MAR�CHAUSS�E, JUSTICE PR�VOTALE.
Les provinces dont nous nous occupons avaient, depuis un temps � peu pr�s imm�morial, des pr�v�ts de la mar�chauss�e dont la juridiction �tait limit�e aux gens de guerre et aux bourgeois coupables de s�dition. Encore que leurs fonctions fussent peu utiles en pr�sence de la promptitude avec laquelle fonctionnaient les tribunaux du pays, ils ne manquaient pas de trouver � les exercer.
Malheureusement, cette institution, venue de France, n'�tait pas exempte des vices de celle de ce pays, qui faisait dire au pr�sident de Lamoignon (51) :
���Lorsqu'on a institu�
les pr�v�ts des mar�chaux, l'intention a �t� bonne, mais il se peut dire que le plus grand abus qui se rencontre dans la justice criminelle a proc�d� de ces officiers, qui font na�tre en toutes les affaires des conflits de juridiction qui oppriment les innocents et d�chargent les coupables. La plupart sont plus � craindre que les voleurs m�mes. On a reconnu, aux grands jours de Clermont, que toutes les affaires criminelles les plus atroces avaient �t� �lud�es et couvertes par les mauvaises proc�dures des pr�v�ts des mar�chaux, qui
ne cherchent qu'� gagner dans les affaires des particuliers et ne s'emploient qu'� emp�cher que la justice soit faite. �
Le personnel des pr�v�ts de la mar�chauss�e se bornant � quelques officiers plac�s dans les principales villes, ne constituait pas, comme il arriva plus tard, une institution analogue � la gendarmerie ; les populations fournissaient alors, sous la forme de garde civique, la force publique n�cessaire pour le soutien de la police. Cette garde, dans quelques cit�s populeuses, prenait le titre de compagnie des arbal�triers, d�nomination qui lui provenait de l'arme dont chacun des membres se servait.
Le Barrois en avait deux, l'une � Saint-Mihiel, l'autre � Bar, compos�e chacune de 23 ma�tres ayant des privil�ges en retour des charges qui leur �taient impos�es.
Ce service, tout d'int�rieur, se trouvait fort d�fectueux lorsqu'il fallait l'exercer � l'extr�mit� du territoire de la commune ; aussi l'insuffisance de cette organisation se fit grandement sentir pour la Lorraine, quand, � l'av�nement du r�gne de L�opold, ce prince voulut r�tablir partout la tranquillit� publique en m�me temps que la paix.
L'exemple de la France fut encore une fois mis � profit ; � la date du 25 d�cembre 1699, une mar�chauss�e fut d�cr�t�e pour exercer les m�mes fonctions qu'en France, et sp�cialement comme cette puissance l'avait �tablie dans les �v�ch�s, pour arr�ter les exc�s des vagabonds, dont le pays �tait infest�. Ce corps nouveau fut compos�, pour la Lorraine, d'un grand-pr�v�t, un lieutenant, un greffier, un exempt, cinq brigadiers et quarante-un archers ; pour le Barrois, d'un lieutenant, un assesseur, un greffier, un exempt, un brigadier, quatorze archers et un ex�cuteur.
Cette composition emporte avec elle la pr�somption qu'une certaine juridiction �tait attribu�e � la mar�chauss�e; cependant la d�claration du duc ne le dit point, mais le code de 1701, qui suivit de pr�s, y eut bient�t pourvu. Le pr�v�t fut d�clar� le juge des crimes commis par les vagabonds, gens sans aveu, boh�miens et mendiants, ainsi que des crimes perp�tr�s par les domicili�s d�j� fl�tris par une pr�c�dente condamnation emportant bannissement ou autre peine afflictive. A cet effet, le pr�v�t, d�s que sa proc�dure �tait pr�te, devait se rendre au bailliage le plus voisin du lieu de la capture, o� il si�geait apr�s le pr�sident, et concourait � la sentence, qui, par exception, �tait sans appel, l'opinion �tant alors que des gens se pla�ant hors la loi perdaient tout droit aux pr�cautions et aux m�nagements de la justice commune.
D�s l'ann�e suivante, quarante nouveaux archers �taient ajout�s � ceux qui pr�c�dent, ainsi qu'un assesseur � Saint-Mihiel, et les exempts autoris�s � poursuivre les proc�dures et � y assister dans les bailliages de leur ressort, en l'absence des assesseurs, afin d'activer le service, devenu plus urgent en raison de l'augmentation du vagabondage, surtout dans le bailliage de Saint-Mihiel, le plus f�cond alors en vols et en meurtres. Les attentats sur les personnes devenant de jour en jour plus nombreux et inqui�tants, le duc L�opold jugea indispensable d'user de plus grande rigueur, et, � la date du 8 mai 1717, il rendit une ordonnance par laquelle le grand-pr�v�t et ses officiers furent autoris�s � juger les vols et assassinats sur les grands chemins, commis par les domicili�s dont ils auraient fait la capture, en retranchant la condition port�e en l'ordonnance de 1701, que ces domicili�s seraient des repris de justice. Il en r�sulta que la mar�chauss�e, anim�e d'un z�le outr� dans les occasions faciles, trouva tout de bonne prise, et fit main basse jusque sur les paysans qui, en revenant de la foire ou du march�, avaient des querelles d'ivrognes. Le procureur g�n�ral, alarm� comme le pays d'une semblable pr�tention, soumit le fait � la Cour souveraine, qui, interpr�tant les ordonnances, d�cida (52) qu'il fallait que les vols et assassinats imput�s aux domicili�s fussent enti�rement consomm�s ; que des batailles plus ou moins s�rieuses, m�me sanglantes, ne pouvaient leur �tre assimil�es, et qu'au surplus, la mar�chauss�e devait faire juger de suite sa comp�tence au bailliage par sept gradu�s au moins, et en pr�sence des pr�venus, toujours avertis de l'intention o� l'on �tait de proc�der contre eux pr�votalement.
Ind�pendamment de la plus grande c�l�rit� dans la r�pression, qui �tait un avantage vis-�-vis d'hommes dangereux, les justices pr�v�tales offraient encore au prince une sorte de privil�ge, car les justices seigneuriales
ne pouvaient plus conna�tre des crimes des vagabonds, qui restaient ainsi � sa disposition sans qu'aucune autorit� ind�pendante de la sienne p�t y mettre entrave.
En 1732, la justice de Gerb�viller ayant condamn� � mort, pour vol de toile, un nomm� Jacquinot, d�j� banni autrefois par elle, la Cour, tout en confirmant la sentence, renouvela la d�fense aux officiers des hautes justices de s'immiscer ainsi dans les cas pr�v�taux.
A la fin du r�gne de L�opold, et surtout apr�s sa mort, la mar�chauss�e ne tarda pas � se rel�cher ; l'ivrognerie, l'inconduite et principalement la n�gligence l'eurent bient�t envahie, ce qui n�cessita, de la part du duc Fran�ois, une refonte g�n�rale qui eut lieu en 1730. Plus nombreuse et mieux r�partie, elle fut plac�e sous les ordres de ses chefs et � la disposition des officiers sup�rieurs des si�ges de justice. Huit ans plus tard, le roi Stanislas la bouleversait de nouveau, sans toutefois modifier ses attributions (53) ; mais, sous le voile d'un r�glement disciplinaire, se cachait une grave atteinte au pouvoir judiciaire. L'article 31 la pla�ait hors de la juridiction de la Cour souveraine, et l'enlevait � la disposition des magistrats autres que le premier pr�sident et le procureur g�n�ral, qui encore devaient attendre le bon plaisir du pr�v�t, s'il s'agissait de sortir de la r�sidence. Ainsi �tait introduite dans l'�tat une autorit� soustraite � la loi commune, ne relevant que du ministre et du prince, et cette autorit�
tenait entre ses mains la libert�, l'honneur et la vie des citoyens. La Cour souveraine, gardienne vigilante du d�p�t sacr� des libert�s publiques, se maintint dans un silence inexplicable ; elle re�ut le serment de ces nouveaux fonctionnaires, ratifiant ainsi tacitement une loi qu'elle n'avait pas m�me ent�rin�e.
Peut-�tre n'avait-elle pas aper�u le danger ; peut-�tre, domin�e par la crainte, ou comptant sur sa force, avait-elle voulu attendre les plaintes du public pour �tre en droit de faire ses dol�ances. Quoi qu'il en soit, elle ne commen�a � s'�mouvoir que quand les abus furent devenus intol�rables, alors que d�j� l'amour-propre du ministre �tait engag�. La mar�chauss�e, se regardant comme inviolable et prot�g�e par le chancelier, poussait
� l'exc�s ses entreprises sur les personnes, et usait d'une s�v�rit� hors de toute proportion. Sans �gard pour le secret indispensable aux mesures � prendre pour l'arrestation des malfaiteurs, le pr�v�t exigeait que ce secret lui f�t d�voil�, m�me par �crit, avant de pr�ter ses hommes � la justice, quoiqu'ils lui fussent demand�s par des magistrats comp�tents et responsables. La Cour fit des remontrances �nergiques, mais trop tardives pour �tre �cout�es ; elles n'aboutirent qu'� faire exiler son digne procureur g�n�ral et � exciter le ministre et la mar�chauss�e � cumuler les abus de leur institution ill�gale. Des citoyens domicili�s furent tra�n�s aux gal�res, au m�pris de toute justice, sans pouvoir trouver, contre l'autorit� du chancelier, des tribunaux assez puissants pour r�former avec succ�s des jugements que le public et la magistrature frappaient hautement de r�probation (54).
Apr�s la mort de Stanislas, la Lorraine, soumise d�j� � l'exercice simultan� de sa mar�chauss�e et de celle de la France, re�ut une d�claration du roi qui assimila ces deux corps et les soumit aux m�mes r�glements, tant pour la discipline que pour la comp�tence. De la sorte, les attributions de la mar�chauss�e de Lorraine se trouv�rent augment�es, en m�me temps que son pouvoir rentra dans les limites d'une hi�rarchie plus rassurante.
Les cas pr�v�taux se divis�rent en deux classes : 1� eu �gard � la qualit� des accus�s ; 2� � la nature du crime.
La premi�re classe comprenait les vagabonds, les mendiants valides, les r�cidivistes d�j� condamn�s � une peine corporelle, au bannissement ou � l'amende honorable ; les militaires en marche dans le pays ; les d�serteurs et leurs aidants ; les complices des militaires vendant leurs effets.
La seconde classe : le vol et l'assassinat sur les grands chemins, n'�tant rues de villes ou faubourgs ; le sacril�ge et le vol avec effraction, � main arm�e et avec violence publique ; le vol avec effraction ext�rieure ; les s�ditions, �motions populaires, attroupements et assembl�es publiques avec port d'armes ; la lev�e des gens de guerre, sans commission du prince ; la fabrication ou exposition de fausse monnaie.
Quelques personnes �taient, par privil�ge, affranchies de la juridiction pr�v�tale :
1� Les eccl�siastiques (55) ;
2� Les gentilshommes, � moins que d�j� ils n'eussent subi une condamnation infamante, parce qu'alors ils �taient rentr�s dans la classe des roturiers ;
3� Les secr�taires du roi et les magistrats.
Un seul de ces privil�gi�s compris dans une accusation affranchissait ses coaccus�s de la juridiction pr�v�tale.
Les abus signal�s par M. de Lamoignon chez la mar�chauss�e de France furent-ils encore le partage de la nouvelle mar�chauss�e de Lorraine ? Sans doute que l'exp�rience acquise en ce royaume profita � la Lorraine ; cependant, sans compter les vexations que la mar�chauss�e commit sous l'�gide du gouvernement despotique de M. de la Galaizi�res, dont nous venons de parler, nous devons dire que sa conduite ne dut pas �tre fort �difiante, car les souvenirs transmis par nos p�res ne t�moignent pas beaucoup en faveur de sa sobri�t� ni de sa vigilance, et encore moins de son int�grit�.
PRESIDIAUX.
On appelait de ce nom certains bailliages charg�s de juger en dernier ressort les affaires civiles dont l'importance �tait trop grande pour �tre confi�es sans appel aux bailliages ordinaires, et � la fois trop faible pour �tre port�es � grands frais aux Cours souveraines, dont elles absorbaient le temps, destin� � des discussions d'un int�r�t plus grave.
Cette institution, qui n'avait jamais exist� en Lorraine, o� elle �tait inutile, puisqu'au criminel on jugeait en dernier ressort, et qu'au civil, les tribunaux d'appel n'�tant pas �loign�s des justiciables, leur �taient plus accessibles, y fut introduite, apr�s sa r�union � la France, par �dit royal du mois de juin 1772. Quatre pr�sidiaux furent cr��s dans les villes de Nancy, Dieuze, Mirecourt et Saint-Di�.
Nancy, ayant pour ressort les bailliages de Lun�ville, Bl�mont, Pont-�-Mousson, Nomeny, V�zelise, Rosi�res et Vic.
Dieuze. - Ch�teau-Salins, Sarreguemines, Bitche, F�n�trange, Lixheim, Phalsbourg et Sarrebourg.
Mirecourt. - Neufch�teau, Bourmont, Darney, Ch�tel et Charmes.
Saint-Di�. - �pinal, Remiremont et Bruy�res.
Dans le ressort du Parlement de Metz, o� les pr�sidiaux �taient �tablis depuis longtemps par la France, qui y dominait, l'�dit n'eut rien � cr�er, il y fit seulement une nouvelle r�partition qu'il fixa ainsi :
Metz, ayant pour ressort les bailliages de Longwy, Villers-Ia-Montagne, Thionville, BouzonvlIIe, Boulay, Briey, Thiaucourt et Schambourg.
Toul. - Sainl-Mihiel et Commercy.
Verdun. - Longuyon et �tain.
Ainsi, au civil, dans les affaires de la comp�tence des pr�sidiaux, c'est-�-dire n'exc�dant pas 1,200 livres de capital ou 48 livres de revenu, au lieu d'appeler � la Cour, on appelait devant eux des sentences prononc�es dans les bailliages de leur ressort, compos� comme il est rapport� ci-dessus.
Au criminel, ils jugeaient en dernier ressort les cas pr�v�taux qui se pr�sentaient dans l'�tendue du si�ge o� ils �taient �tablis, tandis que les simples bailliages ne jugeaient plus ceux de leur circonscription qu'� la charge d'appel. Cette modification � l'ordonnance de 1701 fut op�r�e par l'�dit de 1772 qui cr�ait les pr�sidiaux, combin� avec les dispositions de l'�dit royal de 1731 et autres sur la m�me mati�re publi�s en France et faisant d�sormais loi en Lorraine. De l� les cas pr�v�taux furent appel�s indistinctement cas pr�v�taux ou cas pr�sidiaux.
Ces tribunaux n'�taient donc qu'une seule et m�me chose avec les bailliages qui les composaient, sans autre diff�rence qu'un titre plus relev� et des attributions plus �tendues. Les motifs de la pr�f�rence accord�e sur les bailliages voisins n'�taient dus qu'� leur position plus centrale et d�s lors plus commode pour servir de chef-lieu de juridiction. Suivant l'�dit de 1772, ils devaient donner par semaine deux audiences distinctes et sp�ciales; mais par celui de 1777, ils furent autoris�s � confondre dans les m�mes audiences les causes ordinaires du bailliage avec celles du pr�sidial. Il va sans dire que les affaires criminelles ne pouvaient �tre jug�es avec celles civiles, d'autant mieux qu'il fallait sept juges pour y juger pr�v�talement.
Le Barrois et le Bassigny mouvants, non compris dans l'organisation qui pr�c�de, ressortissaient aux pr�sidiaux de Ch�lons et de Langres.
GRUERIE.
Ce mot, dont les auteurs ne peuvent donner une �timologie raisonnable, signifiait autrefois l'administration des forets. Chaque seigneur avait la sienne, et ordinairement,
� moins qu'il n'e�t une immense �tendue de bois, ainsi qu'une population consid�rable � surveiller, c'�tait son pr�v�t seul qui en �tait charg�. En m�me temps que ce fonctionnaire jugeait les crimes et les d�lits ordinaires, il jugeait les d�lits forestiers et tout ce qui s'y rattachait, tels que ceux de chasse ou de p�che.
Les ducs avaient de m�me leurs gruyers, qui �taient aussi les pr�v�ts ou des officiers sp�ciaux, dans quelques ressorts de grande importance. Le duc Jean II, en 1446, les pla�a tous sous la surveillance d'un Grand-Gruyer, qui faisait des tourn�es d'inspection et concourait, plusieurs fois l'ann�e, � rendre la justice avec eux. Il y avait obligation pour les justiciables de se pr�senter en personne et d'y proposer eux-m�mes leur d�fense. Un usage contraire s'�tant gliss� dans le comt� de Briey, o� les d�linquants faisaient compara�tre des avocats qui se plaisaient � embarrasser le gruyer par mille incidents dont il lui �tait trop souvent impossible de sortir, le duc Henri, sur la plainte qui lui en fut faite, d�fendit, en 1615, aux avocats de continuer, sous peine de 10 fr. d'amende.
Les gruyers ne jouissaient pas des m�mes honneurs et pr�rogatives que les pr�v�ts, quand les deux fonctions n'�taient pas dans la m�me main ; cependant c'�tait un officier tenant aussi un des premiers rangs. Dans les lieux o� les for�ts �taient consid�rables, son emploi semblait avoir une importance proportionn�e � leur �tendue. A Ch�tel, quoique simple receveur, il contestait, en 1599, les droits du bailli, notamment � la f�te de l'oie, pr�tendant que puisque le profit �tait vers� entre ses mains, la direction de ce jeu et de ses solennit�s lui appartenait.
Le bailli, trop fier de son privil�ge pour le c�der, en accordait, dit-il, volontiers les grimaces, mais non la danse, ce moment �tant celui o� il avait l'honneur de repr�senter le duc. A cette occasion, il fut fait un long et minutieux besogn� dont le r�sultat nous est inconnu (56). En 1626, le gruyer de la m�me ville r�clama encore et obtint confirmation par le duc Henri d'assister aux jugements criminels.
La soumission des Trois-�v�ch�s aux volont�s de la France y mit en vigueur l'ordonnance de 1669 usit�e en ce royaume. Dix ans apr�s, une table de marbre y fut cr��e � l'instar de celle de Paris, pour conna�tre en appel des sentences de tous les gruyers; elle subsista jusqu'en 1704, �poque � laquelle le Parlement fut investi de ses fonctions.
Sous le r�gne de L�opold, la gruerie lorraine fut convertie en une v�ritable administration ayant pour guide le r�glement des eaux et for�ts publi� avec le code de 1707. Les officiers �taient au nombre de trois, appel�s gruyer, contr�leur et garde-marteau. Leurs sentences �taient sujettes � l'appel devant la chambre des comptes pour tous les bois et rivi�res du domaine du duc, et � la Cour souveraine pour ceux des particuliers et des communaut�s. Ils avaient la connaissance des crimes, meurtres, querelles et autres exc�s commis dans les eaux et for�ts, lorsqu'ils avaient pour cause l'exploitation des bois et rivi�res. Les jugements des gruyers seigneuriaux en mati�re de simples d�lits �taient port�s au bailliage, puis, en dernier ressort, � la Cour souveraine, ce qui faisait trois degr�s de juridiction.
La Lorraine fut alors divis�e en cinq d�partements dirig�s par cinq grands-ma�tres dont la r�union composait un conseil sup�rieur; ils �taient alors appel�s conseillers et commissaires g�n�raux, r�formateurs des eaux et for�ts.
Leur mission sp�ciale comme grands-ma�tres consistait � surveiller et � diriger les officiers des grueries, qui �taient ainsi r�partis :
D�PARTEMENT DE NANCY.
Nancy; Pompey, l'Avant-Garde et Frouard; Gondreville; Foug; Chaligny ; le comt� de Vaud�mont ; Lun�ville et Azerallles ; Rosi�res ; Einville; Amance; Cond�.
D�PARTEMENT d'�PINAL.
�pinal ; Mirecourt ; Remoncourt ; Darncy; Dompaire; Charmes; Ch�tel, Arches et Remiremont; Bruy�res; Sainte-Marie, Val-de-Li�vre et Saint-Hippolyte ; Saint-Di� et Raon; Deneuvre; Badonviller, le comt� de Salm et l'abbaye de Senones ; Bl�mont.
D�PARTEMENT DE SAINT-MIHIEL.
Saint-Mihiel ; Apremont; Hattonch�tel ; Rembercourt-aux-Pots.
Barrois mouvant. Bar ; Souilly ; Pierrefitte ; Morley
Bassigny. - Gondrecourt ; La Mothe et Bourmont ; Lamarche ; Ch�tillon ; Conflans ; Neufch�teau et Gh�tenois.
D�PARTEMENT DE PONT-A-MOUSSON.
Pont-�-Mousson; Nomeny; Pr�ny; La Chauss�e et Thiaucourt ; Mandres ; Bouconville; �tain; Longuyon; Arancy; Norroy-le-Sec; Conflans-en-Jarnisy ; Sancy; Briey.
D�PARTEMENT DE SARREGUEMINES.
Sarreguemines; Ch�teau-Salins ; Marsal ; Dieuze ; Sawerden, Bouquenom et Fen�trange.
Principaut� de Lixheim. - Le comt� de Bitche ; Saralbe ; Insming ; Hombourg et Saint-Avold; Berus; Siersberg, Mertzig et Sargaw; Schambourg; Frestroff; Boulay.
Le roi Stanislas trouvant ces grueries trop multipli�es, les supprima au mois de d�cembre 1747 et les r�organisa sous le nom de ma�trises particuli�res, au nombre de quinze pour toute la Lorraine, en y attachant quelques grueries, le tout ainsi r�parti :
Nancy, avec les grueries de Chaligny, Rosi�res, Gondreville, Val-desFaux, r Avant-Garde, Amance, Ch�teau-Salins.
Lun�ville. - Einville, Bl�mont, Azerailles, Deneuvre.
Saint-Di�. - Bruy�res, Badonviller, Sainte-Marie et Saint-Hippolytc.
Epinal. - Arches et Ch�tel.
Mirecourt. - Darney, Dompaire, Charmes.
Neufch�teau. - Ch�tenois, V�zelise.
Dieuze. - Marsal et Saint- Avold.
Bouzonville. - Boulay, Siersberg et Schambourg.
Sarreguemines. - Bitche, Lixheim, Bouquenom, Saralbe et F�n�trange.
Bar. - Ancerville, Morley, Pierrefitte, Souilly, Ligny,
Bourmont. - La Marche, Conflans, Gh�tillon, Saint-Thi�baut, Gondrecourt.
Saint-Mihiel. - Rambercourt, Hattonch�tel, Apremont, Mandres et Bouconville, Foug, Ruppes, Thiaucourt, Commercy.
Pont-�-Mousson. - Pagny et Nomeny.
Etain. - Villers-Ia-Montagne, Longuyon et Arrancy.
Briey. - Sancy, Norroy-le-Sec, Conflans en Jarnisy.
Chacune de ces ma�trises �tait compos�e d'un conseiller-ma�tre particulier, d'un conseiller-lieutenant, d'un conseiller-procureur, d'un conseiller-garde-marteau et d'un greffier, sans compter des arpenteurs et huissiers, le tout sous les ordres d'un grand-ma�tre enqu�teur et g�n�ral r�formateur.
Cette organisation subsista jusqu'en 1790.
CHAMBRES DES COMPTES.
Cette institution �tait, dans l'origine, moins un tribunal qu'un conseil charg� de v�rifier la gestion des comptables du domaine du prince. Il y eut deux chambres, l'une � Bar, pour le Barrois, l'autre � Nancy, pour la Lorraine.
La date certaine de leur origine est inconnue, ce qui est assez extraordinaire. Ceux qui s'en sont occup�s ont consid�r� celle de Bar comme la plus ancienne ; M. de Maillet (57), doyen de cette compagnie, la repr�sente comme aussi ancienne que le Barrois, et en fait le conseil des ducs. M. de Rog�ville (58), qui n'avait pas les m�mes raisons de l'illustrer, en dit � peu pr�s autant, sans cependant la faire remonter au-del� de 951, �poque �galement pr�sum�e de la cr�ation de la Cour des hauts jours de Saint-Mihiel.
Il pr�tend qu'elle s'appela d'abord Chambre aux deniers, Bureau Monsieur, et que ce ne fut que sous le duc Robert qu'elle prit le titre de chambre du conseil et des comptes, que ce prince lui donna dans divers mandements qu'il eut, dit-on, l'occasion de lui adresser.
Nous sommes en des conditions bien autrement d�savantageuses que ces �crivains pour fixer l'origine des chambres des comptes, car ils avaient � leur disposition beaucoup d'archives qui n'existent plus. Ce qu'il en reste nous permet de constater un fait positif, c'est que sur aucun des comptes d�pos�s par les comptables ant�rieurement � 1366, on ne trouve la mention du d�p�t ou de la r�ception en la chambre, tandis qu'apr�s cette �poque, il est toujours mis de la part du comptable :
���Pour la chambre, � et de la part de celle-ci : ���Re�u en la chambre, le.... � Sans doute cette circonstance n'exclut pas l'existence ant�rieure de la chambre, mais elle permet de douter que les v�rificateurs ou contr�leurs qui en �taient alors charg�s fussent constitu�s en une corporation, que celle-ci s'appel�t chambre des comptes et qu'elle en e�t les attributions �tendues.
Si l'on objecte que la pr�sence des registres ant�rieurs dans les archives de la chambre atteste l'existence de celle-ci � cette �poque, on peut encore r�pondre que cet argument n'est pas concluant, car on trouve sur plusieurs d'entre eux, et notamment � Bar, sur un compte de la pr�v�t� de Conflans en 1349, ces mots :
���Pour M. le comte. � C'�tait donc au prince qu'ils �taient remis directement, plut�t qu'aux officiers qu'il avait charg�s de les v�rifier. L'existence de ces registres anciens au m�me d�p�t s'explique mieux par l'analogie qu'il y avait entre les m�mes institutions, dont la seconde n'�tait que la cons�quence ou plut�t la continuation, avec perfectionnement, de la premi�re.
Quoi qu'il en soit de cette origine, les chambres des comptes se trouvant, en Lorraine, les tribunaux dont le ressort �tait le plus �tendu, augment�rent bien vite l'importance qu'elles avaient re�ue, en s'habituant � se consid�rer comme ayant une autorit� sup�rieure � tout.
Leurs magistrats, presque tous riches, titr�s, privil�gi�s, ayant en g�n�ral plus d'instruction que les autres membres de la noblesse, d'ordinaire vou�s � l'�p�e, jouissaient d'une grande influence due � la consid�ration qu'ils s'attiraient par eux-m�mes ; la qualification de gens du conseil et des comptes les �levait en apparence � la qualit� de conseillers du prince, qui les avait encore charg�s de sa juridiction du Buffet ; la plupart d'entre eux �tant en outre conseillers d'�tat, faisaient rejaillir sur leur compagnie le cr�dit et les honneurs qui s'attachaient � leurs personnes. Par la correction des comptes des receveurs, qui �taient presque tous pr�v�ts, ils avaient sur ceux-ci, qui tenaient la force en main, un droit de contr�le qui se changeait facilement en domination.
L'usage de s'adresser � eux dans le Barrois, pour demander avis, leur donnait encore, avec l'habitude de critiquer les proc�dures des officiers de justice, la tendance
� se croire au-dessus d'eux; aussi, de temps � autre, on put les surprendre nantis en quelques points d'une autorit� usurp�e, �gale � celle qu'aurait eue un v�ritable
Parlement.
Ce fut surtout pendant les guerres et autres malheurs qui troubl�rent l'ordre dans la province, que les chambres des comptes �tendirent leurs envahissements. Charles
IV ayant voulu y rem�dier, demanda, en 1628, � celle de Lorraine un m�moire exact sur ses attributions. Il r�sulte de ce document officiel que cette chambre avait (en mati�re de r�pression)
���la connaissance de toutes les infractions aux r�glements sur le sel et les salines ; des appels des jugements rendus dans toutes les grueries, except� celles de Nancy, Ch�tenois et Neufch�teau, qui avaient des juges sp�ciaux ; des monnaies et des mines ; des malversations commises par les officiers du domaine, ses fermiers et sous-fermiers, dans l'exercice de leurs fonctions, avec pouvoir de les muleter d'amende, suspension, privation d'office, peines corporelles et m�me de mort ; des fautes des tabellions dans l'exercice de leurs fonctions, jusqu'� suspension et privation de leurs charges ; des plaintes et sentences des orf�vres de Nancy; des appels des justices du comt� de Bl�mont et seigneurie de Deneuvre, m�me au criminel. �
L'invasion de la France fit subir aux chambres des comptes plusieurs changements notables qui all�rent jusqu'� leur suppression, ainsi qu'il est plus amplement rapport� par Rog�ville, que la n�cessit� de nous restreindre dans notre sujet ne nous permet pas de suivre sur ce terrain.
Le duc L�opold, peu apr�s son av�nement, r�glementa la chambre de Lorraine, qu'il restreignit le plus possible au but de son institution ; il ne lui laissa, au criminel, que les appels des grueries du domaine, la connaissance des malversations des comptables, celle des monnaies et des mines, et enfin des crimes et des d�lits commis par les employ�s de ces administrations. Quant � la fabrication ou � l'alt�ration de la monnaie par d'autres que par des employ�s, la chambre pouvait en conna�tre comme les autres juridictions, mais seulement pr�ventivement, sauf � renvoyer devant juges comp�tents.
Les archives des chambres des comptes de Lorraine et de Bar sont aux si�ges des pr�fectures de la Meurthe et de la Meuse, o� elles peuvent �tre consult�es avec fruit par les historiens (59). Les plus, anciennes remontent au XIIIe si�cle, les plus modernes s'arr�tent g�n�ralement � 1669, �poque de la fusion de ces chambres dans le
Parlement de Metz. Les archives post�rieures furent, dit-on, d�pos�es dans celles de cette Cour, ainsi que dans celles du Parlement de Nancy.
TRIBUNAUX DE POLICE.
La r�pression des infractions aux r�glements concernant la tranquillit� publique et la salubrit� fut toujours l'objet d'une juridiction sp�ciale, moins relev�e que celle concernant les d�lits plus graves et les crimes, mais non moins utile que cette derni�re. Les habitants, bien maintenus dans les limites d'une police pr�voyante, � la fois s�v�re et paternelle, �taient � leur insu pr�serv�s des grands dangers de l'inconduite et du d�sordre. Les seigneurs, ma�tres de leurs sujets, dispensateurs de la haute justice sur eux, avaient � plus forte raison la basse justice, qui n'infligeait que de l�g�res corrections. Par eux-m�mes, leurs pr�v�ts ou leurs maires, ils s'acquitt�rent de ce soin indispensable, qui, apr�s la cr�ation des communes, fut confi� � celles-ci et qu'elles regard�rent toujours comme la partie d'administration la plus pr�cieuse pour leur repos et leur ind�pendance. Les mairies devinrent des tribunaux de police, proc�dant en
m�me temps par voie r�glementaire, de surveillance et d'ex�cution, jugeant sans appel ni autre recours. Un de leura membres, le second en grade, qualifi� lieutenant de maire ou premier �chevin, �tait plus sp�cialement charg� de tenir la main au maintien des volont�s de la compagnie.
Dans les villages et les villes peu populeuses, le d�faut d'importance ne rendit n�cessaire aucune grande mesure, aucune innovation. Il n'en fut pas de m�me des grandes villes, o�, ind�pendamment des causes plus fr�quentes de troubles, l'ind�pendance que la fortune, la naissance et les dignit�s donn�rent � grand nombre de leurs habitants, rendirent indispensable une police en rapport avec ces exigences. Nancy fut surtout dans ce cas, il y fallut d�s long-temps un personnel en �tat d'imposer � sa population nombreuse, riche et titr�e. Le duc Ren� II, en 1497, confia sa police � un pr�v�t et � quatre bourgeois notables qui furent appel�s les quatre de la ville ou les quatre �lus; ils �taient � sa nomination, sur la pr�sentation des habitants. Le duc Charles III porta ce nombre � douze, puis plus tard � sept, qui se renouvelaient annuellement par moiti� et devaient �tre pris, par voie d'�lection, parmi les plus notables dans les divers ordres de l'�tat, suivant l'exemple qu'il en donna pour la premi�re fois en les choisissant depuis ses conseillers d'�tat jusqu'� des tailleurs et des cordonniers. En m�me temps qu'ils d�lib�raient sur tous les int�r�ts particuliers de la ville, ils jugeaient les contraventions de police dont on relevait appel au prince.
Il y eut peu de changements � cette organisation jusqu'� l'arriv�e du duc L�opold, qui, y trouvant un dignitaire nouveau introduit par les Fran�ais sous le nom de pr�sident, le supprima par son ordonnance de r�organisation du 1er septembre 1698, comme dangereux, par sa permanence, pour l'ind�pendance des autres membres, tous amovibles. L'H�tel-de-Ville fut d�s lors compos� de neuf membres et d'un substitut, dont six toujours choisis parmi les principaux officiers de l'�tat, et trois parmi les plus notables bourgeois. En novembre 1699, il y ajouta, pour un des membres, le titre de lieutenant g�n�ral de police, dont les fonctions furent de faire ex�cuter les volont�s de la chambre, de juger sommairement les contrevenants en premi�re instance, sauf appel � ladite compagnie. Quelques privil�gi�s se croyant au-dessus de cette juridiction, le duc, en 1702, y d�clara soumis tous les habitants, quelle que f�t leur condition. Cette charge de lieutenant n'ayant pas paru suffisamment d�finie quant aux attributions, celles-ci furent d�taill�es dans une ordonnance sp�ciale en 171 4. Elles consist�rent dans le jugement des contraventions aux lois sur la s�ret� de la ville, nettoiement de ses rues et places, voierie, alignements, fontaines, ruisseaux, pav�s, subsistances, visite des halles, foires et march�s, lieux publics, charlatans, poids et mesures, et g�n�ralement tous faits de police. Les sentences du lieutenant-g�n�ral furent d�clar�es ex�cutoires par provision, sauf appel � l'H�tel-de-Ville et de l� au conseil d'�tat.
Cette organisation, qui devait servir et servait de mod�le aux autres H�tels-de-Ville de la province, avait cela de particulier pour la ville de Nancy, ind�pendamment du plus grand nombre de ses membres, que le duc, par attention particuli�re, avait toujours cherch� � l'illustrer et � la d�corer en y faisant entrer gens de son conseil, de sa Cour souveraine, de sa chambre des comptes, du bailliage et de la noblesse. Sous le r�gne de Stanislas, le ministre la Galaizi�re, qui voulait avoir meilleure composition d'un corps d�lib�rant n�cessaire � l'ex�cution de ses volont�s les plus urgentes, s'attacha, au contraire, � en exclure les magistrats qui, par esprit d'ind�pendance, �taient plus dispos�s � lui faire, r�sistance. Aussi devint-il, � ce moyen, le supr�me arbitre de la police, soustraite m�me � l'autorit� de la Cour souveraine, qui, amen�e � ce point sans peut-�tre l'avoir pr�vu, en fit la dure exp�rience.
C'�tait en 1749 ; Me Huin, avocat, ayant eu occasion de se plaindre de quelques vexations de la part des archers du guet, le lieutenant-g�n�ral de police Hanus le fit appeler chez lui, d'o�, apr�s s'�tre oubli� jusqu'� l'injurier, il le fit conduire publiquement en prison par les m�mes archers, sans vouloir entendre � aucune justification.
Plainte au bailliage, plainte � la Cour souveraine de la part de Me Huin ; mais rapport secret de la part du lieutenant au chancelier, qui, facile � pr�venir contre les gens de robe, enjoignit aux avocats de r�primander leur confr�re ou de le rayer du tableau. Deux arr�ts de la Cour furent cass�s par le ministre, qui, sous le nom du roi, rendit la justice impuissante. Celle-ci, humili�e, r�duite � protester, dit en terminant sa remontrance douloureuse :
���C'est ainsi que le lieutenant-g�n�ral de police, contre l'administration duquel la Cour souveraine n'avait recueilli que des abus consid�rables et des faits de la plus grande notori�t�, a trouv� le moyen de se soustraire � l'ex�cution des lois et � l'autorit� du Parlement; qu'un citoyen, un avocat, a subi ignominieusement la prison pour une faute qu'il n'avait pas commise ou dont il n'�tait pas convaincu; que, pour s'�tre plaint � la juridiction, seule comp�tente dans une mati�re grave, il a �t� fl�tri, d�shonor�, priv� de son �tat, et que la Cour souveraine, pour avoir voulu rendre justice aux uns et aux autres, a essuy� les mortifications les plus sensibles. On ne croit pas que de pareils proc�d�s puissent �tre justifi�s par aucun exemple. �
Le ministre invoquait l'ordonnance de 1714, que nous venons de voir, par laquelle l'appel en dernier ressort �tait d�f�r� au conseil d'�tat ; la Cour pr�tendait que depuis l'av�nement de Stanislas, l'H�tel-de-Ville ayant cess� d'avoir dans son sein des commissaires des compagnies souveraines, l'appel �tait rentr� dans ses attributions, conform�ment au droit commun consacr� en l'article 1er du code L�opold ; qu'en f�t-il autrement, le ministre-chancelier, malgr� la grandeur de sa dignit�, ne composait pas � lui tout seul le conseil d'�tat. Si la premi�re de ces pr�tentions souffrait quelques doutes dans sa solution, il faut reconna�tre que la seconde �tait fort plausible.
Apr�s la r�union d�finitive de la Lorraine � la France, le roi Louis XV, par �dit du mois d'octobre 1771, en supprima tous les offices municipaux, qu'il r�tablit sur une base uniforme. Nancy seul eut une organisation particuli�re ; son lieutenant-g�n�ral de police fut ind�pendant de l'H�tel-de-Ville ; assist� de deux conseillers du bailliage, il formait un tribunal de police dont les appels se portaient � la Cour souveraine.
C'est dans cet �tat que la r�volution trouva les tribunaux de police.
DISCIPLINE MILITAIRE.
La r�pression � l'�gard des militaires, pour les infractions aux devoirs de leur service, ne peut �tre l'objet de notre examen ; livr�e � tous les dangers de l'arbitraire, elle fut s�v�re ou indulgente selon le caract�re des chefs, qui alors propri�taires de leurs soldats, les traitaient plus comme des choses que comme des hommes, craignant avant tout de se ruiner en les sacrifiant. Notre t�che doit s'arr�ter aux rapports de l'arm�e avec la population, la violation des lois communes de la soci�t� constituant seule la criminalit� qui fait l'objet de nos �tudes.
Dans les �tats du duc et dans les Trois-�v�ch�s, les crimes et les d�lits commis par des militaires envers des bourgeois entra�naient contre eux juridiction devant les tribunaux ordinaires du pays, sans qu'ils pussent invoquer d'autres privil�ges que ceux personnels, tels que si, par exemple, le coupable �tait gentilhomme, il pouvait r�clamer les juges investis du droit de juger la noblesse. Ils �taient, comme tous autres habitants, fl�tris parla main du bourreau si leur crime l'avait m�rit� ; leur punition �tait m�me plus s�v�re, car on avait senti la n�cessit� de frapper fort contre des gens auxquels les exc�s �taient plus familiers, et l'impunit� trop facile. G�n�ralement, avant l'introduction de la peine des gal�res en Lorraine, c'�tait la hart qui avait la pr�f�rence sur tous autres ch�timents, � moins qu'il n'y e�t meurtre, auquel cas c'�tait la roue.
Les militaires en marche �taient justiciables du grand-pr�v�t, qui en faisait �galement prompte justice. Le duc Charles III en excepta la garnison de Nancy, qu'il pla�a sous les ordres et la juridiction du bailli. Le code p�nal n'�tait pas long : tout soldat qui mettait l'�p�e � la main en ville perdait le poing publiquement ; en cas de blessure, c'�tait la mort. Le vol et le viol �taient punis de la hart, ainsi que la participation � une �meute. Sous la m�me peine, il leur �tait d�fendu de sortir de la ville autrement que par les portes.
La s�v�rit� en th�orie et m�me en pratique n'emp�cha pas les bourgeois de souffrir beaucoup des violences des soldats, qui alors sortaient de la lie des populations et �taient la plupart �trangers ; leurs chefs ne prenaient que trop souvent parti pour eux, mais quand la justice s'en m�lait, rarement ils avaient raison.
JURIDICTION ECCL�SIASTIQUE.
Les premiers sectateurs du christianisme imagin�rent de se juger entre eux pour �viter le scandale et soustraire leurs int�r�ts � la connaissance et � la domination des pa�ens. Ils jugeaient non-seulement les diff�rends d'entre leurs ministres, mais encore ceux d'entre les la�ques.
Leurs arbitres �taient leurs pr�tres, qui en cela faisaient acte de charit�. Peu � peu cette justice volontaire devint une loi qui se convertit en un grand privil�ge destin� � mettre les serviteurs de l'�glise � l'abri des coups de l'autorit� temporelle. Ce fut l� bient�t son principal but et son plus pr�cieux r�sultat, un moyen de libert�, le refuge du faible contre le fort.
Mais cette tol�rance, qui ne pouvait subsister qu'avec un exc�s de discr�tion, ne tarda pas � sembler � ses possesseurs un droit incontestable ; usurpateurs sans frein, ils en �tendirent le domaine au-del� de toute limite, voulant y trouver une ind�pendance absolue, aussi hostile � l'autorit� du prince qu'injurieuse � ses tribunaux. A son tour, quoique tardivement �veill�, celui-ci voulut reconqu�rir son droit, d'o� r�sulta pendant plusieurs si�cles une lutte �nergique o� chaque parti �branla la justice par des conflits incessants, dirig�s de part et d'autre dans les vues mondaines de la politique et du lucre.
���Ce droit, dit Febvret, de toutes parts bien attaqu�, bien d�fendu, fut toujours guerre, quelquefois tr�ve, jamais paix enti�re. � L'�glise voulait tout, le prince donnait peu ;
� la fin elle n'eut rien, r�sultat ordinaire de l'abus des exigences.
La justice de l'�v�que de Metz, en lutte perp�tuelle avec celle del� cit�, avait le plus souvent le dessous, parce que le pr�lat n'avait pas la facilit� de s'accommoder avec un seul homme, comme dans les �tats gouvern�s par un prince ; il avait affaire � des magistrats d�mocratiques tout aussi envahissants et jaloux de leurs pr�rogatives qu'il pouvait l'�tre
lui-m�me. S'il apparaissait d'un crime qu'il y e�t quelque r�primande encourue, la justice �piscopale en r�clamait aussit�t la connaissance, invoquant les saints canons et citant la sainte �criture. De son c�t�, la justice s�culi�re, argumentant del� pr�vention, toujours exag�r�e dans le premier moment, ne voyait que cas privil�gi�s. On pourrait citer de part et d'autre une foule de d�cisions et d'entreprises en ce sens, le grand cheval de bataille de MM. les Treize �tant toujours que le lien et la chair ne faisaient pas le pr�tre; que n'�taient pas fils de saints ceux qui tenaient leur place, mais qui faisaient saintes op�rations, ce qui �tait un faux argument, car, avec ce syst�me, la juridiction eccl�siastique n'e�t jamais trouv� d'applicalion, puisqu'il e�t suffi d'�tre r�pr�hensible pour en �tre exclu.
Les ducs de Lorraine, eux, mettaient leurs soins � s'affranchir de Rome et � demeurer dans les limites des libert�s gallicanes. Trois �v�ques, Metz, Toul et Verdun, avaient prise sur eux, relevant tous trois de Tr�ves. Plus particuli�rement celui de Toul avait la Lorraine dans son dioc�se, � l'exception de quelques communes limitrophes d�pendant des dioc�ses voisins et de quelques localit�s des Vosges relevant directement de Rome. Tant que les �v�ques de Toul v�curent en bonne intelligence avec les ducs, presque toujours guerriers redoutables, dont il n'�tait pas prudent d'�veiller le m�contentement, les privil�ges eccl�siastiques, resserr�s dans de justes limites, rest�rent florissants, ni l'�v�que ni le duc n'ayant envie de c�der de leur autorit� au pape, encore moins del� lui voir absorber.
Mais ce que la milice �piscopale ne voulait laisser au saint-p�re, elle trouvait fort doux de se l'approprier; la responsabilit� d'une justice presque universelle ne l'effrayait pas, elle jugeait le profane et le sacr� avec une �gale ardeur.
La justice eccl�siastique rendue au nom de l'�v�que, dont elle �manait, �tait compos�e d'un officier nomm� par lui, lequel �tait pr�tre et avait le titre d' Official, A ses c�t�s si�geait un Promoteur, �galement pr�tre, dont la mission comprenait celle qui correspond, dans la justice la�que, au minist�re public ; ensuite un greffier, puis un huissier appel� Appariteur, et enfin un ge�lier. Ce tribunal si�geait � Toul pour toute la Lorraine ; un autre �tait �tabli � Bar et un autre � Gondrecourt pour le Barrois mouvant ressortissant au Parlement de Paris. Il y en avait aussi un autre � Vaucouleurs, pour la partie fran�aise du dioc�se.
En 1614, il en fut �tabli un � Darney pour cette contr�e, qui d�pendait du dioc�se de Besan�on.
Le grand-pr�v�t de Saint-Di�, qui avait toutes les fonctions et dignit�s de la pr�lature, sans en avoir le titre, avait aussi une officialit� qui portait bien quelque ombrage au tr�ne de Toul, mais qu'il lui fallait subir.
A Verdun, la justice eccl�siastique �tait remise aux mains des trois archidiacres, qui l'exer�aient, chacun par leur official particulier, dans l'�tendue de leur archidiacon�, ainsi que sur les membres du clerg�. Leurs sentences �taient port�es en appel devant l'official de l'�v�que. La France les priva de leurs attributions au XVIIe si�cle, et les r�unit � la juridiction �piscopale.
A Toul, l'official r�sidait en cette ville, o� il si�geait devant Je parvis de la cath�drale ; il �tait appel� Official g�n�ral, par opposition � trois autres officiers charg�s de fonctions analogues, savoir :
1� L'Official archidiaconal ou de la petite Cour qui tenait son si�ge au coin du clo�tre Saint-Gengoult. C'�tait un chanoine de cette coll�giale, choisi par le grand-archidiacre.
Il avait juridiction sur les pr�tres de Saint-Amand, Saint-L�on, Saint-Pierre et Saint-Mansui, ainsi que sur les paroisses de Gondreville, Bl�nod et Villey-Saint-Etienne.
2� L'Official capitulaire de la cath�drale, cr�� par les pr�tres de cette �glise pour eux et leurs clercs. Cette juridiction exceptionnelle �tait �tablie pour les soustraire � celle de l'�v�que ; elle �tait un moyen d'ind�pendance fort plausible dans un temps o� les pr�lats �taient autant seigneurs temporels que chefs spirituels. Les appels en �taient port�s directement au pape.
3� L'Official capitulaire de la coll�giale, cr�� dans les m�mes vues, par les chanoines de Saint-Gengoult, pour leur �glise et quelques villages en d�pendant.
La comp�tence de l'official g�n�ral s'�tendait aux infractions que les membres du clerg� pouvaient commettre envers la discipline, telles que dire plusieurs fois la messe en un jour, ou confesser sans permission, ne pas r�sider, irr�gularit� dans les moeurs, l'habillement, etc. C'�tait l�, de toute antiquit�, sa principale mission. Elle comprenait encore les d�lits communs des eccl�siastiques, tels que injures verbales, rixes, ivrognerie, stupre, concubinage, vagabondage, etc., mais non leurs crimes, qui �taient appel�s d�lits privil�gi�s. La poursuite de ces derniers �tait r�serv�e aux tribunaux du prince, seuls comp�tents pour en conna�tre.
C'est ici que la ligne de d�marcation, suffisamment tranch�e par la raison et la constitution de la soci�t�, n'�tait plus respect�e par le clerg� d'alors, jaloux de prendre sa part d'influence dans le gouvernement de l'�tat. Les causes de sa conduite sont faciles � saisir ; en m�me temps qu'il voulait faire le bien et qu'il avait la suffisance de se croire seul capable de le r�aliser, il voulait, par une excessive pr�voyance, au risque d'usurper sur le royaume de C�sar, tenir dans ses mains inflexibles tous les ressorts qui font mouvoir les hommes. Ses moyens d'y parvenir consistaient � chercher dans les actions des fid�les des points de morale ou de religion pouvant se rattacher � la mati�re de sa comp�tence, et, � l'aide de ce fil, souvent tr�s-mince, il attirait � lui la connaissance des crimes les plus �normes : de l'adult�re, il connaissait sous pr�texte du sacrement de mariage ; des obligations civiles, sous pr�texte du serment pr�t� par l'oblig�, pourquoi on avait soin de le faire inscrire en tous les actes ; � propos de s�paration de corps, il pronon�ait sur celle de biens, sur la restitution de la dot, les alliances, l'entretien des enfants, etc., ainsi du reste.
A la diff�rence de la l�gislation temporelle du pays, les sentences des officiaux en mati�re p�nale �taient susceptibles d'appel, d'abord devant le m�tropolitain � Tr�ves, ensuite devant le pape, tenu de d�l�guer des juges pour dispenser d'aller � Rome. Dans ce cas de d�l�gation, il �tait encore permis d'appeler au pape de la sentence de ses d�l�gu�s, de sorte que l'instance devenait � peu pr�s interminable, le postulant mourant souvent avant la d�cision. C'est ce qu'atteste le pieux Dom Calmet, dont l'autorit� en cette mati�re ne peut �tre suspecte.
���On sait, dit-il, que les proc�dures eccl�siastiques sont fort longues ; avant que l'on ait obtenu trois sentences contre une, il faut bien tirer ; et souvent, avant la fin, l'argent, la vie ou l'opini�tret� manquent. �
Dans divers conciles, la comp�tence des officialit�s fut fortement �tendue, notamment dans celui de Trente ; mais les rois et les princes ne conc�dant pas que le clerg� p�t
�tre juge et partie dans sa propre cause, n'en admirent pas toutes les dispositions. Les ducs de Lorraine en retranch�rent le plus qu'ils purent, �tant toujours en garde contre les dangers de laisser � Rome trop d'influence dans leurs �tats. Au point de vue qui nous occupe, ils �tablirent, � litre d'usages, les affranchissements et les droits qui suivent :
���Autorit� souveraine du prince en toutes mati�res de discipline eccl�siastique ;
Ind�pendance compl�te de l'inquisition, r�duite � quelques localit�s des Vosges relevant directement de Rome ;
Comp�tence des juges la�ques en mati�re de blasph�mes, infractions; aux lois de l'�glise, publications contre la religion et les moeurs, libelles diffamatoires, mariages clandestins, adult�re, concubinage, etc., affaires toutes de nature � pr�texter les empi�tements des juges eccl�siastiques qui n'ont pu en conna�tre que sourdement et ill�galement;
Comp�tence des m�mes juges la�ques dans les cas dits royaux et privil�gi�s, c'est-�-dire les grands crimes, ainsi que pour toutes affaires temporelles ;
Impunit� de l'usure l�gale, c'est-�-dire du pr�t � int�r�t au taux fix� par la loi ;
Obligation pour les officiaux non �tablis en Lorraine de demander pareatis aux juges la�ques ;
Obligation de suivre les formalit�s l�gales du pays dans les proc�dures devant les commissaires d�l�gu�s du saint-si�ge en cas d'appel ;
Interdiction de l'appel direct au saint-si�ge, sans recourir aux autres degr�s de juridiction, et rejet du droit d'�vocation directe par le pape ;
Non admission du droit d'asile dans les �glises ;
Admission de l'opposition � fins de nullit� (appel comme d'abus) devant la Cour souveraine contre les brefs de Rome et les actes �piscopaux ;
Cessation du privil�ge cl�rical par le mariage du clerc. �
Pour l'�tablissement et le maintien de ces usages, les ducs firent maintes d�fenses conformes. En 1441, Ren� Ier d�fendit � ses sujets du Barrois de saisir les juges eccl�siastiques d'autres affaires que celles de leur comp�tence spirituelle,
� peine de 60 fr. d'amende contre les nobles, et de 60 sous contre les roturiers, ainsi que d'anciennet�. En 1484, Ren� II interdit, sous peine de confiscation de corps et de biens, de publier aucuns brefs de Rome ou actes apostoliques sans sa permission. En 1519, le duc Antoine renouvela cette d�fense sous peine de prison jusqu'� r�paration enti�re. Il interdit �galement d'aller plaider � Rome dans les questions b�n�ficiales, le pape devant nommer des commissaires ad hoc dans la localit�. Le 5 mai 1629, Charles IV prescrivit aux officiaux de Toul de prendre pareatis pour leurs jugements � ex�cuter en Lorraine, leur interdisant m�me les censures eccl�siastiques pour arriver indirectement aux m�mes fins, r�duisant toujours les officialit�s � leur v�ritable mission, la juridiction spirituelle proc�dant par voie de p�nitences et non de peines.
Quant � l'inquisition, qui a laiss� des souvenirs si antipathiques, nous venons de le dire, la Lorraine en �tait pr�serv�e par la fermet� de ses ducs. Les Trois-�v�ch�s pouvaient user du m�me privil�ge, mais les pr�lats qui vinrent s'asseoir sur ces si�ges �piscopaux, surtout � Metz, laiss�rent envahir, dans quelques portions de leur dioc�se, cette partie importante de leur autorit�. On a conserv�, des noms des inquisiteurs qui parurent � diverses �poques, ceux ci-apr�s.
1315. Le r�v�rend p�re Garin, de Bar-le-Duc, dominicain � Metz.
1340. Renaud de Ruisse, censeur g�n�ral de l'h�r�sie � Metz.
1355. Jean de Bonne-Fontaine, � Metz.
1590. Nicolas de Hombourg, pour les Trois-�v�ch�s.
1400. Martin d'Amance, idem.
1414. Laurent de Neupont, � Metz.
1421. L�onard Lislard, son vicaire, � Verdun.
Jean d'Alizey, dans les Trois-�v�ch�s.
Jean d'Ivoy, son vicaire, � Toul et Verdun.
Fr�re Mathias, dans les Trois-�v�ch�s.
1450. Les r�v�rends p�res Jean Brehalli et Pierre R�gis, � Toul.
1500. Nicolas Savin, � Metz.
1520. Christophe d'Anchery, � Verdun.
1544. Fr�re Cl�ment, idem, visite une sorci�re � Dieulouard.
1550. Jean Beguinet, idem.
1555. Pierre Regier-le-Beau, idem.
Le duc L�opold, r�tabli dans les �tats de ses p�res apr�s de longues guerres, se trouva en pr�sence d'envahissements qu'un long r�gne de d�sordre avait favoris�s ; mais il arrivait dans un si�cle et avec des institutions qui ne pouvaient permettre aux usurpations de s'agrandir, pas m�me de demeurer. L'�tablissement de la Cour souveraine leur �tait encore, � l'�gal des autres Parlements, une barri�re insurmontable ; la pr�tention de ce corps � conserver intact le d�p�t des lois, � ma�triser tous pouvoirs rivaux, � dominer peut-�tre, enlevait � la juridiction cl�ricale toutes ses chances d'extension, la plus obscure des justices du ressort ne pouvant plus y aider sans encourir une remontrance. Ce que les institutions et le progr�s des lumi�res n'auraient pas permis, les personnes n'�taient pas d'ailleurs faites pour le tenter avec succ�s : l'�v�que de Toul, Thyard de Bissy, r�sumant en lui l'autorit� spirituelle de la province, n'avait pas le don d'en faire tol�rer l'usage, encore moins l'abus.
���Piqu�, dit M. de Rog�ville, de n'avoir pu r�ussir dans l'ambitieuse pr�tention de traiter de prince � prince dans ses entrevues avec le duc, il entreprit, pour s'en d�dommager, de rendre son officialit� ind�pendante en Lorraine et d'assuj�tir le duch� � une ob�dience ind�finie. �
Pr�m�dit�e ou non, sa conduite fut constamment en hostilit� ouverte, ne laissant passer aucune occasion de tracasserie : le cur� de Ludres (60) ayant enfreint la r�gle, fut enlev� de son domicile par l'appariteur de l'officialit� appuy� de la mar�chauss�e de Toul ; les cur�s de Veroncourt et de Lorrey, cit�s devant l'official pour faits autres que purement disciplinaires, on n�gligea le pareatis avec intention ; � la nullit� des poursuites prononc�e par la Cour, il fut ripost� par l'interdiction de l'un et l'excommunication de l'autre ; un bref de Rome contre l'Explication des maximes des saints, du grand F�n�lon, ayant paru, sa publication en fut faite en Lorraine sans permission. Ainsi, coup sur coup, violation du territoire, m�pris des lois,
outrage � l'autorit� du souverain ; c'�tait plus qu'il n'en fallait pour �veiller l'attention et le z�le des magistrats, qui ne purent s'emp�cher de frapper de nullit� ces attentats du ministre de paix, tout en m�nageant par la mod�ration les voies � la conciliation.
Il n'�tait pas besoin d'une plus formelle d�claration de guerre, puisque les hostilit�s �taient commenc�es ; elle apparut n�anmoins tout � coup par la publication d'un rituel nouveau suivi d'une instruction pastorale, l'un et l'autre attentatoires aux usages de la nation et aux droits du prince. La bulle in coen� Domini, non re�ue dans la province, y �tait pr�sent�e comme une loi obligatoire pour certains cas r�serv�s, quoique leur intol�rance les en e�t toujours fait repousser ; le privil�ge cl�rical y �tait en outre r�clam� si complet qu'aucun eccl�siastique n'aurait pu �tre traduit en Cour la�que pour actions personnelles, civiles et criminelles, quelles qu'elles eussent �t�. C'�tait aller trop loin. Deux arr�ts successifs, rendus sur les poursuites du procureur g�n�ral L�onard Bourcier, d�clar�rent nulle cette entreprise et cass�rent les sentences oppos�es de l'official.
Une occasion de revanche allait �tre donn�e au pr�lat intraitable; L�opold allait publier le code de 1701, qui devait lui assurer � jamais la reconnaissance de ses sujets.
Cette oeuvre de sagesse, dict�e par l'exp�rience, imit�e des lois de la France, approuv�es en ce pays par l'�glise, n'eut pas plus t�t paru que l'�v�que en d�fendit la lecture et l'ex�cution dans tout le dioc�se, sous peine d'excommunication, pr�textant un attentat aux privil�ges et libert�s de son �glise ; car il prenait pour des droits les abus qui s'�taient �tablis pendant des temps calamiteux o� la loi elle-m�me semblait une exception.
A l'aspect de cette nouvelle pr�tention, le duc, m�content, porta ses plaintes � Louis XIV, devenu son oncle, qui fit entendre � l'�v�que qu'il voulait un accommodement. Dans ce but, des conf�rences furent ouvertes � la Malgrange ; mais, pendant qu'elles avaient lieu, la Cour de Rome, sollicit�e ou non, fulmina un bref de condamnation. Le duc, par son procureur g�n�ral, fit alors appel au pape mieux inform�, qui allait peut-�tre en effet s'adoucir, lorsque de nouveau excit� � se montrer s�v�re, il censura plus �nergiquement encore l'acte d'appel. Dans cette situation extr�me, il ne sembla rester de salut que dans l'�loignement d'un �v�que si mal dispos� pour une province qu'il devait couvrir d'une protection plus �vang�lique. Le duc demanda donc son changement � la France, et l'obtint.
Satisfait d'une mesure qui lui �tait au fond avantageuse, le pr�lat mit quelque empressement � reprendre les conf�rences rompues, mais elles n'eurent pas plus de succ�s.
Le duc, lass� de ces subterfuges, prit le parti de traiter directement avec Rome ; il y d�puta ses conseillers, qui obtinrent, en 1707, que les articles contest�s seraient retranch�s de l'ordonnance, que celle-ci serait publi�e de nouveau et qu'il y serait fait r�serve des lois et usages de la Lorraine sous la formule ordinaire pour les cas non exprim�s, mais que ces lois et usages ne seraient pas r�dig�s par �crit, ce qui avait pour but d'�viter d'en limiter la port�e.
Le nouvel �v�que, M. de Camilly, se contenta de cette r�daction, artificieuse de part et d'autre, qui laissait dans le vague ce qui avait le plus besoin d'�tre d�fini, et l'abandonnait aux r�sultats d'une lutte � renouveler chaque jour.
Aussi le pape, inform� que la premi�re interpr�tation donn�e � cette clause �tait de comprendre au nombre des lois non abolies cette m�me ordonnance de 1701 qu'il avait foudroy�e, se plaignit et obligea le duc � y ajouter la d�claration qu'il n'entendait l'ex�cution desdites lois et usages qu'en ce qui n'y �tait pas contraire aux privil�ges et immunit�s de l'�glise. Il faut regretter d'�tre forc� de dire que c'�tait encore l� une ruse, sinon un mensonge diplomatique : le procureur g�n�ral avertissait le barreau, peu de jours apr�s, qu'il e�t � consid�rer cette d�claration, si solennellement formul�e, comme non avenue ; c'est que certainement, dans la pens�e du gouvernement, le code de 1701 n'avait rien de contraire aux droits de l'�glise.
Enfin, gr�ce � ces temp�raments o� les deux parties n'�taient probablement pas dupes l'une de l'autre, un semblant de paix r�gna comme si chacune d'elles e�t obtenu la victoire. Mais il restait � l'�v�que un moyen de faire sentir que son autorit� n'�tait pas entam�e, et, au risque de la compromettre tout-�-fait, il s'y retrancha avec obstination. Comme nous l'avons dit, � l'exception de Bar, il n'avait pas d'official en Lorraine ; celui de Toul �tait dans une ville soumise � la France. Le duc avait r�clam� pour qu'il lui en f�t nomm� un dans ses �tats, afin d'y exercer la juridiction de sa comp�tence ; il avait d'autant plus de droit, selon lui, � cet �tablissement, qu'en sa qualit� de marchis, ayant le vicariat perp�tuel et la pr�fecture des marches de l'Empire, dont Toul d�pendait, il pouvait le nommer lui-m�me. Cette cr�ation �tait indispensable pour �viter d'aller � grands frais dans une ville �trang�re, ce qui exposait la libert� de ses sujets, d�j� suffisamment
� plaindre d'�tre � la merci de cur�s pour la plupart �trangers au pays.
���S. A., � disait-on dans un m�moire fourni � cette occasion par son gouvernement,
���ne peut �tre oblig�e avec justice de laisser la conduite de ses peuples, dont elle est responsable devant Dieu, � des �trangers de qui elle ne conna�t ni la naissance, ni le nom, ni la capacit�, desquels elle aura toujours raison de se d�fier et de mettre leur z�le, affection et fid�lit� au rang des choses douteuses, suspectes et tr�s-mal assur�es, vu que la plupart ne viennent en ses Etats que comme en un pays de conqu�te, pour y butiner et �tablir leur fortune et pour se repa�tre eux-m�mes aux d�pens des troupeaux commis � leur garde, dont ils savent fort bien prendre la laine, le lait et la chair, mais se soucient tr�s-peu d'acquitter les devoirs attach�s � leur office, de mani�re qu'on peut en toute v�rit� leur attribuer la qualit� de mercenaires, puisqu'ils en ont toutes les marques, mais
non pas celle de pasteurs l�gitimes. �
A ces raisons, l'�v�que de Toul en avait donn� vingt, dont moiti� qualifi�es raisons politiques et les dix autres raisons de conscience. Dans les premi�res, il all�guait que l'official restant � Toul, la Lorraine, oblig�e d'y venir plaider, tomberait en ce point dans la d�pendance de la France ; que les ducs, forc�s de s'y adresser pour leurs propres mariages, y subiraient la m�me influence, ce qui �tait d'un grand poids en cas pareil. Ainsi, comme on le voit, c'�tait pr�cis�ment en sens contraire des raisons de son adversaire que chacune des parties contestantes agissait.
Parmi les raisons de conscience, l'�v�que all�guait que le clerg� de Nancy �tait tel
���qu'il �tait impossible d'y trouver deux eccl�siastiques qui eussent la capacit�, le z�le, la fermet� et le d�sint�ressement n�cessaires dans un official et un promoteur. � Cette injure maladroite suffisait pour mettre ce clerg� du c�t� du duc ; aussi r�sulta-t-il de ce conflit, o� chacun s'obstina dans ses pr�tentions, que les officiaux de Toul, Metz et Verdun demeur�rent sans autorit� en Lorraine, qu'ils ne purent y faire donner de citations sans pareatis, et que le refus des �v�ques de nommer des commissaires eccl�siastiques pour juger les proc�s criminels, concurremment avec les juges la�ques, comme il se pratiquait en France, laissa ceux-ci compl�tement ma�tres de cette partie de la justice. Toutes les fois qu'un huissier signifia quelque acte de l'officialit� sans pareatis, la Cour le manda et le punit. Constamment elle jugea les eccl�siastiques accus�s de crimes sans le concours d'aucun officiai ou repr�sentant ; ainsi elle fit des cur�s de VironviIle, Rouvrois-sur-Othain, Freistroff, Thezey, Rosi�res-en-Haye, Pannes, Esley et autres, pr�venus de d�bauche, concubinage, infanticide, etc., qu'elle condamna au bannissement, aux gal�res et m�me � la mort ; sans compter le cur� de Ludres, le plus c�l�bre d'entre eux. Ces �v�ques, par cette fermet� digne d'une meilleure cause, paralys�rent ainsi les droits de leurs �glises, ce qui �quivalait � n'en pas avoir.
Cet �tat de choses �prouva quelque rel�che � la cr�ation des �v�ch�s de Nancy et de St.-Di� en 1775, surtout lorsque, neuf ans apr�s, parut l'�dit du roi touchant la discipline eccl�siastique en Lorraine, calqu� sur la loi fran�aise. Nous n'entrerons pas dans les d�tails de cette l�gislation que chacun peut trouver au tome 15 du Recueil des �dits; il nous suffira de dire que les juges d'�glise, maintenus juges de la discipline, le furent encore des d�lits communs, mais que les juges la�ques rest�rent ma�tres des d�lits privil�gi�s.
Quand, dans une proc�dure criminelle contre un eccl�siastique, il y avait � la fois pr�vention de d�lit commun et de d�lit privil�gi�, l'information se faisait en commun, le juge la�que et l'official, assist�s chacun de leur greffier r�digeant un proc�s-verbal s�par�. Par une d�f�rence qui caract�rise l'�poque, la pr�sidence appartenait au juge eccl�siastique ; seul il pouvait adresser les interpellations ; le juge la�que ne pouvait user de ce droit qu'� son refus. Toutefois, il faut dire que la sentence du juge d'�glise, qui pr�c�dait toujours celle du juge la�que, ne pr�jugeait rien sur celle-ci.
Cette forme de proc�der dans les cas de d�lit mixte �tait suivie d'ailleurs avant les difficult�s �lev�es sous le r�gne de L�opold. Il fut fait ainsi, en 1678, dans le proc�s intent� par l'abbesse de Poussay contre Catherine-Ang�lique Davy de la Pailleterie, l'une de ses chanoinesses, qu'elle accusait de c�lement de grossesse et de suppression de part. A l'official g�n�ral de Toul, assist� de deux chanoines, l'un de la cath�drale et l'autre de Saint-Gengoult, furent adjoints le lieutenant-g�n�ral, le lieutenant particulier et deux avocats, dont l'un �tait le ma�tre �chevin (61).
Lorsque la sentence des juges eccl�siastiques �tait d�favorable � l'accus�, elle portait que le coupable serait livr� au bras s�culier, pour le juger, avec pri�re d'en user avec toute douceur et mod�ration, suivant les saints canons. L'appel de cette sentence n'arr�tait pas la justice s�culi�re, qui pronon�ait � son tour, sauf ensuite � l'accus� � interjeter aussi appel de sa d�cision. En 1655, un chanoine de Saint-Georges, Claude le Page, aum�nier du chapitre, poursuivi pour sodomie et livr� au bras s�culier, appela vainement � Rome; les �chevins de Nancy, qui avaient d'ailleurs concouru � la proc�dure en commun, se le firent remettre malgr� les chanoines, et le jug�rent sans s'arr�ter � son appel.
Les peines canoniques principales �taient le je�ne, la pri�re, privation de voix d�lib�rative ou de rang dans l'�glise, l'amende, le fouet, la prison, le bannissement, la suspense, l'interdit et l'excommunication. Plus encore que dans les justices la�ques, l'arbitraire �tait en honneur. L'�v�que, avant d'�tre le juge du clerc, en �tait le ma�tre, de sorte que la poursuite, le jugement et l'ex�cution, se faisant en famille et en secret, demeuraient soumis au pouvoir
de l'official, qui n'avait pas de plus grand soin que d'emp�cher que le scandale donn� par ses justiciables transpir�t au dehors. Pour se mettre d'accord avec les textes du droit canon, certaines peines �taient d�guis�es par des mots qui leur donnaient une apparence moins fl�trissante : l'amende �tait une aum�ne, le fouet s'appelait discipline, la prison �tait une retraite dans un s�minaire ou monast�re, le bannissement une retraite hors du dioc�se ; il semblait que la punition f�t plus honteuse que le crime, car celui-ci conservait son nom.
Nous ne pouvons rien dire de l'action disciplinaire au regard des eccl�siastiques, les soins pris pour en faire dispara�tre les traces n'ayant pas laiss� assez de documents venir jusqu'� nous. A l'�gard des la�ques, ce que nous en avons vu est plus que suffisant pour nous forcer � bl�mer ces proc�dures dites spirituelles, qui ne semblaient avoir d'autre but que de fouiller les replis des �mes pour y constater le degr� de turpitude auquel l'humanit� peut atteindre. Le mariage, �tant regard� bien plus comme un sacrement que comme un contrat civil, restait � l'enti�re discr�tion du clerg� pour son existence ou sa dissolution, d'o� lui r�sultait la n�cessit� de se livrer � des appr�ciations singuli�rement d�plac�es. On voit, par exemple, les femmes pr�venues d'adult�re, en r�ponse aux interrogations les plus cyniques, forc�es d'�taler les justifications les plus ind�centes et les plus immorales. Elles ne manquent pas d'invoquer une excuse, probablement de recette en cette juridiction, que si elles ont p�ch�, c'est que leurs confesseurs leur ont fait un cas de conscience de l'�tat o� les laissait l'impuissance de leurs maris... Personne ne comprendra que la raison tol�ra jamais que des hommes vivant dans la chastet� aient pu �tre les juges de questions physiques �trang�res � leurs habitudes et hostiles � leur voeu. Il y avait plus que du danger � souiller ainsi leurs oreilles de ce que la faiblesse humaine a de plus incandescent. Aucun juge, de nos jours, ne voudrait descendre aux d�tails d�go�tants et par trop techniques o� ils semblaient se complaire, sous le pr�texte sacr� de juger les consciences ; et celles-ci, sans aucun doute, sortaient de l� beaucoup moins pures qu'elles n'y �taient entr�es.
Le proc�s-verbal d'impuissance r�dig� en la Cour �piscopale de Toul � l'occasion du divorce du duc Ren� II peut aussi donner, quoique faiblement, une id�e de cette proc�dure ind�cente (62).
Apr�s la suspense et l'interdit, venait l'excommunication, cet ultima ratio, asile de l'impuissance, dont l'�glise usait au temps de sa plus grande force temporelle. Bourgeois, manants, villes, villages, nobles, roturiers, couvents et moines, les ducs eux-m�mes et leurs �tats, rien n'en fut � l'abri. La d�su�tude de ce ch�timent, que l'abus � tu�, dispense d'expliquer son discr�dit. Au nombre des principales excommunications dont le pays eut le scandale, on compte dix ducs de Lorraine, quatre comtes de Bar, treize seigneurs des plus puissants, quatre �v�ques de Toul, deux
de Verdun, trois couvents, un abb�, un archidiacre, un grand-pr�v�t, cinq villes, dont six fois Toul, quatre fois Metz, deux fois �pinal, trois fois Verdun, une fois Sarrebourg, et ce par leurs �v�ques. La Lorraine tout enti�re le fut elle-m�me sept fois, et le dioc�se de Toul deux fois. Les causes de ces fulminations seraient trop longues � d�duire ici ; quelquefois m�rit�es, elles avaient trop souvent l'odieux de para�tre des vengeances personnelles ; aussi il ne semble pas qu'elles aient jamais procur� � la religion d'autre avantage qu'une hypocrite, d�s lors tr�s-passag�re, d�f�rence envers ses ministres.
La p�nitence publique, command�e par saint Paul et les conciles, �tait prescrite par les rituels de Toul, qui l'infligeaient aux incestueux, � ceux qui dansaient le dimanche ou un jour de f�te, qui se battaient dans les �glises et cimeti�res, aux �poux mari�s clandestinement, aux femmes scandaleuses, etc. Elle consistait, tant�t � demeurer pendant trois dimanches � genoux au milieu de l'�glise, en tenant un cierge allum�, tant�t � rester � la porte de l'�glise et � y subir un sermon ad hoc. La Cour souveraine voyant plus de scandale que d'�dification dans cette coutume d'un autre �ge, la rejeta du rituel de M. de Bissy, qui, malgr� ses protestations et les pr�c�dents, ne put la maintenir en Lorraine,
CRIMINALIT�.
D�LITS.
MARAUDAGE ET M�SUS CHAMPETRES.
La garde des champs �tait confi�e � des gardes appel�s Bangardes, c'est-�-dire gardes du ban. Ils �taient ordinairement choisis par les habitants, en m�me temps que les officiers municipaux, et recevaient un salaire ; dans quelques localit�s, chacun des bourgeois �tait oblig� de remplir ces fonctions � son tour et gratuitement.
Les plus anciennes ordonnances contre les d�lits ruraux datent du temps de Thibaut II, qui les d�fendit sous peine de 5 gros par b�te �chapp�e, de 6 � garde-faite ou de nuit, ind�pendamment de la confiscation et des dommages-int�r�ts dans les deux derniers cas.
Les chartes d'affranchissement contiennent presque toutes un v�ritable code p�nal en ce qui concerne les m�sus champ�tres ; il serait fastidieux de les rappeler ici.
Le 31 juillet 1571, Charles III fixa les amendes, pour les cas de garde-faite, � 5 sous ; la coutume de Lorraine y ajouta la confiscation du b�tail. En 1626, les d�vastations devinrent tellement audacieuses, qu'il fallut les d�fendre sous peine de punition corporelle arbitraire. A St.-Nicolas, on encourait le carcan. Les d�linquants �taient arriv�s � ce point d'audace, qu'ils abattaient jusqu'aux noyers dans les champs pour faire des meubles.
La peine de 5 gros, �lev�e � 5 sous, �tait � peu pr�s la m�me, eu �gard � la valeur mon�taire de l'�poque ; mais le duc L�opold ne maintint pas la m�me proportion, il l'�leva de suite � 5 fr., et celle � garde-faite au double. L'ann�e suivante, c'est-�-dire en 1710, la mis�re �tant extr�me, il r�tablit l'amende � 5 petits sous.
Le duc Fran�ois la fixa au taux de 7 gros, et au double pendant la nuit, pour les d�lits par �chapp�e ; mais pour ceux � garde-faite, il l'�leva � 5 fr. pour le jour et en outre � la confiscation pour ceux commis de nuit.
Un usage de ce temps �tait de gager les d�linquants, c'est-�-dire de leur prendre un gage pour le paiement de l'amende et du pr�judice caus�; quand il s'agissait d'un troupeau, le garde en emmenait une partie, quelquefois le tout. C'�tait une source de discussions et de voies de fait, les propri�taires de ces animaux n'entendant pas d'ordinaire r�pondre de la n�gligence du p�tre ; pour ravoir leurs vaches ou leurs moutons, les femmes comme les hommes �taient capables de se livrer � tous les exc�s de l'emportement. C'est ce dont, en 1703, les Dominicaines du couvent de Rhenting, pr�s Sarrebourg, acquirent la ch�re exp�rience (63) : ayant fait gager le troupeau des porcs de
Haut-Clocher, les habitants forc�rent le moutier, apr�s un petit si�ge soutenu avec honneur par la garnison de la place que commandait le r�v�rend p�re confesseur. Les plus robustes des assaillants s'�tant partag� la besogne de saisir � bras le corps et maintenir qui le confesseur, qui madame l'abbesse, qui chacune des nonnes, le gros des assi�geants et assi�geantes fit pendant ce temps d�filer le troupeau prisonnier, qui regagna ses foyers � toutes jambes. Mais le doigt d'une soeur �tait �corch�, les oreilles de toutes �taient bless�es ; des b. et des f. avaient �t� lanc�s ; il y avait de gros griefs. Le tout s'apaisa, mais non sans p�nitences impos�es, que toutefois nous ignorons.
Les maraudeurs �taient plus punis que les conducteurs de bestiaux, parce que de leur part il y avait plus que de la n�gligence. Une ordonnance de Charles III, du 24 janvier
1596, les mena�ait de 10 fr. pour la premi�re fois, 20 fr. pour la deuxi�me, du fouet et du bannissement pour la troisi�me. Les insolvables n'avaient pas gr�ce, ils encouraient pour la premi�re fois quinze jours de prison en basse-fosse, au pain et � l'eau ; pour la seconde, trois semaines de cette punition, et pour la troisi�me, le fouet et le bannissement perp�tuel. Si c'�taient des enfants, leurs parents �taient tenus de les fouetter en pr�sence de la justice. La charte de Mirecourt, en 1234, condamne les maraudeurs � perdre l'oreille ou � payer 5 sous.
Le m�me duc Charles III ajouta, en 1603, que les d�linquants au-dessus de quatorze ans seraient conduits � Nancy pour y travailler aux fortifications pendant six mois, portant au cou un collier de fer, afin d'�tre distingu�s des autres travailleurs, avec menace, en cas de fuite, d'y �tre remis six autres mois et m�me un an en cas de r�cidive.
Cette ordonnance s�v�re, mais trop commode pour avoir des ouvriers, ne fut pas long-temps sans produire les r�sultats que l'on devait en attendre. Les communaut�s s'empress�rent de se d�barrasser de leurs maraudeurs, et les gardes, pleins de z�le pour satisfaire leurs rancunes, firent main basse sur tous leurs habitu�s, sans vouloir entendre � aucune justification, � tel point que, d�s le 4 ao�t suivant, il fallut d�clarer qu'il �tait n�cessaire de rendre pr�alablement une sentence de condamnation.
Pour le surplus de ce qui concerne cet article, nous renvoyons au mot Amendes.
DELITS FORESTIERS.
Les for�ts qui couvrent le sol de la Lorraine, beaucoup plus consid�rables encore autrefois, furent, de la part de ses habitants, l'objet d'une sp�culation incessante. La noblesse et les couvents trouvaient dans leur exploitation r�guli�re leur principal revenu; par la concession de quelques lambeaux, ils s'attachaient des communaut�s dont ils aidaient encore en particulier les membres en leur fournissant le bois pour b�tir et pour se chauffer. A mesure que la population augmenta, les for�ts acquirent plus de valeur, et peu � peu se lit sentir l'utilit� d'arr�ter les abus qui s'y commettaient, car on en usait comme d'une propri�t� au service de tout le monde. Le paysan ne se contentait pas de son affouage annuel et de l'usage presque quotidien qu'il avait usurp� dans les for�ts du voisinage de sa demeure, il s'en attribuait le produit sous toutes les formes, pour en faire un profit commercial. L�s ouvriers n'en achetaient pas pour une obole, ils prenaient par ruse et souvent de force tout ce qui convenait � la marchandise qu'ils se proposaient de confectionner. Les �tats assembl�s firent souvent entendre leurs plaintes contre la d�vastation des for�ts ; il y avait d'autant plus de difficult� � y faire droit, que les privil�ges accord�s par les seigneurs, � l'envi les uns des autres, avaient cr�� des habitudes qu'une loi uniforme pouvait seule d�raciner. Or, le duc n'�tait pas ma�tre de soumettre toute la province sous le m�me joug, et il e�t fait un acte bien pr�judiciable � ses int�r�ts s'il e�t proclam� dans ses �tats une g�ne inconnue chez ses voisins.
Nous avons dit, en parlant des grueries, que le duc Jean, d�s l'an 1446, avait soumis tous ses officiers forestiers � un grand-gruyer, afin de donner � leurs op�rations un ensemble qui leur manquait pour �tre efficaces. En 1540, sur de nouvelles plaintes des �tats, le duc Antoine �dicta une peine de 5 fr. d'amende pour les d�lits commis de jour, et de 10 fr. pour ceux commis de nuit ou � charge de cheval. Les insolvables devaient tenir prison jusqu'� paiement. En 1550, J. Lelorrain, de Marenges, d�linquant d'habitude, fut ainsi condamn� au bannissement par le pr�v�t de Briey, ce qui dispensait de le nourrir.
Sous le duc Henri, cette amende de 5 fr. fut, en 1611, port�e � 25 fr. pour le ch�ne, 10 fr. pour le fruitier et le faug (h�tre, fagus), 5 fr. pour les autres esp�ces. S'ils avaient �t� sci�s ou enlev�s entre deux terres, l'amende �tait de 50 fr. pour le ch�ne et de 30 pour le h�tre.
Cette p�nalit� n'�tant pas proportionn�e � la grosseur des arbres, il s'ensuivit que les d�linquants s'adress�rent aux plus beaux sujets, certains qu'ils �taient de ne pas payer davantage. Vis-�-vis des insolvables, la rigueur �tait grande. Pour la premi�re fois, ils encouraient un mois de prison, au pain et � l'eau ; pour la deuxi�me, deux mois ; pour la troisi�me, le carcan et le bannissement pendant trois ans des contr�es de bois o� ils avaient �t� repris ; pour la quatri�me, le fouet avec bannissement � perp�tuit�. Apr�s un grand nombre de dispositions p�nales analogues jusqu'au r�gne de L�opold, ce prince, en 1724, mena�a les insolvables de la m�me s�v�rit� ; c'est qu'en effet ils �taient les plus � craindre, non pas seulement parce qu'ils n'avaient rien � perdre, mais parce que leurs habitudes de fain�antise leur laissaient plus de temps pour mal faire.
En aucune autre mati�re, les vieilles moeurs n'avaient plus de dur�e et de peine � �tre d�racin�es. Le privil�ge accord� aux habitants dans beaucoup de localit�s, comme
� Saint-Di�, de prendre nuit et jour dans les bois leur consommation journali�re, leur avait fait contracter des habitudes qui, quoique moins profitables, les entretenaient dans des abus �normes. D�j� on �tait parvenu � en faire dispara�tre un grand nombre : ainsi on ne voyait plus si souvent enlever des milliers d'�chalas sur plusieurs voitures � la fois, ni des scieries clandestines fonctionner sur le lieu m�me du d�lit ; mais il �tait peu de villages o�, de temps � autre, on ne trouv�t des �chelles, brouettes, charrettes, m�me des chariots, confectionn�s en grande partie avec des bois coup�s en d�lit. Dans quelques-uns, les sabotiers et vaniers se fournissaient sans scrupule � la for�t ; dans d'autres, il n'�tait pas une seule fourche, un seul fl�au qui n'en v�nt directement. Chacun le voyait et le disait, le garde seul l'ignorait ; le plus souvent, ce n'�tait pas feinte ou complaisance de sa part, c'est que personne ne lui en parlait, sans cependant que le secret e�t �t� command� par personne. Malheur � lui si les moeurs de la localit� le for�aient � le tol�rer publiquement; car, � la premi�re d�monstration pour s'y opposer, il payait de sa vie l'inertie de ses pr�d�cesseurs et son indulgence pass�e.
Dans les grands centres de population, le d�linquant n'exploitait qu'avec la serpe. Il faisait des fagots pour sa consommation, o�, � d�faut de bois sec, entrait le bois vert ; le plus souvent, moins discret, il prenait tout ce qui lui tombait sous la main et faisait un trafic de ce m�tier qui ne lui semblait pas �tre celui du larron, mais une profession qu'il pouvait avouer, sur laquelle il avait compt� en se mariant. En vain on e�t essay� de comparer devant lui sa d�vastation d�sastreuse au vol chez un particulier, il n'admettait pas cette assimilation. Les bois des moines et du domaine (64) �taient les plus ravag�s, parce que les uns n'�taient pas craints, parce que les officiers de l'autre ne pouvaient tout voir. Les bois des communaut�s
avaient plus de faveur, chacun �tant int�ress� � la chose commune.
Les administrations de L�opold et de Stanislas �bauch�rent la r�forme de la plupart de ces abus, et la France essaya de la compl�ter ; mais la mis�re des populations et les longues guerres qui suspendirent l'action des lois entrav�rent les am�liorations qui semblaient les plus faciles.
CHASSE.
Dans un pays peupl� d'hommes belliqueux, r�gi par des princes renomm�s pour leur valeur guerri�re, la chasse ne put pas de tout temps �tre le privil�ge du petit nombre.
Dans la plupart des communes, la faveur en �tait accord�e � chaque habitant ayant droit de bourgeoisie, tant pour aider � la destruction des animaux nuisibles que pour satisfaire aux moeurs anciennes conserv�es avec soin d'�ge en �ge.
Dans les Vosges et g�n�ralement dans toutes les parties bois�es ou montagneuses de la province, il en �tait g�n�ralement ainsi. G�rardmer �tait de ce nombre, et, par sa position, les conserva plus long-temps que beaucoup d'autres.
Plusieurs fois les officiers de la gruerie s'y oppos�rent, mais sans succ�s ; il suffit d'invoquer le privil�ge et de rappeler les motifs qui l'avaient fait conc�der. C'�tait, d'une part, la n�cessit� de d�truire les b�tes f�roces, au nombre desquelles �taient des ours en grand nombre ; d'autre part, le besoin de mettre � profit le gibier dans un pays priv� de commerce et r�duit � vivre du produit de ch�tifs troupeaux ; et puis, comme ils l'ajoutaient, plac�s aux confins de l'Allemagne et de la Bourgogne, devaient-ils laisser fuir ce gibier � l'�tranger, pour lui en laisser le b�n�fice? En 1545, 1561, 1566, 1590 et 1607, ce privil�ge, attaqu� avec obstination, leur fut confirm� sans autre condition que d'attacher la t�te et les pattes de chaque b�te tu�e � la porte de leur �glise.
Gondrecourt ne fut pas si heureux; ce droit lui fut contest� si souvent et si longtemps, que la communaut� fut contrainte d'y renoncer ; mais les gens du pays, qui en avaient contract� l'habitude, ne purent se d�terminer de si bonne gr�ce au m�me sacrifice : un braconnage effr�n� fit place � l'usage mod�r� ; ils chass�rent de toutes les fa�ons, ayant recours aux modes les plus destructifs, principalement aux lacs de pied, o� ils prenaient force chevreuils et sangliers. En 1504, les habitants de Vouthon furent pris en masse, chassant, conduits par leur cur�.
Le 7 juin 1528, le duc Antoine rendit une ordonnance portant peine de 200 fr. pour la premi�re fois, 400 pour la deuxi�me, et � l'arbitrage du juge pour la troisi�me. Les insolvables encouraient le fouet sous la custode, et, en cas de r�cidive, le fouet ordinaire, avec bannissement perp�tuel. Cette s�v�rit� n'emp�cha pas nobles et roturiers de s'y livrer par fasson que � peine pouvait-on trouver aucun d�duit pour chasser ne avoir aucune plaisance, ce qui engagea le m�me duc � publier une nouvelle prohibition en 1540. Mais ce qui �tonne, c'est le faible taux de l'amende, qu'il fixa � 4 fr, contre les gens du tiers-�tat ; quant aux gentilshommes et privil�gi�s, ils devaient perdre les chevaux et armes dont ils �taient trouv�s se servant au moment de la reprise.
Cette ordonnance de 1528, la plus ancienne dont nous ayons trouv� le texte, n'�tait assur�ment pas la premi�re, il y avait, � n'en pas douter, des d�fenses et des peines ant�rieurement �dict�es contre ceux qui se livraient � la chasse sans permission. C'est ainsi qu'en 1516, nous trouvons, en la pr�v�t� de Bar, Robert Vincent, de Villey-leSec, condamn� � dix-huit jours de prison et 60 sous d'amende, pour avoir pris un marcassin � l'aide d'un lac de pied.
Le duc Antoine avait bien �num�r� tous les engins et moyens de chasse employ�s par les d�linquants, mais il n'avait pas song� � d�fendre les chiens; aussi s'�tait-on empress� d'adopter ce mode non d�fendu par l'ordonnance. Mais Christine de Danemarck y suppl�a le 1er mai 1560, en prescrivant de ne les l�cher qu'apr�s leur avoir attach� au cou un bracot de 2 pieds de longueur, sous peine de 10 fr. d'amende. Charles III, son fils, fit de m�me en 1566, et r�tablit l'amende arbitraire pour le cas de premi�re r�cidive, la punition corporelle pour celui de seconde. En 1572 et 1573, de nouvelles menaces furent faites, ind�pendamment de la mesure qui fut prise d'adjuger � l'ench�re la ferme des amendes pour avoir un homme plus directement int�ress� � la surveillance et � la r�pression.
La guerre qui survint � la fin du si�cle ayant mis des armes dans les mains de tout le monde, il fallut emp�cher l'abus que chacun en faisait sous toutes sortes de pr�textes mensongers. Les pr�lats et gentilshommes furent seuls autoris�s � d�tenir et porter des arquebuses � rouet. En 1594, l'int�r�t du cultivateur fut mis en avant pour la premi�re fois : il fut enfin fait d�fense de chasser dans ses r�coltes, � peine de 100 fr. d'amende et d'augmentation de pareille somme � chaque r�cidive. Quelques privil�gi�s firent semblant que cette prohibition ne les concernait pas ; le prince ne tarda pas � leur faire conna�tre qu'elle comprenait non-seulement les terres de son domaine, mais encore celles des fiefs et justices de ses vassaux.
Les d�fenses semblant augmenter l'ardeur de la chasse, on eut recours � la rigueur employ�e vis-�-vis des maraudeurs ; Charles III ordonna, en 1603, que, comme ceux-ci, les braconniers seraient conduits aux fortifications de Nancy, pour y travailler dans le m�me costume et aux m�mes conditions. L'ordonnance du 4 ao�t suivant, exigeant un jugement pr�alable, fut aussi d�clar�e applicable � la chasse, en consid�ration du z�le outr� des officiers qui leur faisait prendre la d�fense de 1605 � rebours et contrepoil.
���Nous ne la voulons, dit le prince, faite � bonne fin et sainte intention, � la terreur et peur des mauvais, servir de pr�texte pour, par oppression, vexation et fatigue, fouler les bons et innocents. �
Le 1er octobre 1606, d�fense de chasser de nuit avec feu, filets, tra�neaux, � tous gibiers, m�me aux alouettes, � peine de 23 fr. pour la premi�re fois, de 50 pour la deuxi�me, 100 pour la troisi�me, 200 pour les autres.
Le 13 octobre 1607, d�fense aux cabaretiers et marchands de colporter, vendre et acheter du gibier, � peine de 100 fr., et ce afin d'arr�ter une destruction qui mena�ait le prince et ses enfants de la privation d'un plaisir indispensable � leur �tat.
Disons, pour servir de point de comparaison, qu'en France, � la m�me �poque, suivant l'�dit de Fran�ois Ier, en 1601, la peine �tait : le fouet sous la custode; pour la deuxi�me fois, le fouet autour de la for�t du d�lit ; pour la troisi�me, les gal�res, et pour la quatri�me, la mort. A la v�rit�, il y �tait dit que ces peines �taient pour les personnes viles et abjectes, c'est-�-dire sans �ducation ni fortune.
Le 8 ao�t 1621, le duc Henri, m�content de voir que plusieurs de ses sujets, oublieux de leurs devoirs, ruinaient sa chasse et lui �taient, ainsi qu'� sa noblesse, les commodit�s de cet exercice, renouvela les anciennes d�fenses, sous peine de 200 fr. pour la premi�re fois, de 400 pour la deuxi�me, et d'amende arbitraire pour la troisi�me ; les insolvables fouett�s sous la custode avec partie des engins dont ils se seraient servis, et, en cas de r�cidive, le bannissement perp�tuel, avec menace de la hart s'ils reparaissaient. Le bracot pour les chiens �tait de nouveau prescrit aux p�tres et bergers ; quant � ceux des laboureurs demeurant � moins d'une lieue des garennes du prince, ils devaient avoir le nerf d'un jarret coup�, � peine de 20 fr. et du double en cas de r�cidive.
Cet �dit fut encore publi� en 1625, avec interpr�tation en faveur des cailles, que les d�linquants pr�tendaient n'�tre pas comprises dans la prohibition, en leur qualit� de passag�res.
Dans le comt� de Ligny, o� les comtes de Luxembourg suivaient volontiers les us de France, la d�fense �tait plus s�rieuse. On trouve, � la date du 4 avril 1682, un arr�t� du procureur fiscal Legrand, qui menace les d�linquants de 500 fr. d'amende, et, en cas de r�cidive, d'�tre punis criminellement. Il est vrai que dans ce temps et, pour ainsi dire, pendant tout ce si�cle, l'abus �tait devenu grand et presque g�n�ral, la guerre ayant partout entrav� la surveillance, et la majeure partie des habitants s'�tant r�fugi�s dans les bois, o� ils n'avaient � peu pr�s que le gibier pour les faire subsister.
A l'av�nement de L�opold, les choses devaient rentrer dans l'ordre en cette mati�re regard�e comme importante au point de vue des privil�ges et des plaisirs du duc et de la noblesse. Aussi ce fut un des premiers soins de M. de Carlinford, en f�vrier 1698. Il r�tablit les gardes-chasse, et, d�s le mois d'avril, les anciennes ordonnances �taient remises en vigueur, sauf la peine, qui fut de 50 fr., et, pour la r�cidive, de 100 fr. Les tendeurs de lacs �taient condamn�s au double. Pour �viter les querelles et les accidents qui pouvaient survenir, il fut command� de mettre bas les armes lorsque l'on voudrait suivre ou rappeler les chiens sur le terrain voisin.
Alors vint l'organisation de capitaineries, avec la r�serve des chasses au prince, sous peine d'amende double, � la distance de deux lieues autour de Nancy, Lun�ville, Mirecourt, Sarreguemines, Pont- �- Mousson, Saint-Mihiel et Bar, consid�r�s comme villes de sa r�sidence. Pour indemniser les seigneurs m�contents d'�tre ainsi d�pouill�s, il fut dit que de temps en temps on leur donnerait du gibier, et qu'ils auraient moiti� des amendes, except� dans les cas o� ils seraient eux-m�mes les contrevenants.
En 1702, un grand-ma�tre de louveterie fut cr��, avec attribution de r�gler tout ce qui concernerait la chasse aux loups, devenus nombreux et mena�ants ; il pouvait commander quatre fois l'an des battues o� chacun �tait tenu de se rendre, � peine de 2 fr. d'amende. Les porteurs de fusil recevaient trois coups de poudre et de plomb, aux frais de leur communaut�. Il n'�tait permis de tirer que sur le loup, le renard, le blaireau, le chat sauvage, le putois, la marthe et la fouine. La peau appartenait au grand-ma�tre. Ceux qui avaient tu� un loup-cervier pouvaient le promener en qu�tant pendant huit jours. Chaque commune �tait oblig�e d'avoir sa louvi�re : c'�tait un trou de 20 pieds de profondeur, large de 18 au fond et de 12 � l'orifice. Plus d'un habitant y tomba la nuit et s'y rencontra avec des loups non moins penauds.
En 1704, parut une ordonnance destin�e � consolider les empi�tements obtenus sur les habitudes anciennes, notamment sur les privil�ges des hauts-justiciers, d�j� suffisamment �br�ch�s. L'amende de 100 fr. encourue par les roturiers devait �tre contre eux de 500 fr. ; elle �tait de 200 si, chassant sur leur propre terrain, celui-ci �tait compris dans la portion r�serv�e aux plaisirs du duc. La chasse au cerf leur fut interdite comme aux manants, � peine, malgr� leur qualit� d'eccl�siastiques, gentilshommes ou nobles, de 7,000 fr. d'amende et d'encourir l'indignation du prince. M�me prohibition �tait faite pour le sanglier, jusqu'� son repeuplement.
D'autres ordonnances portant des d�fenses analogues parurent de temps � autre selon les besoins, notamment en 1709, 1716, 1729. Cette derni�re d�fendit pour trois ans la chasse aux chevreuils ; elle interdit les pip�es, � peine de 100 fr., ainsi que de prendre les nids de grives. Les seigneurs ayant moins d'un sixi�me de seigneurie, furent priv�s du droit d'y chasser.
Par d�claration du 25 avril 1731, le duc Fran�ois d�fendit de tirer des faisans, � peine de 1,000 livres pour la premi�re fois, de 2,000 pour la deuxi�me, 3,000 pour la troisi�me, et de bannissement contre les roturiers. Les insolvables �taient bannis d�s la premi�re fois. Permission fut donn�e aux gardes de tuer les chiens hors des routes et chemins, m�me ceux ayant un billot au cou. Les communaut�s furent d�clar�es responsables des lacets tendus sur leur territoire, et amendables de 100, 200 et 300 fr., selon la r�cidive. Cependant, sur leurs r�clamations, cette punition fut chang�e en une r�compense de 200 fr. au profit de ceux qui feraient conna�tre les tendeurs.
Le 14. f�vrier 1732, la tr�ve accord�e aux chevreuils fut prolong�e de deux ans, et celle aux perdrix, de trois ans, par le motif que l'hiver les avait d�cim�s. Cette tr�ve existait m�me vis-�-vis des seigneurs sur leurs propres terres.
Sous le r�gne de Stanislas, les m�mes prohibitions furent prises, modifi�es et reprises, mais toujours dans des limites analogues.
PECHE.
Il en fut de la p�che comme de la chasse, les bourgeois de certaines contr�es de la Lorraine avaient le droit d'en user � leur volont�, � titre de moyen de subsistance. Les habitants de Saint-Di� pouvaient l'exercer dans les rivi�res du Val, les mercredi, vendredi, samedi, et tous les jours maigres; y prendre leur consommation du jour et en donner � six de leurs voisins ; en vendre pour la valeur d'une chopine de vin et d'un pain de 5 deniers. Le mari d'une femme en couches avait le m�me droit pendant toute la maladie de sa femme.
Les bourgeois de Toul pouvaient p�cher �galement dans la Moselle et les eaux traversant leur territoire. Mais, pour eux comme pour beaucoup d'autres, il ne faut pas croire que tous les modes de p�che �taient permis ; au contraire, ceux qui pouvaient porter atteinte au repeuplement �taient s�v�rement prohib�s. C'est ainsi que d�s 1426, nous trouvons un habitant de Saint-Mihiel condamn� en 8 sous d'amende pour avoir p�ch� � la ligne � plonger.
Les ordonnances pour r�glementer la p�che furent nombreuses, mais pas autant ni aussi s�v�res que pour la chasse ; les braconniers de rivi�re, quoique z�l�s, n'avaient pas la m�me ardeur. Il nous suffira d'en rapporter quelques-unes.
Le 12 mai 1597, d�fense de p�cher avec des filets ayant d'autre maille que celle de gruerie, � peine de 100 fr. d'amende pour la premi�re fois, 200 fr. pour la seconde, avec confiscation du filet et du poisson. Le 14 novembre 1617, il y fut ajout� que l'amende serait encourue tant par le vendeur que par l'acheteur ; que la truite ayant moins de 8 pouces entre la t�te et la queue ne pourrait �tre prise, vendue ni servie ; que les communaut�s ayant droit de p�che devraient en user en commun par un seul individu, et non plus par chacun des habitants. Ainsi se trouvait aboli le privil�ge si pr�cieux pour les vieux amateurs, r�duits d�sormais � prendre la p�che � ferme, ce qu'ils n'avaient pas tous le moyen de faire.
Ce mode d'user de la p�che donna lieu de suite � un abus assez bien calcul� : le m�me fermier prenait encore la ferme des amendes ou une portion de celle-ci ; de sorte qu'il pouvait impun�ment p�cher en temps prohib� ou enfreindre les autres parties des r�glements. Cette ruse fut d�jou�e en 1708 par une ordonnance qui d�clara qu'en ce cas les amendes encourues par le fermier ou sous-fermier ne lui appartiendraient pas.
En 1723 et 1729, les �dits anciens furent de nouveau publi�s. En 1773, le Parlement voulant s�vir contre un maraudeur de rivi�re, le bannit � perp�tuit� des eaux et rivi�res de son ressort.
CONTREBANDE.
Quand les �tats vivaient entre eux domin�s par le plus profond �go�sme, la contrebande, qui passait, aux yeux des gouvernants, pour un crime digne de la corde, �tait regard�e par les populations comme une ressource quasi-l�gitime.
Elle s'exer�ait sur toutes les mati�res dont l'introduction ou l'exportation �taient prohib�es, principalement le sel et le tabac.
Sel.
Le 12 janvier 1600, le duc Charles III attribua � la chambre des comptes les abus qui se commettaient � l'occasion du sel. Le 5 janvier 1629, le duc Henri pronon�a contre les infracteurs 100 fr. d'amende. Les rigueurs n'avaient pas jusque-l� �t� aussi grandes que le duc L�opold les d�cr�ta le 20 juin 1711 ; il mena�a du fouet et de la marque sur les deux �paules les contrebandiers de sel marchant en troupe et � main arm�e, et de mort en cas de r�cidive ; les autres cas furent r�gl�s comme il suit :
Contrebande en troupe, mais sans armes, 1,000 fr. d'amende.
R�cidive, le fouet et 2,000 fr.
Contrebande � dos, sans armes, 500 fr.
R�cidive, peine corporelle et 1,000 fr.
Contrebande par les femmes et filles, 500 fr.
R�cidive, le fouet et bannissement perp�tuel.
Les acheteurs de sel de contrebande, 500 fr. d'amende.
Premi�re r�cidive, 1,000 fr.
Seconde r�cidive, peine afflictive.
Tout proc�s-verbal r�dig� et affirm� par deux employ�s suffisait pour les condamnations � l'amende ; mais pour les cas emportant peine afflictive, il fallait information r�guli�re, avec r�colement et confrontation. Apr�s la sentence, le d�linquant condamn� �tait tenu de consigner l'amende ou de fournir caution, faute de quoi il n'�tait pas admis � l'appel.
Les communaut�s tol�rant la contrebande, et c'�tait la tol�rer que de ne pas arr�ter les coupables, encouraient 500 fr. d'amende ; celles qui les capturaient avaient leurs chevaux, charrettes et �quipages pour r�compense.
Les employ�s d�linquants �taient passibles de punitions corporelles plus ou moins s�v�res.
L'insolvabilit� donnait lieu � l'application du carcan, en �change du paiement ; en cas de r�cidive, il y avait punition corporelle.
Cette l�gislation n'ayant pas paru pr�voir suffisamment tous les cas de fraude, il y fut ajout� sous le r�gne du duc Fran�ois, par �dit du 6 novembre 1753. Le sel destin� � un district fut d�clar� de contrebande, quoique d'origine lorraine, s'il �tait conduit dans un district voisin. Au-del� de quatre, les contrebandiers �taient cens�s en troupe et encouraient le fouet et la marque sur les deux �paules, avec bannissement perp�tuel et confiscation de biens ; en cas de r�cidive, c'�tait la mort. Les autres cas �taient punis comme ci-apr�s :
M�me contrebande, sans armes, 2,000 fr. et le fouet.
Premi�re r�cidive, le fouet, la marque double, bannissement perp�tuel et confiscation.
Seconde r�cidive, la mort.
Contrebande, avec armes, sans �tre cinq, mais avec charrettes ou chevaux, 2,000 fr. et confiscation des �quipages.
Premi�re r�cidive, fouet et confiscation.
Seconde r�cidive, peine afflictive.
M�me contrebande, sans armes, 1,000 fr.
R�cidive, 2,000 fr. et bannissement pour six ans.
Seconde r�cidive, peine corporelle arbitraire.
Contrebande � dos d'homme, avec armes, 1,000 fr.
Premi�re r�cidive, 2,000 fr. et bannissement pour trois ans.
Seconde r�cidive, peine corporelle arbitraire.
La m�me, sans armes, 500 fr.
Premi�re r�cidive, 1,000 fr.
Seconde r�cidive, le fouet et bannissement perp�tuel.
Les acheteurs de sel pour le revendre �taient punis comme complices ; les acheteurs pour leur consommation, 500 fr. : premi�re r�cidive, 1,000 fr. ; seconde, bannissement perp�tuel, avec confiscation de biens.
Les aidants �taient punis comme complices ; les aubergistes qui les recevaient leur �taient assimil�s. En 1742, des employ�s entrant chez un aubergiste pour s'y rafra�chir, aper�urent un homme qui se sauvait par une porte de derri�re ; cette allure leur ayant paru suspecte, ils se mirent � la poursuite du fuyard et trouv�rent sur sa trace un sac de sel qui, par son poids �norme, leur parut n'avoir pu �tre transport� qu'� l'aide d'une b�te de somme. Ayant trouv� � l'�curie un cheval qu'aucun ma�tre ne r�clamait, ils en rendirent l'aubergiste responsable, et celui-ci fut assign� devant la chambre des comptes comme fauteur de contrebande ; il y obtint cependant gain de cause. Mais le fermier des gabelles s' �tant pourvu au conseil des finances, l'arr�t fut cass� et l'aubergiste, peut-�tre fort innocent, condamn� en 500 fr.
Les employ�s d�linquants �taient punis de mort.
L'insolvabilit� ne dispensait pas ; l'amende �tait remplac�e par le fouet, la marque et le bannissement, avec une rigueur proportionn�e au d�lit.
L'introduction des employ�s dans les habitations ne pouvait d'abord avoir lieu sans l'assistance d'un officier de la localit�; par l'ordonnance de 1733, ils furent autoris�s, en cas d'emp�chement de ce dernier, � prendre un notable de la commune.
Tabac.
Lorsque cette plante fut introduite en Lorraine, on �tait loin de penser qu'elle deviendrait un jour un sujet de p�nalit� pour l'empressement que l'on mettrait � se la procurer ; car le peuple la regardait comme tellement malfaisante qu'il lui attribuait la gr�le, la pluie, la gel�e et tous les contre-temps qui g�taient les r�coltes. La superstition �tait pouss�e � tel point, que les �meutes les plus violentes avaient lieu pour arriver � d�truire les plantations qui en �taient d�couvertes. Un si�cle apr�s, c'�tait tout l'oppos�. Le duc L�opold, dans son �dit de 1703, ayant pour but de cr�er des manufactures de tabac, invoquait son d�sir de faire le bien de ses sujets; ce qui doit probablement s'expliquer en ce qu'il comptait plus sur le profit qu'ils tireraient en plantant pour les pays voisins, que sur l'agr�ment qu'ils y trouveraient pour eux-m�mes.
D�s que ce fut une marchandise, que sa production fut r�glement�e, la sp�culation frauduleuse dut surgir � c�t� du commerce l�gal, pour avoir le m�me profit ; de l� la contrebande et les lois pour la proscrire. Cet �dit mena�a les contrevenants de peines corporelles et de 1,000 fr. d'amende, les soldats de huit jours de prison, de quinze pour la deuxi�me fois, et d'�tre pass�s par les baguettes et chass�s pour la troisi�me. Ces peines �taient �dict�es contre les introducteurs et les fabricateurs en fraude ; mais aussit�t le tabac introduit, les simples colporteurs surpris � le vendre n'encouraient qu'une amende de 5 fr. par livre, ce qui favorisait singuli�rement l'usage g�n�ral du tabac �tranger, par cons�quent la contrebande ; car la surprise des fraudeurs au passage �tait extr�mement difficile en un pays couvert de for�ts. Pour entraver ce colportage si peu menac�, la chambre des comptes, en 1713, �leva cette amende de 5 fr. � 100 fr.
L'int�r�t du fisc, trop peu soucieux de diriger sagement les jouissances du peuple, marchant d'accord avec l'engouement f�cheux pour cette plante acre et puante, obligea bient�t � doubler les peines pour doubler son profit. Le 14 juillet 1720, une ordonnance punit de mort les contrebandiers marchant en troupe arm�e et faisant usage de leurs armes; les receleurs furent menac�s de 1,000 fr. d'amende et du bannissement perp�tuel ; s'ils �taient soldats, c'�tait 300 fr. et quinze jours de prison, ou les baguettes, en cas d'insolvabilit�. La r�cidive �tait punie du fouet, de la marque et du bannissement perp�tuel.
Ces ordonnances rigoureuses nous apprennent elles-m�mes les dangers de cette s�v�rit�, en ce qu'elles �dictent la peine de mort contre les douaniers convaincus d'avoir introduit du tabac dans les maisons pour avoir occasion de verbaliser. La possibilit� d'un tel danger ne fait pas l'�loge du personnel de la douane d'alors ; aussi faut-il convenir que la peine �tait cette fois bien en rapport avec cet odieux crime.
Ces m�mes ordonnances nous donnent aussi une pauvre id�e de la qualit� du tabac lorrain ; il y avait tant de r�pugnance chez toutes les classes � s'en servir, que la contrebande �tait faite par tous, m�me par les gens de la livr�e du prince et ses officiers. En 1723, permission fut donn�e de les soumettre aux m�mes perquisitions que les particuliers, avec menace d'expulsion contre les valets de pied et domestiques simplement usants, et de prison pendant un an contre les gardes-du-corps et les soldats.
Nous l'avons dit, dans la conscience populaire, la contrebande n'�tait pas un crime; selon l'expression vulgaire, c'�tait pain b�nit de ruser avec succ�s contre les gabeloux ; le malheur d'�tre surpris par eux excitait mille sympathies.
Pour le sel, pour le tabac, comme pour le vin et les autres objets frapp�s d'une prohibition quelconque, les populations avaient cette m�me mani�re de voir, et souvent elles participaient tout enti�res aux tentatives de contrebande r�alis�es sur une grande �chelle, comme elles eussent pu faire d'une sp�culation l�gale. On a vu des communaut�s se mutiner au point d'incarc�rer les employ�s pour s'assurer l'impunit�. C'est ainsi qu'en 1750, le maire et les habitants de Villervaldt refus�rent de leur pr�ter main-forte ; le substitut de Saralbe se rendit complice de la r�sistance au point de s'attirer personnellement une amende de 500 fr. Les femmes et les enfants paraissant � l'abri des punitions corporelles, on mit leurs bras avec tant d'adresse au service de la contrebande, qu'il fallut successivement, en 1733 et 1749, proclamer que les m�mes peines les atteindraient que les hommes. En 1758, on ajouta cinq ans de gal�res aux corrections encourues par les contrebandiers qui seraient trouv�s avoir jadis �t� employ�s des gabelles. Plus habiles que ceux qui ignoraient les ruses du m�tier, ils �taient en effet plus dangereux et plus difficiles � saisir. Leur nombre �tait d'autant plus grand que chaque fermier, � son entr�e, faisait de grands changements dans le personnel ; alors l'habitude de r�der pour leur service se tournait en sens contraire, anim�s encore par le d�sir de satisfaire leur r�crimination contre celui qui les avait renvoy�s.
En tout temps, l'homme a trouv� le moyen d'abuser de tout. On devrait supposer qu'� l'�poque des p�lerinages, la ferveur religieuse d�t d�tourner des actes contraires � la loi, qui doivent toujours blesser la conscience ; cependant il �tait fort ordinaire que chacun des fid�les suivant les processions qui se rendaient � Tr�ves ou autres lieux renomm�s � l'�tranger pr�s des fronti�res, se trouv�t charg� d'un ou plusieurs paquets de contrebande, cach�s avec des pr�cautions qui excluaient toute id�e d'innocence. Si des employ�s soup�onneux voulaient constater cette fraude et arr�ter les fraudeurs, ils �taient emp�ch�s par l'appareil religieux, dont ils n'osaient troubler l'harmonie. Quand, par hasard, ils avaient cette fermet�, la caravane tout enti�re criait au scandale et, au besoin, faisait r�sistance. Les abus devinrent si �normes � l'abri de ce moyen, que la chambre des comptes, en 1767, se vit forc�e d'autoriser la visite, nonobstant l'opposition que pourrait faire le clerg� pr�sent � la c�r�monie.
Ces contrebandiers de hasard n'�taient pas les plus dangereux, leur grand nombre pouvant seul donner quelque importance � leur faible pacotille. Il y en avait une autre classe bien autrement redoutable et appel�e naturellement � ce m�tier par sa paresse, sa mis�re et son audace : c'�tait celle des vagabonds. Pour arr�ter l'effet de leurs entreprises en ce genre, devenues beaucoup plus faciles et mena�antes, depuis la r�union de la Lorraine � la France, par la confusion des barri�res et des fronti�res, le roi Louis XV cr�a la Commission de Reims, que nous n'avons fait encore qu'indiquer. Par lettres patentes du 21 novembre 1765, il chargea deux membres de la Cour des Aides de Paris et un de celle de Metz de la connaissance des cas de contrebande et de tout ce qui s'y rattachait, comme de juger les employ�s eux-m�mes. Cette commission, qui avait juridiction sur la Champagne et autres provinces, fut charg�e des Trois-�v�ch�s. Elle �tait autoris�e � juger pr�v�talement, en dernier ressort, les contrebandiers en �tat de vagabondage ou de r�cidive, ainsi que ceux marchant en bandes arm�es. Elle avait son si�ge � Reims. Comme toujours, il y avait exception pour les privil�gi�s. La Cour des Aides ayant �t� supprim�e en 1771, M. de Julv�court, conseiller de Metz, fut charg� de continuer seul ses fonctions, sauf � appeler des gradu�s avec lui, ce qu'il fit jusqu'en 1773 sans incident. Mais, � cette �poque, ayant eu une difficult� de comp�tence au sujet de contrebandiers arr�t�s � Libdo-les-Toul, que l'on pr�tendait se trouver hors des Trois-�v�ch�s, le conseil d'�tat, pour trancher la difficult�, d�clara que la juridiction du commissaire Julv�court s'�tendrait encore sur toute la Lorraine et le Barrois.
L'�loignement de Reims, o� il continua de si�ger, dut emp�cher cette mesure d'�tre aussi salutaire qu'il �tait permis de l'esp�rer ; elle n'a pas, en tout cas, d�truit dans l'�me du paysan lorrain le penchant h�r�ditaire qui l'entra�ne encore � se montrer r�tif et rus� contre les sp�culations int�ress�es du tr�sor public.
POLICE.
Nous venons de dire que tout ce qui put porter atteinte au bon ordre et � la tranquillit� publique, sans mettre la soci�t� en p�ril, fut du domaine de la police, dont les lois �crites dans les chartes ou publi�es � son de trompe ne durent le plus souvent leur valeur qu'aux besoins du moment. Variant de village � autre, permettant ici ce que l� elles d�fendaient, la contradiction de leur texte n'emp�cha jamais leur mise en vigueur, mais elle fut souvent un obstacle � leur acceptation paisible et la cause des plus grands diff�rends entre les repr�sentants de la commune et les habitants.
Ce serait une t�che difficile et sans grand profit que celle de retracer toutes les contradictions entre les r�glements ou les usages admis originairement par les polices locales ; les moeurs de la commune et celles de ses chefs dictaient la r�gle ou en dispensaient ; celle-ci �tait s�v�re ou facile, selon que celles-l� �taient scrupuleuses ou rel�ch�es.
Quand le Parlement de Metz, et, � son imitation, la Cour souveraine, eurent dans leurs attributions les appels de police, les arr�ts que ces compagnies rendirent en cette mati�re, � mesure que les abus se d�couvrirent devant elles, devinrent des r�glements g�n�raux applicables atout leur ressort, sans �gard pour les tol�rances des localit�s.
La police comprenait tout ce qui fait encore aujourd'hui partie de ses attributions ; ainsi, la petite voirie, la propret� des rues, la surveillance des bouchers et boulangers, des foires et march�s, des poids et mesures, des marchandises expos�es, l'�chenillage, les mascarades, le port d'armes, etc., etc., �taient soumis � sa surveillance et � son autorit� avec plus ou moins de rigueur. Nous ne nous arr�terons pas � retracer cette partie peu int�ressante de la r�pression, elle serait rappel�e ici sans utilit� pour l'histoire ; mais il est un point qui m�rite l'attention du lecteur, c'est celui qui concerne les moeurs et la salubrit� publiques ; ce sera notre t�che.
Pour les moeurs, la police appelait � son secours la religion, qui y jouait le principal r�le, toutes les habitudes mauvaises semblant lui �tre un outrage public. L'autorit� mettait d'ailleurs un grand z�le � l'observance de ce qui contribuait � sauver les �mes, sans songer que c'�tait leur enlever le libre arbitre qui fait le principal m�rite de la conduite chr�tienne ; mais, avant tout, elle se croyait charg�e de les contraindre � rester dans la voie du salut.
Comme police de moeurs, nous avons � rappeler celle concernant les cabarets, les charivaris, ainsi que de v�ritables p�ch�s, c'est-�-dire des infractions aux commandements de l'�glise.
Cabarets.
Les dangers de ces lieux de perdition sont aussi anciens que leur existence ; le peuple y trouva de tout temps le m�me charme et en rapporta les m�mes vices. Des ordonnances innombrables en d�fendirent la fr�quentation absolue aux domicili�s, ce dont on pourrait s'�tonner en se demandant s'il n'�tait pas plus simple d'interdire les cabarets eux-m�mes que de les laisser ouverts pour tenter la population. Mais il faut savoir qu'on appelait autrefois cabarets, les h�tels et les auberges logeant les voyageurs, tout comme les simples �tablissements o� l'on ne vendait qu'� boire et � manger. Les riches allaient dans les h�tels, la classe moyenne dans les auberges, et les autres dans les cabarets. Cette habitude, trop fr�quente chez les domicili�s, qui n'avaient pas la m�me excuse que les �trangers voyageurs, entretenue encore par celle des officiers municipaux eux-m�mes qui s'y r�unissaient � tout propos pour y boire les vins de leur charge, entra�nait riches et pauvres dans des d�penses, des exc�s et des d�rangements qui portaient l'atteinte la plus funeste � la paix des familles.
Les principales d�fenses connues sont celles de Christine de Danemarck. Par ordonnance du 21 ao�t 1560, elle mena�a les infracteurs d'une amende de 50 fr. Par une autre du 22 ao�t 1565, elle y ajouta la prison en cas de r�cidive, et l'ann�e suivante elle �leva l'amende � 50 fr. pour la premi�re fois, � 60 fr. avec prison pour la seconde.
Le duc Charles III publia pareilles d�fenses en 1575, 1576, 1585 et 1583. La plus notable est celle de 1585, dite de la police des vivres ; non-seulement il y prot�ge les voyageurs contre l'exag�ration de la carte � payer, mais, r�glant les festins particuliers, il impose une limite � la g�n�rosit� des ma�tres de maisons. Cette ordonnance �tant trop longue pour �tre rapport�e ici en entier, nous nous contenterons de l'analyser (65).
Le vin du pays peut �tre vendu � sa valeur, celui �tranger d'apr�s une taxe et sur le march� ; les gentilshommes, les nobles et autres de qualit� notable except�s.
D�fense aux aubergistes de donner autre chose que du boeuf, du mouton, du veau et du porc, et d'exiger un paiement sup�rieur � la taxe du repas et du coucher, qui sera faite par les gouverneurs ou baillis des localit�s assist�s du procureur g�n�ral ou de son substitut, du pr�v�t et autres qui soient de bonne exp�rience, francs et loyaux, aimant leur honneur et conscience et hors de tout soup�on d'intelligence avec les h�teliers.
Libert� aux gentilshommes et personnes de marque d'y ajouter quelque poulaille ou gibier, auquel cas les h�teliers doivent se conformer � la taxe contenue en l'ordonnance.
D�fense aux pr�v�ts tenant cabaret d'y recevoir autres que des �trangers.
D�fense de servir plus de trois services aux noces et festins, savoir :
- Des villageois et laboureurs, six plats compos�s de boeuf, mouton et veau ;
- Des artisans, six plats de volaille ;
- Des marchands, notaires, sergents, maires et �chevins de village, huit plats de m�me ;
- Des marchands grossiers, qui ne vendent en d�tail, six plats compos�s de m�me et trois autres � leur volont� ;
- Des gens tenant grade de noblesse sans autre office, officiers de justice, avocats, contr�leurs, substituts et autres de qualit� semblable, officiers et domestiques en chef des enfants du prince, six plats de m�me ;
- Des nobles ayant office, gens du conseil, des comptes, douze plats, dont six � leur choix.
Chaque plat ne pouvait �tre doubl�, c'est-�-dire qu'on ne pouvait y mettre deux chapons, deux oisons, etc., mais un seul, except� les poulets et pigeonneaux, dont on pouvait mettre trois ; les pluviers et vanneaux, deux ; les alouettes, douze; les grives, six, etc., � peine de 200 fr. d'amende et de 50 fr. contre les convives non d�nonciateurs ;
D�clarant n�anmoins que l'intention n'est de comprendre en ce r�glement des festins et banquets les gentilshommes et gens du conseil priv�.
Le m�me duc, en 1596, m�content de voir que ses d�fenses �taient infructueuses, et que les officiers de justice, loin d'aider � la r�pression, s'y �taient rendus indulgents, voire connivants, �dicta de plus grandes peines ; il d�fendit en outre de servir du gibier, qui �tait un attrait de plus et encourageait les braconniers. Il y avait exception pour les �trangers voyageurs, et, comme toujours, pour les gentilshommes et personnes autrement respectables, ce qui ne manquait pas d'exag�rer, aux yeux des classes peu ais�es, la valeur du fruit d�fendu.
Il en r�sulta ce que l'on devait attendre d'une loi d'exception : elle fut impuissante ; � tel point que trois ans ne s'�taient pas �coul�s que le droit de mettre la nappe �tait accord� � tous cabaretiers, moyennant 10 fr., le prince pr�f�rant tirer parti d'un penchant g�n�ral que de lui opposer des entraves infructueuses. Un mois apr�s, en d�cembre 1599, il permit aux domicili�s d'aller boire dans les cabarets les vins de leurs march�s, ce qu'il �tait facile de supposer ; d'y faire les noces et repas des confr�ries, ce qui arrivait souvent. Les gens ivres y �taient menac�s d'amende et de prison; mais la porte, si longtemps close, n'en �tait pas moins ouverte, et il n'�tait plus possible de la fermer.
Le duc Henri, en 1611, renouvela les anciennes d�fenses, en y comprenant l'interdiction du jeu et refusant aux cabaretiers toute action pour le paiement des �cots faits chez eux. Mais, l'ann�e suivante, consid�rant la restriction d'une autorisation pr�alable comme une entrave au revenu public et � l'�tablissement facile de ses sujets, il autorisa tous cabaretiers � s'�tablir sans permission, � la seule charge de lui payer les 10 fr.
Sous les ducs qui suivirent, les ordonnances ne furent pas moins nombreuses et s�v�res; chacun d'eux fit les siennes. Les choses en �taient venues au point, sous Charles
IV, qu'il fut oblig�, en 1629, de d�fendre aux officiers de justice de se faire eux-m�mes cabaretiers; leur client�le �tait d'autant plus assur�e qu'ils donnaient gain de cause
� leurs pratiques. Il leur fut d�fendu aussi de hanter les autres cabarets et d'y boire avec les plaideurs, � peine de 200 fr. d'amende, et du double, avec destitution, en cas de r�cidive. Enfin, la Cour souveraine s'occupa aussi de r�glementer cette mati�re, le tout sans autre r�sultat que d'attester, jusqu'� un certain point, l'impuissance du l�gislateur contre l'incorrigibilit� des ivrognes.
���Nous avons, dit tr�s-sagement Rog�ville, beaucoup d'�dits et d'arr�ts contre la fr�quentation des cabarets qui ne s'ex�cutent pas ; je crois qu'il vaudrait mieux la permettre, mais condamner les cabaretiers � l'amende toutes les fois qu'il sortirait un homme ivre de leur maison. �
Charivaris.
Dans tous les pays, la voix railleuse des populations a toujours pris et prendra toujours la licence de protester par des �clats ext�rieurs contre certains vices ou ridicules priv�s de quelques habitants trop peu soucieux de l'opinion publique. Une vie scandaleuse, un convoi en secondes noces, une correction conjugale donn�e par une femme, furent en tous temps des actes dont le tribunal de la critique s'empara, et auxquels, faute de mieux, il infligea la d�rision, ne voulant pas les laisser impunis. Quand chaque commune s'administrait isol�ment, avec des r�glements particuliers, il �tait difficile qu'une d�monstration, avou�e par la majorit�, n'e�t pas l'assentiment de l'autorit�, tout aussi peu dispos�e � tol�rer ce qui �tait r�pr�hensible ; alors elle applaudissait tout bas, ou du moins laissait faire ; les cris, les allusions, les tocsins, les promenades triomphales avec force grimaces avaient grand cours. Aussi les documents judiciaires n'indiquent-ils nulle part, dans les anciens temps, que la police ait s�vi contre les manifestations de ce genre.
Mais lorsque la Lorraine eut r�uni sous la m�me loi un grand nombre de communes, que celles-ci ne furent plus ma�tresses aussi absolues de leurs moeurs et de manifester leurs impressions, une l�gislation plus pr�voyante mit peu � peu les d�fauts priv�s � l'abri des injures publiques. En 1715, la Cour souveraine d�fendit les charivaris, sous peine de prison et d'amende ; en 1718, elle proscrivit la promenade sur le boeuf, usit�e � Saint-Mihiel, mena�ant les infracteurs de 500 fr. d'amende. Cette d�fense, �tendue � tout le ressort en 1775, mit encore en interdit la promenade de l'�ne � Saint-Di�. En 1776, la distribution des Valentins, qui n'avait rien de moins offensant, fut �galement supprim�e.
Ce fut donc la Cour et non la magistrature des localit�s qui porta la r�forme sur ces usages, dont il restera longtemps des vestiges.
POLICE RELIGIEUSE.
F�tes et dimanche, abstinence.
L'observation des commandements de l'�glise ne fut pas tr�s-commune autrefois en Lorraine, si l'on en juge par les nombreuses ordonnances destin�es � la prescrire � ses habitants. D�j� du temps de G�rard d'Alsace, l'autorit� la�que intervenait pour d�fendre de travailler les dimanches et jours de f�tes. Quand le schisme de Luther eut apparu, le danger de la contagion de ses doctrines, si hostiles au culte ext�rieur, fit d�cr�ter par la duchesse Christine que ceux qui n�gligeraient de sanctifier les jours f�ri�s, ou qui mangeraient chairs � jours prohib�s, tomberaient en commise, confiscations et amendes, au juste arbitrage des juges.
C'est surtout � partir du r�gne de Charles III que les ordonnances sur cette mati�re se succ�d�rent avec profusion. Le 12 janvier 1523, ce prince d�fendit de faire, pendant les jours f�ri�s, aucunes oeuvres serviles et manuelles, � peine de 10 fr. pour la premi�re fois, 25 fr. pour la deuxi�me, 50 fr. pour la troisi�me, et de peine corporelle pour la quatri�me. Une ordonnance du 9 septembre 1624, bien autrement envahissante, commanda, sous les m�mes peines, d'assister � la messe, et ces prohibitions et ordres furent raviv�s dans d'autres �dits des 23 juillet 1686, 8 avril 1687, 18 mars et 17 ao�t 1688, 2 mai 1699.
Ces ordonnances n'�taient pas de vaines menaces ; les juges apportaient souvent plus de soins � les appliquer que contre de plus grandes fautes. En 1560, on voit Jacques, de
Remoyville, h�telier, condamn� par le pr�v�t d'�tain � faire amende honorable, � 25 fr. d'amende et � la prison, pour avoir mang� chair aux jours d�fendus, tandis qu'� la m�me audience, Nicolas Vernier de Moulotte n'est condamn� qu'� 15 fr. d'amende, pour avoir donn� un coup d'�p�e � un jeune homme de Warcq.
Sous le duc L�opold, la l�gislation ne fut pas moins s�v�re et minutieuse, jusqu'� d�fendre, sous peine de 500 fr. d'amende, les festins pendant le car�me. Auparavant, les f�tes patronales avaient fait exception ; les bals et r�jouissances publiques avaient �t� tol�r�s au point que c'�tait, comme d'ailleurs on l'a d�j� vu, un droit du seigneur de faire crier la f�te et de permettre la danse. Il leur fut interdit d'user de ce privil�ge, � moins de prendre des jours ouvrables, et ce � peine d'amende arbitraire. En 1721, une f�te de ce genre, appel�e rapport, ayant eu lieu un dimanche devant la chapelle de Notre-Dame, pr�s de Rosi�res, le Parlement condamna � 100 fr. d'amende chacun des marchands, au nombre de douze, qui, sous la protection de l'autorit� locale, y avaient dress� quelques tables pour �taler leurs ch�tives boutiques.
Cette s�v�rit� dans la loi et dans son application avait moins pour but de favoriser la religion que de fermer la bouche au clerg� et de lui �ter les pr�textes de plainte contre le gouvernement du duc, qui croyait n'en faire jamais trop pour le contenter. En attendant, le public, qui n'�tait pas ma�tre de faire son salut � sa guise, subissait les cons�quences de cette politique plus adroite qu'�quitable. Pour �tre juste et obtenir d'ailleurs l'ob�issance demand�e, il e�t fallu diminuer consid�rablement les occasions de p�cher offertes aux fid�les ; et loin de l�, il y avait tant de f�tes au calendrier, que la lassitude �tait excusable.
L'�glise l'avait en g�n�ral bien senti et avait d�j� fait, � la fin du XVIIe si�cle, quelques pas pour se mettre en harmonie avec les moeurs ; mais elle n'avait pas fait assez.
M. de Saint-Simon, �v�que de Metz, entra�n�, en 1745, par la partie fran�aise de son dioc�se, � une plus grande condescendance, op�ra un nouveau et plus grand retranchement motiv� sur la profanation des jours sacr�s, devenue un scandale pour les h�r�tiques, une occasion de chute pour les fid�les, une cause d'indigence pour les pauvres et un sujet d'affliction pour les pasteurs. L' �v�que de Toul, M. Drouas, n'�tait pas dispos� � imiter cette concession, qui lui paraissait elle-m�me un rel�chement d'orthodoxie ; mais, � la fin, les instances r�it�r�es de tous les cur�s de son dioc�se, depuis le commencement de son �piscopat, le forc�rent � subir l'impulsion, ce qui n'eut lieu toutefois qu'en 1758, et avec moins de bonne gr�ce de sa part que n'en avait mis son coll�gue.
L'une et l'autre r�forme avaient cependant leurs d�tracteurs. L' �v�que de Metz, � la v�rit� fort impopulaire, s'�tait cru dans la n�cessit� de commander l'ob�issance. Gardez-vous, disait-il en son mandement, de vous laisser aller � une d�votion mal entendue, en vous obstinant � c�l�brer, malgr� nos ordonnances, les f�tes que nous retranchons. Le roi
Stanislas, en sanctionnant ces suppressions publi�es par les deux pr�lats, crut aussi avoir besoin de commander aux magistrats de tenir audience aux jours jadis f�ri�s, en m�me temps que d'avoir soin que les boutiques soient ouvertes et que les artisans vaquent � leur travail journalier.
Cette injonction de ne pas se reposer, si incompr�hensible sous notre r�gne de libert�, fut sans doute la cause de la m�me mesure adopt�e pour les dimanches, sous la r�publique, en faveur des jours de d�cades.
Confession.
Nous venons de dire, et ici on le verra encore mieux, que nos p�res n'avaient pas la libert� des pratiques religieuses dont l'indiff�rence de leurs enfants fait si bon march�. Les prescriptions de l'�glise �taient des ordres que les lois s�culi�res pr�tendaient faire ex�cuter; il n'y avait pas possibilit� de les enfreindre sans encourir une foule de d�sagr�ments tous de plus en plus dommageables.
La confession en �tait une des plus pr�cieuses aux yeux du clerg� : la partie saine de ce corps n'y voyait sans doute que l'ex�cution des lois canoniques ; l'autre, agit�e par la politique et l'ambition, l'envisageait comme le plus puissant moyen d'entretenir la domination, d'agrandir son influence et d'augmenter ses richesses.
L'autorit� des ducs ne para�t pas avoir eu besoin d'intervenir avant Charles IV pour aider l'�glise ; peut-�tre ne lui laissa-t-elle sciemment d'autre arme que la persuasion pour maintenir la foi. Il appartenait � ce prince, le plus scandaleux de tous par sa conduite, de t�moigner d'un z�le outr� en contradiction avec ses actes : la foi, la raison et l'exp�rience lui ayant, suivant qu'il le dit, fait voir qu'il n'y avait pas de rem�de plus efficace pour gu�rir le corps que d'apaiser l'�me par la confession, il ordonna, le 9 septembre 1624, que les malades en danger eussent � se confesser d�s le troisi�me jour de leur maladie, sous peine de 25 fr. d'amende contre les parents qui les soigneraient, avec injonction, sous la m�me peine, aux m�decins de les y inviter, et, en cas de refus, de les priver de leurs soins jusqu'� leur soumission. Le pape Pie V ayant rench�ri sur cette ordonnance, en d�clarant inf�mes � perp�tuit� et d�chus de leurs grades universitaires les m�decins infracteurs, Charles IV d�clara, en 1664, qu'il voulait que la volont� du saint-p�re re��t son ex�cution.
Nous ignorons si le sage L�opold fit ex�cuter ces lois dangereuses, ce qui n'est pas probable, puisqu'on ne les voit pas raviv�es par une nouvelle publication sous son r�gne. Il y a encore une autre raison d'en douter, c'est que sa veuve, plus accessible aux influences cl�ricales, les fit publier apr�s sa mort, au nom de son fils, qu'elle repr�sentait comme r�gente, ce dont elle se f�t n�cessairement dispens�e si son mari s'en f�t occup� ; elle porta m�me l'amende � 100 fr.
La Lorraine avait n�anmoins v�cu sans �tre trop g�n�e par ces prescriptions que l'hypocrisie et mille ruses invent�es par l'incr�dulit� permettaient probablement d'�luder, lorsque, sous le r�gne du roi Stanislas, l'�v�que de Toul, anim� du m�me esprit qui troublait la France, � propos des billets de confession, d�fendit � tous pr�tres de confesser les malades sans une permission particuli�re des cur�s. Jusque-l�, les pr�tres sans cure, tels que les vicaires et les religieux de certains ordres, avaient confess� les malades qui les avaient librement appel�s ; il leur avait suffi de l'approbation g�n�rale de l'�v�que dioc�sain. D�sormais, il d�pendait des cur�s de les repousser, sans �gard � l'autorit� �piscopale, qui compromettait ainsi son pouvoir hi�rarchique, contrairement aux lois canoniques.
Le public, fort int�ress� � cette innovation, s'�mut facilement d'un attentat si grave contre la libert� de conscience. Les fid�les se crurent en droit de craindre un pasteur intol�rant, peu �clair�, peut-�tre m�me d'une pi�t� douteuse. Ne pouvaient-ils pas trouver en lui leur ennemi personnel, celui de leur famille, porteur d'une de ces robustes rancunes devenues proverbiales ? Les femmes d�votes n'�taient plus libres de compter sur les consolations d'un directeur de leur choix, elles devaient subir de force celui qu'elles n'avaient pas voulu pour confident de leurs secrets. Les ordres religieux, �loign�s par ce coup d'�tat de la source f�conde des lib�ralit�s testamentaires, ne pouvaient accepter avec r�signation une soumission qui blessait leur orgueil en froissant leurs int�r�ts. Ce fut donc une rumeur g�n�rale ayant encore pour cause, chez la grande majorit�, la crainte de mourir sans confession.
Le gouvernement de Stanislas comprit bien vite le danger de cette nouveaut� ; il s'empressa de n�gocier pr�s du pr�lat pour y porter rem�de, mais il n'en obtint qu'une modification insuffisante, du moins aux yeux de la Cour souveraine, qui, moins dispos�e � se contenter des apparences, pronon�a, le 11 septembre 1754, la nullit� de l'ordonnance, comme �tant contraire aux lois et usages de la Lorraine, et arr�ta qu'elle ferait des remontrances au roi. Le chancelier la Galaizi�re, irrit� de cette fermet�, fit faire � la Cour injonction de supprimer les deux arr�ts rendus � cette occasion. Nouvel arr�t de r�sistance, nouvelle injonction de se rendre en d�putation aux pieds du roi pour y d�poser les minutes. La Cour souveraine en fait pr�parer deux exp�ditions et se dispose � les pr�senter avec ses remontrances ; mais sa d�cision est cass�e, et, apr�s plusieurs lettres de cachet, le procureur g�n�ral parvient � se faire repr�senter les registres publics et secrets, sur lesquels il biffe lui-m�me les actes r�prouv�s par le ministre. Cette ex�cution injurieuse pour la Cour fut faite sans l'avoir entendue, dans une affaire o� l'int�r�t de l'�tat �tait son seul mobile ; il ne lui restait que le droit de protestation et de remontrance ; aussi elle ne manqua pas d'en user, ce qui acheva de renverser les projets de l'�v�que, d'autre part rudement battus en br�che par l'opinion publique. A la v�rit�, les ordres du roi subsist�rent, les arr�ts demeur�rent cass�s, parce qu'en la forme, le gouvernement ne voulait pas accepter les torts ; mais au fond et par n�gociation, le pr�lat laissa sans ex�cution sa malheureuse tentative, et le choix du confesseur demeura libre.
POLICE SANITAIRE.
La salubrit� publique confi�e � la police, dont nous voulons nous occuper, n'�tait pas le balayage des rues ou le nettoiement de quelques �gouts, mais les cas int�ressant toute la province ou de grands centres de population, tels que ceux de peste et autres maladies contagieuses. Dans certaines circonstances, cette surveillance exc�dait peut-�tre les limites des attributions des magistrats municipaux ; mais, malgr� l'irr�gularit� de cette classification, nous nous voyons, pour plus de clart�, forc�s de rapporter ici tout ce qui se rattache � ce m�me sujet, encore que les peines encourues aient plus de rapports avec les d�lits et m�me les crimes qu'avec de simples contraventions.
Peste.
La mis�re et la malpropret� furent, sans aucun doute, autrefois la cause principale du caract�re contagieux des maladies qui aujourd'hui ne nous paraissent pas dangereuses. La plus simple fi�vre end�mique �tait facilement mena�ante ; pour peu qu'elle f�t de victimes, elle �tait qualifi�e peste, et alors les soins pris pour l'�viter contribuaient � la propager et � l'aggraver. L'isolement command� � chacun privait tout le monde de secours, en m�me temps que la s�v�rit� d�ploy�e portait dans le moral des populations un effroi et un d�couragement funestes.
En 1514, � Gondrecourt, il fut fait d�fense � un habitant de cette ville et � sa famille de sortir de sa maison avant six semaines enti�res, parce qu'une de ses filles, morte quelque temps auparavant, �tait soup�onn�e d'avoir succomb� � la peste. La m�me d�fense fut faite � plusieurs familles, � Nancy, en 1621. On comprend que la plus l�g�re indisposition survenue � l'un de ces reclus pouvait jeter l'�pouvante dans le coeur des autres, les livrer au d�sespoir, les exposer aux plus grands dangers et peut-�tre aux plus grands crimes.
Comme nous venons de le dire, au d�but de la maladie, la police locale, dans ses attributions restreintes, suffisait pour prescrire et mettre � ex�cution les mesures de pr�caution habituelles ; mais d�s que, dans le voisinage, la mortalit� passait pour s�vir, l'autorit� sup�rieure intervenait ; si le danger paraissait g�n�ral, le duc, pour toute la province, �dictait des d�fenses rigoureuses. On avait surtout en vue d'emp�cher les communications, qui �taient regard�es comme la cause la plus certaine de la contagion ; aussi c'�tait sous les peines les plus s�v�res qu'il �tait interdit d'aller aux lieux infect�s ou d'en revenir. En 1610, c'�tait la peine de mort, m�me contre les gardes des portes qui auraient laiss� p�n�trer dans la ville, sciemment ou par maladresse. En 1625, on vit le bailli des Vosges �tablir � chaque porte de la ville de Mirecourt un bourgeois charg� de d�f�rer le serment � tous les arrivants, sur la question de savoir si depuis six semaines ils avaient �t� dans les pays soup�onn�s ; en cas d'affirmative, on leur intimait l'ordre de partir au plus vite, et en cas de n�gative, si quelqu'un digne de foi se trouvait l� pour attester le contraire, ex�cution du parjure �tait faite sur-le-champ � la potence.
Cent ans plus tard, on n'�tait pas plus confiant. Par ordonnance du duc L�opold du 23 juin 1721, il fut interdit de communiquer, m�me par correspondance ; tous les passants devaient �tre munis de certificats de bonne sant�, rev�tus de toutes les formes rassurantes, et ordre �tait donn� de tirer sur ceux qui tenteraient de passer par d'autres chemins que ceux prescrits. Quant aux vagabonds, suspects par �tat, ils devaient s'�loigner, sous peine du fouet, de la marque et du bannissement ; en cas de r�cidive, c'�tait la mort.
L�pre.
Nous n'avons pas ici � faire l'histoire de cette maladie, mais � rapporter comment la justice disposait de ceux qui en �taient atteints. L'incurabilit� de cette redoutable affection for�ait � des mesures d'une rigueur barbare, pour l'application et le maintien desquelles l'autorit� s�culi�re s'entendait avec l'autorit� spirituelle, qui, par une cons�cration terrible, achevait de rendre ces mesures inviolables. Tous les auteurs ont parl� des c�r�monies religieuses employ�es � la s�questration des l�preux, mais aucun ne s'est occup� des formalit�s l�gales, de l'intervention du pouvoir la�que ; de sorte que la r�pression judiciaire, en cette mati�re si grave, est inconnue ; c'est � quoi nous allons essayer de suppl�er.
D�s qu'un habitant �tait soup�onn� de l�pre, ce que, soit dit en passant, on pr�tendait reconna�tre � plus de vingt signes, dont dix � la t�te seule, la police locale le soumettait � une visite pr�liminaire qui d�truisait ou confirmait les soup�ons. Au premier cas, tout �tait dit, sauf surveillance pour l'avenir ; au second, le malade pr�sum� �tait soumis � une ou plusieurs �preuves dont la forme est ignor�e. Et d'abord la visite pr�alable �tait faite par un homme de l'art ou tout autre personnage ayant un caract�re public, tr�s probablement pr�pos� � cet effet. Nous trouvons, en 1458, un jugement du pr�v�t de Longuyon qui condamne un individu pour avoir dit � un autre :
���Mauvais mezel, ne t'es-tu pas fait visiter par ma�tre Jean, qui t'a reconnu mezel ? � Quel �tait ce ma�tre Jean ? Sans doute quelque frater ou docteur, en tout cas un homme brevet�, ayant ma�trise, peut-�tre le bourreau, ce dont nous avons bien peur.
Apr�s cette visite, � moins de sympt�mes tr�s-avanc�s, on ne pouvait prononcer sans de nouvelles observations plus minutieuses, et c'�tait l'objet des �preuves. En 1470,
Nicole Fran�ois, abb� de Saint-Vincent-les-Metz, ayant laiss� para�tre quelques taches suspectes, ses moines prirent l'alarme et exig�rent qu'il se f�t remplacer par un coadjuteur. Sur son refus, ils l'enferm�rent, et barricad�rent si bien ses appartements, que personne ne put l'approcher, pas m�me ses parents. Au troisi�me jour, l'�v�que ayant su ce qui se passait, se h�ta d'intervenir et obtint l'ouverture des portes, � la condition que l'abb� se soumettrait � l'�preuve dans le mois. Mais, ce d�lai expir�, il prit pour coadjuteur l'abb� de Saint-Martin, son confr�re, et courut se cacher chez son p�re, dans la crainte d'�tre conduit de force � l'�preuve. Les moines m�contents appel�rent � leur aide ving-cinq hommes de leurs terres et enferm�rent de m�me l'abb� de Saint-Martin avec ses cinq serviteurs, leur refusant tous vivres et secours. Plainte faite aux Treize de la justice, ceux-ci, qui n'avaient pas �t� consult�s jusque-l�, r�pondirent que l'on pouvait encore se passer d'eux ; en sorte que le coadjuteur se vit forc� de renoncer. N�anmoins, les
Treize signifi�rent au p�re de l'abb� Fran�ois d'envoyer dans sept jours son fils � l'�preuve, sous peine de 100 livres d'amende ; ce que voyant, le fils partit pour Rome.
Arr�t� � Neufch�teau par les gens de l'�v�que, il fut men� � Nomeny jusqu'� la fin de juin, �poque � laquelle, dit la chronique, il fut jug� ladre par les trois �preuves de Toul, de Verdun et de Tr�ves.
A qui appartenait le droit de faire ces �preuves ? Si l'on consulte les rituels, on voit qu'ils enjoignent au cur� de proc�der � la s�questration du l�preux d�s que son �tat sera prouv� per sententiam judieis ecclesiastici aut ali�s certo et l�gitime. Entendaient-ils parler du juge eccl�siastique et du juge la�que, ou seulement du premier, ces derniers mots aut ali�s n'�tant pour le pr�tre qu'une indication qu'il �tait ma�tre de s'en rapporter � toute autre preuve capable de lui inspirer confiance ? Les monuments �crits que nous avons pu d�couvrir d�montrent que le juge la�que n'avait aucune autorit� en cette mati�re, qui �tait � l'enti�re discr�tion du juge eccl�siastique, seul comp�tent pour enlever au l�preux toute participation civile et religieuse � la vie sociale.
Dans la nouvelle histoire de Nancy, par M. Cayon, il est fait mention d'un arr�t� du conseil de ville en 1623, qui ordonne que la femme Bagard sera conduite � Toul, pour �tre appliqu�e � l'examen de l'�preuve. Je trouve ailleurs 10 fr. donn�s en 1589 au valet de ville de Pont-�-Mousson, pour conduire � Toul J. de Laict, soup�onn� de l�pre. Il est vrai que pour la femme Bagard, il est ajout� :
���Au rapport du sieur Colpel, � ce qui permettrait d'induire que peut-�tre on n'allait � Toul que parce qu'il �tait plus habile que les experts de Nancy ; mais le d�tail de la d�pense que l'on trouve dans un compte de 1541, d�pos� aux archives de Lorraine, l�verait tous les doutes, s'il en existait.
Aux barbiers jur�s de Toul qui ont visit� Isabelle Lolier, soup�onn�e de l�pre. 12 gros.
A leurs serviteurs 1 10 deniers.
A ma�tre J. Barbe, �col�tre, pour la lettre 18
A son clerc 12
Au laquais de M. de Toul, pour porter la lettre � M. le vicaire pour la signer 12
Pour le signet de M. le vicaire 3
Au sortir de l�, elle est conduite imm�diatement � la l�proserie, apr�s les c�r�monies accoutum�es.
Ainsi, la visite est faite par des gens de l'art d�sign�s par le repr�sentant de l'�v�que, et l'ordre de ce repr�sentant suff�t pour la s�questration du malade.
On trouve dans le m�me sens, dans les archives de la commanderie de Saint-Antoine de Pont-�-Mousson, un trait� � la date de 1628, entre le commandeur et cette ville, o� il s'engage � recevoir les l�preux de cette derni�re... selon le rapport qui en sera fait par des chirurgiens jur�s, commis par MM. les vicaires de Toul et de Metz, la ville de Pont-�-Mousson d�pendant pour partie de l'un de ces �v�ch�s, et pour partie de l'autre.
Pour expliquer la cause de trois �preuves subies par l'abb� de Saint-Vincent au lieu d'une seule, on peut admettre que la sentence de l'official �tait, en cette mati�re aussi bien qu'en toute autre, sujette � appel ; d'ailleurs, le caract�re sacr� dont �tait rev�tu ce personnage, chef d'un couvent d'importance, pouvait �tre une raison particuli�re d'avoir recours � plus de garantie. Mais, quoi qu'il en soit, il est constant, d'apr�s les citations qui pr�c�dent, que la sentence d'un jug� eccl�siastique, sujette ou non � plusieurs ressorts, �tait le dernier acte fixant l'�tat m�me civil du l�preux, qui, d�sormais mort au monde, n'avait plus affaire qu'au clerg� charg� de le conduire � son dernier refuge et de lui administrer les consolations n�cessaires � sa nouvelle position, pour le pr�munir contre un d�sespoir bien l�gitime.
Voici, pour nos pays, comme s'exprime le rituel de Toul de 1616, l'un des plus d�tailles :
���... Le cur� ira trouver le l�preux et l'engagera par des paroles flatteuses, en lui repr�sentant qu'il n'y a pas de maladie pire que celle de l'�me et qu'il faut accepter le bien ou le mal, tels qu'il pla�t � Dieu de nous les envoyer. Qu'il ne doit pas g�mir de ce que dans un int�r�t g�n�ral, suivant la louable coutume des chr�tiens, il doit �tre s�par� des autres. Il lui indiquera le jour o� cet acte doit avoir lieu, il l'annoncera au pr�ne, afin que le peuple y assiste et prie pour le malade.
Ce jour arriv�, le l�preux se pr�sente � l'�glise, et lorsqu'il approche, le pr�tre lui jette de l'eau b�nite et lui assigne pr�s de l'�glise un lieu s�par� d'o� il puisse entendre la messe qui a lieu � son intention avec les pri�res suivantes :
Oratio, etc.
Pendant la c�l�bration del� messe, le malade, s�par� du public, l'�coute pieusement ; il n'offre rien � l'autel, mais on peut offrir pour lui ; et apr�s la messe, s'il a �t� confess�, il peut communier. Pr�s de lui est une table sur laquelle sont pos�s son habit d'humilit� appel� la housse, sa cliquette ou tarterelle (cr�celle), son baril, ses gants et sa panneti�re, que le pr�tre b�nit en ces termes :
Adjutorium, etc.
Lui pr�sentant la housse, il lui dit :
Un tel, recevez cet habit et le v�tez en signe d'humilit�, sans lequel d�sormais je vous d�fends de sortir de votre maison.
In nomine Patris, etc.
Lui donnant son baril :
Prenez ce baril pour recevoir ce que l'on vous donnera pour boire, et vous d�fends, sous peine de d�sob�issance, de boire aux rivi�res, fontaines et puits connus, ni de vous y laver en quelque mani�re que ce soit, ni vos draps, chemises et autres choses qui auraient touch� votre corps.
Lui donnant la cliquette :
Prenez cette cliquette, en signe qu'il vous est d�fendu de parler aux personnes, sinon � vos semblables, si ce n'est par n�cessit�. Et si avez besoin de quelque chose, la demanderez au son de cette cliquette, en vous tirant loin des gens et au-dessous du vent.
Lui donnant ses gants :
Prenez ces gants par lesquels il vous est d�fendu de toucher chose aucune � main nue, sinon ce qui vous appartient et ne doit venir entre les mains des autres.
Lui donnant la panneti�re :
Recevez cette panneti�re pour y mettre ce qui vous sera �largi par les gens de bien, et aurez souvenance de prier Dieu pour vos bienfaiteurs.
Alors le pr�tre lui donne son aum�ne et engage chacun � en faire autant, apr�s quoi il le conduit � la l�proserie avec la croix et l'eau b�nite, le peuple suivant.
On chante les litanies en route, et lorsqu'on est arriv�, le pr�tre l'introduit dans la l�proserie en lui disant : Ici tu reposeras �ternellement.
Apr�s quoi il lui fera une exhortation � peu pr�s en ces termes : Voici le lieu qui vous est ordonn� pour y faire d�sormais votre r�sidence. Je vous d�fends donc d'en sortir pour vous trouver aux places et assembl�es publiques, comme �glises, march�s, moulins, fours, tavernes et autres semblables. Cependant vous ne vous f�cherez pour �tre ainsi s�questr� des autres, d'autant que cette s�paration n'est que corporelle, et que, quant � l'esprit, qui est le principal, vous serez toujours autant avec nous que f�tes oncques, et aurez part et portion � toutes les pri�res de notre m�re sainte �glise, comme si personnellement �tiez toujours assistant au divin service avec les autres. Et quant � vos petites n�cessit�s, les gens de bien y pourvoiront, et Dieu ne vous d�laissera point. Seulement, prenez courage et ayez patience, Dieu demeure avec vous.
Alors le pr�tre, s'il est besoin, place une croix de bois devant la l�proserie, et, se tournant vers le peuple, le recommande aux pri�res de tous, d�fendant de lui faire injure, mais que bien plut�t, ayant piti� de l'horrible condition o� la volont� de Dieu l'a plac�, on lui fasse du bien.
Ensuite il recommandera aux gardiens de l'�glise et � ses parents de l'assister au moins pendant trente-deux heures, de crainte que ce nouveau genre de vie et la solitude ne l'attristent trop et ne jettent son corps et son �me dans quelque grave p�ril.
Il faut annoter que l'on ne doit pas baptiser les enfants des l�preux sur les fonts ordinaires, mais dans une piscine. Que si un l�preux tombe gravement malade et demande les sacrements de l'�glise, le pr�tre fera une chose agr�able � Dieu en les lui administrant. Et s'il vient � mourir, il pourra �tre inhum� pr�s de sa l�proserie, et on priera pour lui comme pour les autres fid�les d�funts. �
Cette c�r�monie vraiment fun�bre n'�tait cependant pas celle d'un enterrement ; d�j� depuis long-temps l'usage de l'y assimiler avait �t� proscrit. Voici ce que porte le manuale curatorum de Metz, en 1542, qui est � peu pr�s conforme :
���.... La journ�e, quand on les veut recevoir, ils viennent � l'�glise et sont � la messe, laquelle est chant�e du jour ou autrement, selon la d�votion du cur�. Et ne doit-on point chanter des morts, comme aucuns cur�s l'ont accoutum� faire.
Et, le dimanche pr�c�dant ledit service, le cur� doit annoncer au pr�ne � son peuple, en l'admonestant, de y assister et de prier Dieu pour le malade.
Auquel service le malade doit �tre s�par� des autres gens et doit avoir son visage couvert et ambrunche, comme le jour des tr�pass�s.
Et ne doit point aller � l'offrande, mais les autres vont offrir pour lui (66).
Apr�s la messe, le cur� doit avoir une palle en sa main; et � icelle palle doit prendre de la terre du cimeti�re trois fois et mettre sur la t�te
du ladre en disant : Mon ami, c'est signe que vous �tes mort quant au monde, et pour ce ayez patience en vous.
Cela fait, le cur�, avec la croix et l'eau b�nite, le doit mener en sa borde, en mani�re de procession. Et quand il est � l'entr�e de ladite borde, le cur� le doit consoler en disant : Mon ami, dor�navant demeure ici en paix, en servant Dieu d�votement. Et ne vous d�confortez point pour quelque pouret� que vous ayez, car vous aurez toujours part � toutes nos bonnes pri�res, saint service, suffrages et oraisons qui se feront en l'�glise. Priez Dieu d�votement qu'il vous donne gr�ce de tout souffrir et porter patiemment; et si ainsi le faites, vous accomplirez votre purgatoire eu ce monde et gagnerez paradis.
Puis le cur� lui commande ce qui s'ensuit :
Mon ami, gardez-vous d'entrer en maison nulle autre que en votre borde, ne de y coucher de nuit.
Et si ne devez entrer en moulin quelconque.
Vous ne regarderez ne en puits, ne en fontaine.
Vous n'entrerez plus en nul jugement.
Vous n'entrerez plus en l'�glise, tant comme on fera le service.
Et quand vous parlerez � aucune personne, vous irez au-dessous du vent.
Semblablement, quand vous rencontrerez aucune personne, vous vous mettrez au-dessous du vent.
Et quand vous demanderez l'aum�ne, vous sonnerez votre tartelle.
Vous n'irez point loin de votre borde sans avoir v�tu votre habillement de bon malade.
Vous ne devez boire � autre vaisseau que au v�tre, et ne puiserez en puits ne en fontaine sinon es v�tres.
Vous aurez toujours devant votre borde une �cuelle fich�e sur une petite croix de bois.
Vous ne passerez pont, planche o� il y ait appui sans avoir mis vos gants.
Vous ne devez aller nulle part, hors que ne puissiez retourner pour coucher le soir en votre borde, sans cong� ou licence de votre cur� du lieu.
Et si vous allez loin dehors, par licence, comme dit est, vous n'irez point sans avoir lettres et approbations de votre cur� ou de ses sup�rieurs.
Adoncques le cur� lui donne la b�n�diction et le laisse. �
Quant � l'inhumation du l�preux apr�s sa mort naturelle, les statuts synodaux de Toul de 1515 y avaient pourvu :
���Ceux avec lesquels nous ne communiquons point pendant leur vie, nous ne devons pas communiquer apr�s leur mort Nous disons que quant � la s�pulture des l�preux, il n'est point n�cessaire d'en faire titre s�par�, car par cette r�gle ils ne doivent point �tre ensevelis avec les saines gens, ne en un m�me cimeti�re, mais en leur cimeti�re, ou en leur tabernacle qui est aucunement b�nit. �
Nous n'avons pas besoin de nous appesantir sur la profonde horreur de la situation faite aux l�preux, elle surpasse tout ce que l'imagination pourrait inventer. Pour comble d'infortune, ces malheureux reclus avaient la douleur, mari ou femme, de voir leur �poux contracter d'autres liens ; et ils �taient en cela beaucoup plus � plaindre que ne le sont des condamn�s ordinaires, frapp�s de mort civile, d'abord parce qu'ils n'avaient pas la r�signation command�e d'ordinaire � ceux-ci par le repentir, ensuite parce que, jouissant d'une certaine libert�, ils �taient forc�ment t�moins de la nouvelle association conjugale, dont les joies �taient une insulte continuelle � leur mis�rable position.
Au concile tenu � Compi�gne en 756, le divorce fut d�clar� facultatif de la part du l�preux, qui pouvait autoriser son �poux � le quitter et � se marier avec un autre.
Cela exclut-il pour l'�poux non l�preux le droit de se s�parer sans le consentement de son conjoint malade ? Nous ne le pensons pas ; il est probable que la permission donn�e par le concile n'avait d'autre but que d'autoriser � remplacer des formalit�s d�sagr�ables et on�reuses par un simple consentement du malade, sans que son adh�sion volontaire bless�t sa conscience.
Dans quelques localit�s tr�s-rares, la maladrerie �tait un peu dot�e, mais, dans le plus grand nombre, les l�preux �taient forc�s d'aller mendier pour leur subsistance. En g�n�ral, on �tait charitable envers eux, soit qu'on les regard�t comme tr�s � plaindre, car on y voyait le doigt de Dieu, soit que l'on craign�t pour soi pareille affliction.
Ils �taient, en certaines villes, appel�s bons malades, probablement pour dire vrais malades. Dans quelques �glises, des troncs leur �taient r�serv�s. En 1542, un coquin fut puni � Saint-Mihiel, pour avoir vol� dans l'�cuelle des poures l�preux, plac�e devant l'�glise. D'autres fripons, non moins avides, prenaient leurs habits et simulaient leurs infirmit�s, pour avoir les charit�s qui leur revenaient. En 1570, Jehan Richier, de Boviolles, fut pour semblable fait condamn� � faire amende honorable devant l'h�pital de Bar ; son baril et ses cliquettes y furent br�l�s par la main du bourreau, qui, tr�s probablement, lui infligea aussi quelque correction.
M. Gravier, dans l'histoire de Saint-Di�, rapporte que le chapitre de cette ville, qui avait en main l'autorit�, d�fendit � un juif l�preux toute communication ext�rieure. Ailleurs, il parle de la fuite de deux l�preuses et de leur punition
par le feu, conform�ment � une bulle papale. Ces cas de s�questration compl�te ne doivent �tre compris que comme exceptionnels ; le premier peut-�tre parce qu'il s'agissait d'un juif, le second parce que ces femmes ayant �t� trop loin sans permission, avaient pu abuser de leur libert� d'une mani�re dangereuse pour le public. Sans doute il e�t �t� plus logique de les enfermer tout-�-fait pour les bien soigner, que de leur accorder une dure libert� sujette � mille inconv�nients ; mais on ne peut mettre un instant en doute qu'en g�n�ral il leur fut libre d'aller et de venir ; les rituels plus haut cit�s l'�tablissent clairement.
La sagesse de nos p�res ne s'est pas montr�e en ce qui concerne les l�preux ; il faut reconna�tre que leurs h�pitaux �taient mal imagin�s, insuffisants et mal gouvern�s.
Sans doute faute d'argent, ils pouvaient ne pas y procurer aux malades tous les secours r�clam�s par leur �tat, mais il y avait un grand vice et une grande injustice � les y faire entrer gratuitement, lorsqu'il e�t �t� facile et l�gitime d'employer � leur soulagement une partie de la fortune que quelques-uns laissaient dans le monde. Peu � peu ces ressources accumul�es eussent profit� � tous leurs compagnons de mis�res, et le pays e�t �t� pr�serv� du spectacle et du danger de leurs infirmit�s. Mais d�s qu'une commune avait donn� au l�preux banni de son sein les quelques petits meubles pr�vus dans le rituel, et son �poux quelques autres, l'une et l'autre �taient quittes envers lui, et ses biens passaient en entier � ses h�ritiers, ainsi que nous l'apprend Thiriat dans ses m�moires, � l'occasion de Jean Blin, bourgeois de Nancy, qui, en 1543, ayant eu le tr�s rare bonheur de revenir gu�ri, trouva sa femme remari�e et ses biens confisqu�s ; vainement il redemanda femme et fortune, il fut repouss� de tous deux par ce seul argument, que la ville et sa femme lui avaient remis l'�quivalent de ce que l'on donne � un mort que l'on enterre.
Quelque puissante et fructueuse que f�t la voix qui conviait les particuliers � la charit� priv�e envers les l�preux, la soci�t� n'y pr�tait pas l'oreille et cachait � peine son intention d'an�antir des �tres dont l'existence, et encore plus la propagation, avaient, � ses yeux, d'immenses dangers. N'osant les exterminer directement, elle mettait ses soins � les r�duire � la pauvret�, pour les frapper d'un plus s�r isolement, poussant ses rigueurs jusqu'� d�tourner de leurs h�pitaux les ressources qui naturellement devaient leur �choir. Dans un manuscrit important, intitul� Des Droits de Verdun, appartenant � M. l'abb�
Clouet, savant historien de cette ville, on rencontre la r�clamation d'un enfant l�preux qui pr�tend avoir sa part de la succession paternelle. La justice lui oppose froidement cette barbare sentence :
���Droit dit que mezel ne mezelle ne puent, ne doient h�riteir; que cils h�ritent, les maladreries et les hordes auroient les h�ritaiges quil ne doient �tre faites sinon d'aulmones. Et seu seroient d�sh�riter moult de bonne personne de lors h�ritaiges. �
Nous ignorons encore comment ces h�pitaux �taient gouvern�s, non pas au point de vue m�dical, qui sort de notre sujet, mais � celui de la police. Il parait que chaque l�preux avait sa cellule ; mais s'il n'y avait pas un chef, la pr�caution �tait � peu pr�s inutile en une demeure abandonn�e o� devait r�gner l'abus de la force. Les deux sexes y �taient confondus, d'o� r�sultaient des exc�s d'autant plus violents qu'une luxure d�vorante �tait un des caract�res de cet horrible mal. Aussi ce refuge �tait-il une v�ritable sentine, un repaire maudit de Dieu et des hommes, souill� par les passions les plus d�go�tantes. En 1502, un jour de Jeudi-Saint, les l�preux des bordes de Saint-Mansui-les-Toul, excit�s par une jalousie inf�me, assassin�rent Nicolas le Foulrier, l'un d'entre eux. Cinq furent punis de mort � Foug : Labigare, Isabelle sa femme et une nomm�e Benoite furent br�l�s ; Paxette, femme Gengoult, et Jean de Lagny, trait�s avec plus d'indulgence, furent pendus. En cette occasion, il y eut discussion de comp�tence entre les officiers du duc et ceux de Toul ; mais le premier l'emporta.
A plusieurs �poques, dans diverses parties de l'Europe et notamment dans les provinces dont nous faisons l'histoire, il y eut des ex�cutions de l�preux qui avaient l'apparence d'�tre g�n�rales, sous pr�texte qu'ils empoisonnaient les puits et les fontaines ou commettaient d'autres exc�s compromettant la s�ret� publique. Quoi qu'on ait pu en dire, nous pensons qu'elles �taient moins l'effet d'une r�action de l'opinion contre eux, que la punition m�rit�e de quelques crimes particuliers auxquels un nombre plus ou moins grand de complices avaient pris part.
DELITS DE PRESSE.
L'esprit d'opposition et de satire n'avait pas attendu l'imprimerie pour para�tre au grand jour; il avait, dans les temps d'oppression politique et religieuse, trop de sujets d'inspiration pour ne pas �clater. Malgr� la difficult� de la publication par la simple �criture � la main, nos anc�tres savaient fort bien mettre en circulation leurs pens�es les plus contraires � la volont� du pouvoir. On trouve, avant la d�couverte de Guttemberg, quantit� de poursuites contre des �crits politiques, satiriques, ou simplement licencieux. Aucune classe de la soci�t� ne s'en abstenait, chacune suivant ses besoins et ses moeurs, quoiqu'il f�t plus facile de d�couvrir le coupable par la comparaison des �critures, peu de personnes sachant alors �crire. Les couvents et les chapitres des cath�drales, o� l'usage des lettres �tait plus familier, n'�taient pas les foyers les moins f�conds en ce genre de d�lit ; il �tait rare qu'il ne s'y trouv�t pas quelque esprit frondeur dispos� � rire des faiblesses du monde et assez t�m�raire pour les rendre publiques, abrit� qu'il �tait derri�re son clo�tre infranchissable. Les �coliers, les militaires, le barreau et le clerg� s�culier avaient surtout leurs libellistes, ces professions �tant plus exerc�es que toutes autres aux bons mots et aux saillies, par leurs habitudes de se trouver en r�unions.
Pour ceux qui s'attaquaient au prince ou � ses officiers, ils �taient s�rs, s'ils �taient d�couverts, de payer ch�rement leur t�m�rit� ; la hart fit la fin de plus d'un, au nombre desquels il faut compter le c�l�bre Florentin Thiriat, auteur d'un Nobiliaire rest� manuscrit, du Commentaire sur la coutume de Lorraine, imprim� sous le nom de Fabert, ainsi que de M�moires dont les fragments font regretter ce qui en a �t� perdu. Les causes et les circonstances de son proc�s n'ont pu nous �tre mises sous les yeux, par cons�quent nous ne pouvons rien affirmer, mais tous les auteurs et la tradition sont d'accord pour all�guer qu'il fut pendu comme coupable de certain �crit satirique contre un prince de la maison de Lorraine, le cardinal Nicolas Fran�ois, �v�que de Toul. Dom Calmet (t. 4, p. 941) dit que le duc, p�re du pr�lat, ne mit d'autre condition pour le gracier que le consentement de son fils, mais que celui-ci demeura impitoyable.
Les �crits ayant pour objet la diffamation ou l'indiscr�tion envers les particuliers �lev�s en dignit�, �taient punis suivant qu'ils s'adressaient � leurs fonctions ou � leurs personnes. Dans le premier cas, la peine �tait proportionn�e � la gravit� de l'imputation ; dans le second, elle l'�tait � l'importance du dignitaire. En 1441, un clerc de Metz, nomm� Dediet Noret, ayant m�l� le cur� de La Chauss�e avec l'abbesse de Saint-Pierre dans un libelle quelque peu scandaleux, fut banni pour quatre ans et demi.
Le moment o� le d�lit de presse attira plus sp�cialement l'attention de la justice, fut celui de l'av�nement du protestantisme, qui avait alors ouvert � tous les esprits ardents une voie d'�panchement qu'aucun ne n�gligeait. Par les raisons que nous avons dites en parlant des juridictions eccl�siastiques, les ducs de Lorraine, pour emp�cher l'invasion de l'autorit� de Rome, durent s'empresser de publier eux-m�mes toutes les d�fenses que commandait la situation. La premi�re qui nous soit connue sur ce sujet est du 26 d�cembre 1523, �man�e du duc Antoine, qui enjoint � tous de se dessaisir des livres entach�s d'h�r�sie, ainsi que nous le dirons � l'article luth�ranisme.
Dans le m�me but et pour atteindre toutes les publications en g�n�ral, le duc Henri publia, le 8 octobre 1622, un �dit par lequel il interdit d'imprimer aucun livre sans sa permission, sous peine de la vie. M. le pr�sident Beaupr�, qui est le premier qui le rapporte en entier, d'apr�s le code Guinet, dans son savant ouvrage sur l'imprimerie lorraine, ajoute qu'il n'est pas � sa connaissance qu'aucun imprimeur ait os� enfreindre une menace si redoutable. Nous n'en connaissons pas non plus qui aient �t� poursuivis, mais nous doutons fort qu'aucun ne s'y soit expos�. Quelques ann�es plus t�t, cet �dit e�t sans doute �t� fatal � Blaise Andr�a, accus� d'avoir, en 1613, imprim� un libelle contre
M. d'�pernon, car, tr�s probablement, il n'avait pas demand� la permission du duc, puisqu'on trouve sa femme et m�me ses enfants emprisonn�s � cette occasion.
Charles IV alla beaucoup plus loin que son pr�d�cesseur ; le 5 mai 1629, il mit en outre, pour condition du permis d'imprimer, l'autorisation pr�alable de l'�v�que dioc�sain ; de sorte que la censure la plus �troite pesa sur toute publication. La presse �tait jugul�e au point qu'il n'�tait pas permis, m�me � un historien, d'�mettre la plus simple opinion sur les grands faits de l'histoire, sans encourir l'accusation de f�lonie. L'archidiacre de Toul, Fran�ois de Rosi�res, pour avoir publi� en latin une histoire de Lorraine, que quelques �rudits seuls auraient pu lire, et beaucoup moins encore la comprendre, fut trait� par la
France tyrannique avec une rigueur d�sesp�rante. Son origine barisienne, qui le rendait sujet du duc, sa qualit� d'eccl�siastique, qui l'affranchissait, au moins � demi, du bras s�culier, rien ne put le soustraire � la violence de l'autorit� qui pesait sur les Trois-�v�ch�s. Jet� en prison, tra�n� � Paris, accus� du crime de l�se-majest�, il fut r�duit, pour avoir la vie sauve, � demander au roi pardon � deux genoux, et cela pour des pens�es et des opinions que la post�rit� � bien d�pass�es (67).
Sous l'empire des ducs anciens, devant la justice organis�e � la mani�re pr�v�tale, il n'appara�t gu�re de poursuites pour d�lits de presse. Il �tait facile, � l'aide de la force militaire, d'avoir, sans beaucoup de pr�ambules, raison de l'imprimeur et de l'�crivain ; d'ailleurs, ce d�lit se retranche d'ordinaire dans les grands centres de population, et l'on sait qu'il n'y en avait pas beaucoup dans
le pays. Mais depuis r�tablissement de la Cour souveraine, le d�lit de presse fut tout-�-fait surveill�; l'essor donn� aux id�es par les �crivains fran�ais du XVIIIe si�cle augmenta encore les occasions de s�vir, et la Cour ne se fit pas faute d'ajouter tous les jours � la loi en empruntant la forme r�glementaire. En 1718, un libraire de Nancy, Thomas de la Rivi�re, ayant �t� trouv� nanti d'ouvrages prohib�s et ayant donn� pour excuse qu'il les avait re�us tels et ne les avait pas lus, la Cour lui interdit d'ouvrir ses ballots � l'avenir sans l'assistance du lieutenant-g�n�ral de police. La m�me ann�e, elle fit d�fense � un autre de vendre les maximes du pape Paul III. En 1719, Fourquet, de Mirecourt, et Monnoyer, de Neufch�teau, ayant imprim� de fausses indulgences, furent par elle mis en interdit de plus rien imprimer sans la permission expresse du lieutenant-g�n�ral de leur bailliage respectif, auquel ils devaient remettre gratis un exemplaire pour sa peine. En
1726, elle fit br�ler par la main du bourreau des libelles contre Hugo, abb� d'�tival, o� l'ordre de la calotte �tait trop peu m�nag�. L'arr�t portait, en retentum, que l'on ne br�lerait que des copies figur�es ; que l'original resterait es mains du procureur g�n�ral, pour en d�couvrir plus tard les auteurs, s'il �tait possible ; mais ceux-ci v�curent � l'abri de la s�v�rit� dont on les avait menac�s et dont ils avaient probablement peu de souci, car ils �taient prot�g�s par l'�v�que de Toul, si ce n'�tait lui-m�me.
Les poursuites les plus importantes de la part de la Cour souveraine, furent celles dirig�es contre les �chos de l'opinion publique assez courageux pour r�p�ter � la province attrist�e les entreprises tyranniques du ministre la Galaizi�re, dont la t�che incessante �tait d'�touffer les sentiments de nationalit� rest�s au coeur des dignes Lorrains.
En 1741, parut un �crit remarquable, r�sum� trop vrai de la situation pour que le minist�re public p�t garder le silence. Bourcier de Montureux �tait procureur g�n�ral; la parole imposante du chef du parquet pouvait seule venger une offense qui s'attaquait si haut. Elle ne tarda pas � tonner en un r�quisitoire s�v�re demandant contre le coupable auteur toutes les rigueurs de la justice. La Cour, s'associant � cette d�marche command�e par le devoir, ordonna toutes poursuites ; mais, chose qui ne s'�tait peut-�tre jamais vue, l'auteur inconnu, menac� par le procureur g�n�ral, poursuivi par la Cour, �tait, dit-on, ce procureur g�n�ral lui-m�me, qui avait un moment d�pos� la toge du pouvoir pour ob�ir aux cris de la conscience du citoyen !
Ce fait, unique dans les fastes judiciaires, est un point historique accr�dit� dans l'opinion et auquel n'ont cess� d'ajouter foi tous les hommes sp�ciaux qui, jusqu'� ce jour, se sont transmis le d�p�t sacr� des int�r�ts de l'histoire lorraine. Nos recherches ne nous ayant pas permis de le v�rifier, quelque actives qu'elles aient �t� sur ce point, nous ne pouvons l'affirmer, mais nous ne pouvions nous dispenser de le consigner pour l'�dification des partisans de la censure.
Le Parlement de Metz ne fut pas moins attentif � surveiller la presse ; sentinelle de la France, il s'�veillait au moindre bruit des soupirs de la fid�lit� lorraine. Fran�ais et gallican, il imitait son gouvernement, dont l'appui l'enhardissait dans des entreprises o� la Cour souveraine e�t trembl� de s'aventurer. Les querelles � l'occasion de la bulle
Unigenitus le trouv�rent dispos� � la r�sistance la plus vigoureuse contre l'autorit� ultramontaine, et les j�suites rencontr�rent en lui la plus implacable s�v�rit� (68).
USURE.
L'usure est le profit que l'on tire de l'argent pr�t�. Pris en mauvaise part, c'est la portion de ce profit qui exc�de le taux permis par la loi. L'abus qui de tout temps a �t� fait par des capitalistes cupides, en pr�tant leur argent aux enfants d�bauch�s ou aux ouvriers n�cessiteux, a constamment port� � faire consid�rer le pr�t on�reux comme un acte contraire � la charit� que toutes les religions commandent aux hommes. La circonstance que les juifs se livraient plus que les autres � ce trafic le rendit encore plus odieux aux chr�tiens, qui prirent pour maxime mutuum date, nihil ind� sperantes, mais qui ne la suivirent pas.
En France, les rois et l'�glise r�glaient le taux de l'int�r�t, tout en proscrivant le mutuum, qu'il fallait alors d�guiser sous le nom de pr�t � constitution. Celui-ci consistait � stipuler l'inexigibilit� du capital, laissant son remboursement � la discr�tion du d�biteur. Les th�ologiens l'avaient ainsi imagin� pour servir de refuge contre la duret� du cr�ancier ; mais il faut reconna�tre que cette mani�re de pr�ter n'avait pas moins pour r�sultat de tirer profit de l'argent, et qu'il n'y avait, comme on le lui a reproch� plus tard, d'autre diff�rence entre l'usurier et l'homme de bien, que l'exigibilit� de la chose pr�t�e, ce qui, au tribunal de la conscience, renfermait la m�me culpabilit�.
En Lorraine, o� nulle Sorbonne ne s'�vertuait � cr�er des subtilit�s, le pr�t � int�r�t ne fut jamais interdit, les ducs �tant trop sages pour proscrire cette source de vie du commerce. L'abus seul �tait � craindre, l'abus seul fut d�fendu. Avant Charles III, la l�gislation est muette, du moins nous n'en avons point trouv� de preuve authentique, mais des monuments judiciaires attestent que l'usure �tait punie : � Metz, en 1525, l'�v�que Henri d�fendait � la justice de forcer les pr�tres � enterrer les usuriers et de les mettre en terre sainte (69) ; � �tain, en 1420, Jacquemin Menin est condamn�, pour usure, � 24 �cus ; � Bar, en 1423, Jeannin, maire de Combles, est condamn� � 14 fr. d'amende pour deux cas usuraires, le premier consistant � avoir stipul� une fois 2 fr., une autre fois 5 fr. pour 12 fr. par lui pr�t�s. On en pourrait citer beaucoup d'autres exemples.
Par ordonnance de Charles III du 1er d�cembre 1571, le taux de l'int�r�t fut fix� � 7 pour 100; mais, dans la crainte que, sous d'autres formes de contrat, on ne stipul�t un taux sup�rieur, ce prince prit la pr�caution de r�gler aussi le taux de l'achat de rentes en bl� ou en vin ; de telle sorte qu'il n'�tait pas permis de faire, m�me de bonne foi, un bon march�. La peine contre les infracteurs �tait, tant
contre le pr�teur que contre l'emprunteur, trois heures de carcan et trois ans de bannissement.
On trouva bient�t mille moyens d'�luder la loi, tous difficiles � atteindre quand les parties �taient d'accord, mais qui se d�voilaient quand l'emprunteur, r�duit aux abois, se laissait entra�ner � la vengeance. De nouvelles ordonnances furent publi�es en 1582, 1586, 1597, 1604, 1630, 1631, 1632, portant des peines de plus en plus s�v�res ; l'amende fut m�me laiss�e � l'arbitrage du juge, qui devait la proportionner � la somme usur�e.
Lorsque la Lorraine se trouva momentan�ment au pouvoir de la France, quelques d�biteurs s'adress�rent au gouvernement de Louis XIII, esp�rant se soustraire en partie � leurs obligations, dont ils sollicit�rent la conversion en pr�ts � constitution, avec r�duction de l'int�r�t � 3 1/2. Le vainqueur n'osa pas porter une si grande atteinte aux conventions priv�es ; mais, par arr�t du conseil du 18 avril 1646, l'int�r�t fut r�duit comme ils l'avaient demand�.
Charles IV, � son retour, ne voulant pas laisser � la France le m�rite de celle faveur accord�e � la mis�re, prescrivit la m�me mesure par ordonnance du 30 juillet suivant, en la faisant remonter � 1635, et y ajoutant encore un d�lai forc� de trois ans apr�s la paix, tant pour les rentes que les capitaux, sauf les exceptions que la Cour croirait n�cessaires dans quelques cas privil�gi�s, notamment ceux de crimes et d�lits. Enfin, par ordonnance du 25 novembre 1667, et malgr� la paix, il fixa le taux l�gal � 5 pour 100, en consid�ration de la mis�re que la guerre avait entra�n�e.
Jusque-l� donc, le pr�t � int�r�t �tait autoris� en Lorraine et l'usure seule r�prim�e. La soumission d'une partie du pays au Parlement antinational de Metz n'y changea rien, car le ministre de France, consult� par lui, avait ordonn� de laisser la province sous l'empire de son antique usage. Il en �tait ainsi, lorsque tout � coup Jacques de Fieux, docteur parisien, promu � l'�v�ch� de Toul, s'imagina d'introduire dans son dioc�se, � demi-conquis � la France, les maximes de son �cole au sujet du pr�t, et lan�a, dans ce but, le 25 avril 1679, une lettre pastorale. Dans cette production intempestive, o� il d�clarait ne pouvoir assez admirer comment jusqu'alors le clerg� avait tenu les Lorrains dans l'ignorance, il foudroyait le pr�t � int�r�t dans l'espoir que les fid�les sacrifieraient les mis�rables int�r�ts de ce monde � l'�ternit� de gloire qui les attendait.
Ce signal de perturbation eut bient�t du retentissement. Les cr�anciers jet�rent les hauts cris, tandis que les d�biteurs s'agit�rent en sens contraire : parmi ceux-ci, les uns applaudissaient � la suppression d'une coutume on�reuse, s'imaginant que les capitaux allaient leur �tre confi�s gratis ; les autres, plus clairvoyants, craignaient d'�tre contraints � un remboursement pr�cipit�; de sorte que c'�tait pour tous une cause d'alarme. Les pr�dicateurs, confesseurs, directeurs et docteurs, subitement convertis � une doctrine que jusqu'alors ils n'avaient pas jug�e si salutaire, se mirent � faire chorus de fulminations et de condamnations inexorables ; si bien que les relations commerciales se trouv�rent menac�es d'une crise funeste. Il �tait difficile alors de calmer des esprits agit�s par des scrupules religieux, les �crivains redoutant l'anath�me appuy� du bras s�culier trop enclin � se suicider. A la grande gloire du barreau lorrain, un homme de conscience et de talent se pr�senta seul contre la milice nombreuse et active du puissant pr�lat. Dans une dissertation de quelques pages, Fran�ois Guinet, avocat � Nancy, entreprit de renverser la doctrine nouvelle, et le fit avec bonheur dans la forme la plus simple et le style le plus modeste. Son factum, devenu c�l�bre, imprim� � Ville-sur-Illon en 1680, simulait une conf�rence sur le sujet en discussion entre un th�ologien, un jurisconsulte et un homme d'�tat. La question, en effet, n�cessitait un examen � ces trois points de vue; trait�e avec pr�cision et clart�, elle eut le sort de toutes les propositions r�gies par la raison : elle resta sans r�plique. Le pr�lat vaincu se h�ta de se taire, ses satellites ne montr�rent plus d'ardeur que pour retirer, � sa demande, les exemplaires de sa lettre malencontreuse, et le calme, en rentrant dans les consciences timor�es, fit sortir de nouveau, sans p�ch�, l'argent des coffres-forts.
Mais un second et plus �clatant triomphe �tait r�serv� � une oeuvre de logique et de courage. Vingt-trois ann�es avaient pass� paisibles, sans que l'�v�que ni son successeur,
M. Thiard de Bissy, eussent t�moign� un instant qu'il y all�t du salut de leurs dioc�sains, lorsque ce dernier, le 23 septembre 1 703, lan�a dans le public �tonn� un mandement destin� � condamner le libelle artificieux d�j� parvenu � sa seconde �dition. La sainte col�re du comte de Toul, devenu conseiller du roi en ses conseils, n'avait pas le moins du monde pour cause le factum de l'avocat lorrain ; celui-ci �tant mort avec la consolation du succ�s de sa bonne action, il n'y avait plus � redouter une nouvelle �mission de sa doctrine redout�e. Mais, comme on l'a d�j� vu, le sage L�opold n'avait pas voulu partager avec le prince de l'�glise une autorit� qu'il lui e�t �t� bien doux d'envahir. Il n'en fallait pas davantage pour qu'il s'�lev�t contre lui et qu'il pr�t en main les armes de sa milice, qui,
� son dire, ���quoiqu'elles ne fussent point charnelles, n'�taient pas moins puissantes en Dieu pour renverser tout ce qui s'�levait contre la science du salut. �
Ce mandement, introduit dans tous les couvents, lu � tous les pr�nes, insinu� dans tous les confessionnaux, souleva de nouveau et plus violemment la temp�te de 1680, si merveilleusement apais�e par l'avocat de la Lorraine. Les passions, int�ress�es � renverser l'usage, s'agit�rent encore avec trop de fruit ; mais la justice, cette fois, prit un parti qui devait les d�concerter. Le 15 octobre, le Parlement, recevant par son procureur g�n�ral r�v�lation officielle des vues ambitieuses et des efforts bl�mables du t�m�raire pontife, couronna son r�quisitoire d'un arr�t conforme qui pronon�a la nullit� de l'acte ill�gal dudit sieur �v�que.
Cette condamnation solennelle ne pouvait arr�ter des disciples fa�onn�s au d�vouement z�l� des corporations.
Les chaires et les confessionnaux retentirent de nouveaux anath�mes contre le mutuum int�ress�. Point d'absolution contre les rentiers, m�me pour les tuteurs pla�ant les deniers de leurs pupilles, ni pour les propri�taires louant leurs animaux � partage de fruit. Un j�suite, le p�re JeanJoseph Petitdidier, pr�chant devant le duc, osa prendre pour texte de son sermon l'ill�galit� des contrats � int�r�t, contestant m�me au prince le droit de les autoriser. Mais cette question, tranch�e par les ordonnances, par la Cour et par le bon sens public, demeura toujours l�galement r�solue en faveur de l'usage lorrain, qui n'autorisa jamais, comme nous l'avons dit, l'abus que des gens sans �me et sans conscience pouvaient faire de leur fortune vis-�-vis des n�cessiteux.
INJURES.
L'injure se divisait en injure ordinaire et injure grave, toutes deux punies, la seconde plus que la premi�re. Ce d�lit, inspir� par de mauvaises passions ou la chaleur du sang, rarement s�par� de la diffamation, entra�na presque toujours avec lui un pr�judice mat�riel difficile � r�parer ; aussi fut-il toujours r�prim� avec soin. Son impunit� n'�tait pas � craindre dans les temps o� le combat judiciaire �tait en honneur, la r�paration �tant � la disposition de l'offens�.
Plus tard, l'injure donna lieu � des querelles qui, entre gens bien �lev�s, se vid�rent � coups d'�p�es, mais qui, entre manants inhabiles aux armes ou de moeurs brutales, ne fut que le signal du pugilat ou d'ignobles guets-apens dont les cons�quences ne s'arr�t�rent pas toujours � l'offenseur ni m�me � sa premi�re g�n�ration.
Les premiers ducs n'oubli�rent pas les dispositions p�nales contre l'injure. Mathieu, qui r�gnait en 1158, disposa ainsi :
���Celui qui appellera une femme p.... ou maq.... apportera preuves, et ce par matrones sages et sages hommes vieux et experts, ou paiera de son argent et avoir 50 sous deniers d'argent. Celui qui insultera son voisin encourra vergogne. �
Cette facult� de justifier la diffamation en prouvant la r�alit� des faits reproch�s caract�rise cette �poque dont la l�gislation semble autoriser chacun en particulier � s'�riger en censeur des moeurs de tous, afin de les maintenir par la crainte d'une publicit� d�shonorante. Ce frein redoutable pouvait �tre avantageux ; il avait moins de danger alors qu'il n'en aurait de nos jours, aid� qu'il serait des abus de la presse, qui propagerait au loin les diffamations et les perp�tuerait par ses caract�res ineffa�ables, tandis qu'autrefois elles ne d�passaient pas l'enceinte des villes.
La loi de Beaumont et les autres chartes � la suite abaiss�rent singuli�rement le taux de la punition ; g�n�ralement, l'injure ordinaire ne valut plus que 5 sous, et l'injure grave
10 sous. Cette diff�rence dans l'�l�vation de la peine s'expliquerait peut-�tre par la valeur de l'argent, si la fixation ant�rieure n'�tait pas, par son exag�ration, une cause d'impunit�.
A cette �poque s'introduisit une diff�rence singuli�re entre les injures prof�r�es par les femmes et celles prof�r�es par les hommes. Il fut dit que la femme qui injurierait une autre femme paierait 5 sous, sinon qu'elle pointerait une pierre � la procession, en pure chemise. La pierre devait peser un demi-cent, et il fallait la porter pendant une certaine partie du trajet, ou bien une ou plusieurs fois autour de l'�glise. A Hattonch�tel, cette injure, suivie de voies de fait, donnait lieu � l'application de la m�me peine pendant dix dimanches. L'expression en pure chemise y est remplac�e par celle en pure tesle (toile) ; dans celle de Bras, en pure cotte (cotillon). Inutile de dire que cette punition, qui ne pouvait tomber que sur les classes les plus mis�rables, tout-�-fait insolvables, devait peu tourner � l'avantage de la procession et n'�tait, au contraire, propre qu'� raviver des haines et exciter des rancunes plus dangereuses que les injures punies.
La coutume de Marsal avait admis un autre exp�dient presque aussi scandaleux :
���Femme appel�e en mati�re d'injures �vite r�paration si son mari d�clare la d�savouer ou soutient judiciairement par serment l'avoir battue, d�clarant sa dite femme avoir eu tort de prononcer telle injure, � charge n�anmoins de l'amende du plaintif et des d�pens. � M. Beaupr� (70) pr�tend qu'� Dieuze la correction maritale s'infligeait en pr�sence du juge. Nous devons dire que nous n'avons trouv� aucune trace de cet usage que cet honorable �crivain all�gue justifi� par des monuments judiciaires du XVII si�cle ; son assertion est toutefois une raison pour nous de ne pas le contester.
Quant aux amendes pour injures, elles furent nombreuses ; il est m�me inou� de dire combien il y avait lieu d'en prononcer chaque ann�e. Si, d'une part, le d�faut d'�ducation et d'instruction les rendait communes, il faut convenir aussi que l'on �tait fort susceptible en ce temps-l�.
Voici quelques exemples d'injures punies ; l'histoire, qui fait un devoir de les rapporter, doit en excuser le scandale :
Tu es une grosse b�te.
J'en porterais ou j'en mangerais deux comme toi.
Tu es de serve condition.
Tu as menti.
Je vaux mieux que toi.
Tu es moins bon que moi.
Je suis aussi bon que toi.
J'ai de meilleurs amis que les tiens.
J'ai de meilleures jambes que les tiennes.
Tu es un bel �talon.
Ta femme a un laid visage.
Tu ne crois pas en Dieu.
Ces propos, assez inoffensifs, entra�naient une amende de 3 � 10 sous.
Les apostrophes suivantes, beaucoup plus sales, n'�taient tax�es que 7 � 8 gros, probablement parce qu'elles �chappaient plus facilement � ceux qui les prof�raient :
P.; maq.; usurier; paillarde ; baveux; pourceau; fils de pr�tre ; mezel; fille de moine; fils du diable.
Si l'on voulait donner plus d'�nergie � l'injure, on y ajoutait le mot sanglant ; ce qualificatif co�tait 20 sous :
Sanglante p. de lit; sanglant m�tin; sanglante pr�tresse; sanglant pourceau; sanglant calicier (voleur de calices); tu en as menti par ta sanglante gorge.
L'usage d'ajouter � l'injure une diffamation, en imputant un fait d�termin�, se rencontrait souvent, surtout en cette forme : Ta femme est une p., j'en ai obtenu ce que j'ai voulu. En 1411, le seigneur Oulriet de Saint-Maurice, ayant dit � Godefroy, seigneur de Gussainville, que sa m�re avait �t� p. pendant trente ans, fut condamn� en 4 fr. d'amende ; c'�tait le prix d'un jour de terre. Quand le propos �quivalent �tait tenu � la femme en pr�sence du mari, il constituait une injure tr�s-grave tax�e d'ordinaire, pour les manants, � 60 sous. En 1468, le mayeur de Courcelles, Thomas Bertrand, fut, pour pareil fait, condamn� � une amende arbitraire qui fut fix�e � un �cu d'or, en raison de sa qualit�.
Dans le m�me genre, un terme de m�pris tr�s-usit� avant le XVIe si�cle, �tait d'imputer aux femmes des relations avec le cur� de leur paroisse ou tel autre du voisinage dont le nom, en ce cas, �tait cit� en toutes lettres : Va te faire chevaucher par un tel, sanglante ribaude de pr�tre !
On en trouve des cas innombrables. Dans le Barrois, cette expression ribaude de pr�tre �tait particuli�rement en usage; en Lorraine, c'�tait p... d'abb�.
Si les premiers exemples d'injures rapport�s plus haut paraissent inoffensifs, en voici un qui t�moigne d'une susceptibilit� bien autrement grande. En 1466, Jehan Charr�e, de Spincourt, porta plainte au pr�v�t d'�tain contre Alexandre, de Rouvre, son neveu, qui, en parlant, lui avait dit : Mon oncle Charr�e, et non pas mon oncle Jehan Charr�e. Des t�moins furent entendus, comme s'il se f�t agi d'une affaire s�rieuse, mais heureusement pour Alexandre, l'oncle chatouilleux ne put prouver cette apostrophe impolie, et paya 2 sous 1/2 pour folie plainte.
Comment concilier cette pruderie avec le laisser-aller de style du pr�v�t de Bar, qui, � l'occasion de dents cass�es, r�dige son jugement dans les termes suivants :
���Jean Varembel, de Bar, condamn� pour avoir ru� une pierre � Nicolas Marlier et � lui rompu trois dents � la gueule. �
Les injures �taient graves aussi quand elles s'adressaient � des officiers publics. Un individu, qui, en 1452, appela pourceau le c�lerier de Bar, fut condamn� � 3 fr.
Un autre, qui, en 1465, r�sista au lieutenant de pr�v�t faisant sa ronde de nuit, paya deux �cus, et en outre garda prison pendant cinq jours en
un fond de fosse. En 1429, Colot Branlart, de Coud�, r�sistant au fermier du domaine, celui-ci, pour l'engager � se mod�rer, lui dit :
���Je suis officier de monseigneur, prends garde � ce que tu diras. - Je dis, riposta l'imprudent, que tu y es un estron. � Il fut condamn� en 20 fr.
En 1340 (71), lors de la querelle entre les chanoines et les magistrats municipaux de Metz, � propos des d�mes, le princier de la cath�drale, Forque Bertrant, se pr�senta devant le conseil assembl�, o�, par arrogance et hautesse, il l'injuria de plusieurs vilonies et �normes paroles, pour quoi il fut condamn� en 40 livres d'amende. Ayant refus� de les payer, on vendit partie de ses meubles.
Deux docteurs du chapitre, Alard de Thiacourt et Gauthier, cuidant, par leur arrogance et haut parler, emp�cher cette entreprise si exorbitante � leurs yeux, accoururent devant
les Treize et, avec grosses villaines injures, les accommenc�rent � reprendre. Cette plaidoirie, qui ne valait pas mieux que celle du princier, les fit condamner � leur tour
� 500 livres. Ayant, comme leur confr�re, refus� de la payer, ils furent bannis pour 61 ans. En vain ils s'adress�rent au pape, qui n'y vit, de la part de la cit� outrag�e, que l'usage l�gitime de ses droits.
La qualit� de l'injuriant �tait quelquefois, en sens contraire, une cause d'indulgence. En 1469, messire Bertrand, cur� d'Ansauville, qui avait appel� baveux Jean Mengin, mayeur du village, ne fut condamn� qu'� 2 sous 1/2.
Le clerg� se montrait cependant plus exigeant pour lui ; � leur entr�e en fonctions, les justiciers de Toul �taient oblig�s de faire serment de punir les injures faites aux eccl�siastiques � l'�gal de celles qui leur seraient faites � eux-m�mes.
La r�sistance et les injures aux magistrats municipaux furent bien plus communes que vis-�-vis des autres fonctionnaires publics; il y avait peu d'audiences sans un �v�nement de ce genre, parce qu'il �tait difficile aux habitants de se d�pouiller de toute familiarit� envers celui qu'ils avaient rencontr� la veille au cabaret ou � la charrue (72). Il n'en �tait pas de m�me � l'�gard des autres officiers et magistrats, dont, en g�n�ral d'ailleurs, la morgue exag�r�e pr�tendait tenir les justiciables � une distance injurieuse. On sait que le chef de la compagnie n'allait � l'audience qu'escort� d'un huissier, traversant ainsi les rues en costume et qu�tant des r�v�rences. Ceux que leur m�rite et leurs qualit�s faisaient estimer n'avaient pas besoin de commander le respect et les politesses, on s'empressait de les leur prodiguer; ceux qui, au contraire, suivant l'usage ordinaire, en m�ritaient le moins, voulaient en avoir le plus ; de l� des lazzis publics qui s'augmentaient de tout ce que tentaient les haines priv�es, contre lesquelles le magistrat restait quelquefois impuissant.
Les archives du Parlement nous ont conserv� un exemple de pers�v�rance d'injure qui peut �tre consid�r� comme un type du genre : S�bastien Hazard, barbier � Darney, avait depuis longues ann�es la direction de la perruque monumentale de messire Emmanuel-Bernard Petit, �cuyer, seigneur de Raincourt et de Marquelong, conseiller du roi et lieutenant-g�n�ral au bailliage. Il �tait fier d'une confiance qui en commandait d'autres, lorsque tout � coup, par un motif qui nous est inconnu, l'imprudent magistrat prit un autre Figaro. Il n'avait pas calcul� l'�tendue du danger de cette action, qui allait faire de sa vie un long martyre; �coutons ses dol�ances :
���Ce particulier, enhardi par l'impunit�, aggrave ses insultes et pousse les choses jusqu'au point de nous braver dans nos fonctions, lorsque nous sommes � la t�te de notre compagnie ou que nous nous rendons en robe � l'auditoire, ce qui devrait au moins lui inspirer du respect pour notre �tat, s'il n'en a point pour notre personne. Ces insultes, sans parler ici des propos qu'il r�pand contre nous, consistent en des actions et des gestes ind�cents, des regards mena�ants. Il nous montre dans la rue son derri�re, en nous faisant signe d'y mettre le nez, ou en faisant d'autres gestes, m�me dans l'�glise, qui d�notent le m�pris et la d�rision. Il affecte des
toussements et crachements suivis quelquefois de l'expression de fi ! en nous fixant. Il nous refuse constamment le salut quand il passe devant nous, lors m�me que nous sommes en robe, pr�c�d� de l'huissier et par cons�quent dans nos fonctions. Derni�rement, lorsque nous sortions de l'auditoire, il affecta, en nous regardant effront�ment, de ne point nous �ter son chapeau et de saluer ensuite profond�ment les autres officiers de la compagnie qui nous suivaient. Derni�rement, il nous regarda en fermant un oeil, et continua ce regard mena�ant jusqu'� ce que nous f�mes � trois ou quatre pas de lui. �
Quelques jours de prison et une r�primande apprirent � ce rancunier � porter plus de respect aux t�tes qu'il avait coiff�es.
DISPUTES, RIXES, COUPS ET BLESSURES.
Des hommes illettr�s, accessibles aux injures, �taient non moins prompts � l'emportement et dispos�s � user de la force pour vider leurs querelles. Nous ne rapporterons pas les d�fenses publi�es pour y mettre un frein, elles sont trop nombreuses. Toutes les chartes qui sont entr�es dans quelques d�tails au sujet de la r�pression se sont principalement attach�es � d�tailler les voies de fait et les blessures punissables, en y appliquant des peines proportionn�es, toujours en argent quand la loi du talion ne pr�domina plus : tant pour un doigt contusionn�, cass�, coup� ; tant pour un oeil ; tant pour un bras, etc. La loi de Beaumont fut la premi�re � y pourvoir, et les justices de tous degr�s s'appliqu�rent � punir les contrevenants, ayant toujours soin d'appliquer une peine plus rigoureuse quand les coupables �taient quelque peu entach�s des vices des vagabonds.
FIN DU PREMIER VOLUME.
(suite)
(51) Proc�s-verbal des conf�rences de l'ordonnance de 1670.
(52) Arr�t du 2 juillet 1718.
(53) L'uniforme �tait jaune, doubl� de m�me, le parement de la manche en panne noire, boutons fa�on d'argent, aiguillettes de soie blanche, bandouli�re en buffle, manteau bleu.
(54) M�moire � l'appui des Remontrances du 27 juin 1758.
(55) Pour profiter de ce privil�ge, beaucoup de bandits avaient soin de se tonsurer entre eux, afin d'invoquer cette fausse marque d'une profession qui pouvait les prot�ger contre les dangers d'un jugement pr�cipit�.
(56) Arch. de Lorraine, Ch�tel, 27.
(57) Coutume de Bar-le-Duc, 3e �dition. Toul, Carez, 1783.
(58) Dictionnaire des Ordonnances.
(59) Leur t�che y sera singuli�rement all�g�e par l'extr�me obligeance de MM. Lepage, �
Nancy, et Marchal, � Bar, aux soins �clair�s desquels elles sont confi�es.
(60) Nomm� D�sandr�. Quelques auteurs l'ont maladroitement confondu avec J.-B. Marchal, qui ne vint que cinquante ans plus tard.
(61) H�tons-nous de dire que le factum publi� � cette occasion par l'accus�e porte qu'elle fut acquitt�e. Ce factum existe dans la pr�cieuse biblioth�que de M. No�l.
(62) V. Dom Calmet, Hist. de Lorraine, vii, cv.
(63) Arch. de Lorraine, F�n�trange, 7,11.
(64) Ces habitudes sont encore celles des populations d'aujourd'hui pour les for�ts de l'�tat, qui, malgr� les progr�s de la vigilance administrative, sont rest�es la proie presque exclusive des d�linquants. Les grands propri�taires, en applaudissant � cette direction de leurs exc�s, en bl�mant la rigueur des emprisonnements, ont contribu� � la maintenir sur ce pied. Mais le temps n'est pas �loign� o� cette morale recevra sa r�compense. Le d�linquant s'aper�oit que le propri�taire marche d�sarm� de l'homme du roi, de l'amende, de la prison, de l'inflexible receveur, exigeant au centuple la valeur du brin coup� ; il le trouve moins redoutable, son bois ne lui semble plus une propri�t� particuli�re, le scrupule s'affaiblit et il vole. Il n'a pas d'excuse ; mais que dire du paysan qui l'imite apr�s avoir vendu l'affouage qu'il a re�u pour ses besoins ?
La gruerie d�fendait ce commerce ; il est vrai qu'elle n'avait pas rendu inaccessible la portion de la veuve en la chargeant, outre mesure, de frais qui seraient faciles � couvrir par une vente pr�alable d'une quotit� de la masse.
(65) Elle existe dans la biblioth�que d'�pinal.
(66) Dans le dioc�se de Verdun, suivant les statuts de l'�v�que Vary de Dommartin, le l�preux allait � l'offrande, o� il baisait les pieds du pr�tre, tandis que les autres assistants lui baisaient la main.
(67) V. son interrogatoire. D. Calmet, Hist. de Lorraine, 7e vol., p. xcxix et p. 99.
(68) M. Michel, Hist. du Parlement de Metz.
(69) Huguenin, p. 32.
(70) Essai historique sur tes coutumes. Nancy, Grimblot, 1845.
(71) Huguenin, Chroniques de Metz.
(72) En 1529, le mayeur de Sommeille, Nicolas Hurel le Vieux, quitta un jour son si�ge pour courir l'�p�e au poing contre son fils, qui lui avait manqu� de respect � l'audience. N�anmoins, pour cet oubli de sa dignit�, le pr�v�t de Bar condamna le p�re � 10 fr. d'amende.
(73) Neveu de Bossuet.
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