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Annuaire administratif, statistique, historique,
judiciaire et commercial de Meurthe-et-Moselle
Henri Lepage
Ed. Nancy, 1885
LA BI�RE EN LORRAINE
LA L�GENDE GAMBRINALE.
Un imitateur du spirituel autour de L'ancienne Alsace �
table a publi�, sous un titre plaisant (1), un travail,
au fond tr�s s�rieux, sur l'histoire de la fabrication
et du commerce de la bi�re. Cette branche d'industrie
ayant pris, surtout dans notre r�gion, une importance
consid�rable, il nous a sembl� int�ressant de faire
conna�tre son origine, ses d�veloppements successifs et
les r�glements auxquels elle fut soumise,
particuli�rement en Lorraine.
Afin de justifier le titre de son livre, M. Reiber a
commenc� par le r�cit d'une l�gende qui n'est pas
absolument �trang�re � nos contr�es, et que des �rudits
n'ont pas d�daign� de discuter, �� Un savant belge,
dit-il, le Dr Coremans, s'occupa le premier, d'une fa�on
rationnelle et approfondie, de la l�gende gambrinale.
Suivant lui, Gambrinus est la m�thath�se de Jan primus,
nom d'un duc de Brabant, n� en 1251, tu�, en 1295, dans
un tournoi, � Bar. Souverain �minemment populaire,
trouv�re flamand et fran�ais � ses heures, ses fid�les
sujets, les brasseurs de Bruxelles, tinrent � l'honorer
comme on honore encore, de nos jours, un souverain aim�,
en pla�ant son image dans la salle de r�union de leur
corporation. C'est cette image, pieusement conserv�e par
la plus importante gilde des brasseurs braban�ons, qui
fut cause de la transformation post�rieure du souverain
en brasseur, de Jan primus en Gambrinus... �
� Jean Ier s'intitulait duc de la Basse-Lorraine, de
Lothier ou de Brabant. C'�tait le plus grand jo�teur de
son si�cle... A l'occasion des noces qui devaient se
c�l�brer entre Henri (III), comte de Bar, et L�onore,
fille d'Edouard d'Angleterre, il y eut un tournoi
solennel, non � Bar, mais � Anvers, o� la mari�e vint
aborder. Jean Ier, qui jo�tait avec Pierre de Baufremont,
perdit son gantelet et eut le bras perc�, le 3 mai 1295.
Il mourut le lendemain des suites de sa blessure...
� Une autre version assimile Gambrinus au duc de
Bourgogne Jean-sans-Peur (1371-1419), autre Jean, qui,
en mati�re de bi�re et de brasserie, fonda au moins
l'Ordre du Houblon. �
Nous ne suivrons pas plus loin M. Reiber dans sa
dissertation, si piquante elle soit, sur la l�gende
gambrinale, et la terminerons avec lui par quelques
vers, traduits d'un po�te allemand, et qui se trouvent
le plus souvent plac�s sous le portrait du monarque :
Vous voyez ce h�ros, nomm� de son vivant
Gambrinus, roi de Flandre, ainsi que de Brabant,
C'est par lui que la bi�re un jour fut invent�e,
En m�lant le houblon � l'orge ferment�e ;
Et messieurs les brasseurs ont droit, en bonne foi,
De dire que leur ma�tre et patron est un roi.
Parmi tous les m�tiers, qu'on nous en cite un autre
Qui puisse se vanter d'avoir un tel ap�tre.
LA CERVOISE.
La bi�re a �t� pr�c�d�e par une autre boisson, la
cervoise, faite comme elle, avec du grain, - mais en y
ajoutant des herbes, - et dont l'origine remonte aux
temps les plus recul�s. Elle �tait connue, notamment,
des Gaulois, nos anc�tres. L'�poque gallo-romaine nous a
l�gu� un flacon, conserv� � Paris, � l'h�tel Carnavalet,
et sur lequel on lit : Hospita, reple lagenam cervisia !
(H�tesse, remplis de cervoise la bouteille.) - Et les
potiers gallo-romains ont inscrit sur des gobelets en
terre rouge : Cervesariis feliciter ! (Vivent les
cervoisiers !)
Le m�decin Jean de Milan, qui composa, pour Robert II,
duc de Normandie, vers l'an 1100, le po�me hygi�nique
connu sous le nom d'Ecole de Salerne, lui a consacr� six
vers, qu'un autre m�decin-po�te du XVIIe si�cle a
traduits de la fa�on suivante (2):
Du vinaigre le goust la cervoise ne sente,
Que claire, transparante et bien cuite elle soit :
Soit faite de bons grains, non trop vieille ou r�cente,
Ne charge l'estomac de cil qui la re�oit.
Les grossi�res humeurs la cervoise entretient,
Envoye de la force, et la chair elle augmente,
Elle engendre du sang, le ventre libre tient,
Provoque � uriner, rafraischit, est enflante.
Les traducteurs des textes anciens ont parfois confondu
la cervoise et la bi�re, et expos� ceux qui leur
ajouteraient l�g�rement foi, � commettre une grave
erreur.
Ainsi, l'auteur de L'ancienne Alsace � table,
d'ordinaire si pr�cis, rapporte que �� lorsque les Missi
dominici de Charlemagne inspectaient les provinces du
puissant empereur, ils avaient droit � des subsistances.
Munis d'une lettre-patente appel�e tractatorio, qu'on
pourrait qualifier de lettre d'�tape, ils requ�raient,
pour eux et pour leur suite, les provisions n�cessaires
� un entretien honorable. Cette lettre-patente n'�tait
pas � m�priser. Marculfe nous en a conserv� le mod�le.
Elle leur valait, jour par jour, outre les voitures, une
forte quantit� de pain blanc, de vin, de BI�RE, de lard,
de viande de boucherie, de porcs, de cochons de lait, de
moutons d'agneaux, d'oies, de faisans, de poules, d'oeufs,
d'huile, de miel, de vinaigre, de cannelle, de poivre,
d'amandes, de pistaches, de fromages, de sel, l�gumes. �
Un autre historien (3) donne des d�tails qui nous
int�ressent plus directement. Parlant de l'�tat de la
Lorraine sous la domination des Carlovingiens, il dit
que l'industrie fut � peu pr�s, aux VIIIe et IXe
si�cles, ce qu'elle �tait pr�c�demment. �� La fabrication
de la BI�RE et de la cervoise continuait � occuper une
multitude d'individus, et ces liqueurs rempla�aient
souvent le vin, qui �tait, � ce qu'il para�t, d'un prix
assez �lev�. Le chapitre 23 de la r�gle �tablie par
l'�v�que de Metz Chrodegang (742-767), pour les
chanoines des cath�drales, mentionne la cervoise. �� Les
jours, dit-il, o� l'on fait deux repas, les pr�tres et
les diacres auront trois tasses � d�ner et deux �
souper... Les jours de je�ne, comme on ne mange pas le
soir, le cellerier ne servira le vin qu'� d�ner. Si les
vins manquent, et qu'on ne puisse fournir la ration tout
enti�re, l'�v�que donnera ce qu'il aura... Au reste, il
pourra donner de la cervoise en compensation, et ceux
qui ne boivent pas de vin recevront une �gale quantit�
de cervoise. �
� ... Enfin (4) dans la donation du domaine de Quincy
(5) � l'abbaye de Gorze (en 770), il est fait mention de
brasseries. �
Plus loin, retra�ant le tableau de la Lorraine pendant
la seconde moiti� du XIe si�cle et le XIIe, le m�me
auteur ajoute : �� Les produits du sol et de
l'agriculture �taient les m�mes que dans les si�cles
pr�c�dents ; il para�t seulement r�sulter des titres qui
ont pass� sous nos yeux, que la culture de la vigne
recevait un notable accroissement, et qu'elle
envahissait des terrains jusqu'alors en friche ou
destin�s aux c�r�ales. Toutefois, on continuait, surtout
dans les Vosges, � fabriquer de la BI�RE et de la
cervoise ; et, comme le bl� ne m�rit pas dans les
montagnes, on se servait d'avoine, � Remiremont, pour la
pr�paration de ces breuvages. �
Avant d'aller plus loin, et au risque d'�tre accus� de
prendre trop au s�rieux un sujet futile, nous croyons
devoir entrer dans quelques explications au sujet des
textes originaux dont la traduction pr�c�de.
A lire celle du capitulaire de Charlemagne relatif aux
Missi dominici, on serait tent� d'en conclure que la
bi�re �tait connue d�s le temps du grand empereur; or,
le texte porte : cervisa, c'est-�-dire cervoise, que
l'on trouve �galement d�sign�e dans les anciens
glossaires sous les formes cerevisia, cervisia, cervisa,
et cervesa (6).
Quant aux brasseries mentionn�es dans la donation de
Quincy � l'abbaye de Gorze, elles sont d�sign�es par le
substantif latin camba, qui n'a gu�re d'analogie avec
notre mot fran�ais. �� CAMBA, dit Du Cange, brassiatorum
officina, seu locus ubi cerevisia coquitur et conficitur,
quem vulgo brasseriam vel braxstoriam nuncupamus. � -
CAMBARIUS, brasiator, seu cerevisia confector (7) �.
D'o� il suit que les mots brasseur et brasserie sont
ant�rieurs � celui de bi�re : ils viennent de brace ou
bracium, esp�ce de grains avec lesquels la cervoise
�tait confectionn�e (8).
L'usage de cette boisson se transmit de si�cle en si�cle
et finit par �tre assez g�n�ralement r�pandu en France :
en 1268, les �� cervoisiers � de Paris �taient
suffisamment nombreux pour que Saint-Louis cr�t devoir
leur donner des statuts. Charles VIII les renouvela en
1489, et c'est dans ces derniers qu'on voit appara�tre
le mot de bi�re � c�t� de l'ancienne d�nomination de
cervoise.
La cervoise �tait connue dans nos contr�es, probablement
comme ailleurs, d�s une �poque recul�e, autant qu'on
peut le pr�sumer d'apr�s ce qui a �t� dit plus haut;
mais, en ce qui concerne sp�cialement la Lorraine, les
documents positifs ne remontent pas au-del� du XVIe
si�cle. On voit, en 1516, le duc Antoine faire don d'une
tonnette de cervoise aux Clarisses de Pont-�-Mousson,
dans le couvent desquelles s'�tait retir�e sa m�re,
Philippe de Gueldres, apr�s la mort de Ren� II ; et il
para�t que la fabrication de ce breuvage avait pris, d�s
lors, une certaine importance dans cette ville,
puisqu'il y faisait l'objet d'un imp�t particulier. On
lit dans un compte du domaine et de la pr�v�t� du Pont,
pour l'ann�e 1530 :
�� La gabelle de la servoyse.
�� Ladite gabelle que est telle que ceulx qui vendent
servoyse en la ville doibyent de x gros j � nostre
souverain seigneur (le duc) � cause de la cervoise qu'ilz
vendent, brass�e audit Pont et ailleurs.
�� (9) De Nicolas Merlin, pour avoir vendu de la servoise
audit Pont, pour l'an de ce pr�sent registre, � luy
compos� apr�s son serement solennel faict, la somme de
xxxvj s.
�� De Hansillon, peletiez, pour la cervoise qu'il a
vendu,... par luy d�clair� par serement xlviij s.
�� De Jehan, le p�tissiez, pour ladite servoise qu'il a
vendu, par luy d�clair� par serement iiij s.
�� De Jacquemin Richequort, pour la cervoise qu'il a
vendu,... d�clair� par son serement viij s.
Au lieu de se contenter des d�clarations, peu fid�les
quelquefois sans doute, de ceux qui d�bitaient de la
cervoise, le fisc trouva plus avantageux d'en affermer
la gabelle; c'est ce que nous voyons dans le compte de
l'ann�e 1595 :
�� La gabelle de la cervoise.
�� De Jean le Cusinier dit le Bonnetier, pour le droict
de ladicte gabelle, � lui escheu... pour trois ans
entiers,... en paiant par chacun an, au jour de No�l, la
somme de quarante quatre frans... Ledict droict qui est
tel que tous ceulx qui vendent cervoise brass�e audict
Pont ailleurs, doibvent � Son Altesse de dix gros l'ung
de celle qui se vend audict Pont... �
Le compte du domaine de Hombourg et Saint-Avold (10)
pour l'ann�e 1583, porte : �� Monseigneur (le duc) at tel
droict audict Saint Avold quand l'on mesne servoize
vendre hors de la ville, l'on paye de chacune mesure
quattre deniers. �
A une �poque plus recul�e que celles dont il vient
d'�tre question, les �� gouverneurs � de Saint-Mihiel
avaient obtenu d'Edouard III, duc de Bar (1411-1415),
puis des ducs Ren� II et Antoine, par �� privil�ges
particuliers, le droict et permissson de faire et vendre
bierre et cervoise tant au dedans d'icelle ville que par
tous les villages de la pr�vost�, et mesme en ceulx du
bailliage scituez en la banlieue de ladicte ville, avec
facult� de pouvoir laisser ledict droit � qui plus (11),
avec deffence � tous subjectz de ladicte pr�vost� et
lieux susdicts d'en faire ou vendre sans l'authorit� et
consentement desdicts gouverneurs,... pour des deniers
provenantz de ladicte ferme entretenir les murailles et
portes de ladicte ville et subvenir aux frais et autres
n�cessitez d'icelle... � Ces anciens privil�ges furent
confirm�s par le duc Henri II, le 8 janvier 1611.
Il r�sulte de ces documents que la cervoise �tait en
usage dans les diff�rentes parties de la Lorraine, et il
semble inutile d'en rechercher d'autres exemples.
LA BI�RE SUCC�DE A LA CERVOISE. - BRASSERIES A NANCY AU
XVIe SI�CLE.
Le dernier de ces documents est celui o� le mot bi�re
soit prononc� pour la premi�re fois ; mais les lettres
d'Edouard, de Ren� II et d'Antoine n'existant plus, on
ne saurait dire s'il y est r�ellement exprim�.
Il n'appara�t, en France, que dans les nouveaux statuts
donn�s par Charles VIII, en 1489, � la corporation des
brasseurs de Paris. La brasserie de la capitale y est
appel�e �� la communaut� des cervoisiers et faiseurs de
bi�re. �
L'auteur auquel j'emprunte ce renseignement donne
ailleurs, avec la d�finition de la bi�re, qu'il appelle
simplement a boisson alcoolique houblonn�e (12) �,
l'�tymologie de ce mot, qui se prononce bien souvent, et
dont peu de personnes connaissent l'origine.
�� Le mot de bi�re, dit-il, provient de bere. En vieux
saxon, bere signifie c�r�ale, et plus sp�cialement orge
(une orge d'Ecosse s'appelle encore aujourd'hui bear, et
le mot barley, qui, en anglais, d�signe l'orge, rappelle
aussi la racine primitive). L'h�breu poss�de de m�me le
mot beri ou peri, qui veut dire grain... L'orge ayant,
de tout temps, jou� le principal r�le dans la
composition de la bi�re, il est naturel qu'elle ait
servi � baptiser le liquide.
Cette racine bere se retrouve dans brace, mot gaulois
servant � d�signer l'orge ferment�e, ou le malt (13) et
d'o� d�rivent brasser, brasseur, etc.
Il semble assez probable qu'en France, le liquide
houblonn� se r�pandit sous le nom de bi�re, et supplanta
celui non houblonn�, appel� g�n�ralement cervoise.
Quant au houblon, �� � quelle �poque est-il venu
aromatiser et, en r�alit�, procr�er la bi�re ? Cette
question ne saurait encore �tre r�solue. On en est
r�duit, pour ce qui la concerne, � des suppositions
vagues, �tay�es de rares preuves historiques... Certains
auteurs ont plac�, � tort, le houblon dans une
description d'Isidore de S�ville, qui vivait au VIIe
si�cle. En l'an 768, il est question de houblonni�res (humlonariae)
dans une donation faite � l'abbaye de Saint-Denis par
P�pin le Bref. Les Capitulaires de Charlemagne ne
mentionnent pas le houblon... Du vivant de l'empereur,
nous le trouvons dans le Polyptique d'Irminon de l'abb�
Irmin de Saint-Germain. Il y est cit�, dans les d�mes et
redevances, sous le nom de humulo, humelo et humlo... Au
IXe et au Xe si�cles, le houblon s'employait dans les
pays qui forment aujourd'hui le nord de la France...
Melchior Sebitz, auteur strasbourgeois, parle des bi�res
houblonn�es au XVIe si�cle. Il est donc probable, sinon
certain, que le houblon �tait employ� en Alsace depuis
longtemps... �
En �tait-il de m�me pour la Lorraine ? on ne saurait
rien dire � cet �gard, faute de documents : il est
seulement fait mention, en 1618, du houblon r�colt� dans
la gruerie de Jametz (14).
Ainsi qu'on le verra plus loin, la fabrication de la
bi�re avait d�j� pris alors une certaine importance en
Lorraine, bien qu'elle ne semble pas y avoir �t�
introduite depuis longtemps. Il n'en est pas question,
en effet, au moins d'une mani�re authentique, avant la
fin du XVIe si�cle.
L'initiative de ce genre d'industrie para�t devoir �tre
attribu�e � deux communaut�s religieuses. En 1588,
Charles III fait d�livrer 200 francs aux p�re gardien et
Cordeliers du couvent de Nancy afin de les aider �
acheter une grande chaudi�re pour avoir moyen de faire
plus grande quantit� de bi�re qu'ils n'avaient accoutum�
faire pour le d�fruit de son h�tel (15). - Une autre
somme de 47 francs 6 gros est donn�e en aum�ne, par
ordre du duc, aux Cordeliers de Vic, pour les aider �
r�fectionner �� leur brasserie (16) �.
Il est � supposer que la bi�re des religieux de Nancy
�tait d'une qualit� sup�rieure puisqu'elle m�ritait non
seulement d'�tre servie sur la table du prince, mais
�tait encore donn�e comme mod�le pour son mode de
fabrication. En effet, une ordonnance du Conseil de
ville r�glant la confection de la bi�re, a telle qu'elle
se fait aux Cordeliers �, porte : �� Fault, pour une
brass�e sun brassin), ung resal et demy moyen bled, six
resaux d'orge, vingt livres de houbelon �.
Depuis quand les �� brasseries � dont il vient d'�tre
parl� fonctionnaient-elles ? c'est ce qu'on ignore;
toujours est-il qu'elles sont les premi�res que l'on
trouve mentionn�es.
D�s cette �poque, on avait constat� que la bi�re pouvait
�tre utilement employ�e pour remplacer le vin dans les
ann�es o�, par suite de la �� st�rilit� des vendanges �,
celui-ci ferait d�faut ou serait d'un prix trop �lev�.
C'est ce qui �tait arriv� en 1587. Afin de rem�dier �
cet �tat de choses et �� pour subvenir de boisson tant �
ses sujets qu'aux gens de guerre de son arm�e �, Charles
III donna commission � Jean Colonnet, contr�leur
ordinaire de son h�tel, pour se rendre dans les
bailliages de Nancy, Saint-Mihiel, Vosges, Allemagne,
Bassigny, Clermont, Epinal et Ch�tel-sur-Moselle, faire
brasser certaine bonne quantit� de bi�re dans les lieux
les plus propres et commodes � cet effet, en avoir la
surintendance, y faire promptement travailler par
ouvriers brasseurs et gens convenables, s'entendre avec
eux sur les prix de leur fa�on, fourniture de bois et
houblon, en leur faisant d�livrer les grains
n�cessaires, comme froment ou seigle, orge et avoine, en
quantit� suffisante.
Cette mesure dut avoir pour r�sultat la cr�ation, sur
divers points de la Lorraine, d'ateliers de fabrication,
dont quelques-uns n'eurent peut-�tre qu'une existence
momentan�e, dont les autres continu�rent � subsister.
Faut-il compter au nombre de ces derniers celui d'un
nomm� Claude Ma�tre d'h�tel, indiqu�, avec la
qualification de brasseur, rue du Petit-Bourget, dans le
r�le des habitants de Nancy en 1589, ou bien, cet
individu n'�tait-il qu'un ouvrier ? On ne saurait le
dire.
Soit que la p�nurie de vin e�t �t� extr�me en 1587, soit
que l'on commen��t � prendre go�t � la bi�re, on voit
les princesses elles-m�mes user de cette boisson. Le
cell�rier (17) de Nancy fait d�pense, cette ann�e, de
cinq bichets de bl� d�livr�s � Mathis, le tonnelier,
faiseur de bi�re, pour servir � faire bi�re pour l'�tat
(la table) de mes dames ; et de trois resaux un bichet
d'avoine � faire bi�re pour le train desdites dames,
c'est-�-dire pour les domestiques de leur maison.
A partir de 1589, le cell�rier d�livre du bl� et de
l'avoine, en plus ou moins grande quantit�, � faire
bi�re, soit pour l'�tat de Son Altesse, soit pour le ��
deffruit � de son h�tel; ce qui semble faire voir que
cette liqueur �tait devenue un objet habituel de
consommation, et qu'il s'en faisait de deux esp�ces :
l'une avec du bl�, pour la table du duc et des princes,
l'autre, avec de l'avoine, pour les gens � leur service.
Cette ann�e, Charles III fit �riger � la ville Neuve une
brasserie (18) destin�e, sans doute, � fabriquer de la
bi�re pour les troupes, puisque les d�penses qu'elle
occasionna furent acquitt�es par le tr�sorier g�n�ral
des guerres. Ces d�penses forment trois articles : 769
fr. 6 gros pour 3,600 livres de houblon achet� aux
Pays-Bas ; 597 fr. 10 gros pour �� l'�rection � de la
brasserie, outre 300 fr. qui avaient d�j� �t� fournis
pour le m�me objet; enfin, 300 fr. pour achat d'une
chaudi�re.
La �� brasserie � de la ville Neuve fut �� d�mont�e � en
1591 et �� men�e � � la Grande-Maison de la ville
Vieille, qui servait de greniers � grains et d'ateliers
� la Monnaie ; mais le b�timent dans lequel elle avait
�t� �tablie conserva une d�nomination qui rappelait son
ancienne destination : on la nommait la Bierrerie (19).
L'usage de la bi�re s'�tait alors assez g�n�ralis� pour
que cette boisson dev�nt mati�re � imp�t. Le 6 f�vrier
1590, les Etats-g�n�raux ayant accord� � Charles III une
aide extraordinaire pour subvenir � l'entretien de son
arm�e, ils l'autoris�rent � percevoir le dixi�me denier
du vin et de la bi�re qui se vendraient � la feuill�e. -
En 1595, les Etats lui accord�rent une nouvelle aide du
dixi�me pot de vin, bi�re et autres liqueurs potables. -
Par ordonnance du dernier avril 1602, le duc imposa, en
cons�quence de l'octroi que venaient de lui faire les
Etats, quatre gros par mois sur chaque m�nage
contribuable,... outre le huiti�me pot des vins et
bi�res qui se vendraient en d�tail.
On voit, par le compte de la lev�e de cette aide, de
1602 � 1615, que l'imp�t ne fut plus ensuite que du
dixi�me, puis du quinzi�me pot; on le remit ensuite au
dixi�me; il �tait � ce taux en 1628.
Cette ann�e, les administrateurs de l'aum�ne g�n�rale
des pauvres de la ville de Nancy, �tablie depuis deux
ans, remontr�rent � Charles IV que cette institution ne
donnait pas tous les r�sultats qu'on en avait esp�r�s,
et que le nombre des mendiants ne diminuait pas, et ils
lui soumirent l'id�e de cr�er, sous le titre de subside
charitable, un nouveau genre d'imp�t sur les boissons,
dont le produit serait sp�cialement affect� � la
nourriture et entret�nement des pauvres. Le duc, agr�ant
cette proposition, rendit une ordonnance portant,
entr'autres articles : �� Outre et par dessus tant l'impost
en deniers et le dixiesme pot de vin et de bi�re qui se
l�vent pr�sentement,... il sera prins... sur chacun
virlin de vin de Lorraine, seize gros... Quant � la
bi�re qui entrera et celle qui sera brass�e en ladicte
ville de Nancy, se payera pour icelle la moicti� du
subside sur le vin, et ce, � raison des tonneaux,
vaisseaux et fustailles �squels elle sera mise... �
Apr�s avoir r�gl� le mode de perception des droits sur
les boissons qui entraient en ville, le duc ajoute : ��
Et parce qu'il se brasse aussi de la bi�re audit Nancy,
principalement quand il y a peu de vin, nous ordonnons
aux brasseurs de ladicte bi�re qu'� celuy des bureaux
(de perception) qui sera le plus proche de leurs logis,
ils payent comptant, pour icelle bi�re, ledit subside
par tonneau, chacun selon la fustaille qu'il fera... �
Il ne para�t pas que l'on d�bit�t de la bi�re dans les
�tablissements publics, car les ordonnances de la
Chambre de ville relatives � la police des h�teliers et
cabaretiers, n'en parlent pas.
ORDONNANCES SUR LA FABRICATION ET LA VENTE DE LA BI�RE.
- LA BI�RE DES B�N�DICTINS DE DIEULOUARD.
A partir du XVIIe si�cle, la fabrication et la vente de
la bi�re commencent � prendre de l'extension, et l'on
voit m�me des brasseurs �trangers importer leur
industrie en Lorraine (20). Il y en avait d'autres qui,
sans conna�tre leur m�tier ou pour faire des profits
illicites, fa�onnaient de la mauvaise boisson, nuisible
� ceux qui en faisaient usage. Afin de rem�dier � cet
�tat de choses, le duc Henri II rendit, le 6 octobre
1609, une ordonnance qui, sur certains points,
m�riterait d'�tre mise en vigueur aujourd'hui.
�� Nous ayant �t� remontr�, dit-il, qu'il se commet de
grands abus � la vente et confection des bi�res, soit
par l'ignorance d'aucuns qui s'ing�rent d'en faire et
brasser sans en savoir bien la fa�on, soit par la malice
et convoitise d'autres qui, pour en tirer plus grand
gain, n'y mettent et emploient tout ce qui, pour les
rendre bonnes et saines, doit y entrer ; d'o� arrivent
et peuvent arriver journellement plusieurs inconv�nients
pr�judiciables � la sant� de ceux qui usent de cette
boisson, et � la bonne foi et charit� qui doit emp�cher
nos sujets de ne se circonniver et surprendre les uns
les autres, on vendant leurs denr�es � plus haut prix
que de raison ;... prohibons et d�fendons
tr�s-express�ment � toutes personnes, soit sujets ou
�trangers, de s'ing�rer dor�navant � faire et brasser
aucune bi�re dans nos villes, bourgs et villages, sans
notre expresse licence et commission, � peine, contre
les contrevenants, de cent francs d'amende pour la
premi�re fois, de 200 francs pour la seconde, pour la
troisi�me de 400 francs, et de plus grande et arbitraire
pour la quatri�me et les autres suivantes. Le tiers
desdites amendes applicable au rapporteur, et les deux
autres tiers � nous, outre la confiscation qui nous en
reviendra, sur chacune contravention, des bi�res faites
et des provisions, chaudi�res, cuves, tonailles et
autres ustensiles � les faire, dont les contrevenants
seront trouv�s saisis.
� Et afin que, d'ici en avant, notre peuple et nos
sujets soient bien et duement servis desdites bi�res,
nous avons ordonn� diverses commissions �tre exp�di�es �
aucuns nos brasseurs et ouvriers d'icelle, pourvus de
suffisance, fid�lit� et exp�rience en ce m�tier, pour en
faire et brasser en telles de nos villes, bourgs et
villages o� nous jugerons y avoir besoin, et desquels
commis, nosdits sujets qui voudroient en user auront
doresnavant � les acheter au prix que, de trois mois en
trois mois, lesdites bi�res seront tax�es par tels de
nos officiers des lieux � qui il appartient conno�tre et
ordonner de la police des vivres...
� N'entendons, n�anmoins, nos pr�sentes d�fenses avoir
lieu � l'�gard des corps, coll�ges et couvents qui
vivent en communaut�s et en d�penses communes, auxquels
il sera libre de faire bi�re chez eux, pour leur usage
seulement, comme aussi pour l'�gard de notre h�tel et
des maisons de notre cher fr�re et de notre tr�s-ch�re
soeur, on chacune desquelles il pourra y avoir tels
brasseurs de bi�re que bon leur semblera, pour le
d�fruit d'icelles tant seulement. �
Comme il arrive toujours, des gens peu scrupuleux
imagin�rent d'aller fabriquer de la bi�re au dehors et
de l'apporter ensuite pour la vendre. Afin d'emp�cher
cette fraude, le duc promulgua, le 16 janvier 1610, une
nouvelle ordonnance ainsi con�ue :
�� ...Etant avertis qu'aucuns, pour frauder notre intention
(exprim�e dans l'ordonnance pr�c�dente), font dessein
d'aller faire et brasser bi�res � leur fantaisie et
telles qu'ils voudront, en divers lieux particuliers,
pour les apporter ensuite �s villes, bourgs et villages
o� il y aura brasserie �tablie par nous ou par nos
commis, pour y vendre ou autrement consommer lesdites
bi�res faites ailleurs, et, par ce moyen, non-seulement
nuire � nosdits commis, mais aussi continuer toujours �
tenir autant de portes ouvertes auxdits abus ;
� Nous, pour � ce obvier, avons, par forme d'ampliation
de notre pr�c�dente ordonnance, fait d�fenses
tr�s-expresses � toutes personnes, de quelques qualit�s
et conditions qu'elles soient, d'apporter ou faire
apporter en nosdites villes, bourgs et villages, sans en
avoir obtenu la permission de nous, et que leurs bi�res
ne soient reconnues et approuv�es bonnes et loyales par
les officiers des lieux, et leurs prix tax�s par iceux,
� peine, contre les contrevenants, de 10 francs d'amende
pour la premi�re fois, de 20 pour la seconde, de 40 pour
la troisi�me, et de plus grande et arbitraire pour la
quatri�me, et outre, et par chacune fois, de
confiscation desdits bi�res... �
Sur les remontrances qui lui furent faites par ceux
auxquels il avait commis �� l'�gard, soin, charge et
surintendance des brasseries �, que les ordonnances
pr�c�dentes �taient impuissantes pour emp�cher les
fraudes, Henri II les renouvela par sa d�claration du 28
avril 1614, et augmenta le taux des amendes. Il r�it�ra,
en outre, la d�fense faite aux �� corps, coll�ges et
communaut�s � de vendre de la bi�re qu'il leur avait �t�
permis de fabriquer pour leur consommation.
En vertu de l'ordonnance de 1609, le droit de
confectionner de la bi�re fut amodi� ou afferm� � des
individus que l'on avait sans doute jug�s capables de
servir convenablement le public. C'est ainsi qu'en 1617,
Me Jean Courtois, brasseur � Bl�mont, obtint le
privil�ge (21) de fabriquer de la bi�re dans cette ville
pendant une ann�e, comme plus offrant, moyennant 20 fr.
Les comptes de tous les receveurs des domaines ou
pr�v�t�s contiennent des chapitres de �� recette en
deniers de la bi�re vendue en l'office � ou �� de
l'amodiation de la ferme et facult� de faire bi�re �.
Tels sont les comptes des domaines d'Amance, Lun�ville,
Marsal, F�n�trange, Saint-Nicolas; - d'Arches,
Charmes-sur-Moselle, Dompaire, Saint-Di� et
Raon-l'Etape, Mirecourt, Ch�tel-sur-Moselle (Vosges) ; -
de Saint-Avold (22), Bitche, Sarreguemines, Sarralbe
(Moselle); - de Jametz (23) et Apremont (Meuse); - de
Vaudrevange (24) et du Val de Li�pvre (25); d'o� il
r�sulte que la fabrication et la vente de la bi�re
avaient lieu dans un grand nombre d'endroits.
Ajoutons que les Soeurs-Grises d'Ormes consommaient de
celle qui se faisait � V�zelise, Bayon et Mirecourt.
En 1621, sans doute pour simplifier les op�rations du
fisc, Henri II imagina d'affermer � un seul
adjudicataire le privil�ge de fabriquer et de vendre de
la bi�re dans toute l'�tendue de ses Etats, soit par
lui-m�me, soit par ceux qu'il d�l�guerait � cet effet.
Le trait� suivant, dans lequel le duc expose les motifs
de sa d�termination, fut pass�, en cons�quence, le 21
avril de cette ann�e :
�� Ayant trouv�, dit-il, util et exp�dient, pour le bien
de nostre service, de vendre, pour quelque quantit�
d'ann�es, le pouvoir de faire des bierres dedans nos
pa�s � quelque personne idoine et capable qui, en
accommandant le public, soulage noz subjectz ez
n�cessitez qu'ilz pourroient avoir de vin ou autre
boisson n�cessaire ; et, s'estant pr�sent� � ce faire
nostre cher et bien am� Claude Martin, commis de la
batterie (de cuivre) de ceste nostre ville de Nancy,
nous avons fait traicter et convenir avec.luy � la somme
de dix huict mil frans pour neuf ann�es, � raison de
deux mil frans chacune... Et moyennant quoy, nous luy
avons vendu, cedd� et transport�... le pouvoir de faire
et vendre, par luy ou ses commis et d�put�s,
privativement de tous autres, lesdites bierres dans
nosdits pa�s, en ce qui est de haultes justices
seulement o� nous n'avons point de comparsonnier ;
icelles bierres bonnes, l�alles et marchandes, et � prix
raisonnable, en sorte que nostredit peuple en soit
soulag�, comme dit est, avec deffense espresse � tous
autres d'en faire, � peine de cent frans d'amende,
applicable, le tier � nous, le tier audit Martin et
l'autre tier au rapporteur, et de confiscation desdites
bierres � nous seul, contre ceux qui en feront sans
saditte permission... �
Claude Martin ne renouvela pas son bail, qui expirait en
1630, il se contenta de prendre � ferme, pour six
ann�es, � partir de cette derni�re, la confection de la
bi�re dans l'office de Nancy, moyennant la somme de 693
francs par an.
En 1656, Basile Mus et ses associ�s �taient
entrepreneurs de la faciende de la bi�re, tant � Nancy
que dans la banlieue, on ne sait � quelles conditions.
Ils avaient pour successeur, en 1666, Toussaint de Mory,
l'un des anc�tres de Mory d'Elvange, auquel Charles IV
fit donner quittance de la somme de 1350 fr., � laquelle
montait le prix de sa ferme de la faciende des bi�res de
la ville de Nancy, pour les trois premiers quartiers de
1666, pour pareille somme qu'il avait rabattue sur
quantit� de draps de Hollande, noirs et blancs, par lui
fournis au duc.
Ce chiffre prouve que la consommation de la bi�re, au
moins dans la capitale, avait pris d'assez notables
proportions. Cette boisson semble m�me �tre devenue le
compl�ment oblig� d'un grand repas : c'est ainsi que
l'on voit figurer la bi�re, des pipe; et du tabac dans
les d�penses de festins que donn�rent Messieurs du
Conseil de ville, les 1er et 2 juillet 1636, � plusieurs
personnages marquants. Les quatre pots qui leur en
furent servis ne co�t�rent que deux francs, ce qui est
bon march� aupr�s de ce qu'on les paierait aujourd'hui.
Le m�moire ne dit pas d'o� provenait la bi�re dont nos
�diles r�gal�rent leurs h�tes; peut-�tre �tait-ce de
Dieulouard, o� des B�n�dictins anglais, chass�s de leur
patrie par la pers�cution religieuse, �taient venus
s'�tablir au commencement du XVIIe si�cle. Afin de se
procurer, tant pour eux que pour les jeunes
gentilshommes de leur pays, qu'ils avaient en pension,
une boisson � laquelle ils �taient habitu�s, et se cr�er
une ressource qui augment�t leurs revenus, ils se mirent
� fabriquer de la bi�re, qui acquit bient�t de la
renomm�e (26). Par une d�rogation aux ordonnances
interdisant aux communaut�s religieuses la vente de
celle qu'elles fa�onnaient, ils obtinrent le privil�ge
de distribuer la leur dans toute l'�tendue de la
Lorraine, en payant toutefois une redevance aux fermiers
du droit de faciende de l'office dans lequel aurait lieu
la distribution.
Ces derniers, n�anmoins, cherch�rent souvent � les
inqui�ter dans l'exercice de leur privil�ge, et il
intervint plusieurs arr�ts qui les y maintinrent.
Leurs produits, para�t-il, �taient bien sup�rieurs �
ceux qui sortaient des autres brasseries ; la Cour et
les �� principaux sujets des Etats � en fournissaient ��
leur bo�te, n'en trouvant pas plus pr�s de la bonne �
leur gr� �.
Un des principaux clients des B�n�dictins devait �tre le
sieur Fiacre L�guiader, dit Launay, l'un des chefs de
cuisine de l'h�tel de Fran�ois III et aubergiste �
Lun�ville, aux Armes d'Angleterre. Il donnait � manger
aux cavaliers qui suivaient les cours de l'Acad�mie,
notamment aux seigneurs anglais, lesquels, ne trouvant
dans cette ville aucune bi�re � leur go�t, en envoyaient
chercher � Dieulouard. Il en fut consomm� jusqu'� 144
mesures chez Launay, pendant les six premiers mois de
l'ann�e 1735.
Jusqu'� l'�poque de leur suppression, les B�n�dictins
furent maintenus dans le privil�ge de vendre leur bi�re
par toute la Lorraine, en payant les droits auxquels ils
avaient �t� cotis�s, et cette boisson conserva sa
vieille renomm�e. Un auteur contemporain (27), � m�me de
l'appr�cier, fait conna�tre les qualit�s qui la
distinguaient, en donnant quelques d�tails int�ressants
sur la branche d'industrie dont nous nous occupons.
�� On ne brasse, dit-il, de la bierre qu'� Nancy et �
Dieulouard et dans quelques contr�es voisines de
l'Allemagne, encore dans quelques couvens de religieux
(28) pour leur usage, quand le vin manque. Notre peuple
en g�n�ral ne connoit la bierre que de nom...
� La bierre fait, apr�s le vin, l'article le plus
consid�rable pour l'usage. Les mati�res qui la composent
sont les grains, bl�s barbus et orges, des houblons et
de l'eau... La brasserie principale de Lorraine est
celle de Nancy ; il en est plusieurs dans la Lorraine
allemande et dans les parties limitrophes du duch� de
Luxembourg. La brasserie de Dieulouard, tenue par des
B�n�dictins anglois et irlandois, doit passer pour
lorraine... La bierre de Dieulouard approche de celle
d'Angleterre en go�t et en force, elle p�tille comme du
vin de Champagne mousseux, supporte le m�lange de l'eau,
se conserve longtemps et se transporte sans alt�ration.
Nos grains, nos eaux, notre air, font ses qualit�s...
Apr�s la bierre de Dieulouard vient celle de Nancy, qui
est de bonne qualit�...
� La bierre se vend dans l'int�rieur de la province et
au dehors, et le houblon s'envoie �galement chez
l'�tranger, lorsqu'il est d'une qualit� qui le fait
d�sirer, comme est celui d'Angleterre, de Boh�me, de
Li�ge, etc... C'est une boisson saine, lorsqu'elle est
bien faite ; elle porte avec elle son agr�ment et son
indemnit�, �tant fort substantielle... �
�� Lorsqu'elle est bien faite �, c'est ce que l'on
pourrait dire de beaucoup de bi�res de nos jours,
auxquelles manquent cette qualit� et plusieurs autres.
LA BRASSERIE DE NANCY AU XVIIIe SI�CLE.
La citation qui pr�c�de nous conduit tout naturellement
� parler de la brasserie de Nancy ; mais il convient
auparavant rectifier et compl�ter ce que dit l'auteur
auquel elle est emprunt�e.
A l'entendre, on n'aurait fabriqu� de la bi�re, en
Lorraine, au si�cle dernier, qu'� Nancy, � Dieulouard,
et dans quelques contr�es voisines de l'Allemagne et du
grand duch� de Luxembourg. Sans doute, la fabrication de
cette boisson avait d� se r�pandre dans ces r�gions,
dont le sol est g�n�ralement peu favorable � la culture
de la vigne ; mais elle avait �galement lieu ailleurs.
C'est ce qui ressort positivement de la d�claration de
L�opold, du 3 d�cembre 1717, portant concession de
divers octrois aux villes de ses Etats. Ayant reconnu,
notamment, que la plupart des droits qui s'y levaient
�taient extr�mement on�reux � ses sujets, que plusieurs
d'entre elles avaient quantit� de petits droits
contraires � la libert�, qui donnaient lieu � des
vexations continuelles de la part de ceux qui �taient
charg�s de les percevoir, il supprima tous ceux qui
avaient �t� �tablis par ses pr�d�cesseurs et accorda �
ces villes, pour six ann�es, de nouveaux droits
d'octroi, portant en partie sur les liquides. Ils
furent, pour la plupart, d'un franc par mesure de vin
qui se vendrait en d�tail, deux francs par mesure
d'eau-de-vie (29) qui se vendrait en gros, six gros par
mesure de bi�re ou de cidre qui se vendrait en d�tail.
La nomenclature des localit�s ou ces droits furent
�tablis embrasse presque toutes celles de la Lorraine et
du Barrois qui avaient quelque importance ; on y trouve,
pour nous borner � notre d�partement, Saint-Nicolas,
Rosi�res, Bl�mont, V�zelise, Briey, Nomeny, Einville,
Pont-Saint-Vincent, Badonviller, Deneuvre, Conflans,
Longuyon, Norroy-le-Sec, Sancy, Pont-�-Mousson,
Thiaucourt et Lun�ville.
En 1715, L�opold avait accord� � Pierre Batifol, son
premier valet de pied, pour sa vie durant, �� le droit de
faciende des bierres o dans cette derni�re ville et la
pr�v�t�, � l'exclusion de tous autres, en payant
annuellement au domaine un cens de 100 francs.
Le 24.juillet 1734, le sieur La Guerre, int�ress� dans
la ferme des domaines r�unis de Lun�ville, laissa, �
titre de bail, pour six ann�es, � Valentin Goutt, l'un
des valets de pied du duc Fran�ois III, les droits de la
ferme des bi�res qui s'y encavaient et s'y consommaient,
moyennant 650 francs par ann�e.
Il y avait dans cette derni�re ville, en 1738, un
brasseur, Nicolas Dorvaux, et un autre, Jean Sparre, �
Viller.
On les voit se joindre � Launay dans une contestation
qu'eut celui-ci avec le sous-fermier de la faciende des
bi�res � Lun�ville, pour avoir d�pos� chez lui des
bi�res �trang�res sans avoir fait la d�claration et pay�
les droits. Un arr�t du 5 juin 1739 fit d�fenses �
toutes personnes, autres que les religieux fond�s en
privil�ges, de brasser ou faire brasser aucunes bi�res
dans l'�tendue de l'office de Lun�ville, sans la
permission du fermier, � peine de confiscation et de
cent francs d'amende. Launay fut condamn� � acquitter
les droits, � une amende de dix francs et aux d�pens.
Des contraventions du m�me genre, et qui prouvent encore
que la fabrication et la vente de la bi�re n'�taient pas
limit�es � quelques parties de la Lorraine,
provoqu�rent, en 1751, des plaintes de la part des
sous-fermiers des domaines de Sarreguemines (30), Bitche,
Lixheim, Saint-Avold, Marsal, Saint-Mihiel, Koeurs,
Hattonch�tel, Apremont, Rembercourt-aux-Pots et
d�pendances. Le Conseil des finances y fit droit et
rendit, le 6 mars, un arr�t portant que les ordonnances
des ann�es 1609, 1614, etc., seront suivies et ex�cut�es
selon leur forme et teneur ; en cons�quence, fait
d�fenses � toutes personnes autres que celles fond�es en
privil�ges � elles pour ce sp�cialement accord�s, de
brasser ou faire brasser aucunes bi�res dans l'�tendue
des Etats de Sa Majest� sans la permission du fermier ou
des sous-fermiers des domaines, � peine de confiscation
et de cent francs d'amende pour chaque contravention.
Fait pareillement d�fenses, sous lesdites peines de
confiscation et de cent francs d'amende, � toutes
personnes, de quelque qualit� et condition elles soient,
d'encaver, consommer, vendre et d�biter aucunes bi�res,
soit �trang�res ou autres, dans toutes les villes et
lieux des Etats, sans en avoir fait leur d�claration
pr�alable, du lieu de la fabrication de ces bi�res, et
sans en avoir acquitt� les droits envers le fermier ou
ses sous-fermiers, sur le pied de deux francs par pi�ce
de cinq mesures et au-dessous, et au cas qu'elles
exc�deraient cinq mesures, � raison de six gros par
mesure d'exc�dent... �
En 1777, un nomm� Hubert Michelant avait cr�� une
brasserie � Epinal, au moyen d'un abonnement contract�
par lui avec le sous-fermier du domaine, � raison de 108
livres par an. Mais, deux ans apr�s, il dut renoncer �
son �tablissement, Jean Mangeot, marchand brasseur en
cette ville, ayant obtenu, par arr�t du Conseil d'Etat,
le droit exclusif de faciende et d�bit de toutes esp�ces
de bi�res dans l'�tendue des ville et banlieue d'Epinal,
pour en jouir, par lui et ses successeurs, pendant
cinquante ann�es, � charge de payer au domaine une
redevance annuelle de 300 livres, cours de France, et de
laisser les B�n�dictins de Dieulouard jouir de leur
privil�ge, en acquittant les 3 gros par mesure, ainsi
qu'ils y �taient oblig�s. Il fut n�anmoins permis aux
bourgeois d'Epinal d'acheter hors de la ville et
d'introduire des bi�res pour leur consommation, en
payant les droits d'encavage, fix�s par l'arr�t du 6
mars 1751 (mentionn� ci-dessus); avec d�fense d'en
introduire et encaver chez eux pour les marchands et
d�bitants, � peine de 50 livres d'amende, par chaque
mesure, au profit de Mangeot ou de ses ayant droit.
Michelant transf�ra son industrie dans la partie
lorraine (31) de Sainte-Marie-aux-Mines, et obtint, en
1788, le m�me droit que Mangeot, aux m�mes dur�e et
conditions, mais sous une redevance de 100 livres
seulement.
Il faut croire que le commerce de la bi�re �tait assez
lucratif, puisque des gentilshommes eux-m�mes ne
d�daignaient pas de s'y livrer. Suivant les ordonnances
de L�opold et des arr�ts de la Chambre des Comptes, ceux
qui r�sidaient dans les sept pr�v�t�s de la Voivre (32)
�taient tenus de verser au domaine les m�mes droits que
les roturiers pour toutes les bi�res qu'ils feraient
brasser, soit dans les Etats du duc, soit ailleurs. En
1727, un sieur Papigny, seigneur du fief de Clermarey
(33), ayant refus� de les acquitter, fut poursuivi par
le sous-fermier du domaine de Villers-la-Montagne (34),
et condamn� � les payer, par arr�t du Conseil, du 2
avril de cette ann�e.
Par lettres patentes du 15 septembre 1716, L�opold avait
permis au Rhingraff de Dhaune, seigneur de Puttelange,
d'�tablir dans cette terre un brasseur flamand, �� pour,
y est-il dit, y faire de la bi�re de la qualit� de celle
de Flandre, pendant douze ann�es, avec d�fense � toute
personne d'en faire de pareille � huit lieues de
distance de Puttelange; � charge par ledit brasseur
flamand qui serait ainsi �tabli, de payer tous les
droits dus au domaine, tant pour la fa�on, vente que
d�bit, le tout sans pr�judice aux autres brasseurs qui
voudraient faire de la bi�re ordinaire, de continuer
comme du pass� �.
En 1746, Fran�ois-Joseph comte de Custine, seigneur de
Guermange (35), grand fauconnier de Stanislas, obtint la
permission de faire brasser telle quantit� de bi�re
qu'il jugerait � propos, dans la brasserie qu'il avait
fait construire sur le ban de ce village, et de la
vendre et d�biter, en payant un cens annuel de 30 livres
entre les mains du receveur du domaine de Dieuze,
Semblable autorisation fut accord�e, en 1781, � Amand
baron de Bouseck, conseiller intime du prince-�v�que de
Fuld, seigneur d'Eppelbronn (36), parce que le sol de
cette contr�e ne permettant pas de cultiver la vigne,
les habitants �taient oblig�s d'aller chercher de la
bi�re sur les terres de l'Empire, ce qui causait une
perte au domaine.
Le fisc avait su tirer parti d'une industrie qui, comme
on vient de le voir, s'exer�ait, au XVIIIe si�cle, dans
toutes les parties du Barrois et de la Lorraine.
La capitale de cette derni�re province n'�tait pas
rest�e en arri�re sous ce rapport. L�opold, jugeant sans
doute qu'il �tait utile de favoriser une telle branche
de commerce, avait fait construire � ses frais, proche
l'�cluse du moulin Saint-Thi�baut, une bierrerie, dont
les frais de ma�onnerie, charpente, etc., acquitt�s par
lui en 1703, s'�levaient � la somme de 6,235 fr. 9 gros,
faisant celle de 2,681 livres.
Sur les entrefaites, un de ses valets de pied,
Pierre-Joseph Deschamps, lui fit remontrer a qu'ayant
une connaissance parfaite de la faciende des bi�res,
�tant originaire de Flandre, et par l'exp�rience qu'il
avait acquise d�s sa jeunesse, il d�sirerait en faire
brasser dans ses Etats, de la qualit� et de la mani�re
de celle qui se brassait en Flandre, en se servant de
brasseurs flamands, qu'il ferait venir expr�s pour le
seconder dans cette entreprise ; mais, comme il
craignait qu'apr�s avoir fait les d�penses d'un pareil
�tablissement, il ne f�t frustr� du fruit de son travail
par d'autres qui pourraient faire brasser et d�biter de
pareilles bi�res, il suppliait le duc de lui accorder
ses lettres de privil�ge sur ce n�cessaires, et lui
faire don de quelque place pour y �tablir sa brasserie
�. L�opold, voulant surtout faciliter, un �tablissement
qui tournerait � l'avantage de ses sujets, accorde �
Deschamps, par lettres patentes du 21 ao�t 1702, �� le
droit et le privil�ge de pouvoir seul, et � l'exclusion
de tous autres, faire et brasser, dans les ville et
banlieue de Nancy, de la bi�re de la qualit� et de la
mani�re que l'on fait en Flandre �; et il lui donne le
terrain sur lequel il avait fait commencer un b�timent
propre � y faire une brasserie. Il d�fend � tous autres
de contrefaire lesdites bi�res et d'en vendre et d�biter
de pareilles dans les villes et banlieue de Nancy, �
peine de tous d�pens, dommages et int�r�ts.
A la mort de Deschamps, cette concession fut continu�e �
Fran�oise Fremion, sa veuve, laquelle, par acte du 21
juillet 1721, vendit � Evrard Hoffman, l'un des
huissiers du cabinet de L�opold (37), moyennant 9,000
livres tournois, le mat�riel de la brasserie, le
subrogeant en tous ses droits. Celui-ci, voulant
augmenter les b�timents, ce qui devait lui occasionner
une assez forte d�pense, sollicita et obtint, le 1er
avril 1723, la confirmation de la vente et de la
subrogation pass�es � son profit par la veuve Deschamps.
Hoffman �tait encore propri�taire de la brasserie en
1767, lorsque l'on con�ut le projet de faire communiquer
la ville Vieille � la ville Neuve par le bastion des
Michottes, en ouvrant la rue qui a conserv� ce dernier
nom. Les maisons portant aujourd'hui les num�ros 3 et 5
�taient occup�es par l'h�pital militaire, construit en
1724. Cet h�pital parut alors d�plac� dans un endroit
qui devait �tre tr�s fr�quent�, surtout depuis
l'ouverture de la porte Saint-Stanislas, et, par arr�t
du Conseil, du 3 juin 1768, le Roi ordonna qu'il f�t
construit un nouvel h�pital sur une partie des terrains
o� �tait la brasserie, en �change desquels on
abandonnerait � son propri�taire ceux qu'occupait
l'h�pital sur la place dite alors de Gr�ve (38),
jusqu'au rempart. En vertu de cet arr�t, ajoute Lionnois,
�� le sieur Fran�ois Hoffman (39) commen�a cette belle
maison qui est vis-�-vis de l'Universit�, qu'il a vendue
depuis peu (40) � M. Mathieu de Dombasle, et derri�re,
jusqu'au foss� (41), sa brasserie, l'une des plus belles
et des plus commodes de France (42) �.
Des mains de Fran�ois Hoffman, la brasserie passa dans
celles de son gendre, Joseph-Alexandre Arnauld de
Praneuf, officier au r�giment de Schomberg-Dragons,
lequel obtint, le 9 septembre 1777, un arr�t confirmant
les lettres patentes de 1702, 1723 et 1768, pour, par
ledit Praneuf, jouir du b�n�fice d'icelles (43) ; il lui
est fait, en outre, concession du droit exclusif de
faciende et d�bit ��le toutes esp�ces de bi�res dans
toute l'�tendue des villes et banlieue de Nancy, pendant
vingt-cinq ann�es, � charge de payer au domaine une
redevance annuelle de 300 livres. Les bourgeois eurent
la m�me permission que ceux d'Epinal (44)
Cet arr�t fut rendu � la suite d'une requ�te qui
renferme quelques d�tails int�ressants. Le droit de
fabriquer des bi�res, y est-il dit, les encaver, vendre
et d�biter, est domanial en Lorraine ; il est �tabli par
les ordonnances de 1609, 1610 et 1614, confirm�es par
l'arr�t du 6 mars 1751... Le duc Fran�ois, � son
av�nement (1724), ayant ordonn� la r�union de tous les
domaines et droits domaniaux ali�n�s depuis 1697, le
privil�ge des droits de faciende, encavage et d�bit des
bi�res, s'y trouva compris ; il fut sous-ferm� par le
fermier du domaine au nomm� Gillet moyennant 1,200
livres, au cours de Lorraine, de canon annuel. Mais le
sieur Hoffman obtint un arr�t du Conseil des finances,
le 28 d�cembre 1730, qui ordonna qu'il continuerait �
jouir du privil�ge de la faciende des bi�res, fa�on de
Flandres, conform�ment aux lettres patentes de 1702 et
1723, et qui lui permit de fabriquer toutes sortes de
bi�res pendant chacune des neuf ann�es du bail de
Gillet, � charge de payer aux sous-fermiers de ce droit
400 livres par chacune desdites ann�es. Hoffman obtint
divers arr�ts en vertu desquels il fit interdire � tous
autres la fabrication et la vente de toutes bi�res
autres que celles de sa brasserie. Il obtint,
entr'autres, le 20 ao�t 1732, contre les B�n�dictins de
Dieulouard, qui fabriquaient des bi�res fa�on de
Flandres, un arr�t qui en ordonna la confiscation et
pronon�a l'amende...
Lorsqu'en 1768, Hoffman entra en possession des
b�timents de l'h�pital militaire, ces b�timents �taient
en si mauvais �tat, qu'il fut oblig� de les faire
abattre et d'en construire de nouveaux, ce qui lui
occasionna une d�pense de plus de 50,000 livres, pour
laquelle il fit des emprunts qui caus�rent sa ruine.
Dans la vue d'acquitter une partie de ses dettes,
Praneuf et sa femme consentirent, par leur contrat de
mariage, � prendre la brasserie et les b�timents sur le
pied de 114,000 livres. Ils esp�raient en jouir
tranquillement, en continuant � servir au domaine la
redevance de 200 livres, mais les brasseurs des environs
s'�tant soulev�s contre l'exercice de leur privil�ge,
introduisirent une quantit� de bi�re dans Nancy; ce qui
donna lieu � des proc�s qui se renouvelaient tous les
jours. Ce fut afin de les faire cesser qu'ils
sollicit�rent et obtinrent l'arr�t rappel� ci-dessus ;
il ne re�ut qu'une partie de son ex�cution, la
R�volution �tant venue mettre un terme au privil�ge de
Praneuf avant qu'il ne f�t expir�. Celui-ci n'en
continua pas moins � exercer son industrie ; il g�rait
encore son �tablissement en l'an IV, ainsi qu'on le voit
par le recensement fait cette ann�e ; mais il avait
alors sept concurrents, qui devaient lui causer un
notable pr�judice.
Il semble r�sulter des documents qui pr�c�dent qu'il n'y
eut � Nancy, durant le cours du si�cle dernier, qu'une
seule brasserie, dans laquelle on ne fabriqua d'abord
que de la bi�re � l'instar de celle de Flandres, puis
toutes sortes de bi�res.
On se demande tout naturellement comment s'�coulaient
les produits de cette usine, si remarquable, au dire de
Lionnois : il est difficile de r�pondre � cette question
d'une mani�re satisfaisante, faute de renseignements
pr�cis. Ce qui ressort de ceux que l'on poss�de, c'est
qu'ils s'exportaient � des distances assez grandes, eu
�gard aux moyens de communication qui existaient alors.
Ainsi, l'on voit, en 1750, les Cisterciens de l'abbaye
de Haute-Seille (45), situ�e � plus de quinze lieues de
la capitale, faire venir de la bi�re de la brasserie
d'Hoffman. Les Chanoines r�guliers du prieur de Viviers
(46), auxquels, para�t-il d'apr�s les comptes de leur
d�pense, il n'�tait pas interdit de fumer, buvaient
aussi de la bi�re, mais dont on n'indique pas la
provenance. La m�me chose avait lieu, pour le dire en
passant, dans d'autres maisons religieuses, sans que
l'autorit� eccl�siastique y trouv�t � redire.
Mais c'�tait surtout la consommation sur place qui
devait ouvrir des d�bouch�s � la brasserie nanc�ienne.
Cette consommation �tait devenue assez importante pour
fournir � la ville une source de revenus. Celle-ci en
affermait l'octroi, qu'elle augmentait � proportion de
ses charges (47), et la perception des droits se faisait
� peu pr�s de la m�me mani�re qu'autrefois par nos
agents des contributions indirectes. C'est ce que l'on
voit par divers r�glements de police, dont le premier
est du 24 d�cembre 1738.
Cette ann�e, un nomm� Jacques Millot, qui venait de
prendre la ferme de l'octroi sur les vins, bi�res et
eaux-de-vie, demanda � la Chambre de ville le
renouvellement d'une ordonnance rendue � ce sujet en
1720, et qu'en cons�quence, injonction f�t faite � tous
cabaretiers, aubergistes, taverniers et autres vendant
ces boissons, de lui donner une d�claration exacte et
fid�le de celles qu'ils avaient en provision et de
continuer ainsi � l'avenir, pendant toute la dur�e de
son bail. La Chambre, faisant droit � cette requ�te,
promulgua un r�glement, dont voici les principales
dispositions :
Tous habitants des villes et faubourgs de Nancy qui
voudront vendre et d�biter vins et bi�res en d�tail,
seront tenus de d�clarer au bureau �tabli par le fermier
la quantit� des provisions qu'ils en auront...
La d�claration �tant faite, le d�bit ne pourra commencer
que le fermier n'ait fait la reconnaissance de la
quantit� et de la consistance des tonneaux, et qu'il ne
les ait marqu�s de sa rouane, dont l'empreinte sera
d�pos�e au greffe de la Chambre.
Tant et si longtemps que les vendants vins et bi�res
feront leur d�bit, ils seront oblig�s de tenir la
feuill�e, ou autrement d'avoir bouchon ou enseigne qui
puisse servir d'avertissement au fermier de la
continuation du d�bit.
Tous les vendants permettront l'entr�e de leurs caves au
fermier ou � ses pr�pos�s, toutes les fois qu'ils s'y
pr�senteront, pour en faire la visite et la
reconnaissance, sans les insulter, ni quereller, � peine
de punition telle qu'au cas appartiendra.
Ce r�glement de police, qui fut renouvel� en 1762 et
1763, nous apprend que le d�bit de la bi�re se faisait
par les cabaretiers, aubergistes et taverniers ; il n'y
est pas question des cafetiers, dont les premiers
n'apparurent qu'assez longtemps apr�s (48). L'usage du
tabac � fumer, encore peu r�pandu, n'avait pas amen� la
cr�ation des nombreux �tablissements dans lesquels, on
en va �� griller�, en absorbant un liquide qui rafra�chit
les l�vres et le gosier.
L'absence de caf�s permet de supposer que l'on
consommait de la bi�re dans un certain nombre de maisons
bourgeoises (49), soit comme agr�ment, soit de
pr�f�rence au vin, surtout lorsque de mauvaises r�coltes
en faisaient hausser le prix.
Dans ces circonstances, on avait encore recours � un
autre genre de boisson, dont les documents officiels,
ant�rieurs au XVIIIe si�cle, ne font pas mention, mais
qui �tait certainement connue en Lorraine bien
auparavant, surtout dans les r�gions ou le sol ne se
pr�tait pas � la culture de la vigne : nous voulons
parler du cidre.
Par un �dit en date du 6 ao�t 1715, L�opold (50) veut
que, outre l'octroi et le taxage des vins accord�s � la
ville de Nancy par le duc Ren� II, en 1504, il soit
per�u, sur les eaux-de-vie, liqueurs, vins, bi�res et
cidres qui se vendront en gros ou en d�tail, savoir :
sur la mesure d'eau-de-vie, 2 fr.; sur le pot de ��
Ratafiat, Percicot, Vat�, Eau de Can�le, Geni�vre,
Fleurs d'oranges et autres liqueurs (51), 2 gros par
pot; sur chaque mesure de bi�re et de cidre, 6 gros.
Mais, sur la requ�te des officiers de l'H�tel de ville,
le duc abrogea cet �dit, deux mois apr�s, relativement
aux droits � payer par ceux qui vendaient du cidre, des
ratafiats et autres liqueurs, dont il laissa le commerce
et le d�bit libres dans cette ville, comme cela �tait
auparavant.
C'est ce qui explique pourquoi il n'est pas question du
cidre dans les r�glements de police ult�rieurs,
concernant la perception du droit d'octroi sur les vins,
bi�res et eaux-de-vie.
En 1770, Fran�ois Hoffman, qui avait pris ce droit �
bail de la ville, selon qu'il se levait en vertu de
l'arr�t du Conseil, du 26 mai 1763, adressa au Roi une
requ�te dans laquelle il expose �� que les officiers
municipaux ne pr�voyant pas alors que les vins
manqueraient tout-�-coup dans les ann�es suivantes, au
point de mettre les bourgeois dans la n�cessit� d'y
substituer le cidre, dont jusqu'alors on n'avait fait
aucun usage dans cette capitale (52), ne pens�rent pas
m�me � comprendre cette boisson dans celles sujettes au
droit d'octroi qu'ils obtinrent sur les vins, bi�res et
eaux-de-vie; cependant, la raret� et la chert� des vins
s'�tant fait sentir, principalement en Lorraine, depuis
trois ans, le cidre, moins d�sagr�able � boire que des
vins de mauvaise qualit�, tels que ceux de la derni�re
r�colte, est devenu la boisson ordinaire des bourgeois
de Nancy, et leur tient lieu du vin, sujet � l'octroi,
en sorte que la pr�f�rence donn�e au cidre sur le vin,
dont il ne se fait plus de consommation, priverait le
suppliant de la plus forte partie de son droit et
entra�nerait bient�t sa ruine enti�re. Outre ce motif,
sa demande est fond�e sur l'usage de toutes les autres
villes de la Lorraine, notamment de celle de Lun�ville,
o� l'on per�oit sur les cidres, � raison de la
consommation qu'il s'y fait de cette liqueur, le droit
d'octroi �tabli sur les vins, bi�res et eaux-de-vie...
Le suppliant se restraint � demander sur les cidres le
demi-droit qui se per�oit sur les bi�res, quoique
l'usage du cidre, en arr�tant la consommation du vin,
ait diminu� celle des bi�res m�me... �
Le Roi, faisant droit sur cette requ�te, rendit, le 31
juillet 1770, un arr�t par lequel il ordonna que l'�dit
de 1715 serait ex�cut� selon sa forme et teneur; permit
� Hoffman de lever le droit sur les cidres conjointement
avec ceux qui lui �taient afferm�s, et prescrivit que ce
droit continuerait � �tre per�u, � l'expiration de son
bail, au profit de la ville.
Les deux boissons, causes de cet arr�t, continu�rent �
�tre simultan�ment en usage jusque vers la fin du si�cle
dernier : les cafetiers, limonadiers, vinaigriers,
d�bitants de cidre et de bi�re, formaient une communaut�
ayant � sa t�te deux syndics et trois adjoints, dont
l'�lection avait lieu par les ma�tres du corps, devant
le lieutenant g�n�ral de police, entre les mains duquel
ils pr�taient serment. Les nouveaux entrants � la
ma�trise payaient, au moment de leur admission, le quart
du droit de r�ception, montant � 16 livres 13 sous 3
deniers, cours de France. Chaque ann�e, un des syndics
rendait les comptes (53) de la communaut� en pr�sence et
� la participation du procureur du roi au si�ge de
police de la ville de Nancy, ayant la police des arts et
m�tiers.
La bi�re a fini par d�tr�ner compl�tement le cidre, et
celui-ci n'est plus gu�re connu que de nom. On ne songe
pas � ? recourir, comme il y a une centaine d'ann�es,
lorsque les vendanges font d�faut ; on pr�f�re des
boissons qu'il serait difficile de qualifier, et pour
lesquelles il serait bon de remettre en vigueur nos
vieilles ordonnances d�fendant aux �� hostes, �
taverniers, cabaretiers et autres �� d'affaicter ny
mistionner � leurs vins, sous peine d'amende et de
confiscation.
LA BI�RE EN FRANCE. - LA BRASSERIE DE TANTONVILLE,
Ainsi qu'on l'a vu plus haut, l'histoire de la bi�re
proprement dite, sous cette d�nomination, re remonte, en
France, qu'� la fin du XVe si�cle. M. Reiber lui a
consacr� plusieurs pages, moiti� s�rieuses, moiti�
plaisantes, auxquelles j'emprunterai quelques passages,
qui ne se liront peut-�tre pas sans int�r�t.
Les statuts donn�s par Charles VIII, en 1489, � la
corporation des brasseurs de Paris, furent, dit-il,
renouvel�s ou confirm�s en 1514, 1630 et 1687. �� La
brasserie fran�aise continuait � vivre, mais non �
prosp�rer. Elle ne fut r�ellement importante que dans le
Nord, vers les Flandres, o� cette industrie devint une
v�ritable puissance, et o� elle l'est encore...
� Sous Louis XIV, Paris comptait 18 ma�tres-brasseurs ;
sous Louis XV, en 1750, elle en avait 40, et sous Louis
XVI, en 1782, 23 seulement. Leur nombre �tait de nouveau
plus �lev� � la R�volution.
� Au XVIe si�cle et au XVIIe, Paris employait pour sa
bi�re deux parties d'orge et une partie d'avoine (54).
Les coryoisiers de Picardie usaient d'un m�lange par
moiti� d'orge et de seigle. Pour aromatiser le liquide,
les uns se servaient de laurier-rose et de gentiane, les
autres de sauge, de lavande, de coriandre, d'absinthe,
etc.
� Il existe une fac�tie intitul�e : Le Bragardisme et
joyeux testament de la bi�re, d�di� aux magnanimes
biberons pour les festes de Caresme prenant (Arras,
1611), qui prouve qu'au XVIe et au XVIIe si�cle, le vin
l'emporta peu � peu sur la bi�re en France. Dans cet
�crit, la bi�re se reconna�t boisson mis�rable, ayant
caus� beaucoup de troubles et de malaises, et fait son
testament (55) avant de c�der devant le vin. Les
brasseurs sont fort malmen�s dans l'opuscule en question
; l'�pith�te de gastebleds est une des plus douces dont
ils soient gratifi�s.
� Pendant que la France, de plus en plus riche en vins,
se d�shabituait fort de la bi�re, l'Allemagne
perfectionnait l'ancienne boisson de m�diocre qualit� et
l'amenait peu � peu au degr� de finesse qui lui revalut
les sympathies fran�aises. Voici quelques chiffres pour
illustrer cette vogue nouvelle de la bi�re. Paris en but
7,000 hectolitres en 1853, 40,000 hectolitres en 1864,
et environ 300,000 en 1881 (56). Cette progression
ascendante et ph�nom�nale indique presque une
transformation compl�te de go�t et de r�gime. Il est
aujourd'hui r�serv� � la France d'�galer et de surpasser
l'Allemagne (la brasserie strasbourgeoise n'a-t-elle pas
conquis sa r�putation en faisant partie de la brasserie
fran�aise), et il lui est surtout r�serve de rendre les
moeurs gambrinales aimables. La bi�re fran�aise jouit
d�j� particuli�rement d'une grande faveur � l'�tranger.
C'est ainsi, pour ne citer qu'un exemple, que nous avons
trouv�, il y a cinq ans (c'est-�-dire en 1876), la bi�re
de Tantonville tr�s acclimat�e � Tunis. �
Elle va bien ailleurs, et plus loin que Tunis : dans
toute la France, d'abord, o� elle est recherch�e par les
�tablissements de premier ordre, � l'�gal des meilleures
bi�res du continent (57); en Corse, en Alg�rie, en
Espagne, en Italie, en Suisse et en Belgique ; des
essais d'exportation viennent �galement d'�tre tent�s
pour les Indes anglaises et le Br�sil, et ils ont
pleinement r�ussi.
Par suite des d�veloppements qu'elle a pris, des
perfectionnements qu'elle a re�us, la brasserie de
Tantonville est devenue la plus importante de France. De
1500 hectolitres fabriqu�s en 1840, seconde ann�e de sa
fondation, elle est arriv�e � d�passer une production
annuelle de cent mille hectolitres, qui peut �tre port�e
� plus de cent cinquante mille par de r�cents
agrandissements.
Qu'�tait la brasserie Praneuf aupr�s de cette
gigantesque usine, avec sa ligne sp�ciale de chemin de
fer et son bureau de t�l�graphe, - choses auxquelles on
ne songeait gu�re il y a cent ans ! - avec ses bacs
rafra�chissoirs, ses caves de fermentation, de 1.650
m�tres carr�s, ses caves � bi�re, pouvant contenir
50,000 hectolitres ; ces cares glaci�res, d'une
superficie de 6,800 m�tres carr�s ; ses appareils �
fabriquer la glace, en produisant 200 kilos par heure ;
etc. (58)
Outre quelques �tablissements secondaires, d'une date
plus ou moins r�cente, il s'est cr��, aux portes de
Nancy, dans les d�pendances du domaine quasi seigneurial
du Sauvoy, une brasserie qui a d�j� pris une certaine
notori�t�. Fond�e en 1869 par notre compatriote M.
Galland, avec une soci�t� d'actionnaires, sous la
d�nomination de Brasserie Viennoise, et dite ensuite
Grande Brasserie de l'Est, elle est arriv�e � fabriquer
annuellement 67,009 hectolitres; 500 s'exportent en
Italie, 60,000 sont envoy�s dans diverses parties de la
France, 6,500 se vendent sur place.
On peut appr�cier la qualit� des produits de cette usine
en entrant dans le d�bit contigu � ses ateliers, tenu
par un ancien sous-officier de notre arm�e d'Afrique.
C'est, sous ce titre modeste, un vaste caf�, en avant
duquel r�gne une terrasse plant�e d'arbres, d'o� l'on
jouit d'une vue magnifique sur la vall�e de la Meurthe.
La bi�re, - qui est entr�e dans nos habitudes et devenue
presque un besoin, ne se vend plus � pr�sent, comme
autrefois, uniquement chez les cabaretiers et
taverniers, mais dans de somptueux �tablissements, dont
le luxe �tait aussi inconnu � nos a�eux que le gaz qui
les �claire. Hommes et femmes prennent part � sa
consommation, laquelle atteint des proportions
fabuleuses.
Si, � l'instar de Deschamps et de ses successeurs, un
brasseur pouvait, durant pr�s d'un si�cle, jouir du
privil�ge d'en alimenter Nancy et sa banlieue, combien
de millions ne gagnerait-il pas !
(1) ETUDES GAMBRINALES. - Histoire et
arch�ologie de la bi�re, et principalement de la bi�re
de Strasbourg, par Ferdinand Reiber. Berger-Levrault et
Cie, �diteurs. 1882.
(2) Dans l'ouvrage intitul� : Le r�gime de sant� de l'escolle
de Salerne, traduit et comment� par Maistre Michel Le
Long, Docteur en Medecine ... Troisiesme �dition..
Paris.., M DC XLIX.
(3) Digot, Histoire de Lorraine, t. I, p. 159, 160 et
363.
(4) Nous avons laiss� de c�t�, � dessein, le passage (p.
160) ou M. Digot parle des soi-disant brasseurs de
Verdun bracenses negociatores, qui auraient exerc� leur
industrie du temps de l'�v�que Austramme (801-806). Le
savant abb� Clouet a clairement demontr� (Hist. de
Verdun, t. I, p. 236) que l'�pith�te bracenses ne
signifie nullement brasseurs ; il devrait y avoir
braciatores ou brasiatores.
(5) Quincy, Meuse, canton et arr. de Montm�dy.
(6) Suivant M. Reiber, cerevisia d�riverait de terve,
vieux mot d'origine celtique ou gauloise, qui d�signe le
bl� ou le froment. �� Ce mot, ajoute-t-il, s'est conserv�
dans la r�gion rh�nane int�rieure, dans terwe. Une
circonstance qui nous fortifie particuli�rement dans
cette opinion, c'est que le bas allemand du moyen �ge
poss�dait le mot terwise, qui signifiait en r�alit�
cervoise, c'est-�-dire bi�re de froment (Weizenbier)...
Pline, en affirmant que cervisia est un mot gaulois,
prouve d'ailleurs directement que le terme ne vient pas
du latin, et indirectement, que ce sont les conqu�rants
romains qui ont latinis� le celtique qu'ils avaient
rencontr�. �
D'anciens auteurs, cit�s par Du Cange, donnent pour
�tymologie � cervoise le nom de C�r�s, la d�esse des
moissons : �� Cerevisiam a Cerere dictam, quasi
Cerebibiam, quod Ceres, id est, frumentum cortum bibatus
� - �� Cervisia, a Cerere, id est, fruge vocata : est
enim polio ex feminibus frumenti vario modo confecta �;
c'est-�-dire, en quelques mots : Cervoise vient de C�res,
comme si l'on disait bois son de Cer�s, parce que c'est
un breuvage fait de froment.
(7) En fran�ais : Officine des brasseurs ou endroit o�
la cervoise est cuite et confectionn�e, ce que nous
appelons brasserie. - Carubier, brasseur ou
confectionneur de cervoise.
(8) �� BRACE, dit Du Cange, grani species, ex quo
cerevisia conficitur. Bracium idem quod Brace.
En France, brace et bracius se changent en brai, bray,
brais, mots vieux fran�ais qui signifient plus
sp�cialement malt concass�...
Quant au fran�ais malt et � l'allemand malz, ils sont
d'origine germanique, et viennent de maleu, qui signifie
moudre. (Reiber.)
(9) Sous-entendu : re�u.
(10) Ancien d�partement de la Moselle.
(11) C'est-�-dire aux ench�res.
(12) Les savants, dit M. Reiber, la d�finissent de la
fa�on suivante : la bi�re est un liquide ferment�,
obtenu par la d�cortion on l'infusion de mati�res
amylac�es dues aux c�r�ales, et modifi�es par la
fermentation; renfermant une certaine dose de houblon,
et se trouvant dans un �tat particulier de fermentation
secondaire.
(13) Voy. ci-dessus, p. 15, note 1.
(14) Jametz, Meuse, canton de Montm�dy. - Les grueries
�taient des circonscriptions territoriales, � la t�te
desquelles se trouvait plac� un agent de
l'administration foresti�re, nomm� gruyer, dont les
fonctions avaient beaucoup d'analogie avec celles de nos
sous-inspecteurs des for�ts.
(15) En 1591, une certaine quantit� de bl� est d�livr�e
� fr�re Didier, brasseur au convent des Cordeliers, pour
bi�re qu'il avait brass�� pour le d�fruit de l'h�tel.
(16) Ce terme, ici et plus loin, ne doit pas �tre pris
dans l'acception moderne : il signifie simplement les
ustensiles (alambics, chaudi�res, etc.) destin�s � la
fabrication de la bi�re.
(17) Le cell�rier �tait l'officier charg� sp�cialement
de la recette des grains.
(18) En 1590, une �� brasserie � fut �tablie au ch�teau
de Hombourg pour faire de la bi�re aux soldats qui y
tenaient garnison.
(19) La maison dite la Bierrerie, avec le meix derri�re,
sise rue Saint-Dizier, provenant des successions de
noble Claude de Fisson et d'Antoinette de Chastenoy, son
�pouse, fut vendue, en 1662, par les Carm�lites aux
Dominicains, pour le prix de 5,000 francs.
La Bierrerie, d'apr�s une note que nous communique M.
Ch. Courbe, occupait l'emplacement de l'h�tel de Mahuet-Lupcourt
(h�tel O'Gorman actuel); elle fut �� d�mont�e � pour
rendre du terrain � Alexandre de Chastenoy, qui d�clara
vouloir y faire b�tir, lorsqu'on distribua ces places �
la ville Neuye, de 1591 � 1598, aux particuliers qui en
demand�rent pour construire des maisons.
(20) Un nomm� Pierre Poirson, �� brasseur de bi�re �
natif de Dinan (Belgique), figure sur l'�tat des
bourgeois re�us � Nancy depuis l'an 1591, comme y �tant
venu en 1608.
(21) Des. concessions du m�me genre avaient, sans doute,
�t� faites � d'autres individus, puisqu'elles
provoqu�rent des plaintes de la part des Etats-g�n�raux.
C'est ainsi qu'ils disent, dans un des �� griefs
pr�sent�s au duc lors de leur session de 1614-1615 : ��
Son Altesse est suppli�e de permettre � un chacun de
faire cartes, savons, teintures, bi�res, chaudronneries
et choses semblables, et d'en lever toutes les deffences
qu'on a cy devant faict...; et o� il luy plaira de faire
continuer les privill�ges qu'il a donn� � des
particuliers touchant ladicte permission, qu'il luy
plaise de ne la continuer plus longues ann�es que celle
qui leur a est� accord�, et de n'en faire d'autres... �
(22) Le compte de l'ann�e 1633 porte en recette le droit
d� par les brasseurs et vendeurs de bi�re de cette
ville.
(23) Il y avait, dans le ch�teau, une �� brasserie �, que
l'on r�para en 1615.
(24) Aujourd'hui Wallerfangen, commune du canton de
Saarlouis, ancien chef-lieu du bailliage d'Allemagne. En
1619, un individu obtint l'acensement d'une place pour ��
b�tir une brasserie � proche de l'�tang de cette ville.
(25) On appelle ainsi la vall�e qui traverse le canton
de Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin).
(26) L'auteur du Trait� du d�partement de Metz (1736)
dit, � ce sujet : �� Les B�n�dictins anglais qui se sont
�tablis � Dieulouard, en 1606. ont fait b�tir un beau
monast�re : du pied de la montagne sur laquelle sont le
ch�teau et le couvent, il sort une fontaine qui forme un
ruisseau consid�rable ; les eaux sont excellentes pour
faire de la bierre, qui ne c�de en rien � celle des
Gobelins; les B�n�dictins, ainsi que les habitants, en
font un grand commerce. �
(27) Andreu de Bilistein ; Essai sur les drch�s de
Lorraine et de Bar, 1762.
(28) Notamment chez les Chanoines r�guliers de l'abbaye
de Dom�vre. Un compte de l'ann�e 1699-1700 porte en
d�pense somme de 1073 fr. pour 74 mesures de vin, une de
bi�re et la fa�on de dix autres mesures de bi�re. - Ces
religieux buvaient aussi du cidre.
(29) La consommation de cette liqueur avait pris, au
commencement du XVIIe si�cle, des proportions assez
consid�rables. Afin de rem�dier aux abus qui se
commettaient dans sa fabrication, L�opold, par son �dit
du 21 ao�t 1700, cr�a, �� en ma�trise �, cinq cents
offices de fabricateurs et distillateurs d'eau-de-vie,
lesquels pouvaient seuls en faire, � l'exclusion de tous
autres, moyennant une finance, proportionn�e, sans
doute, � l'importance de la localit� o� ils �taient
�tablis. Les brevets de distillateurs, comme ceux de
perruquiers, constituaient ainsi une source de revenus
pour le tr�sor.
(30) En 1716, L�opold avait accord� des chartes aux
ma�tres boulangers, �� ordinairement brasseurs et
vendeurs de bierres �, et aux meuniers des villes de
Sarreguemines, Bitche, Puttelange et autres lieux
composant l'offre de ladite ville de Sarreguemines.
Aucune des dispositions de ces chartes ne concerne les
boulangers, en tant que brasseurs. L'article 13 porte
seulement qu'il leur est permis de vendre de
l'eau-de-vie les jours de f�tes, ainsi qu'ils ont fait
d'anciennet�.
(31) Il y avait une brasserie dans la partie alsacienne
de cette ville.
(32) On appelait ainsi la partie de l'ancienne province
du Barrois qui renfermait les bailliages d'Etain et de
Briey.
(33) Clair-Marais, ancienne cense, commune de Longwy.
(Dict. top. de la Moselle.)
(34) Arr. de Briey, canton de Longwy.
(35) Ancien d�partement de la Meurthe.
(36) Village, canton d'Ottweiler (Prusse); anciennement
Lorraine, bailliage de Schambourg, pass�, en 1814, sous
la domination prussienne, avec le canton de Tholey,
auquel il appartenait.
(37) Il �tablit, en 1724, une houblonni�re dans un
terrain, pr�s de l'�tang Saint-Jean, que lui avait
r�troc�d� Jean Le Brument, entrepreneur de la
manufacture de drap.
En 1769, Fran�ois Hoffman, dont il va �tre question,
obtint de la ville, par acensement, un terrain depuis
l'h�pital des Enfants trouv�s (sur l'emplacement
qu'occupe l'Acad�mie) jusqu'� la porte Notre-Dame, et y
fit �galement planter uue houblonni�re.
(38) Aujourd'hui Dombasle.
(39) Ancien officier pour le service du Roi. Il �tait
fils d'Evrard, et fut p�re d'Henri Hoffman, litt�rateur
et journaliste distingu�, n� � Nancy en 1760, dont
l'�loge a �t� prononc� par M. Jacquinet dans son
discours de r�ception � l'Acad�mie de Stanislas, en
1878.
(40) C'est en 1784 ou 1785 que cette maison fut vendue
au p�re du c�l�bre agronome, non par Hoffman, mais par
son gendre Arnaud de Praneuf : et ce fut celui-ci qui
transf�ra la brasserie dans les b�timents ayant face sur
la rue des Michottes, o� ils portent les num�ros 3 et 5.
(Note de M. Courbe.)
(41) C'est-�-dire jusqu'� l'ancienne place de Gr�ve, �
pr�sent de l'Acad�mie.
(42) Par une annonce publi�e le 19 d�cembre 1772, le
sieur Hoffman, �� propri�taire de la Brasserie de Nancy,
rue Saint-Stanislas n� 288 � (n� 66 actuel), fait savoir
qu'il �� a d�couvert la m�thode s�re de faire des bi�res
de la premi�re qualit�, qui se conserveront plusieurs
ann�es en s'am�liorant, soit en tonneau, soit en
bouteilles. - Il fera faire �galement des bieres douces
et fournies, claires et agr�ables, qui se boiront
jusqu'au mois de juillet, le tout � prix raisonnable.
(43) Il l'avait invoqu�, en 1775, contre un nomm� Petna,
dit T�m�raire, exer�ant la profession de brasseur �
Jarville, lequel avait �t� trouv� introduisant de ses
bi�res � Nancy�.
(44) Voy. ci-dessus, p. 31.
(45) Hameau, com. de Cirey, Meurthe-et-Moselle.
(46) Viviers, anc, d�p. de la Meurthe. arr. de
Ch�teau-Salins.
(47) C'est ce qui arriva, notamment, en 1769. Un arr�t
du Conseil permit � la ville de lever, jusqu'en 1776, 4
sous par livre en sus des droits qui se percevaient sur
les vins, bi�res et eaux-de-vie.
(48) En 1767, il n'y avait encore � Nancy que deux caf�s
: le Caf� Royal, appel� successivement Caf� Fran�ais,
Caf� Imp�rial, de nouveau Caf� Royal, en dernier lieu,
Caf� Stanislas, d�nomination qu'il a conserv�e; - et le
Caf� de Strasbourg, rue des Dominicains; plus, deux
ma�tres de billards, on teneurs de caf�s de second
ordre, mais tr�s fr�quent�s. Le nombre de ces
�tablissements, dont M. Courbe a donn� la liste dans ses
Promenades historiques � travers les rues de Nancy,
s'accrut notablement depuis l'�poque dont il vient
d'�tre parl�, mais surtout � partir de 1790. En l'an IV,
on ne comptait pas moins de 25 cafetiers, outre 70
cabaretiers et 55 marchands de vin, chez lesquels, comme
chez les anciens taverniers et cabaretiers, on d�bitait
sans doute de la bi�re.
(49) Cette consommation est rendue facile aujourd'hui
par le port � domicile de bi�re en bouteilles, genre
d'industrie cr�� depuis quelques ann�es, et qui a d�j�
pris d'assez grandes proportions.
(50) En 1727, ce prince faisait venir du cidre
d'Angleterre pour son h�tel.
(51) ll est question d'�lixir de la Chartreuse dans le
livre de recette et d�pense des Chartreux de Bosserville,
de 1775 � 1790.
(52) ll veut dire probablement qu'on n'en faisait plus
usage.
(53) On poss�de ceux des ann�es 1760 � 1786.
(54) Pendant la disette de 1709, L�opold d�fendit
d'employer de l'orge et du bl�, mais seulement de
l'avoine, dans la faciende de la bi�re.
(55) Son �pitaphe, imprim�e � la fin de l'opuscule, est
ainsi con�ue :
En ce tombeau une bi�re repose,
Qui de la mort de plusieurs est la cause
Et qui n'a sceu jamais en son vivant
Rien dans le corps y loger que du vent :
Partout, brasseur, qui fuynez ce passage,
De son trespas n'attristez le courage,
Car vous verrez que les fils de Bacchus
Vous pilleroient comme un pot de verjus.
Le po�te-m�decin traducteur et commentateur de l'Ecole
de Salerne, dont il a �t� parl� au commencement de notre
travail, �num�re les inconv�nients et les vertus de la
bi�re dans deux �� discours � et deux �� explications �
dont voici quelques passages :
�� La bi�re tient lieu de vin, et breuvage d�licieux au
pais o� la vigne ne se cultive point... Ce breuvage
oppile le foye, s'il n'est alt�r� de force houblon, et
fait mesme, au dire de Dioscoride, devenir ladres ceux
qui en font ordinaire: d'abondant il fait mal � la
teste, cause une yvresse beaucoup plus longue que le
vin, et qui ne s'en va pas si facilement: de plus on
remarque que ceux qui en sont yvres tombent plustost en
arri�re que devant, pource que les vapeurs qu'il envoye
au cerveau ne pouvant estre promptement dissip�es �
cause de leur �poisseur, se changent en humeurs crues et
terrestres, qui s'arrestent aux parties lat�rales et
post�rieures de la teste, occupent le principe des
nerfs, et ostent aux esprits la libert� de leur chemin,
d'o� il arrive que tant � cause du poids de l'humeur que
du principe des nerfs pr�occup�, la ch�te se fait
plutost derri�re que devant : qui pis est, telles
yvresses sont suivies non rarement d'apoplexies,
paralysies, affections l�thargiques et autres... �
Plus loin, appliquant � la bi�re un des vers qu'il a
consacr�s � la cervoise (provoque � uriner(-1-),
rafraichit (-2-), est enflante(-3-), le traducteur
�num�re ainsi quelques-unes de ses vertus :
1. �� A s�avoir quand elle est alt�r�e de suffisante
quantit� de houblon. Or ja�oit que le houblon ne soit
pas l'ingr�dient principal en la composition de ce
breuvage, pourtant il est celuy sans lequel il ne peut
estre pris seurement, attendu que par sa facult�
ap�ritive, il empesche les oppilations du foye, de la
ratte et du misent�re, que la bi�re causeroit sans
difficult�...
2. �� A s�avoir celle qui a beaucoup d'orge et peu de
houblon ; pour tant telle bi�re que ce soit est de
temp�rament chaud, plus ou moins ; celle d'orge et
d'avoine m�diocrement; celle de froment le plus de
toutes : car bien que le froment soit de nature
temp�r�e, et que les autres grains susdits d�clinent au
froid, pourtant la seule pr�paration faite par
fermentation, assation, putr�faction et coction, ne peut
estre sans qu'elle retienne la qualit� du feu. Or
est-elle d'autant plus chaude qu'il y a de houblon mesl�;
pourtant celle qui est fort houblonn�e peut autant, ou
mieux rafraischir que celle d'orge simple, attendu que
le houblon fait �vacuer l'humeur bilieux qui entretient
la chaleur dans le cops.
3. �� Entendre des vents faute d'une bonne coction, ou
pource que l'estomac ne la peut dig�rer que lentement et
difficilement : ou pource que l'orge, qui en est le
principal ingr�dient, est venteuse, � cause de sa
froideur et viscosit�. �
(56) L'auteur, dont le livre a �t� imprim� � cette date,
dit que la France produit annuellement huit millions
d'hectolitres de bi�re, mais la moyenne de la
consommation n'y atteint eneore que 21 litres par
habitant,
(57) La sup�riorit� des produits de l'usine de
Tantonville a valu aux si habiles directeurs de cet
�tablissement deux m�dailles d'or aux expositions
universelles de 1878 et 1882, des dipl�mes d'honneur �
l'exposition industrielle de Blois et � l'exposition
universelle d'Amsterdam; enfin, tout r�cemment, une
m�daille d'or � l'exposition universelle de Calcutta
(Indes-Orientales).
(58) Elle est repr�sent�e sur une grande planche qui
accompagne le num�ro 484 du Panth�on de l'Industrie, �
la suite d'un article intitul� : les Bi�res fran�aises,
o� le mode de fabrication employ� � Tantonville est
longuement expos�. |