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Souvenirs de l'invasion de 1914 - Lorraine - Gerb�viller


Le Pays lorrain - 1936

Le Bouchon sur la Vague (1)
Souvenirs de l'invasion de 1914

I

Depuis l'attentat de Serajevo, nous suivions � Gerb�viller (2) les �v�nements au jour le jour, mais avec ce recul du temps et de l'espace qui pr�serve les campagnes de toute nervosit�. Pourtant le 31 juillet 1914 je d�cide d'aller aux nouvelles et, pour explorer un peu le monde ext�rieur, de passer l'apr�s-midi � Lun�ville. Ma premi�re visite est pour l'abb� Guyon, premier vicaire de Saint-Jacques � qui j'apporte le salut de ses fr�res, mes amis. Avec lui je monte � l'une des tours de Saint-Jacques pour faire un tour d'horizon. De l�-haut l'abb� me montre tout le secteur de la fronti�re o� patrouille d�j�, me dit-il, une partie de la 2e division de cavalerie de Lun�ville. Au quartier du 8e dragons o� je me rends ensuite dans l'espoir d'y rencontrer un de mes bons amis de Nancy, le cavalier Paul Beno�t-G�ny, on me r�pond que son peloton est sur la fronti�re. La cour et la place du ch�teau pr�sentent un aspect qu'on ne leur a jamais vu. Les chevaux des escadrons qui tiennent garnison dans l'ancienne r�sidence du roi de Pologne sont tous dehors, align�s la t�te aux murs le long desquels ils sont attach�s. Leur robe brillante qui �tincelle au soleil t�moigne de leur bonne forme. Derri�re eux, par terre, le harnachement tout neuf de la collection de guerre fait une ligne �clatante et fauve. Les hommes sont �quip�s pr�ts � partir. D'une aile � l'autre du ch�teau et sur la place, o� les curieux s'amassent, cavaliers et grad�s de tous rangs s'affairent, coiff�s du bonnet de police. On sent qu'au premier signal chevaux, selles et cavaliers ne feront plus qu'un pour courir � l'ennemi. Adoss� face � l'amont, au parapet du pont tout proche de la Vezouse, le colonel du 31e dragons (3), la cravache sous le bras, en bonnet de police, lui aussi, comme au cantonnement, le regard ferme quoique vague, semble fixer au del� de l'horizon r�el un horizon imaginaire o� le porte, on le devine, son �mouvante m�ditation. Je m'arr�te pour le contempler discr�tement pendant quelques minutes. Il est d�j� parti, projet� fonctionnellement en avant, comme ses �claireurs qui surveillent et prot�gent la fronti�re et que sa pens�e accompagne. Il symbolise � la fois le chef et le guetteur, toute l'arm�e, toute la France, calme et r�solue, debout devant l'ennemi (4).
De retour � la gare pour rentrer � Gerb�viller, je vois passer le dernier train, para�t-il, qui franchira la fronti�re � Avricourt. Les wagons sont bond�s d'Allemands dont beaucoup, peut-�tre, vont bient�t revenir, l'arme au poing.
Par cette visite � Lun�ville, en �tat d'alerte, en mission de couverture, je suis d�sormais plong� dans l'ambiance de guerre. Elle envahit Gerb�viller, � son tour, quelques heures plus tard. Vers minuit les ordres d'appels individuels sont remis aux r�servistes des jeunes classes. Les sc�nes �mouvantes auxquelles ont donn� lieu ces premiers d�parts m'�chappent. De ma chambre � coucher sur le jardin silencieux, je ne me doute pas de ce qui se passe. Mais rendus plus tragiques par la nuit, ces adieux brusqu�s ont provoqu� dans tous le pays, jusqu'alors tranquille et comme indiff�rent, une fi�vre que l'aurore n'a point coup�e et qui place les moins avertis face � la r�alit� et � l'h�ro�que devoir. �� Heureux les morts! � me dit une �pouse et une m�re qui avait vu son mari dispara�tre dans la nuit et qui pense peut-�tre que je suis orphelin.
Des ouvriers peintres de Nancy qui restauraient mes persiennes depuis huit jours me quittent � midi en laissant tout leur mat�riel et en me donnant rendez-vous pour le lundi matin. Mais, par pr�caution, ils raccrochent tous les volets, bien qu'inachev�s.
Dans l'apr�s-midi, mon ami Henri Grasse et moi allons, comme souvent, cueillir � la fermeture de son bureau le receveur des Domaines, M. Sohier, pour faire avec lui une promenade. Nos pas nous portent sur la route de Seranville (5). Arriv�s au-dessus du viaduc de Bronville, au point d'o� la route surplombe la vall�e de la Mortagne et o� le Donon et une partie des Vosges apparaissent au-dessus du clocher de Moyen (6), nous nous arr�tons, comme d'habitude, et devant le paysage nous nous taisons. Notre silence s'emplit aussit�t du bruit amorti des cloches qui sonnent �perdument derri�re nous � Gerb�viller. Il est cinq heures du soir � peine.
Ce n'est pas encore l'Angelus � cette saison. La mobilisation ? Ce n'est pas le tocsin, mais la vol�e. Je pense � la f�te de la Portioncule, marqu�e � Gerb�viller par l'indulgence franciscaine accord�e � la chapelle du ch�teau par le Souverain Pontife.
Mais cette hypoth�se ne nous satisfait point. Nous revenons sur nos pas. Un cycliste, en nous croisant nous lance : �� �a y est ! Voil� la mobilisation qui sonne ! � C'est donc en union intime avec la terre lorraine, en vue de la fronti�re qui suit au lointain horizon la cr�te des Vosges, que nous avons re�u l'Appel des Armes. A travers un paysage que sa souriante indiff�rence ne nous rend pas moins cher en ce moment, nous rentrons � Gerb�viller par le faubourg Saint-Pierre. Les femmes sont sur les portes, en larmes, les hommes, affair�s, font leurs adieux aux voisins, aux amis, leurs derniers pr�paratifs, leurs ultimes recommandations. Des flammes brillent dans leur regard. Peu de mots. La plupart r�solus, confiants dans le succ�s, comme soulag�s d'en finir avec les menaces allemandes renouvel�es d'ann�e en ann�e et de mettre enfin le peuple insolent � la raison. Ni forfanteries, ni l�chet�s.
Le spectacle de la rue me rappelle un soir d'incendie de mon enfance.
A la mairie des affiches sont pos�es : le premier jour de la mobilisation est le dimanche 2 ao�t. Pour nous, gens des fronti�res, contrairement � la proclamation de Poincar�, parue le lendemain (�� La mobilisation n'est pas la guerre �) qui nous fait un peu l'effet de ces paroles d'espoir qu'on prononce sans conviction au chevet des mourants, la mobilisation et la guerre, c'est tout un. Et d�j� nous tendons l'oreille, surpris de ne point entendre le canon et pr�ts � voir arriver des Prussiens.
Le dimanche 2 ao�t les d�parts se poursuivent. On voit le comte Emmanuel de Lambertye monter dans un compartiment avec les r�servistes de son �ge. Son fr�re, Charles, le marquis de Gerb�viller, l'a pr�c�d� pour aller � Toulon reprendre son service d'enseigne de vaisseau. A ceux qu'il laisse, au premier rang desquels, sa m�re, Madame la marquise de Lambertye, qui va, le lendemain, regagner Paris, apr�s avoir mis le ch�teau de Gerb�viller � la disposition de la Croix-Rouge, le comte lance un adieu joyeux et plein d'espoir : �� Nous reviendrons bient�t ! �
Le d�part des hommes m�rs donne un aspect bizarre au pays. La vie para�t suspendue. Les cloches se taisent. Le service des trains est arr�t�. Aucun convoi ne passe plus sur la ligne � voie unique de Mont-sur-Meurthe (7) � Bruy�res (8). Une locomotive haut-le-pied est en faction permanente � la gare. Un officier de dragons accompagn� d'un planton est arriv� d�s la premi�re heure pour proc�der � des r�quisitions de chevaux. Il sera l� quatre ou cinq jours et pendant tout ce temps c'est le seul �l�ment militaire que nous verrons, � notre grande surprise. Les journaux continuent � nous parvenir, nous maintenant en communication avec le reste du monde et � l'unisson de l'�lan national qui soul�ve le pays et rend la France � elle-m�me. Ils nous racontent que des �conomistes ont calcul� que la guerre ne pourrait durer plus de trois � quatre mois. Les trois ann�es que je viens de passer � la Facult� de Droit ne m'ont pas inculqu� un tel respect des th�ories �conomiques que je ne me garde d'accueillir avec le plus parfait scepticisme ce genre hasard� de proph�ties. Je note dans le journal que j'ai ouvert le 21 juillet trois points qui r�sument mon �tat d'esprit : Une parenth�se s'ouvre dans ma vie. Sera-t-elle jamais ferm�e ? et quand ? Dans trois mois, six mois, un an, trois ans ou plus?
Et si elle se ferme, sur quoi se fermera-t-elle ? Sur quel monde ? M�me victorieux, de quels bouleversements, de quelles r�volutions aurons-nous �t� les t�moins ou les victimes ?
Et ces points d'interrogation se localisent dans ma pens�e sur les noms et les visages de mes amis et de mes contemporains d�j� sous les drapeaux, ou, comme moi, mobilis�s demain. Ma plume les �num�re sur la page du cahier. Lesquels ne reviendront pas ? Lesquels vont tomber les premiers ?
Les jours passent pourtant, tranquilles et s�v�res. Je n'ose plus toucher mon piano. Il me faut bouder cet ami tr�s cher; ses cordes darderaient de fl�ches si aigu�s tant de coeurs meurtris !
Nous n'interrompons pas n�anmoins notre saison de bains de rivi�re. Mais, en brassant les eaux fra�ches de la Mortagne, nous ne pouvons nous emp�cher de penser - et nous le formulons avec une grandiloquence enfantine, mais voulue, o� il entre plus de litt�rature que de pressentiment : - �� Dans quelques jours, peut-�tre, tu charrieras des cadavres et du sang ! �
Entre temps, la vie de guerre s'organise. Les femmes, les jeunes gens, les vieillards remplacent aux champs et � l'�table, au four et au moulin, les hommes qui sont partis. Des deux m�decins de Gerb�viller, l'un, le maire, le docteur Camus, est all� rejoindre son poste de m�decin de r�serve � Neufch�teau, l'autre, le docteur Louviot (9), mobilis� sur place, am�nage � l'hospice une ambulance avec le concours b�n�vole de mon grand-oncle, le docteur Labrevoit (10), m�decin principal de l'arm�e en retraite. En pr�vision des batailles prochaines, l'autorisation de la marquise de Gerb�viller est mise � profit et des lits, r�quisitionn�s chez l'habitant, sont install�s au ch�teau dans toutes les pi�ces disponibles. Je fais la qu�te des lits dans le faubourg Saint-Pierre avec mon voisin Louis Guyon (11) que j'aide � les charger sur sa voiture et � les d�charger au ch�teau. Ce sont pour la plupart des lits de fer qui jurent curieusement avec le somptueux d�cor o� nous les alignons, en pensant � ceux � qui ils sont destin�s. Chaque soir � l'appel du cur�-doyen, l'�glise s'emplit d'une


Clich� Bastien.
Int�rieur du ch�teau de Gerb�viller apr�s le bombardement.
Le grand vestibule avec les restes de quelques-uns des lits de l'h�pital install� dans le ch�teau.

foule de fid�les qui r�cite pieusement le chapelet. La voix du cur�, M. le chanoine Vanat, se fait chaque jour plus lasse et plus sombre quand il prononce : �� R�citons cette cinqui�me dizaine pour demander � Dieu d'�carter de cette paroisse les malheurs de la guerre � (12).
Le 7 ao�t, sous un ciel lourd qui vient de se couvrir au milieu de l'apr�s-midi, un cavalier appara�t au passage � niveau de la gare (13) � cent et quelques m�tres de chez moi, � l'entr�e m�me de Gerb�viller quand on vient de l'Ouest. C'est un chasseur � cheval. Il s'avance prudemment, la carabine au poing, le doigt sur la g�chette. Il interroge les premi�res personnes qu'il rencontre. �� A-t-on vu des Allemands ? � Ces pr�cautions �l�mentaires d'une arm�e en marche d'approche nous font sourire. Se croit-il d�j� en pays ennemi ? Il rebrousse chemin et retourne vers ceux qui le suivent � vue, assurant la liaison avec le gros du r�giment. C'est le 16e chasseurs de Beaune (14), qui va inaugurer � Gerb�viller les cantonnements de guerre. L'annuaire m'apprend que c'est le r�giment de cavalerie de corps du 8e corps d'arm�e (15) [Bourges]. Sa pr�sence renforce notre tranquillit�. Nous nous savions prot�g�s par la fronti�re vivante constitu�e par les troupes de couverture. Voici maintenant l'arm�e toute enti�re qui vient les rejoindre. Pendant son court s�jour le r�giment pousse des reconnaissances sur la Meurthe et la for�t de Mondon (16) o�, dit-on, circulent des patrouilles allemandes, mais � leur grand d�sespoir, car ils veulent en d�coudre, nos cavaliers reviennent bredouilles. Le s�jour du 16e chasseurs � Gerb�viller est marqu� par un accident p�nible. Un cavalier (17) qui, pour des raisons mal d�finies et contrairement aux ordres re�us, s'�tait �cart�, le soir, des lisi�res Est du cantonnement, du c�t� de la brasserie, est accueilli, � son retour, par le : �� Qui vive ? � d'une sentinelle. Se sentant peut-�tre en faute, il se tait et la sentinelle l'abat d'un coup de carabine. On l'enterre le lendemain. C'est le premier tu� du r�giment, la premi�re victime de la guerre � Gerb�viller. La population se m�le en une communion �troite aux chefs et aux camarades du malheureux, autour de sa tombe, au cimeti�re communal.
Apr�s le d�part du 16e chasseurs, nous voyons passer de l'infanterie, puis cantonner le 48e d'artillerie, - artillerie de la 15e division (Dijon). - Il passe deux ou trois nuits � Gerb�viller, formant le parc dans un pr� � proximit� de la gare et allant dans la journ�e se mettre en batterie sur la Meurthe. Le passage r�p�t� des batteries gagnant leur position ou rentrant au cantonnement et des attelages allant � l'abreuvoir � la rivi�re, emplit notre quartier d'un tumulte cliquetant, d'une poussi�re et d'une odeur de cuir, de crottin et de graisse, bien caract�ristiques de l'artillerie. Aux manoeuvres ou dans les revues, je n'ai jamais vu que des batteries sur le pied de paix, � quatre canons et quatre caissons. Le d�fil� de ces batteries sur le pied de guerre, encombr�es de forges, d'�chelles-observatoires, de fourrag�res, de fourgons et de caissons, au milieu desquels disparaissent les quatre canons, bouleverse toutes mes notions �l�mentaires sur l'organisation de l'arm�e. Mais j'admire la magnifique tenue de ce r�giment, ses beaux attelages, ses harnachements neufs, son mat�riel bien soign�, l'ordre et l'impression de force qu'il d�gage et mon oncle Labrevoit fait avec les d�buts de la guerre de 1870 des comparaisons avantageuses et r�confortantes.
Au del� de l'horizon, la fronti�re s'anime. On entend le canon lointain � peu pr�s tous les jours. Des bruits courent : les Allemands sont � Og�viller (18). Mais le mouvement en avant de l'arm�e se poursuit. Au 48e d'artillerie succ�de le 210e r�giment d'infanterie, r�giment de r�serve du 8e corps (Auxonne). Form� depuis quelques jours de r�servistes de classes relativement jeunes, ce r�giment, le premier �l�ment de r�serve que nous voyons, offre un aspect tout diff�rent des r�giments d'active auxquels nous sommes habitu�s. L'ordre et l'esprit y sont excellents, mais il manque encore fatalement de coh�sion et d'entra�nement et la machine para�t un peu lourde. Le lieutenant-colonel qui le commande est log� chez mon oncle, le docteur Labrevoit, dont la maison est contigu� � la mairie. Je suis donc aux premi�res places pour assister aux honneurs rendus au drapeau, apr�s l'entr�e du r�giment, c�r�monie toujours recherch�e, � laquelle, nous, civils, nous nous empressons de prendre part, pour saluer, nous aussi, l'embl�me qu'enveloppe en ce moment un frisson et une majest� incomparables, tandis qu'au loin le canon tonne.
Aussit�t install�, le colonel va faire le tour du cantonnement. J'en profite pour me faufiler dans sa chambre et voir pour la premi�re fois de tout pr�s un drapeau de r�giment. Saisi d'�motion � la vue de cette �toffe brillante, inerte, dans un coin de la chambre, mais charg�e d'un si prenant symbolisme, c'est tout juste si je ne fl�chis pas le genou, comme en entrant dans une chapelle, et d'un geste non pr�m�dit� et instinctif, j'en porte la soie �clatante � mes l�vres.
La f�te de l'Assomption se d�roule, sinon dans la joie, du moins dans la confiance. Les Allemands ont �t� repouss�s dans les premi�res rencontres � la fronti�re et nous voyons notre arm�e continuer sa progression. Le voeu de Louis XIII s'accomplit avec une ferveur et une esp�rance nouvelles (19). Un � un, les �l�ments d�barqu�s dans la vall�e de la Moselle, sur les quais militaires des gares de la ligne de Nancy � Gray par Epinal, � Charmes et � Ch�tel, passent devant nous, de jour et de nuit, dans une revue gigantesque qui, depuis le premier �claireur du 16e chasseurs jusqu'au convoi administratif d'arm�e et aux �quipages de ponts, fait d�filer sous nos yeux tous les organes d'une arm�e mobilis�e au complet et des d�l�gations de toutes les provinces de France, ce qui nous vaut la plus remarquable le�on de choses militaires et de piquantes observations. Plus encore que l'�claireur du 16e chasseurs qui nous avait presque offusqu�s en p�n�trant chez nous la carabine au poing, certains d�racin�s par la mobilisation de trop lointaines provinces semblent, apr�s tant d'heures de chemin de fer, se croire d�j� en pays ennemi. Ceux-l�, peu nombreux, heureusement, mais peut-�tre plus qu'on ne pense, ne distinguent pas la Lorraine de l'Alsace-Lorraine ni l'Alsace-Lorraine de l'Allemagne et pour eux �a n'est d�j� plus la France, car ils ne savent pas au juste o� passe la fronti�re. Montrant � un officier du g�nie le Donon et les Vosges, je le vois s'�mouvoir : �� Ah ! voil� la ligne bleue des Vosges ! � et s'�tonner aussi de la voir encore si �loign�e. J'entends un autre, d'un accent sonore qui voudrait �tre gentiment protecteur, me d�clarer : �� Nous venons d�fendre votre pays �. Et je ne puis r�primer une grimace comme � l'audition d'une fausse note. Des enfants de la plaine trouvent les environs de Gerb�viller particuli�rement accident�s et l'instant d'apr�s quelque montagnard me dit : �� Que c'est plat chez vous ! � Belles le�ons de relativisme.
Apr�s les �l�ments combattants des premiers jours nous voyons les parcs d'artillerie, leurs sections de munitions, les trains r�gimentaires, le service sanitaire avec ses groupes de brancardiers de corps d'arm�e et de division et leurs pleines charret�es de jeunes �l�ves de l'�cole de Lyon, le troupeau de b�tail, les autobus parisiens transform�s en voitures � viande et dont beaucoup portent encore les plaques indiquant l'itin�raire auquel ils �taient affect�s dans la capitale et cet ineffable convoi administratif d'arm�e o� chevaux et mulets de toutes tailles, attel�s aux voitures de r�quisition des mod�les les plus vari�s et les plus effarants apportent dans nos rues des images bourguignonnes, berrichonnes ou morvandelles. C'est comme l'exode de tout un peuple, une v�ritable �migration; �a tient du d�m�nagement autant que de l'exp�dition, du militaire et du romanichel, du �� camp volant � comme on dit en Lorraine; �a n'a pas d'�ge et �voque aussi bien les guerres de l'antiquit� que les campagnes du Premier Empire ou la Guerre de Trente Ans. Le mot impedimenta si souvent rencontr� dans Tite-Live ou C�sar a pour moi maintenant un sens v�cu. Et �a roule, �a cahote, pendant des heures et des jours, au milieu des rires, des quolibets et des lazzis, car tout ce monde, toujours dans un ordre parfait, est dans l'ensemble bien moins grave que les combattants de l'avant qui, pourtant, ne manquaient pas de bonne humeur, ni de moral.
Le jeudi 20 ao�t, le docteur Louviot m'invite � l'accompagner dans son automobile jusqu'� Vennezey (20) o� il a un malade � voir. Nous nous heurtons � un �quipage de ponts encombrant la route et dont les longs bateaux font un curieux alignement dans le vallon du ruisseau de Paleboeuf (21) qui para�t, du coup, un lac subitement ass�ch�. Rien ne manque donc au d�fil�. Voil�, pensons-nous, pour passer le Rhin.
Le bruit de la canonnade redouble, mais lointain.

II

Je suis en train d'observer les phases de l'�clipse de soleil du vendredi 21 ao�t 1914, quand, vers 10 heures du matin, les premi�res vagues de la retraite de Sarrebourg-Morhange atteignent Gerb�viller, sous la forme d'un d�tachement de pr�v�t� d'arm�e, venant, non plus de l'ouest, comme toutes les troupes qui passent depuis plus de dix jours, mais de la direction du front. Ces gendarmes s'arr�tent devant la mairie et ne nous cachent pas qu'il y a un mouvement de repli. Dans l'apr�s-midi une escadrille de blancs avions vient atterrir dans un pr� au bord de la route de Remenoville (22), � 500 m�tres � l'ouest de la gare. Cela rappelle le Circuit de l'Est, trois ans plus t�t. Les curieux se pr�cipitent. Des gendarmes, sortis on ne sait d'o�, gardent les monoplans qui reprennent bient�t leur vol vers l'arri�re. R�jouis par les premiers succ�s de Bl�mont, nous nous croyions depuis quelques jours en s�ret� et � l'abri de l'invasion. Ces premiers indices de revers voilent de tristesse et d'appr�hension notre s�r�nit�.
A chaque heure cro�t notre angoisse, aliment�e par des faits nouveaux. On apprend la mort des premiers enfants de Gerb�viller tomb�s au champ d'honneur. C'est le chasseur Joseph Milanus, qui, le 11 ao�t, a ouvert le glorieux martyrologe.
Dans la soir�e, des troupes combattantes en d�route passent en laissant derri�re elles une impression d�plorable dont je recueille au matin les �chos indign�s.
Dans la journ�e du samedi, la bataille, jusqu'alors lointaine se rapproche. D�j� elle ne semble plus au del� de l'horizon (23). Apr�s le d�jeuner un gros orage �clate, ajoutant le tonnerre � la canonnade. A l'�glise, o� les vitraux tremblent, pr�s de claquer, des femmes, group�es autour du confessionnal, pleurent et prient � haute voix. Les bataillons refluent sans arr�t, certains compl�tement d�moralis�s. L'hospice recueille quelques bless�s ou malades qui ne peuvent suivre la retraite. Les unit�s m�lang�es appartiennent, en majeure partie, au 16e corps (24). Chaque homme qu'on interroge d�clare qu'il est le seul qui reste de sa compagnie. Isol� de ses camarades, il est sans doute de bonne foi, mais combien y a-t-il donc de compagnies dans ces r�giments ? Derri�re les colonnes, des fuyards nombreux, grimp�s sur des carrioles avec quelques couchages, du petit mobilier et des provisions, m�lent leurs tristes �quipages aux voitures militaires, la plupart h�ves et sombres, les uns terroris�s, muets et pleurant, d'autres semant la panique. Le soir on dit que les Allemands sont � Lun�ville (25). Instants inoubliables o� naissent dans l'�me des sentiments nouveaux - de rage et d'an�antissement - � la vue de l'ab�me qui s'entr'ouvre. Une anxi�t� tr�s aigu� s'empare de moi, d'autant plus vive que le myst�re s'obstine � planer sur la nature du malheur attendu.
Dans la nuit (du 22 au 23) des ponts sautent (26). Des incendies annon�ant l'approche des barbares enflamment l'horizon. Vers minuit, j'ouvre ma porte, bien timidement, � une section du 2e bataillon de chasseurs � pied, pensant d�j� avoir affaire aux Allemands.
�� - Croyez-vous qu'ils viendront jusqu'ici ?
�� - Ils n'y sont pas encore, c'est bon ! Et nous, nous sommes toujours-l� ! �
Apr�s avoir cantonn� � la maison, les chasseurs disparaissent au petit jour. De telles sc�nes nous sont famili�res. Il n'est pas d'ann�e qu'une manoeuvre ou l'autre de nos garnisons lorraines ne nous en ait fait vivre de semblables. Mais cette fois il ne s'agit plus de th�me conventionnel, c'est le drame lui-m�me qui se joue et sa poignante r�alit� qui nous �treint.
Beaucoup d'habitants de Gerb�viller ont suivi la retraite et, comme les fonctionnaires et les services publics, �vacu� la place. Nous voyons la locomotive haut-le-pied qui, depuis la mobilisation, montait la garde � la gare, s'en aller en emmenant le personnel. Nous sommes d�sormais comme en une ville assi�g�e, s�par�s du monde ext�rieur. Il reste pourtant encore la possibilit� de fuir. Fuir ! Acte et mot r�pugnants ! N'ayant encore aucune autre obligation militaire que d'attendre � Gerb�viller ma feuille de route de la classe 1914, dont l'appel va �videmment �tre devanc�, alors que l'autorit� militaire n'accepte pas d'engagements pendant les vingt premiers jours de la mobilisation, je consid�re comme un devoir de demeurer jusqu'� nouvel ordre avec les miens, chez moi, et comme une d�sertion et un geste de d�faitisme, dira-t-on plus tard, de grossir le cort�ge des fuyards. Et comment fuir avec les vieillards qui m'entourent ? Je crois aussi, pour l'avoir lu r�cemment dans les publications du g�n�ral Maitrot (27) que, sur les avanc�es de la Trou�e de Charmes (28) l'arm�e fran�aise utilisant une � une les coupures du terrain et les tranch�es successives que lui offrent les vall�es parall�les de la Vezouse, de la Blette, de la Verdurette, de la Meurthe, de la Mortagne et de l'Euron, marquera un temps d'arr�t sur chacune de ces lignes et que, de Gerb�viller, on aura bien le temps de se sauver quand on se battra sur la Meurthe de Saint-Cl�ment (29) et de Fraimbois. Education livresque mise � l'�preuve de la r�alit� ! Et je pense que les demeures abandonn�es pourraient �tre les plus �prouv�es. Une voisine qui a connu la guerre de 1870 me l'affirme en se moquant des �� froussards � qui partent et en ajoutant : �� Si les Prussiens viennent (le mot : Boche, � peine lanc�, n'�tait pas encore r�pandu) on verra bien. On les a bien eus en 70 ! � Et puis de telles puissances affectives me lient � ce Gerb�viller o� la tombe de mon p�re est fra�chement scell�e que je ne songe nullement � m'�loigner. C'est une grosse imprudence dont tous les risques ne m'�chappent pas, mais pourquoi ne pas mourir l� et faire d'une ch�re maison, que je ne puis alors imaginer d�truite, mon propre tombeau (30).
L'appr�hension du lendemain se fait pourtant chaque jour plus vive. Et � vouloir �� tenir �, faire front tr�s inutilement et �� cr�ner � tr�s imprudemment sous la menace ennemie, nous n'en devinons pas moins la cruelle imminence qui p�se sur nous et il faut dominer les r�actions qu'un organisme non initi� oppose aux premiers contacts avec les r�alit�s de la guerre. Une brusque d�pression des nerfs, trop tendus dans l'inaction, d�termine chez moi une crise de bile et de larmes.
Le dimanche (23 ao�t) est radieux. Pas le moindre bruit de guerre. Quelques rares avions dans un ciel tr�s pur. Le docteur Louviot re�oit l'ordre de se replier sur Bayon (31). Mon oncle Labrevoit assure le service � l'ambulance de l'hospice avec les m�decins-majors de passage. Dans la matin�e deux divisions de cavalerie (32)


Clich� Bastien.
Le pont de Gerb�viller sur la Mortagne interdit aux allemands de 8 h. du matin si 5 h. du soir par les 60 chasseurs du 2e B. C. P, command�s par l'adjudant Ch�vre et demeur� intact au milieu de la bataille dont il �tait l'enjeu.

qui ont prot�g� la retraite d�filent au trot devant nos fen�tres. J'ai le plaisir de saluer rapidement au passage dans les rangs du 8e dragons quelques figures amies, notamment deux camarades de Nancy : Pierre Machon (33) et Paul Benoit-G�ny.
L'apr�s-midi, calme et silence complets. Quelques cavaliers isol�s, des estafettes, qui s'arr�tent pour se rafra�chir et dont on ne peut tirer grand'chose. On dit que des patrouilles de cavalerie allemandes sont dans les bois du marquis, �� � la Reine � (34), en bordure de la route de Lun�ville. Peu de monde dans les rues. Ceux qui sont rest�s se terrent. Nous descendons vers la Mortagne. Mais le grand pont est barricad� et nous ne pourrons pas passer (35). Nous rebroussons chemin, impressionn�s par le calme pesant, sous le grand ciel bleu de nos belles vacances d'autrefois, devenu si lourd de menaces dans le silence des cloches qui se sont tues depuis qu'elles ont lanc� l'appel aux armes le soir du Ier ao�t.
La journ�e s'ach�ve tranquille et la nuit est �trangement douce et paisible.

Le lendemain, lundi 24, le premier passant que j'aper�ois par ma fen�tre est un cavalier allemand qu'un des n�tres emm�ne prisonnier. Quelle joie et quel bon pr�sage ! Mais �videmment, �� ils � ne doivent plus �tre bien loin. Vers 8 heures et demie, muni de ma jumelle, je sors pour aller voir ce qui se passe. En descendant la rue, je rencontre un de mes conscrits, Albert Krakowski, qui estime le moment venu de s'en aller, vers Bayon ou Charmes. Mais je ne peux croire que les Allemands passeront; on les repoussera. Je sais l'importance de la Trou�e de Charmes et n'ai-je pas �t� t�moin, deux


Clich� J. Godfrin.
La d�fense de Gerb�viller le 24 ao�t 1914.
Bas-relief en bronze du monument aux morts de Gerb�viller, par E. Bachelet (1924).

mois plus t�t, de l'importante manoeuvre de cadres qui r�unissait, en juin 1914, tous les officiers g�n�raux et chefs de corps des grandes unit�s aujourd'hui engag�es, sur le terrain m�me o� ils auraient � combattre et qu'ils doivent donc conna�tre parfaitement ?
Pr�s de la mairie, un dragon me demande �� un chemin pour gagner rapidement Vallois (36) par la rive gauche et d�fil� de la rive droite, car la Mortagne va �tre attaqu�e d'un moment � l'autre �. Je le mets sur la voie, compl�te sa carte de quelques renseignements et le voil� parti. Je monte sur le toit de la maison Labrevoit pour scruter l'horizon et observer la rive droite. J'aper�ois quelques uhlans (37) patrouillant dans les vergers et cherchant � reconna�tre les abords de la localit�.
Sur la route de Lun�ville, un important groupe, en stationnement, de chevaux non mont�s, de v�hicules (dont on ne distingue que les roues) et d'hommes � pied grouillant � leurs c�t�s. Je me demande quelle arme et quelle arm�e ce peut �tre, quand un panache de fum�e jaillit � peu de distance du groupe, suivi d'une d�tonation et les shrapnels d�gringolent sur les tuiles autour de moi. C'est ainsi que mon inexp�rience d'observateur apprend l'aspect qu'offre � 2.000 ou 3.000 m�tres l'artillerie ennemie se mettant en batterie pr�s d'une route o� se rassemblent ses avant-trains. Je viens de voir tirer le premier coup de canon sur Gerb�viller (38).
L'heure n'est plus � demeurer sur les toits.
Je remonte chez moi en invitant � s'abriter une jeune voisine qui balaye nor-


Clich� Bastien.
Le ch�teau de Gerb�viller avant la guerre.

malement son trottoir, comme chaque matin, sans s'�tre encore aper�ue de rien et je lui fais remarquer le bruit des balles qui ne cessent de tinter sur les tuiles.
Rentr� � la maison, je prends en h�te quelques mesures de pr�caution, comme de dissimuler les albums de Hansi qui tra�nent sur une table au salon (39). Mais j'oublie de faire dispara�tre ma jumelle que j'accroche n�gligemment dans le vestibule, pensant sans doute en avoir encore besoin. Elle fera le soir le bonheur d'un Boche qui ne me laissera que l'�tui. Je m'installe � la cave avec ma grand'm�re (40) et la domestique (41).
A intervalles irr�guliers et sans h�te les obus tombent sur la ville. Petit bombardement de 77 qui me para�tra dans la suite bien anodin et comme un jeu d'enfant; mais c'est mon bapt�me du feu et je le trouve assez s�rieux pour ne pas penser que ce n'est qu'un simple ondoiement. Bien vite le s�jour � la cave m'est insupportable.
Le moindre bruit de l'ext�rieur est d�natur�, d�form�, amplifi� par l'imagination troubl�e : un �clat d'obus tombant sur une trappe de cave, c'est une chemin�e qui s'�croule, un carreau cass� fait croire � un toit �ventr�. De quart d'heure en quart d'heure, entre les salves, je sors dans la rue ou au jardin pour essayer de me rendre compte des ravages. Les chasseurs d�fendent le pont et la rivi�re. De temps


Clich� Bastien.
Les ruines du ch�teau de Gerb�viller.

en temps l'un d'eux passe devant la maison assurant la liaison entre les diff�rents postes et l'arri�re. Pas d'autre mouvement dans la rue. Depuis 9 heures et demie tout le quartier situ� sur la rive droite - la Vacherie, qu'on appelait le Faubourg Notre-Dame avant la R�volution - est en flammes. Le vent d'ouest-sud-ouest �loigne de nous les masses de fum�e qui se gonflent dans le ciel � l'horizon au-dessus des toits de notre quartier demeur� tranquille et inerte (42). On am�ne un bless� � l'hospice.
Une soeur s'avance au milieu de la rue et devant le spectacle terrible qui s'offre � elle dans le rayonnement de la plus splendide matin�e d'�t�, elle l�ve les bras au ciel en un geste d'effroi et de supplication.
D�s les premiers coups de canon, mon vis-�-vis, Louis Guyon, avait men� dans un parc � quelque cent m�tres sur la route de Haudonville (43) pour les mettre � l'abri des coups, ses vaches et le cheval qui lui reste apr�s les r�quisitions. M'apercevant sur le trottoir, il me fait signe. Je traverse la rue et le suit; il me montre, tout navr�, une br�che de plusieurs m�tres de diam�tre dans le mur de sa maison, c�t� jardin, o� vient d'arriver un obus. L'air est encore plein de poussi�re dans


Clich� Bastien.
Int�rieur de la chapelle de M. le marquis de Gerb�viller apr�s le bombardement.
Au centre, le saint Jean-Baptiste de Paul Dubois : tomb� de son socle.

l'�curie. Un peu plus tard, il me rappelle : �� Viens voir! Le ch�teau qui br�le ! �
Et par la br�che de son mur qui encadre le sinistre tableau, je vois, au milieu des flammes qui le d�vorent, le d�me o� flottait le matin encore le drapeau de la Croix-Rouge. Sa couverture de zinc, pr�s de fondre, �tincelle d'une lueur verd�tre, �trange et d�licate. Avec quelle douleur je vois successivement atteints ce ch�teau des Lambertye-Tornielle et sa chapelle, lieux v�n�r�s o� j'ai �prouv� mes premi�res �motions esth�tiques devant le Tarcisius de Falgui�re (44), le Jean-Baptiste de Paul


Clich� des Archives photographiques d'art et d'histoire,
Saint Tarcisius d'Alexandre Falgui�re (Mus�e du Louvre).

Clich�s J. Godfrin
D�bris de saint Tarcisius d'Alexandre Falgui�re d�truit le 24 ao�t 1914 par les Allemands � Gerb�viller devenu par cette nouvelle mutilation le symbole du martyre de la ville.

Dubois (45) et les rares beaut�s de ces reliquaires d'art que j'ai revues et admir�es quelques jours plus t�t encore en aidant � l'installation de l'h�pital.
A midi, une accalmie. Nous prenons notre repas, � la cave toujours, impatient�s de ne voir ni entendre la r�action des n�tres. Notre artillerie semble muette, nous n'entendons m�me pas les coups de feu des chasseurs en avant de nous. Pourquoi ce silence et cette apparente inaction ? (46) Et pourtant, avec une na�ve confiance, je songe encore que la journ�e pourra s'achever par la retraite de l'ennemi et un Te Deum � l'�glise !
De nouveau dans la rue et toujours sans oser m' �loigner de la maison, j'entends une. fen�tre du premier �tage s'ouvrir � l'hospice et la voix fl�t�e d'un pensionnaire bien connu crier : �� N... de D... de B.... D.... ! Ils ne sont seulement pas f.... de faire les chambres � 1 heure de l'apr�s-midi ! � En m�me temps jaillit de la fen�tre � bout de bras un vase de nuit dont le contenu est aussit�t vid� sur le trottoir. Ainsi la com�die se m�le au drame.
L'instant d'apr�s, le bombardement reprend et cette fois les coups tombent non loin de nous. Guid� par le bruit de leurs explosions, je me dirige vers le jardin; j'arrive � point � la porte vitr�e pour voir un obus percuter dans le mur qui me s�pare du jardin voisin, � une vingtaine de m�tres de moi. Les �clats de pierre et d'acier retombent en pluie � mes pieds sur la terrasse et je me replonge en h�te � la cave, o� l'on tremble d�s que je suis dehors. C'est le premier obus que je vois �clater et sans sortir de chez moi. Redoutable privil�ge et honneur des Lorrains de recevoir le bapt�me du feu � domicile.
Je me rends vite compte qu'apr�s le ch�teau, dans la matin�e, c'est l'�glise toute proche que prennent maintenant pour cible les pi�ces allemandes, car apr�s les premiers �carts en direction (notamment ce coup � droite tomb� dans mon jardin) le tir se pr�cise. Ressorti une fois de plus de la cave, j'en suis les effets sur l'�glise qui r�siste de toute sa carrure. Sur les pierres de taille de la tour les obus �clatent sans p�n�trer. Dans la toiture ils s'enfoncent en pulv�risant les tuiles dans un nuage de rouille. Navrant et poignant spectacle (47) ! Le clocher s'effrite sous les coups et les trois cloches - nos cloches aux voix aim�es - frapp�es par des �clats tintent de temps � autre, rendant un son plaintif comme le g�missement de victimes innocentes et qui ne comprennent pas. Nous comprenons, nous, � ce moment, qu'elles sonnent le glas de Gerb�viller et peut-�tre le n�tre.
Pass� dans la rue pour savoir ce qui se passe de ce c�t�-l�, je vois sortir de l'hospice un fantassin fran�ais sans armes. Il m'aper�oit, court � moi, l'air affol�, me suppliant de le cacher. Il est malade, il pleure et grelotte de fi�vre. Il n'est plus ma�tre de lui et ne veut plus retourner � l'hospice, par peur des Allemands qui l'y feront prisonnier ou l'y tueront, croit-il. Il entre � la maison sans que je l'y invite, car je ne vois pas ce que je peux faire pour lui et sa pr�sence chez moi me para�t particuli�rement inopportune, aussi bien aux yeux de l'autorit� fran�aise que vis-�-vis de l'envahisseur. Je le fais descendre � la cave et s'y reposer quelques instants et, apr�s lui avoir donn� � boire, je r�ussis � lui faire comprendre que sa place n'est pas l�. Qu'il fuie vers l'arri�re s'il en a la force ou qu'il retourne � l'hospice au milieu des camarades qu'il y a laiss�s � l'abri de la Croix-Rouge. C'est � la premi�re alternative qu'il se r�soud une fois r�confort� et le malheureux s'en va, g�missant et frissonnant.
De nouveau, c�t� jardin; au sommet du clocher, une petite flamme cherche � se livrer passage entre les ardoises de la pointe de la fl�che. Sous les coups de l'artillerie allemande la charpente de bois du clocher a pris feu.
Vers cinq heures du soir, les chasseurs se retirent (48). L'un d'eux, un des agents de liaison auxquels j'ai donn� le matin mes derni�res cigarettes, me dit en passant devant la maison et en me revoyant sur la porte : �� On s'en va... Il fallait tenir jusqu'� pr�sent. Maintenant, on ne peut plus... Planque toi, va ! Les v'l� qui montent ! � En effet du bas de la rue s'�l�ve une rumeur : cris et hurlements accompagnant une cacophonie domin�e par les fifres per�ants, les trompes sans m�lodie et les tambours aux roulements mats et lents. C'est �a le peuple de Wagner !
Suivant le conseil �� du vitrier �, je retourne � la cave. Le tumulte devient plus distinct. Bient�t la porte de la maison est �branl�e par un choc violent. La domestique, pratiquant le platt-deutsch, s'�lance pour ouvrir � l'envahisseur tout en me refoulant dans la cave (dont elle referme sur moi la trappe), en bas, nous l'entendons parlementer; nos pri�res redoublent. A la porte la conversation ne se prolonge pas. Des pas approchent de la trappe et, scandant ses appels de coups de crosse de fusil, une voix peu rassurante s'�crie : Heraus ! Heraus ! Schnell ! Heraus !
En m�me temps la domestique m'appelle.
Qu'est-il advenu ? Que vais-je trouver en haut de l'escalier ? La pointe d'une ba�onnette peut-�tre. Secondes du paroxysme d'angoisse et pour la premi�re fois un de ces instants pr�cieux o� l'on a la sensation claire d'�tre � l'article de la mort. Aussi en gravissant les marches, me pr�par�-je moins � para�tre devant un soldat allemand que devant Dieu lui-m�me. Je soul�ve p�niblement la trappe et me voil� en face d'un jeune �� feldgrau � (49) au teint rose, l'arme au pied, ba�onnette au canon.
- �� Cachez-vous vite, me dit la domestique. Il vous y autorise et dira qu'il n'a rien vu de suspect dans la maison. Mais disparaissez au moins pendant trois jours, sans quoi vous serez fusill� �.
Et le Boche aussi insiste : Schnell ! in der Stroch, auf dem Dach!
Comprenant alors que j'�tais sauv�, au moins provisoirement et sans m'attarder � des remerciements, je bondis dans l'escalier de service qui prend naissance en haut de l'escalier de la cave et qui m�ne directement au grenier, au deuxi�me �tage. Je suis � peine au premier �tage quand la horde envahit le vestibule.
Au grenier j'avise une soupente inaccessible entre le toit et le dessus des mansardes. J'y monte avec une �chelle que je retire derri�re moi et je m'�tends, l'�chelle � mon c�t�, dans l'angle form� par la toiture et le plancher, sur une couche de poussi�re, vieille au plus de vingt-trois ans, l'�ge de la maison, et pas encore tr�s moelleuse.
On sait l'influence des sensations et des �motions ant�rieures ou concomitantes sur un �tat de conscience donn� : je viens d'�chapper � un tel danger que j'�prouve une b�atitude extr�me. Toute inqui�tude a disparu. J'ai l'impression d'�tre en s�curit�, au calme. Loin de g�mir sur ma situation pr�caire et la perspective de passer l� au moins et au mieux, plusieurs jours et plusieurs nuits, je ne songe qu'� me r�jouir de vivre encore libre et � en remercier Dieu (50). Par quelle merveilleuse attention de la Providence, en effet, et gr�ce � quel sang-froid de la domestique qui, sans peur et en deux mots, a plaid� pour moi, d�peint par elle comme un enfant malade, ai-je �chapp� � la fureur du barbare? (51)
(A suivre.)
Jean GODFRIN.


Clich� H. Grasse.
L'�glise de Gerb�viller au printemps de 1915. (Voir Maurice BARR�S, L'�me fran�aise et la guerre. V. Les voyages de Lorraine et d'Artois, p. 311. Le printemps qui surgit des ruines.) Vue prise du point o� l'auteur en observait le bombardement le 24 ao�t 1914.

(1) Le 31 juillet 1914 il n'y avait plus de doute que pour ceux qui voulaient esp�rer contre toute esp�rance que la guerre allait �clater. J'ouvris un cahier, d�cid� � y consigner au jour le jour, tant que les �v�nements me le permettraient, les faits dont je serais le t�moin et les impressions qu'ils provoqueraient en moi et autour de moi. Cette r�daction fut interrompue le 24 ao�t suivant, � l'arriv�e des Allemands � Gerb�viller o� je r�sidais depuis la fin de juin, en vacances depuis le 16 juillet, et le cahier qui la contenait, bien qu'il ait �t� vu sur mon bureau, de longues semaines apr�s le passage des Allemands, a disparu ensuite de la maison, ouverte alors � tout venant, sans que je sache s'il a �t� d�truit ou s'il a paru assez int�ressant pour trouver preneur.
Le r�cit qu'on va lire comprend trois parties : la premi�re - du 31 juillet au 21 ao�t - est une tentative de reconstitution fragmentaire, � 22 ans d'intervalle, du cahier en question; un r�sum� de la deuxi�me - journ�es des 21, 22, 23, 24, 25 et 26 ao�t - �crit � la h�te entre deux s�jours sous Verdun, en f�vrier-mars, a paru dans La Foucotte (Bulletin de Guerre) de l'ann�e 1916 (p. 160). J'ai d� le compl�ter de quelques d�tails et de quelques notes. Enfin la troisi�me partie - �tapes de Gerb�viller � Nancy et Dijon - reproduit, partiellement, une s�rie de lettres �crites de septembre � d�cembre 1914.
Qu'on ne cherche point dans ce r�cit un chapitre de l'histoire de la bataille de Lorraine ou de l'histoire de Gerb�viller. C'est une simple note, d'o� a �t� volontairement exclu tout fait, m�me certain, dont je n'ai pas �t� moi-m�me t�moin oculaire ou auriculaire � l'une des dates envisag�es, contribuant � donner, au bas d'une grande page de l'histoire de France et du pays lorrain, des impressions et l'atmosph�re des premiers mois de la Grande Guerre.
(2) Meurthe-et-Moselle, chef-lieu de canton de l'arrondissement et � 13 km. sud de Lun�ville sur la Mortagne, affluent de gauche de la Meurthe.
(3) Colonel Dezaunay.
(4) Cette vision - comme bien d'autres de ce premier mois de guerre - ne s'effacera jamais � mes yeux de son cadre et, sur le parapet du pont, je retrouve, � chacun de mes fr�quents passages, immuable et muet, le colonel inconnu, statufi� par l'impression profonde de 1914.
(5) Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, canton et � 4 km. 500 S. de Gerb�viller.
(6) Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, canton et � 5 km. S.-E. de Gerb�viller.
(7) Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, cant. et � 9 km. N.-O. de Gerb�viller. Bifurcation sur la ligne de Paris � Avricourt.
(8) Vosges, chef-lieu de canton de l'arrondissement et � 21 km. E.-N.-E. d'�pinal. Bifurcation sur la ligne d'�pinal � Saint-Di�.
(9) 1868-1926.
(10) 1842-1920.
(11) 1870-1927.
(12) Comme si quelque pressentiment l'accablait de son poids. M. le chanoine Vanat, en effet, apr�s avoir failli tomber sous les coups de l'artillerie allemande, en allant sous le feu, le 24 ao�t, vers l'�glise, pour tenter, en vain, de sauver les Saintes Esp�ces, fut, le soir m�me, � l'arriv�e des Allemands, arr�t� comme otage et comme �� franc-tireur � (�tant accus� d'avoir d�velopp� l'esprit patriotique de la jeunesse et d'avoir �t� �� l'�me de la r�sistance � ) tra�n� sur les champs de bataille des environs, � la suite des troupes, avec les autres otages, pour �tre fusill�, graci� sur le t�moignage de trois prisonniers du 2e bataillon de chasseurs � pied qui jur�rent devant Dieu qu'aucun habitant de Gerb�viller n'avait tir� sur les troupes allemandes et, finalement, apr�s un douloureux exode (dont il a donn� le r�cit dans le Bulletin de l'Association des Anciens Prisonniers civils de l'arrondissement de Lun�ville, 1930), intern� en Allemagne d'o� il ne revint qu'en 1915, au cours d'un �change de prisonniers civils et gr�ce � l'intervention de S. M. Alphonse XIII, roi d'Espagne, int�ress� � son sort par la marquise, de Gerb�viller, n�e Soto-Mayor. M. le chanoine Vanat, n� en 1848, � Fraimbois (Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, cant. et � 4 km. 800 au N.-N.-E. de Gerb�viller), chevalier de la L�gion d'Honneur depuis 1933, continue aujourd'hui � diriger sa paroisse avec un z�le infatigable et exemplaire, entour� de la v�n�ration affectueuse de ses ouailles et de l'admiration de tout le dioc�se de Nancy et de Toul, dont il est le doyen des cur�s en exercice, apr�s soixante-trois ans de sacerdoce, dont trente et un comme cur�-doyen de Gerb�viller.
(13) Ce passage � niveau est form� par le croisement de la voie ferr�e Mont-sur-Meurthe-Bruy�res � son arriv�e � la gare de Gerb�viller (c�t� Mont-sur-Meurthe) et de la route de Gerb�viller aux Vosges qui constitue l'art�re principale de la partie de Gerb�viller situ�e sur la rive gauche de la Mortagne (rue des Ponts, place du Ch�teau, rues Carnot, du Centre (aujourd'hui Clemenceau), de la Gare (aujourd'hui Maurice Barr�s) et l'un des itin�raires principaux de la trou�e de Charmes, menant vers les ponts de la Moselle, avec les routes de Lun�ville � Bayon et � Charmes. Cette route (ancien chemin de Grande Communication n� 31, aujourd'hui : chemin d'int�r�t commun n� 22, embranchements divers), se d�tache dans Gerb�viller m�me de la route (autrefois : d�partementale n� 8 de Lun�ville � Rambervillers, aujourd'hui : Nationale 414) de Ch�teau-Salins � Rambervillers et c'est � cet endroit que se trouve le pont de Gerb�viller sur la Mortagne qui commande donc une des voies d'acc�s de la trou�e de Charmes.
(14) C�te-d'Or, chef-lieu d'arrondissement, 38 km. S.-E. de Dijon.
(15) Le 8e C. A. appartenait � la Ire arm�e (g�n�ral Dubail) dont il �tait le corps de gauche en liaison � gauche avec le 16e C. A. droite de la IIe arm�e (g�n�ral de Castelnau).
(16) Entre Meurthe et Vezouse, � une dizaine de kilom�tres au N.-E. de Gerb�viller.
(17) Blanchard (Antoine), 26 ans, de Chen�ve, canton de Buxy (Sa�ne-et-Loire).
(18) Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, cant. et � 10 km. S.-O. de Bl�mont et 17 km. N.-E. de Gerb�viller.
(19) Chant du Sub tuum avant la messe et procession apr�s les v�pres avec r�citation des oraisons sp�ciales en ex�cution du voeu perp�tuel prononc� par le roi Louis XIII en 1638 pour placer la France sous la protection de la Sainte Vierge.
(20) Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, canton et � 7 km. S.-O. de Gerb�viller.
(21) Affluent de droite de l'Euron.
(22) Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, canton et � 4 km. 750 au S.-O. de Gerb�viller.
(23) Il s'agit du violent combat soutenu h�ro�quement le 22 ao�t 1914 dans la r�gion Nord de Lun�ville (Crion-Sionviller-Cote 305) par la 31e division fran�aise (g�n�ral Vidal) du 16e corps contre deux divisions allemandes, au terme duquel l'ennemi put p�n�trer dans Lun�ville.
(24) �� Je n'ai jamais vu un tel mouvement de retraite, me confiait 22 ans plus tard le g�n�ral Vidal lui-m�me, dans la plus grande confusion, mais en bon ordre. �
(25) Les premi�res patrouilles allemandes sont en effet entr�es � Lun�ville, le soir du 22 ao�t et le lendemain (dimanche 23), le XXIe corps bavarois d�filait dans la ville �� fifres et tambours sonnant leur victoire (Adrien Bertrand, La Victoire de Lorraine, 20e �dition, Berger-Levrault, 1917, p. 34).
(26) Du moins entend�mes-nous des d�tonations sourdes et isol�es que nous interpr�t�mes ainsi, car, dans ces premi�res semaines de guerre, le canon se taisait la nuit. Ce jour-l�, d'ailleurs, le 22 � 23 heures, le g�n�ral Ferry, commandant la 22e brigade du 20e corps, re�ut l'ordre de se replier en faisant sauter les ponts de la Meurthe (mar�chal FOCH, M�moires, t. I, p. 64-65). Les ponts de Blainville saut�rent vers minuit (Voir A. MARTIN, Blainville-sur-l'Eau, p. 182).
Et c'est � 4 heures du matin le 23 que l'on fit sauter le pont de Rosi�res-aux-Salines (Communication in�dite du g�n�ral de Ponydraguin lors du passage du Congr�s historique des Anciens Combattants de la Trou�e de Charmes au L�omont le 18 ao�t 1934). Le pont de Xermam�nil (sur la Mortagne) ne sauta que dans l'apr�s-midi du dimanche 23, � l'apparition des reconnaissances de cavalerie allemande sur la rive droite de la Mortagne et c'est �galement le dimanche apr�s-midi qu'une tentative maladroite ne r�ussit pas � d�truire les ponts de Mont (Communication in�dite du commandant Ch�vre lors du passage du Congr�s historique des Anciens Combattants de la Trou�e de Charmes � Gerb�viller le 18 ao�t 1934). Le pont de Mont sur la Meurthe fut d�truit par les Fran�ais dans les premiers jours de septembre au cours d'une des fluctuations de bataille devant un retour offensif de l'ennemi plus mena�ant. Les autres ponts d�truits dans la r�gion, notamment ceux de Rehainviller et Lun�ville le furent par les Allemands au moment de leur retraite vers le 10 septembre.
Notre interpr�tation des d�tonations per�ues � Gerb�viller dans la nuit du 22 au 23 ao�t para�t donc avoir �t� exacte. Il s'agissait des ponts de Blainville et de Rosi�res.
(27) Voir notamment : Le Correspondant, 1913, I, p. 662 et 663.
(28) Charmes, d�p. des Vosges, chef-lieu de canton de l'arr. et � 14 km. N.-E. de Mirecourt; sur la Moselle, � 22 km. S.-O. de Gerb�viller. Il n'est pas superflu de rappeler que l'expression : Trou�e de Charmes, n'a aucun caract�re g�ographique, moins encore que l'expression : Grand-Couronn� de Nancy, d'origine militaire, elle aussi, mais qui, du moins, s'applique � un ensemble orographique bien d�termin�. La Trou�e de Charmes, terme purement militaire, d�signe la br�che volontairement laiss�e, dans le syst�me de fortification con�u par le g�n�ral S�r� de Rivi�re et adopt� apr�s le trait� de Francfort, entre le syst�me fortifi� Belfort-�pinal au Sud et le syst�me fortifi� Toul-Verdun au Nord et destin�e � canaliser une invasion dans une zone o� le terrain, loin d'�tre une trou�e et une voie d'acc�s naturelle, pr�sente au contraire une s�rie de coupures favorables � la d�fensive.
(29) Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun� ville, canton de Lun�ville-Sud, � 8 km. N.-E. de Gerb�viller, sur la Meurthe.
(30) �tat d'esprit du moment qu'avec le recul des ann�es on reconna�t comme sien, mais avec la m�me curiosit� que s'il s'agissait d'un autre que soi... tantum mutatus ab illo. - J'ignorais alors, n'ayant pas de 2e Bureau � ma disposition, qu'� Bl�mont, les jours pr�c�dents, des hommes de mon �ge avaient �t� brutalement tir�s de leur lit par les Allemands pour �tre emmen�s en captivit�. Cette hypoth�se-l�, sans doute la pire de toutes et suffisante pour me faire prendre le large, ne retint donc pas mon attention.
(31) Meurthe-et-Moselle, arr. et � 18 km. S.-O. de Lun�ville. Chef-lieu de canton � 15 km. O.-S.O. de Gerb�viller.
(32) Ou, du moins, des �l�ments de deux divisions de cavalerie; 2e D. C. et 6e D. C. (dragons et chasseurs � cheval de Lun�ville - dragons et cuirassiers de Lyon) avec leur artillerie. Le commandant Ch�vre, dans sa communication du 18 ao�t 1934 au Congr�s historique des Anciens Combattants de la Trou�e de Charmes, note tr�s exactement : �� Le 22 dans la soir�e, le corps de cavalerie install� dans la r�gion de Moyen-Vallois-Seranville �tait couvert par des �l�ments de la brigade l�g�re de chasseurs dans la r�gion de Fraimbois et par le 2e B. C. P. � Gerb�viller. Le 23 pour 9 heures, tous ces �l�ments avaient franchi la Mortagne �.
(33) Mort pour la France, sous-lieutenant au 56e R. A. C. (Voir Livre d'Or de l'Institution de La Malgrange, Nancy, ancienne Imprimerie Vagner, 1923, p. 141).
(34) Bois de la Reine, 2 km. N. de Gerb�viller.
(35) Toute la journ�e, en effet, l'adjudant Ch�vre et sa section de chasseurs � pied du 2e bataillon (en garnison � Lun�ville avant la mobilisation) organisent la d�fense des passages de la Mortagne qui leur sont confi�s. Dans sa communication du 18 ao�t 1934, le commandant Ch�vre pr�cise : �� Une ligne d'avant-postes fut �tablie sur la Mortagne :
2e compagnie � Mont; - 3e compagnie � Lamath; ire compagnie � Gerb�viller.
Le capitaine Thomassin r�partit sa compagnie en deux �chelons :
Une section � Haudonville (lieutenant Gamelin) ; Une section � Gerb�viller (adjudant Ch�vre) ;
Les autres sections sur la croupe � l'Ouest du bois d'Haudonville.
Pour ces unit�s la journ�e du 23 se passa � organiser la r�sistance sur la Mortagne. �
Dans notre quartier oppos� � la direction de l'ennemi, nul ne se doute m�me de leur pr�sence, encore moins de leurs pr�paratifs : �� rues barricad�es sur toute leur profondeur et largeur; tranch�es profondes en avant du village. Pas un chasseur dans les maisons. � (Communication pr�cit�e du commandant Ch�vre).
(36) Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, cant. et � 4 km. S.-E. de Gerb�viller.
(37) En ce d�but de guerre tout cavalier ennemi �tait volontiers baptis� uhlan. Il ne faut donc pas attacher ici � ce terme la pr�cision qu'il pouvait avoir dans la nomenclature de l'arm�e allemande.
(38) Cf. Echo de Paris, 28 ao�t 1915. Notes du lieutenant Gamelin publi�es par Maurice Barr�s.
(39) Que je ne devais d'ailleurs jamais retrouver par la suite.
(40) Madame veuve Fran�ois, n�e Thi�ry-Bonneville (1844-1916), de Nancy.
(41) Mademoiselle C�lestine Wittrich (1854-1932), de Neuf village, en Lorraine annex�e de langue allemande, aujourd'hui d�partement de la Moselle, arr. de Ch�teau-Salins, cant. et � 5 km. O.-S.-O. d'Albestroff.
(42) Tandis que, de l'autre c�t� de la Mortagne, � notre insu, le pillage et le massacre accompagnaient l'incendie. Voir Rapports et Proc�s-verbaux d'enqu�te de la Commission institu�e en vue de constater les actes commis par l'ennemi en violation du droit des gens, Imprimerie Nationale, 1915, t. I, p. 27-29, 32-138, 148-168.
(43) Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, canton et � 0 km. 750 au N.-O. de Gerb�viller.
(44) Magnifique marbre blanc, r�plique de celui qui fait aujourd'hui partie des collections du Mus�e du Louvre apr�s avoir appartenu aux collections du Mus�e du Luxembourg de 1871 � 1926. Il avait �t� offert au marquis de Gerb�viller, en t�moignage de reconnaissance, par l'auteur auquel son Tarcisius avait valu une m�daille au Salon de 1867, quand il avait �t� expos� � Paris, comme envoi de Rome, et qui obtint l'ann�e suivante pour cette r�plique la m�daille d'Honneur du Salon. Car c'est sur les indications du marquis de Gerb�viller, Ernest de Lambertye-Tornielle (1828-1904), alors � Rome, qui lui en avait fourni le mod�le et l'id�e, en lui pr�sentant un petit Romain dont il avait remarqu� le type pour en faire un saint Tarcisius, que Falgui�re en avait entrepris l'ex�cution. Il para�t qu'examinant avec le marquis de Gerb�viller la maquette qu'il venait de terminer, Falgui�re, m�content de l'effet, eut l'id�e de tailler dans la glaise et de retirer une tranche de quelque �paisseur de la partie inf�rieure du corps. Rapprochant et rajustant les deux morceaux, il obtint alors ce ploiement recroquevill� des jambes qui, joint � l'expression douloureuse et pure du visage, donne � cette oeuvre splendide tout son accent tragique, si remarquablement mis en relief dans la niche qui lui avait �t� m�nag�e dans sa chapelle par le marquis de Gerb�viller.
(45) Bronze c�l�bre (Salon de 1863) retrouv� � peu pr�s intact, quoique mordu par les flammes, apr�s l'incendie de la chapelle, comme le montre la photographie que nous publions. Pr�t�e � l'Administration des Beaux-Arts en 1917 pour une exposition des objets d'art mutil�s, provenant des provinces envahies, exposition qui fut prolong�e et transf�r�e en Am�rique, cette statue fut vol�e � Philadelphie dans des circonstances rest�es tr�s myst�rieuses et, malgr� toutes les d�marches de M. le marquis de Lambertye, jamais retrouv�e.
(46) Je ne pouvais penser - car alors ces notions m'�chappaient et il aurait fallu �tre au courant des intentions du commandement - qu'il ne s'agissait que d'un combat d'avant-postes, devant une position de r�sistance que chaque heure gagn�e rendait plus solide et garnissait d'effectifs plus frais et moins encore que l'ennemi pr�tait le flanc � la IIe arm�e fran�aise, dont le chef jetait alors (le 24 � 11 h. 15) les bases de la contre-attaque victorieuse du 25.
(47) Que leur ont fait ce ch�teau, cette �glise, cette bourgade paisible dont les maisons n'ont m�me pas servi d'abri aux chasseurs qui d�fendaient les passages de la rivi�re ? Re�us � coups de fusils apr�s trois jours d'une poursuite qui leur avait donn� � penser qu'une br�che d�finitive �tait ouverte dans notre front, les Allemands n'ont pu deviner qu'� Gerb�viller se jouait le pr�lude du redressement fran�ais. Ils ont pr�tendu faussement, sans avoir jamais pu en apporter la preuve ou le t�moignage, que les habitants avaient tir� parce qu'une de leurs premi�res victimes - on l'a su plus tard - avait �t� un de leurs officiers sup�rieurs un major (chef de bataillon), tu� par un des premiers coups de feu des chasseurs de l'adjudant Ch�vre (qui faisaient du tir ajust� �� au lapin �), comme il p�n�trait dans la localit� pour en reconna�tre les d�fenses.
Ivres de rage, ils n'en �taient pas � un mensonge pr�s pour trouver un pr�texte aux atrocit�s auxquelles leur cruaut� avait vou� notre malheureux pays. Et ce mensonge �tait si gros que jamais ils n'ont os� en faire �tat dans leurs r�cits de guerre. Au contraire, voulant cacher le sort barbare qu'ils ont d�lib�r�ment inflig� � Gerb�viller sans l'ombre d'une raison ou d'un pr�texte avouables ou vraisemblables, et alors que, seuls, le ch�teau et sa chapelle et la tour de l'�glise furent incendi�s par les obus, ils �crivent dans leur relation officielle de la guerre : �� Sous le tir efficace des canons allemands, cette localit� (Gerb�viller) se mit � flamber, ce qui en rendit compl�tement impossible la travers�e par nos troupes (Archives du Reich. La guerre, mondiale, t. I, 5e partie, p. 578). Voil� comme on �crit l'histoire quand on ne veut pas avouer qu'une section de chasseurs � pied a tenu en �chec pendant plus de 8 heures une brigade allemande.
(48) Les avant-postes de Lamath et de Mont n'ayant pu tenir aussi longtemps qu'� Gerb�viller, la retraite de l'adjudant Ch�vre et de sa section fut particuli�rement difficile, car les Allemands s'�taient infiltr�s sur la rive gauche de la Mortagne en aval de Gerb�viller. Apr�s s'�tre heurt�s � une compagnie allemande qui creusait des tranch�es aux lisi�res de Gerb�viller et dont ils r�ussirent � passer inaper�us, les d�fenseurs de la Mortagne trouv�rent Remenoville occup� par l'ennemi et ne purent rallier les lignes fran�aises qu'en se jetant dans les bois au Sud de Gerb�viller et, � la faveur de la nuit, atteindre le 25 � 3 heures du matin les avant-postes du 8e C. A. au del� d'Essey-la-C�te (Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, canton � 8 km. 500 au S.-O. de Gerb�viller). (Communication pr�cit�e du commandant CH�VRE le 18 ao�t 1934. Voir �galement les notes du lieutenant GAMELIN dans l'Echo de Paris du 28 ao�t 1915).
(49) Du 166e R. I. (62e Br.-31e D. I.-XXIe C. A.) en garnison � Bitche avant la guerre.
(50) Instinctif optimisme de la jeunesse ! Pas un instant l'id�e ne m'effleura que j'�tais peut-�tre bloqu� d�finitivement dans les lignes allemandes. Ma confiance dans le succ�s de nos armes ne me laissait pas douter un instant que ce ne f�t qu'un mauvais moment � passer.
(51) Alors que dans d'autres maisons, tant de malheureux, au sortir de leur cave, ont �t� accueillis � coups de revolver ou faits prisonniers (Voir : Rapport et Proc�s- Verbaux d'enqu�te de la Commission institu�e en vue de constater les actes commis par l'ennemi en violation du Droit des Gens, Imprimerie Nationale, MDCCCCXV, t. 1), j'ai trouv� devant moi un coeur g�n�reux, une exception dans la masse, un bras indign� qui refusait d'ex�cuter les assassinats command�s. Assassinats command�s, car j'ai toujours consid�r� qu'en pr�cisant : �� qu'il disparaisse pendant trois jours, sans quoi il serait fusill� �, cet Allemand apportait une preuve que les assassinats et les atrocit�s commises par l'ennemi � Gerb�viller avaient �t� prescrits par l'autorit� allemande et r�sultaient d'un mot d'ordre, d'une consigne, donn�s par le commandement. Entr� chez moi en compagnie d'un camarade capable de le d�noncer, cet Allemand e�t-il pu prendre une initiative aussi g�n�reuse et tellement compromettante pour lui qu'il disparut de son c�t�, qu'on ne le revit plus dans la maison et qu'il fut impossible de gratifier son humanit� de la moindre bouteille de vin, ni du moindre merci. J'ai toujours pens� qu'il s'agissait d'un Lorrain, car les Lorrains et les Alsaciens �taient assez nombreux dans cette division.


Le Pays lorrain - 1937

Le Bouchon sur la Vague

T�moin invisible et aveugle, je n'ai plus qu'� pr�ter l'oreille aux bruits du dehors.
Dans la maison, l'ennemi s'installe, criant, vocif�rant, �parpillant dans le vestibule la paille bruissante. Un moment, des pas lourds se font entendre dans l'escalier. Mon coeur se serre, mais ils s'arr�tent au premier �tage. Ces Messieurs visitent plut�t la cave que le grenier. Derri�re les Allemands sont entr�s une foule de sinistr�s, femmes et enfants surtout, pleurant g�missant, tout �mus des horreurs dont ils viennent d'�tre les t�moins. Des bribes de conversations me parviennent.
Je reconnais des voix. Et toujours en plein drame, le burlesque : au milieu de ces pleurs et de ces cris, jaillit, tonnante, la voix irrit�e et imp�rative de la domestique qui clame, en claquant les portes : �� Les cochons ! Ils m'ont vol� mes haricots ! � Et je l'entends r�clamer un chef et raconter que le plat de haricots qui cuisaient sur le feu lui avait �t� subtilis�, pendant qu'elle avait le dos tourn�. Car malgr� les circonstances tragiques, elle ne n�gligeait pas les devoirs de sa charge et ne pouvait admettre que quelqu'un p�n�tr�t dans sa cuisine.
Petit � petit, le bruit � l'int�rieur se calme.
Du dehors parvient une autre rumeur : dans un m�lange de cris gutturaux et sauvages, les interjections et les commandements des Teutons avin�s, o� percent les Hoch !, les Nach Nanzig !, Nach Paris !, les hymnes guerriers rejoignent le cliquetis des bouteilles bris�es ou pouss�es du pied, le fracas des portes et des fen�tres enfonc�es, des vitres en �clat, le roulement des caissons pilant le verre qui jonche la rue, le pi�tinement des bataillons en marche vers l'avant, les beuglements des bestiaux l�ch�s, les pleurs affol�s des femmes et les plaintes d'enfants perdus et appelant : �� Maman ! Maman ! � La nuit tomb�e l'incendie �claire mon grenier de lueurs dansantes. J'ai un instant la peur de devenir ou d'�tre devenu fou.
Bient�t c'est presque le silence. En bas les Teutons ivres ronflent comme des moteurs et l'on peut m'apporter quelques aliments, du poulet froid, du chocolat et une bouteille d'eau de Seltz, un pardessus et des nouvelles. J'apprends le carnage auquel se sont livr�s les Allemands, les premi�res victimes connues : l'ancien instituteur Fran�ois, abattu d'un coup de revolver quand il sortait de sa cave dans la rue, M. le cur�, emmen� comme otage. Jusqu'� pr�sent tous les miens sont sains et saufs et r�unis chez moi, car la maison Labrevoit, comme la maison de mon grand-p�re Godfrin (1), est en flammes. Mais la cuisini�re de ce dernier a disparu (2). La formule livresque : �� � feu et � sang � danse dans ma t�te, comme une scie obs�dante. Aucun incendie aux environs imm�diats. Mon oncle Labrevoit me recommande de ne pas bouger et me fait dire qu'il n'a pas le courage de monter lui-m�me et de me voir dans cette position mis�rable. Une liaison sera assur�e toutes les fois que la chose sera possible sans �veiller l'attention, par sa soeur, ma tante Labrevoit (3), ma grand'm�re et la domestique, qui, seules avec lui, ont connaissance de ma pr�sence et de ma cachette. Pour �viter les impairs possibles, � cause de sa surdit�, et en m�me temps le tranquilliser, on a fait croire � mon grand-p�re que j'avais pu partir dans la journ�e et c'est la version r�pandue parmi les sinistr�s qui ont envahi la maison. Un officier allemand se pr�lasse dans mon lit et c'est � grand'peine que les divers membres de ma famille ont pu se r�server les matelas o� ils vont s'�tendre tout habill�s. On me rapporte �galement ces propos d'un autre officier allemand au docteur Labrevoit : �� Votre pauvre pays ! �a ! c'est du vandalisme ! � (4) Dans l'obscurit� et la solitude la clart� de l'incendie m'inqui�te. Je me d�chausse et, avec mille pr�cautions, retenant ma respiration et l'oreille tendue, je sors de ma cachette. Puis, � l'aide de mon �chelle, je monte successivement aux lucarnes tourn�es vers les quatre coins de l'horizon. Le vent est bon et, toujours des secteurs Ouest, �carte les flamm�ches. De plus nul feu n'est allum� dans les environs imm�diats, car, � cette heure, et je ne m'en doute pas, l'�nergique soeur Julie est intervenue pour arr�ter l'incendie dans notre quartier (5).

Mais quelle vision infernale dans la s�r�nit� d'une belle nuit d'ao�t ! Les �toiles p�lissent devant la flamme qui monte de la ville en feu. Le clocher tout proche domine le sinistre comme une haute torche. Des millions d'�tincelles grimpent vers les astres en une danse fantastique et, dans le craquement des poutres et des planches, les pierres disjointes tintent en d�gringolant des murs vers le sol. Dans cet an�antissement, que de souvenirs engloutis : dans la maison de mes arri�re-grands-parents, toute pleine des absents, et dans les demeures amies o� se sont �panouies jusqu'� hier nos exub�rances de jeunesse

 !
Soeur Julie.

Malgr� l'horreur qui m'environne, je peux, dans ma cachette r�int�gr�e, m'endormir profond�ment, rassur� sur les risques d'incendie.
C'est un violent coup de canon qui me r�veille le mardi 25 ao�t aux premi�res heures du jour, alors que la chaleur �touffante de la veille a fait place sous les tuiles � la plus p�n�trante fra�cheur. Se sent-on plus pr�s du ciel quand on n'en est s�par� que par l'�paisseur d'un toit ? Ma premi�re pens�e en cette aurore du 25 ao�t est une pri�re qui jaillit, ardente, convaincue de son efficacit�, car j'y mets instinctivement tout l'effort que je ne puis porter ailleurs : �� Saint Louis, roi de France, saint Louis, f�t� chez nous jusqu'� l'ann�e derni�re, comme la f�te de famille par excellence, la f�te du p�re et du chef, saint Louis, aux enfants de vos sujets qui d�fendent leurs foyers, � nos canons qui tonnent, donnez la victoire, aidez-les � repousser l'ennemi et sauvez-nous ! �
La premi�re liaison que j'ai avec le monde ext�rieur m'apprend que les Allemands qui cantonnaient � la maison l'ont quitt�e de bonne heure. On respire plus � l'aise. Aucun des miens ne manque � l'appel. La nuit a �t� tr�s agit�e. All�es et venues incessantes de sinistr�s, cherchant un abri, des parents, des amis, des voisins, Une fillette bless�e, la petite Solange Schneider, que sa m�re emportait toute sanglante dans ses bras, a �t� h�berg�e un instant � la maison (6). Puis ce fut le d�part des troupes allemandes. Et maintenant la bataille s'est rallum�e tout pr�s de nous. Le d�fil� des r�giments allemands qui vont au feu est ininterrompu. Mais ils ont autre chose � faire aujourd'hui que de s'occuper des malheureux habitants de Gerb�viller. Mon oncle est retourn� � l'hospice pour y panser les bless�s et aider les soeurs autour des m�decins allemands. Nous sommes nettement en dehors de la ligne de feu. Il n'y a qu'� prier : �� Saint Louis ! saint Louis ! saint Louis ! � La canonnade redouble. La bataille se fait plus intense, comme la chaleur du jour qui rend � nouveau suffocante l'atmosph�re de ma soupente. J'en sors avec plus de pr�caution encore que dans la nuit pour tenter un tour d'horizon et t�cher, par les mansardes, tr�s discr�tement, de jeter un coup d'oeil dans la rue. Tout Gerb�viller qui ach�ve de se consumer fume encore. Par ci, par l�, un toit encore intact. En face de chez moi, la maison de Madame Victor Henry (7), ma cousine, para�t pleine de r�fugi�s, au milieu desquels elle-m�me va et vient de son train alerte. Des soldats allemands se reposent sur son trottoir ou adoss�s au mur et � la grille de son jardin. Une colonne de cuisines roulantes monte la rue. C'est la premi�re fois que je vois cet ustensile dont l'arm�e fran�aise est d�pourvue. L'officier qui la commande s'arr�te pour demander son chemin. J'entends qu'on lui r�pond : �� Mais vous tournez le dos � Fraimbois ! � C'est pour les Allemands la direction de l'arri�re et comme on croit facilement ce qu'on d�sire, j'y vois un signe de retraite. Vers midi mon oncle Labrevoit quitte l'hospice pour se restaurer et se reposer un instant � la maison. �� Ils sont en train de recevoir une pile, me fait-il dire, les bless�s allemands affluent � l'h�pital; je panse des blessures terribles, dont je n'avais pas id�e, produites par obus. Notre 75 fait merveille. Et un m�decin allemand qui dit quelques mots de fran�ais m'a d�clar� d'un air qui en disait long : �� Oh ! c'est une chaude bataille ! � Quel meilleur assaisonnement pour les quelques rogatons qu'on peut m'apporter !
Vers 2 heures de l'apr�s-midi, toujours circulant avec mon �chelle d'une lucarne � l'autre, pour observer tout ce que je pouvais de la bataille, je vois, non plus des cuisines roulantes ou des convois de ravitaillement, d�filer dans le bon sens, c'est-�-dire vers l'arri�re, en retraite, mais bien des troupes combattantes qui viennent de la direction de Remenoville ou de Moriviller (8). Et les bataillons se suivent, harass�s, m'apportant l'espoir de la d�livrance. Quelle diff�rence d'allure avec les cris, les �� Hoch ! � et les �� Hurrah ! � de la veille au soir ! Une ombre pourtant � ce spectacle joyeusement r�confortant : en queue d'une colonne, quatre de nos soldats, prisonniers et bless�s, suivent p�niblement, d�sarm�s et livides. Je pense au malheureux �vad� de l'hospice la veille. Est-ce l� son sort ?
D'heure en heure, la retraite s'accentue. A la fin du jour, sur le vieux banc de pierre des Guyon, un feldgrau �reint�, le fusil entre les jambes, se repose l'oeil morne et vide. La maison est bient�t envahie par des fantassins allemands qui cantonnent dans notre quartier intact, mais combien plus calmes que ceux d'hier ! Ils ont l'air, ce soir, apprivois�s. Ce n'est pourtant pas encore le moment de me montrer.
�� Qu'il disparaisse pendant trois jours !... �
Quand la nuit ach�ve de tomber, c'est par les routes de Seranville et de Remenoville, non plus l'infanterie qui se replie, mais l'artillerie au trot, lanc�e dans nos rues obscures et encore enfum�es, dans le tonnerre des roues et les glissades des chevaux au milieu des culs de bouteille bris�es, des cris des conducteurs et des �-coups d'une retraite effectu�e �� l'�p�e dans les reins �. Des tableaux de la Galerie des Batailles se projettent dans mon imagination. Et je suis persuad� qu'au bout de cette d�route, les n�tres vont d�boucher, vainqueurs et lib�rateurs. Dans la nuit de ma soupente, j'�coute avidement ce tintamarre qui sonne � mon coeur anxieux une fanfare de f�te, annonciatrice de la victoire et de la d�livrance : �� Saint Louis, saint Louis ! � (9)
C'est pourtant encore un calme relatif qui r�gne � nouveau quelques heures plus tard.
Le mercredi matin, apr�s le d�part des troupes allemandes, qui nous ont quitt�s t�t dans la nuit, notre quartier para�t d�sert. La bataille reprend, plus proche, mais moins intense. Cette fois nous sommes en pleine ligne de feu; il est manifeste que nous sommes entre les deux lignes d'artillerie adverses. De mon toit je distingue nettement les coups tir�s au sud-ouest par l'artillerie fran�aise des coups tir�s au nord-est par les pi�ces allemandes et les deux s�ries de trajectoires de sens oppos�s que je m'amuse � suivre � l'oreille dans le ciel, r�alisant distinctement la vo�te virtuelle dont elles m'enveloppent. Je n'aper�ois aucun point de chute. De temps en temps un coup fusant �clate haut dans le ciel, tant�t � droite, tant�t � gauche. Ce duel d'artillerie ne s'intensifie � aucun moment. Nos rues sont libres. Plus d'Allemands, sauf quelques patrouilles. Je me hasarde � descendre � la cave. D�sagr�able surprise pour quelques personnes r�fugi�es � la maison qui d�s lors ne leur para�t plus s�re et vont camper ailleurs. J'�prouve une satisfaction, aussi vaine que malicieuse, � me sentir compromettant. Mon oncle Labrevoit, pourtant, estime que je commets une imprudence et m'engage � remonter dans ma cachette. Des patrouilles peuvent entrer d'un moment � l'autre. En m�me temps j'aper�ois par le soupirail ouvert les jambes de quelques Allemands qui, le fusil � la main, s'avancent avec pr�caution au milieu de la rue. Je remonte au grenier, s�jour d'ailleurs infiniment plus agr�able, car j'y suis comme � un observatoire.
L'apr�s-midi, entre les coups de canon, on per�oit de temps en temps des coups de fusil, plus ou moins nourris, des rafales espac�es de mitrailleuses. L'action d'infanterie para�t tr�s rapproch�e. Il est bien tentant de se rendre compte de la tournure que prennent les op�rations. Malheureusement mes vues sont tr�s restreintes. Vers la ville, rien que le champ des ruines et son rideau de fum�es. Deux maisons qui n'avaient pas �t� incendi�es le lundi, les maisons H�rique et Picot au faubourg Saint-Pierre, et qui ont pris feu plus tard, ach�vent de se consumer. La tour de l'�glise, terriblement mutil�e, a pris une silhouette tragique. Vers le Sud j'aper�ois la plus grande partie de la Christienne (10). Apr�s de longues minutes d'observation, je distingue enfin tout un d�tachement de fantassins allemands, peut-�tre une demi-compagnie, dans la position du tireur couch�, en de�� d'une haie � travers laquelle ils sont pr�ts � faire feu. L'uniforme �� feldgrau� quand le soldat est immobile le fait vraiment dispara�tre dans le paysage. Sur le chemin qui gravit la c�te, un cavalier allemand s'avance au trot vers le sommet. Il s'approche des fantassins, puis repart comme il �tait venu. Deux hommes se d�tachent du groupe et d�roulent sur l'herbe un drap blanc, panneau de signalisation pour l'aviation ou l'artillerie. Je prolonge mon guet sur l'�chelle dans l'attente de ce qui va se passer, mais plus rien ne bouge.
On replie le panneau.


Gerb�viller. Eau forte de V. Prouv�.

En bas, dans le jardin de la maison voisine qu'habite le successeur de mon p�re, Me David, notaire, je vois passer le principal clerc, Joseph B�d� (11), � qui a �t� confi�e la garde de l'�tude. C'est un familier de la maison qui m'est rest� tr�s attach� et que je suis heureux de voir sain et sauf. Mais je n'ose l'interpeller, bien qu'il soit presque � port�e de la voix basse.
Au passage � niveau un cavalier allemand est en faction, serr� contre le mur des maisons qui bordent la droite de la rue, observant la route de Remenoville et les cr�tes toutes proches. De ma lucarne, je vois de l'autre c�t� de la cr�te, sur la pente qui descend vers le ruisseau (12) de Haudonville, ou de Moranviller, (13), un cavalier galoper pour aborder la cr�te de biais, sans la d�passer, en se dissimulant, cherchant ostensiblement � voir sans �tre vu. Son allure, la teinte fonc�e de son uniforme, tout me dit que c'est un des n�tres. Mais il dispara�t avant que cet espoir puisse devenir une certitude. J'en garde la conviction que nos troupes approchent. Je les sens, je voudrais les appeler; il y a maintenant pr�s de 24 heures que je les attends.
Sur la fin du jour une batterie fran�aise qui para�t toute proche se met � chanter de sa voix franche et agressive, faisant �clater les carreaux subsistants du sac de l'avant-veille. Je fais ma r�apparition � la cave. Elle redevient plus s�re au moment o� le combat se rapproche de nous et il y a de moins en moins de danger � me montrer. L'attitude de l'ennemi est nettement pass�e de l'offensive � la d�fensive.
Une nouvelle fois la nuit vient suspendre les op�rations et apr�s une fusillade nourrie et prolong�e qui nous donne l'impression d'�tre au beau milieu de la bataille, le combat s'arr�te � quelque cent m�tres de la maison, aux lisi�res ouest de Gerb�viller. Quelques heures apr�s, dans la soir�e, un groupe de 3 ou 4 soldats allemands passe dans le quartier, cherchant on ne sait quoi, qu�tant des vivres, ou un g�te, peu hardis, tels des maraudeurs qui craignent d'�tre pris en faute, peut-�tre des candidats d�serteurs ? D�cid�ment, nos affaires vont bien.

III

La vie cependant devient bien difficile dans Gerb�viller en ruines et sous le feu. Les vivres se rar�fient et le ravitaillement est pour le moment impossible. Il faut absolument abandonner un pareil s�jour et profiter de la nuit pour gagner, provisoirement, � l'arri�re, une zone plus habitable, hors du champ de bataille. Tous debout � 1 heure du matin, le jeudi 27 ao�t, nous d�lib�rons sur l'opportunit� du d�part. La d�cision est bient�t prise. En parcourant la maison, o� je rel�ve les traces du passage de l'ennemi : confitures r�pandues sur les meubles du salon, heureusement recouverts de leurs housses, d�jections align�es dans le vestibule et marquant chacune des places occup�es et le relent infect qui s'en d�gage, je retrouve ma bicyclette et je la pr�pare. Mais on ne mobilise pas facilement des femmes et des vieillards peu ingambes. Ce n'est qu'un faux d�part. Les h�sitations reprennent. J'en retiens cette belle d�claration de la domestique : �� Si Madame ne s'en va pas, je reste ! � Tout le monde redescend � la cave, car les Prussiens avaient pr�venu que la bataille allait reprendre au petit jour. A quatre heures du matin, tout est encore calme. Vers cinq heures, on sort les t�tes aux portes. Pour la premi�re fois, depuis le lundi 24, � 4 heures et demie du soir, je me montre sur le trottoir. Les ruines fumantes cessent � l'hospice et notre quartier proprement dit n'a pas chang�.Mais on ne voit que des visages d�figur�s, p�les et amaigris, beaucoup hagards, presque m�connaissables, tel M. Li�gey (14) poussant des bestiaux qu'il emm�ne je

ne sais o�. La rue est jonch�e de verre pil�. Vers 5 heures un quart ou 5 heures et demie des cavaliers apparaissent � la barri�re du chemin de fer, comme quinze jours plus t�t les chasseurs de Beaune. Je les reconnais aussit�t pour des dragons fran�ais. La vue de nos uniformes dans cette atmosph�re empest�e, puant le prussien jusque dans la rue, c'est comme un courant d'air pur et sain. Et me voil� courant dans la maison, pour annoncer la bonne nouvelle et criant, dans une joie folle, les larmes aux yeux : �� Nous sommes sauv�s ! Voil� nos dragons ! � Je ressors et mon oncle Labrevoit me fait rentrer, croyant que ce sont encore des Allemands. N'y avait-il pas une seconde plus t�t un uhlan pr�s de la mairie ? Mais le doute n'est plus possible. Alors, brusquement, ma d�cision personnelle est prise. Las de me cacher dans le grenier, de vivre dans des transes inutiles, constituant un danger pour la maison, je me r�souds � fuir dans les lignes fran�aises, avec l'id�e de revenir derri�re nos troupes en ne restant s�par� des miens que quelques jours, quelques heures peut-�tre, le temps de pr�parer leur propre retraite. Je cours � la cave pour les embrasser et leur annoncer mon d�part et apr�s cet adieu rapide, un dernier regard sur nos ruines pantelantes, laissant en toute confiance ma maison dans les lignes fran�aises, je m'�loigne, la bicyclette � la main. A la gendarmerie un mar�chal des logis de dragons m'arr�te et me demande mon identit�. Je me d�clare fugitif, d�sirant me mettre � l'abri dans les lignes fran�aises. Il m'envoie au colonel ou au g�n�ral que je rencontrerai sur la route et me recommande de fuir au plus vite si je ne veux pas �� recevoir des pruneaux �. D�j� l'instant d'avant mon d�part un coup de feu avait �t� tir� dans le bas de notre rue. Je roule en bicyclette sur la route de Remenoville, pensant gagner Charmes. Aux �� Noyers de Chapp�e (15) � peu s'en faut que je tombe dans le cadavre d'un Prussien, �tendu en travers de la route et que, dans le jour un peu gris, je n'avais pas aper�u. J'ai un double sursaut involontaire, d'abord parce que je ne le crois pas tu�, ensuite parce que c'est le premier mort que je vois autrement qu'en un lit entre deux cierges. Mon frisson s'est vite �vanoui dans une impression de soulagement en constatant qu'il est hors d'�tat de nuire.
Je remarque bient�t d'autres cadavres allemands dans les houblonni�res et les champs voisins. Ce sont les traces du combat qui a termin� la journ�e la veille au soir. Je ne rencontre plus personne, ni morts, ni vivants, jusqu'au Petit Mezan (16).
L� je rattrape le cantonnier Finot et son fils qui vont � Charmes � pied et je leur donne un peu du chocolat que j'avais pris la pr�caution d'emporter, car ils meurent de faim. A partir de la Tuilerie (17), notre infanterie s'avance lentement, en lignes de bataille �chelonn�es, qui barrent tout le vallon. Sur la route de nombreuses estafettes, des officiers, qui, tous, m'arr�tent et m'interrogent. L'un d'eux, un commandant, me demande mon nom, puis des nouvelles de ma famille, qu'il conna�t bien, car il est le gendre de Me Bertrand, l'ancien notaire de Lun�ville et, en cours de manoeuvres, a d�j� log� � la maison. Cette rencontre inattendue au milieu de cette arm�e en marche, � deux pas de l'ennemi, dans des conditions qui me rendent presque �tranger un pays familier, me met du baume au coeur (18).
J'ai fait � peu pr�s jusqu'� Remenoville la route � pied, sous la pluie qui commen�ait � tomber, car le grand beau temps des jours pr�c�dents a fait place au ciel gris. Des cadavres d'hommes et de chevaux dans les champs. Des retranchements abandonn�s la veille par les Allemands.
Nos soldats me montrent les pins de la �� Corv�e du H�risson � (19) en me disant


Photo Bastien
Le champ de bataille entre Gerb�viller et Moyen. Le viaduc et la passerelle sur la Mortagne.

que la veille au soir on s'y est beaucoup battu. Pauvre Corv�e ! Quelles promenades y ferai-je encore d�sormais?
A l'entr�e de Remenoville, je rencontre les premiers cadavres fran�ais. Nouveau frisson, combien douloureux et prolong� ! Derri�re un petit mur de jardin qui est � gauche un peu avant l'entr�e du village (20) des fantassins, sur un rang, broy�s par le tir ennemi, sont l�, crisp�s, ayant encore le fusil � la main. Plusieurs, fig�s par la mort instantan�e, le fusil en joue, sont rest�s debout, soutenus par le mur auquel ils s'appuyaient, l'oeil � la hausse, comme hypnotis�s dans un tir �ternel (21).
En arrivant � Remenoville, je vais � la cure. Quelques maisons seulement du village �taient br�l�es. Je ne trouve au presbyt�re que les parents du cur� car celui-ci, mon ancien ma�tre, l'abb� Drouville, a �t� arr�t� la veille et pr�venu d'espionnage dans les conditions suivantes : � peine Remenoville r�occup�e par l'arm�e fran�aise au matin du 26, les Allemands se mirent � canonner le village. Une maison prit feu. Un habitant de Bonviller (22) r�fugi� � Remenoville chez ses beaux-parents courut � l'�glise pour sonner le tocsin. Il fut aussit�t arr�t� comme espion et soup�onn� d'avoir voulu faire un signal � l'ennemi. Averti, le cur�, connaissant l'honorabilit� de l'accus� et certain de son innocence, s'interposa en sa faveur aupr�s du colonel commandant le 333e R. I. (23). Pendant ces explications un soldat s'�cria : �� C'est un faux pr�tre ! Il n'a pas de tonsure ! � A ces mots le colonel mit �galement l'abb� en �tat d'arrestation et le fit emmener; ses parents ne savent ce qu'est devenu leur fils et sont profond�ment d�sol�s d'une pareille aventure (24). Je leur demande un peu d'eau, car j'ai tr�s soif et n'ai sur moi qu'un peu de chocolat et des oeufs durs.
Un soldat me conduit, en sortant de la cure, vers le g�n�ral de division install� � Remenoville, pour obtenir un laissez-passer pour Charmes. On me fait entrer dans la salle � manger de la maison Bailly o� si�ge tout l'�tat-major. Je me pr�sente au g�n�ral, d�cline mes noms et qualit�s. Je lui dis que je compte m'abriter derri�re les lignes fran�aises pour revenir dans quelques jours � Gerb�viller o� est rest�e ma famille et o� doit me rejoindre ma feuille de route de la classe 14. Le g�n�ral me fait raconter ce que j'ai vu depuis le lundi matin et pour la ne fois depuis mon d�part, avec plus d'ordre et de d�tails cette fois peut-�tre, je recommence mon r�cit. Un capitaine prend note de mes d�clarations. Le g�n�ral se donne la peine de m'expliquer que, la veille au soir, c'est la nuit qui a arr�t� le combat aux portes de Gerb�viller, au moment o� nous r�ussissions � repousser une contre-attaque des Allemands, car, mis en confiance, j'avais termin�, avec autant de toupet que de na�vet�, en exprimant mon �tonnement que Gerb�viller n'ait pas �t� r�occup�e d�s la fin de la journ�e pr�c�dente. Mais il ajoute que nous continuons � avancer et que d'ici � quelques jours je pourrai fort probablement retourner � Gerb�viller compl�tement d�gag�e. Il me fait encore pr�ciser l'impression produite par les troupes allemandes et le moral apparent de l'ennemi. Enfin, � ma grande stup�faction, il me demande � quel endroit, � mon avis, se sont repli�s les Allemands. Je lui indique comme ligne ennemie probable la lisi�re des for�ts sur la rive droite de la Mortagne (25). A la fin de l'interrogatoire, le g�n�ral me demande : �� Alors! Qu'est-ce que vous avez mang� ces jours-ci ? � Et il m'offre une tranche de viande froide sur un morceau de pain que j'accepte avec plaisir. Il me signe ensuite le laissez-passer qu'avait pr�par� sur une feuille arrach�e d'un bloc-notes un de ses officiers. J'apprends alors que j'avais affaire au g�n�ral Vidal, commandant la 31e division d'infanterie du 16e corps. Ce papier me dirige sur Clayeures (26) o� le commandant de corps d'arm�e doit m'en donner un autre.
La pluie a cess�. Me voil� parti vers Moriviller par un chemin affreux, dans une boue liquide, au milieu des convois et des troupes. Ce gentil chemin accident� qui relie Remenoville � Moriviller, que j'ai parcouru plusieurs fois, � cheval, aux vacances derni�res, traverse une r�gion o� la lutte a �t� tr�s dure, notamment � la pointe du bois de R�thimont o� une batterie allemande a d� �tre prise sous le feu de nos canons. Beaucoup de cadavres d'hommes et de chevaux. D'immenses trous dans les champs, creus�s par les obus. Des caissons abandonn�s, des roues bris�es, des sacs, des tranch�es, de la charogne, des corbeaux et des ramiers dans le ciel et, sur les arbres, des mirabelles tranquilles et dor�es. A chaque pas des souvenirs me montent � la t�te et me donnent le vertige. Quelques ann�es plus t�t, en suivant sur ce chemin les grandes manoeuvres d'automne, nous avons vu ici, mon p�re et moi, derri�re cette cr�te une batterie d'artillerie en action. O� est le simulacre ? O� est le r�ve ? Une fois, � bicyclette, j'ai r�veill� l� un renard qui dormait sur la route et, plus loin, je me revois dans notre vieux pha�ton, attel� de �� Coco �, quand nous allions faire des testaments...
La route est encombr�e par tout un groupe du 3e r�giment d'artillerie lourde, pr�t � remettre en batterie ses gros canons de 155 court. Je raconte une nouvelle fois mon odyss�e � des officiers qui me disent que ce sont eux, la veille au soir, entre 6 et 7 heures, qui ont cass� nos carreaux. Avec bien du mal, j'atteins Moriviller o� quelques maisons br�lent encore. J'y trouve un encombrement de troupes de toutes armes et de fugitifs de Gerb�viller et d'Haudonville. Je bois � grandes lamp�es � la fontaine, car la soif ne me quitte pas. Je monte ensuite la c�te vers Clayeures. L� encore on s'est beaucoup battu. Des tranch�es abandonn�es par les Allemands sont utilis�es par nos troupes; encore et toujours des cadavres. Des fum�es de bivouac, des autos, des fourgons et des coups de canon tir�s par les Allemands dont on voit les obus �clater en l'air, au milieu de leur trajectoire, au grand amusement de nos soldats gouailleurs (27). Dans les champs, des petites croix de branchages plant�es le matin m�me sur les tumuli tout frais o� sont enterr�s les n�tres. Quel beau champ de bataille que ces collines et ces vall�es et quelle sublime et tragique aur�ole estompe leurs contours familiers d'une lumi�re grise � la fois fun�bre et radieuse ! Car sous ce ciel de cendres et sur ces tombes toutes chaudes fleurit la victoire de la France. On viendra fi�rement visiter ces coteaux glorieux, comme nous avons �t� v�n�rer dans la tristesse et l'esp�rance ceux de Wo�rth et de Reichshoffen, mais on n'y reverra pas ce que, seuls, nous avons vu, nous, les t�moins du drame, grav� � jamais dans nos coeurs et sur la terre de nos champs si ch�rement reconquis.
Du haut de la c�te de Clayeures, o� je suis vers 10 heures, je me retourne pour contempler, comme j'en ai l'habitude, chaque fois que je passe par l�, le panorama qu'on y d�couvre. On devine � peine les Vosges, quoique le temps s'�l�ve. Mes yeux sont imm�diatement attir�s vers un point o� je voyais toujours briller au soleil la fl�che d'ardoise du clocher de chez nous. Et je ne peux distinguer que les ruines d�sol�es et fumantes de la tour que j'ai vue en flammes trois jours plus t�t. Je repars vers Clayeures en faisant un effort pour m'arracher � ce paysage et dans la brume, face � moi, m'apparaissent la C�te et la Vierge de Sion (28). Ensemble prenant, �mouvant, qui m'arrache des larmes et une pri�re : ce champ de bataille encore tout sanglant, nos for�ts et le grand ciel gris de Lorraine, piquet�s d'�clatements d'obus, Sion, le saint autel de la Patrie, les tombes de ceux des n�tres qui, dans le don de soi, ont abandonn� les mis�res de la terre et les miens l�-bas, terr�s au milieu de nos ruines !
La ferme de Rom�nil (29) �t� saccag�e et pill�e. Des porcs �ventr�s sont �tendus sous les mirabelliers.
A Clayeures l'�tat-major du 16e corps est install� dans la grande maison qu'on appelle le ch�teau (30). Sans me faire entrer, ni me demander quoi que ce soit, un commandant bourru me vise mon laissez-passer pour Bayon. Je songe du reste qu'il est pr�f�rable de gagner Bayon plut�t que Charmes. L'�loignement est moindre et je serai moins isol� � Bayon o� la Sup�rieure de l'hospice, soeur Madeleine, ne me refusera sans doute pas l'hospitalit�.
Pass� Clayeures, la circulation est plus facile. Je sors du champ de bataille.
La prairie de l'Euron � Froville (31) est encombr�e par un parc d'artillerie dont les sections de munitions s'alignent le long du chemin. Au carrefour o� la route qui m'am�ne de Gerb�viller rejoint la route de Bayon � Baccarat (32), je m'arr�te pour consommer mes provisions, mon chocolat, mes oeufs, le pain et la viande du g�n�ral, avec pour dessert des mirabelles; il n'y a qu'� se baisser pour en ramasser; il en pleut sur la route.
Je suis � Bayon � midi et demi, re�u � bras ouverts � l'hospice, par nos �� ch�res soeurs � de Saint-Charles. On me donne une bouteille de bi�re que j'ai vite fait d'avaler, tout en reprenant une fois de plus le r�cit des trois journ�es pr�c�dentes.
Apr�s les visions tragiques et les angoisses du champ de bataille, les mis�res et les douleurs de l'h�pital. Des morts partout, jonch�s de fleurs, de bouquets et de rubans tricolores. Des bless�s. Des Prussiens prisonniers. Des plaies, du sang, des g�missements. Je me mets aussit�t au service des Soeurs et d�s le soir m�me, j'�cris des lettres pour les bless�s. J'�crivais sous la dict�e, au milieu des plaintes, mais pour la joie de ces braves dont les yeux s'illuminaient de reconnaissance. Quelques-uns pleuraient comme des enfants. J'ai �crit des lettres � des p�res... � des m�res... J'ai trac� ces mots que je n'avais jamais �crits : �� Ch�re Maman! � et j'avais peine � ma�triser mon �motion. Certains n'�crivaient, et pour cause, qu'� leurs grands-parents et je pouvais compatir � leur deuil; d'autres � leur petit fr�re, � leur soeur, beaucoup, des r�servistes, � leur femme. Tous n'avaient qu'un souci : �viter d'affoler leur famille.
Le vendredi 28 ao�t, relativement aux jours pr�c�dents, est une journ�e calme et reposante. J'ai l'espoir que bient�t Gerb�viller sera lib�r�e. On entend la canonnade de ce c�t�-l�, plus forte que la veille. J'en conclus que notre offensive continue et que les Allemands sont repouss�s. Mes r�serves d'optimisme ne sont pas �puis�es. Mais le soir, arrive un adjudant, bless� � Gerb�viller m�me. Il me dit que le combat y est tr�s dur. Les Allemands sont retranch�s sur la rive droite et, � l'entendre, ils ont d� reprendre ce qui reste de la localit� !
Le lendemain, je tente, � bicyclette, une pointe vers Gerb�viller. Elle �choue devant un flot de fugitifs qui m'assurent qu'on ne peut aller jusque-l�. J'ai vu alors Louis Jacquemin (33) qui, pris par les Allemands le 24, avait failli �tre fusill�, les Bombardier, Kislique (34), etc. On am�ne � l'hospice le corps du colonel Champion (35), commandant le 2e dragons, tu�, me dit-on, pr�s d'un gu�, en amont de Gerb�viller.
Le Gu� Rudan! L� o� nous allions si souvent nous baigner dans un site d�licieusement agreste et virgilien (36) ! Est-ce possible?
Le dimanche 30 ao�t, apr�s la messe, j'ai des nouvelles de Gerb�viller et de la maison par les dames Boulanger, Joly et Marin qui arrivent en voiture. J'essaie m�me d'y faire aller leur voiture pour chercher les miens. Mais le commandant d'�tapes qui commande � Bayon et par lequel il faut passer, le commandant du Theil (37), me fait savoir avec la plus grande courtoisie que la chose est absolument impossible. Tout angoiss�, car les nouvelles qu'on me donne ne me rassurent qu'� demi, je cherche � me rendre utile. Je �� touche � � la gare 200 boules de pain pour les soldats bless�s de l'h�pital et j'en am�ne une partie sur une charrette � bras.
Le lundi matin, je vais � bicyclette jusqu'� Rozelieures (38) dont l'entr�e m'est interdite par des sentinelles. Impossible d'aller plus loin. Le canon tonne tr�s fort, en effet, au-dessus de chez nous. Et nos batteries sont encore install�es tout pr�s du village. On n'a pas fini d'enterrer les morts de la journ�e du 25. Je r�cite quelques pri�res sur les tombes que je rencontre, pendant que des soldats passent en chantant sur la route. Je ramasse des �clats d'obus. Je mange des mirabelles. Dans les bivouacs les soldats en font cuire dans leurs bouteillons. Il fait extr�mement chaud.
M. Gauthier, de Bayon, dont l'automobile est r�quisitionn�e, part avec des dragons pour la ligne de feu et me promet de t�cher d'aller jusqu'� Gerb�viller et d'en tirer ma famille. Je confie � un dragon du lieutenant Ramasse un mot pour elle. Sera-t-il jamais parvenu ? Ce cavalier me fait l'�loge de son lieutenant qui a provoqu� la veille l'admiration de ses hommes dans les environs de Gerb�viller (39).
Je m'occupe encore d'amener de la gare le pain destin� aux bless�s de l'h�pital. La tentative de M. Gauthier �choue, Gerb�viller demeure sous le feu, en plein danger, inabordable.
Mardi 1er septembre. On proc�de, dit-on, � l'appel de ma classe (40). Il me faut donc gagner Nancy, r�clamer � l'autorit� militaire l'affectation qu'elle n'a plus le moyen de me faire parvenir et partir b�tement vers l'arri�re, quand on se bat chez nous, quand les miens sont encore en premi�re ligne, quand il y aurait ici tant de services � rendre. Discipline ! Je r�fugie mon �� cafard � � l'ombre du grand marronnier du jardin de l'hospice, pendant qu'au del� de l'horizon tout proche, presque sous mes yeux, le canon tonne dans le grand ciel bleu, au-dessus de Gerb�viller. Minutes douloureuses. Je d�cide d'attendre jusqu'au surlendemain 3 septembre.
Le 2, rien de nouveau. Gerb�viller toujours inabordable. La circulation de plus en plus difficile. Dans la d�tresse g�n�rale les coeurs se resserrent et j'ai trouv� � Bayon d'innombrables sympathies, aupr�s de M. Belhomme, ancien notaire (41),


Gerb�viller. - Eau-forte de Victor-Prouv�.

de M. Gauthier, de M. Marchal, le v�t�rinaire (42), aupr�s des Soeurs de l'h�pital et surtout de leur excellente Sup�rieure, soeur Madeleine, qui connaissait bien Gerb�viller o� elle avait �t� avant d'�tre � Bayon, aupr�s des �migr�s de Gerb�viller, mes compatriotes, et ce mot, en de telles circonstances, repr�sente une puissante r�alit� : les Jacob, Auguste Joly (43), les dames Boulanger et Balland, institutrice, etc., aupr�s des m�decins de l'h�pital, les docteurs Mathieu et Hanriot (44) (de Bl�mont). Il y avait aussi � l'hospice une infirmi�re de la Croix-Rouge, Madame Lagr�sille, femme du capitaine de vaisseau, commandant le Charlemagne (45), cousin, je crois, du conseiller � la Cour. Sans enfants, elle r�pandait lib�ralement sur nos bless�s avec un entrain enjou� une bont� toute maternelle. J'ai vu les bless�s l'appeler : Maman ! Et c'�tait sa joie. Elle m'a demand� un jour, originale composition fran�aise, de lui �crire une lettre � son mari, n'ayant pas de temps � distraire � ses bless�s. En dehors de mes fonctions de secr�taire et de panetier, je remplissais �galement celles de brancardier et c'�tait une satisfaction pour moi aussi d'entourer un peu les innombrables bless�s qui nous arrivaient de Gerb�viller o� ils avaient �t� sauver ce que j'avais de plus cher au monde. J'aidais souvent � les transporter, soit � leur arriv�e du champ de bataille, soit � leur �vacuation vers les h�pitaux de l'arri�re.
Je me verrai longtemps avec, sur le dos, les bras autour de mon cou, un capitaine de dragons, bless� � la cheville que j'ai ainsi conduit du jardin � la voiture qui allait l'emmener. Un autre jour j'ai suivi, avec quatre autres personnes seulement, le convoi fun�bre d'un officier. On l'enterra en bordure de la route de Lun�ville, de l'autre c�t� de l'Euron, au bas des pentes Sud de la croupe de Belchamp (46).
Jeudi 3 septembre. Jour fix� pour mon d�part. �� Rien de nouveau. Toujours le beau temps et des mouvements de troupes. Gerb�viller � 17 km. me semble toujours plus loin �. Voil� sur les notes prises au jour le jour, � l'aide desquelles je reconstitue ces journ�es, ce que j'�cris � mon r�veil. Pourtant d�s les premi�res heures de la matin�e, j'apprends que tous les �trangers � Bayon et y r�sidant actuellement sont invit�s � �vacuer la localit�. Je m'informe : c'est vrai, et cela cadre bien avec mes propres projets. Avec deux r�fugi�s gerb�villois, Georges Thomassin et Auguste Joly, je vais chercher un laissez-passer pour Nancy. Il faut y aller, � pied car, dit-on, les gendarmes brisent les bicyclettes qu'ils rencontrent (47). En chemin de fer, dans les conditions actuelles, c'est un voyage invraisemblable, de dur�e ind�termin�e, via Epinal et Mirecourt. J'ai pu me munir de vivres et de linge renferm�s dans deux musettes ramass�es sur le champ de bataille, provenant du 85e R. I. (48) et qui m'ont �t� fournies par la gendarmerie. Mais avec le pardessus �triqu� qui m'a servi de matelas, de couverture et d'oreiller dans mon grenier et mon vieux feutre de vacances, ces deux musettes ach�vent de me composer une silhouette de chemineau assez r�ussie qui, en d'autres circonstances, e�t fait ma joie. Arriv�s, non sans peine, � cause des colonnes et des convois, � la Moselle et, apr�s avoir franchi le canal, au carrefour de la rive gauche, nous lisons : Nancy : 29 km. - V�zelise (49) : 19 km. Il est d�j� midi. Pourquoi n'irions-nous pas coucher � V�zelise o� doit se trouver ma cousine, Madame Boiselle. En route donc pour V�zelise, par Harou� (50), Tantonville (51). Entre Laneuveville (52) et Crantenoy (53), nous rencontrons Ren� Xaill� (54) qui avait quitt� Gerb�viller l'avant-veille et pensait pouvoir y retourner. Il me donne des nouvelles de notre quartier et m'assure que, sur la rue, la maison paraissait encore intacte quand il est pass� devant. Un peu plus loin, nous nous arr�tons pr�s d'un cycliste du 15e corps, un Africain, qui, assis dans le foss�, d�vore � pleines dents et � pleines mains, ruisselantes d'huile, le contenu d'une bo�te de thon. Il nous dit que son corps d'arm�e est retir� du front pour �tre dirig� vers une autre destination (55). Voil� comment, si nous avions �t� des espions, l'ennemi e�t �t� renseign�.
Gr�ce � mes deux compagnons de route le trajet me para�t tr�s agr�able; entre fugitifs, on se comprend et, � communier � demi-mots dans le malheur de notre pays, nous nous faisions r�ciproquement du bien.
A Harou�, nous franchissons le Madon. Puis nous traversons Tantonville. Nous descendons ensuite sur V�zelise, sous l'oeil protecteur de la Vierge de Sion que je ne quitte pas des yeux. L� d�j� on ne sent plus la guerre. Plus de troupes; seule, la grande campagne lorraine du Saintois. J'ai parfois l'impression de faire une bonne promenade de vacances. A V�zelise, la table de la famille Berbain nous est ouverte.
Je vais demander l'hospitalit� � Madame Thouvenin (56),chez qui je trouve Madame Boiselle et toutes deux me font le plus affectueux accueil.
Le lendemain je prends � midi le train pour Nancy. L'envie me br�le de faire un p�lerinage � Sion. Mais il faut y consacrer une journ�e, le temps me presse et j'ai la plus grande h�te de revoir mon Nancy. Le train nous emm�ne lentement � Jarville (57) o� nous d�barquons car les trains ne vont pas jusqu'� la gare de Nancy. Il est environ 3 heures. Station � Bonsecours (58), pour y br�ler des cierges et prier pour Nancy. Le Journal de la Meurthe, achet� dans la rue - car, chose inou�e, il a maintenant des crieurs - m'apprend l'�lection du pape Beno�t XV. Cette nouvelle me cause un vrai bonheur. Une bouff�e de souvenirs romains me monte au coeur et je r�ve au jour o� j'irai m'asseoir � Saint-Pierre de Rome, sur la marche de marbre o�, cinq ans plus t�t, aux c�t�s d'un p�re fr�missant, j'�coutais, ravi, le Gloria de la messe de la b�atification de Jeanne d'Arc. Le m�me journal m'apprend aussi que notre d�sastre de Gerb�viller est connu des Nanc�iens.
Vers quatre heures, j'arrive, ext�nu�, rue de la Salp�tri�re, chez ma tante Thi�ry-Bonneville, mais j'y go�te aussit�t un bienfaisant repos et une paisible d�tente dans une atmosph�re familiale r�confortante. Et c'est une nouvelle s�rie du r�cit de nos �preuves qui commence, car le lendemain, parents et amis, pr�venus de mon arriv�e, viennent me voir et je fais moi-m�me quelques visites. Dans l'apr�s-midi, je vais � la Place o� je r�clame ma feuille de route. Mais tous les services du recrutement ont �t� repli�s sur Troyes � la mobilisation et l'on m'accorde un sursis pas tr�s d�fini : �� Revenez dans quelques jours, quand vous serez repos� et on vous dirigera sur Troyes �.
Malgr� les grondements du canon qui maintenant me paraissent � moi lointains, je go�te � Nancy une impression de repos et de calme relatifs. Jamais pourtant le canon n'a retenti si pr�s de la ville. J'y retrouve l'ambiance o� nous vivions � Gerb�viller avant l'arriv�e des Allemands : pas le moindre affolement, un optimisme sinc�re, alli� au sens le plus aigu des r�alit�s et de la gravit� de l'heure et en m�me temps cette liaison �troite entre la population et la garnison, o� servent tant des siens, qui a toujours �t� avant la guerre une note caract�ristique de Nancy, int�gre maintenant toute la vie de la cit�. Depuis qu'elle a pris ses positions de couverture, d�s avant la mobilisation et la d�claration de guerre, la garnison ne s'est gu�re �loign�e et presque chaque jour les Nanc�iens ont pu faire parvenir aux r�giments de la 11e division o� se trouvent leurs parents et leurs amis des nouvelles et des ravitaillements suppl�mentaires. Ils suivent leurs d�placements, tendent l'oreille au canon, en tirent des conclusions strat�giques. Des potins circulent, toujours contradictoires et toujours d�mentis. La vie se poursuit, mais suspendue � l'issue de la bataille et ne rappelant en rien l'activit� normale de la ville.
Le dimanche 6 septembre, j'assiste � la messe � l'�glise Saint-Nicolas, puis, j'�cris une lettre au pr�fet et je vais la porter moi-m�me � la pr�fecture en demandant � voir le pr�fet lui-m�me ou � son d�faut le secr�taire g�n�ral. En se pr�sentant comme Gerb�villois on �tait s�r d'�veiller la sympathie, au moins la curiosit�. Aussi informe-t-on le pr�fet, M. L�on Mirman, de ma pr�sence et on me prie d'attendre. Gendarmes et officiers d'�tat-major de l'arm�e Castelnau se croisent dans l'antichambre o� M. Paul Croctaine est assis aux c�t�s du vicaire g�n�ral J�r�me (59). Ce dernier qui ne me reconna�t pas tout d'abord, mais qui a entendu dire que


Le pont de Gerb�viller. - Eau-forte de V. Prouv�.

j'arrivais de Gerb�viller, vient me demander des nouvelles de l'abb� Vanat. Je lui confirme l'arrestation par les Allemands et la captivit� de notre cur�. Introduit peu apr�s devant le pr�fet, assis � son bureau en uniforme, je lui expose le but de ma visite : m'assurer, avant mon d�part pour la caserne, que les autorit�s s'occupent de mettre en s�ret� les habitants qui n'ont pu encore quitter Gerb�viller o� la vie est, momentan�ment, pour des vieillards surtout, impossible ou p�rilleuse. Le docteur Louviot �tait d�j� venu avant moi, para�t-il, - et le g�n�ral de Castelnau avait �t� avis� par le pr�fet. Je pouvais donc m'en retourner avec l'espoir qu'on ferait quelque chose pour ceux qui n'avaient pu encore quitter Gerb�viller (60).
Avant de me cong�dier, M. Mirman me demande quelques renseignements sur ce que j'ai vu et entendu et sur ce qui s'est pass� � Gerb�viller. Nous nous sommes quitt�s sur une poign�e de mains vibrante et fort cordiale, comme tout le reste de l'entretien. La noble figure de ce magistrat qu'on sent profond�ment p�n�tr� de la grandeur et de la gravit� de sa mission, ses traits fins, son regard aussi franc qu'�nergique et lucide, la flamme patriotique de ses paroles qui m'avaient d�j� heureusement frapp� quand je l'avais aper�u peu de jours auparavant � Bayon, lors de la visite qu'il avait faite � l'hospice, me laissent sur une impression de confiance et de r�el r�confort que je vais, en sortant, parfaire � la Cath�drale.
Un coup d'oeil distrait aux �gratignures qui, sur les fa�ades et surtout sur la vespasienne de la Place de la Cath�drale, t�moignent du r�cent passage d'un �� taube �. Ce sont les deux premi�res bombes - et jusqu'alors les seules - que la ville ait re�ues et leurs traces excitent la curiosit� des passants. Avec une douce �motion, je retrouve ma Cath�drale o� la grand'messe se c�l�bre normalement. C'est la f�te de saint Mansuy. Cette ann�e je n'en aurai pas accompagn� la prose au Cavaill�-Coll de Gerb�viller, mais le grand orgue de la Cath�drale a compens�, ce matin-l�, les regrets amers que je pouvais avoir, de toute la pl�nitude de ses 63 jeux et de son 32 pieds, renforc�s en sourdine par tout le clavier suppl�mentaire des bombardes du Grand-Couronn�. De l�, bonne et excellente visite au cur� de la Cath�drale (61) qui avait manifest� le d�sir de me recevoir. J'�tais donc attendu � la cure et l'archipr�tre m'a re�u de son lit, o� le clouent ses rhumatismes, et prodigu� les plus chaleureux encouragements. Je l'ai quitt� tout ragaillardi pour passer en famille le reste de la journ�e de ce dimanche, au son du canon qui prot�ge la ville.
Le lendemain, lundi, je consacre ma matin�e � des courses pr�paratoires � mon d�part. Chez un coutelier de la rue Saint-Dizier je fais l'emplette d'un couteau � plusieurs lames et � multiples accessoires qui me para�t indispensable pour entrer en campagne et m�me pour la commencer dans un camp d'instruction. Pour payer, je sors de mon porte-monnaie une belle pi�ce de 20 francs, en or vert, de Louis XVIII, cadeau qui m'avait �t� fait il y a plusieurs ann�es et que j'avais r�ussi � conserver depuis. A ma surprise indign�e, le commer�ant, peu familiaris� avec le profil de Louis XVIII, la juge suspecte et pr�tend me la refuser. Il me faut insister pour le convaincre de l'accepter et j'ajoute : �� Vous n'en reverrez plus gu�re et vous vous souviendrez que vous avez voulu refuser un louis d'or le 7 septembre 1914 �. Chez mon coiffeur, on m'entoure comme une b�te curieuse en me disant que l'Impartial avait parl� de moi � propos du sac de Gerb�viller (62). Cette curiosit� m'�tait p�nible. Entre temps je rencontre le docteur Louviot dont l'appartement et les livres ont �t� d�truits dans l'incendie de la maison Picot, sous mes yeux. Je ne peux que lui confirmer qu'il n'en reste rien. Atterr�, l'air hagard, il ne trouve qu'� me dire et � me r�p�ter : �� Tous mes bouquins! Le pauvre Gerb�viller ! � Que reste-t-il de la fr�missante curiosit� qui l'animait � la veille de la d�claration de guerre � la pens�e des heures historiques que nous allions vivre?
En fin de journ�e, je retourne � la Place pour r�clamer ma feuille de route. Un ordre de transport est �tabli aussit�t : d�part le lendemain pour Troyes o� je recevrai mon affectation.
8 septembre. Voyage triste et d�sesp�r�ment lent. Le temps se couvre. J'implore en passant Notre-Dame de Sion et dis adieu � la Lorraine qui s'�loigne. La lenteur du train ach�ve de m'abrutir au point qu'� l'arr�t en gare de Vittel (63), vers midi, je ne reconnais plus la station o�, pourtant, quelques ann�es plus t�t, nous avions fait deux saisons et, tout d�pays�, je me demande quels sont tous ces h�tels et o� nous pouvons �tre arriv�s. A Merrey (64) deux infirmi�res de la Croix-Rouge dirigent le poste sanitaire de la gare. L'une d'elles est Mademoiselle Dubois, tante de mon camarade Baillot (65) et ma voisine de la salle Poirel aux concerts du Conservatoire de Nancy. Elle me pr�sente � sa compagne : Mademoiselle de Castelnau, une des filles du g�n�ral et soeur de mon ancien condisciple : Hugues (66), qu'elle me rappelle d'une mani�re si frappante par ses traits et son timbre de voix que je ne me retiens pas de lui en faire la remarque. Double et agr�able rencontre sur ce trajet insipide qui me para�t un peu le chemin de l'exil. En remontant dans le train, je trouve dans mon compartiment Madame *** de Gerb�viller et son fils, le poitrinaire. Il fait bon, vraiment, �tre poitrinaire, quand on vient de voir flamber son village. Il s'en allait, toussant, pour mourir au soleil sur la C�te d'Azur, pleurant sa canne � p�che, d�truite dans l'incendie, son dernier plaisir. Quelle lugubre tristesse !
A chaque instant, nous croisons des trains militaires, des renforts, des ravitaillements, des munitions. Je compte prendre � Chalindrey (67) la direction de Troyes mais le commissaire de gare m'y fait savoir que Troyes est �vacu�e par tous les services militaires qui y �taient install�s. Diable ! Mais j'ai vu trop de choses depuis quelques semaines pour avoir la force de m'�tonner et je cherche d'autant moins � comprendre qu'ignorant totalement encore l'invasion du Nord de la France, je ne tire de cette nouvelle aucune conclusion f�cheuse. Mon ordre de transport est modifi� et je suis envoy� par le commissaire militaire � Dijon. La nuit est tomb�e, ralentissant encore, semble-t-il, cet interminable voyage et c'est vers 8 heures du soir, ayant quitt� Jarville � 6 heures du matin, que je d�barque � Dijon. Inutile de songer � me rendre � la Place � une heure aussi avanc�e. La gare va �tre mon h�tel et, allong� sur une brouette, dans la salle des Pas-Perdus, dans une ruelle qui s�pare la biblioth�que du bureau de tabac, je passe une nuit des plus mauvaises qui me fait regretter singuli�rement les heures critiques de mon grenier. Au jour, mal r�veill� et mal lav�, apr�s une toilette forc�ment sommaire � la premi�re borne-fontaine de la rue de la Gare, je me mets � la recherche du bureau de la Place, tr�s ennuy� d'�tre hors de ma r�gion militaire d'origine, la 20e, car Dijon est de la 8e, et je me demande si mon voyage va se terminer l�. �� Qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse de vous ? � Tel est le premier mot que l'on r�pond � l'expos� de ma situation. C'�tait exactement ce que je pensais. Et apr�s un instant de r�flexion : �� On va vous prendre comme engag�. Si on retrouve votre feuille de route, vous recevrez votre affectation d�finitive; pour le moment vous avez le choix entre les trois r�giments de la garnison : le 27e d'infanterie, le 26e dragons et le 48e d'artillerie �. Le 48e d'artillerie ! Il me semble, � l'id�e d'y �tre incorpor�, que je vais r�cup�rer quelque chose de Gerb�viller o� nous l'avons vu cantonner pendant trois jours il y a moins d'un mois et peut-�tre pouvoir y retourner au plus vite. Le r�giment n'est-il pas encore tout entier en action, � quelques kilom�tres de chez nous, pr�s de Giriviller (68) ? Je n'h�site pas un instant et j'opte aussit�t pour le 48e d'artillerie.
Une demi-heure plus tard j'entrais au Quartier Junot, sur la route de Langres, o� est demeur� le d�p�t du r�giment � la mobilisation et, �lev� � la dignit� de 2e canonnier conducteur, je commen�ais � chanter l'Artilleur de Metz.

Jean GODFRIN.

(1) Notaire honoraire, 1829-1916.
(2) Son corps fut retrouv� dans la Mortagne, � 2 km. environ en aval de Gerb�viller, au lieudit : la Grande-Corne, quelques jours plus tard.
(3) 1846-1929.
(4) Voir : Lettre du docteur Labrevoit � l'Acad�mie de M�decine dans : Bulletin de l'Acad�mie de M�decine ; s�ance du 3 novembre 1914 et la presse de l'�poque, notamment le New-York Herald (R�daction parisienne), 4 novembre 1914 �� Pendant cette soir�e du 24 ao�t, alors que, ma douleur dominant encore ma rage, je regardais flamber ma maison, pensant � tous les pr�cieux souvenirs de famille que les flammes consumaient, un officier allemand, jeune, correct, parlant bien fran�ais, s'approche de moi et, joignant les deux mains dans un geste de piti� compatissante, me dit par deux fois : �� Votre pauvre pays! � puis, se penchant � mon oreille : �� �a ! c'est du vandalisme ! �
(5) Am�lie Rigard (Landremont [Meurthe-et-Moselle, arr. de Nancy, canton � et 11 km. S.-O. de Pont�-Mousson], 1854 - Nancy 1925), en religion soeur Julie, de la Congr�gation des Soeurs de Saint-Charles de Nancy. Sup�rieure de l'hospice de Gerb�viller du 14 octobre 1908 au 24 f�vrier 1920. Le 24 ao�t 1914, devant l'incendie qui ne cessait de se r�pandre dans tous les quartiers au fur et � mesure que les Allemands avan�aient dans la ville, soeur Julie, soucieuse de sauver la maison dont elle avait la responsabilit� et de continuer � exercer sa mission de charit� plus n�cessaire que jamais, demanda � parler � un chef. Un officier se pr�senta qu'elle jugea de haut rang. Sans se laisser intimider, avec son �nergie coutumi�re et son ton facilement imp�ratif, elle lui explique �� que l'hospice �tait la maison du Bon Dieu, le foyer de la Charit�, qu'on y soignait indistinctement les Allemands comme les Fran�ais, que s'ils voulaient des incendies, ce qui br�lait alors devait leur suffire, qu'ils n'auraient pas trop pour loger leurs troupes et leurs bless�s des maisons qui restaient debout et qu'elle le suppliait de faire arr�ter l'incendie et d'�pargner l'hospice �. L'officier s'�loigne apr�s l'avoir �cout�e avec attention. Entre temps la Sup�rieure avait remarqu� qu'apr�s avoir p�n�tr� dans les maisons, les avoir visit�es et pill�es, les Allemands d�posaient sur les fen�tres des petites lumi�res �� des esp�ces de bougies et que peu de temps apr�s les maisons flambaient. Quelques instants apr�s le d�part de l'officier, ces petites bougies, au lieu d'�tre encore d�pos�es sur les fen�tres des maisons du quartier, furent align�es sur le sol m�me, en travers de la rue de la Gare, � hauteur de la Chapelle de l'Hospice. Soeur Julie qui nous a maintes fois rapport� ces d�tails a toujours consid�r� cet alignement de ce qu'elle appelait des bougies en travers de la rue, au point o� s'est arr�t�e la mar�e de feu, comme le signal et l'ordre de cesser les incendies, qui, r�p�tons-le, � l'exception de la Chapelle du Ch�teau, du Ch�teau et du clocher de l'�glise paroissiale, ont tous �t� allum�s � la main et non par le feu de l'artillerie qui n'est du reste pas par lui-m�me un moyen efficace de provoquer des incendies, si l'on n'utilise pas des obus sp�ciaux.
Apr�s la retraite des Allemands, pendant toute la dur�e de la bataille de la Mortagne et bien au del� encore, soeur Julie, en l'absence des autorit�s civiles et en liaison avec les autorit�s militaires fran�aises, organisa la vie et le ravitaillement du petit noyau de sinistr�s demeur�s � Gerb�viller et se multiplia pour subvenir aux besoins des troupes fran�aises. Elle fut cit�e � l'ordre de l'arm�e avec les religieuses de sa communaut� en ces termes : �� Ordre g�n�ral n� 71. - Le g�n�ral commandant la 2e arm�e cite � l'ordre du jour de l'arm�e Mmes Rigard, Collet, R�my, Maillard, Rickler et Gartener, religieuses de l'ordre de Saint-Charles de Nancy, qui ont, depuis le 24 ao�t, sous un feu incessant et meurtrier, donn�, dans leur �tablissement de Gerb�viller, asile � environ 1.000 bless�s, en leur assurant la subsistance et les soins les plus d�vou�s, alors que la population civile avait compl�tement abandonn� le village. Ce personnel a en outre accueilli chaque jour de tr�s nombreux soldats de passage, auxquels il a servi les aliments n�cessaires. Le g�n�ral commandant de la 2e arm�e : Sign� : DE CASTELNAU, P. A. Le g�n�ral d'Etat-Major : Sign� : ANTHOINE �.
Elle re�ut la croix de la L�gion d'Honneur des mains du pr�sident Poincar� le dimanche 29 novembre 1914 (R. POINCAR�, Au Service de la France. Neuf Ann�es de Souvenirs. V : L'Invasion, p. 468). Inhum�e � Nancy, au cimeti�re du Sud, dans la concession des Soeurs de Saint-Charles.
(6) Cette enfant �g�e de 10 ans devait mourir quelques heures plus tard de la blessure par balle qu'elle avait re�ue dans la journ�e du 24 ao�t.
(7) 1853-1932.
(8) Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, canton et � 6 km. S.-O. de Gerb�viller.
(9) C'est � 15 heures, le 25 ao�t, que, de Pont-Saint-Vincent, le g�n�ral de Castelnau ayant vu s'avancer la victoire, lui a tendu les bras en lan�ant son ordre du jour fameux : �� En avant, partout, � fond ! �
Voici d'autre part comment les Allemands racontent la journ�e du 25 ao�t dans le secteur qui nous int�resse; on lit dans le r�cit des Archives du Reich, La Guerre Mondiale, 5e partie, III, p. 587 et 588 : �� Au sud de la Meurthe, �galement, l'attaque fran�aise conduisit � une dure crise. L�, le IIe corps bavarois et le XXIe corps d'arm�e devaient continuer le mouvement vers le Sud. La 3e division devait attaquer le front Rozelieures-Vennezey. Elle avait � peine entam� son mouvement que des signes significatifs d'une attaque ennemie tout � fait imminente, dirig�e de l'Ouest et du Sud, contre tout le front du corps d'arm�e se firent percevoir. La progression de la 3e division s'arr�ta d�s devant Rozelieures et Vennezey. On eut le plus grand mal � repousser les violents coups de boutoir que du Sud et du Sud-Est l'ennemi nous portait. La situation du corps devint critique. En vain le commandant du corps d'arm�e se tourna-t-il, dans cette extr�mit�, vers le commandant de l'arm�e en demandant des secours. Ce dernier ne disposait plus de r�serves d'aucune sorte. Il ordonne de tenir � tout prix, � la derni�re extr�mit�, sur la Mortagne. Quoique � la 3e division bavaroise et au XXIe C. A. la situation f�t jug�e avec assez de confiance, le commandant de corps eut la conviction, vers 14 heures, qu'in�vitablement son corps serait amen� � se d�rober. Il donna l'ordre aux divisions de reculer sur la ligne Mortagne-Gerb�viller. Une instruction du commandant de l'arm�e, prescrivant de tenir les positions actuelles, en consid�ration de la situation meilleure sur le front des corps voisins, arriva trop tard; on �tait d�j� en pleine retraite. La progression du XXIe C. A. en direction du Sud fut, elle aussi, arr�t�e le 25 ao�t au matin par la contre-attaque ennemie. �
Voil� donc bien l'aveu officiel allemand de la victoire fran�aise du 25 ao�t � l'ouest de la Mortagne.
Mais le paragraphe qui relate ainsi la �� dure crise � provoqu�e chez l'ennemi par �� les violents coups de boutoir � de la contre-attaque fran�aise et la �� situation critique � o� elle mit l'ennemi �� en pleine retraite � (� 2 du chap. III) porte comme titre : �� L'�chec de la contre-attaque fran�aise du 25 au 27 ao�t � !
(10) Lieudit, situ� au sommet du versant occidental de la vall�e de la Mortagne, � 1 km. sud de Gerb�viller.
(11) 1876-1917.
(12) Affluent de gauche de la Mortagne dans laquelle il se jette � Haudonville.
(13) Moranviller. Village d�truit pendant la guerre de Trente Ans, situ� entre Remenoville et Giriviller, sur les pentes sud-ouest du Haut-du-Mont, � 5 km. 500 au sud-sud-ouest de Gerb�viller et dont le nom subsiste dans la d�nomination de ce ruisseau que portent encore les cartes d'Etat-Major.
(14) Arthur Li�gey (1853-1932), maire de Gerb�viller du 17 mai 1908 au 19 mai 1912. Pr�sident de la Commission municipale du 13 novembre 1914 au 16 f�vrier 1915. Maire du 9 octobre 1920 au 17 mai 1925.
(15) Lieudit situ� sur la route de Gerb�viller � Remenoville � 100 m�tres de la sortie de Gerb�viller
(16) �cart � 700 m�tres de la sortie de Gerb�viller.
(17) �cart � 1.200 m�tres de la sortie de Gerb�viller.
(18) Il s'agit du Chef de bataillon Ernest Varaigne, commandant alors un bataillon du 230e R. I. (74e D. I. 148e Br.). Bless� gri�vement le lendemain 28 ao�t 1914, en avant de Gerb�viller, vers Fraimbois, et ramass� � minuit sur le champ de bataille par une patrouille allemande, il fut transport� d'abord � l'ambulance allemande de Moncel, puis le 30 � l'h�pital de Lun�ville o� il est rest� jusqu'au 9 septembre. Emmen� en captivit� en Allemagne au moment du repli des Allemands, il fut ensuite intern� en Suisse, comme grand bless�, � la fin de 1916 et enfin rapatri� � Annecy en juillet 1917. Il devait mourir des suites de ses blessures � Lun�ville le 11 janvier 1923.
(19) Lieudit et reboisement situ� sur le territoire de Gerb�viller (� la lisi�re ouest du bois de Guilgnebois) et appartenant � l'auteur.
(20) Mur aujourd'hui dissimul� sous l'amas de d�combres provenant du d�blaiement des ruines du village.
(21) Adrien Bretrand qui semble �tre pass� par l� presque � la m�me heure, le m�me jour, mais venant de la direction oppos�e d�crit ce spectacle de la mani�re suivante : �� A la sortie qui d�bouche vers Gerb�viller, la lutte a d� �tre effroyable. Les corps s'amoncellent. Un obus allemand est tomb� dans un groupe de soldats et a fait �crouler un mur. Les membres de ces hommes sont �pars et d�chiquet�s. On voit un malheureux dont les entrailles ont �t� projet�es � dix m�tres sur les fils de fer qui bordaient le champ. � (La Victoire de Lorraine 20e �dition, Berger-Levrault 1917 p. 77).
(22) D�p. de Meurthe-et-Moselle, arr. et � 5 km. 500 N. de Lun�ville, cant. de Lun�ville-Nord.
(23) 74e - D. I., 148e Br.
(24) Je devais retrouver le lendemain l'abb� Drouville � Bayon o� il demeura consign� chez le cur� doyen jusqu'au jour o�, reconnue la m�prise n�e de la psychose de guerre et d'un concours malheureux d'exc�s de z�le et de manque de flair dont il avait �t� la victime, il fut remis en libert� avec les excuses du g�n�ral commandant la IIe arm�e.
(25) C'est en effet aux lisi�res de ces for�ts, notamment aux lisi�res du Bois des Rappes (2 km. N.-E. de Gerb�viller) et du Bois du Haut de la Paxe (1 km. 500 E. de Gerb�viller) que l'avance du 16e C. A. s'est heurt�e les jours suivants � la r�sistance d'un ennemi retranch�. Le 36e R. I. C. (74e D. I. rattach�e au 16l C. A.) en particulier fut d�cim� aux portes de Gerb�viller, dans le vallon du ruisseau de Falenzey. (Voir, pour le 222e R. I. Georges Kimpflin, Le Premier Souffle, Paris, Perrin, 1919, p. 157 et suivantes). L'ennemi n'abandonna cette position que le 12 septembre sous la pression persistante des n�tres et le contrecoup de la bataille de la Marne.
(26) Canton et � 6 km. 500 � l'est de Bayon. 8 km. S.-O. de Gerb�viller.
(27) Il s'agissait sans doute de r�glages de l'artillerie allemande par coups fusants hauts. Cela correspondait assez bien � la situation du moment : organisation d'une position d�fensive � l'Est de la Mortagne.
(28) Le principal sanctuaire marial de Lorraine, lieu de p�lerinage fr�quent� depuis le Haut Moyen-Age, au promontoire Nord (30 km. S. de Nancy et 495 m. d'alt.) de la c�te de Sion-Vaud�mont c�l�br�e par Maurice Barr�s dans la Colline TnspirJe (�mile Paul, 1913).
(29) l km. E. de Clayeures.
(30) Propri�t� en 1914 de Mlle Caroline Teinturier.
(31) Canton et � 3 km. N.-E. de Bayon.
(32) Meurthe-et-Moselle, chef-lieu de canton de l'arrondissement et � 24 km. S.-E. de Lun�ville sur la Meurthe.
(33) 1848-1935.
(34) 1848-1919.
(35) Auteur d'une remarquable �tude historique sur la chevauch�e de Jeanne d'Arc, Jeanne d'Arc �cuy�re, Berger-Levrault. 1901.
(36) Voir Adrien Bertrand, La Victoire de Lorraine, 20e �d., Berger-Levrault, 1917, p. 89, et Georges KIMPFLIN, Le Premier Souffle, Perrin, 1919, p. 158 et 159.
(37) Baron du Theil, ancien Pr�sident de la Soci�t� hippique fran�aise.
(38) Canton et � 9 km. E.-S.-E. de Bayon.
(39) Lieutenant Henry Lamasse du 2e r�g. de dragons. Nice 1892. Mort pour la France en combat a�rien le 2 septembre 1918. Voir Livre d'Or de l'Institution de La Malgrange. p. 121.
(40) D'apr�s la presse nanc�ienne la nouvelle de l'appel de la classe 1914, a �t� publi�e le 31 ao�t.
(41) 1846-1927.
(42) 1869-1926.
(43) 1863-1936.
(44) 1859-1930.
(45) Capitaine de vaisseau Paul de Lagr�sille commandant le Charlemagne aux Dardanelles, mort pour la France le 18 septembre 1915 � l'h�pital de Remiremont et inhum� dans le cimeti�re militaire de Bayon dont il est parl� plus loin.
(46) C'est un terrain offert par la famille Lagr�sille qui fut ainsi consacr� en ao�t 1914 aux s�pultures militaires de Bayon. Ce cimeti�re subsiste toujours, encadr� par une haute haie de thuyas et ferm� par une petite grille, le tout tr�s bien soign�. En son centre, s'�l�ve le monument �lev� par Bayon � ses enfants morts au champ d'honneur dont le souvenir est ainsi heureusement rapproch� de ceux qui, venus des plus lointaines provinces et tomb�s sur les champs de bataille de Rozelieures et de la Mortagne, sont morts pour la France � Bayon. Derri�re le monument, la tombe du capitaine de vaisseau Lagr�sille, donateur du terrain; � sa droite et � sa gauche, bien align�es, les croix de pierre du mod�le adopt� dans les cimeti�res nationaux. En haut d'un m�t en ciment le drapeau de la France. En bas dans la vall�e, sous la protection de ses morts, Bayon, qui se rassemble autour de leurs tombes, aux dates marqu�es par le culte du souvenir pour les honorer et leur t�moigner sa fid�lit� et sa foi patriotiques.
(47) Du moins �taient-ils autoris�s � les confisquer. Le g�n�ral commandant la 2e arm�e avait interdit, le 1er septembre 1914, pour paralyser l'espionnage, la circulation des automobiles et des bicyclettes civiles dans le Grand-Couronn� et sur toute la rive droite de la Moselle, sous peine de confiscation. Le 4 septembre, cette interdiction �tait �tendue � toute la partie du d�partement de Meurthe-et-Moselle situ�e sur la rive gauche, au sud de la route de Pagny-sur-Meuse � Foug, �crouves et Toul. (Voir la presse nanc�ienne de l'�poque et notamment : Extraits de l'Est R�publicain r�unis en brochure sous le titre : La Grande Guerre. La Vie en Lorraine, septembre 1914, p. 16, 29 et 34)
(48) 8e C. A., 16e D. I., 31e brig.
(49) Chef-lieu de canton du d�partement de Meurthe-et-Moselle, arr. et � 29 km. S.-S.-E. de Nancy, sur le Br�non, sous-affluent de la Moselle.
(50) Chef-lieu de canton du d�partement de Meurthe-et-Moselle, arr. et � 25 km. S. de Nancy, sur le Madon.
(51) Meurthe-et-Moselle, arr. de Nancy, canton et � 3 km. O. de Harou�.
(52) Meurthe-et-Moselle, arr. de Nancy, canton et � 7 km. E. de Harou�.
(53) Meurthe-et-Moselle, arr. de Nancy, canton et � 4 km. E. de Harou�.
(54) Gerb�viller, 1880-Amiens, 1928. - Mobilis� au 57e bataillon de chasseurs � pied et bless� gri�vement le 28 juillet 1915 au Cabaret Rouge, pr�s de Souchez (Pas-de-Calais). Chevalier de la L�gion d'Honneur et pr�sident de la Section de Gerb�viller de l'Association des Mutil�s et Combattants. Mort des suites de ses blessures.
(55) La IIe arm�e avait re�u en effet le 2 septembre l'ordre du G. Q. G. de retirer du front le 15e corps et de le diriger vers l'Ouest.
(56) 1841-1919.
(57) Canton de Nancy-Ouest et � I km. de Nancy.
(58) Notre-Dame de Bonsecours. Sanctuaire de la pi�t� mariale nanc�ienne.
(59) 1867-1934.
(60) Apr�s �tre rest�s en premi�re ligne, du 27 ao�t au 8 septembre, sous le feu de l'ennemi (deux obus de 77 percut�rent sur la toiture de la maison qui fut �galement cribl�e d'�clats par la chute d'un obus de 15 cm. � 6 ou 8 m. de la fa�ade, c�t� jardin, tandis que, � une distance analogue, c�t� rue, un autre obus tuait un matin huit fantassins fran�ais), les parents que l'auteur avait d� laisser � Gerb�viller purent, sous la conduite du docteur Labrevoit, gagner le 8 septembre Ch�tel-sur-Moselle et le lendemain 9 arriver � Nancy, juste a temps pour y essuyer le premier bombardement par canon subi par la ville, dans la nuit du 9 au 10 septembre au moment de la retraite allemande.
(61) Chanoine Geoffroy; Champougny (Meuse), 27 avril 1840. Champougny (Meuse) 22 avril 1918.
Cur� de la Cath�drale de Nancy de 1889 � 1918.
(62) On avait pu lire en effet dans l'Impartial de l'Est du jeudi 3 septembre 1914 les lignes suivantes : �� Un jeune homme de dix-huit ans �tait cach� dans une maison. La bonne, terrifi�e, l'avoue � un officier qui lui dit : �� Cachez-le bien, car il serait fusill�. �
R�sum� assez exact, si l'on tient compte que le jeune homme avait vingt ans, que la bonne n'�tait certes pas la plus terrifi�e et que l'Allemand auquel elle s'�tait adress�e de sa propre initiative pour sauver le jeune homme �tait un homme de troupe.
(63) Chef-lieu de canton du d�partement des Vosges. Ville d'eaux, arr. et � 17 km. de Mirecourt.
(64) Haute-Marne, arr. de Chaumont, cant. et � 7 km. 500 S.-E. de Clermont. Bifurcation des chemins de fer de l'Est. Lignes de Langres � Nancy et de Chalindrey � Toul.
(65) Pierre Baillot (1898-1918). Sous-lieutenant au 27e B. C. P. Mort pour la France le 15 septembre 1918 au Bois-Piquet (Vauxaillon, Aisne) (Voir Livre d'Or de l'Institution de La Malgrange, p. 9).
(66) Hugues de Curi�res de Castelnau (1895-1915). Sous-lieutenant au 8e R.A.C. Mort pour la France le 1er octobre 1915 en Artois (Voir Livre d'Or de l'Institution de La Malgrange, p. 52 et 53).
(67) Station de Culmont-Chalindrey, d�p. de la Haute-Marne, arr., cant. et � 10 km. S.E. de Langres. Ligne de chemin de fer de Paris � B�le. Bifurcations vers Neufch�teau, Gray et Dijon par Is-sur-Tille.
(68) Meurthe-et-Moselle, arr. de Lun�ville, cant. et � 5 km. S. de Gerb�viller.

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