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Trait� d'urbanisme
par Ed. Joyant, Ing�nieur en chef des Ponts et Chauss�es
Deuxi�me partie
Ed. Paris, 1923
CHAPITRE VIII
VILLAGES DES R�GIONS D�VAST�ES
La reconstitution des villages d�vast�s. -
La reconstitution des villages d�vast�s par la guerre est un
probl�me d'urbanisme tr�s sensiblement diff�rent de celui de
l'am�nagement des agglom�rations urbaines. Tous ces villages ont
perdu une partie de leur population, par suite des pertes de la
guerre, et aussi par l'exode d�finitif de beaucoup d'habitants,
qui renoncent � reb�tir leur maisons d�truites, � remettre en
valeur des terres dont le revenu �tait d�j� affaibli, et qui
refluent vers les villes. Ce mouvement d'abandon des campagnes
s'�tait d�j� manifest� avant la guerre ; une de ses causes
profondes est certainement l'�volution des proc�d�s de culture,
qui s'industrialisent et n�cessitent beaucoup moins de
main-d'�uvre que jadis.
Il ne s'agit donc pas, pour ces villages, de projets
d'extension, mais simplement de plans d'am�nagement destin�s �
guider leur reconstruction.
Dans le premier enthousiasme de la victoire, on a eu l'intention
de reconstruire rapidement les villages d�truits et d'en faire
des villages mod�les con�us selon les meilleures r�gles de
l'hygi�ne et de l'urbanisme.
Il a fallu revenir de ces g�n�reuses illusions. La grave crise
�conomique qui suit la guerre, l'inex�cution par les vaincus de
leurs engagements concernant les r�parations ralentissent la
reconstitution. Celle-ci se fait cependant peu � peu, mais
d'abord sous la forme d'am�nagements provisoires ; on voit
s'�lever des cabanes improvis�es, des baraques en bois, ou des
maisonnettes semi-provisoires en mat�riaux durs, �tablies au
hasard des initiatives individuelles; ce provisoire risque
malheureusement de durer de longues ann�es, au grand d�triment
de l'aspect des villages et de leur hygi�ne.
Les projets de reconstitution de villages ne doivent donc pas se
montrer trop ambitieux. Ils doivent, comme le conseille la
circulaire du 5 mars 1920, �tre raisonnables, m�nager les
anciens trac�s, am�liorer plut�t que transformer.
Assainissement des villages. - Au point de vue de
l'assainissement, il ne faut pas vouloir introduire au village
le dernier confort moderne, le tout � l'�gout, ni m�me souvent
la distribution d'eau � domicile.
Avec quelques fontaines publiques, r�parties dans le village, et
aliment�es par une source bien capt�e et bien prot�g�e, avec
quelques aqueducs pour l'�coulement des eaux de surface des
voies publiques, on donnera satisfaction aux besoins r�els et
aux habitudes des villageois. L'�vacuation des eaux us�es peut
se faire par des proc�d�s rudimentaires; les puisards
d'absorption et m�me les fosses d'aisances non �tanches peuvent
�tre tol�r�s. En raison de la tr�s faible densit� de
l'agglom�ration, la contamination du sol, in�vitable en fait,
est peu importante, - et ne pr�sente aucun inconv�nient, �
condition que l'eau potable ne provienne pas de puits for�s ou
de sources capt�es dans les zones pollu�es. C'est donc surtout
sur le captage et l'adduction d'eau potable que doit porter
l'effort de l'hygi�niste au village.
�l�ments d'un plan de village. - Le plan d'un village est
ordinairement tr�s simple ; souvent, il se d�veloppe le long
d'une rue unique, qui est la grande route ou le chemin vicinal ;
des rues secondaires amorcent les chemins ruraux desservant les
cultures ; quelquefois, une deuxi�me route recoupe la premi�re.
Il ne peut �tre question de quartiers sp�cialis�s ; cependant le
village a un centre, une place autour de laquelle se groupent
les �difices publics : l'�glise, la mairie, � laquelle l'�cole
et le bureau de poste sont souvent annex�s. Il faut s'efforcer
de cr�er ou de d�velopper dans les villages les ��foyers
civiques � avec une biblioth�que, une salle de r�unions,
utilis�e pour les conf�rences, le cin�ma, les repr�sentations
diverses ; un dispensaire, surtout pour les consultations de
nourrissons, une coop�rative agricole, etc. ; un terrain de jeux
suffisant devra �tre am�nag� aupr�s de l'�cole.
Chaque maison a son jardin, ce qui rend les jardins publics
inutiles, et les champs repr�sentent abondamment les espaces
libres.
Am�lioration d'un plan de village. - Quelquefois, lorsque la
destruction du village aura �t� compl�te et qu'aucune
construction utilisable ne subsiste, on sera amen� � remanier
enti�rement son plan, ou m�me � pr�voir une reconstruction
totale en terrain neuf ; mais, le plus souvent, le projet
d'am�nagement du village se limitera � quelques am�liorations
locales : un agrandissement de la place centrale, si elle est
insuffisante ou mal conform�e; une rectification de la rue
principale si elle pr�sente, comme cela est fr�quent, des
passages r�tr�cis ou des tournants brusques, dangereux pour la
circulation. Encore ces corrections devront-elles �tre faites
avec prudence : elles ne porteront que sur les points d�fectueux
et ne chercheront pas � imposer un gabarit uniforme et des
trac�s rectilignes. Les irr�gularit�s, les d�crochements que
peuvent pr�senter les alignements naturels des maisons donnent
au village son caract�re et son pittoresque ; on doit les
conserver quand ils n'occasionnent aucune g�ne s�rieuse � la
circulation. Si des rescindements s'imposent, il vaut mieux
couper franchement et largement un seul angle d'un carrefour, ou
un seul c�t� d'une rue, plut�t que de rogner de grandes
longueurs de fa�ades, et des deux c�t�s de la rue, sur une
profondeur de quelques d�cim�tres.
�tudes de la ��Renaissance des Cit�s �. - La ��Renaissance des
Cit�s �, �uvre d'entr'aide sociale, s'est pr�occup�e d'�viter
les transformations trop radicales que certains plans
d'am�nagement auraient pu faire subir aux villages �
reconstruire, en d�truisant leur pittoresque et leur
personnalit�. Elle s'est mise � la disposition des
municipalit�s, elle leur a apport� l'aide de ses conseils et de
l'exp�rience d'urbanistes �prouv�s. Elle a charg� M. Georges B.
Ford, urbaniste-conseil de la ville de New York, d'examiner un
certain nombre de plans �tablis par les communes et d'indiquer �
celles-ci les modifications qui pourraient para�tre d�sirables.
Cette �tude critique de plans d'am�nagement de villages est d'un
grand int�r�t, et nous devons remercier la ��Renaissance des
Cit�s � de nous autoriser � en pr�senter quelques exemples.
Exemples de plans de villages. - Le plan de Montigny
(Meurthe-et-Moselle) (fig. 49) pr�voit la cr�ation d'une grande
place centrale, par la suppression des maisons d�truites qui
entourent l'�glise et l'am�lioration, par quelques rescindements,
des rues aboutissant � cette place. Les alignements projet�s par
la commune autour de la place frappent encore profond�ment les
maisons riveraines, dont quelques-unes sont r�parables. M. Ford
indique comment, en r�duisant un peu la place, on peut respecter
les maisons riveraines.

[...]
Le plan de la partie centrale de Dom�vre-sur-Vezouse, village de
645 habitants (fig. 52), pr�voit l'ouverture de deux rues
transversales vers le pont de la Vezouse et la cr�ation d'une
place sur l'emplacement d'un �lot de maisons d�truites. Les
constructions riveraines de la grande route sont dispos�es d'une
fa�on tr�s irr�guli�re ; les anciens alignements des Ponts et
Chauss�es comportent un tr�s m�diocre trac� polygonal, de
largeur uniforme et trop faible.
Les alignements projet�s par la commune sont meilleurs ; la
cr�ation de la place publique permet de d�gager et rectifier la
grande route en ce point o� son trac� �tait tr�s d�fectueux ;
mais M. Ford estime qu'il n'y a aucune utilit� � remplacer
partout par des lignes droites les trac�s d�croch�s des
anciennes constructions, et qu'il suffirait de conserver les
fa�ades anciennes, sauf sur trois points, o� elles forment des
saillants r�ellement g�nants pour la circulation.

[...]
Dans le plan de la figure 55, relatif � Vaucourt, petit village
de Meurthe-et-Moselle (234 habitants et 61 maisons en 1914),
l'�glise d�truite sera reconstruite sur une place cr��e � une
extr�mit� du village ; un foyer civique est � pr�voir sur cette
place. Les parcelles anciennes �tant trop �troites, on pr�voit
un remembrement pour les desserrer et le transfert de plusieurs
propri�t�s autour de la nouvelle place.
La sortie du village vers le sud, pr�sentant deux coudes
brusques, est am�lior�e par une franche perc�e au travers de
maisons d�truites. Par contre, M. Ford indique qu'il n'y a aucun
avantage � rectifier les irr�gularit�s de l'alignement au milieu
de la Grande Rue. Cette grande rue a une largeur de 30 m�tres,
qui peut para�tre excessive pour un chemin vicinal � circulation
m�diocre. Mais, en Lorraine, les maisons �tant le plus souvent
serr�es les unes contre les autres, sans entr�e charreti�re et
sans cour, l'usage est de remiser le mat�riel agricole,
d'entasser les provisions de bois, trop souvent aussi les
fumiers, sur le revers de la route qui s'�tend entre les maisons
et le caniveau bordant la chauss�e ; c'est l' ��usoir � ou ��
aisance � de la maison, qui lui sert de v�ritable cour.
L'utilit� de ces ��usoirs � sera r�duite par le desserrement des
maisons et par la cr�ation de chemins de service donnant acc�s �
leurs arri�res.

De m�me que le plan pr�c�dent, celui d'Emberm�nil (fig. 56)
pr�voit le desserrement du village, avec remembrement des
parcelles, et une extension partielle en terrain neuf.
Le village d'Emberm�nil (328 habitants) s'est trouv� pendant
quatre ans sur la ligne de bataille et a �t� successivement
repris et reperdu par chaque parti; ses quatre-vingt-douze
maisons sont toutes d�truites, ce qui rend le remembrement
possible. Le village s'�tendait sur une rue unique ; l'extension
correspondant au desserrement des maisons se fera sur une rue
perpendiculaire, le chemin de Leintrey. Une place centrale, qui
manquait au village, est cr��e � l'embranchement de ce chemin.
M. Ford fait observer que, si l'�glise avait �t� r�parable et
int�ressante, il e�t �t� plus pittoresque de conserver son
ancien emplacement; on aurait pu �galement respecter les
irr�gularit�s des alignements anciens de la Grande Rue.


Le plan de la figure 57, relatif au village d'Halloville
(Meurthe-et-Moselle) (135 habitants), pr�voit une op�ration plus
radicale encore : l'abandon de l'ancien village, dont les acc�s
�taient tr�s difficiles et o� on ne pouvait amener de l'eau, et
sa reconstitution en terrain compl�tement neuf. Le nouveau plan
ne comporte qu'une rue de 30 m�tres, d�bouchant sur la grande
route et �largie en son centre pour former la place de l'�glise
et de la Mairie.

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