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Recueil de m�decine v�t�rinaire.
Tome LXXXVII - n� 23
15 d�cembre 1910.
VARI�T�S
Le cinquantenaire professionnel de C�lestin Mangenot.
Une famille de v�t�rinaires lorrains (1).
Mes chers confr�res,
Sur ma proposition, vous aviez bien voulu accepter, � notre
derni�re r�union, de f�ter dignement, � notre assembl�e
d'aujourd'hui, le cinquantenaire de notre doyen de la Soci�t�,
M. C�lestin Mangenot. Et vous aviez aussit�t d�sign� une
commission de trois membres : Marange, Charbonnier et Dieudonn�,
charg�e d'�tudier les voies et moyens de r�aliser cette
proposition.
Quelques jours apr�s, cette commission se mettait � l'oeuvre.
Sachant, d'autre part, les services qu'avait rendus M. Mangenot
au comice et surtout au syndicat hippique du comice de
Lun�ville, l'id�e me vint d'associer cette soci�t� � notre
d�monstration, et j'en fis part � son honorable et tr�s
distingu� pr�sident, M. Genay, qui reconnut tout de suite le
bien fond� de notre pens�e et s'empressa d'entrer dans nos vues.
Et ainsi nous esp�rions voir r�unis dans une m�me pens�e de
respectueux hommage, �leveurs et v�t�rinaires, f�ter ensemble,
dans un banquet collectif, le cinquantenaire de l'un des n�tres.
A ce banquet, un objet d'art achet� en commun devait �tre offert
� M. Mangenot. Notre coll�gue Marange l'avait d�j� choisi, comme
pouvant plaire entre tous, car il symbolisait � merveille
l'oeuvre � laquelle s'�tait surtout attach� M. Mangenot et dont
il est le plus fier, cette oeuvre qu'il a la joie de voir
aujourd'hui dans son plein �panouissement, de la r�g�n�ration de
nos chevaux par l'emploi de l'�talon ardennais, dont les
r�sultats sont tels que le syndicat hippique du comice de
Lun�ville est connu de tout le monde fran�ais et �tranger de
l'�levage. Notre ami Marange avait choisi un cheval de trait au
d�marrage, ex�cut� magistralement par l'un des n�tres, artiste �
ses heures, le v�t�rinaire militaire Drappier, Lorrain lui-m�me.
Mais nous avions compt� sans notre h�te. M. Mangenot m'a suppli�
d'abandonner cette manifestation collective, � laquelle,
m'a-t-il dit, il lui aurait �t� impossible d'assister. Elle lui
aurait procur� une �motion telle, qu'�tant donn� l'�tat de son
syst�me nerveux, elle aurait pu lui �tre fatale (2).
Comme telle n'est pas notre intention, qu'au contraire nous
esp�rons bien que M. Mangenot, qu'aucune lourde infirmit�
n'accable, verra na�tre encore de nombreuses g�n�rations
d'Ardennais-Lorrains, l'id�e m'est venue, fa�on non moins digne
de f�ter le cinquantenaire de notre coll�gue, d'�crire, � l'aide
de notes qui m'ont �t� remises, un historique succinct de la
famille v�t�rinaire des Mangenot, famille qui, en cent ans, a
fourni neuf v�t�rinaires en quatre g�n�rations. C'est de ces
neuf v�t�rinaires que je vais vous entretenir. Et ce sera,
n'est-il pas vrai, la meilleure mani�re d'honorer leur m�moire �
tous que de f�ter ainsi le cinquantenaire du Benjamin de la
famille !
PREMI�RE G�N�RATION.
Joseph MANGENOT (1768-1847), n� � Merviller (Meurthe), mar�chal
ferrant au r�giment de Royal-Champagne, entre, en l'an III
(1795), comme �l�ve militaire � l'�cole v�t�rinaire d'Alfort.
Dipl�m� en germinal an VI (1798), il passe dans l'arm�e comme
v�t�rinaire au 195 r�giment de cavalerie ; puis, en 1804, il est
nomm�, en la m�me qualit�, au Haras de Rosi�res-aux-Salines. Cet
�tablissement ayant �t� pris par l'arm�e russe en 1814, il va se
fixer comme v�t�rinaire � Bl�mont et meurt � Baccarat � l'�ge de
quatre-vingts ans. Vers la fin de sa vie, son esprit fut maintes
fois hant� du souvenir, lui paraissant d�sagr�able alors,
d'avoir servi d'escorte, avec son r�giment, au pape amen�
prisonnier en France.
De ses cinq enfants, quatre gar�ons et une fille, trois sont
v�t�rinaires, et la fille �pouse un m�decin. Les v�t�rinaires
sont Joseph, Jeun-Baptiste et �tienne.
DEUXI�ME G�N�RATION A.
L'a�n�, qui porte le m�me pr�nom (Joseph) que son p�re, est n� �
Vacqueville en l'an XI (1803) ; il a �t� dipl�m�
mar�chal-v�t�rinaire � Alfort en 1822, soit � l'�ge de dix-neuf
ans. A sa sortie de l'�cole, il se fixa � Sarrebourg, ville dont
il fut maire, puis conseiller g�n�ral. Il mourut en 1884, la
trousse � la main, � l'�ge de quatre-vingt-un ans. On
l'appelait, et pour cause, le patriarche de Sarrebourg. Il eut
en effet huit enfants : deux filles et six gar�ons.
TROISI�ME G�N�RATION A.
L'une des filles �pouse un v�t�rinaire : Auguste Poirson, n� �
Sarrebourg en 1848, mort en 1909. Dipl�m� � Alfort en 1869.
Entr� au service � la d�claration de guerre, il est fait
prisonnier et emmen� en captivit� en Allemagne. V�t�rinaire �
Rambervillers, il y exerce sa profession jusqu'� sa mort,
regrettant de ne pas avoir un fils pour en faire un v�t�rinaire
de la quatri�me g�n�ration. On l'appelait dans la famille ��
l'h�ritier pr�somptif de la trousse �, car il �tait
arri�re-petit-fils, petit-fils, fils, gendre, neveu et cousin de
v�t�rinaires.
Les trois a�n�s des gar�ons sont v�t�rinaires; des trois autres,
un est m�decin, un pharmacien, et la fille du sixi�me,
commandant d'artillerie, �pouse un m�decin. A noter que ce
commandant avait �t� refus� deux fois � Alfort et qu'il �tait
capitaine longtemps avant que ceux qui auraient �t� ses
camarades de. promotion d'Alfort aient eu leur deuxi�me galon.
Les trois gar�ons v�t�rinaires sont:
L�on, n� � Sarrebourg en 1825, dipl�m� d'Alfort en 1845; vient
se fixer � Sarrebourg o� il meurt en 1898. L'une de ses
petites-filles �pouse un m�decin. En 1884, j'ai eu le plaisir
d'apprendre � L�on, venu tout expr�s � Vic m�me, � vacciner les
porcs contre le rouget.
Victor, n� � Sarrebourg en 1829. Dipl�m� � Alfort en 1851. Il
s'�tablit � Dieuze, puis vient, se fixer � Nancy, apr�s
l'annexion de la Lorraine � l'empire allemand. Il meurt en 1889.
Il fut le condisciple de mon p�re � Alfort. Ils s'y trouvaient
ensemble en 1848 au moment o� �clata la r�volution. Les �l�ves
d'Alfort r�pondirent � l'appel des r�publicains et se rendirent
� Paris.
Un jour, je ne sais plus dans quelles circonstances et dans
quelle bagarre (mais j'en ai entendu parler bien souvent par mon
p�re), Victor Mangenot, qui �tait tr�s solide et qu'un jeune
officier voulait arr�ter, empoigna par la taille cet officier
sous son bras, tandis que Joly, de Lun�ville, plus fort encore,
faisait de m�me avec un autre, et tous deux se sauv�rent ainsi
avec leurs fardeaux qui ne leur pesaient pas lourd. Ils
n'all�rent d'ailleurs pas tr�s loin sans doute, car bient�t des
soldats d�livr�rent leurs officiers. Mangenot et Joly furent
emmen�s au poste. Mon p�re, qui �tait des leurs et qui avait pu
�viter d'�tre arr�t� � ce moment en se cachant dans l'encoignure
d'une porte coch�re, eut la f�cheuse id�e, en voyant qu'on ne
les rel�chait pas, d'aller r�clamer ses camarades au poste. On
l'envoya les y rejoindre. Tous trois furent d'ailleurs rel�ch�s
le lendemain.
C�lestin, n� � Sarrebourg en 1839, dipl�m� en 1860. Entre la
m�me ann�e � l'�cole de cavalerie de Saumur. V�t�rinaire
militaire, il donne sa d�mission en 1869 avec l'espoir de
succ�der � son p�re.
Une pleur�sie grave dont il est atteint en 1870 ne lui permet
pas de reprendre du service pendant la guerre, et en 1873 il est
nomm� v�t�rinaire du Haras de Rosi�res-aux-Salines. L'invasion
de l'ennemi qui en avait chass� son grand-p�re l'y ram�ne donc
soixante ans plus tard, car, comme son fr�re Victor, il avait
refus� d'opter pour la nationalit� allemande.
Retrait� en 1900, il se retire � Lun�ville o� il nous conseille
et nous dirige dans la lutte que nous entreprenons en faveur de
la r�g�n�ration de notre �levage par l'�talon ardennais.
Chevalier du M�rite agricole en 1884.
Officier du M�rite agricole en 1892.
Chevalier de la, L�gion d'honneur en 1908.
C'est lui que nous f�tons aujourd'hui.
DEUXl�ME GEN�RATION B.
Jean-Baptiste, n� � Vacqueville en niv�se an XlII (1804).
Dipl�m� � Alfort en 1832. V�t�rinaire militaire, il d�missionne
en 1839 pour se fixer � Bl�mont o� il meurt en 1824.
TROISIEME GENERATION B.
De ses deux fils, l'un est m�decin militaire. Le second, Jules,
dipl�m� d'Alfort en 1875, succ�de d'abord � son p�re � Bl�mont
o� nous l'avons tous connu. Il est actuellement v�t�rinaire
sanitaire � Marseille. Son fils unique est m�decin.
DEUXI�ME G�N�RATION C.
�tienne, n� � Rosi�res en 1811. Entre � Alfort en 1828, mais
s'en fait renvoyer en 1832 et obtient probablement son dipl�me �
Lyon. V�t�rinaire militaire. Meurt en Alg�rie. Les d�tails � son
sujet font d�faut.
De ces neuf v�t�rinaires, quatre ont appartenu ou appartiennent
encore � notre Soci�t�, qui date seulement de 1882.Victor
Mangenot en a �t� le fondateur avec notre toujours jeune et
actif M. Tisserand et Dillet, de Harou�.
Poirson, de Rambervillers, assistait r�guli�rement � nos
r�unions. Il a �t� plusieurs fois notre pr�sident. C�lestin et
Jules Mangenot sont toujours des n�tres.
Joseph Mangenot, le p�re de Victor, L�on et C�lestin, �tait une
figure originale et un esprit distingu�. Il faillit �tre d�port�
au coup d'�tat pour ses id�es r�publicaines. Son nom �tait
inscrit sur les listes de proscription. Comme v�t�rinaire, sa
r�putation tr�s m�rit�e s'�tendait au loin et bien souvent ses
jeunes confr�res, dont fut mon p�re, recoururent � ses lumi�res
pour s'instruire ou se renseigner. C'est lui qui le premier
observa et soutint - je me suis toujours souvenu, quoique
enfant, de le lui avoir entendu rappeler - que tout cheval
atteint de �� jaunisse � - j'emploie � dessein cette expression
des anciens - aurait fatalement la fluxion p�riodique. Nos
jeunes savants de laboratoire ne s'en doutent peut-�tre pas
encore aujourd'hui.
Mes chers confr�res, j'ai tenu simplement � �crire une page
d'histoire v�t�rinaire lorraine. Pour vous la lire, n'est-il pas
vrai, je ne pouvais pas mieux choisir que le jour o� les
v�t�rinaires lorrains �taient appel�s � f�ter le cinquantenaire
d'un des membres de cette lign�e fameuse des Mangenot. Dans le
monde entier, nulle autre famille n'a fourni et ne fournira
peut-�tre autant de v�t�rinaires.
Aussi, et � ce propos, terminerai-je par cette anecdote. Un
jour, un des Mangenot est pr�sent� � un haut personnage par M.
Chevandier de Valdr�me, ancien ministre de l'Int�rieur, et la
pr�sentation est faite en ces termes: �� Monsieur Mangenot, mon
v�t�rinaire; ils sont tous v�t�rinaires dans la famille; quand
ils d�rogent, ils se font m�decins �.
Ils ont en effet bien d�rog� depuis, les Mangenot, car les neuf
v�t�rinaires d'antan sont actuellement remplac�s par sept
docteurs en m�decine dont je vous ai, dans cette �tude, signal�
d�j� quelques-uns. Sic transit familia veterinariorum.
Paul DIEUDONN�.
(1) Notice lue le 16 octobre 1910 � la r�union de la Soci�t� des
v�t�rinaires
lorrains.
(2) Le beau bronze de Drappier n'en a pas moins �t� remis � M.
Mangenot par le bureau de la Soci�t� des v�t�rinaires lorrains
et le bureau du Syndicat hippique de Lun�ville.
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