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L'arbre : bulletin
officiel de la Soci�t� foresti�re
Octobre-Novembre-D�cembre 1905
Excursion foresti�re de la
Section Lorraine, � Bl�mont (Meurthe et Moselle), 12 ao�t 1905.
- Une f�e bienfaisante prot�ge manifestement la jeune et
florissante Section Lorraine des Amis des Arbres. Le 12 ao�t
1905, elle se donnait rendez-vous � la ferme de la Grande-Haye,
arrondissement de Lun�ville, territoire de Nonhigny, � 8
kilom�tres de Bl�mont, 4 kilom�tres de Cirey-sur-Vesouze (o�
habita Voltaire). Ladite propri�t� appartient � M Fr�d�ric d'Hausen,
propri�taire-sylviculteur, r�sidant au ch�teau de Sainte-Marie,
pr�s Bl�mont.
D�s leur arriv�e en gare de celle derni�re ville, les
excursionnistes venus en grand nombre de Meurthe-et-Moselle, de
la Meuse, des Vosges, r�unis � leurs coll�gues de la r�gion,
prennent place dans des tapissi�res mises gracieusement � leur
disposition pour se rendre � la Grande Haye, ferme d'un seul
tenant de 111 hectares et dont M. d'Hausen s'occupe avec
beaucoup de z�le. Ce domaine �tait autrefois un si�ge de haute
justice seigneuriale.
Cette vaste propri�t�, situ�e sur les terres calco-siliceuses
plut�t l�g�res, qui marquent la transition entre le sol calcaire
et le gr�s bigarr� des communes voisines, s'est montr�e, pendant
de longues ann�es d'une exploitation difficile, sinon ruineuse
pour le fermier et d'un rendement faible, ou m�me nul pour le
propri�taire. Quelques essais de plantations effectu�es d�s 1830
et 1840, prouv�rent que le sol ingrat, au point de vue agricole
proprement dit, avait une valeur de premier ordre au point de
vue forestier.
Successivement, � partir de 1862, la plus grande partie des
terres et pr�s de la ferme furent plant�s en diverses essences,
parmi lesquelles dominent l'�pic�a, le bouleau et le pin
sylvestre. Aujourd'hui, la propri�t� est d�finitivement
constitu�e sous sa nouvelle forme et comprend: 10 hectares de
pr�s, oseraies, jardins, champs, maisons, etc., et 101 hectares
de plantations ayant de 5 � 73 ans.
Les plantations sont divis�es en coupes limit�es par des lignes
et des tranch�es qui en rendent le parcours et l'examen faciles.
Il y a 25 coupes de vieux et jeunes bois. Le terrain est
absolument plat.
Le principal b�timent de l'ancienne ferme sert aujourd'hui de
maison de garde et de rendez-vous de chasse. Sauf une chapelle,
but d'un p�lerinage tr�s suivi, les autres b�timents ont �t�
ras�s et ont fourni l'empierrement du chemin d'acc�s. Il en a
�t� de m�me du moulin. Le cours d'eau est utilis� pour
l'irrigation des pr�s. Une autre plantation de 10 � 15 ans
contenant 25 hectares, faite partie par M. d'Hausen (chasse),
partie par la commune deNonhigny, sur des terrains communaux
appartenant � celle-ci, est contig�e � la propri�t� de la Grande
Haye.
Le temps est � souhait ; de l�gers nuages courent en se jouant
dans l'atmosph�re et forment �cran contre les rayons d'un soleil
caniculaire; la temp�rature s�n�galienne des jours pr�c�dents
est rafra�chie par suite de l'orage du 10 courant ; tout
concourt donc � faire na�tre et � entretenir une franche gaiet�
parmi les nombreux soci�taires. Il est � constater que la
r�union d'hommes venus de points diff�rents, mais poursuivant le
m�me but utilitaire d�gage comme un parfum subtil, une substance
�th�r�e qui, � l'insu, p�n�tre par tous les pores de l'individu
et le rend plus l�ger, plus communicatif le galvanise en un mot
: son �me s'�motionne plus facilement, et � ce moment m�me il
contemple d'un oeil tout diff�rent les beaut�s de dame Nature.
Les villages de Harbouey et Nonhigny sont travers�s rapidement;
c'est plaisir de voir l'�tonnement des habitants en voyant
d�filer cette longue caravane de voitures !... Un chemin
particulier donne acc�s � la propri�t� et aussit�t le pont du
Vacon franchi, ou suit, en ligne droite, sur une longueur
d'environ 300 m�tres, une large avenue bord�e de vigoureux
bouleaux et de sveltes peupliers avec leurs hautes silhouettes.
On arrive alors sur le perron de la ferme, vaste b�timent rural
au mill�sime de 1791 o� l'on trouve plusieurs soci�taires venus
des environs. M. d'Hausen donne une cordiale poign�e de main �
chacun des excursionnistes, et, accompagn� de notre sympathique
Pr�sident, M. Ren� Claude et de M. Paul Martin, fondateur, il
nous conduit dans le vaste massif forestier, tenant en main le
plan tr�s d�taill� des plantations.
A droite d'une large tranch�e qui s�pare deux parties bois�es �
des �poques diff�rentes nous explorons d'abord un boisement en
pins sylvestres de 33 ans d'�ge et d'un aspect splendide. Le
sous-�tage est form� de jolis petits sapins noirs des Vosges
d'une belle venue : de l� nous passons dans une partie du m�me
�ge complant�e en bouleaux et h�tres de superbe allure, puis,
traversant cette
tranch�e, nous explorons une partie plus �g�e garnie d'�pic�as
et de bouleaux d'une hauteur � donner le vertige, et
certainement plusieurs excursionnistes n'ont �chapp� au
torticolis qu'en renon�ant � fixer la cime de ces beaux arbres �
�corces lisses; les souches de leurs cong�n�res exploit�s �
titre d'�claircie attestent d�j� des produits largement
r�mun�rateurs. Pendant 2 heures et demie pass�es � parcourir
cette vaste et riche plantation, personne n'a trouv� moyen de
placer une critique et cependant il y avait l� des connaisseurs.
Dans une partie de 2 hectares qui a 75 ans d'�ge forestier, on a
sp�cialement examin� et contempl� des sapins noirs des Vosges
d'une hauteur moyenne de 25 � 30 m�tres et d'un contour
proportionnel; des milliers de leurs descendants v�g�tent autour
de ces rois de la for�t et serviront � repeupler les parties
environnantes. Remarqu� surtout une plantation en mottes de
forts �pic�as de 5 ans d'�ge et qui ont des pousses de 0 m. 70 �
0m. 80. Ces splendides futaies reposant sur un sol autrefois
ingrat attestent que l'on peut tirer parti des plus mauvaises
terres et sont aux yeux �merveill�s du fureteur curieux une
le�on de choses dont chaque soci�taire peut tirer parti � son
point de vue personnel. La reconnaissance publique doit �tre
acquise aux hommes laborieux que rien ne rebute dans l'op�ration
lente, parfois difficile et toujours co�teuse du reboisement.
En parcourant ces vastes �tendues aujourd'hui si riches d'avenir
l'homme positif, l'homme d'argent y trouve son compte; le
contemplatif est l� dans son milieu car, tenant du Gaulois, par
atavisme, ces f�ts �lanc�s lui rappellent les anciennes for�ts
dans lesquelles ses a�eux, sous la direction des Druides,
adoraient les divinit�s ancestrales ; le philosophe peut y r�ver
avec bonheur et caresser voluptueusement son id�al sous la
ramure feuillue; le statisticien avec ses chiffres arides mais
r�els, calcule m�ticuleusement les r�sultats futurs au point de
vue de la richesse nationale ; les Nemrods contemporains
attendent impatiemment la date de l'arr�t� pr�fectoral pour y
faire des h�catombes de gibier; et l'homme d'�ge m�r qui �crit
ces lignes, se rappelant avec pr�cision qu'il a travers� cette
propri�t� il y a 49 ans � pareil jour et 39 ans � la m�me �poque
(sentier de Cirey), est v�ritablement ahuri et ne peut plus
s'orienter dans ces massifs fourr�s et ces hautes futaies o� le
bouleau surtout atteint des dimensions hors de pair. Quel
changement ! Et dire que dans 60 ans le tout sera une belle
sapini�re car les essences actuelles ne sont que transitoires !
Enfin vers midi et demie M. d'Hausen qui n'a cess� de donner �
tous, avec une franchise parfaite, les renseignements demand�s,
trouve moyen, tout en longeant le Vacon bord� d'aulnes au
feuillage d'un vert intense, de nous ramener au g�te par un
sentier qui traverse la prairie attenant � la ferme. On visite
la chapelle rustique qui est tr�s proprette ; puis la cloche
lance dans le lointain ses notes harmonieuses. C'est le signal
du banquet pr�par� dans la grande salle du premier �tage de la
maison de ferme, et pr�sid� par M. d'Hausen. Le menu, pr�par�
par un cordon bleu, ne laisse rien � d�sirer. Les senteurs et
les ar�mes p�n�trants de la for�t ont aiguis� l'app�tit, et les
convives font honneur aux mets succulents.
Au dessert, M. Ren� Claude, pr�sident porte un toast de
f�licitations et de remerciements bien m�rit�s � notre g�n�reux
amphitryon. Il rappelle que M. Adrian a dirig� la majeure partie
de ces reboisements, et parle ensuite de l'oeuvre bienfaisante,
utile et de plus en plus prosp�re que poursuit notre Soci�t�.
Parmi les convives on remarque MM. Ren� Claude, pr�sident; Paul
Martin, secr�taire g�n�ral; A. George, tr�sorier; Paul George,
secr�taire adjoint; Hast � Saint-Mihiel; Barth�l�my � Waldscheid;
Rouyer-Turlat, p�pini�riste � Neufchateau; Jacquemot-Deshayes,
maire de Vaux-les-Palameix (Meuse); Mila, commandant en retraite
� St-Mihiel; Japiot, notaire � St-Mihiel: Derque, garde g�n�ral
des for�ts � Cirey; Mme Pardieu, M. Pardieu � Lahayville
(Meuse); G�rard � Nancy; A. Millier, p�pini�riste � Nancy; Dr
Baseil � Frouard; Bonne, forestier � Nancy; Dr Contal � Bl�nod-les-TouI;
A. Cl�ment � Toul; Simonin � Charmes-la-C�te; Adrien, r�gisseur
forestier � Bl�mont; Guise � Emberm�nil; de Rozi�res, conseiller
g�n�ral � Mirecourt; Drouot, brigadier des eaux et for�ts �
Rarnbervillers; Henriet, instituteur � Vacqueville; Dr Sibille �
Epinal; A. Remy, maire de Crantenoy; Pernot du Breuil �
Mirecourt ; Laurent a�n�, p�pini�riste � Rosi�res-aux Salines;
Trarbach � Baccarat; Joly Rochefort � Gerb�viller; Valentin �
Vacqueville; Baland, instituteur � Og�viller, etc., etc
Mais l'heure du d�part sonne et l'on se s�pare apr�s avoir
�chang� de. cordiales poign�es de mains. Belle, r�confortable et
inoubliable journ�e, que nous devons � M. d'Hausen; nous la
marquerons tous d'une pierre blanche. La Section Lorraine, qui
compte dans son sein tant d'hommes �clair�s, amis du progr�s,
organisera l'ann�e prochaine, il faut l'esp�rer, une r�union
aussi int�ressante; c'est le voeu le plus ardent du soussign�.
HENRIET,
instituteur � Vacqueville (Meurthe-et-Moselle).
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