendredi � deux
heures de l'apr�s-midi, l'inspecteur des for�ts � la
r�sidence de Lun�ville, re�ut une d�p�che
t�l�graphique ainsi con�ue : �� Pour Lun�ville de
Nancy. - N� 540, mots 66, d�p�t le 12 octobre � 11
heures 25 minutes du matin.
�� Conservateur des for�ts � inspecteur des for�ts �
Lun�ville. Vis�e.
�� Faire pr�venir imm�diatement tous les pr�pos�s par
la voie de la correspondance des gardes qu'ils
auront � se mettre � la disposition des maires pour
maintenir l'ordre dans les salles de vote, s'ils
sont r�guli�rement requis par les maires ou les
sous-pr�fets.
�� Ils seront en grande tenue avec le couteau de
chasse. �
Ceci a eu lieu dans toute la France, messieurs, ce
n'est pas une exception pour l'arrondissement de
Lun�ville; mais ailleurs on n'y a pas attach�
d'importance, parce qu'on a trouva probablement des
griefs assez int�ressants, tandis que, �
Lun�ville... (C'est cela ! - Tr�s-bien! � droite),
vous allez voir comment on a exploit� le fait.
Qu'est-ce qui s'est pass�, en somme ? L'inspecteur
apr�s avoir re�u cet ordre t�l�graphique, en a
envoy� copie, par la correspondance des gardes, �
tous les pr�pos�s forestiers. Quand je dis � tous,
je me trompe, car il y aurait eu des doubles
emplois. Mais sur les 163 communes de
l'arrondissement, l'ordre a �t� envoy� � 56 gardes
d'aller se mettre, le lendemain matin, � la
disposition des maires.
On dit qu'ils auraient d� attendre que les maires
les fissent demander. Mais beaucoup de gardes logent
dans des maisons foresti�res, leur m�tier est
d'aller dans les for�ts, et s'ils avaient attendu la
r�quisition des maires, neuf fois sur dix, la
r�quisition ne les aurait pas trouv�s chez eux. 56
gardes se sont donc mis en grande tenue et sont
all�s dire aux maires : �� Monsieur le maire, j'ai
re�u l'ordre de me mettre � votre disposition. � On
a dit dans le rapport que ces gardes n'�taient pas
�lecteurs dans ces communes : cela est vrai pour six
et faux pour cinquante. Cinquante gardes �taient
�lecteurs et avaient � aller voter; mais combien y
en a-t-il qui soient rest�s dans les communes ? Il y
en a eu environ quarante auxquels les maires ont
r�pondu : �� Je n'ai pas besoin de vous, tout se
passe tranquillement, vous pouvez vous retirer. �
Dans un certain nombre d'autres communes - quinze,
seize ou dix-sept - les maires ont dit aux gardes :
�� Je vous remercie, asseyez-vous! restez � ou bien :
�� Je ne crois pas que j'aie besoin de vous. Restez,
ou retournez chez vous, si vous le pr�f�rez; faites
comme vous voudrez. � Alors un certain nombre de
gardes sont repartis, d'autres sont rest�s. Mais il
n'y a pas une seule commune, pas une seule ! - je
sais bien qu'on dira le contraire, mais j'attends
qu'on me cite un nom, - o� un garde soit rest�
malgr� le maire.
On dit dans le rapport qu'il y en a plusieurs.
Si on veut m'en citer une seule, je r�pondrai
imm�diatement et d'une mani�re p�remptoire.
Je sais qu'il y a pour ainsi dire des circulaires de
maires, des lettres con�ues dans les m�mes termes,
et qui affirment le contraire ; ces lettres ont �t�
recueillies dans la seconde enqu�te, pour suppl�er �
l'insuffisance des d�clarations produites dans la
premi�re.
Il y a des maires qui ont refus� ce qu'on leur
demandait ; alors on s'est adress� aux conseillers
municipaux. (C'est cela ! tr�s-bien ! � droite.)
M. Laroche-Joubert. On n'avait jamais rien vu de
semblable !
M. Masure, rapporteur. Nous avons cit� Xures,
Laronxe et H�rim�nil.
M. Paul Michaut. Prenons Laronxe, si vous voulez,
c'�tait le maire le plus terrible.
Or, voici ce que m'�crit ce m�me maire :
�� Nous, soussign�, maire de la commune de Laronxe,
certifions que, le jour du vote du 14 octobre, M.
Rancelaut, garde forestier, domicili� audit lieu,
s'est pr�sent� dans la salle. Mon devoir n'�tait pas
de lui dire de sortir, lorsque je savais qu'il �tait
command�.
�� Laronxe, le 21 janvier 1878.
�� Le maire,
�� Sign� : GERB�, �
Cette lettre est dat�e du 21 janvier. Si j'avais eu
le rapport plus t�t, cette rectification serait
d'une date ant�rieure.
Comment en r�alit� les choses se sont-elles pass�es
partout ? Le garde se pr�sente au maire et se met �
sa disposition ; le maire l'accueille, le fait
asseoir, lui offre � diner, l'emm�ne chez lui et
accepte avec plaisir son concours �ventuel.
Voil� la v�rit�, messieurs, voil� comment s'exer�ait
la pression pr�tendue.
Maintenant, dit-on que, dans une commune quelconque,
il y ait eu un garde qui ait fait autre chose
qu'office de gendarme ? Car enfin, le fait est
l�gal; la question est de savoir s'il a �t� abusif.
Eh bien, non ; il n'a pas �t� abusif, puisque, dans
aucune commune, nulle part vous ne pouvez citer un
fait quelconque attribuant aux gardes une d�marche
qui n'�tait pas absolument dans l'ordre. (Vives
marques d'approbation � adroite.)
Si cela s'�tait pass� ailleurs, dit le rapport,
c'e�t �t� sans grande importance ; c'�tait
scandaleux dans un arrondissement o� le candidat
officiel, avant d'�tre un des grands industriels de
la r�gion, a appartenu lui-m�me � l'administration
foresti�re.
Me voila repr�sent� comme un pr�fet de la veille qui
vient se poser en candidat dans son ancien
d�partement. Eh bien, c'est encore vrai, c'est une
de ces demi-v�rit�s qui sont des erreurs, pour me
servir d'un mot obligeant. Je suis sorti de l'�cole
foresti�re de Nancy en 1848, et j'ai �t� nomm� garde
g�n�ral titulaire en 1849 dans le d�partement du
Jura.
Pendant les quelques mois qui se sont �coul�s entre
ma sortie de l'�cole et ma nomination dans le Jura,
j'ai �t� envoy� en stage dans l'arrondissement de
Lun�ville. Peut-on dire, apr�s cela, que mon
ancienne position dans l'arrondissement de Lun�ville
donnait � la mesure des gardes un caract�re
exceptionnel de gravit� ? Il y a trente ans que le
fait s'est pass�, et il y a vingt-cinq ans que je
n'appartiens plus � l'administration foresti�re et
que je fais de l'industrie ! Voil�, messieurs, les
deux gros griefs.
Je m'arr�terais l� s'il n'y avait pas dans le
rapport une autre partie � laquelle je veux
r�pondre.
Le rapport dit : �� Il y a eu des faits de nature �
montrer qu'une pression a �t� exerc�e sur la
population ouvri�re, mais il faudrait une enqu�te
pour �tablir ces faits. �
Il me semble que, quand on ne peut pas prouver des
faits, il vaudrait mieux ne pas en parler; mais,
puisqu'on y a fait allusion, je me trouve oblig�
d'entrer dans certains d�tails, au risque de
fatiguer peut-�tre l'attention de la Chambre.
(Parlez ! parlez !)
Il y a eu, dit-on, dans les ateliers de Cirey, une
pression exerc�e par M. Chevandier de Valdr�me,
ancien ministre de l'empire, directeur de cette
usine.
Pourquoi donc avoir maintenu cette phrase sonore,
apr�s que j'avais d�clar� que M. Chevandier ne
dirigeait plus depuis vingt ans les ateliers de
Cirey ? Eh bien, je serai plus pr�cis aujourd'hui.
M. Chevandier de Valdr�me n'est plus directeur de
Cirey depuis le 31 d�cembre 1859 ; il n'y a que
dix-huit ans, je le reconnais, je me trompais de
deux ans.
M. Chevandier de Valdr�me habite toujours Cirey ; il
a achet� la maison de l'ancienne administration de
l'usine, et il a tellement renonc� � l'industrie
qu'il s'est mis � mettre en valeur des terrains
vagues et s'est fait agronome. On ne peut contester
le m�rite qu'il y a acquis, car au mois de juillet
dernier il a obtenu la coupe d'honneur au concours
r�gional de Nancy. Cela vous prouve qu'il a
absolument abandonn� toute esp�ce d'action directe �
Cirey. (Rumeurs � gauche.)
Mais enfin, messieurs, il y a des chiffres plus
�loquents encore que tout ceci. L'ann�e derni�re, M.
Cosson �tait candidat, et seul candidat. Je m'�tais
d�rob� devant les instances des conservateurs. Eh
bien, il est certain que M. Cosson a eu 376 voix;
divers, Pierre, Paul, Jacques, en ont eu 477; 1,277
�lecteurs s'�taient abstenus.
Cette ann�e-ci, j'ai eu 1,442 voix; M. Cosson en a
eu 243, et vous allez voir si c'est l� le r�sultat
de la pression.
A l'�lection qui a suivi, au 4 novembre, M.
Chevandier de Valdr�me, dont les pouvoirs �taient
expir�s, obtenait 1,533 voix sur 1,580 votants.
Aux �lections du 6 janvier, � Cirey m�me, sur 529
votants, la liste conservatrice a pass� tout
enti�re, le premier inscrit avec 511 voix; c'est
toujours la m�me chose.
A Baccarat, - c'�tait l� que je voulais en arriver,
- la question me tient bien plus au coeur, parce que
je vous avoue que je ne m'attendais pas qu'il p�t
arriver un jour, dans ma carri�re industrielle, o�
je serais incrimin� du fait de pression, moi qui ai
la pr�tention d'exercer � Baccarat l'administration
la plus lib�rale qu'il y ait au monde. (Tr�s-bien !
tr�s-bien ! � droite.)
Je suis le conseiller g�n�ral du canton, sans aucun
concurrent aujourd'hui; j'ai eu des comp�titeurs
autrefois, mais ils se sont d�courag�s. L'ann�e
derni�re, M. Cosson �tant seul candidat aux
�lections l�gislatives, a obtenu dans mon canton
1,717 voix, et 2,292 �lecteurs ont vot� pour des
noms divers, affirmant ainsi leur ferme volont� de
ne pas l'accepter comme d�put�. Cette ann�e, j'ai
obtenu 3,400 voix contre 1,579.
Le 4 novembre, il y a eu 3,310 votants pour le
conseil d'arrondissement. L'un des candidats a
obtenu 2,933 voix et l'autre 2,914.
Au dernier scrutin pour l'�lection du conseil
municipal de Baccarat, on avait d�j� amplement
racont� dans le pays et publi� dans les journaux que
j'�tais � la veille d'�tre invalid�. Sous cette
impression, Je courant de l'opinion s'est manifest�
avec �nergie. J'avais eu aux �lections d'octobre les
5/6es des voix, j'obtins au nouveau scrutin plus des
9/10es des suffrages, et je sortis le premier sur la
liste des conseillers municipaux.
Le rapport qui a �t� publi� sur mon �lection le 26
janvier a caus� � Baccarat une profonde �motion et
j'�prouve un v�ritable embarras � vous le d�peindre
ici, o� l'on ignore ce que c'est que cette grande
famille industrielle, ce que c'est que ce faisceau
de gens laborieux unis de la fa�on la plus �troite.
Rien n'a jamais pu �branler cette admirable
organisation, et chacun de nous a conscience que,
quand on attaque un ouvrier, on me trouve derri�re
lui pour le couvrir, mais qu'aussi quand on touche
au chef, toute la famille est l�. (Applaudissements
� droite.)
On a fait les plus grands efforts ; on a fait des
appels que je pourrais dire odieux, on a dit : Nous
allons apprendre aux classes laborieuses comment on
arrive � secouer le joug de la f�odalit�
industrielle.
Devant des excitations de ce genre, le faisceau
s'est toujours tenu plus serr�. (Tr�s-bien !
tr�s-bien ! � droite.)
Quand le rapport a paru, ces braves gens se sont
procur� le Journal officiel, et en vingt-quatre
heures, se cachant de tous leurs chefs, ils ont
�crit la lettre que voici, et ils me donnent le
mandat de venir les d�fendre.
Il faut donc bien que je la lise :
�� Monsieur Paul Michaut,
�� Nous sommes indign�s que dans le compte rendu de
la s�ance du 26 janvier courant � la Chambre des
d�put�s, vos adversaires osent d�clarer que, par
suite de certaines interventions se produisant
jusque dans la salle du vote, les ouvriers employ�s
dans les ateliers de Baccarat et les personnes qui
vivent dans la d�pendance de cette grande usine
n'ont pas eu partout la libert� de leur vote.
�� Ils ne nous connaissent gu�re, ceux qui concluent
que ce n'est que press�s et sollicit�s, peut-�tre
m�me menac�s et intimid�s par notre situation � ne
pas r�sister � vos agents, que nous avons vot�.
�� Nous l'avons fait tous sans aucune pression ni
sollicitation, et nous d�fions qui que ce soit de
prouver qu'il en a �t� autrement.
�� Les soussign�s vous prient, monsieur Paul Michaut,
de vouloir bien �tre leur d�fenseur des injures qui
sont dirig�es contre eux, m�me jusqu'� la tribune.
�� Vous avez �t�, monsieur, en butte � bien des
attaques dans ces derniers temps ; nous vous
connaissons assez pour savoir que vous les m�prisez,
mais nous n'en tenons pas moins � venir vous
affirmer notre indignation et notre respectueuse
estime.
�� Baccarat, le 29 janvier 1878. �
Suivent 928 signatures d'ouvriers �lecteurs.
(Tr�s-bien ! tr�s-bien ! � droite.)
Je voudrais vous raconter ce qu'il y a de coeur et de
d�vouement chez ces braves gens. Pendant nos
malheurs de 1870, j'eus le triste privil�ge d'�tre
arrach� de chez moi et jet� dans les prisons
allemandes; je n'en sortis, h�las ! que pour tomber
dans les prisons r�volutionnaires de la France, et
pendant ce temps-l� le souci d'alimenter nos
ouvriers empoisonnait mon existence.
Savez-vous ce qu'ils ont fait ? Quelques-uns sont
venus me dire: �� Ne me donnez pas d'argent, je puis
aller quelque temps, j'ai une r�serve. � D'autres
faisaient des collectes non-seulement chez eux, mais
dans leurs familles et m'apportaient jusqu'� 3, 4,
et 6,000 fr. J'ai v�cu comme cela avec le d�vouement
de ces braves gens. Et vous croyez que j'ai besoin
de les pousser au scrutin ! (Applaudissements �
droite.)
Le jour de l'�lection, il y avait dans cette petite
ville une �motion indescriptible, et jusqu'� deux
heures du matin ils se promenaient pleins d'anxi�t�
; et lorsqu'arriva la d�p�che t�l�graphique faisant
conna�tre le r�sultat de l'arrondissement, comment
s'exhala leur joie et leur enthousiasme ? par deux
cris de victoire. Le premier �tait : �� Vive la
France ! � le second : �� Vivent les ouvriers de
Baccarat ! � Ils n'acclamaient pas leur chef ; ils
savaient bien qu'il n'y avait rien qui p�t lui aller
plus au coeur que ce nom de Baccarat !
Pendant ce temps, comment accueillait-on le r�sultat
� Lun�ville, o� l'on dit avec emphase qu'il n'y a
pas eu de d�sordre et que toute pr�caution �tait
superflue ? Quand on proclama le r�sultat �
Lun�ville, on l'accueillit avec les cris : �� A bas
le Mar�chal ! - Vive la Commune ! Vive le p�trole !
Michaut � la lanterne ! � Et il fallut faire des
patrouilles dans la ville.
Et on vient dire que ce sont les ouvriers de
Baccarat qui ont �t� comprim�s et opprim�s ! Enfin
j'ai besoin de m'�pancher, parce qu'avant de tomber,
je veux d�fendre mes ouvriers et mon drapeau !
(Bravos et applaudissements � droite.)
Je vous ai dit que nous �tions l'usine la plus libre
du monde. Tandis qu'on s'agite � Lyon et que des
gens inexp�riment�s traitent les questions de
salaires, de travaux des femmes, de rapports entre
les ouvriers et les patrons, de pr�voyance,
d'association, que sais je ? tout cela est r�solu
chez nous. Le suffrage universel nous le pratiquions
d�s 1835, treize ans avant qu'on ne l'appliqu�t dans
la nation !
J'esp�re maintenant avoir d�montr� qu'il ne doit
rien rester des faits de pression sur nos ouvriers.
Invalidez-moi pour avoir eu des gardes forestiers ;
invalidez-moi parce que mon fr�re a sign� des permis
de chasse; mais je vous d�fie de le faire parce que
j'opprime les ouvriers de Baccarat. (Tr�s-bien !
tr�s-bien ! � droite.)
J'ai encore quelques mots � dire. (Parlez ! Parlez
!)
Je suis oblig� d'�tre un peu �conomiste et je me
trompe quelquefois, comme quelquefois aussi je vois
juste. Quoi qu'il en soit, je suis de ceux qui
pensent que, chez les hommes, le travail intensif et
court est le bon travail.
Plusieurs voix. Vous avez raison
M. Paul Michaut. Eh bien, nos ouvriers du plus grand
nombre des cat�gories avaient autrefois onze heures
de travail effectif, et trois repos faisant ensemble
deux heures; les ouvriers �taient donc absents de
leur int�rieur pendant treize heures par jour. Je
trouvai que c'�tait trop. Je les r�unis, ou plut�t
je r�unis ceux d'une certaine cat�gorie. Ils �taient
environ 600 et je leur dis : �� Je voudrais modifier
vos heures de travail ; je voudrais r�duire le
travail effectif � dix heures, avec un seul repos
d'une heure. Vous n'auriez plus ainsi que onze
heures d'absence; la femme, les enfants, la sant�,
l'hygi�ne, la morale, tout y gagnerait. �
Seulement, il y avait une objection s�rieuse. Tous
nos ouvriers travaillent � la pi�ce, et la question
�tait de savoir si on produirait en dix heures
autant qu'en onze.
Je suis de ceux qui croient qu'il ne faut pas que le
travail se prolonge au del� d'un certain temps, et
j'�tais convaincu que la production ne faiblirait
pas.
M. Martin Nadaud. Tr�s-bien ! tr�s-bien !
M. Laroche-Joubert. C'est tr�s-vrai! j'en ai fait
l'exp�rience, moi aussi !
M. Paul Michaut. J'�tais convaincu qu'ils
gagneraient tout autant, mais il fallait les
persuader.
Je leur dis : �� Mes amis, voil� mon projet. Je vous
r�unirai d'aujourd'hui en huit et nous irons aux
voix. �
Huit jours apr�s, ils se r�unirent, et vous allez
voir, messieurs, que les choses se passent
tr�s-d�mocratiquement. Comme la question int�ressait
les femmes, les femmes ont vot�.
Il se produisit un fait bizarre : il y eut 300 oui
et 300 non ; les voix s'�taient �galement partag�es.
Je dis alors : �� Moi aussi, j'ai mon petit mot �
dire, et je vais d�partager vos avis, non pas en
vous imposant le travail comme je l'ai entendu, mais
en vous en imposant l'essai
r�unirai de nouveau et je vous consulterai. �
Je ne les ai jamais r�unis, attendu que toutes les
autres cat�gories sont venues me demander comme une
faveur ce qui avait �t� ainsi accord�.
Voil� la pression comme nous l'entendons ! A droite.
Bravo ! bravo !
M. Laroche Joubert. J'ai fait la m�me chose et j'ai
eu le m�me r�sultat !
M. Paul Michaut. Cela ne m'�tonne pas.
Enfin, messieurs, j'arrive � la conclusion.
Le rapport dit: Il faut qu'il y ait eu pression,
car, aux �lections du mois de f�vrier 1876, dans
l'arrondissement de Lun�ville, M. Cosson n'avait pas
de concurrent, et sur 27,000 inscrits, - je vous
donne les chiffres ronds, je crois qu'on ne les
contestera pas, - M. Cosson avait obtenu 12,000
voix, et 6,000 avaient vot� pour divers non
candidats, et 9,000 �lecteurs n'avaient pas pris
part au vote.
Et vous trouvez �tonnant que le jour o� un candidat
sympathique et tr�s-lib�ral s'est pr�sent� dans
l'arrondissement, les 6,000 �lecteurs qui avaient
formellement d�clar� qu'ils ne voulaient pas M.
Cosson, aient trouv� le terrain tout pr�par� pour le
mettre en minorit� ! Avez-vous dans vos souvenirs
beaucoup d'�lections semblables, o�, en pr�sence
d'un candidat unique, le tiers des votants ait
affirm� ainsi que le candidat n'avait pas leur
con�ance ?
Je ne comprends pas, en v�rit�, comment M. le
rapporteur a pu consid�rer comme un bon argument
contre mon �lection les chiffres qu'il a cit�s et
que je viens de reproduire.
Cela dit, j'ai fini ma t�che, messieurs, et vous
appr�cierez. (Approbation � droite et sur quelques
bancs au centre.)
J'ai 1,613 voix de majorit�. Je regrette, je ne veux
pas �tre agressif, - mais je regrette que le rapport
n'ait pas pr�cis� ce chiffre de majorit� et ne l'ait
pas mis en �vidence.
M. le rapporteur me dit bien : �� Cela est
implicitement indiqu� ; que chacun prenne un crayon
et il trouvera, en op�rant une simple soustraction
entre le nombre des voix obtenues par l'un ou
l'autre candidat, le chiffre de votre majorit�. �
C'est vrai, mais, messieurs, �tait-il encore bon de
le dire. C'est pour cela que je le rappelle, et vous
appr�cierez. (Vifs applaudissements � droite.)
M. Edouard Lockroy. Messieurs, je r�pondrai
tr�s-bri�vement au long discours que vous venez
d'entendre.
Voix diverses � droite. Nous ne l'avons pas trouv�
long ! - Nous l'avons trouv� tr�s-int�ressant !
M. Edouard Lockroy. Je r�pondrai bri�vement, dis-je,
au discours que vous venez d'entendre. Je ne
m'arr�terai qu'aux faits qui ont caract�ris� cette
�lection, comme ils ont caract�ris� toutes les
candidatures officielles.
Je ne vous dirai pas que les affiches du candidat
r�publicain ont �t� lac�r�es par la gendarmerie, par
les fonctionnaires, par les cur�s.
Je ne raconterai pas comment un maire avait fait
tambouriner par un appariteur de la commune qu'il
fallait voter pour le candidat officiel. Je ne vous
dirai pas comment un cur�, � la porte d'une section,
faisait de longs discours contre le candidat
r�publicain. Je ne m'attacherai qu'aux trois grands
faits auxquels s'est attach� lui-m�me M. Paul
Michaut dans son plaidoyer : l'int�rim de la
sous-pr�fecture fait par le fr�re de M. Paul Michaut
; l'intervention des gardes forestiers en armes dans
une section ; enfin la pression exerc�e sur les
ouvriers de Baccarat.
Mais auparavant permettez-moi, messieurs, de
regretter que, dans l'�loquent plaidoyer que M.
Michaut vient de prononcer, il ait commis deux
l�g�res imprudences : celle de parler de la presse
et celle de parler des r�vocations de
fonctionnaires.
Il nous a dit : A part un commissaire de police qui
a �t� chang� de r�sidence, � part un instituteur qui
a �t� d�plac� � trois kilom�tres, il n'y a pas eu de
r�vocations.
Non; mais il y a eu un fait bien grave, qu'il a
pass� sous silence : c'est l'histoire de
l'inspecteur d'acad�mie dans le d�partement de
Meurthe-et-Moselle.
Le d�partement de Meurthe-et-Moselle avait un
inspecteur d'acad�mie, qui est un des fonctionnaires
les plus z�l�s, les plus intelligents et les plus au
courant de nos besoins scolaires.
Cet inspecteur d'acad�mie fut appel� un jour dans le
cabinet du pr�fet, M. Achille Delorme. Que se
passa-t-il entre l'inspecteur d'acad�mie et le
pr�fet ? On ne l'a pas su. Le pr�fet lui
demanda-t-il des propositions de r�vocation ou de
d�placement que l'inspecteur d'acad�mie ne voulait
pas accorder ? Je ne sais. Tant il y a qu'au sortir
de cet entretien, M. l'inspecteur d'acad�mie, je le
r�p�te, un des fonctionnaires les plus intelligents
que nous ayons, re�ut une mise en cong� illimit�
avec ordre de quitter le d�partement dans les
vingt-quatre heures et de n'y pas rentrer sous peine
de r�vocation. (Exclamations � gauche.) Et pourquoi
cela ? Quand, dans la sous-commission, nous
demand�mes des explications sur ce fait �
l'honorable M. Michaut, la seule r�ponse que nous
p�mes obtenir fut celle-ci : c'est que cet
inspecteur d'acad�mie avait �t� vu d�jeunant dans
une auberge � l'heure o� les fid�les vont � la
grand'messe. (Rumeurs et rires � droite.)
M. Paul Michaut. Je demande la parole.
M. Edouard Lockroy. Messieurs, le coup qui frappait
cet inspecteur d'acad�mie �tait bien de nature �
terrifier tout le corps enseignant.
A droite. Oh ! oh !
M. Edouard Lockroy. Cela suffisait, en effet, et
cela valait mieux que toutes les r�vocations et tous
les d�placements du monde.
L'honorable M. Paul Michaut a parl� ensuite de la
presse et des exc�s de la presse r�publicaine. Par
�gard pour lui, je ne lui citerai pas les articles
de la presse r�actionnaire.
Mais je dirai, parce que cela est vrai, que, pendant
tout le temps de la p�riode �lectorale, pendant
qu'on poursuivait, qu'on saisissait presque
quotidiennement le journal r�publicain, qu'on le
faisait enlever de toutes les auberges par les
gendarmes, la presse r�actionnaire faisait des
articles o� elle disait : Qui est-ce qui votera ?
qui est-ce qui conseille de voter pour M. Cosson?
C'est M. de Bismarck. Et elle d�veloppait ces id�es
dans tous les articles ; elle donnait des extraits
de soi-disant lettres de M. de Bismarck, qui
�crivait � de pr�tendus agents en France : Poussez
les �lecteurs � voter pour les 363.
Cela �tait impuni, messieurs; et pendant que cela
�tait impuni, on poursuivait le Journal de
Lun�ville, qui �tait coupable... de quoi, messieurs
? D'avoir reproduit un article du journal de notre
�minent coll�gue M. Emile de Girardin, la France. Il
�tait poursuivi, mais on n'osait pas faire de
poursuites l�gales : ce n'est qu'un mois apr�s.
M. Paul Michaut. Parce que les assises n'ouvraient
qu'un mois apr�s !
M. Edouard Lockroy. Oui, mais le proc�s est venu
juste au moment o� l'on partait de l'invalidation de
l'honorable M. Michaut, et peut-�tre esp�rait-on
influer sur la Chambre par une condamnation que l'on
n'a pas obtenue. (Rumeurs � droite.)
Il est arriv�, pendant le cours des d�bats de cette
affaire, un incident assez curieux.
L'avocat du journal r�publicain a dit ce qu'il �tait
naturel de dire en pareille circonstance : Pourquoi
ne poursuivez-vous pas les journaux r�actionnaires
qui, tous les jours, pr�chent le coup d'Etat et
commettent des d�lits visibles pour tout le monde ?
Savez-vous ce qu'a r�pondu l'organe du minist�re
public ? il a dit : Je ne lis pas ces journaux-la !
M. Paul Michaut. Il s'agissait du Pays et du Figaro.
M. Edouard Lockroy. J'ai parl� de journaux
r�actionnaires : je ne pense pas que le Pays et le
Figaro d�savouent cette qualification.
Enfin l'avocat a lu un article du Journal de
Lun�ville, o� l'on faisait parler M. de Bismarck, et
le minist�re public a dit : Cet article, je le
d�savoue. Il l'a bl�m�, mais il ne l'a pas
poursuivi.
Je crois donc que l'honorable M. Paul Michaut a eu
tort de parler de l'inspecteur d'acad�mie et de la
presse.
J'arrive maintenant � l'int�rim de la
sous-pr�fecture.
Eh bien, messieurs, je crois que le fait est un peu
moins innocent qu'on ne nous le disait tout �
l'heure.
En effet, l'honorable M. Paul Michaut, qui a la
m�moire heureuse, ne se souvenait pas de
l'ordonnance de mars 1821. Cette ordonnance dit ceci
: En cas d'absence du sous-pr�fet, il doit �tre
remplac�, ou par un fonctionnaire de l'ordre
administratif, ou par un conseiller de pr�fecture.
Voil� l'ordonnance, voil� la loi ! L'honorable M.
Paul Michaut nous a dit : Il n'y avait dans tout le
d�partement de possible, pour remplir ce poste et
faire cet int�rim, que mon fr�re.
Mais alors, lui r�pondrai-je, il n'y avait donc pas
de conseiller de pr�fecture � la pr�fecture de
Meurthe-et-Moselle ? Il n'y avait donc pas de
fonctionnaire administratif dans le d�partement ?
Car, comment se fait-il donc que M. le pr�fet de
Meurthe-et-Moselle n'ait trouv� personne autre que
votre fr�re, dans des circonstances pareilles, pour
lui confier l'int�rim de la sous-pr�fecture ? Et si
encore il ne le lui avait confi� qu'une fois, ce ne
serait rien ; mais il le lui a confi� deux fois, et
la seconde fois pendant la p�riode �lectorale.
La premi�re fois, je le veux bien, M. le sous-pr�fet
est gravement malade ; il va dans les Pyr�n�es pour
se soigner, et il laisse, ill�galement, l'int�rim de
la sous pr�fecture � M. Gabriel Michaut, fr�re de M.
Paul Michaut, candidat officiel.
Mais la seconde fois, M. le sous-pr�fet est-il
malade ? non !
M. le sous-pr�fet se porte tr�s-bien ; il se porte
si bien m�me qu'il parcourt les 163 communes de
l'arrondissement, faisant, dans chacune de ces
communes, des discours en faveur de l'honorable M.
Paul Michaut. (Rires � gauche.)
Ainsi, l'honorable M. Michaut �tait recommand� par
son fr�re qui faisait l'int�rim de la
sous-pr�fecture, et par le sous-pr�fet qui faisait
des discours.
M. Paul Michaut nous dit : Mais, pendant que mon
fr�re a rempli cet int�rim, il n'a fait que signer,
je crois, que des permis de chasse, que des papiers
insignifiants.
Je r�ponds que le fr�re de M. Paul Michaut a
cependant fait une chose : il a interdit � M. Cosson
de pr�sider la distribution des prix de Lun�ville.
Un membre � droite. Cette mesure n'�tait pas du
ressort du sous-pr�fet ! Donnez la preuve de
l'interdiction qu'aurait prononc�e le sous-pr�fet
int�rimaire.
M. Edouard Lockroy. La preuve est au dossier, et je
dis que c'est l� un acte administratif qui va un peu
loin.
Un membre � droite. La preuve ! la preuve !
A gauche. N'interrompez pas ! - Laissez parler !
M. Edouard Lockroy Je r�p�te qu'il y a, dans le
dossier, des pi�ces qui �tablissent ce que j'avance.
M. le comte de Maill�. Eh bien, lisez ces pi�ces !
Faites-les conna�tre !
A gauche : N'interrompez pas !
M. Edouard Lockroy. J'aurais pu souvent interrompre
M. Michaut au cours de sa discussion, mais je m'en
suis bien gard�. Veuillez donc, messieurs, me
laisser aller jusqu'au bout, et, si je me trompe, M.
Michaut voudra bien me rectifier.
Je passe maintenant � un autre point, � la pression
sur les ouvriers de Baccarat.
Ce que l'honorable M. Michaut ne nous a pas dit,
c'est que huit ou dix jours avant le scrutin, des
agents, - et quelques protestations disent des
douaniers, et m�me dans une commune, je crois, un
gendarme, - all�rent de porte en porte chez tous les
habitants demander de signer une adresse imprim�e,
qui est au dossier, dans laquelle on invitait les
�lecteurs � voter pour M. Paul Michaut. Or, sachez
bien que cette usine de Baccarat qui compte non pas
des centaines, mais des milliers d'ouvriers, - je ne
crois pas me tromper, elle en compte deux � trois
mille,- fait vivre toutes les communes qui
l'environnent ; que par cons�quent tous les
habitants de ces communes d�pendent plus ou moins de
la cristallerie de Baccarat; que sur un signe de
l'administrateur de Baccarat, qui est tout-puissant
dans sa fabrique, telle ou telle industrie, tel ou
tel �tablissement peut �tre mis � l'index, qu'il
peut �tre interdit
aux ouvriers; de sorte que le fabricant,
l'industriel, le commer�ant, en pr�sence d'un
manifeste o� on lui dit huit jours avant le vote de
voter et d'engager ses concitoyens � voter pour M.
Paul Michaut, s'il refuse, se trouve dans une
situation inqui�tante. Il risque son gagne-pain, la
vie de sa famille et de ses enfants. Voil� ce qui
lui arrive s'il refuse. Et �tonnez-vous donc apr�s
cela qu'il mette son nom en bas du manifeste. Il l'y
met, non pas par conviction, mais bien contraint et
forc�. (Tr�s-bien ! tr�s-bien ! � gauche et au
centre.) En voulez-vous la preuve, messieurs? Mais
la preuve, la voici : c'est que dans six communes,
le nombre des �lecteurs qui ont vot� pour
l'honorable M. Michaut est inf�rieur quelquefois,
dans une commune, de 43 voix au nombre de ceux qui
se sont engag�s � faire voter pour lui. Il y a donc
des �lecteurs qui ont dit aux autres : Votez pour M.
Paul Michaut ! en se r�servant � eux, de ne pas
voter ou de voter pour son concurrent.
Voix � droite. C'est qu'ils ont �t� libres !
M. Edouard Lockroy. Je dis, messieurs, que c'est l�
la preuve �clatante et convaincante que leur vote
n'�tait pas libre. (C'est le contraire ! � droite.)
Comment le serait-il ? Comment ! huit jours �
l'avance, on apporte une adresse aux �lecteurs; on
leur demande de voter pour M. Paul Michaut qui est
tout-puissant dans le pays, et vous dites qu'ils
sont libres ! Si M. Michaut �tait � l'avance si
certain de leurs suffrages, si Baccarat formait,
comme il le disait tout � l'heure, une grande
famille, o� l'attachement de tous les enfants � leur
p�re �tait enracin� dans les coeurs, qu'avait-il
besoin de faire circuler cette adresse, huit jours �
l'avance ? Il n'avait qu'� attendre tranquillement
et paisiblement le verdict du suffrage universel.
(Tr�s-bien ! tr�s-bien ! � gauche.)
Il nous a apport�, il est vrai, aujourd'hui un
nouveau document, o� les ouvriers de Baccarat disent
: Nous n'avons pas subi de pression !
C'est d'abord pendant un voyage qu'il a fait, je
crois, � Baccarat, que ce document a �t� sign� et
que M. Michaut l'a trouv�.
M. Paul Michaut. Cela est vrai. J'ai trouv� ce
document � mon retour et j'en ai �t� tr�s-touch� !
M. Edouard Lockroy. J'en suis touch� aussi. dans un
autre sens. Il me para�t que ce document ne prouve
pas grand'chose; et, en effet, messieurs,
l'honorable M. Paul Michaut se trouve au milieu de
ses ouvriers et les rassemble pour leur demander,
sans honte, s'ils ont �t� violent�s lors du scrutin.
M. Paul Michaut. Non, monsieur.
M. Edouard Lockroy. Il est assez naturel que ces
ouvriers qui tremblent, je le r�p�te, et pour leur
pain et pour la vie de leur famille, d�clarent
qu'ils ont �t� absolument libres.
(Murmures � droite.)
Un membre � droite. Allons donc!
M. Edouard Lockroy. Le document apport� par
l'honorable M. Michaut ne porte donc pas la
conviction dans mon esprit.
Je viens maintenant � l'intervention des gardes
forestiers.
Eh bien, il y a dans l'arrondissement de Lun�ville
60 communes foresti�res. Quelques jours avant le
vote, un ordre, dont M. Paul Michaut a donn�
lecture, qui �manait de M. le ministre des finances,
- et je recommande � nos amis de la commission
d'enqu�te de vouloir bien s'occuper des ordres de
cette nature qui ont �t� donn�s par l'honorable M.
Caillaux, - un ordre, dis-je, est arriv� � tous les
gardes forestiers de se rendre, le couteau de chasse
au c�t�. (Exclamations ironiques � droite) et en
grand uniforme dans toutes les sections de vote.
On nous dit : Mais c'est tout naturel; ils venaient
l� pour maintenir l'ordre.
Mais d'abord on ne craignait pas que l'ordre f�t
troubl�, il ne l'a jamais �t� dans cet
arrondissement. Jamais on n'avait pris une mesure
semblable, jamais on n'avait vu quelque chose de
pareil.
On nous dit : Quelle terreur voulez-vous que cela
r�pande dans le pays ? Quelle terreur, messieurs ?
je vais vous le dire. Rappelez-vous que les villages
qui avoisinent les for�ts vivent de la for�t,
exactement comme les ports de mer vivent de la mer.
A gauche. C'est cela !
M. Edouard Lockroy. Or, qu'est-ce que le garde
forestier ? Eh! messieurs, c'est le grand
dispensateur des richesses de la for�t. Il est
ma�tre dans la commune, craint plus qu'aucun
fonctionnaire, plus que ne peut l'�tre dans les
communes rurales, ou l'autorit� du juge de paix, ou
l'autorit� du maire, ou l'autorit� du garde
champ�tre.
Les droits qu'a le garde forestier, ils sont tr�s
nombreux. Je sais qu'ils varient suivant les
localit�s ; mais, si vous le d�sirez, je vais les
�num�rer en deux mots. Le garde forestier peut
accorder le droit de pacage des bestiaux dans les
bois...
A droite. Jamais !
M. Martin Nadaud. Et le droit de ramasser le bois
mort ?
M. Edouard Lockroy. Oui, le droit de pacage dans des
cas tr�s-fr�quents. Demandez plut�t � tous ceux de
nos amis qui habitent des circonscriptions
foresti�res, et notamment � celui de nos coll�gues
qui repr�sente un des arrondissements voisins de
Rambouillet.
Puis, c'est la permission de ramasser le bois mort,
les feuilles mortes, de couper la foug�re, la
bruy�re, de recueillir les fruits des bois, tels que
les fa�nes du h�tre, les pommes de pin, etc.
Enfin, c'est le garde forestier qui distribue les
travaux tr�s-nombreux qui se font dans les for�ts,
comme l'�lagage des arbres le long des routes, la
r�paration des chemins d�fonc�s, comme encore les
permissions pour couper et semer des arbres. Leurs
droits sont tr�s-nombreux, et c'est d'eux que d�pend
le travail, la fortune de tous les habitants des
communes foresti�res.
Eh bien, je dis que quand le garde forestier arrive
dans la salle du scrutin, qu'il y arrive en uniforme
et en armes sur l'ordre du ministre des finances,
qu'il s'assied � c�t� du maire et quelquefois malgr�
lui, qu'il surveille les �lecteurs, qu'il suit les
votes qui sont d�pos�s dans l'urne, je dis qu'il
exerce une pression �lectorale tout � fait ill�gale,
tout � fait odieuse et que sa pr�sence seule, arm�,
dans la salle du scrutin, au moment au vote et
pendant le d�pouillement, constitue une v�ritable
ill�galit�. (Tr�s-bien ! tr�s-bien ! - Rumeurs �
droite.)
Ces faits me paraissent suffisants pour vous faire
annuler cette �lection.
Je les r�sume. La pression tout � fait ill�gale,
exerc�e par les gardes forestiers en armes dans
toutes les sections de vote ; la pression exerc�e
sur les ouvriers de Baccarat; l'int�rim de la
pr�fecture fait par le fr�re du candidat officiel;
la mise en cong� illimit� d'un inspecteur
d'acad�mie, aim�, estim� de ses chefs et de tous
ceux qui le connaissent; enfin la violence de
langage des journaux r�actionnaires.
Vous trouverez, messieurs, je n'en doute pas, que ce
qui caract�rise surtout cette �lection, c'est la
pression, l'intimidation exerc�e par le fort sur le
faible, par le puissant sur l'�tre sans d�fense.
A droite. Comment le prouvez-vous ?
M. Edouard Lockroy. Et en effet, ce qui se passe
dans les cantons industriels se passe �galement dans
les cantons forestiers.
Dans les cantons industriels, on dit � l'ouvrier :
Tu voteras pour le candidat officiel ou on te
supprimera ton travail !
Dans les cantons forestiers, on dit � l'�lecteur :
Tu voteras pour le candidat officiel ou on
t'interdira la for�t !
Voil�, messieurs, ce qui caract�rise cette �lection,
c'est l'intimidation ; ce qui fait que vous qui avez
� coeur de prot�ger les faibles, de prot�ger le
suffrage universel, d'en assurer la sinc�rit�, vous
ne pourrez faire autrement que d'invalider cette
�lection, une des plus graves qui vous aient �t�
soumises jusqu'� pr�sent.
(Tr�s-bien ! tr�s-bien ! et applaudissements �
gauche.)
M. Paul Michaut. Messieurs, je serai court, je vois
que l'heure est avanc�e. Cependant il est impossible
de ne pas laisser sans r�ponse un contradicteur
auquel je reconnais une telle sup�riorit� de parole
que si je n'avais pour moi la v�rit�, je devrais
m'incliner.
Le premier grief est celui-ci : Il y a eu des
d�placements administratifs, M. Michaut en a
expliqu� trois. Mais l'inspecteur d'acad�mie ? M.
Michaut, appel� dans la sous-commission, n'a pu
trouver d'autre r�ponse que de dire que l'inspecteur
a �t� suspendu pour �tre entr� dans un cabaret, �
l'heure de la messe, avec un instituteur.
Il faut que j'aie �t� bien impuissant � exprimer ma
pens�e pour qu'on ait pu m'attribuer une telle
chose. Il y a cinq d�put�s dans le d�partement de
Meurthe-et-Moselle ; par cons�quent, je n'ai qu'un
cinqui�me de responsabilit� de la mesure qui a �t�
prise � l'�gard de cet inspecteur d'acad�mie. J'ai
dit, quand on m'a demand� pourquoi on lui avait
donn� un cong� : Je n'en sais rien ; mais j'ai
entendu parler de son peu de tact. Un journal de
Nancy lui reprochait, en revenant d'une excursion de
plaisir faite un dimanche au Donon, de s'�tre
install� avec un instituteur dans un cabaret
vis-�-vis l'�glise, � l'heure o� l'on entrait � la
grand'messe.
M. Bamberger, ironiquement. C'est affreux !
M. Paul Michaut. C'est un manque de tact.
Un membre. S'il avait faim ?
M. Paul Michaut. Je n'ai pas � apporter ici une
appr�ciation personnelle ; je dis que c'est au moins
un manque de tact.
Un membre � gauche. Ce n'est pas un motif de cong�.
M. Paul Michaut. Quels sont les motifs de sa mise en
cong�? Je n'en sais rien du tout; et je n'ai pas
entendu parler de l'incident qui pr�c�de comme d'un
motif de cong�, ce qui e�t �t� absurde, mais comme
d'un manque de tact et de tenue.
En ce qui concerne les journaux, il me para�t mutile
que j'y revienne. Si on lisait les journaux de
droite et les journaux de gauche, on n'en finirait
pas, et cela ne convertirait personne.
J'en arrive � l'adresse imprim�e qui a circul� dans
le canton.
C'est � mon retour de Vichy que j'ai trouv� les
comit�s �lectoraux conservateurs organis�s. Le
comit� de Baccarat s'�tait r�uni et avait pr�par�
une adresse des �lecteurs de ce canton recommandant
ma candidature aux �lecteurs des autres cantons. On
m'en parla, et je dis :
�� Vous ferez ce que vous voudrez, � une condition :
c'est que ce ne sera pas soumis aux ouvriers; vous
la ferez signer par vos amis; mais je ne veux pas
que la politique entre dans l'usine. �
Par cons�quent, cela n'a rien � faire avec la lettre
que je vous ai lue tout � l'heure.
On dit : Mais M. Michaut est tout-puissant dans le
pays et l'opprime par sa situation. Comment ! voil�
un canton qui a 30 communes; il y a des ouvriers �
Baccarat, � Deneuvre et � Bertrichamps; cela fait
trois communes. Il n'y en a pas dans les 27 autres
communes, qui sont agricoles.
Eh bien, mais que voulez-vous que l'influence de la
cristallerie de Baccarat fasse dans ces 27 communes?
Absolument rien du tout. J'ai une situation
personnelle dans le canton, non pas � cause de la
cristallerie, mais parce que je suis du pays, parce
que j'ai �t� �lev� � Baccarat, parce que j'y ai mes
propri�t�s, parce que j'y ai d'immenses affinit�s.
L'action de la cristallerie de Baccarat ne comprend
qu'un groupe de trois communes, pas davantage.
On me dit : Il faut qu'il y ait eu bien de la
pression, puisqu'il y a six communes qui pr�sentent
un total de 106 suffrages de moins que de
signatures. Qu'est-ce que cela prouve? C'est que,
dans ces six communes, il y a eu des gens absents,
malades ou qui ont chang� d'avis. Et il y en a 1,597
qui ont vot� pour moi et qui n'ont pas sign�. Cela
fait bien compensation.
Qu'en concluez-vous ? Qu'il y a eu pression ? On
parle, dans le rapport, des agents de M. Michaut.
J'affirme que je n'ai pas eu un seul agent. J'ai eu
des amis, oui, mais des agents, non.
On a parl� des ouvriers trembleurs qui n'osaient pas
me combattre. Ah ! messieurs, vous ne connaissez pas
le gentilhomme verrier ! Lorsqu'il a commenc� �
travailler, � douze ans, et qu'il est arriv� �
trente ans. � s'asseoir sur son banc de verrier, en
exer�ant le plus noble et le plus difficile des
m�tiers, il a son ind�pendance et le sentiment de sa
dignit�, je vous l'assure.
Ces populations sont �lev�es dans l'instruction et
dans l'ind�pendance. Je les tiens dans ma main, par
l'amour que j'ai pour elles, mais elles me tiennent
dans la leur, car nos sentiments sont communs.
(Tr�s-bien ! tr�s-bien ! � droite.) Si j'avais
demain un successeur qui ne suivit pas la m�me r�gle
de conduite lib�rale, soyez s�rs qu'elles ne se
laisseraient pas opprimer.
Je n'ai pas invent� cette mani�re d'�tre, je n'ai
fait que suivre une tradition qui �tait n�e avant
moi. Si l'on avait avec ces populations des proc�d�s
despotiques, on se heurterait � une dignit�
invincible.
On a parl� des gardes forestiers et de la terreur
qu'ils ont exerc�e ! En v�rit�, messieurs, je ne
sais pas quel pays vous habitez, mais je vous assure
que, chez moi, ils n'exercent aucune sorte
d'intimidation.
J'ai dit qu'ils avaient �t� dans les salles de
scrutin ou aux alentours des salles dans 15 ou 16
communes, je m'arr�te aux 11 communes d�sign�es dans
le rapport, et je ne veux ni en ajouter ni en
retrancher, pour qu'on ne m'accuse pas d'introduire
des �l�ments discutables; eh bien, dans ces 11
communes j'ai eu 666 voix et M. Cosson 1,123. O�
donc est le r�sultat de la terreur exerc�e par les
gardes ? Et puis, les attributions des gardes
sont-elles si importantes qu'on vous l'a dit ?
L'administration vend sa coupe. Quelle autorit�
a-t-il ? Il laisse ramasser du bois mort, mais des
feuilles, pas, et j'esp�re bien qu'on n'en d�livrera
jamais en France. Il d�livre des produits
accessoires, mais seulement quand l'individu
concessionnaire est all� s'inscrire chez le garde
g�n�ral, et a pris l'engagement de fournir, soit une
somme d'argent soit des journ�es de travail � raison
de tant du cent de fagots ou de bruy�res ; mais le
garde n'a aucune autorit� r�elle.
Je ne sais pas s'il y a d'autres parties de la
France o� les gardes forestiers aient des droits
diff�rents ; je ne le crois pas. J'ai �t� garde
g�n�ral, et je vous d�clare que tout ce qu'on vous a
dit � cet �gard, c'est pure fiction, c'est une
erreur.
Enfin, mon honorable contradicteur a dit et r�p�t�
que des gardes �taient entr�s et rest�s dans la
salle de vote contre la volont� des maires. Je
proteste de nouveau contre cette d�claration; nulle
part un garde n'est rest� contre la volont� des
maires. On a cit� tout � l'heure le village de La
Ronxe ; j'ai l� une lettre du maire qui vous
contredit. En voulez-vous d'autres ? Cela n'a eu
lieu nulle part.
Et qui donc a pu �tre intimid� par un garde qui
arrive avec son ceinturon et son couteau de chasse
qu'il pose sur un banc de l'�cole et s'assied dans
la salle ? Est-ce l� un objet de terreur, une menace
s�rieuse ? Mais enfin vous-m�mes vous n'y croyez pas
!
Un membre � gauche. Pourquoi ces gardes sont-ils
venus ?
M. Paul Michaut. Parce qu'ils en ont re�u l'ordre !
A gauche. Ah ! ah !
M. Cl�menceau. Et pourquoi en ont-ils re�u l'ordre ?
M. Paul Michaut. Parce qu'ils avaient re�u l'ordre
de se mettre � la disposition des maires.
Voulez-vous lire les lettres des maires ?
Un membre � droite. C'�tait une mesure g�n�rale !
M. Paul Michaut. J'ai lu une pi�ce pour une des
communes incrimin�es. Je pourrai citer les autres.
En voici une :
�� Les soussign�s, membres du scrutin des �lections,
le 14 octobre 1877, certifient par le pr�sent que le
brigadier forestier Ehrmann, � Bossupr�, commune de
Laneuveville-aux-Bois, s'est pr�sent� par l'ordre de
M. l'inspecteur des for�ts � Lun�ville, � la salle
de vote de Parroy, � onze heures et demie, en tenue
de sergent fourrier des chasseurs forestiers, muni
de son couteau de chasse, en d�clarant � M. le maire
qu'il �tait envoy� de la part de M. l'inspecteur
pour se mettre � sa disposition pour la police de la
salle de vote en cas de tumulte. M. le maire
l'accepta dans ces conditions.
�� Dans l'apr�s-midi, le brigadier Ehrmann s'adressa
de nouveau � M. le maire en lui demandant si sa
pr�sence �tait n�cessaire � la salle de vote
jusqu'au d�pouillement du scrutin. M. le maire lui
r�pondit : Je pr�f�re que vous restiez jusqu'apr�s
le d�pouillement du scrutin... �
Un membre � gauche. C'est l� ce qui est grave.
M. le pr�sident. N'interrompez donc pas! Vous ne
devez pas faire ces r�flexions � haute voix.
M. Paul Michaut.et enfin, au moment du
d�pouillement, le brigadier fut oblig� d'imposer
silence � plusieurs reprises.
�� Il en a �t� de m�me dans les autres communes. �
Je crois, messieurs, que l'opinion de la Chambre est
faite. (Tr�s-bien ! tr�s-bien ! � droite. - Aux voix
! aux voix !)
M. Edouard Lockroy. Je ne veux r�pondre qu'un mot,
messieurs, et j'y suis oblig� parce que l'honorable
M. Michaut a dit, tout � l'heure, je crois, qu'il
n'avait �t� exerc� aucune pression sur les ouvriers
de la cristallerie de Baccarat alors qu'on leur a
propos� de signer un manifeste qui avait �t� �crit
d'avance et dont voici le texte :
�� Nous ouvriers de la cristallerie de Baccarat, nous
n'avons pas oubli� au prix de quels sacrifices, etc.
�
Et l'adresse est sign�e...
On dit qu'il n'y avait pas d'ouvriers sur cristaux
parmi les signataires. Or, l'adresse est sign�e :
Martin, surveillant aux cristalleries; Dufour.
M. Paul Michaut. Voulez-vous me permettre? Ce ne
sera pas long.
Des ouvriers ont dit : Nous savons que M. Michaut
tient � ce que nous ne signions pas comme ouvriers;
mais nous sommes propri�taires � Baccarat et nous
demandons � signer en tant que propri�taires. Et il
y en a un tr�s-petit nombre qui ont sign�.
M. Edouard Lockroy. Ces ouvriers ont sign� en tant
que propri�taires, je le veux bien ; mais enfin ils
ont sign� aussi en tant qu'ouvriers. (Aux voix ! aux
voix !)
Un fait encore.
L'honorable M. Paul Michaut a cit� tout � l'heure
une lettre du maire de Laronxe. Eh
bien, j'ai entre les mains une lettre du maire de
Laronxe.
M. Paul Michant. Il signera toutes celles que vous
lui pr�senterez. (Ah ! ah ! � gauche.) Oui, c'est
comme cela.
M. Edouard Lockroy. Eh bien, messieurs, je descends
de cette tribune et je vous laisse juger le
caract�re des pi�ces apport�es par l'honorable M.
Michaut.
M. le pr�sident. Je consulte la Chambre sur les
conclusions du bureau qui tendent � l'invalidation.
(Deux �preuves successives ont lieu : l'une par
mains lev�es, l'autre par assis et lev�; elles sont
d�clar�es douteuses par le bureau.) M. le pr�sident.
Il va �tre proc�d� au scrutin.
(Le scrutin est ouvert et les votes sont
recueillis.)
Pendant le d�pouillement, M. le pr�sident donne la
parole pour des d�p�ts de rapports.
[...]
MM. les secr�taires qui viennent de d�pouiller le
scrutin sont d'avis qu'il y a lieu � pointage. Il va
y �tre proc�d�.
En attendant le r�sultat de cette op�ration, je
soumets � la Chambre le projet d'ordre du jour pour
jeudi.
[...]
(La s�ance reste suspendue jusqu'� sept heures
vingt-cinq minutes.) A ce moment, MM. les
secr�taires apportent � M. le pr�sident le r�sultat
de la v�rification du vote sur l'�lection de M.
Michaut.
M. le pr�sident. Voici les chiffres d�finitifs du
scrutin :
Nombre des votants. 410
Majorit� absolue. 206
Pour l'adoption 217
Contre. 193
La Chambre a adopt� les conclusions du bureau et
invalid� l'�lection de M. Michaut.
(La s�ance est lev�e � sept heures et demie.)
NDLR :
on notera dans ces d�bats la lettre de soutien de
Hubert Brice, maire de Bl�mont, au candidat de
gauche Joseph Cosson, soutenu aussi par
l'intervention du d�put� Jules Viette, lui aussi
maire de Blamont, mais dans le Doubs. |