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Est-R�publicain
22 janvier 1953
Le b�b� de Gogney sera veng�
Le bourreau du petit J. Weiss est arr�t� par la police de Saint-Di�
LUNEVILLE (de notre r�daction). - Le 17 juillet dernier, Vincent Burckhardt, 23
ans, vannier � Gogney, frappait avec une sauvagerie inou�e le petit Jean Weiss,
�g� de 10 mois, fils de son amie, Catherine Weiss. C'est pendant une absence de
celle-ci, partie dans des localit�s voisines vendre des paniers, qu'il avait
rou� de coups ce petit �tre qu'il n'aimait pas.
L'enfant �tait dans le coma lorsqu'il fut trouv�, le visage et la t�te couverts
de taches bleu�tres, par des voisins qui le firent transporter � l'h�pital de
Nancy, o� il d�c�dait le lendemain.
A l'�poque, ces faits lamentables avaient jet� la consternation dans le village
de Gogney. M. le juge d'instruction avait lanc� imm�diatement un mandat d'arr�t
contre ln brute qui avait pris la fuite, mais, jusqu'� pr�sent, on n'avait pu
retrouver sa trace.
Hier, M. le juge d'instruction de Lun�ville �tait avis� que Vincent Burckhardt
avait �t� arr�t� par la police de Saint-Di�. Il sera appel� prochainement �
venir s'expliquer sur son triste forfait.
Est-R�publicain
24 janvier 1953
Le vannier de Gogney est �crou� � Nancy
LUNEVILLE (de notre r�daction). - Vinrent Burckhardt, 23 ans, vannier � Gogney,
arr�t� par la s�ret� du commissariat de police de Saint-Di� � la suite d'un
mandat d'arr�t de M le Juge d'instruction de Lun�ville, sur l'inculpation de
coups � enfant ayant entra�n� la mort sans intention de la donner, a �t� amen� �
Lun�ville et imm�diatement transf�r� � la maison d'arr�t de Nancy.
Est-R�publicain
6 f�vrier 1953
Interrog�, hier, pour la premi�re fois
Le vannier de Gogney avoue avoir battu � mort le fils de son amie parce qu'il
pleurait et que �a l'�nervait
LUNEVILLE (de notre r�daction). - Vincent Burckhardt, 23 ans, vannier, arr�t�
derni�rement � Saint-Di�, a �t� entendu jeudi apr�s-midi par M. le juge
d'instruction de Lun�ville.
On se souvient qu'il avait disparu depuis le 17 Juillet 1952, apr�s avoir frapp�
avec une telle brutalit� le petit Jean Weiss, �g� de 8 mois, fils de son amie,
que les coups port�s avalent entrain� la mort de l'enfant.
Burckhardt fut interrog� hier pour la premi�re fois. Il passa aux aveux sans
difficult� et relata son sinistre forfait sans la moindre �motion.
Son amie �tant partie vendre des paniers dans les localit�s environnantes, le 17
juillet, elle l'avait charg� de garder son enfant pendant son absence. Le b�b�
s'�tant � mis � pleurer. Burckhardt lui donna du lait, mais comme le petit ne se
taisait toujours pas, il le frappa sur tout le corps avec la main, puis le
repla�a dans son lit.
S'�tant alors aper�u que l'enfant semblait perdre connaissance, il lui trempa le
visage dans une cuvette d'eau pour le revigorer et appela son fr�re qui se
trouvait dans une pi�ce voisine en lui disant : ��Regarde, l'enfant est � la
mort. �.
Sa belle-s�ur avisa alors le maire de la localit�. En le voyant arriver,
Burckhardt se sauva par une porte d'�curie donnant derri�re la maison.
En cours de route, il rencontra son amie qui regagnait le domicile et lui
d�clara en poursuivant son chemin : ��J'ai frapp� le petit et il est � la mort.
�
Burckhardt a reconnu avoir donn� quelques ��tapes � � l'enfant, ��mais rarement,
dit-il, et sans violence, parce qu'il pleurait et que �a m'�nervait. �
Depuis sa fuite de Gogney, le bourreau s'�tait r�fugi� en Alsace avant de venir
� Saint-Di�, o� il fut appr�hend�.
Est-R�publicain
8 octobre 1953
Trois importantes affaires
criminelles seront �voqu�es devant le jury au cours de la
prochaine session d'assises qui s'ouvrira le 26 octobre
La quatri�me session de la cour d'assises de Meurthe-et-Moselle
s'ouvrira le lundi 26 octobre sous la pr�sidence de M. Facq,
conseiller � la cour, assist� de M. le conseiller Rosambert et
de M. Adam, juge au tribunal.
Le r�le comprend les quatre affaires suivantes
Lundi 26 octobre, � 14 heures. Coups mortels � enfant. Accus�
Vincent Burckhardt, 23 ans, vannier � Gogney, pr�s de Bl�mont
Minist�re public : M. Hauss. avocat g�n�ral. D�fenseur : Me
Michel. avocat � Lun�ville. (Burckhardt s'�tait mis en m�nage
avec une jeune fille d�j� m�re d'un enfant de 11 mois. Le 17
juillet 1952, irrit� par les pleurs de cet enfant, il essaya de
le calmer. N'y r�ussissant pas, il le frappa. L'enfant succomba
peu apr�s d'une h�morragie m�ning�e d'origine traumatique.)
Est-R�publicain
27 octobre 1953
AUX ASSISES DE
MEURTHE-ET-MOSELLE
Dix ans de bagne au vannier BURKHARDT
bourreau exp�ditif d'un b�b� qui pleurait
Premi�re affaire de la session d'assises de Meurthe-et-Moselle �
Nancy. Le vannier Vincent Burkhardt, 25 ans, domicili� � Gogney,
pr�s Bl�mont, a battu � mort l'enfant (11 mois) de sa concubine,
sous pr�texte qu'il pleurait. Apr�s de brefs d�bats, il est
condamn� � dix ans de travaux forc�s.
Le vannier est assis, devant le baraquement qu'il a troqu�
contre la roulotte de ses anc�tres. Dans le ruisseau, braillent
et se chamaillent les six enfants de son fr�re. Avec agacement,
l'homme continue � tresser l'osier du panier qu'il b�tit. Son
amie est partie avec la charge l�g�re, faire le porte � porte.
Elle lui a laiss� la garde de son b�b�, dont les cris
retentissent au premier �tage.
Exasp�r�, l'homme grimpe les escaliers et se pr�cipite sur
l'enfant qui a d�clench� en lui le m�canisme compliqu� de la
jalousie r�trospective. De ses grandes mains lourdes, il frappe
la t�te fragile � coups redoubl�s, et il ne tient bient�t plus
qu'un cadavre. Alors, recouvrant son sang-froid, il endosse son
costume des dimanches et prend le maquis.
L'habitude des cris et des coups
La vie nomade est son affaire. Il se cache pendant six mois.
Aujourd'hui, il r�pond de son crime. Il a toujours son costume
du dimanche : pantalon bleu p�trole, veston de velours bleu. II
n'a pas l'air plus mauvais ni plus violent qu'un autre. N� dans
le Bas-Rhin, dans une famille de quinze gosses, il a d�
entendre pousser, tout au long de son enfance, des hurlements
exasp�rants des m�mes en haillon de la roulotte paternelle. Il a
d� en pousser lui-m�me, et quelle pi�tre excuse que l'obsession
des cris du petit Jean Weiss qu'il avait promis de l�gitimer
parce qu'il aimait sa m�re, et qu'il flattait d'ailleurs
hypocritement quand elle �tait l�.
Burkhardt, et ce sera le seul �l�ment en sa faveur, n'a re�u
aucune instruction ni formation morale. A treize ans, il a �t�
intern� en vertu de la mesure g�n�rale allemande frappant les
nomades, et en est sorti, tout heureux de n'avoir pas �t� choisi
pour servir de cobaye � une quelconque exp�rience du professeur
Haagen. Depuis, il erre selon la fantaisie de son temp�rament,
et peut-on d�cemment lui reprocher son manque d'assiduit� dans
les emplois qu'il occupe, du reste avec conscience ? Enfin, il
semble trouver sa voie. II a un travail stable, on l'appr�cie,
on lui confie la conduite d'une grue excavatrice.
Pas une lueur de sensibilit�
Mais, par une sorte de loi inexorable, il rencontre l'amour sous
les traits d'une jeune nomade. Et lui qui tentait, sinon de
s'embourgeoiser, du moins de se fixer, le voil� qui s'entend
demander de faire des paniers, de reprendre cette occupation
honorable mais mineure, ce travail qui n'emp�che pas de tourner
dans 1a t�te des pens�es confuses et troubles, ce travail qui ne
fatigue pas et qui laisse le loisir de boire.
Ce petit qui n'est pas de lui, qu'il garde et nourrit, qu'il
entend geindre, il le d�teste bient�t. Le pr�sident Facq qui
interroge le bourreau, essaie de susciter en lui une lueur de
sensibilit� :
- Vous avez frapp�, vous le colosse, sur ce petit corps.. Il
devait crier ; cela ne vous a rien fait de l'entendre crier ?
- ...Il criait tout le temps.
- Bien s�r !
N�cessit� de l'exemplarit�
L'avocat g�n�ral M. Hauss, admet que pour juger un homme, il
faut le conna�tre. La connaissance qu'il a de Burkhardt ne
l'incline pas � la cl�mence.
Il nous apprend que le personnage a, un jour taillad� le visage
de son propre p�re � coups de serpette, au cours d'une affolante
querelle d'ivrognes, devant toute la famille assembl�e.
Insistant sur la circonstance aggravante que constitue l'abus
d'autorit� de fait - le concubin, au m�me titre qur le par�tre
ou le domestique, poss�dant le droit de garde - l'avocat g�n�ral
souligne la n�cessit� du caract�re d'exemplarit� de la sentence
qui doit �tre prononc�e, et se d�clare partisan d'une lourde
peine de travaux forc�s.
Ceux qui torturent
ceux qui affament...
Il faudrait tout citer de ta tr�s belle plaidoirie de Me Michel,
du barreau de Lun�ville, pour lequel on peut craindre un instant
le mauvais effet d'un film c�l�bre : ��Nous sommes tous les
Assassins �, devenu la pi�ce ma�tresse, l'ouvrage-cl� de la
d�fense en cour d'assises. Dans ce film, en effet, un bourreau
d'enfant se montre particuli�rement odieux.
Mais c'est que Me Michel nie � son client le cruel qualificatif
de bourreau. Il le r�serve - argument un peu sp�cieux - � ceux
qui torturent, qui affament par esprit pervers. Il n'en faut pas
pour autant absoudre ceux qui assomment d'un seul coup de poing
de tueur !
L'avocat brosse le tableau de la chambre exigu� et sordide o�
vivait le couple et le b�b�, couch� avec eux dans l'unique lit,
et s'�crie : ��Dans les familles bien log�es, on ne tue pas les
enfants. �
Que lui avez-vous donn� ?
La seule instruction du vannier, singuli�re �cole pour apprendre
la ma�trise de soi et la sensibilit�, il l'a trouv�e dans les
vexations de l'autorit� vis-�-vis des nomades, dans la suspicion
des s�dentaires, de ceux qui vivent sous un toit, dans ces
portes qui se ferment, ces chiens qui aboient, ces �criteaux
d'interdiction qui se dressent au d�tour des chemins, � l'or�e
des villes, devant la roulotte des �ternels vagabonds.
��Que lui avez-vous donn�, que lui avez-vous enseign�, demande
Me Michel... Alors, que pouvez-vous lui demander ? �
...Les jur�s demandent � Burkhardt dix ann�es de sa vie qu'il
passera aux travaux forc�s. Il y confectionnera sans doute,
c'est la coutume, des objets en osier. On n'�chappe pas � son
destin.
Georges DIRAND. |