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Association des surintendantes d'usines et de
services sociaux
Assembl�e g�n�rale du 21 f�vrier 1928
Rapport de Madame MOUTH (surintendante)
Directrice de la Maison Maternelle de Bl�mont.
J'ai bien envie d'appeler le
r�cit que je vais vous faire :
La derni�re belle aventure du Ch�teau de Bl�mont.
(Conte d�di� aux Surintendantes et � leurs amis.)
Il �tait au lendemain de la guerre de 1914 � 1918, un beau
ch�teau tout pantelant, tout bless� : toit �ventr� par les obus,
mais murs intacts, demeure macul�e par quatre ans d'occupation
allemande. Le propri�taire, chass� par les �v�nements, ne veut
plus revenir. Il offre le ch�teau, pour un morceau de pain, �
son voisin le baron ADRIEN DE TURCKHEIM, mais � condition d'y
fonder une oeuvre. M. DE TURCKHEIM accepte d'embl�e sans savoir
ce qu'il fera. Il se passionne pour l'id�e et emploie toutes les
ressources de son esprit combatif et avis�.
Notre coll�gue, Madame FROMENTIN, de Lun�ville, le Docteur
HANRIOT, de Bl�mont, se mettent en campagne, s'informant des
besoins les plus pressants du d�partement. A la Pr�fecture, l'on
nous dit que les tout petits sont les plus d�sh�rit�s en
Meurthe-et-Moselle. Enqu�tes approfondies, visites nombreuses �
des oeuvres de l'enfance. Et puis en avant ! avec un plan de
campagne bien arr�t� !
L'Union des Femmes de France veut bien accepter le patronage de
notre Etablissement. Les difficult�s s'aplanissent au
Pari-Mutuel, et de larges subventions permettent de transformer
le vieux ch�teau en un �tablissement moderne, muni de tous les
raffinements de confort exig�s par l'hygi�ne.
Les salles d�pouill�es de leurs lambris, peintes en blanc; le
chauffage central install�, l'eau chaude coulant au-dessus de
nombreuses baignoires et de lavabos admirablement dispos�s. On
am�nage de petite salles d'isolement. Le grenier est transform�
en chambres et dortoirs. Le sous-sol compl�tement boulevers�
pour installer cuisines, office, biberonnerie moderne avec son
st�rilisateur, machines � laver, � essorer, � s�cher : une
v�ritable usine.
Les vieilles ruines qui surplombent le ch�teau actuel ont l'air
de contempler d�daigneusement toutes ces transformations. Elles
ont vu bien des choses depuis des si�cles, mais certes elles ne
devaient pas s'attendre � pr�sider, du haut de leurs vieilles
tours, � cette activit� si nouvelle. Elles ont vu tant de
cruaut�s, tant de destructions, maintenant elles assistent � une
oeuvre d'amour et � une �closion de jeunes vies!
Une fois la maison am�nag�e, il s'agit de penser � son
organisation int�rieure.
Nous avions plagi� largement, emprunt� bien des id�es �
l'Institut de Pu�riculture de Strasbourg pour toute la
disposition int�rieure de notre b�timent. Mademoiselle BLEY, la
Directrice si remarquable de cette Institution, nous a aid�s de
ses conseils, de ses avis avec un d�sint�ressement et une
camaraderie qu'il faut citer en exemple, ainsi que celle de
Madame FROMENTIN. J'ai le regret de ne pas nommer une troisi�me
de nos coll�gues des plus d�vou�es � notre cause. Car pour nos
oeuvres sociales ne devons-nous pas nous entr'aider sans crainte
de rivalit�, sans faux orgueil ! Et ce n'est pas sans une vraie
�motion que je nomme ces deux aides de la premi�re heure !
Nous avons donc continu� � plagier Strasbourg. Notre amie
FROMENTIN est venue me chercher - presque de force - � Vill� o�
je faisais du travail social.
J'avais jur� que je ne m'occuperais jamais d'oeuvre de petite
enfance parce que je me trouvais trop vieille, ni de maison o�
il y aurait des femmes, et internes encore !! parce que... mais
je pr�f�re ne pas dire pourquoi.... Je fus donc forc�e par Mme
FROMENTIN - car ce que cette petite femme veut, Dieu le veut
s�rement - � m'installer � Bl�mont, dans ce beau ch�teau refait
� neuf, mais vide, effroyablement vide. Premi�re �tape : y
recueillir les premiers fonds de roulement par une grande
kermesse; puis faire venir deux infirmi�res pour les futurs
enfants. Le 1er septembre 1925, nous ouvrions solennellement
l'Etablissement avec un enfant; le 4 arrivent de Nancy quatre
m�res avec leurs petits, et aujourd'hui apr�s deux ans 1/2, nous
avons 74 enfants, dont 16 enfants avec leurs m�res, 3
infirmi�res, 16 �l�ves : ce ch�teau vide est plein, archiplein.
Nous en avons fait :
UN ABRI POUR LES M�RES.
Toute m�re dont l'enfant est n� en Meurthe-et-Moselle a le droit
de nous demander asile, du moment qu'elle allaite et qu'elle
peut fournir un certificat m�dical rassurant. Elles doivent
allaiter au moins trois mois et peuvent nous rester aussi
longtemps qu'elles allaitent.
Nous avons sous notre toit de pauvres filles de toutes esp�ces,
souvent anormales, presqu'idiotes, victimes de leurs instincts
et de l'�go�sme masculin. Je note en passant que trois sur dix
de nos m�res sont des illettr�es. Obligation scolaire, tu n'es
qu'un mythe ! Pour ces d�sh�rit�es, je suis heureuse d'employer
mes capacit�s sp�cialis�es de Surintendante, de faire du travail
social int�ressant, travail social suivi, puisque souvent ces
filles restent un an chez nous. Nous pouvons leur donner des
notions de m�nage (je vous rejoins dans vos pr�occupations
favorites, Mademoiselle GEOFFROY !), leur enseigner un peu plus
de propret� physique et m�me morale. Elles sont soumises � une
discipline assez stricte. Le grand, l'unique but est de les
attacher � jamais � leur enfant. Nous y r�ussissons toujours!
Quand elles quittent Bl�mont, elles ne pensent plus � abandonner
la partie; et cependant elle est dure. Malgr� l'aide tr�s suivie
de M. l'Inspecteur de l'Assistance Publique, qui accorde des
secours particuli�rement �lev�s � celles de nos m�res que nous
recommandons � leur sortie, il est difficile pour une femme
seule de gagner assez pour �lever un enfant, surtout si elles
n'ont pas de m�tier, ce qui arrive pour la plupart d'entr'elles.
Mon grand souci est de leur trouver une ferme o� on les prenne
avec l'enfant. Mais c'est, h�las ! l'exception. Si je ne trouve
de placement avec l'enfant, la m�re prend une place et l'enfant
est confi� - si possible - � sa grand'm�re maternelle, sinon �
une �leveuse. Mais h�las ! quel pis aller ! L'�leveuse demande
tr�s cher, soigne souvent tr�s mal et la pauvre m�re arrive �
grand peine � suffire � sa lourde t�che. Il y a l� - une fois de
plus - la preuve que nos lois devraient �tre remani�es et
permettre que le p�re puisse �tre atteint et rendu responsable,
au moins p�cuniairement. La loi allemande qui sans obliger le
p�re � une reconnaissance, le for�ait � payer si la paternit�
pouvait �tre prouv�e par une enqu�te approfondie et tr�s
vivement men�e par le juge de paix, donnait � ce point de vue
d'excellents r�sultats, comme j'ai pu m'en rendre compte pendant
mes ann�es de travail social en Alsace o� la loi allemande �tait
encore appliqu�e. Mais ceci est une autre histoire...
Nous abritons donc avant tout m�res et enfants. Mais aussi les
enfants seuls, les enfants abandonn�s du d�partement. Ces
pauvres petits nous viennent, apr�s un stage de trois mois � la
Pouponni�re de St-Stanislas de Nancy. Au d�but, M. l'Inspecteur
de l'Assistance publique nous confiait les d�biles seuls. A
pr�sent on nous les donne tous jusqu'� un an, parce qu'on a
constat� que nos �� d�biles � vivaient et que les robustes plac�s
en famille ne r�sistaient souvent pas. Qu'il me soit permis de
dire toute notre gratitude pour M. le Pr�fet de
Meurthe-et-Moselle et M. l'Inspecteur de l'Assistance publique,
qui ont soutenu nos premiers pas chancelants et ont t�moign� �
notre oeuvre une confiance et une bienveillance � toute �preuve.
Nous recevons encore une troisi�me cat�gorie d'enfants et non
des moins int�ressants : ce sont les pauvres petits dont les
m�res meurent en couches ou ceux qu'il faut �loigner du milieu
familial � cause de la contagion ou des raisons sociales tr�s
imp�rieuses qui demandent la s�paration de la m�re et de
l'enfant.
Mais ce sont l� des cas isol�s, tandis que les b�b�s vaccin�s au
B.C.G. sont assez nombreux chez nous. Les r�sultats sont l�
aussi excellents.
Sur 222 enfants re�us depuis le d�but, nous avons eu 2 d�c�s, un
d'un enfant rest� avec la m�re tuberculeuse, cas que nous ne
devons plus admettre, l'autre rest� 24 heures sous notre toit,
venue sans doute avec un germe morbide. C'est tout, tout � fait
tout, statistique absolument v�ridique.
Je l'affirme avec tant de v�h�mence parce que je suis moi-m�me
presque �tonn�e de nos excellents r�sultats, inconnus ou presque
jusqu'� pr�sent pour des agglom�rations d'enfants. Je les
attribue :
1�) A l'excellent air de Bl�mont et � la situation du ch�teau au
milieu d'un parc, ainsi qu'� notre m�thode qui fait de notre
Etablissement un v�ritable sanatorium de nourrissons. Nous
sortons les enfants qui ne font pas de temp�rature plusieurs
heures par jour par tous les temps. Pendant tout l'hiver, les
petits lits ont �t� port�s dehors et y sont rest�s de 10 heures
� 12 h. 1/2 sur nos terrasses abrit�es;
2�) Et surtout � notre travail tr�s minutieux (je vais vous
parler et de nos m�thodes d'alimentation et de notre Ecole de
pu�riculture).
J'ai eu le bonheur, d�s 1925, de m'assurer le concours de deux
infirmi�res remarquables : Mesdemoiselles PLAT et GOGLER,
sp�cialis�es en pu�riculture, qui, tr�s bien styl�es et d'un
d�vouement � toute �preuve, ont introduit des m�thodes et une
discipline tr�s strictes. Le travail aupr�s des enfants est
d'une minutie presque chirurgicale. Chaque �l�ve tenue � un
ordre impeccable et une propret� rigoureuse. Notre installation,
baignoires dans chaque salle ainsi que lavabos, boxes vitr�s
mobiles, distribu�s l� o� ils sont n�cessaires, offrent un
concours de pr�cautions qui pr�vient, dans la mesure du
possible, toute contagion. Nous imposons des mesures de
prophylaxie parfois bien dures � appliquer, comme celle de
d�fendre � la famille des enfants de les embrasser et de les
prendre sur leurs bras.
3�) Alimentation surveill�e de tr�s pr�s. Gr�ce � notre
biberonnerie organis�e, dirig�e par une infirmi�re sp�cialis�e,
nous appliquons les modes d'alimentation les plus diverses � nos
b�b�s : lait de femme, babeurre, lait albumineux, bouillie
malt�e, etc. (Nos m�res nous donnent le surplus de leur lait
pour nos enfants d�biles. Elles re�oivent une gratification
calcul�e sur la quantit� de lait fourni.)
Il est tenu un graphique pour chaque enfant qui enregistre jour
par jour : poids, temp�rature, mode d'alimentation et
inscription des sorties, traitements, etc. De plus, nous faisons
avec grand succ�s des traitements de rayons ultra-violets qui
compl�tent admirablement nos cures de grand air.
Notre excellent Docteur, M. THOMAS, surveille de pr�s la sant�
de nos petits et m�me des grands avec une vigilance inlassable.
Et puis, last not least, personnel tr�s nombreux, gr�ce � notre
�COLE DE PU�RICULTURE.
Celle-ci �galement une copie de Strasbourg, prend des jeunes
filles d�s l'�ge de dix-huit ans du moment qu'elles jouissent
d'une bonne sant�, poss�dent une instruction primaire moyenne et
se sentent des qualit�s de d�vouement et de tendresse pour les
petits.
Nous avons des �l�ves de toutes les parties de la France, mais
surtout en ce moment du Midi et de l'Alsace. Je me fais un malin
plaisir de m�langer les genres, de mettre dans une m�me chambre
une jeune Alsacienne et une jeune M�ridionale et cela r�ussit
tr�s bien. Je ne dirai pas que l'Alsacienne prend l'accent du
Midi et vice-versa, mais en tous cas l'Alsacienne est bien
oblig�e de laisser l� son patois et de se d�brouiller en
fran�ais. Et c'est un r�sultat !
Nous donnons un dipl�me de Pu�riculture au bout de l'ann�e. Et
je n'ai jamais assez d'�l�ves pour toutes les places qui
s'offrent � leur sortie, soit dans les familles o� elles sont
tr�s appr�ci�es, soit dans les cr�ches, dispensaires, h�pitaux
d'enfants. D'autre part, certaines �l�ves continuent des �tudes
d'infirmi�res pour le dipl�me d'Etat et se trouvent tr�s bien de
cette pr�paration professionnelle. Ce n'est pas tout. Il me faut
encore vous dire un mot sur le
CENTRE D'�LEVAGE DE BLAMONT.
Une fois nos petits �� Assistance Publique � grandelets, nous
cherchons dans le Canton des placements dans les familles de
paysans. Cela nous permet de les suivre, de ne pas les perdre
tout � fait. D'autre part, certaines de nos �l�ves nous ont
pri�es de placer leur pr�f�r� dans les environs de leur
domicile, pour continuer � s'int�resser � leur petit �� filleul
�. Et ces petites marraines prennent leur r�le tr�s au s�rieux.
Voyez l� encore un enfant sauv� de l'abandon moral o�
l'Assistance Publique est oblig�e de le laisser dans une
certaine mesure, malgr� l'extr�me bonne volont� que l'on
rencontre chez ses fonctionnaires.
Nous avons aussi r�ussi trois adoptions, enfants adopt�s par des
m�nages sans enfants. Ce sont les �� veinards � de la Maison.
Quelle joie pour nous quand nous confions les enfants dans de
pareilles conditions.
N'ai-je pas eu raison, Mesdames et Messieurs, d'appeler
l'histoire que je viens de vous raconter une belle aventure ?
Ce vieux ch�teau abrite � pr�sent cette oeuvre toute moderne, ce
grouillement de vie, de ces jeunes vies sauv�es de l'abandon, de
cette jeunesse f�minine rendue � sa vraie destination, celle
d'�tre m�re, sinon par la chair, du moins par l'esprit et le
coeur.
N'est-ce pas l� une belle aventure ? pour un vieux ch�teau
f�odal qui risquait de tomber en d�cr�pitude.
Aussi si l'un ou l'autre de nos auditeurs et auditrices veut
bien nous faire le grand honneur de constater de visu que tout
ce que je vous ai racont� est une fable vraie, il nous fera un
plaisir immense. |