|
12 frimaire an XI (2 d�cembre
1802) na�t � Bl�mont Dominique Martin, fils de Dominique Martin
et Anne Vigneron ; il n'est donc pas n� �� le jour m�me du
sacre de Napol�on - date vraiment heureuse pour un futur soldat
� (1804) comme l'indique l'extrait ci-dessous, mais encore
mieux, le jour la victoire d'Austerlitz (1802).
Une si
longue pr�sence... Chronique des deux cent cinquante ann�es de
pr�sence des Fr�res lasalliens � l'�cole Saint-Pierre de Nantes
(1721 - 1980)
Yves Le Rudulier
Archives lasalliennes Lyon 2012
Fr�re Martin
En 1865, la communaut� de
Rosmadec re�ut un fr�re dont on ne pronon�ait le nom qu'avec
respect. Sur lui couraient des bruits l�gendaires : on
l'appelait �� Le capitaine �. Il avait 61 ans et on le disait
ancien officier.
Dominique MARTIN �tait n� � Blamont (Meurthe), le 2 d�cembre
1804, le jour m�me du sacre de Napol�on - date vraiment heureuse
pour un futur soldat. Son p�re, instituteur tr�s estim�,
remplissait ses fonctions avec un patriotisme d�bordant et une
pi�t� quasi-sacerdotale.
Dominique fit de brillantes �tudes qui se termin�rent � Paris
par le dipl�me de licence es-sciences. Il avait 19 ans.
Nature chevaleresque et g�n�reuse, vibrante d'enthousiasme, le
jeune homme h�sita un moment dans le choix de la grande cause �
laquelle il consacrait sa vie.
Le patriotisme ardent du Lorrain l'emporta : il devint soldat.
Son avancement fut rapide, puisqu'� l'�ge de 26 ans il �tait
capitaine d'artillerie.
La r�volution de 1830 provoqua une insurrection nationale en
Pologne. La capitaine Martin offrit � cette cause sa jeunesse et
son �p�e.
La Pologne enflammait la bravoure fran�aise. On avait beau crier
: �� Finis Polonize �. Un peuple qui croit, un peuple qui prie
n'est jamais fini. Son agonie semblera durer des si�cles, elle
se prolongera jusqu'au jour o� un sursaut providentiel lui
redonnera son rang parmi les nations chr�tiennes.
Cette insurrection de 1830 fut cruellement r�prim�e par les
Russes. Des ukases draconiens enlev�rent � la malheureuse
Pologne tout ce qui pouvait rappeler son ind�pendance. On
entendit une fois de plus la parole d�sesp�r�e : �� Nous sommes
perdus : le Ciel est trop haut et la France trop loin �.
La France lui �tait du moins venue dans la personne de ce beau
chevalier, fils d'un petit instituteur Lorrain. Le s�jour du
capitaine Martin fut de sept ans. Il prit part � plusieurs
combats. Bless� deux fois, il finit par tomber entre les mains
des Cosaques.
Conduit � Kiev, il se vit condamn� � l'exil perp�tuel dans les
d�serts de la Sib�rie. Voil� donc comment s'effondrait son beau
r�ve chevaleresque et g�n�reux.
� 33 ans, il se voyait vou� � une longue et stupide agonie dans
la faim et le froid perp�tuels, sans un ami, sans un
consolateur, sans la moindre relation avec sa patrie, enseveli
in pace. L'h�ro�que officier tombait de haut. Apr�s quelques
jours de noir marasme, sa jeunesse et sa foi vont lui redresser
le front. Il prie la Vierge Marie qu'il avait toujours aim�e et
il fait le v�u, si la libert� lui est rendue, de se consacrer
dans un ordre religieux, � l'�ducation �� chr�tienne des enfants
�.
Le gouverneur de Sib�rie, prince Makeff, ne tarde pas �
remarquer l'intelligence, sup�rieure et la parfaite �ducation de
son captif. Un mois apr�s, Dominique Martin �tait charg� de
diriger les �tudes et la formation morale des enfants du prince.
Bient�t le gouverneur, de plus en plus gagn� par les qualit�s du
prisonnier, voulut se l'attacher davantage. Il lui proposa de
s'engager au service de la Russie. C'�tait la libert�, un
avancement rapide, le grade de g�n�ral au bout de deux ou trois
ans, la fortune, toutes les joies d'ici-bas.
Il n'y mettait qu'une condition, impos�e par le Tzar Nicolas Ier
: renier la foi catholique et passer � l'�glise orthodoxe.
C'�tait bien tentant. �� Prince, r�pondit l'officier fran�ais,
jamais je ne renierai ni mon Pays, ni ma Religion. L'�glise
catholique sera toujours ma m�re, comme la France ma patrie �.
En 1842, l'�ducation de ses �l�ves est termin�e. Il en a fait
des jeunes gens accomplis qui sont une admiration pour la haute
soci�t� russe. La princesse Makeff en est tr�s fi�re. Voulant
t�moigner sa reconnaissance � l'officier captif, elle finit par
obtenir de l'Empereur Nicolas une amnistie compl�te et sans
condition, pour le capitaine Martin.
Le voil� libre. Ivre de joie il arrive � Paris. Rien ne le fera
d�vier du chemin aust�re et cach� qu'il a choisi, de la promesse
faite � Dieu au d�but de sa captivit�. Avec une g�n�rosit�
sublime, sans revoir sa terre natale, sans m�me s'agenouiller
sur la tombe de ses parents, il se pr�sente au noviciat des
Fr�res, rue Oudinot - un homme de d�cision qui ne sait ni
reculer ni retarder. C'�tait le 11 octobre 1842.
Il porte les meilleures r�f�rences de ses anciens chefs fran�ais
et les attestations les plus �logieuses du prince Makeff. Il est
admis le jour m�me demandant au Fr�re directeur de ne jamais
rien r�v�ler � sa louange. Ce que fut son noviciat, on le devine
sans peine avec cette nature qui ne savait pas se donner � demi.
Il y alla avec toute l'allure, la ponctualit� et le brio
militaire. Dans cette arm�e-l�, point de galons sur les manches
: il n'y a pas la moindre diff�rence entre le Sup�rieur g�n�ral
et le tout petit Fr�re, un enfant de 18 ans qui fait la derni�re
classe de la plus pauvre �cole chr�tienne.
Devant Dieu et son Institut, le capitaine devenu Fr�re Martin
m�rita bien vite le titre de �� bon soldat du Christ �. Appliqu�
quelques ann�es � la direction d'une �cole d'apprentis (Paris)
il enseigna ensuite � Tours de 1848 � 1865. Il avait choisi
l'Institut des Fr�res pour vivre inconnu et faire le bien sans
�clat. Ses d�sirs furent pleinement satisfaits jusqu'au jour o�
il re�ut la visite d'un ancien camarade de r�giment devenu
g�n�ral fran�ais. Celui-ci r�v�la tout bonnement � la communaut�
que le Fr�re Martin �tait licenci� �s-sciences et capitaine
d'artillerie. Il raconta sa conduite h�ro�que sur les champs de
bataille et dans la captivit�.
Bient�t Fr�re Martin devint l'homme le plus populaire de Tours.
Il est acclam� et on le nimbe d'une aur�ole magnifique. Il avait
fui la gloire mondaine et voici qu'une gloire plus pure
l'environnent : on le salue comme un martyr et un saint.
Quelques mois plus tard, un conseiller municipal de Tours ayant
dit que l'instruction des Fr�res �tait mauvaise, re�ut un
d�menti �clatant. Cinq jours apr�s une protestation, traitant
cette parole de �� mensonge idiot � �tait adress�e au maire. Elle
portait la signature de 802 chefs d'atelier, contrema�tres et
ouvriers. Presque tous avaient fait suivre leur nom de : �l�ve
du Fr�re Martin, comme d'un titre de gloire.
Le saint religieux ne pouvait plus sortir dans la rue sans �tre
entour�, acclam�. Il prit peur et demanda qu'on voul�t bien
l'envoyer dans une ville o� nul ne le connaissait afin de
pouvoir, tranquille et ignor�, se pr�parer � la mort.
Cette demande, que l'on sentait si sinc�re, fut exauc�e. Vers la
fin de l'ann�e 1865, le Fr�re Martin arrivait � Nantes, h�tel
Rosmadec. Il fut charg� d'enseigner les plus jeunes �l�ves de
l'�cole Sainte-Croix.
Quand on voyait passer dans les rues ce Fr�re r�citant
pieusement son chapelet, on �tait bien loin de se douter de la
valeur de ce Rabat blanc enseveli dans la bure de son humilit�.
Il mourut pieusement le 2 mars 1867. Il semble que Dieu ne
l'avait amen� � Rosmadec que pour recevoir les derniers soins du
saint Fr�re Camille, qui lui ferma les yeux. |