Nous avons d�j� �voqu� la cas du chasseur � pied
Charles Vally, d'Herb�viller, fusill�
pour l'exemple � Chacrise le 20 juin 1917.
Le Minist�re de la D�fense ayant tout r�cemment ouvert au grand
public l'acc�s aux dossiers des proc�dures, nous avons regroup�
dans les PDF ci-dessous, diff�rents documents du proc�s et des
demandes en r�vision pour analyser,
pi�ce par pi�ce, les consid�rations judiciaires autour de ce ��
fusill� pour l'exemple �. (seules sont reprises ici des pi�ces
concernant Charles Vally, � savoir 8 pages sur les 16 du dossier
disponible sur le conseil de guerre, et 35 sur les 164 du
dossier en r�vision) |
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Le conseil de guerre
Les minutes du jugement du 12 juin 1917 par le conseil de guerre
de la 77�me division sont surcharg�es des mentions suivantes :
- le 13 juin 1917, Charles Vally se pourvoit en r�vision
(page 1
du PDF) ;
- le 17 juin 1917, ce pourvoi en r�vision est rejet� par
le conseil de guerre (page 1 du PDF) ;
- le 20 juin 1917, le proc�s verbal de l'ex�cution � 5 heures du
matin est port� au dossier (page 1 du PDF)
;
- le 14 d�cembre 1921, il est fait mention de l'amnistie par
d�cision minist�rielle du 13 juin 1921, en application
de l'article 18 de la loi du 29 avril 1921.
(page 2 du PDF). |
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L'�tat civil
(page 3 du PDF) est erron�, puisqu'il indique
Charles Vally �� c�libataire � : or, il s'est mari� juste avant
la guerre.
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Le jugement du 12 juin 1917 se r�sume en deux questions
(page 4)
: �� 1� Le nomm� Vally Charles, chasseur clairon � la 8�me
compagnie du 60�me Bataillon de Chasseurs � pied, est-il
coupable d'avoir le 4 juin 1917, sur le territoire de la Commune
de Soupir (Aisne) refus� d'ob�ir � l'ordre qui lui �tait donn�
par ses Chefs : le Ss Lieutenant Nybelen, l'Adjudant Harant, les
sergents Renaud, Barret et Feutry, qui lui commandaient de se
porter en soutien � la tranch�e Brody (7e ligne) en vue d'une
attaque fran�aise qui devait avoir lieu ? 2e question : Ledit refus d'ob�issance a-t-il eu lieu en
pr�sence de l'ennemi ? � Les r�ponses des cinq membres du conseil sont courtes
(page 6) : �� Le conseil de guerre d�clare 1� A l'unanimit� des voix, Charles Vally est coupable 2� A l'unanimit� des voix, Oui � Et
�� En cons�quence, le conseil 1� condamne le chasseur Vally
susqualifi�, � l'unanimit� des voix, � la peine de mort avec
d�gradation militaire, par application de l'article 218 du code
de justice militaire � La question n� 2 permet en effet l'application du premier alin�a,
le plus s�v�re, de l'article 218 : �� Art. 218. Est puni de mort avec d�gradation militaire tout
militaire qui refuse d'ob�ir, lorsqu'il est command� pour
marcher contre l'ennemi, ou pour tout autre service ordonn� par
son chef en pr�sence de l'ennemi ou de rebelles arm�s. Si, hors le cas pr�vu par le paragraphe pr�c�dent, la
d�sob�issance a eu lieu sur un territoire en �tat de guerre ou
de si�ge, la peine est de cinq ans � dix ans de travaux publics,
ou, si le coupable est, officier, de la destitution, avec
emprisonnement de deux � cinq ans. Dans tous les autres cas, la peine est celle de l'emprisonnement
d'un an � deux ans, ou si le coupable est officier, celle de la
destitution. �
Mais le refus d'ob�issance de Charles Vally a t-il eu
lieu �� en pr�sence de l'ennemi � ?
La plupart des pi�ces compl�mentaires au proc�s du 12 juin 1917
ont �t� reclass�s dans le dossier �� Conseil de r�vision �.
Les demandes en r�vision (et compl�ments du conseil de guerre).
- la liste des t�moins
(page 1) ne mentionne �trangement pas
les sergents Renaud et Feutry, pourtant cit�s dans le jugement.
Il semble que ces deux t�moins n'aient pas �t� entendus.
A compter de la page 2, les pi�ces de ce dossier sont rang�es en
ordre chronologiquement inverse. |
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la page 3 indique que le 22 d�cembre 1931, le garde des sceaux
a rejet� la demande en r�vision form�e par Mme Veuve Charles Vally
en faveur de son mari. Le rapport de l'officier de justice
militaire (page 4), s'appuie sur une phrase du t�moignage du
sous-lieutenant Nybelen (affirmant que Charles Vally �tait �� le
grand orateur de la bande �), et rejette le t�moignages des
anciens chasseurs Jean-Louis Didierjean, Paul Barrette et
Charles Mathieu, comme insignifiants, avec cette curieuse
annotation qui n'apparait qu'ici dans le dossier �� Ils ne
confirment pas, en particulier, que Vally aurait �t� victime
d'une vengeance de grad�, par suite d'une jalousie de femme �
Le courrier de Mme Clavery, veuve Vally
(page 9) est surprenant :
il semble en effet qu'elle ait ignor� tant le lieu, que le n� du
r�giment, et la date de l'ex�cution puisqu'elle �crit faussement
�� mon mari, le soldat Vally, du 20�me chasseurs � pied, a �t�
fusill� � Chagris (Aisne) en mille neuf cent seize �.
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Le bordereau de la page 10 montre qu'une demande en r�vision
avait d�j� �t� introduite en 1925 par le p�re de Charles Vally,
et rejet�e le 19 ao�t 1925. Les pages 11 � 15 constituent le
rapport o� �� il n'apparait pas [...] qu'une action en r�vision
tendant � faire �tablit l'innocence de Vally puisse �tre
intent�e devant la juridiction comp�tente �. Et ce rapport de
1925 pr�sente le r�sum� suivant :
�� 19 chasseurs appartenant �
la 3e et 4e sections refus�rent de monter � la tranch�e Broddy.
Parmi eux se faisait remarquer le chasseur Vally. Ce dernier
protestait disant �� qu'il voulait du repos et des permissions,
que la 9e Cie refusait de marcher �, et entrainait ses camarades
� la d�sob�issance. Ce chasseur avait d�j� pris une part active aux deux
manifestations du 1er et 2 juin 1917. Esprit indisciplin�, tr�s renferm�, il jouissait sur ses
camarades d'un ascendant qu'il employait mal. il tenait
quelquefois des propos anarchistes, mais aux tranch�es et au
feu, il faisait assez bien son devoir. Note : l'Etat signal�tique et des services mentionne une
citation � l'ordre du bataillon du 3 novembre 1916 [...]�. Tous ces �l�ments ne sont que la simple reprise des propos du
capitaine Daigney (pages 34 et 35, discut�es plus bas).
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La page 18 est encore plus int�ressante : elle montre que le 30
juin 1925, le minist�re de la guerre - s'interroge sur la
raison pour laquelle seuls 6 soldats sont pass�s en conseil
de guerre, alors que 19 avaient refus� d'ob�ir, - et demande s'il y a pas eu tirage au sort ! On notera ce
questionnement ne porte pas ici sur le fait que seul 2 des 6
accus�s aient �t� fusill�s, mais sur le choix de ces 6 accus�s
parmi les 19 coupables. La r�ponse du capitaine Daigney est surprenante :
�� la
d�signation de ceux-ci fut faite en tenant compte de leur
attitude, de la violence de leurs protestations, de l'influence
qu'ils avaient pu exercer sur leurs camarades en tant que
meneurs, en un mot de leur plus grande culpabilit� �. Le
lieutenant Nybelen ajoute qu'il fut fait une �� d�signation des
plus coupables �, et le chef de bataillon Bellecul�e que leur
d�signation �� a toujours r�sult� des faits qui lui �taient
signal�es �. Daigney et Bellecul�e n'�tant pas t�moins directs, c'est donc
sur le seul t�moignage du sous-lieutenant Nybelen que la
s�lection a �t� effectu�e, sans recourir � la justice pour
d�terminer tant la culpabilit� de 6 soldats, que l'innocence de 13 soldats ayant
pourtant aussi refus� de marcher.
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Le minist�re de la guerre
ne soul�ve cependant pas l'essentielle question n� 2, sur le
refus d'ob�issance de Charles Vally �� en pr�sence de l'ennemi �.
Car c'est bien � l'arri�re, dans les cantonnements, que le
refus a eu lieu, et l'alin�a 2 de l'article 218 du code de
justice militaire ne pr�voit � ce titre qu'une peine de 5 �
10 ans de travaux forc�s.
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Les pages 22 � 24 pr�sentent le premier refus du conseil de
r�vision, saisi le 13 juin 1917 par les 6 soldats condamn�s �
mort le 12 juin. Elles montrent que l'affirmation lors du rejet
de 1925 (page 19) �� la mise en jugement directe des accus�s a
fait l'objet d'une enqu�te pr�alable � est tendancieuse : en
effet, le rejet du premier moyen (absence d'information au
corps) en 1917 s'appuie sur l'article 156 du code de justice
militaire (�� Art. 156. Aux arm�es, dans les circonscriptions
territoriales en �tat de guerre et dans les places de guerre
assi�g�es ou investies, l'accus� peut �tre traduit directement,
et sans instruction pr�alable, devant le conseil de guerre. �).
Il n'y a donc effectivement pas eu �� d'instruction pr�alable �,
mais une simple �� enqu�te pr�alable �, ce qui recouvre des
notions bien diff�rentes... Si le conseil de r�vision de 1917 est unanime dans ce rejet du
premier moyen, il en va autrement pour le second, qui soul�ve la
formulation trop g�n�rale de la question unique pos�e pour
chaque accus�e le 12 juin (voir ci dessus : �� 1� Le nomm�
[...], est-il coupable d'avoir le 4 juin 1917, [...] �) : ce n'est
qu'� trois voix contre deux que le moyen est rejet�. Ces r�ticences de
deux juges montrent que le sort des accus�s s'est effectivement
jou� sans instruction, sur une unique question � laquelle il a
�t� simplement r�pondu �� Oui �.
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A compter de la page 26, on trouve les notes prises lors de
l'audience du 12 juin 1917. Une seule question du pr�sident, et une seule r�ponse de Charles
Vally : �� nous n'avons pas refus� d'ob�ir � Puis vient la d�position du Sous-lieutenant Nybelen avec cette
phrase unique contre Vally qui sera reprise dans l'expos� de
1931 �� Vally, c'�tait le grand orateur de la bande. J'ai du
discuter au moins un quart d'heure avec lui, j'ai peut-�tre eu
tort, en tous cas il n'a pas ob�i � Puis c'est au tour de l'adjudant Harand :
�� Je me suis adress� � Vally et lui ai donn� l'ordre de se pr�parer pour monter, il m'a
refus� d'ob�ir �, � quoi Vally r�pond : �� je n'ai pas re�u
l'ordre de me mettre en tenue �. Puis Harand ajoute : �� Il a
m�me ajout� en excitant les autres : �� la 9�me compagnie ne
marche pas, nous refusons aussi de marcher � � Le sergent Barret d�pose :
�� le lieutenant est venu dire en
tenue � onze heures, personne n'a boug� �. Il est dommage que ce
t�moignage n'ait pas �t� plus d�velopp�, ne serait-ce que sur le
sens de �� personne � : en effet les t�moins suivants, le caporal
Mathieu, le chasseur Rivi�re et le chasseur Martinet, ne peuvent
t�moigner de rien... pr�cis�ment parce qu'ils sont all� se
mettre en tenue et se sont ensuite mis en marche, ce qui montre
que la grande majorit� de la 8�me compagnie est mont�e en ligne (en
janvier 1917, la 8�me compagnie comprenait 13 officiers et 165
hommes) ; l'�� ascendant � de Charles Vally sur ses camarades, si
ascendant il y eut, a donc �t� fort limit�...
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Les pages 30 � 33 regroupent les documents sur les ant�c�dents
de Charles Vally : aucun casier judiciaire, un relev� de
punition qui indique en quatre ann�es de services un unique retard de
1 h 55 (le 24 juillet 1914, avant m�me la d�claration de guerre)
; voil� qui est loin de d�montrer �� l'esprit indisciplin� �
qui
vaudra le rejet des r�visions, et ce d'autant que les �tats de
services mentionnent une citation � l'ordre du bataillon et la
croix de guerre. On notera aussi que ces �tats de services,
dress�s le 7 juin 1917 ne mentionnent pas son mariage...
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Les pages 34 et 35 contiennent le rapport du 6 juin 1917 du
capitaine Daigney, avec les propos tr�s � charge qui seront
repris jusqu'en 1931, et l'avis du commandant Bell�cul�e, qui
cite des dires de Harand et Nybelen non exprim�s ult�rieurement
devant le conseil de guerre.
Le capitaine �crit que �� la 8�me
compagnie [...] �tait en r�serve aux quartiers aux grandes
carri�res �, et que la mission �tait de �� s'opposer �
l'avance allemande dans le cas o� nos lignes seraient
enfonc�es �. S'il demande l'application de l'article 218
du code de justice militaire, il n'�voque en rien la
�� pr�sence de l'ennemi �, mais d�montre au contraire
que les faits de d�sob�issance se sont produits � l'arri�re.
Personne ne semble avoir soulev� ce point lors du proc�s et
des demandes de r�vision : il est pourtant fondamental !
Il ressort de tout ce dossier une impression de proc�dure
rapide, voire b�cl�e, avec fausse application de l'article 218
du code de justice militaire. Le capitaine Daigney donne peut �tre une explication lorsqu'il
pr�cise que Vally �� avait d�j� pris une part active aux
manifestations du 1er et du 2 juin 1917 �. Car il faut rappeler
que le Journal de Marches et Op�rations du 60�me Bataillon de
Chasseurs � Pied indique � la date du 1er juin :
�� Une partie des caporaux et des chasseurs du Bataillon prend part � une
manifestation ayant pour but de r�clamer repos et permissions.
A 16 heures, ces manifestants, peu bruyants d'ailleurs, se rendent en colonne � Bl�rancourt puis sous l'intervention d'officiers du Bon regagnent
sans tumulte le Cantt de Bl�rancourdelle � Charles Vally, et le second fusill� du 20 juin 1917, le chasseur
Louis Flourac, ont ils �t� sacrifi�s pour mettre un terme aux
protestations (�� peu bruyants � et �� sans tumulte �) des soldats
�puis�s, et permettre � leurs chefs de r�affirmer rapidement leur autorit�
d�faillante ? ... chefs qui ont eux-m�mes effectu� un tri parmi
les 19 chasseurs ayant refus� de marcher, pour n'en retenir que
6 sur des crit�res apparemment ext�rieurs aux seuls �v�nements
du 4 juin 1917.
On ne peut aussi que s'�tonner de l'extr�me urgence dans
laquelle le dossier a �t� trait� : faits du 4 juin, demande de
passage en conseil de guerre le 6, renvoi au conseil le 10,
proc�s le 12, rejet de r�vision le 13, et ex�cution le 20 juin.
Mais au del� de ce qui apparait comme des condamnations extr�mes
sur un dossier bien fragile, une question demeure : pourquoi
Vally et Flourac ont-ils �t� ex�cut�s d�s le 20 juin 1917, et non Li�nard, Gauthier, Chauveau, et Chevallier, condamn�s lors de ce
m�me conseil de guerre du 12 juin, dont les demandes en
r�vision ont aussi �t� rejet�es le 13, et dont pourtant les peines
seront commu�es en travaux forc�s le 23 juillet 1917 seulement ?
Est-ce parce que les ex�cutions ont �t� simplement organis�es
dans l'ordre strict de pr�sentation des accus�s lors du
proc�s (Vally portant le n� 1, Flourac le n� 2), et que
l'Etat-major ayant consid�r� ces �� exemples � comme suffisants, a
d�cid� de mettre un terme aux quatre ex�cutions en attente ?
On voit au final que le dossier du soldat Charles Vally est caract�ristique d'une
proc�dure h�tive et aveugle qui repose sur un dossier relativement vide, et
on peut regretter qu'en 1925 et 1931, les demandes en r�vision
n'aient pas m�me �t� accueillies, comme si l'amnistie de 1921
suffisait � compenser l'iniquit�...
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