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Andr� Spire (1868-
1966) (2)

Document compl�mentaires � l'article Andr� Spire (1868-1966)


Ami - mensuel pour la jeunesse
D�cembre-janvier 1954

Andr� SPIRE a plus d'un titre � notre admiration. C'est un authentique po�te, un des ma�tres du vers fran�ais moderne. Les po�mes juifs d'Andr� Spire sont devenus classiques et ses livres, autant que les nombreuses �tudes qu'il a consacr�es aux Juifs, durant sa longue et belle carri�re, constituent des t�moignages de premier plan. AMI est heureux de pr�senter � ses jeunes lecteurs, le v�t�ran des lettres juives en France auquel il est li� depuis longtemps par une respectueuse amiti�.
Nous sommes d'une g�n�ration qui doit beaucoup � Andr� Spire. Elle a appris de lui � traduire en fran�ais la mill�naire fiert� juive. Fiert� non pas orgueilleuse, mais consciente de ce qu'elle doit � Isra�l. Ce qui n'emp�che pas Andr� Spire d'�tre un grand po�te fran�ais.


Andr� Spire et sa fille Marie-Brunette qui a grandi depuis et est devenue une fid�le lectrice d' �� Ami �

Depuis longtemps je me promets de rendre un jour visite � Andr� Spire. Il en a �t� une premi�re fois question, il y a plus d'un an. Aujourd'hui l'occasion se pr�sente � nouveau. Il vient de para�tre aux Editions Jos� Corti un volume intitul� �� Po�mes d'hier et d'aujourd'hui � qui comprend, entre autres, tous les po�mes juifs d'Andr� Spire � l'exception d'un seul.
Nous' avons re�u l'ouvrage et toutes lectures cessantes, j'ai savour� ces po�mes juifs. Je les ai lus et relus. J'ai m�me �prouv� le besoin de les lire � un groupe de jeunes, tant ils me paraissent contenir �� Isra�l �. Eh bien ! � l'occasion de la parution de ces po�mes, je lui ai rendu visite : J'ai lu les po�mes et j'ai vu le po�te - en pantoufles - dans son cadre quotidien, dans sa chambre pleine de livres, de dossiers, de souvenirs entre lesquels il circule avec aisance et pr�cision. Il a une excellente m�moire. Assis, � la tomb�e du jour, dans un reposant clair-obscur, nous bavardions ou plut�t il parlait et je l'�coutais avidement. Il �grenait ses souvenirs qui remontent au 19e si�cle, bien au-del� de l'affaire Dreyfus.
Fran�ais, il l'est, de vieille souche. Son arri�re grand-p�re est n� en 1776, bien avant la R�volution Fran�aise, � Blamont-en-Lorraine. Il y poss�dait une terre qu'il cultiva lui-m�me avec ses propres enfants. Fait assez rare � cette �poque chez les Juifs et d'o� vient ce go�t des choses de la terre
si marqu� chez Andr� Spire et qu'on trouve dans beaucoup de ses po�mes...

BLAMONT,
Quand j'allais en vacances
A Blamont-en-Lorraine,
Le coq me r�veillait,
Le coq dans le soleil,
Les poules dans les corbeilles
Du jardin de ma grand'm�re
O� y-avai-t-un lilas, un figuier et un thuya.
Quand le troupeau rentrait,
Agneaux suivant leurs m�res,
Je pensais � la laine
O� mes deux mains plongeaient,
Aux matelas douillets
Du pays de ma grand'm�re
O� y-avai-t?-?un lilas, un figuier et un thuya.

...Et aussi le go�t de l'effort physique. C'�tait un sportif.
D�j� � l'�cole, il lui arrivait souvent de se battre. Il savait tenir t�te � un groupe de jeunes non-juifs ligu�s contre lui. Plus tard il fit de la voltige. Chasseur � cheval au 6e r�giment, il se distingua comme cavalier. A ce propos, laisse-moi te raconter une anecdote :
Un officier juif, le Lieutenant Bernheim, vient un jour au man�ge pour inspecter les exercices de voltige.
- Quel est votre meilleur, demanda-t-il au sous-officier ?
- Spire.
- Eh bien, Spire, dit le lieutenant, nous n'avons plus besoin de vous ici. Allez donc balayer la cour.
Choquante attitude d'un Juif qui, en f�licitant un autre Juif, tremble de passer pour favoriser un coreligionnaire.
Cavalier �m�rite, Spire a aussi pratiqu� l'escrime et s'est battu en duel.
Il a toujours d�fendu les Juifs et le juda�sme et son juda�sme �tait surtout une d�fense contre l'anti-juda�sme. Fier d'�tre Juif, il a toujours r�sist� � l'oppression.
C'est ce qu'il exprime dans ses vers :
��  Isra�l, Isra�l, peuple ent�t� de vivre,
Il faut fuir Isra�l, toutes ces fausses patries.
...Et parmi le miel de tes abeilles, le lait de tes brebis, le raisin de tes vignes,
Tu verras se dresser, convalescente et jeune,
Ta fiert�, Isra�l. �
Oui, c'est l� son leit-motiv : la fiert� d'Isra�l. Isra�l doit redresser son �me, s'affirmer et ne pas vivre en fonction des non Juifs.
Voil� ce que j'ai tir� de ma visite au cours de laquelle je lui ai pos� pour vous, jeunes lecteurs d'AMI, un certain nombre de questions :
- Comment en �tes-vous arriv� � �crire des po�mes juifs ?
Ma m�re avait une certaine foi.
Elle assistait aux offices des grandes f�tes. Elle poss�dait le livre �� Pri�res d'un c�ur Isra�lite �, sur les pages blanches duquel elle inscrivait les grands �v�nements de sa vie et de celle de sa famille. J'ai fait ma Bar-Mitzvah et �tais tr�s �mu quand je suis mont� � la Thora. D'ailleurs, ce sont les diverses nuances de mon juda�sme et de mon sionisme que j'ai exprim�es dans mes po�mes. J'ai m�me accompagn� en 1920 dans un voyage d'�tudes en Isra�l (qui s'appelait alors la Palestine) le
grand sioniste Ha�m WEIZMAN dont j'�tais alors le charg� de mission aupr�s du Quai d'Orsay.
- Quel message adressez-vous aux lecteurs d'AMI ?
- Je leur demande tout d'abord de s'int�resser � l'histoire du Juda�sme. Moi-m�me, j'envoie ma fille au Temple. Je lis avec elle ma Bible pour qu'elle s'impr�gne de la po�sie juive, de la grandeur de l'�me juive. Tout enfant doit savoir pourquoi il reste Juif. Il doit garder, - sans fanatisme - le souffle de cette grande Bible, monument de notre fiert� et ne jamais laisser d�pr�cier tout ce que nous devons � la grandeur de la tradition d'Isra�l.
G. D


Les Cahiers de l'Alliance Isra�lite Universelle (Paix et Droit)
N�125 - 1er septembre 1959

Pierre-Maxime SCHUHL
L'�uvre po�tique d'Andr� Spire

Mesdames, Messieurs,
Nous avons l'habitude, au cours de ces Journ�es, de consacrer toujours une s�ance � une question de litt�rature fran�aise, et de pr�f�rence � l'�uvre d'un grand �crivain fran�ais. Nous avons eu la chance de b�n�ficier de la pr�sence de plusieurs d'entre eux. Or l'ann�e derni�re, on a c�l�br� avec beaucoup de sympathie et de retentissement le quatre-vingt-dixi�me anniversaire d'Andr� Spire. Il e�t �t� anormal que, m�me avec un certain retard, nous ne nous associions pas � l'hommage qui lui a �t� ainsi rendu.
Nous aurions aim� qu'Andr� Spire p�t venir lui-m�me ici. Un accident d'automobile, ou plut�t un accident qu'une automobile lui a inflig� nous prive de ce plaisir, mais nous avons celui d'avoir parmi nous Mme Andr� Spire et Mlle Spire. Nous les remercions beaucoup d'�tre venues ici, comme les d�l�gu�es du po�te, comme ses repr�sentantes et, si je puis dire comme sa voix, puisqu'elles veulent bien donner lecture de ses vers.
Nous ayons peu de temps pour esquisser les grands traits d'une �uvre multiple et d'une personnalit� extr�mement riche.
Spire est de la m�me g�n�ration que Claudel. Apr�s lui, - peu apr�s - se situent de plus jeunes, qui �taient Romain Rolland, Gide, Proust, Val�ry.
Nous parlerons surtout aujourd'hui du po�te; nous aurions pu parler �galement du prosateur, du haut fonctionnaire, et aussi du r�le qu'il a jou� dans l'histoire diplomatique de notre temps.
Beaucoup d'entre vous sont des litt�raires, devant lesquels il est inutile d� rappeler comment se succ�d�rent le Romantisme, le Parnasse, le Symbolisme, ou du moins, la premi�re g�n�ration des symbolistes, les symbolistes qui r�agirent contre le Parnasse, qui commenc�rent � r�agir contre l'orthodoxie m�trique et � lib�rer le vers, car c'est aussi l� un point dont nous devons dire un mot.
Spire en effet n'est pas seulement un po�te, Spire est �galement un th�oricien de la po�sie. Beaucoup de po�tes sont des empiristes qui cr�ent leurs vers en ob�issant � leur spontan�it�. Spire est un auteur spontan�, mais il r�fl�chit sur ce qu'il fait. Il y a eu de lui, sur les probl�mes de la technique po�tique, de nombreux articles publi�s dans diff�rentes revues; en dernier lieu, dans le Mercure de France et dans Europe. Un important volume a �t� publi� en 1949 chez Jos� Corti; il porte un titre curieux, mais suggestif, sur lequel j'attire votre attention :
Plaisir po�tique et plaisir musculaire. Cet ouvrage tient compte de quantit�s de recherches qui ont �t� faites depuis le d�but du si�cle par les phon�ticiens. Vous devez conna�tre un livre d'un ma�tre de Montpellier, qui s'appelait Maurice Grammont, sur la lecture des vers fran�ais.
Vous avez d� entendre parler des travaux d'un certain nombre d'auteurs comme l'Abb� Rousselot, le P�re Jousse, qui ont essay� d'�tudier scientifiquement, en laboratoire, l'�locution po�tique. Spire s'est beaucoup int�ress� � toutes ces �tudes. Il y a particip� et il est arriv� � une conception de l'expression po�tique, de la diction po�tique, qui fait intervenir non seulement l'audition de celui qui �coute le po�te, mais les caract�res physiologiques de la phonation de celui qui parle, et la fa�on dont tout l'organisme intervient dans la diction d'un po�me.
Il est ainsi arriv� � une conception du vers, calqu� sur le souffle, qui retrouve le rythme naturel de l'�locution, et qui ne se laisse pas emprisonner par le carcan traditionnel des arts po�tiques d'autrefois. Vous verrez tout � l'heure le r�sultat de ces �tudes et de cette diction.
Comment essayer de pr�senter la personnalit� d'Andr� Spire ? C'est un po�te qui est aussi peu �� homme de lettres � que possible. Ce po�te est avant tout un homme qui n'accepte pas les conformismes qu'on veut lui imposer; qui, d�s le d�but, a �t� rebelle au conformisme familial, social, pour chercher � �tre en toute franchise et en toute loyaut�, tout ce qu'il �tait ; qui a voulu vivre de la vie pleine de son temps.
Premier exemple : � une �poque o� le sport commen�ait seulement � se r�pandre, il a �crit des po�mes qui sont tr�s amusants parce qu'on y retrouve les d�buts du cyclisme. C'�tait le beau temps du v�locip�de, de la �� Petite Reine � qu'�tait la bicyclette; il y a aussi dans son �uvre des po�mes de l'automobiliste. Il y a �galement des allusions aux sports d'hiver, qui commencent aussi � ce moment-??l�, au ski; et je crois que, dans tous ces domaines, le po�te Spire a �t� un des premiers � vivre de cette vie si pleine. C'est un sportif. Ce n'est pas quelqu'un qui se r�fugie avec les symbolistes dans une tour d'ivoire.
Il poursuivit sa recherche simplement, avec une parfaite indiff�rence aux contingences qui ont tant d'importance dans la vie litt�raire ou dans la vie artistique d'aujourd'hui. Les prix, les concours qui vous font conna�tre, qui vous donnent un public, qui attirent sur votre �uvre les projecteurs de l'actualit�, ce sont des choses dont il a toujours eu horreur.
Cet homme, qui vit une vie pleine et qui se cherche en toute loyaut�, prend conscience de la multiplicit� de ses aspirations, de ses d�chirements. Qui ne serait pas d�chir� entre des multiplicit�s d'aspirations ?
Mais il n'adopte pas une de ces attitudes ambigu�s sur lesquelles on se pla�t � ???Insister aujourd'hui. Il prend conscience de ces oppositions, en toute clart� et en toute lucidit�.
Nous allons voir les diff�rents aspects de son �uvre, qui ne se heurtent pas, qui se compl�tent en r�alit�. C'est une personnalit� qui prend conscience de ses d�chirements, mais qui en prend conscience avec une sorte d'harmonieuse simplicit�, si bien que ces d�chirements, si vifs qu'ils soient, sont �lucid�s et r�duits en quelque sorte.
Je ne veux pas faire une trop longue pr�sentation. Je pr�f�re laisser parler Andr� Spire lui-m�me, le suivre dans son �uvre et essayer de faire se d�rouler devant vous, au cours de nos lectures, les diff�rentes �tapes de sa recherche.
Voici d'abord des souvenirs d'enfance. Non-conformisme, avons-nous dit. Ce non-conformisme se marque d�j� dans un po�me intitul� : Ne... Vous allez y observer, � c�t� de cette r�action de non-conformisme, le rythme de la po�sie populaire, que nous trouvons tr�s fr�quemment chez lui. C'est une sorte de chanson populaire, qui a un accent de terroir; on en trouve bien d'autres, tr�s savoureuses, dans l'�uvre de Spire (1).

NE.,.
Quand je valais quelque chose,
Digue, digue, digue,
Quand je valais quelque chose,
Ne touche pas au feu,
Me disait le grand oncle;
N'ouvrez pas cette armoire,
Me disait la servante;
N'approche pas du puits,
Me disait la grand'm�re;
Ne marche pas si vite,
Tu te mettras en nage;
Ne cause pas en route,
Ne regarde pas en l'air;
Ne regarde pas � droite,
Il y a la fleuriste;
Ne regarde pas � gauche,
Il y a le libraire;
Ne passe pas la rivi�re,
Ne monte pas la colline,
N'entre pas dans le bois.
Moi, j'ai pris mon chapeau
En �clatant de rire,
Mon manteau, mon b�ton
En chantant : digue, digue !
La rivi�re, la colline,
Les grands bois, digue, digue !
Digue, digue les beaux yeux.
Et digue, digue, les livres !

Voil� donc une r�ponse n�gative aux interdits familiaux, une �chapp�e vers la nature, vers les livres, vers la libert�.
Et voici maintenant un souvenir de cure dans une ville d'eau thermale, le souvenir d'un enfant de Lorraine qui accompagnait ses parents � Bains-les-Bains ou � Bourbonne, � Plombi�res ou � Martigny :
HENRIETTE
Henriette, qu'es-tu devenue ?
Es-tu demoiselle, es-tu femme,
Es-tu grand'm�re,
Es-tu morte ?

Ton p�re recevait le R�veil de Dole,
Et ta m�re, mate et flexible.
Ne quittait jamais ses mitaines.
C'�tait � la villa des Sources
On d�jeunait � midi juste.
Le service par petites tables
A �t� invent� depuis.

On se passait, � droite, � gauche,
Le pain, le potage, la salade.
On parlait des amis, du voyage,
Et le soir, apr�s quelques whists,
On organisait des charades.

Il y avait nos deux fen�tres
Qui donnaient sur la m�me pelouse,
Et mon salut, et ton sourire
Lorsque tes volets s'entrouvraient.

Il y avait tes bras, ton front,
Ta voix grave, tes yeux un peu myopes,
Il y avait deux jeunes corps,
Que le vieux souffle des vacances
Essayait de lancer l'un vers l'autre.

Mais toi, tu lisais Graziella,
Et le proviseur, sur l'estrade,
M'avait, avec une couronne verte,
Et une tape sur la joue,
Remis les Vaines Tendresses.

Et c'est � peine si nos c�urs,
Tes nattes, mon prix d'excellente
Eurent l'audace de jouer ensemble
Une ou deux parties de croquet.

C'est l� une r�miniscence, d�licate et charmante. Et puis, voici la naissance � la po�sie : Les jeunes po�tes de province.

Nous sommes deux, ou trois, ou quatre,
Dans chaque ville.
Nous sommes de pauvres petits gar�ons !

Nos doigts tremblent, le matin des premier et des quinze
Quand notre revue arrive chez nous.
Nous en d�chirons fi�vreusement la bande
Pour lire s'il n'y a pas quelque chose de nous.

Nos amis sont � Lille, � Toulouse, � Marseille, � Lyon, � Moulins, � Limoges, � Nancy.
Un beau jour, nous filons tous les uns vers les autres;
Nous nous retrouvons � Paris.
Soufflet, Vachette, Balzar, Deux-Magots. Closerie !
Nous nous f�licitons et nous congratulons !
Et nous ne nous connaissons pas depuis deux heures
Que nous nous jalousons et nous nous trahissons.

Nous sommes deux, ou trois, ou quatre,
Dans chaque ville.

Voil� donc le jeune homme qui na�t � la litt�rature, qui veut devenir po�te. Et ce po�te �crit des vers qui sont charmants. Voici deux exemples. D'abord un tableau de fleurs, qui fait penser � un Renoir, � un Odilon Redon ou � un Fantin-Latour :

ANEMONES
An�mones, petites danseuses,
Ici et l� sur nos tables,
Vous dansez vos petits ballets.

Petites danseuses aux pieds coup�s,
Dans les facettes de nos vases
Vous dansez vos danses d�pendantes.

Sur l'air instable de nos chambres
Vous r�glez vos lentes cadences,
Poudr�es de vos pollens violets.

Hors de l'ombre qui vous oppresse
Vous �tirez vos r�v�rences,
Vos langueurs lavande, vos deuils mauve

Vous tendez vos tailles esclaves
De nos tables vers nos fen�tres,
But�es contre le brouillard blanc.

Le brouillard givr�, mer muette,
O� flotte le soleil cerise
Qui vous meut et ne vous voit pas.

A sa course oblique accord�es
Vous couvrez sa chute tragique
De l'hymne de vos vols bless�s.

Et, dans sa mourante lumi�re,
Vous vous �croulez, une � une,
Parmi vos soies �pandues.

Nous sommes tr�s pr�s du Parnasse. Nous sommes tr�s pr�s de certains symbolistes. Et dans le m�me ordre, voici un autre po�me, presque parnassien, et pourtant un peu plus cors�. C'est un souvenir de p�che en M�diterran�e.

POISSONS DE ROCHE
Girelles, rouqui�s, sarans, rascasses,
Poissons de roche, poissons-joyaux,
Je vous sors de la mer transparente,
Fr�tillant au bout de ma ligne.

Je vous sors des failles mordor�es
Ou, sur les pierres �boul�es,
Entre les algues vous jouez,
Des fonds vert sombre, des grottes bleues
O� dort le congre, o� peut-�tre,
Dort aussi un dieu.

Nagez, tournez, rouqui�s, girelles,
Fl�tes, rascasses, dans mon filet,
Nagez, arc-en-ciel prisonnier.
Encore une heure, encore deux heures,
Et puis nous partirons ensemble
Dans les odeurs fauves de midi.

Nous nous en irons tous ensemble
Vers le fond rouge de la calanque
O�, parmi les pins �tal�s,
Les bruy�res arborescentes,
Dans la cuisine fra�che vous attendent
Le laurier, le thym, le persil,
Le citron, la tomate, le crabe,
Le homard, saphir et topaze,
Et le piment et le safran.

Apr�s cette po�sie, charmante et un peu gratuite, voici maintenant qu'� Paris, le jeune po�te aborde des exp�riences sociales et prend contact avec ce qu'on appelle l'�lite.

L'ELITE
�� Nous sommes l'�lite �, disent-ils.
Ils ont des automobiles,
Des ma�tresses et des chevaux.
�� Nous sommes l'�lite �, disent-ils.

�� Nous organisons le travail ;
Nous sommes indispensables �.
Les ouvriers gagnent leurs sous.
Les paysans portent leurs sacs.

Leurs paysans, contre les arbres,
A grands coups de matraque tapent,
Et rabattent le gibier des traques
En criant dans les sous-bois nus.

�� Nous sommes l'�lite, disent-ils.
Nos femmes vont aux concerts classiques,
Nos fils � l'Ecole de Droit,
Et nos filles lisent les Annales.

Les premiers sculpteurs de Paris
Pour nos escaliers font des rampes ;
Les po�tes chantent nos jardins,
Les peintres vivent de nos miettes. �

Pour leurs d�ners de syndicats
Ils font venir des danseuses,
Des musiciens et des chanteuses.
�� Nous sommes l'�lite �, pensent-ils.

Puis ils descendent, vers minuit,
Aux rues basses de la ville vieille.
Et, pleins de champagne et d'amour:
�� Nous sommes l'�lite �, vomissent-ils.

En r�action contre une po�sie qui n'est qu'une distraction pour la fausse �lite, Spire revient � la spontan�it� de l'art populaire, qu'il pr�conise dans un nouvel Art po�tique, que voici.

Peuple g�t� par trop de ma�tres,
Peuple trop riche en souvenirs,
Peuple des chansons et des danses,
Tu savais autrefois inventer tes images,
Chacun de tes baisers cr�ait un mot nouveau.
Maintenant tu r�cites.
Qu'as-tu fait de tes sens ?

Ecoute-les.
Murmure, chante ce qu'ils te dictent.
Tout le reste oublie-le.
Quand le vent te caresse la main,
Est-ce un dieu qui te prend ?
Une naiade quand tu te plonges dans une source ?

Ah, ne lis plus!
Ah! n'apprends plus par c�ur.
Regarde, �coute, flaire, go�te, mange!
Jette tes v�tements ; laisse le ciel, la mer,

Le soleil, l'air, l'odeur riche des plats
Poss�der ton corps jeune...
Et tes l�vres se mettront toutes seules
A chanter de jeunes chansons.

Mais l'essai de po�sie populaire aboutit finalement, et malgr� la r�ussite des chansons signal�es plus haut, � un �chec qui correspond � celui des universit�s populaires, auxquelles Spire s'�tait int�ress� au m�me moment; et le r�sultat en est une sorte d'universelle d�ception (2).
Pas plus que les autres, les philosophes n'ont su apporter une solution au po�te. C'�tait l'�poque des grands succ�s de Bergson au Coll�ge de France. Mais ses cours le d��oivent (3); et le po�me Feu Follet d�nonce �� le point par o� d�faille chaque syst�me �.
A ce moment se d�veloppe chez Spire un naturalisme, une sorte de d�isme panth�iste qui s'exprime dans un po�me d�di� � L�on Brunschvieg, et intitul� Concupiscences.
Ce naturalisme repara�t dans les Po�mes de Loire. En m�me temps que la s�duction du fleuve, s'y exprime le sentiment que la nature la plus belle ne suffit pas � satisfaire l'aspiration � l'infini que le po�te trouve en lui. Voici un po�me de 1904, que P�guy a publi� dans les Cahiers de la Quinzaine et qui s'intitule Ma barque lentement descend le fil de l'eau.

Ma barque, lentement, descend le fil de l'eau.
Les arbres sont pench�s sur la rivi�re calme.
Un poisson saute en l'air en faisant un bruit plat.
A coups secs un p�cheur fiche un pieu dans la rive.
De gros nuages blancs tombent du ciel dans l'eau.

Mon c�ur, tu ne bats plus de la fi�vre des villes.
Oublie tout, tes ennuis, tes h�tes, tes douleurs.
D�tends-toi, c�ur ardent, malade de trop vivre.
Et jouis pleinement de la beaut� du soir.

Flancs bois�s des collines, molles ondulations
Des plaines plant�es de grands arbres,
Rideaux de peupliers balanc�s par le vent,
Aulnes qui coqu�tez sur le miroir du fleuve,
Nature reposante o� les autres s'apaisent,
Laisse-moi te prendre toute par mes yeux,
T'emporter toute, pour moi seul, dans mon �me.

Ah ! ta s�r�nit� que peut-elle sur moi ?
Quand tu veux te cr�er l'ombre d'une for�t,
L'encens et la musique d'une cath�drale,
Le mouvement et la lumi�re d'une cit�,
Toi tu dis, assur�e, prudente, souriante:
J'ai mille ans devant moi.

Tu ne calmeras pas mon c�ur inquiet, nature
Moqueuse, en tes yeux verts, l'�ternit� me raille.

Ma barque, lentement, descend le fil de l'eau.

Voici maintenant deux simples strophes, dans lesquelles cette aspiration � l'infini se pr�cise, et annonce un th�me que nous allons voir se d�velopper � pr�sent :

JARDINS
Jardins, jardins, comme j'aimerais
Vos calmes ordonnances,
Si derri�re vos arbres taill�s, je ne sentais
Comme une absence, une �ternelle absence.

Si sans cesse, vos fleurs ne me disaient : �� Va-t'en !
Il y a un d�sert au pied d'une montagne.
Cherche, sans l'y trouver, une voix qui te parle,
Au milieu des �pines, dans un buisson ardent.�

La m�me aspiration se fait jour encore devant la s�duction de l'art, qui, elle aussi, se manifeste insuffisante (le Messie) :
Art, si je t'acceptais,
Tu d�tendrais mon �me.
Par la main tu me conduirais et j'oublierais.

Art, si je t'acceptais, ma vie serait charmante.
Mes jours fuiraient l�gers, bienveillants, dilettantes;
J'aurais � moi, j'aurais pour moi le fugace Pr�sent.

Mais mon c�ur satisfait pourrait-il encore vivre
Si tu l'avait ch�tr� de son r�ve splendide :
Ce Demain �ternel qui marche devant moi.

Nous en arrivons maintenant � la d�marche par laquelle Spire, juif lorrain, a retrouv� le juda�sme. Nous trouvons d�j� certains renseignements � ce sujet dans les textes de prose intitul�s Quelques juifs et demi-juifs, o� parlant de James Darmesteter, le grand savant qui �crivit un si beau livre sur �� les Proph�tes d'Isra�l �, Spire nous donne quelques indications sur l'histoire et le caract�re des juifs lorrains. Darmesteter, nous dit-il, �� �tait n� en 1849, en Lorraine fran�aise, dans la petite ville de Ch�teau-Salins. Son p�re et son grand-p�re �taient originaires du d�partement de la Moselle. Son p�re �tait libraire-relieur, travaillant en semaine de son m�tier, mais les samedis et les f�tes fermant boutique et passant sa journ�e au Temple, dont il �tait chamasse. Il y avait alors dans la plupart des villages et des bourgs lorrains des communaut�s juives group�es autour de petites synagogues ou d'un oratoire. A part leur religion, qu'ils exer�aient avec plus de soin, de ferveur, et les prescriptions alimentaires qu'ils n'avaient pas encore pris le parti de n�gliger, ils ne se distinguaient gu�re des autres Lorrains, ni par le costume, ni par les m�urs. Ils parlaient le patois lorrain, et quand ils parlaient fran�ais, leur accent n'�tait ni plus tra�nant, ni plus nasal que celui de leurs compatriotes.
�� Les uns descendaient de juifs immigr�s d'Allemagne, de Russie ou de Pologne. Les autres, des juifs autoris�s � rentrer � Metz depuis 1552 et � qui des droits et m�me des privil�ges avaient �t� accord�s par les rois de France, et surtout par Louis XIV, parce qu'il n'avait pas pu trouver de meilleurs fournisseurs de chevaux pour sa cavalerie. D'autres enfin descendaient des familles autoris�es par les ducs de Lorraine � r�sider depuis 1680 dans diverses villes ou villages du duch�. C'�taient ces juifs de Metz, de Nancy, de Lun�ville, etc., que l'abb� Gr�goire avait connus et aim�s. C'�tait � cause de leurs vertus qu'il s'�tait attach� � la cause de tous les juifs du royaume et avait obtenu, non sans peine, leur �mancipation de !'Assembl�e Constituante... �
Voil� donc ces juifs de Lorraine qui, depuis tr�s longtemps, sont install�s � une place � eux, qu'on ne leur conteste pas; ils sont encore tr�s pr�s des traditions familiales, dont nous retrouvons le souvenir dans un �mouvant po�me intitul� Voyage de Noces.

Tu as dit � ta jeune femme :
Partons pour mon pays.
Mes grands-p�res, leurs fils et leurs fr�res
Y dorment sous des pierres dress�es.

Tu liras les lettres carr�es,
Grav�es en creux et rehauss�es de noir,
O� leur vie est racont�e.
Tu verras comme ils furent aim�s.
Tu verras comme ils furent pleur�s.

C'�taient des gens tr�s ordinaires.
Ils partaient toute la semaine.
Ils buvaient de l'eau, ils mangeaient du pain,
Du fromage et des pommes de terre.
Ils n'avaient pas peur des rieurs
Lorsque, le matin, dans les foires,
Ils enroulaient leurs phylact�res.
Ils rentraient le vendredi soir
Avant le coucher du soleil.

Ils s'habillaient, allaient au Temple,
Puis, imposant leurs mains sur la t�te des fils:
Que Dieu te traite, disaient-ils,
Comme Ephra�m et Manass�,
Puis, imposant les mains sur la t�te des filles:
Que Dieu te rende l'�gale
De Sarah, R�becca, Rachel et Lia.

Tu as dit � ta jeune femme :
Partons pour mon pays.
Nous verrons monter les sapins
Dont les racines penchent les tombes
De mes grands-p�res, et de mes oncles.

La foule bruyante des cousins
Nous attendait � la gare.
Les cousins nous ont fait voir
Leurs entrep�ts et leurs fabriques.
Les cousines nous ont fait voir
Leurs cr�dences lourdes de vaisselle,
Leurs buffets de ch�ne cir�
Tout reluisants de r�ussite.

Tu as dit � ta jeune femme :
Partons pour mon pays.
Tu liras les noms des grands-p�res
Grav�s d'un ciseau maladroit
Sous la main double du Cohen
Et sous l'aigui�re du L�vite.

Il se compl�te par un autre po�me. Depuis des si�cles..., qui est une admirable m�ditation dans un cimeti�re lorrain. C'est l'expression de la reconnaissance que le po�te doit aux anc�tres inconnus qui lui ont l�gu� un corps sain. L'id�e est extr�mement belle. Je ne vous lis que quelques vers seulement :

Depuis des si�cles j'existe.
Je suis n� mille fois, mille fois,
Et vous m'avez sauv� mille fois de la mort,
O vous qui depuis l'aube de la terre,
Avez gard� le pauvre germe que j'�tais,
Multitude d'a�eux � qui je dois de vivre.

Pensiez-vous � celui qui vous b�nit
et qui vous chante,
O vous, dans le sein de qui je reposai,
O vous, qui ligne � ligne avez conquis
Les formes mouvantes de mon corps ?
Vous pensiez � celui qui serait votre fils
Et votre fils pensait � son fils...

Dans un ordre d'id�es voisin, un po�me d�j� ancien, Personne, exprime la tristesse de l'homme sans enfants avec un sentiment extr�mement prenant, et tr�s profond. Il est compens� par les charmantes Enfantines �crites depuis lors. Parmi les meilleures, il y a les Cinq pri�res (non orthodoxes) pour une petite fille juive, dont voici la premi�re : La Pri�re du Matin.

Merci, mon Dieu, pour mon sommeil !
Merci, mon Dieu, pour mes beaux r�ves !
Merci, mon Dieu, pour la lune d'hier soir,
Les �toiles de la nuit,
Le soleil ce matin.
Merci, mon Dieu, pour mon r�veil chantant,
Pour le r�veil de maman.
Et que papa et ma poup�e,
Tu sais, ils ont le r�veil dur,
Se r�veillant comme nous deux en riant.
Et pour que tu voies que je t'aime et te remercie
Toi qui m'as donn� des mains qui parlent,
Des pieds qui dansent,
Je vais faire pour toi trois cabrioles
Avant de sauter de mon lit.

Il nous faut passer maintenant � la substance m�me de ces Po�mes Juifs et commencer par lire un po�me en prose, qui est dat� de Strasbourg, 1905, et qui s'intitule - d'apr�s une des statues de la cath�drale - l'Ancienne loi.

L'ANCIENNE LOI
Elle m'est apparue cette nuit, la vaincue, les yeux band�s, le col [pench�, la t�te d�faite;
Elle m'est apparue cette nuit, telle que je l'ai vue sur le pilier de la cath�drale, appuyant sa main de gr�s rose sur la hampe de son �tendard, la maudite, avec son livre renvers�, ses jeunes hanches, les plis droits de sa tunique chaste;
Elle m'est apparue cette nuit, la d�sol�e.

Et elle r�v�le au po�te ce qui vraiment �� fait battre son c�ur � :
C'est, quand tu entends des voix un peu rauques, tu vois des mains un peu fi�vreuses, des yeux un peu serr�s.
Quand la bouche qui demande ton aide te crie : tu me la dois.
Car celui-l� est ton fr�re, qui a ton �me; qui se d�clare ton �gal.

Tu voudras chanter la force, l'audace;
Tu n'aimeras que les r�veurs d�sarm�s contre la vie.
Tu tenteras d'�couter les chants joyeux des paysans, les marches brutales des soldats, les rondes gracieuses des fillettes.
Tu n'auras l'oreille habile que pour les pleurs qui tombent des quatre coins de l'univers.

Nous posions tout � l'heure la question de savoir comment Spire a retrouv� le juda�sme, et nous avons rappel� le r�le des traditions familiales. Certains vers font penser aussi � un retour � la morale biblique en face de l'amoralisme de la fausse �lite (4).
Spire a indiqu� lui-m�me que plusieurs �l�ments sont intervenus. Barr�s, exaltant le patriotisme lorrain, avait presque invit� les juifs lorrains � prendre connaissance de ce qu'il y avait de particuli�rement juif dans leurs particularit�s lorraines.
Par ailleurs il faut faire place � l'influence de la personnalit� de P�guy, qui publia dans les Cahiers de la Quinzaine �� Chad Gadya �, de Zangwill; et par dessus tout le reste, aux �v�nements de l???Affaire Dreyfus. Il suffit pour s'en convaincre de lire la d�dicace des po�mes �� � Isra�l Zangwill, au Dr Herzl, � Max Nordau, � Bernard Lazare, � Herzenstein, � Jollos, au capitaine Mayer, � Cr�mieux-Foa, � tous ceux qui vivent, combattent, moururent pour le rel�vement de la dignit� juive �.
N'oublions pas non plus de tenir compte de la lecture des R�flexions sur la Violence, de Sorel; enfin de la r�action du sportif dont nous parlions en commen�ant, de la r�action fi�re du sportif qui se rebelle contre l'outrage, qui se battit comme Cr�mieux-Foa et comme le capitaine Mayer.
Le pamphl�taire, le po�te satirique que nous avons d�j� vu surgir dans sa r�action contre la fausse �lite, dirige maintenant ses traits contre les juifs qui se contentent de vouloir ressembler aux autres; et c'est le po�me Assimilation, si connu qu'il est inutile de le citer, ou ce sont de mordants textes en prose, comme celui qui concerne un jeune attach� de cabinet, �mu par la lecture de Chad Gadya, mais si occup� � parvenir qu'il ne trouve pas le temps d'y r�fl�chir !
Mais bient�t l'horizon s'�largit, et voici les R�ves juifs :
O mes fr�res, � mes �gaux, � mes amis.
Peuple sans droits, peuple sans terre;
Nation, � qui les coups de toutes les nations
Tinrent lieu de patrie,
Nulle retraite ne peut me d�fendre de vous.

Avec vous je suis fort, je suis s�r avec vous.
Prenez-moi, r�vons ensemble, parlons ensemble
De ce temple d�truit que nous aimons toujours.
Et clamons, � travers les mondes pleins de viandes,
Notre imbroyable espoir en ce Dieu infid�le
Qui nous a tant trahis que nous n'y croyons plus.

Les deux derniers vers montrent bien qu'ici encore Spire retrouve la contradiction int�rieure, d�chirante et f�conde.
Et c'est toute une s�rie de tr�s beaux po�mes qui sont d'autant plus frappants qu'on en lit la date : 1905 ! Voici un po�me qui s'appelle Ecoute, Isra�l !

�� Les uns se fient � leurs chars, les autres � leurs chevaux. Et nous, nous invoquons le nom de VEternel. Psaume XX. �
Ecoute, Isra�l,
Ne te lasseras-tu pas de r�p�ter dans tes pri�res :
�� Sois lou�, Eternel qui venges mes injures,
Qui soutiens mes querelles, qui prot�ge mes droits,
Qui broies mes ennemis, qui tues mes oppresseurs.
Sois lou�, Eternel qui ceins mes reins de force �.
Ecoute, Isra�l,
As-tu vu tes ennemis rougir, �tre atterr�s ?
Tes yeux se sont-ils abaiss�s sur leur ruine ?
Ton Dieu a-t-il frapp� les os de leur m�choire ?
Brisa-t-il les dents du m�chant ?
Ton oreille joyeuse a-t-elle appris la perte
De ceux qui se sont ligu�s contre toi ?
L'Eternel a-t-il fait resplendir ta vieillesse
Comme celle de l'olivier en fleurs ?
Ecoute, Isra�l,
Tu gravas ta Loi dans ton c�ur
Tu l'enroulas matin et soir sur ton bras gauche.
Tu la nouas comme un fronteau entre tes yeux.
Tu la fixas sur les poteaux de ta maison, et sur tes portes
Et tu es le m�pris de toutes les nations !
Les nations t'ont souill� comme une femme impure.

Ecoute, Isra�l !
Les torrents roulent encore des pierres rondes
Pour les frondes des Davids futurs.
Les carri�res sont pleines de meules de gr�s fins
Pour retailler les pointes de tes vieilles �p�es.
Tu trouveras des fours, des marteaux, des enclumes
Pour reforger les socs de tes vieilles charrues
En brownings bien galb�s qui claquent d'un bruit sec.
Ecoute, Isra�l !
Aux armes !

Un autre po�me fait �cho � celui qui vient de vous �tre lu et s'intitule A la Nation Juive :

N'as-tu pas assez de bras courageux
Pour changer les plus br�lants sables
En fertiles jardins ?
N'as-tu pas assez de cerveaux
Pour conduire tes nouveaux exodes,
Pour te rapprendre ta vieille langue,
Pour rep�trir tes id�als,
Pour refaire de toi un Peuple ?

En ce peuple le po�te esp�re trouver :
Des fronts tenaces, des mains vaillantes,
Mais des mains caressantes aussi,
Qui sauront disposer les soies et les laines,
Qui broieront les couleurs, p�triront la glaise,
Et glorifieront, dans le marbre,
Ta beaut�, Isra�l !

Spire, juif fran�ais, n'oublie pas .pour autant la France, et voici un tr�s beau texte : A la France. Nous parlions tout � l'heure des oppositions qui se concilient en lui. Il s'agit ici de la tension entre deux aspects compl�mentaires de sa personnalit� - la raison classique et la violence proph�tique :

O pays adorable,
Toi qui absorbas tant de races,
Veux-tu m'absorber � mon tour ?
Ta langue mod�le mon �me.
Tu m'obliges aux pens�es claires.
Tu forces ma bouche � sourire.
Et tes grandes plaines si soign�es,
Et tes for�ts am�nag�es,
Tes for�ts ou l'on n'a plus peur,
Et la mollesse de tes lignes,
Tes fleuves lents, tes villes, tes vignes.
Me voil� plus qu'� moiti� pris (5).

Et pourtant se fait jour une aspiration romantique � des passions moins mesur�es :

O chaleur, � tristesse, � violence, � folie,
Invincibles g�nies � qui je suis vou�... (6).

Et voici un po�me plus r�cent. Il est de 1943. C'est une admirable Marseillaise.

Mme SPIRE. - Ce po�me a �t� �crit en Am�rique o� nous �tions partis parce que mon mari avait dit : �� Le jour o� les Juifs redeviendront des citoyens de seconde zone, je reprendrai le chemin �ternel des Juifs, c'est-�-dire le chemin de l'exil �. Et nous sommes partis pour l'Am�rique en 1941.

A �� LA MARSEILLAISE �
Le po�te �voque les paroles de Rouget de l'Isle :
O vieux mots ! hier sans s�ve :
�� Etendards �, �� Tyrannie �, �� Aux armes � !
Qui parcouriez jadis la terre
Bousculant reitres et rois,
Je vous vois soudain rena�tre
Dans les yeux creux des otages,
Dans des bouches s�ches, au poteau,
Gonfl�s du souffle, bridant des flammes
Des volontaires marseillais !

Je vous vois redress�s, piques,
Fourches, b�tons, poignards, sabres,
Je vous vois surgir, mitrailleuses,
Canons, tanks lourds, avions...

Et ce raz de mar�e bouscule :
Nos �migr�s de l'int�rieur,
Et toutes ces �� hordes sanguinaires �
Que depuis un si�cle ils d�sirent,
Libert�, Libert� ch�rie,
Pour chasser de toutes les patries
Ton nom, tes fils, �� nos bras vengeurs � !...

Il y a bien d'autres po�mes encore que l'on voudrait lire... celui, par exemple, qui s'intitule O� es-tu ? dans lequel le po�te, en 1947, s'en prend � Dieu, qui a laiss� sacrifier tant de victimes. Je lis seulement la derni�re strophe :

Ah ! Seigneur, si tu veux que de nos bouches montent
Les louanges dont jadis tu te gorgeais,
P�se, balance avec la vieille prudence de ta jeunesse,
Choisis parmi les brass�es de tes dons.
Ralentis tes no�ls,
Dose tes gr�les de jouets � ces mains d�lirantes
Qui vont faire de toi, semeur des mondes,
Un p�re sans enfants, un Dieu sans Univers.

On retrouve ici l'opposition entre tendances contraires dont aucune ne parvient � abolir d�finitivement l'autre, et m�me entre notions contraires, parfois affirm�es toutes deux dans la m�me phrase, et qui sous tend beaucoup des plus beaux po�mes de Spire. C'est l� un des traits caract�ristiques de sa personnalit�, � la fois partag�e et �quilibr�e.
Nous avons achev� notre voyage � travers l'�uvre de Spire. Vous avez pu voir comment l'inspiration lyrique, �pique, proph�tique s'y m�le � la verve satirique. Bien entendu, nous n'avons pu vous donner que quelques exemples; mais j'esp�re qu'ils ont suffi pour vous convaincre qu'il y a l� une �uvre puissante, capable de susciter l'admiration et aussi de passionnantes discussions, que l'heure tardive ne nous laisse pas le temps d'engager aujourd'hui; une �uvre forte et belle en tout cas. (Vifs applaudissements.)
Avant de nous s�parer, nous prierons Mme Spire d'�tre notre interpr�te � tous aupr�s du po�te pour lui adresser nos v�ux de rapide r�tablissement et l'expression de notre affectueuse admiration.

(1) Voir par exemple Les Filles de Pontivy, La Chanson des Oiseaux et du Temps et Quand j allais � Blamont-en-Lorraine.
(2) Voir le po�me intitul� : Il y a...
(3) Voir le po�me intitul� : Il y a des Dames.
(4) Que l'on rapproche, par exemple, les derniers vers de l'Elite des deux derniers vers de : Assimilation.
Et chasse donc ta brave vieille �me
Qui jusqu'ici vient te chercher.
(5) Voir aussi, d'une �poque ant�rieure, le beau po�me intitul� : Paris :
O reprends-moi, recueille-moi, apaise-moi,
Ville indulgente.....
O ville claire,
Ouvre tes avenues au devant de mon trouble
Au devant de mes pas glisse comme une douce pente
Tes rues affectueuses et pleines de sourires
etc...
(6) On trouve une opposition comparable dans Jardins.



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