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Union des
grandes associations fran�aises conte la propagande ennemie
Proc�s-verbal de la s�ance du mardi 27 mai 1919
L'ACTION DES ASSOCIATIONS
L'Union des Grandes Associations Fran�aises en Alsace et en
Lorraine
PAR M. HENRI KERVAREC
L'excursion en Alsace et en
Lorraine organis�e par l'Union des Grandes Associations, du 21
au 26 avril, comporte des enseignements qu'il n'est peut-�tre
pas inopportun de d�gager et de r�pandre.
Ce fut, dans toute la force du terme, un acte de propagande dont
les cons�quences, nous n'en doutons pas, seront des plus
heureuses.
Admirablement pr�par�e, cette excursion fut favoris�e par un
temps magnifique.
Avaient �t� invit�s � prendre part � ce voyage : les Recteurs,
les Inspecteurs g�n�raux de l'Instruction publique, les
Inspecteurs d'acad�mie, les Pr�sidents et les Secr�taires des
Associations affili�es � l'Union, les Pr�sidents et les
Secr�taires des Comit�s d�partementaux.
Le d�part eut lieu � la gare de l'Est, le lundi soir 21 avril, �
22 heures.
A 5 heures, le lendemain matin, notre train s'arr�tait quelques
instants en gare de Nancy. Nous allions traverser une contr�e
qui a subi la guerre, pendant quatre ans, sans un jour de tr�ve.
La gare elle-m�me porte encore les traces innombrables des
bombardements a�riens dont elle a souffert. C'est � peine s'il
reste quelques vitres - peintes en bleu. Le hall ne pr�sente
plus son armature de fer, les portes et les fen�tres des
b�timents sont sans carreaux. De Nancy � Lun�ville, la ligne
suit la vall�e de la Meurthe, par Saint-Nicolas-du-Port,
Dombasle, Rosi�res-aux-Salines, Blainville-sur-l'Eau et
Rehainviller. L'air est vif; aux arbres pointent de rares
bourgeons : la Meurthe est haute. Les hauts fourneaux sont
encore �teints. Des jets de vapeur s'�chappent des toitures
d'usines que nous longeons - et toujours des fen�tres sans
vitres. On a l'impression que jadis, en 1914, le long de cette
vall�e, r�gnait une vie industrielle intense et qu'aujourd'hui,
six mois apr�s la victoire, les blessures ne sont pas encore
pans�es et que la vie a peine � rena�tre.
LES CHAMPS DE BATAILLE DE LORRAINE:
EMBERMENIL-AVRICOURT
La gare de Lun�ville pr�sente le m�me aspect que celle de Nancy;
nulle part ne reste une vitre. A Manainviller, nous franchissons
ce qui fut la ligne de feu. A gauche, c'est la masse sombre de
la colline et de la for�t de Parroy, dont nous avons lu si
souvent le nom dans les communiqu�s de Lorraine ; � droite,
c'est la for�t de Mondon - et plus pr�s de la ligne, sur une
hauteur, le fort de Manonviller.
La v�g�tation a repris ses droits. L'herbe pousse maintenant
dans les champs d�sol�s. Mais si puissant que soit le travail de
la nature, il ne parvient pas � recouvrir le travail de la
guerre. Aussi loin que l'on puisse voir, les champs sont cribl�s
de trous d'obus, remplis d'eau. Il y en a de toutes les tailles,
depuis le trou du 105 jusqu'au gouffre du 340. Ils sont si pr�s
les uns des autres que l'on se demande comment des hommes ont pu
vivre l�, pendant cinquante mois, sans �tre �cras�s ou
ensevelis. Des fils de fer, des chevaux de frise, des �paisseurs
de barbel�s, dispos�s en quinconce, des t�les ondul�es, des
rails, des traverses, gisent p�le-m�le dans un d�sordre
inexprimable. Le long de la voie, � m�me le talus, des abris ont
�t� construits, dont la porte, abandonn�e depuis l'armistice,
menace ruine aujourd'hui. Et dans les foss�s de la ligne dans
les talus, sur le bord, de-ci de-l�, une croix se dresse : un
des n�tres est enterr� o� il est tomb�. De la gare d'Embermenil
il ne reste plus que quelques pans de murs et de d�combres. Une
tranch�e traversait la gare m�me. A cinq cents m�tres � gauche,
voici ce qui reste d'Embermenil : des monceaux de cailloux et
quatre ou cinq pans de mur blanch�tres, qui tranchent
lugubrement sur le fond violet des hauteurs de Vaucourt. Et
toujours des trous d'obus, et toujours des croix, et toujours
des fils de fer barbel�s. Voil� des kilom�tres que nous
traversons cette terre meurtrie - sans voir un homme, un oiseau,
une b�te - rien que des ruines, un sol retourn� et. pantelant,
des prairies enchev�tr�es de pieux et de fils de fer.
Il ne reste pas une maison debout � Avricourt, dont nous
traversons ensuite la gare, �galement d�truite.
Pour plusieurs d'entre nous le spectacle d'un champ de bataille
�tait nouveau. Eh bien ! les gravures, le cin�ma ne sauraient
donner une id�e exacte de ce spectacle.
L'esprit lui-m�me ne saurait l'imaginer. Il faut l'avoir vu avec
ses yeux et avec son coeur. Songez que de Manainviller �
Avricourt, il y a 20 kilom�tres, et que pendant 20 kilom�tres,
la terre est crev�e, retourn�e, boulevers�e; que pas une maison
n'est intacte, que des villages entiers sont ras�s; que des
croix se dressent parmi les ruines, que les fils barbel�s, des
barres de fer, des d�bris de toute esp�ce gisent partout; et
dites-vous que ce coin n'est qu'un tout petit coin de l'immense
ligne de bataille; qu'il est un de ceux o� l'on s'est le moins
battu; qu'il y a de la mer du Nord aux Vosges une ligne de
plusieurs centaines de kilom�tres et dont l'�paisseur, en
certains endroits, n'est pas, comme ici, en Lorraine, de 20
kilom�tres, mais de 40, de 50, de 80 kilom�tres, dans le Nord,
dans la Somme, en Champagne; calculez ainsi combien de maisons
ont �t� d�molies, de villages pulv�ris�s sur cette immense ligne
de combat; imaginez combien de milliers et de milliers de
pauvres gens sont aujourd'hui sans toit, ni mobilier, ni
v�tements; de vieux qui ne savent o� aller vivre leurs derniers
jours; d'hommes, de femmes, qui cherchent o� travailler et
�lever leur famille, d'enfants que l'on a arrach�s � l'�cole
famili�re et aux champs o� ils aimaient jouer; songez aux
milliers et aux milliers de soldats fran�ais qui sont morts pour
garder cette ligne et qui laissent des veuves, des enfants, des
vieux parents sans soutien; songez enfin que, pendant quatre
ans, le soldat et la terre ont �t�, par la tranch�e, si
intimement unis qu'ils ne sont jamais morts l'un sans l'autre,
et vous comprendrez alors que la photographie d'un champ de
bataille de France ne peut parler � votre coeur. Il faut le voir
vous-m�mes.
Une autre r�flexion nous venait aussi � l'esprit pendant que
notre train traversait ces terres �ventr�es. Il avait � peine
ralenti son allure et ce petit fait avait bien son importance.
Il y a six mois, il n'existait plus ni remblais, ni foss�s, ni
ligne t�l�graphique, ni signaux, ni rails. La voie avait �t�
nivel�e comme le reste par les obus et les torpilles. Et
cependant, nous filions sans nous arr�ter et sans prendre,
semble-t-il, des pr�cautions que l'on prend ordinairement sur
les lignes en r�paration ou incompl�tement �tablies. Et nous
nous disions que l'on pouvait ainsi, quelques mois apr�s la fin
des hostilit�s, aller directement et rapidement de Paris �
Strasbourg, comme de Paris � Amiens, � Lille, � Reims, �
Montdidier, � Laon, � Verdun; et qu'ainsi �tait donn�e la
r�ponse - la r�ponse par les faits - � ceux qui critiquent et se
plaignent sans cesse. �� La remise en �tat des pays lib�r�s
n'avait pas �t� entreprise; l'on ne faisait rien; c'�tait, le
g�chis ; dans dix ans, �a serait encore la m�me chose; la guerre
ne nous avait rien appris, etc... � Et nous remarquions, songeant
� ces geignards, � ces pessimistes ingu�rissables, que c'est �
eux plut�t que la guerre n'a rien appris - car la t�che avait
�t� rude et il avait fallu s'y mettre sans retard, - et loin de
critiquer, nous admirions que nos ing�nieurs, nos ouvriers aient
pu si rapidement r�tablir les lignes au milieu d'un tel chaos,
et aux prises avec de telles difficult�s - et nous avions la
conviction qu'un tel spectacle �tait r�confortant, qu'il
t�moignait hautement de l'ardeur avec laquelle on s'�tait remis
au travail et que, sans doute, il faudrait moins de temps qu'on
ne l'avait craint tout d'abord pour remettre les lignes et les
routes en �tat.
Ainsi de ces champs de Lorraine se d�gageait un double
enseignement, car ils nous faisaient toucher du doigt les
blessures profondes dont notre sol et notre race ont �t�
atteintes, et, d'autre part, ils nous enseignaient par le
spectacle de l'effort d�j� entrepris, qu'avec de l'�nergie, de
la confiance, et du temps, nous parviendrons � effacer les
traces mat�rielles du fl�au.
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