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L'arrondissement
de Lunéville avant Léopold (1595-1697)
Emile Ambroise
Ed. Lun�ville, 1887
CHAPITRE III.
Pr�v�t�s lorraines. - Le comt� de Bl�mont.
�1er. - Le comt�.
Bl�mont (Blanc-Mont, albus
mons) formait d�s l'�poque m�rovingienne une localit� assez
importante, pour qu'on la trouve mentionn�e � ce titre d�s
l'ann�e 661 ; elle fut toujours le chef-lieu du pays environnant
(pagus albimontis). Son ch�teau remonte probablement aux
premiers temps de la f�odalit�, mais la ville ne fut fortifi�e
qu'en 1361, ce qui donne � penser que c'est vers cette �poque
qu'elle prit quelque d�veloppement comme chef-lieu du comt� qui
porta son nom.
Les domaines de Salm et de Bl�mont appartinrent d'abord � la
m�me famille, sous l'autorit� de l'empereur d'Allemagne. Puis
l'�v�que de Metz acquit la suzerainet� de Bl�mont en 1240, et
d�s lors le comt� constitua un fief d�pendant du temporel des
�v�ques. Avant comme apr�s cette r�union, le lien qui le
rattachait � l'Empire demeura plus nominal que r�el. Les
seigneurs ou comtes de Bl�mont, trop �loign�s de l'Empereur pour
sentir efficacement son autorit�, v�curent � peu pr�s
ind�pendants comme leurs voisins les princes de Salm, ou les
�v�ques de Metz.
Leur puissance s'accrut m�me bient�t aux d�pens de celle de leur
suzerain. Les �v�ques avaient d� confier aux comtes de Bl�mont
la garde ou vouerie de la place de Deneuvre, forteresse et ville
importante qui leur appartenait; mais qui, plac�e trop loin de
la ville �piscopale, et enclav�e dans les possessions du duc de
Lorraine, ne pouvait �tre facilement d�fendue. Le seigneur vou�
acqu�rait, nous le savons, des droits et des pr�rogatives sur la
terre ou la ville dont il avait la garde. Mais quand il �tait
aussi puissant que celui dont il tenait ses pouvoirs, il ne
tardait pas � convoiter pour lui-m�me le domaine qu'il �tait
charg� de d�fendre. C'est ce qui arriva pour Deneuvre. Les
comtes de Bl�mont, � la suite de diverses p�rip�ties, finirent
par devenir les ma�tres du ch�teau et de la ville de Deneuvre.
Possesseurs de deux citadelles et d'une quarantaine de villages,
seigneurs de Mandres-aux-quatre-Tours, vou�s de l'�v�que pour
Vic et Marsal, les comtes de Bl�mont avaient tout ce qu'il
fallait � cette �poque, pour �tre puissants et respect�s. Leurs
domaines formaient un petit �tat plus homog�ne, plus compact,
que la plupart des souverainet�s d'alors, et moins morcel� par
les seigneuries particuli�res que la Lorraine elle-m�me.
Il semble que sous la domination des comtes, le pays n'ait pas
�t� trop maltrait�; ils ont �t� en g�n�ral pacifiques et
bienfaisants. Le ch�teau de Bl�mont, plac� au sommet d'une
colline, dominait de haut la rivi�re et les prairies de la
Vezouse, et de la terrasse de ses tourelles, dont deux qui
subsistent encore, attestent une certaine �l�gance de
construction, le regard embrassait le beau panorama de la cha�ne
des Vosges, de Dabo � Raon. Nul doute que les fiers possesseurs
de cette forteresse n'eussent vu d'un fort mauvais �il
l'ing�nieur du XIX� si�cle qui a os� creuser au pied m�me de
leur donjon, la tranch�e par laquelle le chemin de fer emporte,
trois ou quatre fois par jour, les planches de leurs for�ts.
Cependant, ils n'�taient pas tellement ma�tres chez eux, qu'ils
n'eussent � subir les embarras d'un voisinage redoutable. Les
ducs de Lorraine, fid�les � leur politique traditionnelle,
avaient acquis, en ne sait comment, le faubourg de Giroville,
aux portes m�me de Bl�mont, et une portion du finage et des
maisons de Dom�vre. Gr�ce � ces possessions fort g�nantes pour
les comtes de Bl�mont, ils �taient parvenus � s'arroger certains
droits qui, appuy�s sur la force, pouvaient servir un jour ou
l'autre de pr�texte � la conqu�te. Ainsi tout seigneur de
Bl�mont, � son av�nement, devait pr�ter serment au duc de ne
rien entreprendre contre lui, et ce serment se pr�tait
pr�cis�ment sur le territoire lorrain �� ez faubourg de la ville
de Bl�mont, en la halle d'iceux, sur les foss�s et pr�s de la
porte dudit Bl�mont, au lieu o� la justice du lieu est
accoutum�e seoir en jugement. � Les habitants pr�taient ensuite
le m�me serment �� par le consentement et ordonnance de MM. de
Bl�mont leurs naturels seigneurs. �
C'�tait �videmment une emprise sur l'ind�pendance des comtes, et
une menace constante pour leur s�curit�.
Les ducs de Lorraine n'eurent pas toutefois � employer la
violence pour devenir propri�taires de leur domaine. Voici
comment ils firent cette conqu�te pacifique :
Au commencement du XVIe si�cle, le comt� �chut, � la suite de
d�c�s successifs, � un certain Olry, alors pourvu de l'�v�ch� de
Toul, et par cons�quent sans h�ritiers directs. Le duc Ren�,
vainqueur de Charles-le-T�m�raire, trouva l'occasion belle pour
tenter d'acqu�rir ce domaine, n�gocia, et l'obtint en effet par
diff�rents trait�s contre lesquels l'�v�que de Metz, suzerain du
comt�, protesta �nergiquement, mais en vain. C'est ainsi que
Bl�mont et Deneuvre furent annex�s � la Lorraine.
Le mercredi 27 mars 1503, Ren� Il prit solennellement possession
des deux villes et de leurs d�pendances. Il avait d�put� � cet
effet le bailli de Nancy, Evrard de Haraucourt, qui re�ut le
serment de l'envoy� du comte Olry, � charge de conserver aux
officiers, bourgeois et habitants � ce assembl�s leurs
franchises, libert�s, us et coutumes. Ceux-ci, apr�s avoir
d�lib�r�, revinrent bient�t (dit le proc�s-verbal officiel),
d�clarant �� qu'ils �taient bien joyeux..... et qu'ils �taient
pr�ts aussi � faire le serment au duc, sous r�serve u de leurs
franchises. � On se rendit alors � chacune des portes de la
ville. Le commissaire du duc �� mit les mains aux premier et
second huisse �, re�ut les clefs, institua des portiers dont il
re�ut le serment et, enfin, p�n�tra dans le ch�teau, o� il fit
sonner la grosse cloche �� que l'on n'a accoutum� de sonner sinon
pour quelque allarme ou � la venue d'un nouvel seigneur, ou au
tr�pas du seigneur �. Ainsi se consomma l'annexion.
Possesseur de Bl�mont, le duc de Lorraine se trouvait par le
fait m�me, et du chef des comtes auxquels il succ�dait, vassal
de l'�v�que de Metz. A ce titre il lui devait l'hommage f�odal,
prenait rang au nombre de ses vassaux, et participait aux Etats
de l'�v�ch�. Pour la m�me raison il devenait membre de l'Empire,
et devait demander l'investiture imp�riale pour le comt�. Il la
re�ut effectivement; et ses successeurs, jusqu'en 1567, se
soumirent � cette formalit�, qui para�t incompatible avec leur
titre de princes souverains. Mais le cas d'un prince vassal d'un
moindre seigneur n'�tait point rare � l'�poque. C'�tait
toutefois une source de difficult�s et d'embarras, que la
diplomatie s'attacha � faire dispara�tre. Charles III y parvint
en c�dant � l'�v�que Fran�ois de Beaucaire ses droits, �� profits
et juridiction � sur Hombourg et Saint-Avold, pour recevoir en
�change ceux que le pr�lat poss�dait sur Albe, Saarbourg,
Bl�mont, Deneuvre, etc., (25 f�vrier 1561).
Le comt� de Bl�mont �tait ainsi devenu, sans restriction et sans
condition, la propri�t� des ducs.
Qu'en firent-ils, et comment surent-ils le gouverner ?
La plus grande partie du territoire c�d� � la Lorraine �tait la
propri�t� particuli�re des comtes. Ils en avaient le domaine
direct, et quelques villages seulement appartenaient � des
seigneurs vassaux. La conqu�te �tait donc assez belle pour que
les ducs pussent conserver � ces petits seigneurs leur
demi-ind�pendance, et du reste c'�tait une des conditions de la
cession. Ils se content�rent donc de cr�er � Bl�mont et �
Deneuvre des pr�v�ts, qui re�urent les attributions
administratives et militaires consacr�es par les usages du
duch�, et rendirent la justice en leur nom.
Mais telles �taient les m�urs politiques de l'�poque qu'on ne
songea pas � rattacher la nouvelle province � l'un des trois
bailliages du duch�. Les pr�v�t�s de Bl�mont et de Deneuvre
n'ont jamais fait partie du bailliage de Nancy, ni d'un autre;
et, suivant l'expression consacr�e, elles ne sont de bailliage.
Cette particularit� entra�nait d'importantes cons�quences. Les
sentences du pr�v�t n'avaient point pour sanction l'appel au
tribunal des assises. Cette juridiction sup�rieure, � laquelle
le duc lui-m�me se soumettait en tant que seigneur, et qui
pr�sentait de r�elles garanties d'ind�pendance et d'�quit�,
n'eut point d'action sur les nouvelles pr�v�t�s. Les sentences
de la justice de Blamont �taient port�es directement au buffet
du duc, c'est-�-dire devant la cour des comptes du domaine,
�videmment plus docile aux volont�s du ma�tre.
Par application du m�me syst�me, le village de Verdenal et une
partie de celui de Dom�vre, qui de tout temps avaient appartenu
aux ducs, ne furent pas rattach�s � la nouvelle pr�v�t�, bien
qu'ils y fussent absolument enclav�s. Leurs habitants
continu�rent � porter leurs diff�rends devant le pr�v�t de
Lun�ville, �loign� d'eux de six lieues.
L'anomalie d'un pareil r�gime avait des cons�quences infinies.
Pour n'en citer qu'une, il �tait interdit aux sujets d'une
seigneurie de la quitter pour se marier dans une autre. Il en
r�sultait qu'� Dom�vre, dans l'int�rieur du m�me village, les
alliances n'�taient point libres. L'int�r�t des habitants n'e�t
point suffi sans doute � provoquer quelque temp�rament � la
rigueur d'une pareille loi, mais heureusement l'int�r�t du
seigneur s'y trouvait aussi engag�. De la l'introduction de
l'usage du contremand, dont nous connaissons les effets. A
Dom�vre, celui qui veut se marier dans la seigneurie � laquelle
il n'appartient pas, doit coucher la premi�re nuit �� sous le
seigneur � qu'il veut servir. Pendant un an, toutefois, il reste
franc de toute redevance, et n'a pas de seigneur. Ce temps
�coul�, il doit s'adresser � l'abb� des chanoines, qui le
d�clare sujet de la seigneurie qu'il a choisie.
Cette capricieuse composition des circonscriptions, si f�cheuse
pour l'administration du pays a, pour le curieux, l'avantage de
laisser subsister la trace des acquisitions successives et des
limites anciennes des territoires telles que la f�odalit� les
avait group�s.
�2. - Le domaine et les
vassaux.
La juridiction du pr�v�t de
Bl�mont s'exer�ait directement sur le domaine du duc qui
comprenait AMENONCOURT, AUTREPIERRE, BL�MEREY, REPAIX, CHAZELLES,
IGNEY, GONDREXON, la haute rue de HALLOVlLLE, LEINTREY, REILLON,
moiti� de DOMJEVIN, REMONCOURT, le ban Saint-Pierre � BR�M�NIL,
GOGNEY, MIGN�VILLE, partie de NONHIGNY, PETONVILLE pour un
quart, une portion de SAINT-MARTIN et FR�MONVILLE.
Les habitants de ces communes �taient soumis envers le seigneur
� des obligations bien pr�cises et presque identiques, ce qui
est un fait assez rare, et t�moigne d'une organisation
administrative qui n'�tait point partout aussi compl�te. Ils
paient la taille Saint-Remy, �� au bon plaisir de son altesse,
doivent accourir � Bl�mont en armes, lorsqu'on y fait justice,
et en temps d'imminent p�ril, � enfin ils doivent des
laboureurs, des faucheurs, des faneurs, pour les fermes du duc.
Une r�tribution en nature, consistant ordinairement en une miche
de pain, apportait quelque temp�rament aux rigueurs de la
corv�e, que du reste, ceux qui n'�taient point laboureurs
pouvaient acquitter en argent. Chaque m�nage doit trois poules,
l'homme veuf n'en doit pas, mais la femme veuve en doit une et
demie; en quelques endroits elle paie m�me les trois, comme si
le m�nage �tait complet.
Quelques communes du comt� �taient plac�es sous la loi de
Beaumont, comme REILLON et DOMJEVIN. Elles nommaient elles-m�mes
leur maire par �lection, privil�ge pr�cieux, qui constituait le
premier �chelon de l'affranchissement.
D'autres, sans jouir du droit d'�lection, avaient cependant
l'avantage de n'�tre pas jug�es directement par le pr�v�t. Leur
maire et des �chevins, bien que nomm�s par le repr�sentant du
duc, rendaient la justice en premier ressort, mais le pr�v�t
connaissait des appels. FR�MONVILLE, notamment, vivait sous ce
r�gime.
A FR�MONVILLE, il avait exist� anciennement une Tour o� les
habitants �taient tenus de faire le guet. C'est sans doute cette
construction massive qui se voit encore pr�s de l'�glise, et
qui, sous les transformations que cinq si�cles lui ont fait
subir, conserve cependant en partie les traces de sa destination
premi�re. Les �paisses murailles ont �t� �ventr�es et garnies de
fen�tres tant�t ogivales, tant�t carr�es ; la porte sculpt�e,
qui s'ouvre sur un perron moderne, para�t dater du XVe si�cle;
enfin une sorte de gu�rite en saillie, perc�e d'une double
fen�tre � ogives, �videmment ajout�e apr�s coup, donne � cette
construction un aspect particulier qui ne manque pas de
pittoresque. La Tour cessa de bonne heure de servir � la
d�fense, mais pour tenir lieu du guet qui n'avait plus sa raison
d'�tre, le village fut impos� de six resaux de bl�, et les paya
jusqu'� la R�volution.
A REPAIX, il existait une petite seigneurie particuli�re
compos�e de trois maisons et d'une masure, avec droit de
troupeau, de colombier, et de chasse pour le seigneur et un ami
seulement.
DOMJEVIN vivait sous un r�gime assez curieux. Ce village
ob�issait � deux ma�tres. La rue haute appartenait au duc de
Lorraine, l'autre au comte d'Haussonville, dont elle porte
encore le nom aujourd'hui. Ces deux portions de village �taient
soumises � des autorit�s absolument diff�rentes ct �trang�res
les unes aux autres. Il y avait deux maires. Chacun d'eux ��
avait ses gens � part, par rue, l'un pour son altesse, l'autre
pour les sieurs d'Haussonville. � Ceux de la rue haute avaient
dans les for�ts certains droits dont ne jouissaient pas les
autres. Les fours banaux appartenaient en commun aux deux
seigneurs, ainsi que le pont ; et, chose rare pour l'�poque,
ceux-ci �taient parvenus � s'entendre, en 1650, pour le r�parer
� frais communs, moyennant 989 livres et 8 gros, non pour la
commodit� des habitants, mais �� pour faciliter le charroi des
sels venant de Dieuze �, qui payaient naturellement le passage.
Les vassaux du comte de Bl�mont �taient les seigneurs de
FR�M�NIL, de BARBAS, d'OG�VILLER, les sires de LANNOY,
possesseurs d'une portion de HERB�VILLER, et les seigneurs du
ban de ST-CL�MENT, qui comprenait Laronne et Chenevi�res, mais
appartenait pour partie � l'�v�que de Metz.
Les titres de la seigneurie de Lannoy existaient encore au
ch�teau d'Herb�viller il y a deux ou trois ans, ainsi que le
sceau du tabellion. Dans ce ch�teau, dont les constructions un
peu d�labr�es conservent cependant un aspect tout f�odal, on
peut voir une immense salle carr�e termin�e par une chapelle de
style gothique, curieuse par les nervures entrecrois�es de ses
ogives. L'autre partie du village formait la seigneurie de la
Tour, et d�pendait de l'�v�ch� de Metz. Elle fut donc soumise �
la France pr�s de deux cents ans avant la premi�re. Les ruines
de �� la Tour �, situ�es � droite du chemin de Saint-Martin,
pr�sentaient encore, il y a peu d'ann�es, un pan de muraille
soutenant une �chauguette en encorbellement. Un sp�culateur les
a achet�es pour en tirer de la pierre, et la d�pression du sol,
� l'emplacement du foss�, en sera bient�t la derni�re trace.
La seigneurie de BARBAS avait quelque importance, et le nom de
cette famille se rencontre souvent dans l'histoire de Lorraine.
Avec MONTREUX, une partie de NONHIGNY et de MONTIGNY, qui en
d�pendaient, elle formait un domaine �tendu.
OG�VILLER, avec RECLONVILLE et une portion de SAINT-MARTIN,
avait plus d'importance encore. C'�tait un bourg, prot�g� par un
ch�teau. Deux de ses tours qui restent debout donnent une id�e
assez exacte de ce qu'�taient ces demeures f�odales: au
rez-de-chauss�e une sorte de cellier vo�t�; au premier, une
salle �galement vo�t�e, �clair�e par deux �troites fen�tres
perc�es dans un mur �pais de deux m�tres. La chemin�e. la pierre
d'�vier, l'emplacement de l'escalier tournant donnant acc�s aux
�tages sup�rieurs sont encore parfaitement visibles. On
n'acc�dait � cette salle que par les galeries aujourd'hui
d�molies qui reliaient les tours entre elles. Des meurtri�res
permettaient d'en d�fendre les approches. Le ch�teau d'Og�viller
a �t� d�moli en 1636 par ordre du roi de France, sans avoir,
semble-t-il, oppos� de r�sistance.
Le nom des comtes d'0g�viller se rencontre jusqu'� la fin du
quinzi�me si�cle (1474). Puis la seigneurie se trouva partag�e
en quatre, et donna lieu plus tard au morcellement compliqu�
qu'on trouve ainsi d�crit dans les comptes du domaine de
Lorraine. �� Le prince de Salm et MM. les comtes de Salm sont
seigneurs hauts justiciers, pour 1/4 conjointement avec Mgr le
prince d'Havri, MM.Thirion et de Roquefeuille pour les trois
autres quarts. Les justiciables sont divis�s en deux seigneuries
dont l'une est auxdits seigneurs princes de Salm et � M. Thirion,
comme acqu�reurs des comtes de Salm ; l'autre auxdits sieurs d'Havri
et de Roquefeuille. Ils ont chacun leur justice et leurs
officiers sur les lieux, � l'exception du juge-garde, du
procureur, du greffier et du tabellion qui sont communs.
L'emplacement de l'ancien ch�teau appartient pour 1/4 � chacun
des seigneurs. On n'en tire rien, n'y ayant que des d�bris de
moellons et quelques pierres de taille calcin�es. L'emplacement
des anciennes halles appartient � tous les seigneurs chacun pour
1/4. �
Un petit village, enclav� dans le comt�, formait comme un �tat �
part. C'�tait SAINT-MAURICE. On �tonnerait sans doute les
habitants de cette localit� si on leur rappelait que, faisant
exception au r�gime commun, ils ne payaient pas l'imp�t de la
Saint-Remy, acquitt� par tous leurs voisins �� au bon plaisir de
son altesse, � qu'ils �taient jug�s non par le pr�v�t de
Bl�mont, mais par des, juges de la localit� m�me, sur lesquels
ni le bailli ni le pr�v�t n'avaient d'action, qu'enfin ils
n'�taient pas �� cotisables aux aides g�n�raux et autres subsides
�. Saint-Maurice �tait un franc-alleu, c'est-�-dire que le
seigneur du lien ne devait hommage � aucun suzerain, et
gouvernait son petit �tat � sa guise. Les chroniques ne disent
pas si les habitants de Saint-Maurice �taient sous ce r�gime
moins malheureux que leurs voisins. Du reste, en 1710, la
seigneurie de Saint-Mamies fut acquise par le duc de Lorraine,
et rattach�e � la pr�v�t� de Salm.
N'ayant point � parler ici de l'abbaye de Dom�vre, puisqu'elle
d�pendait de la pr�v�t� de Lun�ville, nous avons ainsi parcouru
toutes les communes du comt� de Bl�mont. Ses limites vers l'est
ont servi, � peu de chose pr�s, � la d�limitation moderne des
cantons de Lorquin et de Bl�mont. Ailleurs elles pr�sentaient
tant d'irr�gularit� et de confusion que les circonscriptions
actuelles n'en ont point tenu compte.
� 3. - La ville de Bl�mont.
Maintenant que nous
connaissons de quoi se composait le domaine, entrons dans la
ville qui en �tait le centre et qui s'intitulait �� ch�teau,
ville ferm�e, bourg, ban et finage de Bl�mont �.
Le ch�teau est fort ancien. Remani� � diff�rentes �poques, il
�tait au seizi�me si�cle une demeure spacieuse et opulente,
fr�quemment habit�e par les ducs. La reine Christine de
Danemark, m�re du duc Charles III, l'avait fait r�parer et
am�nager, et l'on a, aux archives de Nancy, la description des
b�timents, salles et galeries qui le composaient.
En 1545, le duc Fran�ois, conseill� par ses m�decins, voulut
habiter un lieu chaud et sec, et choisit le ch�teau de Bl�mont.
Mais il n'en fut que plus malade, ce qui n'est pas �tonnant, car
on �tait au mois d'avril, et, � cette �poque de l'ann�e, Bl�mont
ne m�rite gu�re la pr�f�rence dont l'honor�rent les m�decins du
duc. Aussi reconnaissant leur erreur, ceux-ci ne conclurent ��
meilleur rem�de que de le faire baigner � Plombi�res. � On l'y
transporta en chaise � bras, mais sans plus de succ�s.
L'aspect actuel du vieux ch�teau permet de penser qu'il avait
�t� mis en �tat de supporter l'attaque de l'artillerie. On y
voit, comme � Moyen, l'emplacement de ces terrasses et
boulevards dont l'adjonction, imagin�e au XVIe si�cle, servit �
la fois � renforcer le pied des vieilles murailles f�odales,
pour les prot�ger contre les effets du tir direct (le seul qu'on
employait alors), et � permettre la man�uvre des pi�ces que
l'assi�g� opposait au canon de l'assaillant.
La ville, fortifi�e en 1361, s'�tendait au pied des murs du
ch�teau. Elle avait, semble-t-il, quatre portes ext�rieures : la
porte d'Azie, la porte de Vezouse (Vizuse), la porte d'en haut,
et celle d'en bas. Mais il en avait exist� d'autres dans
l'int�rieur, car, aux premiers temps du moyen-�ge, la ville, le
bourg et le faubourg avaient constitu� trois enceintes
distinctes, garnies chacune de portes et de tours. Cette
division d'une m�me bourgade en quartiers s�par�s et ferm�s
�tait alors assez commune; elle contribue encore � donner �
certaines villes d'Alsace, � Ribeauvill�, par exemple, un cachet
tr�s pittoresque; mais elle a encombr� longtemps l'int�rieur de
Bl�mont de pans de murs et de restes de tours dont on trouve
encore plus d'un vestige. Au si�cle dernier les capucins
r�clamaient d�j� l'autorisation de d�molir ceux qui d�paraient
leurs jardins.
Une confr�rie de cinquante arquebusiers formait la garnison
permanente, qui s'augmentait naturellement de tous les manants
de la ville et de la banlieue, lorsque le p�ril �tait proche, ��
que l'enseigne de Bl�mont marche, et qu'on y fait justice �. Les
arquebusiers recevaient vingt-cinq francs par an et une
gratification consistant en un demi-cent de carpes p�ch�es dans
les �tangs de son altesse.
Les simples bourgeois ne recevaient rien, mais payaient
beaucoup. Les laboureurs doivent la corv�e dans les domaines du
duc, � raison de deux jours par an. Ils sont tenus de mener au
moulin les grains de son altesse, �� �tant pr�venus le soir pour
le matin, � et de les rapporter aux greniers. Les manouvriers
portent les sacs. Ils doivent le charroi des bois, pierres,
chaux et sable pour l'entretien du ch�teau, des greniers, des
moulins, des halles, et �� autres usines princi�res �. Ils sont
oblig�s de fouler le chanvre, de piller l'orge �� au battant qui
est joindant le neuf moulin �. Ils paient une livre de pain pour
trente deux qu'ils cuisent, etc. Il est vrai que la corv�e ne se
fait pas absolument sans compensation. Le seigneur fournit les
miches de pain, les aulx et le fromage; et quand les laboureurs
ont conduit �� sur chacun �tang, lorsqu'on veut les p�cher, les
bateaux, filets, etc, on leur donne, par reconnaissance.....
deux jeunes poissons �.
Ces pauvres gens n'�taient pas bien heureux, et leur humble
langage peint en traits frappants leur p�nible situation. En les
annexant � la Lorraine, on leur avait promis de respecter leurs
franchises, et Ren� II, tant qu'il v�cut, n'y porta pas
atteinte. Mais le duc Antoine, press� d'argent, voulut exiger
d'eux le paiement des aides g�n�rales du duch�, dont ils avaient
�t� exempts jusque la. C'est alors que les bourgeois
repr�sent�rent humblement �� qu'ils n'�taient que 934 m�nages;
que lorsque le duc �tait all� les voir, ils lui avaient donn� de
bon c�ur sa bien-venue, ce qui leur avait fait d�penser beaucoup
d'argent, et qu'ils �taient bien pauvres �. Inutile de dire que
leur touchante supplique fut froidement accueillie, et qu'il
fallut payer.
Tel �tait le r�gime auquel �tait soumis les bourgeois en
g�n�ral. Mais chaque corporation de m�tiers avait en outre ses
chartes particuli�res, dont le sens g�n�ral �tait encore le
paiement d'un imp�t repr�sentant le prix du monopole garanti �
la corporation.
C'est vers la fin du seizi�me si�cle que les chartes de m�tiers
furent renouvel�es par le duc Charles III. On y voit r�gner le
m�me esprit; c'est-�-dire qu'au moyen de certains droits
pr�lev�s sur les artisans �trangers � la corporation, on
assurait � celle-ci le monopole des prix et des proc�d�s de
fabrication ; mais qu'en m�me temps on faisait payer ce
privil�ge, afin d'assurer au seigneur des revenus qui n'�taient
pas la moindre raison de son lib�ralisme. Qu'on ne s'exag�re pas
l'importance des corporations. A Bl�mont, o� il y avait 934
m�nages, il existait des corporations de bouchers, de drapiers,
de serruriers, de pelletiers, de merciers, de cordonniers.
Chacune d'elles ne devait par cons�quent r�unir que bien peu de
ma�tres, et leur puissance ne pouvait s'�tendre bien loin.
Tout nouveau venu payait un droit de Han, en argent et en
nature, que la corporation partageait avec le duc dans des
proportions d�termin�es. Mais le fils du patron devenait ma�tre
lui-m�me � meilleur compte. Il en �tait quitte pour une livre de
cire pour l'autel du saint, et quatorze pots de vin aux ma�tres
et compagnons.
La corporation devait maintenir la loyaut� des proc�d�s de
fabrication. Il �tait d�fendu, par exemple, �� a aucuns
cordonniers d'entrem�ler du cuir de vache en faisant des bottes
� genouill�res ; d'introduire du cuir de cheval dans �� les
empeignes, de mettre une semelle qui ne soit de bon cuir, ou de
laisser deux points rompus l'un suivant l'autre �, le tout �
peine d'amende. Prescriptions rassurantes pour le public, mais
bien minutieuses, et qui devaient fr�quemment s'�luder dans une
petite ville, o� l'entente �tait facile entre les artisans. Le
privil�ge ne devait donc servir le plus souvent qu'� favoriser
l'impunit�, la fraude et la routine. Il est vrai (esp�rons que
cela suffisait) que chaque ann�e le ma�tre et le doyen pr�taient
solennellement serment de maintenir les droits et les lois de la
corporation.
Bl�mont, au temps de la duchesse Christine de Danemark, m�re du
duc Charles III, connut une �re de prosp�rit� et de splendeur.
Le s�jour de la duchesse douairi�re y attira le passage et la
visite de personnages importants, et l'on y c�l�bra m�me les
fian�ailles d'une fille du duc avec un prince de Bavi�re. Les
bourgeois, r�unis en armes pour faire cort�ge aux grands
seigneurs, virent avec �tonnement le spectacle fastueux des
tournois, des danses et des festins. C'est � la m�me �poque que
des b�timents neufs, des terrasses, des jardins, ajout�s aux
vieilles constructions du ch�teau, en firent, au t�moignage
peut-�tre un peu complaisant d'un contemporain, une r�sidence
vaste et magnifique, (arx diffusa et magnifica). Mais cette
�poque de grandeur ne pr�c�dait que de vingt ans le commencement
de ses malheurs et de sa d�cadence.
En 1587, l'arm�e des protestants d'Allemagne, sous les ordres du
duc de Bouillon, traversait la Lorraine pour se porter sur la
Loire, au secours des Huguenots de France. L'histoire n'a pas
attach� une grande importance � cette invasion germanique,
veng�e du reste imm�diatement par les exploits de l'h�ritier de
Lorraine, le jeune marquis de Pont-�-Mousson (1). Mais le
chroniqueur lorrain ne saurait l'oublier, car elle passa par
Baccarat, Bl�mont et Lun�ville, et ravagea la premi�re de ces
trois villes. Les deux autres, bien d�fendues par leur
gouverneur, purent �chapper � l'incendie. La r�sistance de
Bl�mont dirig�e par Mathias Klopstein fut des plus honorables,
et il en reste un glorieux t�moignage, celui du duc Charles III
lui-m�me. Une ordonnance de 1590, inspir�e par le d�sir �� qu'il
y ait quelque marque et m�moire pour servir de t�moignage, � eux
et leur post�rit�, de la fid�lit�, diligence et valeur dont
iceulx bourgeois, manants, et habitants de Bl�mont ont us� pour
la d�fense et conservation de ladite ville �, les autorisa �
imposer � leur profit les vins �trangers passant par leur ville.
Les habitants de Bl�mont surent mettre � profit ces bonnes
dispositions du duc. Dix-neuf ans apr�s, ils invoqu�rent encore
les souvenirs du si�ge de 1587, pour obtenir des r�formes dans
l'organisation de la justice locale. Ils les obtinrent, mais
bien modestes, et continu�rent, comme on va le voir, � vivre
sous un r�gime qui n'�tait gu�re qu'un temp�rament aux rigueurs
du servage primitif, et qui ne peut rappeler en rien la presque
autonomie dont quelques grandes villes avaient joui au
moyen-�ge.
Le duc accordait aux bourgeois de Bl�mont le privil�ge de n'�tre
plus jug�s par son pr�v�t, mais par leur maire, assist� d'un
ma�tre-�chevin et de deux �chevins.
Le Ma�tre-�chevin �tait sinon �lu directement, du moins pr�sent�
au choix de son altesse. Quant au maire, on ne voit pas tr�s
clairement si sa nomination par le peuple �chappait au contr�le
du duc. Quoi qu'il en soit, le pr�v�t ne devait plus aucunement
�� s'entremettre ni avancer � dans le jugement des causes, et les
�chevins purent conserver trois ans leurs fonctions. Du syst�me
ant�rieur qui limitait ces fonctions � une ann�e, il �tait
r�sult� que, �� avant qu'ils fussent entr�s � la connaissance des
choses d�pendantes de leurs charges, ils �taient � la sortie d'icelles
�, ce qui devait exposer la justice � de grossiers �carts,
malgr� la pr�sence des vingt hommes et l'avis des quatre jur�s
qui assistaient ces juges improvis�s.
La suppression de ce concours plus tumultueux qu'�clair�, source
de mille �� prolongations et partialit�s, � fut accueilli par de
grandes marques de reconnaissance.
Toutefois le duc, en renon�ant aux privil�ges de son pr�v�t, ne
perdait pas beaucoup de son influence sur la justice locale, car
le nouveau tribunal fut assist� d'un procureur fiscal charg� de
veiller aux int�r�ts du souverain. Quant au pr�v�t, il conserva
sa juridiction sur les nobles, et son ing�rence dans les litiges
o� leurs int�r�ts se trouvaient en conflit avec ceux des
bourgeois. Il ne fut pas non plus d�sarm� vis-�-vis de ceux-ci
dans tous les cas o� le bon ordre paraissait engag�. Ainsi, tout
en conc�dant �� que les bourgeois ne peuvent �tre emprisonn�s
pour faits de simples d�lits dont la peine ne peut �tre que
p�cuniaire � l'ordonnance ajoute �� � moins que le d�lit ne se
trouve accompagn� et rev�tu de circonstances importantes, et
scandale ou mauvais exemple en public � ; expressions vagues qui
dans la pratique devaient rendre bien illusoires les garanties
d�j� si pr�caires de la charte.
Nous avons d�j� dit que les appels des sentences de Bl�mont ne
se portaient pas aux assises, mais directement au buffet,
c'est-�-dire � la Cour des comptes.
Deux fonctionnaires municipaux, gouverneurs de ville,
compl�taient l'organisation locale. Leur nom semble d�fier tous
les efforts des �tymologistes. Ils s'appelaient les imbultz.
Telle �tait la petite ville de Bl�mont au commencement du XVIIe
si�cle, lorsqu'elle fut atteinte et bient�t ruin�e, comme toutes
les villes lorraines, par la guerre de Trente ans. Assi�g�e en
1636 par le comte de Saxe-Weimar et les allemands au service de
France, elle succomba. Du moins le dernier trait m�morable de
son histoire fut-il honor� par la vigoureuse conduite des
habitants, et la fi�re attitude du gouverneur. L'ennemi, qui
n'entra dans la place qu'� la suite d'une capitulation, souilla
sa victoire en violant la convention qui la lui livrait. Le
gouverneur, payant de sa vie la belle r�sistance de la petite
ville lorraine, fut pendu � la porte du ch�teau. Depuis cette
catastrophe, il ne faut plus demander � l'histoire de Bl�mont
que les tristes t�moignages des ruines irr�parables que la
guerre y a caus�es. Les �glises, les halles, les trois fours,
les maisons furent enti�rement r�duits en cendres; tous les
titres furent perdus, au point que, en 1700, la ville ne pouvait
plus �tablir ses droits de propri�t� dans les for�ts. Plusieurs
moulins incendi�s ne se relev�rent jamais. Trente ans apr�s ce
pillage, on n'avait pas encore pu remonter les cloches, et
l'�tat des portes �tait tel qu'on ne les faisait plus fermer.
Le dernier gouverneur de Bl�mont se nommait Jean Klopstein. Son
nom, qui a surv�cu � la ruine du ch�teau et de la ville, n'a
cess� d'�tre dignement port� et universellement respect� dans le
pays qu'il a d�fendu.
(1) Henry Martin. Tome X, page 48. |