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Souvenirs de l'invasion de 1914 -
Lorraine - Gerb�viller
Le
Pays lorrain - 1936
Le Bouchon sur la Vague (1)
Souvenirs de l'invasion de 1914
I
Depuis l'attentat de Serajevo,
nous suivions � Gerb�viller (2) les �v�nements au jour
le jour, mais avec ce recul du temps et de l'espace qui
pr�serve les campagnes de toute nervosit�. Pourtant le
31 juillet 1914 je d�cide d'aller aux nouvelles et, pour
explorer un peu le monde ext�rieur, de passer
l'apr�s-midi � Lun�ville. Ma premi�re visite est pour
l'abb� Guyon, premier vicaire de Saint-Jacques � qui
j'apporte le salut de ses fr�res, mes amis. Avec lui je
monte � l'une des tours de Saint-Jacques pour faire un
tour d'horizon. De l�-haut l'abb� me montre tout le
secteur de la fronti�re o� patrouille d�j�, me dit-il,
une partie de la 2e division de cavalerie de Lun�ville.
Au quartier du 8e dragons o� je me rends ensuite dans
l'espoir d'y rencontrer un de mes bons amis de Nancy, le
cavalier Paul Beno�t-G�ny, on me r�pond que son peloton
est sur la fronti�re. La cour et la place du ch�teau
pr�sentent un aspect qu'on ne leur a jamais vu. Les
chevaux des escadrons qui tiennent garnison dans
l'ancienne r�sidence du roi de Pologne sont tous dehors,
align�s la t�te aux murs le long desquels ils sont
attach�s. Leur robe brillante qui �tincelle au soleil
t�moigne de leur bonne forme. Derri�re eux, par terre,
le harnachement tout neuf de la collection de guerre
fait une ligne �clatante et fauve. Les hommes sont
�quip�s pr�ts � partir. D'une aile � l'autre du ch�teau
et sur la place, o� les curieux s'amassent, cavaliers et
grad�s de tous rangs s'affairent, coiff�s du bonnet de
police. On sent qu'au premier signal chevaux, selles et
cavaliers ne feront plus qu'un pour courir � l'ennemi.
Adoss� face � l'amont, au parapet du pont tout proche de
la Vezouse, le colonel du 31e dragons (3), la cravache
sous le bras, en bonnet de police, lui aussi, comme au
cantonnement, le regard ferme quoique vague, semble
fixer au del� de l'horizon r�el un horizon imaginaire o�
le porte, on le devine, son �mouvante m�ditation. Je
m'arr�te pour le contempler discr�tement pendant
quelques minutes. Il est d�j� parti, projet�
fonctionnellement en avant, comme ses �claireurs qui
surveillent et prot�gent la fronti�re et que sa pens�e
accompagne. Il symbolise � la fois le chef et le
guetteur, toute l'arm�e, toute la France, calme et
r�solue, debout devant l'ennemi (4).
De retour � la gare pour rentrer � Gerb�viller, je vois
passer le dernier train, para�t-il, qui franchira la
fronti�re � Avricourt. Les wagons sont bond�s
d'Allemands dont beaucoup, peut-�tre, vont bient�t
revenir, l'arme au poing.
Par cette visite � Lun�ville, en �tat d'alerte, en
mission de couverture, je suis d�sormais plong� dans
l'ambiance de guerre. Elle envahit Gerb�viller, � son
tour, quelques heures plus tard. Vers minuit les ordres
d'appels individuels sont remis aux r�servistes des
jeunes classes. Les sc�nes �mouvantes auxquelles ont
donn� lieu ces premiers d�parts m'�chappent. De ma
chambre � coucher sur le jardin silencieux, je ne me
doute pas de ce qui se passe. Mais rendus plus tragiques
par la nuit, ces adieux brusqu�s ont provoqu� dans tous
le pays, jusqu'alors tranquille et comme indiff�rent,
une fi�vre que l'aurore n'a point coup�e et qui place
les moins avertis face � la r�alit� et � l'h�ro�que
devoir. �� Heureux les morts! � me dit une �pouse et une
m�re qui avait vu son mari dispara�tre dans la nuit et
qui pense peut-�tre que je suis orphelin.
Des ouvriers peintres de Nancy qui restauraient mes
persiennes depuis huit jours me quittent � midi en
laissant tout leur mat�riel et en me donnant rendez-vous
pour le lundi matin. Mais, par pr�caution, ils
raccrochent tous les volets, bien qu'inachev�s.
Dans l'apr�s-midi, mon ami Henri Grasse et moi allons,
comme souvent, cueillir � la fermeture de son bureau le
receveur des Domaines, M. Sohier, pour faire avec lui
une promenade. Nos pas nous portent sur la route de
Seranville (5). Arriv�s au-dessus du viaduc de Bronville,
au point d'o� la route surplombe la vall�e de la
Mortagne et o� le Donon et une partie des Vosges
apparaissent au-dessus du clocher de Moyen (6), nous
nous arr�tons, comme d'habitude, et devant le paysage
nous nous taisons. Notre silence s'emplit aussit�t du
bruit amorti des cloches qui sonnent �perdument derri�re
nous � Gerb�viller. Il est cinq heures du soir � peine.
Ce n'est pas encore l'Angelus � cette saison. La
mobilisation ? Ce n'est pas le tocsin, mais la vol�e. Je
pense � la f�te de la Portioncule, marqu�e � Gerb�viller
par l'indulgence franciscaine accord�e � la chapelle du
ch�teau par le Souverain Pontife.
Mais cette hypoth�se ne nous satisfait point. Nous
revenons sur nos pas. Un cycliste, en nous croisant nous
lance : �� �a y est ! Voil� la mobilisation qui sonne ! �
C'est donc en union intime avec la terre lorraine, en
vue de la fronti�re qui suit au lointain horizon la
cr�te des Vosges, que nous avons re�u l'Appel des Armes.
A travers un paysage que sa souriante indiff�rence ne
nous rend pas moins cher en ce moment, nous rentrons �
Gerb�viller par le faubourg Saint-Pierre. Les femmes
sont sur les portes, en larmes, les hommes, affair�s,
font leurs adieux aux voisins, aux amis, leurs derniers
pr�paratifs, leurs ultimes recommandations. Des flammes
brillent dans leur regard. Peu de mots. La plupart
r�solus, confiants dans le succ�s, comme soulag�s d'en
finir avec les menaces allemandes renouvel�es d'ann�e en
ann�e et de mettre enfin le peuple insolent � la raison.
Ni forfanteries, ni l�chet�s.
Le spectacle de la rue me rappelle un soir d'incendie de
mon enfance.
A la mairie des affiches sont pos�es : le premier jour
de la mobilisation est le dimanche 2 ao�t. Pour nous,
gens des fronti�res, contrairement � la proclamation de
Poincar�, parue le lendemain (�� La mobilisation n'est
pas la guerre �) qui nous fait un peu l'effet de ces
paroles d'espoir qu'on prononce sans conviction au
chevet des mourants, la mobilisation et la guerre, c'est
tout un. Et d�j� nous tendons l'oreille, surpris de ne
point entendre le canon et pr�ts � voir arriver des
Prussiens.
Le dimanche 2 ao�t les d�parts se poursuivent. On voit
le comte Emmanuel de Lambertye monter dans un
compartiment avec les r�servistes de son �ge. Son fr�re,
Charles, le marquis de Gerb�viller, l'a pr�c�d� pour
aller � Toulon reprendre son service d'enseigne de
vaisseau. A ceux qu'il laisse, au premier rang desquels,
sa m�re, Madame la marquise de Lambertye, qui va, le
lendemain, regagner Paris, apr�s avoir mis le ch�teau de
Gerb�viller � la disposition de la Croix-Rouge, le comte
lance un adieu joyeux et plein d'espoir : �� Nous
reviendrons bient�t ! �
Le d�part des hommes m�rs donne un aspect bizarre au
pays. La vie para�t suspendue. Les cloches se taisent.
Le service des trains est arr�t�. Aucun convoi ne passe
plus sur la ligne � voie unique de Mont-sur-Meurthe (7)
� Bruy�res (8). Une locomotive haut-le-pied est en
faction permanente � la gare. Un officier de dragons
accompagn� d'un planton est arriv� d�s la premi�re heure
pour proc�der � des r�quisitions de chevaux. Il sera l�
quatre ou cinq jours et pendant tout ce temps c'est le
seul �l�ment militaire que nous verrons, � notre grande
surprise. Les journaux continuent � nous parvenir, nous
maintenant en communication avec le reste du monde et �
l'unisson de l'�lan national qui soul�ve le pays et rend
la France � elle-m�me. Ils nous racontent que des
�conomistes ont calcul� que la guerre ne pourrait durer
plus de trois � quatre mois. Les trois ann�es que je
viens de passer � la Facult� de Droit ne m'ont pas
inculqu� un tel respect des th�ories �conomiques que je
ne me garde d'accueillir avec le plus parfait
scepticisme ce genre hasard� de proph�ties. Je note dans
le journal que j'ai ouvert le 21 juillet trois points
qui r�sument mon �tat d'esprit : Une parenth�se s'ouvre
dans ma vie. Sera-t-elle jamais ferm�e ? et quand ? Dans
trois mois, six mois, un an, trois ans ou plus?
Et si elle se ferme, sur quoi se fermera-t-elle ? Sur
quel monde ? M�me victorieux, de quels bouleversements,
de quelles r�volutions aurons-nous �t� les t�moins ou
les victimes ?
Et ces points d'interrogation se localisent dans ma
pens�e sur les noms et les visages de mes amis et de mes
contemporains d�j� sous les drapeaux, ou, comme moi,
mobilis�s demain. Ma plume les �num�re sur la page du
cahier. Lesquels ne reviendront pas ? Lesquels vont
tomber les premiers ?
Les jours passent pourtant, tranquilles et s�v�res. Je
n'ose plus toucher mon piano. Il me faut bouder cet ami
tr�s cher; ses cordes darderaient de fl�ches si aigu�s
tant de coeurs meurtris !
Nous n'interrompons pas n�anmoins notre saison de bains
de rivi�re. Mais, en brassant les eaux fra�ches de la
Mortagne, nous ne pouvons nous emp�cher de penser - et
nous le formulons avec une grandiloquence enfantine,
mais voulue, o� il entre plus de litt�rature que de
pressentiment : - �� Dans quelques jours, peut-�tre, tu
charrieras des cadavres et du sang ! �
Entre temps, la vie de guerre s'organise. Les femmes,
les jeunes gens, les vieillards remplacent aux champs et
� l'�table, au four et au moulin, les hommes qui sont
partis. Des deux m�decins de Gerb�viller, l'un, le
maire, le docteur Camus, est all� rejoindre son poste de
m�decin de r�serve � Neufch�teau, l'autre, le docteur
Louviot (9), mobilis� sur place, am�nage � l'hospice une
ambulance avec le concours b�n�vole de mon grand-oncle,
le docteur Labrevoit (10), m�decin principal de l'arm�e
en retraite. En pr�vision des batailles prochaines,
l'autorisation de la marquise de Gerb�viller est mise �
profit et des lits, r�quisitionn�s chez l'habitant, sont
install�s au ch�teau dans toutes les pi�ces disponibles.
Je fais la qu�te des lits dans le faubourg Saint-Pierre
avec mon voisin Louis Guyon (11) que j'aide � les
charger sur sa voiture et � les d�charger au ch�teau. Ce
sont pour la plupart des lits de fer qui jurent
curieusement avec le somptueux d�cor o� nous les
alignons, en pensant � ceux � qui ils sont destin�s.
Chaque soir � l'appel du cur�-doyen, l'�glise s'emplit
d'une

Clich� Bastien.
Int�rieur du ch�teau de Gerb�viller apr�s le
bombardement.
Le grand vestibule avec les restes de quelques-uns des
lits de l'h�pital install� dans le ch�teau.
foule de fid�les qui r�cite
pieusement le chapelet. La voix du cur�, M. le chanoine
Vanat, se fait chaque jour plus lasse et plus sombre
quand il prononce : �� R�citons cette cinqui�me dizaine
pour demander � Dieu d'�carter de cette paroisse les
malheurs de la guerre � (12).
Le 7 ao�t, sous un ciel lourd qui vient de se couvrir au
milieu de l'apr�s-midi, un cavalier appara�t au passage
� niveau de la gare (13) � cent et quelques m�tres de
chez moi, � l'entr�e m�me de Gerb�viller quand on vient
de l'Ouest. C'est un chasseur � cheval. Il s'avance
prudemment, la carabine au poing, le doigt sur la
g�chette. Il interroge les premi�res personnes qu'il
rencontre. �� A-t-on vu des Allemands ? � Ces pr�cautions
�l�mentaires d'une arm�e en marche d'approche nous font
sourire. Se croit-il d�j� en pays ennemi ? Il rebrousse
chemin et retourne vers ceux qui le suivent � vue,
assurant la liaison avec le gros du r�giment. C'est le
16e chasseurs de Beaune (14), qui va inaugurer �
Gerb�viller les cantonnements de guerre. L'annuaire
m'apprend que c'est le r�giment de cavalerie de corps du
8e corps d'arm�e (15) [Bourges]. Sa pr�sence renforce
notre tranquillit�. Nous nous savions prot�g�s par la
fronti�re vivante constitu�e par les troupes de
couverture. Voici maintenant l'arm�e toute enti�re qui
vient les rejoindre. Pendant son court s�jour le
r�giment pousse des reconnaissances sur la Meurthe et la
for�t de Mondon (16) o�, dit-on, circulent des
patrouilles allemandes, mais � leur grand d�sespoir, car
ils veulent en d�coudre, nos cavaliers reviennent
bredouilles. Le s�jour du 16e chasseurs � Gerb�viller
est marqu� par un accident p�nible. Un cavalier (17)
qui, pour des raisons mal d�finies et contrairement aux
ordres re�us, s'�tait �cart�, le soir, des lisi�res Est
du cantonnement, du c�t� de la brasserie, est accueilli,
� son retour, par le : �� Qui vive ? � d'une sentinelle.
Se sentant peut-�tre en faute, il se tait et la
sentinelle l'abat d'un coup de carabine. On l'enterre le
lendemain. C'est le premier tu� du r�giment, la premi�re
victime de la guerre � Gerb�viller. La population se
m�le en une communion �troite aux chefs et aux camarades
du malheureux, autour de sa tombe, au cimeti�re
communal.
Apr�s le d�part du 16e chasseurs, nous voyons passer de
l'infanterie, puis cantonner le 48e d'artillerie, -
artillerie de la 15e division (Dijon). - Il passe deux
ou trois nuits � Gerb�viller, formant le parc dans un
pr� � proximit� de la gare et allant dans la journ�e se
mettre en batterie sur la Meurthe. Le passage r�p�t� des
batteries gagnant leur position ou rentrant au
cantonnement et des attelages allant � l'abreuvoir � la
rivi�re, emplit notre quartier d'un tumulte cliquetant,
d'une poussi�re et d'une odeur de cuir, de crottin et de
graisse, bien caract�ristiques de l'artillerie. Aux
manoeuvres ou dans les revues, je n'ai jamais vu que des
batteries sur le pied de paix, � quatre canons et quatre
caissons. Le d�fil� de ces batteries sur le pied de
guerre, encombr�es de forges, d'�chelles-observatoires,
de fourrag�res, de fourgons et de caissons, au milieu
desquels disparaissent les quatre canons, bouleverse
toutes mes notions �l�mentaires sur l'organisation de
l'arm�e. Mais j'admire la magnifique tenue de ce
r�giment, ses beaux attelages, ses harnachements neufs,
son mat�riel bien soign�, l'ordre et l'impression de
force qu'il d�gage et mon oncle Labrevoit fait avec les
d�buts de la guerre de 1870 des comparaisons
avantageuses et r�confortantes.
Au del� de l'horizon, la fronti�re s'anime. On entend le
canon lointain � peu pr�s tous les jours. Des bruits
courent : les Allemands sont � Og�viller (18). Mais le
mouvement en avant de l'arm�e se poursuit. Au 48e
d'artillerie succ�de le 210e r�giment d'infanterie,
r�giment de r�serve du 8e corps (Auxonne). Form� depuis
quelques jours de r�servistes de classes relativement
jeunes, ce r�giment, le premier �l�ment de r�serve que
nous voyons, offre un aspect tout diff�rent des
r�giments d'active auxquels nous sommes habitu�s.
L'ordre et l'esprit y sont excellents, mais il manque
encore fatalement de coh�sion et d'entra�nement et la
machine para�t un peu lourde. Le lieutenant-colonel qui
le commande est log� chez mon oncle, le docteur Labrevoit, dont la maison est contigu� � la mairie. Je
suis donc aux premi�res places pour assister aux
honneurs rendus au drapeau, apr�s l'entr�e du r�giment,
c�r�monie toujours recherch�e, � laquelle, nous, civils,
nous nous empressons de prendre part, pour saluer, nous
aussi, l'embl�me qu'enveloppe en ce moment un frisson et
une majest� incomparables, tandis qu'au loin le canon
tonne.
Aussit�t install�, le colonel va faire le tour du
cantonnement. J'en profite pour me faufiler dans sa
chambre et voir pour la premi�re fois de tout pr�s un
drapeau de r�giment. Saisi d'�motion � la vue de cette
�toffe brillante, inerte, dans un coin de la chambre,
mais charg�e d'un si prenant symbolisme, c'est tout
juste si je ne fl�chis pas le genou, comme en entrant
dans une chapelle, et d'un geste non pr�m�dit� et
instinctif, j'en porte la soie �clatante � mes l�vres.
La f�te de l'Assomption se d�roule, sinon dans la joie,
du moins dans la confiance. Les Allemands ont �t�
repouss�s dans les premi�res rencontres � la fronti�re
et nous voyons notre arm�e continuer sa progression. Le
voeu de Louis XIII s'accomplit avec une ferveur et une
esp�rance nouvelles (19). Un � un, les �l�ments
d�barqu�s dans la vall�e de la Moselle, sur les quais
militaires des gares de la ligne de Nancy � Gray par
Epinal, � Charmes et � Ch�tel, passent devant nous, de
jour et de nuit, dans une revue gigantesque qui, depuis
le premier �claireur du 16e chasseurs jusqu'au convoi
administratif d'arm�e et aux �quipages de ponts, fait
d�filer sous nos yeux tous les organes d'une arm�e
mobilis�e au complet et des d�l�gations de toutes les
provinces de France, ce qui nous vaut la plus
remarquable le�on de choses militaires et de piquantes
observations. Plus encore que l'�claireur du 16e
chasseurs qui nous avait presque offusqu�s en p�n�trant
chez nous la carabine au poing, certains d�racin�s par
la mobilisation de trop lointaines provinces semblent,
apr�s tant d'heures de chemin de fer, se croire d�j� en
pays ennemi. Ceux-l�, peu nombreux, heureusement, mais
peut-�tre plus qu'on ne pense, ne distinguent pas la
Lorraine de l'Alsace-Lorraine ni l'Alsace-Lorraine de
l'Allemagne et pour eux �a n'est d�j� plus la France,
car ils ne savent pas au juste o� passe la fronti�re.
Montrant � un officier du g�nie le Donon et les Vosges,
je le vois s'�mouvoir : �� Ah ! voil� la ligne bleue des
Vosges ! � et s'�tonner aussi de la voir encore si
�loign�e. J'entends un autre, d'un accent sonore qui
voudrait �tre gentiment protecteur, me d�clarer : �� Nous
venons d�fendre votre pays �. Et je ne puis r�primer une
grimace comme � l'audition d'une fausse note. Des
enfants de la plaine trouvent les environs de
Gerb�viller particuli�rement accident�s et l'instant
d'apr�s quelque montagnard me dit : �� Que c'est plat
chez vous ! � Belles le�ons de relativisme.
Apr�s les �l�ments combattants des premiers jours nous
voyons les parcs d'artillerie, leurs sections de
munitions, les trains r�gimentaires, le service
sanitaire avec ses groupes de brancardiers de corps
d'arm�e et de division et leurs pleines charret�es de
jeunes �l�ves de l'�cole de Lyon, le troupeau de b�tail,
les autobus parisiens transform�s en voitures � viande
et dont beaucoup portent encore les plaques indiquant
l'itin�raire auquel ils �taient affect�s dans la
capitale et cet ineffable convoi administratif d'arm�e
o� chevaux et mulets de toutes tailles, attel�s aux
voitures de r�quisition des mod�les les plus vari�s et
les plus effarants apportent dans nos rues des images
bourguignonnes, berrichonnes ou morvandelles. C'est
comme l'exode de tout un peuple, une v�ritable
�migration; �a tient du d�m�nagement autant que de
l'exp�dition, du militaire et du romanichel, du �� camp
volant � comme on dit en Lorraine; �a n'a pas d'�ge et
�voque aussi bien les guerres de l'antiquit� que les
campagnes du Premier Empire ou la Guerre de Trente Ans.
Le mot impedimenta si souvent rencontr� dans Tite-Live
ou C�sar a pour moi maintenant un sens v�cu. Et �a
roule, �a cahote, pendant des heures et des jours, au
milieu des rires, des quolibets et des lazzis, car tout
ce monde, toujours dans un ordre parfait, est dans
l'ensemble bien moins grave que les combattants de
l'avant qui, pourtant, ne manquaient pas de bonne
humeur, ni de moral.
Le jeudi 20 ao�t, le docteur Louviot m'invite �
l'accompagner dans son automobile jusqu'� Vennezey (20)
o� il a un malade � voir. Nous nous heurtons � un
�quipage de ponts encombrant la route et dont les longs
bateaux font un curieux alignement dans le vallon du
ruisseau de Paleboeuf (21) qui para�t, du coup, un lac
subitement ass�ch�. Rien ne manque donc au d�fil�.
Voil�, pensons-nous, pour passer le Rhin.
Le bruit de la canonnade redouble, mais lointain.
II Je suis en train d'observer les phases de l'�clipse de
soleil du vendredi 21 ao�t 1914, quand, vers 10 heures
du matin, les premi�res vagues de la retraite de
Sarrebourg-Morhange atteignent Gerb�viller, sous la
forme d'un d�tachement de pr�v�t� d'arm�e, venant, non
plus de l'ouest, comme toutes les troupes qui passent
depuis plus de dix jours, mais de la direction du front.
Ces gendarmes s'arr�tent devant la mairie et ne nous
cachent pas qu'il y a un mouvement de repli. Dans
l'apr�s-midi une escadrille de blancs avions vient
atterrir dans un pr� au bord de la route de Remenoville
(22), � 500 m�tres � l'ouest de la gare. Cela rappelle
le Circuit de l'Est, trois ans plus t�t. Les curieux se
pr�cipitent. Des gendarmes, sortis on ne sait d'o�,
gardent les monoplans qui reprennent bient�t leur vol
vers l'arri�re. R�jouis par les premiers succ�s de
Bl�mont, nous nous croyions depuis quelques jours en
s�ret� et � l'abri de l'invasion. Ces premiers indices
de revers voilent de tristesse et d'appr�hension notre
s�r�nit�.
A chaque heure cro�t notre angoisse, aliment�e par des
faits nouveaux. On apprend la mort des premiers enfants
de Gerb�viller tomb�s au champ d'honneur. C'est le
chasseur Joseph Milanus, qui, le 11 ao�t, a ouvert le
glorieux martyrologe.
Dans la soir�e, des troupes combattantes en d�route
passent en laissant derri�re elles une impression
d�plorable dont je recueille au matin les �chos
indign�s.
Dans la journ�e du samedi, la bataille, jusqu'alors
lointaine se rapproche. D�j� elle ne semble plus au del�
de l'horizon (23). Apr�s le d�jeuner un gros orage
�clate, ajoutant le tonnerre � la canonnade. A l'�glise,
o� les vitraux tremblent, pr�s de claquer, des femmes,
group�es autour du confessionnal, pleurent et prient �
haute voix. Les bataillons refluent sans arr�t, certains
compl�tement d�moralis�s. L'hospice recueille quelques
bless�s ou malades qui ne peuvent suivre la retraite.
Les unit�s m�lang�es appartiennent, en majeure partie,
au 16e corps (24). Chaque homme qu'on interroge d�clare
qu'il est le seul qui reste de sa compagnie. Isol� de
ses camarades, il est sans doute de bonne foi, mais
combien y a-t-il donc de compagnies dans ces r�giments ?
Derri�re les colonnes, des fuyards nombreux, grimp�s sur
des carrioles avec quelques couchages, du petit mobilier
et des provisions, m�lent leurs tristes �quipages aux
voitures militaires, la plupart h�ves et sombres, les
uns terroris�s, muets et pleurant, d'autres semant la
panique. Le soir on dit que les Allemands sont �
Lun�ville (25). Instants inoubliables o� naissent dans
l'�me des sentiments nouveaux - de rage et
d'an�antissement - � la vue de l'ab�me qui s'entr'ouvre.
Une anxi�t� tr�s aigu� s'empare de moi, d'autant plus
vive que le myst�re s'obstine � planer sur la nature du
malheur attendu.
Dans la nuit (du 22 au 23) des ponts sautent (26). Des
incendies annon�ant l'approche des barbares enflamment
l'horizon. Vers minuit, j'ouvre ma porte, bien
timidement, � une section du 2e bataillon de chasseurs �
pied, pensant d�j� avoir affaire aux Allemands.
�� - Croyez-vous qu'ils viendront jusqu'ici ?
�� - Ils n'y sont pas encore, c'est bon ! Et nous, nous
sommes toujours-l� ! �
Apr�s avoir cantonn� � la maison, les chasseurs
disparaissent au petit jour. De telles sc�nes nous sont
famili�res. Il n'est pas d'ann�e qu'une manoeuvre ou
l'autre de nos garnisons lorraines ne nous en ait fait
vivre de semblables. Mais cette fois il ne s'agit plus
de th�me conventionnel, c'est le drame lui-m�me qui se
joue et sa poignante r�alit� qui nous �treint.
Beaucoup d'habitants de Gerb�viller ont suivi la
retraite et, comme les fonctionnaires et les services
publics, �vacu� la place. Nous voyons la locomotive
haut-le-pied qui, depuis la mobilisation, montait la
garde � la gare, s'en aller en emmenant le personnel.
Nous sommes d�sormais comme en une ville assi�g�e,
s�par�s du monde ext�rieur. Il reste pourtant encore la
possibilit� de fuir. Fuir ! Acte et mot r�pugnants !
N'ayant encore aucune autre obligation militaire que
d'attendre � Gerb�viller ma feuille de route de la
classe 1914, dont l'appel va �videmment �tre devanc�,
alors que l'autorit� militaire n'accepte pas
d'engagements pendant les vingt premiers jours de la
mobilisation, je consid�re comme un devoir de demeurer
jusqu'� nouvel ordre avec les miens, chez moi, et comme
une d�sertion et un geste de d�faitisme, dira-t-on plus
tard, de grossir le cort�ge des fuyards. Et comment fuir
avec les vieillards qui m'entourent ? Je crois aussi,
pour l'avoir lu r�cemment dans les publications du
g�n�ral Maitrot (27) que, sur les avanc�es de la Trou�e
de Charmes (28) l'arm�e fran�aise utilisant une � une
les coupures du terrain et les tranch�es successives que
lui offrent les vall�es parall�les de la Vezouse, de la
Blette, de la Verdurette, de la Meurthe, de la Mortagne
et de l'Euron, marquera un temps d'arr�t sur chacune de
ces lignes et que, de Gerb�viller, on aura bien le temps
de se sauver quand on se battra sur la Meurthe de
Saint-Cl�ment (29) et de Fraimbois. Education livresque
mise � l'�preuve de la r�alit� ! Et je pense que les
demeures abandonn�es pourraient �tre les plus �prouv�es.
Une voisine qui a connu la guerre de 1870 me l'affirme
en se moquant des �� froussards � qui partent et en
ajoutant : �� Si les Prussiens viennent (le mot : Boche,
� peine lanc�, n'�tait pas encore r�pandu) on verra
bien. On les a bien eus en 70 ! � Et puis de telles
puissances affectives me lient � ce Gerb�viller o� la
tombe de mon p�re est fra�chement scell�e que je ne
songe nullement � m'�loigner. C'est une grosse
imprudence dont tous les risques ne m'�chappent pas,
mais pourquoi ne pas mourir l� et faire d'une ch�re
maison, que je ne puis alors imaginer d�truite, mon
propre tombeau (30).
L'appr�hension du lendemain se fait pourtant chaque jour
plus vive. Et � vouloir �� tenir �, faire front tr�s
inutilement et �� cr�ner � tr�s imprudemment sous la
menace ennemie, nous n'en devinons pas moins la cruelle
imminence qui p�se sur nous et il faut dominer les
r�actions qu'un organisme non initi� oppose aux premiers
contacts avec les r�alit�s de la guerre. Une brusque
d�pression des nerfs, trop tendus dans l'inaction,
d�termine chez moi une crise de bile et de larmes.
Le dimanche (23 ao�t) est radieux. Pas le moindre bruit
de guerre. Quelques rares avions dans un ciel tr�s pur.
Le docteur Louviot re�oit l'ordre de se replier sur
Bayon (31). Mon oncle Labrevoit assure le service �
l'ambulance de l'hospice avec les m�decins-majors de
passage. Dans la matin�e deux divisions de cavalerie
(32) 
Clich� Bastien.
Le pont de Gerb�viller sur la Mortagne interdit aux
allemands de 8 h. du matin si 5 h. du soir par les 60
chasseurs du 2e B. C. P, command�s par l'adjudant Ch�vre
et demeur� intact au milieu de la bataille dont il �tait
l'enjeu.
qui ont prot�g� la retraite d�filent au trot devant nos
fen�tres. J'ai le plaisir de saluer rapidement au
passage dans les rangs du 8e dragons quelques figures
amies, notamment deux camarades de Nancy : Pierre Machon
(33) et Paul Benoit-G�ny.
L'apr�s-midi, calme et silence complets. Quelques
cavaliers isol�s, des estafettes, qui s'arr�tent pour se
rafra�chir et dont on ne peut tirer grand'chose. On dit
que des patrouilles de cavalerie allemandes sont dans
les bois du marquis, �� � la Reine � (34), en bordure de
la route de Lun�ville. Peu de monde dans les rues. Ceux
qui sont rest�s se terrent. Nous descendons vers la
Mortagne. Mais le grand pont est barricad� et nous ne
pourrons pas passer (35). Nous rebroussons chemin,
impressionn�s par le calme pesant, sous le grand ciel
bleu de nos belles vacances d'autrefois, devenu si lourd
de menaces dans le silence des cloches qui se sont tues
depuis qu'elles ont lanc� l'appel aux armes le soir du
Ier ao�t.
La journ�e s'ach�ve tranquille et la nuit est
�trangement douce et paisible.
Le lendemain, lundi 24, le premier passant que
j'aper�ois par ma fen�tre est un cavalier allemand qu'un
des n�tres emm�ne prisonnier. Quelle joie et quel bon
pr�sage ! Mais �videmment, �� ils � ne doivent plus �tre
bien loin. Vers 8 heures et demie, muni de ma jumelle,
je sors pour aller voir ce qui se passe. En descendant
la rue, je rencontre un de mes conscrits, Albert
Krakowski, qui estime le moment venu de s'en aller, vers
Bayon ou Charmes. Mais je ne peux croire que les
Allemands passeront; on les repoussera. Je sais
l'importance de la Trou�e de Charmes et n'ai-je pas �t�
t�moin, deux 
Clich� J. Godfrin.
La d�fense de Gerb�viller le 24 ao�t 1914.
Bas-relief en bronze du monument aux morts de
Gerb�viller, par E. Bachelet (1924).
mois plus t�t, de l'importante manoeuvre de cadres qui
r�unissait, en juin 1914, tous les officiers g�n�raux et
chefs de corps des grandes unit�s aujourd'hui engag�es,
sur le terrain m�me o� ils auraient � combattre et
qu'ils doivent donc conna�tre parfaitement ?
Pr�s de la mairie, un dragon me demande �� un chemin pour
gagner rapidement Vallois (36) par la rive gauche et
d�fil� de la rive droite, car la Mortagne va �tre
attaqu�e d'un moment � l'autre �. Je le mets sur la
voie, compl�te sa carte de quelques renseignements et le
voil� parti. Je monte sur le toit de la maison Labrevoit
pour scruter l'horizon et observer la rive droite.
J'aper�ois quelques uhlans (37) patrouillant dans les
vergers et cherchant � reconna�tre les abords de la
localit�.
Sur la route de Lun�ville, un important groupe, en
stationnement, de chevaux non mont�s, de v�hicules (dont
on ne distingue que les roues) et d'hommes � pied
grouillant � leurs c�t�s. Je me demande quelle arme et
quelle arm�e ce peut �tre, quand un panache de fum�e
jaillit � peu de distance du groupe, suivi d'une
d�tonation et les shrapnels d�gringolent sur les tuiles
autour de moi. C'est ainsi que mon inexp�rience
d'observateur apprend l'aspect qu'offre � 2.000 ou 3.000
m�tres l'artillerie ennemie se mettant en batterie pr�s
d'une route o� se rassemblent ses avant-trains. Je viens
de voir tirer le premier coup de canon sur Gerb�viller
(38).
L'heure n'est plus � demeurer sur les toits.
Je remonte chez moi en invitant � s'abriter une jeune
voisine qui balaye nor-

Clich� Bastien.
Le ch�teau de Gerb�viller avant la guerre.
malement son trottoir, comme chaque matin, sans s'�tre
encore aper�ue de rien et je lui fais remarquer le bruit
des balles qui ne cessent de tinter sur les tuiles.
Rentr� � la maison, je prends en h�te quelques mesures
de pr�caution, comme de dissimuler les albums de Hansi
qui tra�nent sur une table au salon (39). Mais j'oublie
de faire dispara�tre ma jumelle que j'accroche
n�gligemment dans le vestibule, pensant sans doute en
avoir encore besoin. Elle fera le soir le bonheur d'un
Boche qui ne me laissera que l'�tui. Je m'installe � la
cave avec ma grand'm�re (40) et la domestique (41).
A intervalles irr�guliers et sans h�te les obus tombent
sur la ville. Petit bombardement de 77 qui me para�tra
dans la suite bien anodin et comme un jeu d'enfant; mais
c'est mon bapt�me du feu et je le trouve assez s�rieux
pour ne pas penser que ce n'est qu'un simple ondoiement.
Bien vite le s�jour � la cave m'est insupportable.
Le moindre bruit de l'ext�rieur est d�natur�, d�form�,
amplifi� par l'imagination troubl�e : un �clat d'obus
tombant sur une trappe de cave, c'est une chemin�e qui
s'�croule, un carreau cass� fait croire � un toit
�ventr�. De quart d'heure en quart d'heure, entre les
salves, je sors dans la rue ou au jardin pour essayer de
me rendre compte des ravages. Les chasseurs d�fendent le
pont et la rivi�re. De temps

Clich� Bastien.
Les ruines du ch�teau de Gerb�viller.
en temps l'un d'eux passe devant la maison assurant la
liaison entre les diff�rents postes et l'arri�re. Pas
d'autre mouvement dans la rue. Depuis 9 heures et demie
tout le quartier situ� sur la rive droite - la Vacherie,
qu'on appelait le Faubourg Notre-Dame avant la
R�volution - est en flammes. Le vent d'ouest-sud-ouest
�loigne de nous les masses de fum�e qui se gonflent dans
le ciel � l'horizon au-dessus des toits de notre
quartier demeur� tranquille et inerte (42). On am�ne un
bless� � l'hospice.
Une soeur s'avance au milieu de la rue et devant le
spectacle terrible qui s'offre � elle dans le
rayonnement de la plus splendide matin�e d'�t�, elle
l�ve les bras au ciel en un geste d'effroi et de
supplication.
D�s les premiers coups de canon, mon vis-�-vis, Louis
Guyon, avait men� dans un parc � quelque cent m�tres sur
la route de Haudonville (43) pour les mettre � l'abri
des coups, ses vaches et le cheval qui lui reste apr�s
les r�quisitions. M'apercevant sur le trottoir, il me
fait signe. Je traverse la rue et le suit; il me montre,
tout navr�, une br�che de plusieurs m�tres de diam�tre
dans le mur de sa maison, c�t� jardin, o� vient
d'arriver un obus. L'air est encore plein de poussi�re
dans

Clich� Bastien.
Int�rieur de la chapelle de M. le marquis de Gerb�viller
apr�s le bombardement.
Au centre, le saint Jean-Baptiste de Paul Dubois : tomb�
de son socle.
l'�curie. Un peu plus tard, il me rappelle : �� Viens
voir! Le ch�teau qui br�le ! �
Et par la br�che de son mur qui encadre le sinistre
tableau, je vois, au milieu des flammes qui le d�vorent,
le d�me o� flottait le matin encore le drapeau de la
Croix-Rouge. Sa couverture de zinc, pr�s de fondre,
�tincelle d'une lueur verd�tre, �trange et d�licate.
Avec quelle douleur je vois successivement atteints ce
ch�teau des Lambertye-Tornielle et sa chapelle, lieux
v�n�r�s o� j'ai �prouv� mes premi�res �motions
esth�tiques devant le Tarcisius de Falgui�re (44), le
Jean-Baptiste de Paul

Clich� des Archives photographiques d'art et d'histoire,
Saint Tarcisius d'Alexandre Falgui�re (Mus�e du Louvre).

Clich�s J. Godfrin
D�bris de saint Tarcisius d'Alexandre Falgui�re d�truit
le 24 ao�t 1914 par les Allemands � Gerb�viller devenu
par cette nouvelle mutilation le symbole du martyre de
la ville.
Dubois (45) et les rares beaut�s de ces reliquaires
d'art que j'ai revues et admir�es quelques jours plus
t�t encore en aidant � l'installation de l'h�pital.
A midi, une accalmie. Nous prenons notre repas, � la
cave toujours, impatient�s de ne voir ni entendre la
r�action des n�tres. Notre artillerie semble muette,
nous n'entendons m�me pas les coups de feu des chasseurs
en avant de nous. Pourquoi ce silence et cette apparente
inaction ? (46) Et pourtant, avec une na�ve confiance,
je songe encore que la journ�e pourra s'achever par la
retraite de l'ennemi et un Te Deum � l'�glise !
De nouveau dans la rue et toujours sans oser m' �loigner
de la maison, j'entends une. fen�tre du premier �tage
s'ouvrir � l'hospice et la voix fl�t�e d'un pensionnaire
bien connu crier : �� N... de D... de B.... D.... ! Ils
ne sont seulement pas f.... de faire les chambres � 1
heure de l'apr�s-midi ! � En m�me temps jaillit de la
fen�tre � bout de bras un vase de nuit dont le contenu
est aussit�t vid� sur le trottoir. Ainsi la com�die se
m�le au drame.
L'instant d'apr�s, le bombardement reprend et cette fois
les coups tombent non loin de nous. Guid� par le bruit
de leurs explosions, je me dirige vers le jardin;
j'arrive � point � la porte vitr�e pour voir un obus
percuter dans le mur qui me s�pare du jardin voisin, �
une vingtaine de m�tres de moi. Les �clats de pierre et
d'acier retombent en pluie � mes pieds sur la terrasse
et je me replonge en h�te � la cave, o� l'on tremble d�s
que je suis dehors. C'est le premier obus que je vois
�clater et sans sortir de chez moi. Redoutable privil�ge
et honneur des Lorrains de recevoir le bapt�me du feu �
domicile.
Je me rends vite compte qu'apr�s le ch�teau, dans la
matin�e, c'est l'�glise toute proche que prennent
maintenant pour cible les pi�ces allemandes, car apr�s
les premiers �carts en direction (notamment ce coup �
droite tomb� dans mon jardin) le tir se pr�cise.
Ressorti une fois de plus de la cave, j'en suis les
effets sur l'�glise qui r�siste de toute sa carrure. Sur
les pierres de taille de la tour les obus �clatent sans
p�n�trer. Dans la toiture ils s'enfoncent en pulv�risant
les tuiles dans un nuage de rouille. Navrant et poignant
spectacle (47) ! Le clocher s'effrite sous les coups et
les trois cloches - nos cloches aux voix aim�es -
frapp�es par des �clats tintent de temps � autre,
rendant un son plaintif comme le g�missement de victimes
innocentes et qui ne comprennent pas. Nous comprenons,
nous, � ce moment, qu'elles sonnent le glas de
Gerb�viller et peut-�tre le n�tre.
Pass� dans la rue pour savoir ce qui se passe de ce
c�t�-l�, je vois sortir de l'hospice un fantassin
fran�ais sans armes. Il m'aper�oit, court � moi, l'air
affol�, me suppliant de le cacher. Il est malade, il
pleure et grelotte de fi�vre. Il n'est plus ma�tre de
lui et ne veut plus retourner � l'hospice, par peur des
Allemands qui l'y feront prisonnier ou l'y tueront,
croit-il. Il entre � la maison sans que je l'y invite,
car je ne vois pas ce que je peux faire pour lui et sa
pr�sence chez moi me para�t particuli�rement
inopportune, aussi bien aux yeux de l'autorit� fran�aise
que vis-�-vis de l'envahisseur. Je le fais descendre �
la cave et s'y reposer quelques instants et, apr�s lui
avoir donn� � boire, je r�ussis � lui faire comprendre
que sa place n'est pas l�. Qu'il fuie vers l'arri�re
s'il en a la force ou qu'il retourne � l'hospice au
milieu des camarades qu'il y a laiss�s � l'abri de la
Croix-Rouge. C'est � la premi�re alternative qu'il se
r�soud une fois r�confort� et le malheureux s'en va,
g�missant et frissonnant.
De nouveau, c�t� jardin; au sommet du clocher, une
petite flamme cherche � se livrer passage entre les
ardoises de la pointe de la fl�che. Sous les coups de
l'artillerie allemande la charpente de bois du clocher a
pris feu.
Vers cinq heures du soir, les chasseurs se retirent
(48). L'un d'eux, un des agents de liaison auxquels j'ai
donn� le matin mes derni�res cigarettes, me dit en
passant devant la maison et en me revoyant sur la porte
: �� On s'en va... Il fallait tenir jusqu'� pr�sent.
Maintenant, on ne peut plus... Planque toi, va ! Les
v'l� qui montent ! � En effet du bas de la rue s'�l�ve
une rumeur : cris et hurlements accompagnant une
cacophonie domin�e par les fifres per�ants, les trompes
sans m�lodie et les tambours aux roulements mats et
lents. C'est �a le peuple de Wagner !
Suivant le conseil �� du vitrier �, je retourne � la
cave. Le tumulte devient plus distinct. Bient�t la porte
de la maison est �branl�e par un choc violent. La
domestique, pratiquant le platt-deutsch, s'�lance pour
ouvrir � l'envahisseur tout en me refoulant dans la cave
(dont elle referme sur moi la trappe), en bas, nous
l'entendons parlementer; nos pri�res redoublent. A la
porte la conversation ne se prolonge pas. Des pas
approchent de la trappe et, scandant ses appels de coups
de crosse de fusil, une voix peu rassurante s'�crie :
Heraus ! Heraus ! Schnell ! Heraus !
En m�me temps la domestique m'appelle.
Qu'est-il advenu ? Que vais-je trouver en haut de
l'escalier ? La pointe d'une ba�onnette peut-�tre.
Secondes du paroxysme d'angoisse et pour la premi�re
fois un de ces instants pr�cieux o� l'on a la sensation
claire d'�tre � l'article de la mort. Aussi en
gravissant les marches, me pr�par�-je moins � para�tre
devant un soldat allemand que devant Dieu lui-m�me. Je
soul�ve p�niblement la trappe et me voil� en face d'un
jeune �� feldgrau � (49) au teint rose, l'arme au pied,
ba�onnette au canon.
- �� Cachez-vous vite, me dit la domestique. Il vous y
autorise et dira qu'il n'a rien vu de suspect dans la
maison. Mais disparaissez au moins pendant trois jours,
sans quoi vous serez fusill� �.
Et le Boche aussi insiste : Schnell ! in der Stroch, auf
dem Dach!
Comprenant alors que j'�tais sauv�, au moins
provisoirement et sans m'attarder � des remerciements,
je bondis dans l'escalier de service qui prend naissance
en haut de l'escalier de la cave et qui m�ne directement
au grenier, au deuxi�me �tage. Je suis � peine au
premier �tage quand la horde envahit le vestibule.
Au grenier j'avise une soupente inaccessible entre le
toit et le dessus des mansardes. J'y monte avec une
�chelle que je retire derri�re moi et je m'�tends,
l'�chelle � mon c�t�, dans l'angle form� par la toiture
et le plancher, sur une couche de poussi�re, vieille au
plus de vingt-trois ans, l'�ge de la maison, et pas
encore tr�s moelleuse.
On sait l'influence des sensations et des �motions
ant�rieures ou concomitantes sur un �tat de conscience
donn� : je viens d'�chapper � un tel danger que
j'�prouve une b�atitude extr�me. Toute inqui�tude a
disparu. J'ai l'impression d'�tre en s�curit�, au calme.
Loin de g�mir sur ma situation pr�caire et la
perspective de passer l� au moins et au mieux, plusieurs
jours et plusieurs nuits, je ne songe qu'� me r�jouir de
vivre encore libre et � en remercier Dieu (50). Par
quelle merveilleuse attention de la Providence, en
effet, et gr�ce � quel sang-froid de la domestique qui,
sans peur et en deux mots, a plaid� pour moi, d�peint
par elle comme un enfant malade, ai-je �chapp� � la
fureur du barbare? (51)
(A suivre.)
Jean GODFRIN.

Clich� H. Grasse.
L'�glise de Gerb�viller au printemps de 1915. (Voir
Maurice BARR�S, L'�me fran�aise et la guerre. V. Les
voyages de Lorraine et d'Artois, p. 311. Le printemps
qui surgit des ruines.) Vue prise du point o� l'auteur
en observait le bombardement le 24 ao�t 1914.
(1) Le 31 juillet 1914 il n'y avait plus de doute que
pour ceux qui voulaient esp�rer contre toute esp�rance
que la guerre allait �clater. J'ouvris un cahier, d�cid�
� y consigner au jour le jour, tant que les �v�nements
me le permettraient, les faits dont je serais le t�moin
et les impressions qu'ils provoqueraient en moi et
autour de moi. Cette r�daction fut interrompue le 24
ao�t suivant, � l'arriv�e des Allemands � Gerb�viller o�
je r�sidais depuis la fin de juin, en vacances depuis le
16 juillet, et le cahier qui la contenait, bien qu'il
ait �t� vu sur mon bureau, de longues semaines apr�s le
passage des Allemands, a disparu ensuite de la maison,
ouverte alors � tout venant, sans que je sache s'il a
�t� d�truit ou s'il a paru assez int�ressant pour
trouver preneur.
Le r�cit qu'on va lire comprend trois parties : la
premi�re - du 31 juillet au 21 ao�t - est une tentative
de reconstitution fragmentaire, � 22 ans d'intervalle,
du cahier en question; un r�sum� de la deuxi�me -
journ�es des 21, 22, 23, 24, 25 et 26 ao�t - �crit � la
h�te entre deux s�jours sous Verdun, en f�vrier-mars, a
paru dans La Foucotte (Bulletin de Guerre) de l'ann�e
1916 (p. 160). J'ai d� le compl�ter de quelques d�tails
et de quelques notes. Enfin la troisi�me partie - �tapes
de Gerb�viller � Nancy et Dijon - reproduit,
partiellement, une s�rie de lettres �crites de septembre
� d�cembre 1914.
Qu'on ne cherche point dans ce r�cit un chapitre de
l'histoire de la bataille de Lorraine ou de l'histoire
de Gerb�viller. C'est une simple note, d'o� a �t�
volontairement exclu tout fait, m�me certain, dont je
n'ai pas �t� moi-m�me t�moin oculaire ou auriculaire �
l'une des dates envisag�es, contribuant � donner, au bas
d'une grande page de l'histoire de France et du pays
lorrain, des impressions et l'atmosph�re des premiers
mois de la Grande Guerre.
(2) Meurthe-et-Moselle, chef-lieu de canton de
l'arrondissement et � 13 km. sud de Lun�ville sur la
Mortagne, affluent de gauche de la Meurthe.
(3) Colonel Dezaunay.
(4) Cette vision - comme bien d'autres de ce premier
mois de guerre - ne s'effacera jamais � mes yeux de son
cadre et, sur le parapet du pont, je retrouve, � chacun
de mes fr�quents passages, immuable et muet, le colonel
inconnu, statufi� par l'impression profonde de 1914.
(5) Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, canton et � 4
km. 500 S. de Gerb�viller.
(6) Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, canton et � 5
km. S.-E. de Gerb�viller.
(7) Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, cant. et � 9
km. N.-O. de Gerb�viller. Bifurcation sur la ligne de
Paris � Avricourt.
(8) Vosges, chef-lieu de canton de l'arrondissement et �
21 km. E.-N.-E. d'�pinal. Bifurcation sur la ligne
d'�pinal � Saint-Di�.
(9) 1868-1926.
(10) 1842-1920.
(11) 1870-1927.
(12) Comme si quelque pressentiment l'accablait de son
poids. M. le chanoine Vanat, en effet, apr�s avoir
failli tomber sous les coups de l'artillerie allemande,
en allant sous le feu, le 24 ao�t, vers l'�glise, pour
tenter, en vain, de sauver les Saintes Esp�ces, fut, le
soir m�me, � l'arriv�e des Allemands, arr�t� comme otage
et comme �� franc-tireur � (�tant accus� d'avoir
d�velopp� l'esprit patriotique de la jeunesse et d'avoir
�t� �� l'�me de la r�sistance � ) tra�n� sur les champs
de bataille des environs, � la suite des troupes, avec
les autres otages, pour �tre fusill�, graci� sur le
t�moignage de trois prisonniers du 2e bataillon de
chasseurs � pied qui jur�rent devant Dieu qu'aucun
habitant de Gerb�viller n'avait tir� sur les troupes
allemandes et, finalement, apr�s un douloureux exode
(dont il a donn� le r�cit dans le Bulletin de
l'Association des Anciens Prisonniers civils de
l'arrondissement de Lun�ville, 1930), intern� en
Allemagne d'o� il ne revint qu'en 1915, au cours d'un
�change de prisonniers civils et gr�ce � l'intervention
de S. M. Alphonse XIII, roi d'Espagne, int�ress� � son
sort par la marquise, de Gerb�viller, n�e Soto-Mayor. M.
le chanoine Vanat, n� en 1848, � Fraimbois
(Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, cant. et � 4 km.
800 au N.-N.-E. de Gerb�viller), chevalier de la L�gion
d'Honneur depuis 1933, continue aujourd'hui � diriger sa
paroisse avec un z�le infatigable et exemplaire, entour�
de la v�n�ration affectueuse de ses ouailles et de
l'admiration de tout le dioc�se de Nancy et de Toul,
dont il est le doyen des cur�s en exercice, apr�s
soixante-trois ans de sacerdoce, dont trente et un comme
cur�-doyen de Gerb�viller.
(13) Ce passage � niveau est form� par le croisement de
la voie ferr�e Mont-sur-Meurthe-Bruy�res � son arriv�e �
la gare de Gerb�viller (c�t� Mont-sur-Meurthe) et de la
route de Gerb�viller aux Vosges qui constitue l'art�re
principale de la partie de Gerb�viller situ�e sur la
rive gauche de la Mortagne (rue des Ponts, place du
Ch�teau, rues Carnot, du Centre (aujourd'hui
Clemenceau), de la Gare (aujourd'hui Maurice Barr�s) et
l'un des itin�raires principaux de la trou�e de Charmes,
menant vers les ponts de la Moselle, avec les routes de
Lun�ville � Bayon et � Charmes. Cette route (ancien
chemin de Grande Communication n� 31, aujourd'hui :
chemin d'int�r�t commun n� 22, embranchements divers),
se d�tache dans Gerb�viller m�me de la route (autrefois
: d�partementale n� 8 de Lun�ville � Rambervillers,
aujourd'hui : Nationale 414) de Ch�teau-Salins �
Rambervillers et c'est � cet endroit que se trouve le
pont de Gerb�viller sur la Mortagne qui commande donc
une des voies d'acc�s de la trou�e de Charmes.
(14) C�te-d'Or, chef-lieu d'arrondissement, 38 km. S.-E.
de Dijon.
(15) Le 8e C. A. appartenait � la Ire arm�e (g�n�ral
Dubail) dont il �tait le corps de gauche en liaison �
gauche avec le 16e C. A. droite de la IIe arm�e (g�n�ral
de Castelnau).
(16) Entre Meurthe et Vezouse, � une dizaine de
kilom�tres au N.-E. de Gerb�viller.
(17) Blanchard (Antoine), 26 ans, de Chen�ve, canton de
Buxy (Sa�ne-et-Loire).
(18) Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, cant. et �
10 km. S.-O. de Bl�mont et 17 km. N.-E. de Gerb�viller.
(19) Chant du Sub tuum avant la messe et procession
apr�s les v�pres avec r�citation des oraisons sp�ciales
en ex�cution du voeu perp�tuel prononc� par le roi Louis
XIII en 1638 pour placer la France sous la protection de
la Sainte Vierge.
(20) Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, canton et �
7 km. S.-O. de Gerb�viller.
(21) Affluent de droite de l'Euron.
(22) Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, canton et �
4 km. 750 au S.-O. de Gerb�viller.
(23) Il s'agit du violent combat soutenu h�ro�quement le
22 ao�t 1914 dans la r�gion Nord de Lun�ville (Crion-Sionviller-Cote
305) par la 31e division fran�aise (g�n�ral Vidal) du
16e corps contre deux divisions allemandes, au terme
duquel l'ennemi put p�n�trer dans Lun�ville.
(24) �� Je n'ai jamais vu un tel mouvement de retraite,
me confiait 22 ans plus tard le g�n�ral Vidal lui-m�me,
dans la plus grande confusion, mais en bon ordre. �
(25) Les premi�res patrouilles allemandes sont en effet
entr�es � Lun�ville, le soir du 22 ao�t et le lendemain
(dimanche 23), le XXIe corps bavarois d�filait dans la
ville �� fifres et tambours sonnant leur victoire (Adrien
Bertrand, La Victoire de Lorraine, 20e �dition, Berger-Levrault,
1917, p. 34).
(26) Du moins entend�mes-nous des d�tonations sourdes et
isol�es que nous interpr�t�mes ainsi, car, dans ces
premi�res semaines de guerre, le canon se taisait la
nuit. Ce jour-l�, d'ailleurs, le 22 � 23 heures, le
g�n�ral Ferry, commandant la 22e brigade du 20e corps,
re�ut l'ordre de se replier en faisant sauter les ponts
de la Meurthe (mar�chal FOCH, M�moires, t. I, p. 64-65).
Les ponts de Blainville saut�rent vers minuit (Voir A.
MARTIN, Blainville-sur-l'Eau, p. 182).
Et c'est � 4 heures du matin le 23 que l'on fit sauter
le pont de Rosi�res-aux-Salines (Communication in�dite
du g�n�ral de Ponydraguin lors du passage du Congr�s
historique des Anciens Combattants de la Trou�e de
Charmes au L�omont le 18 ao�t 1934). Le pont de
Xermam�nil (sur la Mortagne) ne sauta que dans
l'apr�s-midi du dimanche 23, � l'apparition des
reconnaissances de cavalerie allemande sur la rive
droite de la Mortagne et c'est �galement le dimanche
apr�s-midi qu'une tentative maladroite ne r�ussit pas �
d�truire les ponts de Mont (Communication in�dite du
commandant Ch�vre lors du passage du Congr�s historique
des Anciens Combattants de la Trou�e de Charmes �
Gerb�viller le 18 ao�t 1934). Le pont de Mont sur la
Meurthe fut d�truit par les Fran�ais dans les premiers
jours de septembre au cours d'une des fluctuations de
bataille devant un retour offensif de l'ennemi plus
mena�ant. Les autres ponts d�truits dans la r�gion,
notamment ceux de Rehainviller et Lun�ville le furent
par les Allemands au moment de leur retraite vers le 10
septembre.
Notre interpr�tation des d�tonations per�ues �
Gerb�viller dans la nuit du 22 au 23 ao�t para�t donc
avoir �t� exacte. Il s'agissait des ponts de Blainville
et de Rosi�res.
(27) Voir notamment : Le Correspondant, 1913, I, p. 662
et 663.
(28) Charmes, d�p. des Vosges, chef-lieu de canton de
l'arr. et � 14 km. N.-E. de Mirecourt; sur la Moselle, �
22 km. S.-O. de Gerb�viller. Il n'est pas superflu de
rappeler que l'expression : Trou�e de Charmes, n'a aucun
caract�re g�ographique, moins encore que l'expression :
Grand-Couronn� de Nancy, d'origine militaire, elle
aussi, mais qui, du moins, s'applique � un ensemble
orographique bien d�termin�. La Trou�e de Charmes, terme
purement militaire, d�signe la br�che volontairement
laiss�e, dans le syst�me de fortification con�u par le
g�n�ral S�r� de Rivi�re et adopt� apr�s le trait� de
Francfort, entre le syst�me fortifi� Belfort-�pinal au
Sud et le syst�me fortifi� Toul-Verdun au Nord et
destin�e � canaliser une invasion dans une zone o� le
terrain, loin d'�tre une trou�e et une voie d'acc�s
naturelle, pr�sente au contraire une s�rie de coupures
favorables � la d�fensive.
(29) Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun� ville, canton de
Lun�ville-Sud, � 8 km. N.-E. de Gerb�viller, sur la
Meurthe.
(30) �tat d'esprit du moment qu'avec le recul des ann�es
on reconna�t comme sien, mais avec la m�me curiosit� que
s'il s'agissait d'un autre que soi... tantum mutatus ab
illo. - J'ignorais alors, n'ayant pas de 2e Bureau � ma
disposition, qu'� Bl�mont, les jours pr�c�dents, des
hommes de mon �ge avaient �t� brutalement tir�s de leur
lit par les Allemands pour �tre emmen�s en captivit�.
Cette hypoth�se-l�, sans doute la pire de toutes et
suffisante pour me faire prendre le large, ne retint
donc pas mon attention.
(31) Meurthe-et-Moselle, arr. et � 18 km. S.-O. de
Lun�ville. Chef-lieu de canton � 15 km. O.-S.O. de
Gerb�viller.
(32) Ou, du moins, des �l�ments de deux divisions de
cavalerie; 2e D. C. et 6e D. C. (dragons et chasseurs �
cheval de Lun�ville - dragons et cuirassiers de Lyon)
avec leur artillerie. Le commandant Ch�vre, dans sa
communication du 18 ao�t 1934 au Congr�s historique des
Anciens Combattants de la Trou�e de Charmes, note tr�s
exactement : �� Le 22 dans la soir�e, le corps de
cavalerie install� dans la r�gion de Moyen-Vallois-Seranville
�tait couvert par des �l�ments de la brigade l�g�re de
chasseurs dans la r�gion de Fraimbois et par le 2e B. C.
P. � Gerb�viller. Le 23 pour 9 heures, tous ces �l�ments
avaient franchi la Mortagne �.
(33) Mort pour la France, sous-lieutenant au 56e R. A.
C. (Voir Livre d'Or de l'Institution de La Malgrange,
Nancy, ancienne Imprimerie Vagner, 1923, p. 141).
(34) Bois de la Reine, 2 km. N. de Gerb�viller.
(35) Toute la journ�e, en effet, l'adjudant Ch�vre et sa
section de chasseurs � pied du 2e bataillon (en garnison
� Lun�ville avant la mobilisation) organisent la d�fense
des passages de la Mortagne qui leur sont confi�s. Dans
sa communication du 18 ao�t 1934, le commandant Ch�vre
pr�cise : �� Une ligne d'avant-postes fut �tablie sur la
Mortagne :
2e compagnie � Mont; - 3e compagnie � Lamath; ire
compagnie � Gerb�viller.
Le capitaine Thomassin r�partit sa compagnie en deux
�chelons :
Une section � Haudonville (lieutenant Gamelin) ; Une
section � Gerb�viller (adjudant Ch�vre) ;
Les autres sections sur la croupe � l'Ouest du bois d'Haudonville.
Pour ces unit�s la journ�e du 23 se passa � organiser la
r�sistance sur la Mortagne. �
Dans notre quartier oppos� � la direction de l'ennemi,
nul ne se doute m�me de leur pr�sence, encore moins de
leurs pr�paratifs : �� rues barricad�es sur toute leur
profondeur et largeur; tranch�es profondes en avant du
village. Pas un chasseur dans les maisons. �
(Communication pr�cit�e du commandant Ch�vre).
(36) Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, cant. et � 4
km. S.-E. de Gerb�viller.
(37) En ce d�but de guerre tout cavalier ennemi �tait
volontiers baptis� uhlan. Il ne faut donc pas attacher
ici � ce terme la pr�cision qu'il pouvait avoir dans la
nomenclature de l'arm�e allemande.
(38) Cf. Echo de Paris, 28 ao�t 1915. Notes du
lieutenant Gamelin publi�es par Maurice Barr�s.
(39) Que je ne devais d'ailleurs jamais retrouver par la
suite.
(40) Madame veuve Fran�ois, n�e Thi�ry-Bonneville
(1844-1916), de Nancy.
(41) Mademoiselle C�lestine Wittrich (1854-1932), de
Neuf village, en Lorraine annex�e de langue allemande,
aujourd'hui d�partement de la Moselle, arr. de
Ch�teau-Salins, cant. et � 5 km. O.-S.-O. d'Albestroff.
(42) Tandis que, de l'autre c�t� de la Mortagne, � notre
insu, le pillage et le massacre accompagnaient
l'incendie. Voir Rapports et Proc�s-verbaux d'enqu�te de
la Commission institu�e en vue de constater les actes
commis par l'ennemi en violation du droit des gens,
Imprimerie Nationale, 1915, t. I, p. 27-29, 32-138,
148-168.
(43) Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, canton et �
0 km. 750 au N.-O. de Gerb�viller.
(44) Magnifique marbre blanc, r�plique de celui qui fait
aujourd'hui partie des collections du Mus�e du Louvre
apr�s avoir appartenu aux collections du Mus�e du
Luxembourg de 1871 � 1926. Il avait �t� offert au
marquis de Gerb�viller, en t�moignage de reconnaissance,
par l'auteur auquel son Tarcisius avait valu une
m�daille au Salon de 1867, quand il avait �t� expos� �
Paris, comme envoi de Rome, et qui obtint l'ann�e
suivante pour cette r�plique la m�daille d'Honneur du
Salon. Car c'est sur les indications du marquis de
Gerb�viller, Ernest de Lambertye-Tornielle (1828-1904),
alors � Rome, qui lui en avait fourni le mod�le et
l'id�e, en lui pr�sentant un petit Romain dont il avait
remarqu� le type pour en faire un saint Tarcisius, que
Falgui�re en avait entrepris l'ex�cution. Il para�t
qu'examinant avec le marquis de Gerb�viller la maquette
qu'il venait de terminer, Falgui�re, m�content de
l'effet, eut l'id�e de tailler dans la glaise et de
retirer une tranche de quelque �paisseur de la partie
inf�rieure du corps. Rapprochant et rajustant les deux
morceaux, il obtint alors ce ploiement recroquevill� des
jambes qui, joint � l'expression douloureuse et pure du
visage, donne � cette oeuvre splendide tout son accent
tragique, si remarquablement mis en relief dans la niche
qui lui avait �t� m�nag�e dans sa chapelle par le
marquis de Gerb�viller.
(45) Bronze c�l�bre (Salon de 1863) retrouv� � peu pr�s
intact, quoique mordu par les flammes, apr�s l'incendie
de la chapelle, comme le montre la photographie que nous
publions. Pr�t�e � l'Administration des Beaux-Arts en
1917 pour une exposition des objets d'art mutil�s,
provenant des provinces envahies, exposition qui fut
prolong�e et transf�r�e en Am�rique, cette statue fut
vol�e � Philadelphie dans des circonstances rest�es tr�s
myst�rieuses et, malgr� toutes les d�marches de M. le
marquis de Lambertye, jamais retrouv�e.
(46) Je ne pouvais penser - car alors ces notions
m'�chappaient et il aurait fallu �tre au courant des
intentions du commandement - qu'il ne s'agissait que
d'un combat d'avant-postes, devant une position de
r�sistance que chaque heure gagn�e rendait plus solide
et garnissait d'effectifs plus frais et moins encore que
l'ennemi pr�tait le flanc � la IIe arm�e fran�aise, dont
le chef jetait alors (le 24 � 11 h. 15) les bases de la
contre-attaque victorieuse du 25.
(47) Que leur ont fait ce ch�teau, cette �glise, cette
bourgade paisible dont les maisons n'ont m�me pas servi
d'abri aux chasseurs qui d�fendaient les passages de la
rivi�re ? Re�us � coups de fusils apr�s trois jours
d'une poursuite qui leur avait donn� � penser qu'une
br�che d�finitive �tait ouverte dans notre front, les
Allemands n'ont pu deviner qu'� Gerb�viller se jouait le
pr�lude du redressement fran�ais. Ils ont pr�tendu
faussement, sans avoir jamais pu en apporter la preuve
ou le t�moignage, que les habitants avaient tir� parce
qu'une de leurs premi�res victimes - on l'a su plus tard
- avait �t� un de leurs officiers sup�rieurs un major
(chef de bataillon), tu� par un des premiers coups de
feu des chasseurs de l'adjudant Ch�vre (qui faisaient du
tir ajust� �� au lapin �), comme il p�n�trait dans la
localit� pour en reconna�tre les d�fenses.
Ivres de rage, ils n'en �taient pas � un mensonge pr�s
pour trouver un pr�texte aux atrocit�s auxquelles leur
cruaut� avait vou� notre malheureux pays. Et ce mensonge
�tait si gros que jamais ils n'ont os� en faire �tat
dans leurs r�cits de guerre. Au contraire, voulant
cacher le sort barbare qu'ils ont d�lib�r�ment inflig� �
Gerb�viller sans l'ombre d'une raison ou d'un pr�texte
avouables ou vraisemblables, et alors que, seuls, le
ch�teau et sa chapelle et la tour de l'�glise furent
incendi�s par les obus, ils �crivent dans leur relation
officielle de la guerre : �� Sous le tir efficace des
canons allemands, cette localit� (Gerb�viller) se mit �
flamber, ce qui en rendit compl�tement impossible la
travers�e par nos troupes (Archives du Reich. La guerre,
mondiale, t. I, 5e partie, p. 578). Voil� comme on �crit
l'histoire quand on ne veut pas avouer qu'une section de
chasseurs � pied a tenu en �chec pendant plus de 8
heures une brigade allemande.
(48) Les avant-postes de Lamath et de Mont n'ayant pu
tenir aussi longtemps qu'� Gerb�viller, la retraite de
l'adjudant Ch�vre et de sa section fut particuli�rement
difficile, car les Allemands s'�taient infiltr�s sur la
rive gauche de la Mortagne en aval de Gerb�viller. Apr�s
s'�tre heurt�s � une compagnie allemande qui creusait
des tranch�es aux lisi�res de Gerb�viller et dont ils
r�ussirent � passer inaper�us, les d�fenseurs de la
Mortagne trouv�rent Remenoville occup� par l'ennemi et
ne purent rallier les lignes fran�aises qu'en se jetant
dans les bois au Sud de Gerb�viller et, � la faveur de
la nuit, atteindre le 25 � 3 heures du matin les
avant-postes du 8e C. A. au del� d'Essey-la-C�te
(Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, canton � 8 km.
500 au S.-O. de Gerb�viller). (Communication pr�cit�e du
commandant CH�VRE le 18 ao�t 1934. Voir �galement les
notes du lieutenant GAMELIN dans l'Echo de Paris du 28
ao�t 1915).
(49) Du 166e R. I. (62e Br.-31e D. I.-XXIe C. A.) en
garnison � Bitche avant la guerre.
(50) Instinctif optimisme de la jeunesse ! Pas un instant
l'id�e ne m'effleura que j'�tais peut-�tre bloqu�
d�finitivement dans les lignes allemandes. Ma confiance
dans le succ�s de nos armes ne me laissait pas douter un
instant que ce ne f�t qu'un mauvais moment � passer.
(51) Alors que dans d'autres maisons, tant de
malheureux, au sortir de leur cave, ont �t� accueillis �
coups de revolver ou faits prisonniers (Voir : Rapport
et Proc�s- Verbaux d'enqu�te de la Commission institu�e
en vue de constater les actes commis par l'ennemi en
violation du Droit des Gens, Imprimerie Nationale,
MDCCCCXV, t. 1), j'ai trouv� devant moi un coeur
g�n�reux, une exception dans la masse, un bras indign�
qui refusait d'ex�cuter les assassinats command�s.
Assassinats command�s, car j'ai toujours consid�r� qu'en
pr�cisant : �� qu'il disparaisse pendant trois jours,
sans quoi il serait fusill� �, cet Allemand apportait
une preuve que les assassinats et les atrocit�s commises
par l'ennemi � Gerb�viller avaient �t� prescrits par
l'autorit� allemande et r�sultaient d'un mot d'ordre,
d'une consigne, donn�s par le commandement. Entr� chez
moi en compagnie d'un camarade capable de le d�noncer,
cet Allemand e�t-il pu prendre une initiative aussi
g�n�reuse et tellement compromettante pour lui qu'il
disparut de son c�t�, qu'on ne le revit plus dans la
maison et qu'il fut impossible de gratifier son humanit�
de la moindre bouteille de vin, ni du moindre merci.
J'ai toujours pens� qu'il s'agissait d'un Lorrain, car
les Lorrains et les Alsaciens �taient assez nombreux
dans cette division.
Le Pays lorrain - 1937
Le Bouchon sur la Vague
T�moin invisible et aveugle, je n'ai plus qu'� pr�ter
l'oreille aux bruits du dehors.
Dans la maison, l'ennemi s'installe, criant, vocif�rant,
�parpillant dans le vestibule la paille bruissante. Un
moment, des pas lourds se font entendre dans l'escalier.
Mon coeur se serre, mais ils s'arr�tent au premier �tage.
Ces Messieurs visitent plut�t la cave que le grenier.
Derri�re les Allemands sont entr�s une foule de
sinistr�s, femmes et enfants surtout, pleurant
g�missant, tout �mus des horreurs dont ils viennent
d'�tre les t�moins. Des bribes de conversations me
parviennent.
Je reconnais des voix. Et toujours en plein drame, le
burlesque : au milieu de ces pleurs et de ces cris,
jaillit, tonnante, la voix irrit�e et imp�rative de la
domestique qui clame, en claquant les portes : �� Les
cochons ! Ils m'ont vol� mes haricots ! � Et je
l'entends r�clamer un chef et raconter que le plat de
haricots qui cuisaient sur le feu lui avait �t�
subtilis�, pendant qu'elle avait le dos tourn�. Car
malgr� les circonstances tragiques, elle ne n�gligeait
pas les devoirs de sa charge et ne pouvait admettre que
quelqu'un p�n�tr�t dans sa cuisine.
Petit � petit, le bruit � l'int�rieur se calme.
Du dehors parvient une autre rumeur : dans un m�lange de
cris gutturaux et sauvages, les interjections et les
commandements des Teutons avin�s, o� percent les Hoch !,
les Nach Nanzig !, Nach Paris !, les hymnes guerriers
rejoignent le cliquetis des bouteilles bris�es ou
pouss�es du pied, le fracas des portes et des fen�tres
enfonc�es, des vitres en �clat, le roulement des
caissons pilant le verre qui jonche la rue, le
pi�tinement des bataillons en marche vers l'avant, les
beuglements des bestiaux l�ch�s, les pleurs affol�s des
femmes et les plaintes d'enfants perdus et appelant : ��
Maman ! Maman ! � La nuit tomb�e l'incendie �claire mon
grenier de lueurs dansantes. J'ai un instant la peur de
devenir ou d'�tre devenu fou.
Bient�t c'est presque le silence. En bas les Teutons
ivres ronflent comme des moteurs et l'on peut m'apporter
quelques aliments, du poulet froid, du chocolat et une
bouteille d'eau de Seltz, un pardessus et des nouvelles.
J'apprends le carnage auquel se sont livr�s les
Allemands, les premi�res victimes connues : l'ancien
instituteur Fran�ois, abattu d'un coup de revolver quand
il sortait de sa cave dans la rue, M. le cur�, emmen�
comme otage. Jusqu'� pr�sent tous les miens sont sains
et saufs et r�unis chez moi, car la maison Labrevoit,
comme la maison de mon grand-p�re Godfrin (1), est en
flammes. Mais la cuisini�re de ce dernier a disparu (2).
La formule livresque : �� � feu et � sang � danse dans ma
t�te, comme une scie obs�dante. Aucun incendie aux
environs imm�diats. Mon oncle Labrevoit me recommande de
ne pas bouger et me fait dire qu'il n'a pas le courage
de monter lui-m�me et de me voir dans cette position
mis�rable. Une liaison sera assur�e toutes les fois que
la chose sera possible sans �veiller l'attention, par sa
soeur, ma tante Labrevoit (3), ma grand'm�re et la
domestique, qui, seules avec lui, ont connaissance de ma
pr�sence et de ma cachette. Pour �viter les impairs
possibles, � cause de sa surdit�, et en m�me temps le
tranquilliser, on a fait croire � mon grand-p�re que
j'avais pu partir dans la journ�e et c'est la version
r�pandue parmi les sinistr�s qui ont envahi la maison.
Un officier allemand se pr�lasse dans mon lit et c'est �
grand'peine que les divers membres de ma famille ont pu
se r�server les matelas o� ils vont s'�tendre tout
habill�s. On me rapporte �galement ces propos d'un autre
officier allemand au docteur Labrevoit : �� Votre pauvre
pays ! �a ! c'est du vandalisme ! � (4) Dans l'obscurit�
et la solitude la clart� de l'incendie m'inqui�te. Je me
d�chausse et, avec mille pr�cautions, retenant ma
respiration et l'oreille tendue, je sors de ma cachette.
Puis, � l'aide de mon �chelle, je monte successivement
aux lucarnes tourn�es vers les quatre coins de
l'horizon. Le vent est bon et, toujours des secteurs
Ouest, �carte les flamm�ches. De plus nul feu n'est
allum� dans les environs imm�diats, car, � cette heure,
et je ne m'en doute pas, l'�nergique soeur Julie est
intervenue pour arr�ter l'incendie dans notre quartier
(5).
Mais quelle vision infernale dans la s�r�nit� d'une
belle nuit d'ao�t ! Les �toiles p�lissent devant la
flamme qui monte de la ville en feu. Le clocher tout
proche domine le sinistre comme une haute torche. Des
millions d'�tincelles grimpent vers les astres en une
danse fantastique et, dans le craquement des poutres et
des planches, les pierres disjointes tintent en
d�gringolant des murs vers le sol. Dans cet
an�antissement, que de souvenirs engloutis : dans la
maison de mes arri�re-grands-parents, toute pleine des
absents, et dans les demeures amies o� se sont �panouies
jusqu'� hier nos exub�rances de jeunesse
!
Soeur Julie.
Malgr� l'horreur qui m'environne, je peux, dans ma
cachette r�int�gr�e, m'endormir profond�ment, rassur�
sur les risques d'incendie.
C'est un violent coup de canon qui me r�veille le mardi
25 ao�t aux premi�res heures du jour, alors que la
chaleur �touffante de la veille a fait place sous les
tuiles � la plus p�n�trante fra�cheur. Se sent-on plus
pr�s du ciel quand on n'en est s�par� que par
l'�paisseur d'un toit ? Ma premi�re pens�e en cette
aurore du 25 ao�t est une pri�re qui jaillit, ardente,
convaincue de son efficacit�, car j'y mets
instinctivement tout l'effort que je ne puis porter
ailleurs : �� Saint Louis, roi de France, saint Louis,
f�t� chez nous jusqu'� l'ann�e derni�re, comme la f�te
de famille par excellence, la f�te du p�re et du chef,
saint Louis, aux enfants de vos sujets qui d�fendent
leurs foyers, � nos canons qui tonnent, donnez la
victoire, aidez-les � repousser l'ennemi et sauvez-nous
! �
La premi�re liaison que j'ai avec le monde ext�rieur
m'apprend que les Allemands qui cantonnaient � la maison
l'ont quitt�e de bonne heure. On respire plus � l'aise.
Aucun des miens ne manque � l'appel. La nuit a �t� tr�s
agit�e. All�es et venues incessantes de sinistr�s,
cherchant un abri, des parents, des amis, des voisins,
Une fillette bless�e, la petite Solange Schneider, que
sa m�re emportait toute sanglante dans ses bras, a �t�
h�berg�e un instant � la maison (6). Puis ce fut le
d�part des troupes allemandes. Et maintenant la bataille
s'est rallum�e tout pr�s de nous. Le d�fil� des
r�giments allemands qui vont au feu est ininterrompu.
Mais ils ont autre chose � faire aujourd'hui que de
s'occuper des malheureux habitants de Gerb�viller. Mon
oncle est retourn� � l'hospice pour y panser les bless�s
et aider les soeurs autour des m�decins allemands. Nous
sommes nettement en dehors de la ligne de feu. Il n'y a
qu'� prier : �� Saint Louis ! saint Louis ! saint Louis !
� La canonnade redouble. La bataille se fait plus
intense, comme la chaleur du jour qui rend � nouveau
suffocante l'atmosph�re de ma soupente. J'en sors avec
plus de pr�caution encore que dans la nuit pour tenter
un tour d'horizon et t�cher, par les mansardes, tr�s
discr�tement, de jeter un coup d'oeil dans la rue. Tout
Gerb�viller qui ach�ve de se consumer fume encore. Par
ci, par l�, un toit encore intact. En face de chez moi,
la maison de Madame Victor Henry (7), ma cousine, para�t
pleine de r�fugi�s, au milieu desquels elle-m�me va et
vient de son train alerte. Des soldats allemands se
reposent sur son trottoir ou adoss�s au mur et � la
grille de son jardin. Une colonne de cuisines roulantes
monte la rue. C'est la premi�re fois que je vois cet
ustensile dont l'arm�e fran�aise est d�pourvue.
L'officier qui la commande s'arr�te pour demander son
chemin. J'entends qu'on lui r�pond : �� Mais vous tournez
le dos � Fraimbois ! � C'est pour les Allemands la
direction de l'arri�re et comme on croit facilement ce
qu'on d�sire, j'y vois un signe de retraite. Vers midi
mon oncle Labrevoit quitte l'hospice pour se restaurer
et se reposer un instant � la maison. �� Ils sont en
train de recevoir une pile, me fait-il dire, les bless�s
allemands affluent � l'h�pital; je panse des blessures
terribles, dont je n'avais pas id�e, produites par obus.
Notre 75 fait merveille. Et un m�decin allemand qui dit
quelques mots de fran�ais m'a d�clar� d'un air qui en
disait long : �� Oh ! c'est une chaude bataille ! � Quel
meilleur assaisonnement pour les quelques rogatons qu'on
peut m'apporter !
Vers 2 heures de l'apr�s-midi, toujours circulant avec
mon �chelle d'une lucarne � l'autre, pour observer tout
ce que je pouvais de la bataille, je vois, non plus des
cuisines roulantes ou des convois de ravitaillement,
d�filer dans le bon sens, c'est-�-dire vers l'arri�re,
en retraite, mais bien des troupes combattantes qui
viennent de la direction de Remenoville ou de Moriviller
(8). Et les bataillons se suivent, harass�s, m'apportant
l'espoir de la d�livrance. Quelle diff�rence d'allure
avec les cris, les �� Hoch ! � et les �� Hurrah ! � de la
veille au soir ! Une ombre pourtant � ce spectacle
joyeusement r�confortant : en queue d'une colonne,
quatre de nos soldats, prisonniers et bless�s, suivent
p�niblement, d�sarm�s et livides. Je pense au malheureux
�vad� de l'hospice la veille. Est-ce l� son sort ?
D'heure en heure, la retraite s'accentue. A la fin du
jour, sur le vieux banc de pierre des Guyon, un feldgrau
�reint�, le fusil entre les jambes, se repose l'oeil
morne et vide. La maison est bient�t envahie par des
fantassins allemands qui cantonnent dans notre quartier
intact, mais combien plus calmes que ceux d'hier ! Ils
ont l'air, ce soir, apprivois�s. Ce n'est pourtant pas
encore le moment de me montrer.
�� Qu'il disparaisse pendant trois jours !... �
Quand la nuit ach�ve de tomber, c'est par les routes de
Seranville et de Remenoville, non plus l'infanterie qui
se replie, mais l'artillerie au trot, lanc�e dans nos
rues obscures et encore enfum�es, dans le tonnerre des
roues et les glissades des chevaux au milieu des culs de
bouteille bris�es, des cris des conducteurs et des
�-coups d'une retraite effectu�e �� l'�p�e dans les reins
�. Des tableaux de la Galerie des Batailles se
projettent dans mon imagination. Et je suis persuad�
qu'au bout de cette d�route, les n�tres vont d�boucher,
vainqueurs et lib�rateurs. Dans la nuit de ma soupente,
j'�coute avidement ce tintamarre qui sonne � mon coeur
anxieux une fanfare de f�te, annonciatrice de la
victoire et de la d�livrance : �� Saint Louis, saint
Louis ! � (9)
C'est pourtant encore un calme relatif qui r�gne �
nouveau quelques heures plus tard.
Le mercredi matin, apr�s le d�part des troupes
allemandes, qui nous ont quitt�s t�t dans la nuit, notre
quartier para�t d�sert. La bataille reprend, plus
proche, mais moins intense. Cette fois nous sommes en
pleine ligne de feu; il est manifeste que nous sommes
entre les deux lignes d'artillerie adverses. De mon toit
je distingue nettement les coups tir�s au sud-ouest par
l'artillerie fran�aise des coups tir�s au nord-est par
les pi�ces allemandes et les deux s�ries de trajectoires
de sens oppos�s que je m'amuse � suivre � l'oreille dans
le ciel, r�alisant distinctement la vo�te virtuelle dont
elles m'enveloppent. Je n'aper�ois aucun point de chute.
De temps en temps un coup fusant �clate haut dans le
ciel, tant�t � droite, tant�t � gauche. Ce duel
d'artillerie ne s'intensifie � aucun moment. Nos rues
sont libres. Plus d'Allemands, sauf quelques
patrouilles. Je me hasarde � descendre � la cave.
D�sagr�able surprise pour quelques personnes r�fugi�es �
la maison qui d�s lors ne leur para�t plus s�re et vont
camper ailleurs. J'�prouve une satisfaction, aussi vaine
que malicieuse, � me sentir compromettant. Mon oncle
Labrevoit, pourtant, estime que je commets une
imprudence et m'engage � remonter dans ma cachette. Des
patrouilles peuvent entrer d'un moment � l'autre. En
m�me temps j'aper�ois par le soupirail ouvert les jambes
de quelques Allemands qui, le fusil � la main,
s'avancent avec pr�caution au milieu de la rue. Je
remonte au grenier, s�jour d'ailleurs infiniment plus
agr�able, car j'y suis comme � un observatoire.
L'apr�s-midi, entre les coups de canon, on per�oit de
temps en temps des coups de fusil, plus ou moins
nourris, des rafales espac�es de mitrailleuses. L'action
d'infanterie para�t tr�s rapproch�e. Il est bien tentant
de se rendre compte de la tournure que prennent les
op�rations. Malheureusement mes vues sont tr�s
restreintes. Vers la ville, rien que le champ des ruines
et son rideau de fum�es. Deux maisons qui n'avaient pas
�t� incendi�es le lundi, les maisons H�rique et Picot au
faubourg Saint-Pierre, et qui ont pris feu plus tard,
ach�vent de se consumer. La tour de l'�glise,
terriblement mutil�e, a pris une silhouette tragique.
Vers le Sud j'aper�ois la plus grande partie de la
Christienne (10). Apr�s de longues minutes
d'observation, je distingue enfin tout un d�tachement de
fantassins allemands, peut-�tre une demi-compagnie, dans
la position du tireur couch�, en de�� d'une haie �
travers laquelle ils sont pr�ts � faire feu. L'uniforme
�� feldgrau� quand le soldat est immobile le fait
vraiment dispara�tre dans le paysage. Sur le chemin qui
gravit la c�te, un cavalier allemand s'avance au trot
vers le sommet. Il s'approche des fantassins, puis
repart comme il �tait venu. Deux hommes se d�tachent du
groupe et d�roulent sur l'herbe un drap blanc, panneau
de signalisation pour l'aviation ou l'artillerie. Je
prolonge mon guet sur l'�chelle dans l'attente de ce qui
va se passer, mais plus rien ne bouge.
On replie le panneau.

Gerb�viller. Eau forte de V. Prouv�.
En bas, dans le jardin de la maison voisine qu'habite le
successeur de mon p�re, Me David, notaire, je vois
passer le principal clerc, Joseph B�d� (11), � qui a �t�
confi�e la garde de l'�tude. C'est un familier de la
maison qui m'est rest� tr�s attach� et que je suis
heureux de voir sain et sauf. Mais je n'ose
l'interpeller, bien qu'il soit presque � port�e de la
voix basse.
Au passage � niveau un cavalier allemand est en faction,
serr� contre le mur des maisons qui bordent la droite de
la rue, observant la route de Remenoville et les cr�tes
toutes proches. De ma lucarne, je vois de l'autre c�t�
de la cr�te, sur la pente qui descend vers le ruisseau
(12) de Haudonville, ou de Moranviller, (13), un
cavalier galoper pour aborder la cr�te de biais, sans la
d�passer, en se dissimulant, cherchant ostensiblement �
voir sans �tre vu. Son allure, la teinte fonc�e de son
uniforme, tout me dit que c'est un des n�tres. Mais il
dispara�t avant que cet espoir puisse devenir une
certitude. J'en garde la conviction que nos troupes
approchent. Je les sens, je voudrais les appeler; il y a
maintenant pr�s de 24 heures que je les attends.
Sur la fin du jour une batterie fran�aise qui para�t
toute proche se met � chanter de sa voix franche et
agressive, faisant �clater les carreaux subsistants du
sac de l'avant-veille. Je fais ma r�apparition � la
cave. Elle redevient plus s�re au moment o� le combat se
rapproche de nous et il y a de moins en moins de danger
� me montrer. L'attitude de l'ennemi est nettement
pass�e de l'offensive � la d�fensive.
Une nouvelle fois la nuit vient suspendre les op�rations
et apr�s une fusillade nourrie et prolong�e qui nous
donne l'impression d'�tre au beau milieu de la bataille,
le combat s'arr�te � quelque cent m�tres de la maison,
aux lisi�res ouest de Gerb�viller. Quelques heures
apr�s, dans la soir�e, un groupe de 3 ou 4 soldats
allemands passe dans le quartier, cherchant on ne sait
quoi, qu�tant des vivres, ou un g�te, peu hardis, tels
des maraudeurs qui craignent d'�tre pris en faute,
peut-�tre des candidats d�serteurs ? D�cid�ment, nos
affaires vont bien.
III
La vie cependant devient bien difficile dans Gerb�viller
en ruines et sous le feu. Les vivres se rar�fient et le
ravitaillement est pour le moment impossible. Il faut
absolument abandonner un pareil s�jour et profiter de la
nuit pour gagner, provisoirement, � l'arri�re, une zone
plus habitable, hors du champ de bataille. Tous debout �
1 heure du matin, le jeudi 27 ao�t, nous d�lib�rons sur
l'opportunit� du d�part. La d�cision est bient�t prise.
En parcourant la maison, o� je rel�ve les traces du
passage de l'ennemi : confitures r�pandues sur les
meubles du salon, heureusement recouverts de leurs
housses, d�jections align�es dans le vestibule et
marquant chacune des places occup�es et le relent infect
qui s'en d�gage, je retrouve ma bicyclette et je la
pr�pare. Mais on ne mobilise pas facilement des femmes
et des vieillards peu ingambes. Ce n'est qu'un faux
d�part. Les h�sitations reprennent. J'en retiens cette
belle d�claration de la domestique : �� Si Madame ne s'en
va pas, je reste ! � Tout le monde redescend � la cave,
car les Prussiens avaient pr�venu que la bataille allait
reprendre au petit jour. A quatre heures du matin, tout
est encore calme. Vers cinq heures, on sort les t�tes
aux portes. Pour la premi�re fois, depuis le lundi 24, �
4 heures et demie du soir, je me montre sur le trottoir.
Les ruines fumantes cessent � l'hospice et notre
quartier proprement dit n'a pas chang�.Mais on ne voit
que des visages d�figur�s, p�les et amaigris, beaucoup
hagards, presque m�connaissables, tel M. Li�gey (14)
poussant des bestiaux qu'il emm�ne je

ne sais o�. La rue est jonch�e de verre pil�. Vers 5
heures un quart ou 5 heures et demie des cavaliers
apparaissent � la barri�re du chemin de fer, comme
quinze jours plus t�t les chasseurs de Beaune. Je les
reconnais aussit�t pour des dragons fran�ais. La vue de
nos uniformes dans cette atmosph�re empest�e, puant le
prussien jusque dans la rue, c'est comme un courant
d'air pur et sain. Et me voil� courant dans la maison,
pour annoncer la bonne nouvelle et criant, dans une joie
folle, les larmes aux yeux : �� Nous sommes sauv�s !
Voil� nos dragons ! � Je ressors et mon oncle Labrevoit
me fait rentrer, croyant que ce sont encore des
Allemands. N'y avait-il pas une seconde plus t�t un
uhlan pr�s de la mairie ? Mais le doute n'est plus
possible. Alors, brusquement, ma d�cision personnelle
est prise. Las de me cacher dans le grenier, de vivre
dans des transes inutiles, constituant un danger pour la
maison, je me r�souds � fuir dans les lignes fran�aises,
avec l'id�e de revenir derri�re nos troupes en ne
restant s�par� des miens que quelques jours, quelques
heures peut-�tre, le temps de pr�parer leur propre
retraite. Je cours � la cave pour les embrasser et leur
annoncer mon d�part et apr�s cet adieu rapide, un
dernier regard sur nos ruines pantelantes, laissant en
toute confiance ma maison dans les lignes fran�aises, je
m'�loigne, la bicyclette � la main. A la gendarmerie un
mar�chal des logis de dragons m'arr�te et me demande mon
identit�. Je me d�clare fugitif, d�sirant me mettre �
l'abri dans les lignes fran�aises. Il m'envoie au
colonel ou au g�n�ral que je rencontrerai sur la route
et me recommande de fuir au plus vite si je ne veux pas
�� recevoir des pruneaux �. D�j� l'instant d'avant mon
d�part un coup de feu avait �t� tir� dans le bas de
notre rue. Je roule en bicyclette sur la route de
Remenoville, pensant gagner Charmes. Aux �� Noyers de
Chapp�e (15) � peu s'en faut que je tombe dans le
cadavre d'un Prussien, �tendu en travers de la route et
que, dans le jour un peu gris, je n'avais pas aper�u.
J'ai un double sursaut involontaire, d'abord parce que
je ne le crois pas tu�, ensuite parce que c'est le
premier mort que je vois autrement qu'en un lit entre
deux cierges. Mon frisson s'est vite �vanoui dans une
impression de soulagement en constatant qu'il est hors
d'�tat de nuire.
Je remarque bient�t d'autres cadavres allemands dans les
houblonni�res et les champs voisins. Ce sont les traces
du combat qui a termin� la journ�e la veille au soir. Je
ne rencontre plus personne, ni morts, ni vivants,
jusqu'au Petit Mezan (16).
L� je rattrape le cantonnier Finot et son fils qui vont
� Charmes � pied et je leur donne un peu du chocolat que
j'avais pris la pr�caution d'emporter, car ils meurent
de faim. A partir de la Tuilerie (17), notre infanterie
s'avance lentement, en lignes de bataille �chelonn�es,
qui barrent tout le vallon. Sur la route de nombreuses
estafettes, des officiers, qui, tous, m'arr�tent et
m'interrogent. L'un d'eux, un commandant, me demande mon
nom, puis des nouvelles de ma famille, qu'il conna�t
bien, car il est le gendre de Me Bertrand, l'ancien
notaire de Lun�ville et, en cours de manoeuvres, a d�j�
log� � la maison. Cette rencontre inattendue au milieu
de cette arm�e en marche, � deux pas de l'ennemi, dans
des conditions qui me rendent presque �tranger un pays
familier, me met du baume au coeur (18).
J'ai fait � peu pr�s jusqu'� Remenoville la route �
pied, sous la pluie qui commen�ait � tomber, car le
grand beau temps des jours pr�c�dents a fait place au
ciel gris. Des cadavres d'hommes et de chevaux dans les
champs. Des retranchements abandonn�s la veille par les
Allemands.
Nos soldats me montrent les pins de la �� Corv�e du
H�risson � (19) en me disant

Photo Bastien
Le champ de bataille entre Gerb�viller et Moyen. Le
viaduc et la passerelle sur la Mortagne.
que la veille au soir on s'y est beaucoup battu. Pauvre
Corv�e ! Quelles promenades y ferai-je encore d�sormais?
A l'entr�e de Remenoville, je rencontre les premiers
cadavres fran�ais. Nouveau frisson, combien douloureux
et prolong� ! Derri�re un petit mur de jardin qui est �
gauche un peu avant l'entr�e du village (20) des
fantassins, sur un rang, broy�s par le tir ennemi, sont
l�, crisp�s, ayant encore le fusil � la main. Plusieurs,
fig�s par la mort instantan�e, le fusil en joue, sont
rest�s debout, soutenus par le mur auquel ils
s'appuyaient, l'oeil � la hausse, comme hypnotis�s dans
un tir �ternel (21).
En arrivant � Remenoville, je vais � la cure. Quelques
maisons seulement du village �taient br�l�es. Je ne
trouve au presbyt�re que les parents du cur� car
celui-ci, mon ancien ma�tre, l'abb� Drouville, a �t�
arr�t� la veille et pr�venu d'espionnage dans les
conditions suivantes : � peine Remenoville r�occup�e par
l'arm�e fran�aise au matin du 26, les Allemands se
mirent � canonner le village. Une maison prit feu. Un
habitant de Bonviller (22) r�fugi� � Remenoville chez
ses beaux-parents courut � l'�glise pour sonner le
tocsin. Il fut aussit�t arr�t� comme espion et soup�onn�
d'avoir voulu faire un signal � l'ennemi. Averti, le
cur�, connaissant l'honorabilit� de l'accus� et certain
de son innocence, s'interposa en sa faveur aupr�s du
colonel commandant le 333e R. I. (23). Pendant ces
explications un soldat s'�cria : �� C'est un faux pr�tre
! Il n'a pas de tonsure ! � A ces mots le colonel mit
�galement l'abb� en �tat d'arrestation et le fit
emmener; ses parents ne savent ce qu'est devenu leur
fils et sont profond�ment d�sol�s d'une pareille
aventure (24). Je leur demande un peu d'eau, car j'ai
tr�s soif et n'ai sur moi qu'un peu de chocolat et des
oeufs durs.
Un soldat me conduit, en sortant de la cure, vers le
g�n�ral de division install� � Remenoville, pour obtenir
un laissez-passer pour Charmes. On me fait entrer dans
la salle � manger de la maison Bailly o� si�ge tout
l'�tat-major. Je me pr�sente au g�n�ral, d�cline mes
noms et qualit�s. Je lui dis que je compte m'abriter
derri�re les lignes fran�aises pour revenir dans
quelques jours � Gerb�viller o� est rest�e ma famille et
o� doit me rejoindre ma feuille de route de la classe
14. Le g�n�ral me fait raconter ce que j'ai vu depuis le
lundi matin et pour la ne fois depuis mon d�part, avec
plus d'ordre et de d�tails cette fois peut-�tre, je
recommence mon r�cit. Un capitaine prend note de mes
d�clarations. Le g�n�ral se donne la peine de
m'expliquer que, la veille au soir, c'est la nuit qui a
arr�t� le combat aux portes de Gerb�viller, au moment o�
nous r�ussissions � repousser une contre-attaque des
Allemands, car, mis en confiance, j'avais termin�, avec
autant de toupet que de na�vet�, en exprimant mon
�tonnement que Gerb�viller n'ait pas �t� r�occup�e d�s
la fin de la journ�e pr�c�dente. Mais il ajoute que nous
continuons � avancer et que d'ici � quelques jours je
pourrai fort probablement retourner � Gerb�viller
compl�tement d�gag�e. Il me fait encore pr�ciser
l'impression produite par les troupes allemandes et le
moral apparent de l'ennemi. Enfin, � ma grande
stup�faction, il me demande � quel endroit, � mon avis,
se sont repli�s les Allemands. Je lui indique comme
ligne ennemie probable la lisi�re des for�ts sur la rive
droite de la Mortagne (25). A la fin de
l'interrogatoire, le g�n�ral me demande : �� Alors!
Qu'est-ce que vous avez mang� ces jours-ci ? � Et il
m'offre une tranche de viande froide sur un morceau de
pain que j'accepte avec plaisir. Il me signe ensuite le
laissez-passer qu'avait pr�par� sur une feuille arrach�e
d'un bloc-notes un de ses officiers. J'apprends alors
que j'avais affaire au g�n�ral Vidal, commandant la 31e
division d'infanterie du 16e corps. Ce papier me dirige
sur Clayeures (26) o� le commandant de corps d'arm�e
doit m'en donner un autre.
La pluie a cess�. Me voil� parti vers Moriviller par un
chemin affreux, dans une boue liquide, au milieu des
convois et des troupes. Ce gentil chemin accident� qui
relie Remenoville � Moriviller, que j'ai parcouru
plusieurs fois, � cheval, aux vacances derni�res,
traverse une r�gion o� la lutte a �t� tr�s dure,
notamment � la pointe du bois de R�thimont o� une
batterie allemande a d� �tre prise sous le feu de nos
canons. Beaucoup de cadavres d'hommes et de chevaux.
D'immenses trous dans les champs, creus�s par les obus.
Des caissons abandonn�s, des roues bris�es, des sacs,
des tranch�es, de la charogne, des corbeaux et des
ramiers dans le ciel et, sur les arbres, des mirabelles
tranquilles et dor�es. A chaque pas des souvenirs me
montent � la t�te et me donnent le vertige. Quelques
ann�es plus t�t, en suivant sur ce chemin les grandes
manoeuvres d'automne, nous avons vu ici, mon p�re et moi,
derri�re cette cr�te une batterie d'artillerie en
action. O� est le simulacre ? O� est le r�ve ? Une fois,
� bicyclette, j'ai r�veill� l� un renard qui dormait sur
la route et, plus loin, je me revois dans notre vieux
pha�ton, attel� de �� Coco �, quand nous allions faire
des testaments...
La route est encombr�e par tout un groupe du 3e r�giment
d'artillerie lourde, pr�t � remettre en batterie ses
gros canons de 155 court. Je raconte une nouvelle fois
mon odyss�e � des officiers qui me disent que ce sont
eux, la veille au soir, entre 6 et 7 heures, qui ont
cass� nos carreaux. Avec bien du mal, j'atteins Moriviller o� quelques maisons br�lent encore. J'y
trouve un encombrement de troupes de toutes armes et de
fugitifs de Gerb�viller et d'Haudonville. Je bois �
grandes lamp�es � la fontaine, car la soif ne me quitte
pas. Je monte ensuite la c�te vers Clayeures. L� encore
on s'est beaucoup battu. Des tranch�es abandonn�es par
les Allemands sont utilis�es par nos troupes; encore et
toujours des cadavres. Des fum�es de bivouac, des autos,
des fourgons et des coups de canon tir�s par les
Allemands dont on voit les obus �clater en l'air, au
milieu de leur trajectoire, au grand amusement de nos
soldats gouailleurs (27). Dans les champs, des petites
croix de branchages plant�es le matin m�me sur les
tumuli tout frais o� sont enterr�s les n�tres. Quel beau
champ de bataille que ces collines et ces vall�es et
quelle sublime et tragique aur�ole estompe leurs
contours familiers d'une lumi�re grise � la fois fun�bre
et radieuse ! Car sous ce ciel de cendres et sur ces
tombes toutes chaudes fleurit la victoire de la France.
On viendra fi�rement visiter ces coteaux glorieux, comme
nous avons �t� v�n�rer dans la tristesse et l'esp�rance
ceux de Wo�rth et de Reichshoffen, mais on n'y reverra
pas ce que, seuls, nous avons vu, nous, les t�moins du
drame, grav� � jamais dans nos coeurs et sur la terre de
nos champs si ch�rement reconquis.
Du haut de la c�te de Clayeures, o� je suis vers 10
heures, je me retourne pour contempler, comme j'en ai
l'habitude, chaque fois que je passe par l�, le panorama
qu'on y d�couvre. On devine � peine les Vosges, quoique
le temps s'�l�ve. Mes yeux sont imm�diatement attir�s
vers un point o� je voyais toujours briller au soleil la
fl�che d'ardoise du clocher de chez nous. Et je ne peux
distinguer que les ruines d�sol�es et fumantes de la
tour que j'ai vue en flammes trois jours plus t�t. Je
repars vers Clayeures en faisant un effort pour
m'arracher � ce paysage et dans la brume, face � moi,
m'apparaissent la C�te et la Vierge de Sion (28).
Ensemble prenant, �mouvant, qui m'arrache des larmes et
une pri�re : ce champ de bataille encore tout sanglant,
nos for�ts et le grand ciel gris de Lorraine, piquet�s
d'�clatements d'obus, Sion, le saint autel de la Patrie,
les tombes de ceux des n�tres qui, dans le don de soi,
ont abandonn� les mis�res de la terre et les miens
l�-bas, terr�s au milieu de nos ruines !
La ferme de Rom�nil (29) �t� saccag�e et pill�e. Des
porcs �ventr�s sont �tendus sous les mirabelliers.
A Clayeures l'�tat-major du 16e corps est install� dans
la grande maison qu'on appelle le ch�teau (30). Sans me
faire entrer, ni me demander quoi que ce soit, un
commandant bourru me vise mon laissez-passer pour Bayon.
Je songe du reste qu'il est pr�f�rable de gagner Bayon
plut�t que Charmes. L'�loignement est moindre et je
serai moins isol� � Bayon o� la Sup�rieure de l'hospice,
soeur Madeleine, ne me refusera sans doute pas
l'hospitalit�.
Pass� Clayeures, la circulation est plus facile. Je sors
du champ de bataille.
La prairie de l'Euron � Froville (31) est encombr�e par
un parc d'artillerie dont les sections de munitions
s'alignent le long du chemin. Au carrefour o� la route
qui m'am�ne de Gerb�viller rejoint la route de Bayon �
Baccarat (32), je m'arr�te pour consommer mes
provisions, mon chocolat, mes oeufs, le pain et la viande
du g�n�ral, avec pour dessert des mirabelles; il n'y a
qu'� se baisser pour en ramasser; il en pleut sur la
route.
Je suis � Bayon � midi et demi, re�u � bras ouverts �
l'hospice, par nos �� ch�res soeurs � de Saint-Charles. On
me donne une bouteille de bi�re que j'ai vite fait
d'avaler, tout en reprenant une fois de plus le r�cit
des trois journ�es pr�c�dentes.
Apr�s les visions tragiques et les angoisses du champ de
bataille, les mis�res et les douleurs de l'h�pital. Des
morts partout, jonch�s de fleurs, de bouquets et de
rubans tricolores. Des bless�s. Des Prussiens
prisonniers. Des plaies, du sang, des g�missements. Je
me mets aussit�t au service des Soeurs et d�s le soir
m�me, j'�cris des lettres pour les bless�s. J'�crivais
sous la dict�e, au milieu des plaintes, mais pour la
joie de ces braves dont les yeux s'illuminaient de
reconnaissance. Quelques-uns pleuraient comme des
enfants. J'ai �crit des lettres � des p�res... � des
m�res... J'ai trac� ces mots que je n'avais jamais
�crits : �� Ch�re Maman! � et j'avais peine � ma�triser
mon �motion. Certains n'�crivaient, et pour cause, qu'�
leurs grands-parents et je pouvais compatir � leur
deuil; d'autres � leur petit fr�re, � leur soeur,
beaucoup, des r�servistes, � leur femme. Tous n'avaient
qu'un souci : �viter d'affoler leur famille.
Le vendredi 28 ao�t, relativement aux jours pr�c�dents,
est une journ�e calme et reposante. J'ai l'espoir que
bient�t Gerb�viller sera lib�r�e. On entend la canonnade
de ce c�t�-l�, plus forte que la veille. J'en conclus
que notre offensive continue et que les Allemands sont
repouss�s. Mes r�serves d'optimisme ne sont pas
�puis�es. Mais le soir, arrive un adjudant, bless� �
Gerb�viller m�me. Il me dit que le combat y est tr�s
dur. Les Allemands sont retranch�s sur la rive droite
et, � l'entendre, ils ont d� reprendre ce qui reste de
la localit� !
Le lendemain, je tente, � bicyclette, une pointe vers
Gerb�viller. Elle �choue devant un flot de fugitifs qui
m'assurent qu'on ne peut aller jusque-l�. J'ai vu alors
Louis Jacquemin (33) qui, pris par les Allemands le 24,
avait failli �tre fusill�, les Bombardier, Kislique
(34), etc. On am�ne � l'hospice le corps du colonel
Champion (35), commandant le 2e dragons, tu�, me dit-on,
pr�s d'un gu�, en amont de Gerb�viller.
Le Gu� Rudan! L� o� nous allions si souvent nous baigner
dans un site d�licieusement agreste et virgilien (36) !
Est-ce possible?
Le dimanche 30 ao�t, apr�s la messe, j'ai des nouvelles
de Gerb�viller et de la maison par les dames Boulanger,
Joly et Marin qui arrivent en voiture. J'essaie m�me d'y
faire aller leur voiture pour chercher les miens. Mais
le commandant d'�tapes qui commande � Bayon et par
lequel il faut passer, le commandant du Theil (37), me
fait savoir avec la plus grande courtoisie que la chose
est absolument impossible. Tout angoiss�, car les
nouvelles qu'on me donne ne me rassurent qu'� demi, je
cherche � me rendre utile. Je �� touche � � la gare 200
boules de pain pour les soldats bless�s de l'h�pital et
j'en am�ne une partie sur une charrette � bras.
Le lundi matin, je vais � bicyclette jusqu'� Rozelieures
(38) dont l'entr�e m'est interdite par des sentinelles.
Impossible d'aller plus loin. Le canon tonne tr�s fort,
en effet, au-dessus de chez nous. Et nos batteries sont
encore install�es tout pr�s du village. On n'a pas fini
d'enterrer les morts de la journ�e du 25. Je r�cite
quelques pri�res sur les tombes que je rencontre,
pendant que des soldats passent en chantant sur la
route. Je ramasse des �clats d'obus. Je mange des
mirabelles. Dans les bivouacs les soldats en font cuire
dans leurs bouteillons. Il fait extr�mement chaud.
M. Gauthier, de Bayon, dont l'automobile est
r�quisitionn�e, part avec des dragons pour la ligne de
feu et me promet de t�cher d'aller jusqu'� Gerb�viller
et d'en tirer ma famille. Je confie � un dragon du
lieutenant Ramasse un mot pour elle. Sera-t-il jamais
parvenu ? Ce cavalier me fait l'�loge de son lieutenant
qui a provoqu� la veille l'admiration de ses hommes dans
les environs de Gerb�viller (39).
Je m'occupe encore d'amener de la gare le pain destin�
aux bless�s de l'h�pital. La tentative de M. Gauthier
�choue, Gerb�viller demeure sous le feu, en plein
danger, inabordable.
Mardi 1er septembre. On proc�de, dit-on, � l'appel de ma
classe (40). Il me faut donc gagner Nancy, r�clamer �
l'autorit� militaire l'affectation qu'elle n'a plus le
moyen de me faire parvenir et partir b�tement vers
l'arri�re, quand on se bat chez nous, quand les miens
sont encore en premi�re ligne, quand il y aurait ici
tant de services � rendre. Discipline ! Je r�fugie mon ��
cafard � � l'ombre du grand marronnier du jardin de
l'hospice, pendant qu'au del� de l'horizon tout proche,
presque sous mes yeux, le canon tonne dans le grand ciel
bleu, au-dessus de Gerb�viller. Minutes douloureuses. Je
d�cide d'attendre jusqu'au surlendemain 3 septembre.
Le 2, rien de nouveau. Gerb�viller toujours inabordable.
La circulation de plus en plus difficile. Dans la
d�tresse g�n�rale les coeurs se resserrent et j'ai trouv�
� Bayon d'innombrables sympathies, aupr�s de M.
Belhomme, ancien notaire (41),

Gerb�viller. - Eau-forte de Victor-Prouv�.
de M. Gauthier, de M. Marchal, le v�t�rinaire (42),
aupr�s des Soeurs de l'h�pital et surtout de leur
excellente Sup�rieure, soeur Madeleine, qui connaissait
bien Gerb�viller o� elle avait �t� avant d'�tre � Bayon,
aupr�s des �migr�s de Gerb�viller, mes compatriotes, et
ce mot, en de telles circonstances, repr�sente une
puissante r�alit� : les Jacob, Auguste Joly (43), les
dames Boulanger et Balland, institutrice, etc., aupr�s
des m�decins de l'h�pital, les docteurs Mathieu et
Hanriot (44) (de Bl�mont). Il y avait aussi � l'hospice
une infirmi�re de la Croix-Rouge, Madame Lagr�sille,
femme du capitaine de vaisseau, commandant le
Charlemagne (45), cousin, je crois, du conseiller � la
Cour. Sans enfants, elle r�pandait lib�ralement sur nos
bless�s avec un entrain enjou� une bont� toute
maternelle. J'ai vu les bless�s l'appeler : Maman ! Et
c'�tait sa joie. Elle m'a demand� un jour, originale
composition fran�aise, de lui �crire une lettre � son
mari, n'ayant pas de temps � distraire � ses bless�s. En
dehors de mes fonctions de secr�taire et de panetier, je
remplissais �galement celles de brancardier et c'�tait
une satisfaction pour moi aussi d'entourer un peu les
innombrables bless�s qui nous arrivaient de Gerb�viller
o� ils avaient �t� sauver ce que j'avais de plus cher au
monde. J'aidais souvent � les transporter, soit � leur
arriv�e du champ de bataille, soit � leur �vacuation
vers les h�pitaux de l'arri�re.
Je me verrai longtemps avec, sur le dos, les bras autour
de mon cou, un capitaine de dragons, bless� � la
cheville que j'ai ainsi conduit du jardin � la voiture
qui allait l'emmener. Un autre jour j'ai suivi, avec
quatre autres personnes seulement, le convoi fun�bre
d'un officier. On l'enterra en bordure de la route de
Lun�ville, de l'autre c�t� de l'Euron, au bas des pentes
Sud de la croupe de Belchamp (46).
Jeudi 3 septembre. Jour fix� pour mon d�part. �� Rien de
nouveau. Toujours le beau temps et des mouvements de
troupes. Gerb�viller � 17 km. me semble toujours plus
loin �. Voil� sur les notes prises au jour le jour, �
l'aide desquelles je reconstitue ces journ�es, ce que
j'�cris � mon r�veil. Pourtant d�s les premi�res heures
de la matin�e, j'apprends que tous les �trangers � Bayon
et y r�sidant actuellement sont invit�s � �vacuer la
localit�. Je m'informe : c'est vrai, et cela cadre bien
avec mes propres projets. Avec deux r�fugi�s
gerb�villois, Georges Thomassin et Auguste Joly, je vais
chercher un laissez-passer pour Nancy. Il faut y aller,
� pied car, dit-on, les gendarmes brisent les
bicyclettes qu'ils rencontrent (47). En chemin de fer,
dans les conditions actuelles, c'est un voyage
invraisemblable, de dur�e ind�termin�e, via Epinal et
Mirecourt. J'ai pu me munir de vivres et de linge
renferm�s dans deux musettes ramass�es sur le champ de
bataille, provenant du 85e R. I. (48) et qui m'ont �t�
fournies par la gendarmerie. Mais avec le pardessus
�triqu� qui m'a servi de matelas, de couverture et
d'oreiller dans mon grenier et mon vieux feutre de
vacances, ces deux musettes ach�vent de me composer une
silhouette de chemineau assez r�ussie qui, en d'autres
circonstances, e�t fait ma joie. Arriv�s, non sans
peine, � cause des colonnes et des convois, � la Moselle
et, apr�s avoir franchi le canal, au carrefour de la
rive gauche, nous lisons : Nancy : 29 km. - V�zelise
(49) : 19 km. Il est d�j� midi. Pourquoi n'irions-nous
pas coucher � V�zelise o� doit se trouver ma cousine,
Madame Boiselle. En route donc pour V�zelise, par Harou�
(50), Tantonville (51). Entre Laneuveville (52) et
Crantenoy (53), nous rencontrons Ren� Xaill� (54) qui
avait quitt� Gerb�viller l'avant-veille et pensait
pouvoir y retourner. Il me donne des nouvelles de notre
quartier et m'assure que, sur la rue, la maison
paraissait encore intacte quand il est pass� devant. Un
peu plus loin, nous nous arr�tons pr�s d'un cycliste du
15e corps, un Africain, qui, assis dans le foss�, d�vore
� pleines dents et � pleines mains, ruisselantes
d'huile, le contenu d'une bo�te de thon. Il nous dit que
son corps d'arm�e est retir� du front pour �tre dirig�
vers une autre destination (55). Voil� comment, si nous
avions �t� des espions, l'ennemi e�t �t� renseign�.
Gr�ce � mes deux compagnons de route le trajet me para�t
tr�s agr�able; entre fugitifs, on se comprend et, �
communier � demi-mots dans le malheur de notre pays,
nous nous faisions r�ciproquement du bien.
A Harou�, nous franchissons le Madon. Puis nous
traversons Tantonville. Nous descendons ensuite sur
V�zelise, sous l'oeil protecteur de la Vierge de Sion que
je ne quitte pas des yeux. L� d�j� on ne sent plus la
guerre. Plus de troupes; seule, la grande campagne
lorraine du Saintois. J'ai parfois l'impression de faire
une bonne promenade de vacances. A V�zelise, la table de
la famille Berbain nous est ouverte.
Je vais demander l'hospitalit� � Madame Thouvenin
(56),chez qui je trouve Madame Boiselle et toutes deux
me font le plus affectueux accueil.
Le lendemain je prends � midi le train pour Nancy.
L'envie me br�le de faire un p�lerinage � Sion. Mais il
faut y consacrer une journ�e, le temps me presse et j'ai
la plus grande h�te de revoir mon Nancy. Le train nous
emm�ne lentement � Jarville (57) o� nous d�barquons car
les trains ne vont pas jusqu'� la gare de Nancy. Il est
environ 3 heures. Station � Bonsecours (58), pour y
br�ler des cierges et prier pour Nancy. Le Journal de la
Meurthe, achet� dans la rue - car, chose inou�e, il a
maintenant des crieurs - m'apprend l'�lection du pape
Beno�t XV. Cette nouvelle me cause un vrai bonheur. Une
bouff�e de souvenirs romains me monte au coeur et je r�ve
au jour o� j'irai m'asseoir � Saint-Pierre de Rome, sur
la marche de marbre o�, cinq ans plus t�t, aux c�t�s
d'un p�re fr�missant, j'�coutais, ravi, le Gloria de la
messe de la b�atification de Jeanne d'Arc. Le m�me
journal m'apprend aussi que notre d�sastre de
Gerb�viller est connu des Nanc�iens.
Vers quatre heures, j'arrive, ext�nu�, rue de la
Salp�tri�re, chez ma tante Thi�ry-Bonneville, mais j'y
go�te aussit�t un bienfaisant repos et une paisible
d�tente dans une atmosph�re familiale r�confortante. Et
c'est une nouvelle s�rie du r�cit de nos �preuves qui
commence, car le lendemain, parents et amis, pr�venus de
mon arriv�e, viennent me voir et je fais moi-m�me
quelques visites. Dans l'apr�s-midi, je vais � la Place
o� je r�clame ma feuille de route. Mais tous les
services du recrutement ont �t� repli�s sur Troyes � la
mobilisation et l'on m'accorde un sursis pas tr�s d�fini
: �� Revenez dans quelques jours, quand vous serez repos�
et on vous dirigera sur Troyes �.
Malgr� les grondements du canon qui maintenant me
paraissent � moi lointains, je go�te � Nancy une
impression de repos et de calme relatifs. Jamais
pourtant le canon n'a retenti si pr�s de la ville. J'y
retrouve l'ambiance o� nous vivions � Gerb�viller avant
l'arriv�e des Allemands : pas le moindre affolement, un
optimisme sinc�re, alli� au sens le plus aigu des
r�alit�s et de la gravit� de l'heure et en m�me temps
cette liaison �troite entre la population et la
garnison, o� servent tant des siens, qui a toujours �t�
avant la guerre une note caract�ristique de Nancy,
int�gre maintenant toute la vie de la cit�. Depuis
qu'elle a pris ses positions de couverture, d�s avant la
mobilisation et la d�claration de guerre, la garnison ne
s'est gu�re �loign�e et presque chaque jour les
Nanc�iens ont pu faire parvenir aux r�giments de la 11e
division o� se trouvent leurs parents et leurs amis des
nouvelles et des ravitaillements suppl�mentaires. Ils
suivent leurs d�placements, tendent l'oreille au canon,
en tirent des conclusions strat�giques. Des potins
circulent, toujours contradictoires et toujours
d�mentis. La vie se poursuit, mais suspendue � l'issue
de la bataille et ne rappelant en rien l'activit�
normale de la ville.
Le dimanche 6 septembre, j'assiste � la messe � l'�glise
Saint-Nicolas, puis, j'�cris une lettre au pr�fet et je
vais la porter moi-m�me � la pr�fecture en demandant �
voir le pr�fet lui-m�me ou � son d�faut le secr�taire
g�n�ral. En se pr�sentant comme Gerb�villois on �tait
s�r d'�veiller la sympathie, au moins la curiosit�.
Aussi informe-t-on le pr�fet, M. L�on Mirman, de ma
pr�sence et on me prie d'attendre. Gendarmes et
officiers d'�tat-major de l'arm�e Castelnau se croisent
dans l'antichambre o� M. Paul Croctaine est assis aux
c�t�s du vicaire g�n�ral J�r�me (59). Ce dernier qui ne
me reconna�t pas tout d'abord, mais qui a entendu dire
que

Le pont de Gerb�viller. - Eau-forte de V. Prouv�.
j'arrivais de Gerb�viller, vient me demander des
nouvelles de l'abb� Vanat. Je lui confirme l'arrestation
par les Allemands et la captivit� de notre cur�.
Introduit peu apr�s devant le pr�fet, assis � son bureau
en uniforme, je lui expose le but de ma visite :
m'assurer, avant mon d�part pour la caserne, que les
autorit�s s'occupent de mettre en s�ret� les habitants
qui n'ont pu encore quitter Gerb�viller o� la vie est,
momentan�ment, pour des vieillards surtout, impossible
ou p�rilleuse. Le docteur Louviot �tait d�j� venu avant
moi, para�t-il, - et le g�n�ral de Castelnau avait �t�
avis� par le pr�fet. Je pouvais donc m'en retourner avec
l'espoir qu'on ferait quelque chose pour ceux qui
n'avaient pu encore quitter Gerb�viller (60).
Avant de me cong�dier, M. Mirman me demande quelques
renseignements sur ce que j'ai vu et entendu et sur ce
qui s'est pass� � Gerb�viller. Nous nous sommes quitt�s
sur une poign�e de mains vibrante et fort cordiale,
comme tout le reste de l'entretien. La noble figure de
ce magistrat qu'on sent profond�ment p�n�tr� de la
grandeur et de la gravit� de sa mission, ses traits
fins, son regard aussi franc qu'�nergique et lucide, la
flamme patriotique de ses paroles qui m'avaient d�j�
heureusement frapp� quand je l'avais aper�u peu de jours
auparavant � Bayon, lors de la visite qu'il avait faite
� l'hospice, me laissent sur une impression de confiance
et de r�el r�confort que je vais, en sortant, parfaire �
la Cath�drale.
Un coup d'oeil distrait aux �gratignures qui, sur les
fa�ades et surtout sur la vespasienne de la Place de la
Cath�drale, t�moignent du r�cent passage d'un �� taube �.
Ce sont les deux premi�res bombes - et jusqu'alors les
seules - que la ville ait re�ues et leurs traces
excitent la curiosit� des passants. Avec une douce
�motion, je retrouve ma Cath�drale o� la grand'messe se
c�l�bre normalement. C'est la f�te de saint Mansuy.
Cette ann�e je n'en aurai pas accompagn� la prose au
Cavaill�-Coll de Gerb�viller, mais le grand orgue de la
Cath�drale a compens�, ce matin-l�, les regrets amers
que je pouvais avoir, de toute la pl�nitude de ses 63
jeux et de son 32 pieds, renforc�s en sourdine par tout
le clavier suppl�mentaire des bombardes du
Grand-Couronn�. De l�, bonne et excellente visite au
cur� de la Cath�drale (61) qui avait manifest� le d�sir
de me recevoir. J'�tais donc attendu � la cure et
l'archipr�tre m'a re�u de son lit, o� le clouent ses
rhumatismes, et prodigu� les plus chaleureux
encouragements. Je l'ai quitt� tout ragaillardi pour
passer en famille le reste de la journ�e de ce dimanche,
au son du canon qui prot�ge la ville.
Le lendemain, lundi, je consacre ma matin�e � des
courses pr�paratoires � mon d�part. Chez un coutelier de
la rue Saint-Dizier je fais l'emplette d'un couteau �
plusieurs lames et � multiples accessoires qui me para�t
indispensable pour entrer en campagne et m�me pour la
commencer dans un camp d'instruction. Pour payer, je
sors de mon porte-monnaie une belle pi�ce de 20 francs,
en or vert, de Louis XVIII, cadeau qui m'avait �t� fait
il y a plusieurs ann�es et que j'avais r�ussi �
conserver depuis. A ma surprise indign�e, le commer�ant,
peu familiaris� avec le profil de Louis XVIII, la juge
suspecte et pr�tend me la refuser. Il me faut insister
pour le convaincre de l'accepter et j'ajoute : �� Vous
n'en reverrez plus gu�re et vous vous souviendrez que
vous avez voulu refuser un louis d'or le 7 septembre
1914 �. Chez mon coiffeur, on m'entoure comme une b�te
curieuse en me disant que l'Impartial avait parl� de moi
� propos du sac de Gerb�viller (62). Cette curiosit�
m'�tait p�nible. Entre temps je rencontre le docteur
Louviot dont l'appartement et les livres ont �t�
d�truits dans l'incendie de la maison Picot, sous mes
yeux. Je ne peux que lui confirmer qu'il n'en reste
rien. Atterr�, l'air hagard, il ne trouve qu'� me dire
et � me r�p�ter : �� Tous mes bouquins! Le pauvre
Gerb�viller ! � Que reste-t-il de la fr�missante
curiosit� qui l'animait � la veille de la d�claration de
guerre � la pens�e des heures historiques que nous
allions vivre?
En fin de journ�e, je retourne � la Place pour r�clamer
ma feuille de route. Un ordre de transport est �tabli
aussit�t : d�part le lendemain pour Troyes o� je
recevrai mon affectation.
8 septembre. Voyage triste et d�sesp�r�ment lent. Le
temps se couvre. J'implore en passant Notre-Dame de Sion
et dis adieu � la Lorraine qui s'�loigne. La lenteur du
train ach�ve de m'abrutir au point qu'� l'arr�t en gare
de Vittel (63), vers midi, je ne reconnais plus la
station o�, pourtant, quelques ann�es plus t�t, nous
avions fait deux saisons et, tout d�pays�, je me demande
quels sont tous ces h�tels et o� nous pouvons �tre
arriv�s. A Merrey (64) deux infirmi�res de la
Croix-Rouge dirigent le poste sanitaire de la gare.
L'une d'elles est Mademoiselle Dubois, tante de mon
camarade Baillot (65) et ma voisine de la salle Poirel
aux concerts du Conservatoire de Nancy. Elle me pr�sente
� sa compagne : Mademoiselle de Castelnau, une des
filles du g�n�ral et soeur de mon ancien condisciple :
Hugues (66), qu'elle me rappelle d'une mani�re si
frappante par ses traits et son timbre de voix que je ne
me retiens pas de lui en faire la remarque. Double et
agr�able rencontre sur ce trajet insipide qui me para�t
un peu le chemin de l'exil. En remontant dans le train,
je trouve dans mon compartiment Madame *** de
Gerb�viller et son fils, le poitrinaire. Il fait bon,
vraiment, �tre poitrinaire, quand on vient de voir
flamber son village. Il s'en allait, toussant, pour
mourir au soleil sur la C�te d'Azur, pleurant sa canne �
p�che, d�truite dans l'incendie, son dernier plaisir.
Quelle lugubre tristesse !
A chaque instant, nous croisons des trains militaires,
des renforts, des ravitaillements, des munitions. Je
compte prendre � Chalindrey (67) la direction de Troyes
mais le commissaire de gare m'y fait savoir que Troyes
est �vacu�e par tous les services militaires qui y
�taient install�s. Diable ! Mais j'ai vu trop de choses
depuis quelques semaines pour avoir la force de
m'�tonner et je cherche d'autant moins � comprendre
qu'ignorant totalement encore l'invasion du Nord de la
France, je ne tire de cette nouvelle aucune conclusion
f�cheuse. Mon ordre de transport est modifi� et je suis
envoy� par le commissaire militaire � Dijon. La nuit est
tomb�e, ralentissant encore, semble-t-il, cet
interminable voyage et c'est vers 8 heures du soir,
ayant quitt� Jarville � 6 heures du matin, que je
d�barque � Dijon. Inutile de songer � me rendre � la
Place � une heure aussi avanc�e. La gare va �tre mon
h�tel et, allong� sur une brouette, dans la salle des
Pas-Perdus, dans une ruelle qui s�pare la biblioth�que
du bureau de tabac, je passe une nuit des plus mauvaises
qui me fait regretter singuli�rement les heures
critiques de mon grenier. Au jour, mal r�veill� et mal
lav�, apr�s une toilette forc�ment sommaire � la
premi�re borne-fontaine de la rue de la Gare, je me mets
� la recherche du bureau de la Place, tr�s ennuy� d'�tre
hors de ma r�gion militaire d'origine, la 20e, car Dijon
est de la 8e, et je me demande si mon voyage va se
terminer l�. �� Qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse de
vous ? � Tel est le premier mot que l'on r�pond �
l'expos� de ma situation. C'�tait exactement ce que je
pensais. Et apr�s un instant de r�flexion : �� On va vous
prendre comme engag�. Si on retrouve votre feuille de
route, vous recevrez votre affectation d�finitive; pour
le moment vous avez le choix entre les trois r�giments
de la garnison : le 27e d'infanterie, le 26e dragons et
le 48e d'artillerie �. Le 48e d'artillerie ! Il me
semble, � l'id�e d'y �tre incorpor�, que je vais
r�cup�rer quelque chose de Gerb�viller o� nous l'avons
vu cantonner pendant trois jours il y a moins d'un mois
et peut-�tre pouvoir y retourner au plus vite. Le
r�giment n'est-il pas encore tout entier en action, �
quelques kilom�tres de chez nous, pr�s de Giriviller
(68) ? Je n'h�site pas un instant et j'opte aussit�t
pour le 48e d'artillerie.
Une demi-heure plus tard j'entrais au Quartier Junot,
sur la route de Langres, o� est demeur� le d�p�t du
r�giment � la mobilisation et, �lev� � la dignit� de 2e
canonnier conducteur, je commen�ais � chanter
l'Artilleur de Metz.
Jean GODFRIN.
(1) Notaire honoraire, 1829-1916.
(2) Son corps fut retrouv� dans la Mortagne, � 2 km.
environ en aval de Gerb�viller, au lieudit : la
Grande-Corne, quelques jours plus tard.
(3) 1846-1929.
(4) Voir : Lettre du docteur Labrevoit � l'Acad�mie de
M�decine dans : Bulletin de l'Acad�mie de M�decine ;
s�ance du 3 novembre 1914 et la presse de l'�poque,
notamment le New-York Herald (R�daction parisienne), 4
novembre 1914 �� Pendant cette soir�e du 24 ao�t, alors
que, ma douleur dominant encore ma rage, je regardais
flamber ma maison, pensant � tous les pr�cieux souvenirs
de famille que les flammes consumaient, un officier
allemand, jeune, correct, parlant bien fran�ais,
s'approche de moi et, joignant les deux mains dans un
geste de piti� compatissante, me dit par deux fois : ��
Votre pauvre pays! � puis, se penchant � mon oreille : ��
�a ! c'est du vandalisme ! �
(5) Am�lie Rigard (Landremont [Meurthe-et-Moselle, arr.
de Nancy, canton � et 11 km. S.-O. de Pont�-Mousson],
1854 - Nancy 1925), en religion soeur Julie, de la
Congr�gation des Soeurs de Saint-Charles de Nancy.
Sup�rieure de l'hospice de Gerb�viller du 14 octobre
1908 au 24 f�vrier 1920. Le 24 ao�t 1914, devant
l'incendie qui ne cessait de se r�pandre dans tous les
quartiers au fur et � mesure que les Allemands
avan�aient dans la ville, soeur Julie, soucieuse de
sauver la maison dont elle avait la responsabilit� et de
continuer � exercer sa mission de charit� plus
n�cessaire que jamais, demanda � parler � un chef. Un
officier se pr�senta qu'elle jugea de haut rang. Sans se
laisser intimider, avec son �nergie coutumi�re et son
ton facilement imp�ratif, elle lui explique �� que
l'hospice �tait la maison du Bon Dieu, le foyer de la
Charit�, qu'on y soignait indistinctement les Allemands
comme les Fran�ais, que s'ils voulaient des incendies,
ce qui br�lait alors devait leur suffire, qu'ils
n'auraient pas trop pour loger leurs troupes et leurs
bless�s des maisons qui restaient debout et qu'elle le
suppliait de faire arr�ter l'incendie et d'�pargner
l'hospice �. L'officier s'�loigne apr�s l'avoir �cout�e
avec attention. Entre temps la Sup�rieure avait remarqu�
qu'apr�s avoir p�n�tr� dans les maisons, les avoir
visit�es et pill�es, les Allemands d�posaient sur les
fen�tres des petites lumi�res �� des esp�ces de bougies
et que peu de temps apr�s les maisons flambaient.
Quelques instants apr�s le d�part de l'officier, ces
petites bougies, au lieu d'�tre encore d�pos�es sur les
fen�tres des maisons du quartier, furent align�es sur le
sol m�me, en travers de la rue de la Gare, � hauteur de
la Chapelle de l'Hospice. Soeur Julie qui nous a maintes
fois rapport� ces d�tails a toujours consid�r� cet
alignement de ce qu'elle appelait des bougies en travers
de la rue, au point o� s'est arr�t�e la mar�e de feu,
comme le signal et l'ordre de cesser les incendies, qui,
r�p�tons-le, � l'exception de la Chapelle du Ch�teau, du
Ch�teau et du clocher de l'�glise paroissiale, ont tous
�t� allum�s � la main et non par le feu de l'artillerie
qui n'est du reste pas par lui-m�me un moyen efficace de
provoquer des incendies, si l'on n'utilise pas des obus
sp�ciaux.
Apr�s la retraite des Allemands, pendant toute la dur�e
de la bataille de la Mortagne et bien au del� encore,
soeur Julie, en l'absence des autorit�s civiles et en
liaison avec les autorit�s militaires fran�aises,
organisa la vie et le ravitaillement du petit noyau de
sinistr�s demeur�s � Gerb�viller et se multiplia pour
subvenir aux besoins des troupes fran�aises. Elle fut
cit�e � l'ordre de l'arm�e avec les religieuses de sa
communaut� en ces termes : �� Ordre g�n�ral n� 71. - Le
g�n�ral commandant la 2e arm�e cite � l'ordre du jour de
l'arm�e Mmes Rigard, Collet, R�my, Maillard, Rickler et
Gartener, religieuses de l'ordre de Saint-Charles de
Nancy, qui ont, depuis le 24 ao�t, sous un feu incessant
et meurtrier, donn�, dans leur �tablissement de
Gerb�viller, asile � environ 1.000 bless�s, en leur
assurant la subsistance et les soins les plus d�vou�s,
alors que la population civile avait compl�tement
abandonn� le village. Ce personnel a en outre accueilli
chaque jour de tr�s nombreux soldats de passage,
auxquels il a servi les aliments n�cessaires. Le g�n�ral
commandant de la 2e arm�e : Sign� : DE CASTELNAU, P. A.
Le g�n�ral d'Etat-Major : Sign� : ANTHOINE �.
Elle re�ut la croix de la L�gion d'Honneur des mains du
pr�sident Poincar� le dimanche 29 novembre 1914 (R.
POINCAR�, Au Service de la France. Neuf Ann�es de
Souvenirs. V : L'Invasion, p. 468). Inhum�e � Nancy, au
cimeti�re du Sud, dans la concession des Soeurs de
Saint-Charles.
(6) Cette enfant �g�e de 10 ans devait mourir quelques
heures plus tard de la blessure par balle qu'elle avait
re�ue dans la journ�e du 24 ao�t.
(7) 1853-1932.
(8) Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, canton et � 6
km. S.-O. de Gerb�viller.
(9) C'est � 15 heures, le 25 ao�t, que, de
Pont-Saint-Vincent, le g�n�ral de Castelnau ayant vu
s'avancer la victoire, lui a tendu les bras en lan�ant
son ordre du jour fameux : �� En avant, partout, � fond !
�
Voici d'autre part comment les Allemands racontent la
journ�e du 25 ao�t dans le secteur qui nous int�resse;
on lit dans le r�cit des Archives du Reich, La Guerre
Mondiale, 5e partie, III, p. 587 et 588 : �� Au sud de la
Meurthe, �galement, l'attaque fran�aise conduisit � une
dure crise. L�, le IIe corps bavarois et le XXIe corps
d'arm�e devaient continuer le mouvement vers le Sud. La
3e division devait attaquer le front Rozelieures-Vennezey.
Elle avait � peine entam� son mouvement que des signes
significatifs d'une attaque ennemie tout � fait
imminente, dirig�e de l'Ouest et du Sud, contre tout le
front du corps d'arm�e se firent percevoir. La
progression de la 3e division s'arr�ta d�s devant Rozelieures et Vennezey. On eut le plus grand mal �
repousser les violents coups de boutoir que du Sud et du
Sud-Est l'ennemi nous portait. La situation du corps
devint critique. En vain le commandant du corps d'arm�e
se tourna-t-il, dans cette extr�mit�, vers le commandant
de l'arm�e en demandant des secours. Ce dernier ne
disposait plus de r�serves d'aucune sorte. Il ordonne de
tenir � tout prix, � la derni�re extr�mit�, sur la
Mortagne. Quoique � la 3e division bavaroise et au XXIe
C. A. la situation f�t jug�e avec assez de confiance, le
commandant de corps eut la conviction, vers 14 heures,
qu'in�vitablement son corps serait amen� � se d�rober.
Il donna l'ordre aux divisions de reculer sur la ligne Mortagne-Gerb�viller. Une instruction du commandant de
l'arm�e, prescrivant de tenir les positions actuelles,
en consid�ration de la situation meilleure sur le front
des corps voisins, arriva trop tard; on �tait d�j� en
pleine retraite. La progression du XXIe C. A. en
direction du Sud fut, elle aussi, arr�t�e le 25 ao�t au
matin par la contre-attaque ennemie. �
Voil� donc bien l'aveu officiel allemand de la victoire
fran�aise du 25 ao�t � l'ouest de la Mortagne.
Mais le paragraphe qui relate ainsi la �� dure crise �
provoqu�e chez l'ennemi par �� les violents coups de
boutoir � de la contre-attaque fran�aise et la ��
situation critique � o� elle mit l'ennemi �� en pleine
retraite � (� 2 du chap. III) porte comme titre : ��
L'�chec de la contre-attaque fran�aise du 25 au 27 ao�t
� !
(10) Lieudit, situ� au sommet du versant occidental de
la vall�e de la Mortagne, � 1 km. sud de Gerb�viller.
(11) 1876-1917.
(12) Affluent de gauche de la Mortagne dans laquelle il
se jette � Haudonville.
(13) Moranviller. Village d�truit pendant la guerre de
Trente Ans, situ� entre Remenoville et Giriviller, sur
les pentes sud-ouest du Haut-du-Mont, � 5 km. 500 au
sud-sud-ouest de Gerb�viller et dont le nom subsiste
dans la d�nomination de ce ruisseau que portent encore
les cartes d'Etat-Major.
(14) Arthur Li�gey (1853-1932), maire de Gerb�viller du
17 mai 1908 au 19 mai 1912. Pr�sident de la Commission
municipale du 13 novembre 1914 au 16 f�vrier 1915. Maire
du 9 octobre 1920 au 17 mai 1925.
(15) Lieudit situ� sur la route de Gerb�viller �
Remenoville � 100 m�tres de la sortie de Gerb�viller
(16) �cart � 700 m�tres de la sortie de Gerb�viller.
(17) �cart � 1.200 m�tres de la sortie de Gerb�viller.
(18) Il s'agit du Chef de bataillon Ernest Varaigne,
commandant alors un bataillon du 230e R. I. (74e D. I.
148e Br.). Bless� gri�vement le lendemain 28 ao�t 1914,
en avant de Gerb�viller, vers Fraimbois, et ramass� �
minuit sur le champ de bataille par une patrouille
allemande, il fut transport� d'abord � l'ambulance
allemande de Moncel, puis le 30 � l'h�pital de Lun�ville
o� il est rest� jusqu'au 9 septembre. Emmen� en
captivit� en Allemagne au moment du repli des Allemands,
il fut ensuite intern� en Suisse, comme grand bless�, �
la fin de 1916 et enfin rapatri� � Annecy en juillet
1917. Il devait mourir des suites de ses blessures �
Lun�ville le 11 janvier 1923.
(19) Lieudit et reboisement situ� sur le territoire de
Gerb�viller (� la lisi�re ouest du bois de Guilgnebois)
et appartenant � l'auteur.
(20) Mur aujourd'hui dissimul� sous l'amas de d�combres
provenant du d�blaiement des ruines du village.
(21) Adrien Bretrand qui semble �tre pass� par l�
presque � la m�me heure, le m�me jour, mais venant de la
direction oppos�e d�crit ce spectacle de la mani�re
suivante : �� A la sortie qui d�bouche vers Gerb�viller,
la lutte a d� �tre effroyable. Les corps s'amoncellent.
Un obus allemand est tomb� dans un groupe de soldats et
a fait �crouler un mur. Les membres de ces hommes sont
�pars et d�chiquet�s. On voit un malheureux dont les
entrailles ont �t� projet�es � dix m�tres sur les fils
de fer qui bordaient le champ. � (La Victoire de
Lorraine 20e �dition, Berger-Levrault 1917 p. 77).
(22) D�p. de Meurthe-et-Moselle, arr. et � 5 km. 500 N.
de Lun�ville, cant. de Lun�ville-Nord.
(23) 74e - D. I., 148e Br.
(24) Je devais retrouver le lendemain l'abb� Drouville �
Bayon o� il demeura consign� chez le cur� doyen jusqu'au
jour o�, reconnue la m�prise n�e de la psychose de
guerre et d'un concours malheureux d'exc�s de z�le et de
manque de flair dont il avait �t� la victime, il fut
remis en libert� avec les excuses du g�n�ral commandant
la IIe arm�e.
(25) C'est en effet aux lisi�res de ces for�ts,
notamment aux lisi�res du Bois des Rappes (2 km. N.-E.
de Gerb�viller) et du Bois du Haut de la Paxe (1 km. 500
E. de Gerb�viller) que l'avance du 16e C. A.
s'est heurt�e les jours suivants � la r�sistance d'un
ennemi retranch�. Le 36e R. I. C. (74e D. I. rattach�e
au 16l C. A.) en particulier fut d�cim� aux portes de
Gerb�viller, dans le vallon du ruisseau de Falenzey.
(Voir, pour le 222e R. I. Georges Kimpflin, Le Premier
Souffle, Paris, Perrin, 1919, p. 157 et suivantes).
L'ennemi n'abandonna cette position que le 12 septembre
sous la pression persistante des n�tres et le contrecoup
de la bataille de la Marne.
(26) Canton et � 6 km. 500 � l'est de Bayon. 8 km. S.-O.
de Gerb�viller.
(27) Il s'agissait sans doute de r�glages de
l'artillerie allemande par coups fusants hauts. Cela
correspondait assez bien � la situation du moment :
organisation d'une position d�fensive � l'Est de la
Mortagne.
(28) Le principal sanctuaire marial de Lorraine, lieu de
p�lerinage fr�quent� depuis le Haut Moyen-Age, au
promontoire Nord (30 km. S. de Nancy et 495 m. d'alt.)
de la c�te de Sion-Vaud�mont c�l�br�e par Maurice Barr�s
dans la Colline TnspirJe (�mile Paul, 1913).
(29) l km. E. de Clayeures.
(30) Propri�t� en 1914 de Mlle Caroline Teinturier.
(31) Canton et � 3 km. N.-E. de Bayon.
(32) Meurthe-et-Moselle, chef-lieu de canton de
l'arrondissement et � 24 km. S.-E. de Lun�ville sur la
Meurthe.
(33) 1848-1935.
(34) 1848-1919.
(35) Auteur d'une remarquable �tude historique sur la
chevauch�e de Jeanne d'Arc, Jeanne d'Arc �cuy�re,
Berger-Levrault. 1901.
(36) Voir Adrien Bertrand, La Victoire de Lorraine, 20e
�d., Berger-Levrault, 1917, p. 89, et Georges KIMPFLIN,
Le Premier Souffle, Perrin, 1919, p. 158 et 159.
(37) Baron du Theil, ancien Pr�sident de la Soci�t�
hippique fran�aise.
(38) Canton et � 9 km. E.-S.-E. de Bayon.
(39) Lieutenant Henry Lamasse du 2e r�g. de dragons.
Nice 1892. Mort pour la France en combat a�rien le 2
septembre 1918. Voir Livre d'Or de l'Institution de La
Malgrange. p. 121.
(40) D'apr�s la presse nanc�ienne la nouvelle de l'appel
de la classe 1914, a �t� publi�e le 31 ao�t.
(41) 1846-1927.
(42) 1869-1926.
(43) 1863-1936.
(44) 1859-1930.
(45) Capitaine de vaisseau Paul de Lagr�sille commandant
le Charlemagne aux Dardanelles, mort pour la France le
18 septembre 1915 � l'h�pital de Remiremont et inhum�
dans le cimeti�re militaire de Bayon dont il est parl�
plus loin.
(46) C'est un terrain offert par la famille Lagr�sille
qui fut ainsi consacr� en ao�t 1914 aux s�pultures
militaires de Bayon. Ce cimeti�re subsiste toujours,
encadr� par une haute haie de thuyas et ferm� par une
petite grille, le tout tr�s bien soign�. En son centre,
s'�l�ve le monument �lev� par Bayon � ses enfants morts
au champ d'honneur dont le souvenir est ainsi
heureusement rapproch� de ceux qui, venus des plus
lointaines provinces et tomb�s sur les champs de
bataille de Rozelieures et de la Mortagne, sont morts
pour la France � Bayon. Derri�re le monument, la tombe
du capitaine de vaisseau Lagr�sille, donateur du
terrain; � sa droite et � sa gauche, bien align�es, les
croix de pierre du mod�le adopt� dans les cimeti�res
nationaux. En haut d'un m�t en ciment le drapeau de la
France. En bas dans la vall�e, sous la protection de ses
morts, Bayon, qui se rassemble autour de leurs tombes,
aux dates marqu�es par le culte du souvenir pour les
honorer et leur t�moigner sa fid�lit� et sa foi
patriotiques.
(47) Du moins �taient-ils autoris�s � les confisquer. Le
g�n�ral commandant la 2e arm�e avait interdit, le 1er
septembre 1914, pour paralyser l'espionnage, la
circulation des automobiles et des bicyclettes civiles
dans le Grand-Couronn� et sur toute la rive droite de la
Moselle, sous peine de confiscation. Le 4 septembre,
cette interdiction �tait �tendue � toute la partie du
d�partement de Meurthe-et-Moselle situ�e sur la rive
gauche, au sud de la route de Pagny-sur-Meuse � Foug,
�crouves et Toul. (Voir la presse nanc�ienne de l'�poque
et notamment : Extraits de l'Est R�publicain r�unis en
brochure sous le titre : La Grande Guerre. La Vie en
Lorraine, septembre 1914, p. 16, 29 et 34)
(48) 8e C. A., 16e D. I., 31e brig.
(49) Chef-lieu de canton du d�partement de
Meurthe-et-Moselle, arr. et � 29 km. S.-S.-E. de Nancy,
sur le Br�non, sous-affluent de la Moselle.
(50) Chef-lieu de canton du d�partement de
Meurthe-et-Moselle, arr. et � 25 km. S. de Nancy, sur le
Madon.
(51) Meurthe-et-Moselle, arr. de Nancy, canton et � 3
km. O. de Harou�.
(52) Meurthe-et-Moselle, arr. de Nancy, canton et � 7
km. E. de Harou�.
(53) Meurthe-et-Moselle, arr. de Nancy, canton et � 4
km. E. de Harou�.
(54) Gerb�viller, 1880-Amiens, 1928. - Mobilis� au 57e
bataillon de chasseurs � pied et bless� gri�vement le 28
juillet 1915 au Cabaret Rouge, pr�s de Souchez
(Pas-de-Calais). Chevalier de la L�gion d'Honneur et
pr�sident de la Section de Gerb�viller de l'Association
des Mutil�s et Combattants. Mort des suites de ses
blessures.
(55) La IIe arm�e avait re�u en effet le 2 septembre
l'ordre du G. Q. G. de retirer du front le 15e corps et
de le diriger vers l'Ouest.
(56) 1841-1919.
(57) Canton de Nancy-Ouest et � I km. de Nancy.
(58) Notre-Dame de Bonsecours. Sanctuaire de la pi�t�
mariale nanc�ienne.
(59) 1867-1934.
(60) Apr�s �tre rest�s en premi�re ligne, du 27 ao�t au
8 septembre, sous le feu de l'ennemi (deux obus de 77
percut�rent sur la toiture de la maison qui fut
�galement cribl�e d'�clats par la chute d'un obus de 15
cm. � 6 ou 8 m. de la fa�ade, c�t� jardin, tandis que, �
une distance analogue, c�t� rue, un autre obus tuait un
matin huit fantassins fran�ais), les parents que
l'auteur avait d� laisser � Gerb�viller purent, sous la
conduite du docteur Labrevoit, gagner le 8 septembre
Ch�tel-sur-Moselle et le lendemain 9 arriver � Nancy,
juste a temps pour y essuyer le premier bombardement par
canon subi par la ville, dans la nuit du 9 au 10
septembre au moment de la retraite allemande.
(61) Chanoine Geoffroy; Champougny (Meuse), 27 avril
1840. Champougny (Meuse) 22 avril 1918.
Cur� de la Cath�drale de Nancy de 1889 � 1918.
(62) On avait pu lire en effet dans l'Impartial de l'Est
du jeudi 3 septembre 1914 les lignes suivantes : �� Un
jeune homme de dix-huit ans �tait cach� dans une maison.
La bonne, terrifi�e, l'avoue � un officier qui lui dit :
�� Cachez-le bien, car il serait fusill�. �
R�sum� assez exact, si l'on tient compte que le jeune
homme avait vingt ans, que la bonne n'�tait certes pas
la plus terrifi�e et que l'Allemand auquel elle s'�tait
adress�e de sa propre initiative pour sauver le jeune
homme �tait un homme de troupe.
(63) Chef-lieu de canton du d�partement des Vosges.
Ville d'eaux, arr. et � 17 km. de Mirecourt.
(64) Haute-Marne, arr. de Chaumont, cant. et � 7 km. 500
S.-E. de Clermont. Bifurcation des chemins de fer de
l'Est. Lignes de Langres � Nancy et de Chalindrey �
Toul.
(65) Pierre Baillot (1898-1918). Sous-lieutenant au 27e
B. C. P. Mort pour la France le 15 septembre 1918 au
Bois-Piquet (Vauxaillon, Aisne) (Voir Livre d'Or de
l'Institution de La Malgrange, p. 9).
(66) Hugues de Curi�res de Castelnau (1895-1915).
Sous-lieutenant au 8e R.A.C. Mort pour la France le 1er
octobre 1915 en Artois (Voir Livre d'Or de l'Institution
de La Malgrange, p. 52 et 53).
(67) Station de Culmont-Chalindrey, d�p. de la
Haute-Marne, arr., cant. et � 10 km. S.E. de Langres.
Ligne de chemin de fer de Paris � B�le. Bifurcations
vers Neufch�teau, Gray et Dijon par Is-sur-Tille.
(68) Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, cant. et � 5
km. S. de Gerb�viller. |