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Historique du 2�me Groupe
Cycliste
Anonyme, Imprimerie Berger-Levrault, non dat�
[1914]
La Lorraine.
L'accalmie, du reste, sera de courte dur�e.
D�s le 28 octobre, va commencer pour le groupe la p�riode
transitoire entre les deux modes de combat. Les lignes ne sont
pas encore stables, mais d�j� chacun des adversaires cherche �
s'assurer des positions avantageuses pour les jours � venir.
D'o� une s�rie d'op�rations qui vont se succ�der sans tr�ve ni
repos.
La premi�re de ce genre date du 26 octobre. Il s'agit, en
l'esp�ce, de faire une d�monstration de grande envergure sur un
large front. Le commandement y engage toute la 2e division de
cavalerie et deux r�giments d'infanterie. Dans sa zone d'action,
le groupe occupe successivement R�chicourt, Coincourt, Moncourt,
Omerey, et il p�n�tre d'environ 10 kilom�tres dans les lignes
ennemies. Dans Omerey, les chasseurs ont l'�norme satisfaction
d'assister � un bombardement en r�gle du ch�teau de Marimont, P.
C. d'une division ennemie.
A 4 heures du matin, le groupe quitte Blainville et se dirige
sur Bures. A 12h30, l'attaque se d�clenche. D�s lors, les
op�rations vont se succ�der.
Le 2 novembre, le groupe, ayant en pointe le peloton Galmiche,
enl�ve Leintrey de vive force.
Le 5, sous notre pression, l'ennemi �vacue la ferme
Saint-Pancrace, pr�s de Bures, ainsi que la cote 322. Il laisse
des prisonniers entre nos mains.
Le 16 novembre enfin, le groupe est engag� sur Val-et-Ch�tillon.
Cette fois, il s'agit d'une grosse op�ration, men�e par
l'infanterie sur la ville de Cirey. L'affaire est importante.
Une brigade � peu pr�s doit �tre mise en ligne. L'attaque est
face au nord. Le groupe a pour mission de la couvrir � droite,
vers le bois de Charmilles. Bord� par deux ruisseaux, la Vezouse
et la Basse, tout le massif bois� se dresse d'un bloc sur
Val-et- Ch�tillon. La for�t est profonde, plant�e de grands
sapins et se termine � pic au nord, sur la Vezouse. De chemins,
peu ou point. Quelques �troits sentiers, � peine
reconnaissables, s'enchev�trent sous bois. Seule, une mauvaise
route partant de Saussenrupt et passant la Vezouse, aboutit au
ch�teau. C'est toute cette r�gion que nous devons tenir.
Parti de Neufmaisons � 1h45, le groupe est de bonne heure pr�s
de Br�m�nil. On laisse l� les machines. A pied, l'oeil aux
aguets, en ligne d'escouade par un, on avance lentement sur la
Croix- Collin, le lieu de ralliement.
A l'aube, on est au but. Le peloton Galmiche, parti en
avant-garde, le trouve inoccup�. Puis le groupe se rassemble :
l'ennemi n'est plus loin. De suite, une section d�tach�e en
avant, a gagn� le ch�teau dominant la Vezouse. Sur la cr�te
oppos�e, tapi dans les carri�res, l'ennemi nous observe,
tiraillant par instants. Pour plus de pr�cautions, la 7e section
renforce la 9e. Puis, la journ�e se passe sans nouveaux
incidents. Peu � peu, le jour baisse. Le Boche tiraille
toujours. Il nous faut renforcer les troupes de premi�re ligne.
Vers 20 heures, le 3e peloton, � peine repos�, re�oit l'ordre
d'aller occuper le ch�teau. Il fait d�j� nuit noire. Dans la
for�t obscure, les sentiers se sont �vanouis avec le jour.
Qu'importe, il faut partir. Dans l'ombre, � travers bois, on
marche � la boussole, presque au petit bonheur. En t�te,
boussole au poing, le capitaine De Grilleau dirige la manoeuvre.
Derri�re lui, en colonne, le peloton avance. Se tenant par la
main ou par le ceinturon, cramponn� l'un � l'autre, les hommes
errent lentement sans rien voir devant eux. On tr�buche � chaque
pas, on tombe, on se rel�ve; on avance malgr� tout. Enfin, on
arrive au but. Tout le monde, hors d'haleine, pourra se reposer.
L'ennemi reste calme.
Au jour, des ordres arrivent. Le groupe doit continuer la
mission de la veille : surveillance incessante du ravin de la
Vezouse, et particuli�rement en direction de Lafrimbole. Il est
aussi charg� de l'occupation du carrefour de la Croix-Collin.
Le Boche n'a pas boug� et demeure invisible. Il faut le
d�masquer. La 9e section est, d�s le grand matin, pouss�e au bas
des pentes, au bord de la Vezouse. Dans la brume �paisse, �
travers les fourr�s, elle avance prudemment. Soudain, un temps
d'arr�t. Les patrouilleurs de pointe, au sortir des taillis,
sont tomb�s nez � nez avec des fractions boches, montant de la
vall�e sur le ch�teau de Ch�tillon. Aussit�t, la fusillade se
d�clenche. Tapis au pied des arbres, nous tirons � coup s�r sur
l'ennemi qui s'infiltre. Quelques instants plus tard, une
nouvelle section, d�ploy�e vers la droite, renforce la 9e. Puis
la section Chagnat fait face � Saussenrupt, couvrant notre
extr�me droite.
Au ch�teau, la 7e est rest�e disponible.
Vers 11heures, l'ennemi reprend son mouvement. Des carri�res
qu'ils occupent au nord de la Vezouse, les fantassins adverses
d�clenchent un feu violent sur notre ligne enti�re. Sans arr�t,
les balles claquent aux oreilles des chasseurs, les tenant
immobiles, tapis derri�re les arbres. Le Boche s'engage � fond.
Sans cesse, de chaque fourr�, de nouvelles troupes surgissent.
D�bord�s de tous c�t�s, tourn�s tout � coup, les n�tres se
replient : direction le ch�teau. Mais d�j� l'ennemi les y a
pr�c�d�s. Bousculant violemment la section de r�serve, il occupe
maintenant le ch�teau tout entier et la croupe qui l'entoure.
Quand nos sections de t�te viendront s'y reformer, c'est par un
feu violent qu'elles seront accueillies.
La lutte est impossible, les n�tres se replient � la faveur des
bois. Le peloton Galmiche, sur Val-et- Ch�tillon, qu'il atteint
� 15 heures; la section Chagnat, sur la Croix-Collin. Le groupe,
relev�, va rejoindre Blainville. Il y restera peu.
Le 22 novembre, il reprend la campagne. Rompant de Blainville �
2 heures du matin, il va participer � une attaque contre les
avant-postes, sur le front Saint-Piamont, R�chicourt-la-Petite.
Les v�los sont laiss�s � Bathel�mont. Deux pelotons sont en
ligne, flanquant � l'extr�me droite un bataillon ami attaquant
Juvrecourt. Le peloton Perr�e s'engage le premier, attaquant les
tranch�es en avant de Juvrecourt. Il est accueilli � 800 m�tres
par une violente fusillade, qui lui occasionne des pertes graves
et ne peut progresser. Le peloton Galmiche prolonge l'attaque �
droite, puis revient en r�serve occuper R�chicourt. L'ennemi
tient toujours cramponn� � ses trous. D�s l'abord, sous des
violentes rafales, on ne peut progresser. Il faut rester sur
place au moins jusqu'� la nuit, favorable aux replis. Mais
l'ennemi s'agite.
Sur nos lignes arri�res, l'artillerie de campagne commence un
feu violent. Les rafales de percutants et fusants s'abattent sur
R�chicourt et sur toute notre ligne. Puis, � la faveur de ce
bombardement, la contre-attaque se dessine. La situation devient
critique. Nous devons nous retirer; vers 15 heures, nous sommes
en pleine retraite, suivis par les obus qui encadrent nos
sections. A chaque bond en arri�re ce sont de nouvelles pertes.
Mais l'ennemi, contenu, n'avance que lentement, sans pouvoir
nous rejoindre. Ext�nu�, le groupe rejoint Blain ville, pour un
nouveau repos.
Du 23 novembre au 15 d�cembre, le groupe est � Blainville,
s'entra�nant sans r�pit. A peine les chasseurs reviennent-ils du
combat, que d�j� ils s'appr�tent pour de nouvelles batailles.
C'est d'ailleurs le moment du maximum d'efforts. Sans tr�ve ni
r�pit, on attaque en tous lieux. Les lignes qui flottent encore
vont se cristallisant chaque jour davantage. Bient�t il ne sera
plus temps si l'on veut avancer. Aussi, chaque journ�e demande
un sacrifice. Sans cesse on escarmouche sur le front tout
entier.
Une premi�re action a lieu le 12 d�cembre. Une section du
groupe, la section Chagnat, effectue une reconnaissance rapide
sur Emberm�nil, pr�parant une attaque.
Le 23 d�cembre, quatre sections du groupe, rompant de
Badonviller, re�oivent pour mission la capture d'un poste ennemi
� la corne sud du bois de la Tour. L'ennemi, averti, �vacue sans
combattre.
Le 25 d�cembre, la nuit m�me de No�l, les n�tres attaquent
Petitmont. Couvertes par de la cavalerie, quatre sections du
groupe avancent sur le village. A partir du ruisseau de
Pr�-l'Abb�, en formations d'approche, le peloton Galmiche marche
droit aux lisi�res. L'ennemi reste muet. Nous allons r�ussir.
Plusieurs fortes patrouilles se d�tachent en avant, abordant le
village. Il est d�j� trop tard. En quelques minutes, l'ennemi,
alert�, a garni les lisi�res. Une fusillade intense cr�pite dans
la nuit. La surprise est manqu�e. Le groupe bat en retraite,
heureusement sans pertes.
Deux jours de repos ont pay� cette attaque. Le 27, � nouveau, le
groupe est engag�. C'est sur Harbouey cette fois que se porte
notre effort. Perch� droit sur une cr�te enti�rement d�nud�e, le
village domine la r�gion tout enti�re. Pour l'enlever de jour,
il n'y faut pas songer. C'est donc au point du jour qu'on va
l'assaillir. Quatre sections du groupe sont de nouveau en ligne,
appuy�es, vers la gauche, d'une compagnie d'infanterie, et
couvertes, vers la droite, d'une section de m�me arme.
On part � 2h30, en plein mois de d�cembre, par une nuit obscure;
on avance lentement. En formation d'approche, sur le terrain
glissant, les hommes se tra�nent � peine, sans cesse sur le
qui-vive. Enfin, vers les 6 heures, on arrive au contact. Le
gros du peloton demeurant en repli, trois fortes patrouilles de
chasseurs d�cid�s se d�tachent vers Harbouey. Une section de
r�serve en surveille le bois. Rapidement, les n�tres d�valent
dans le ravin courant au sud d'Harbouey; puis, dans l'ombre
moins dense, ils escaladent la c�te, bondissant aux lisi�res.
Mais, une fois de plus, le Boche est sur ses gardes. A peine nos
�claireurs sont-ils � bonne port�e qu'un tir tr�s pr�cis �clate,
brisant net leur �lan. Des bless�s gisent par terre. Le village,
bien gard�, ne peut �tre assailli. Les patrouilles avanc�es,
profitant de la brume, se replient sur le gros sans �tre
inqui�t�es. Le d�tachement dissous, le groupe rejoint
Blainville. Jusqu'au 12 janvier, on va rester tranquille.
Le 12, vers midi, on se remet en route. Il s'agit de couvrir une
section de g�nie devant Emberm�nil.
Celle-ci, pendant ce temps, d�truira la voie ferr�e en gare d'Emberm�nil.
La destruction finie, le groupe rentre au repos, puis gagne
Saint-Nicolas.
C'est l� qu'il attendra la nouvelle veill�e d'armes, le jour
glorieux du Xon.
A cette date, le groupe �tait ainsi constitu� :
Commandant du groupe : capitaine De Grilleau.
Capitaine en second : capitaine Galmiche.
1er peloton : Sous-lieutenant Perr�e, sous-lieutenant Carr�re
2e peloton : lieutenant Grelot, lieutenant GILLES
3e peloton : lieutenant Marconnet, sous-lieutenant Chagnat,
sous-lieutenant Scheurer.
[...] [1915]
Bois des Haies.
Quelques jours ont pass�. Des renforts sont venus
qui ont combl� les vides. D�j� les heures de Xon sont oubli�es.
On peut combattre encore.
Le 3 mars, d�s l'aube, le groupe est alert� et quitte
Saint-Nicolas. Il traverse Dombasle, Lun�ville, Azerailles, o�
il re�oit des ordres. Il doit faire partie d'un groupe de combat
qui comprendra, en outre, deux escadrons � pied, plus une
compagnie cycliste d'une division de r�serve. Le colonel
d'Argenlieu prendra le commandement. L'attaque est dirig�e
contre le bois des Haies. Le premier objectif � atteindre est
Montreux; l'objectif ult�rieur, Parux et Br�m�nil. La division
enti�re appuiera le mouvement, le 8e dragons l'appuyant vers la
droite, la 12e brigade le couvrant vers la gauche. Seule, la
brigade l�g�re restera en r�serve.
A 13h15, le groupe s'�branle de Mervillers, en direction de
Sainte-P�le, d'o� il doit d�boucher. En formation ouverte, il
gagne le bois des Haies, sans attirer sur lui la canonnade
adverse. Bient�t, il est au bois. Les dragons, vers la droite,
prolongent le mouvement. En ligne d'escouade par un, on
progresse sous les arbres. L'ennemi fait le mort. L'avance se
poursuit donc.
Brusquement, vers 15 heures, les patrouilleurs de pointe,
jusqu'ici tr�s tranquilles, se heurtent � un r�seau dissimul�
sous bois, au milieu du fourr�. Vers la droite et la gauche, le
r�seau se prolonge sur la cr�te de Montreux. On essaie
d'avancer, mais tout est inutile. Les fantassins ennemis qui
tiennent la position sont trop bien abrit�s pour qu'on les en
d�loge. Nous subissons des pertes. L'attaque est arr�t�e, mais
on tiendra sur place. Cependant, sur le soir, les dragons,
�prouv�s, se replient, sur un ordre, au sud du bois des Haies.
L'ennemi en profite, vers 18h 30, pour tenter, mais en vain, une
contre-attaque � gauche. Sous notre feu pr�cis, les tirailleurs
ennemis se replient en d�sordre et regagnent leurs tranch�es. Le
groupe de combat, � peine la nuit tomb�e, se replie � son tour.
Mais l'attaque enray�e n'est pas abandonn�e. Vers minuit tout le
monde se reporte dans le bois pour s'y organiser. Une nouvelle
offensive est m�me envisag�e. Elle n'aura pas lieu. D�sormais
arr�t�, gardant ses positions, le groupe va commencer une vie de
tranch�es.
Dans la neige et la boue, sous une pluie continuelle, on
creusera partout les fondri�res boueuses qui seront les
tranch�es. Tout est � �tablir. Par le froid qui vous glace, on
construit des r�seaux pendant des nuits enti�res. Pas de feu,
pas d'abris; on s'endort dans la boue, sous la pluie qui fait
rage. Plus de ravitaillement. Pour aller � la soupe il faut des
heures de marche � travers la for�t. Encore ne ram�ne-ton qu'une
�trange mixture, o� la terre des boyaux a m�l� sa couleur.
Et ce sont maintenant des alertes incessantes, des fusillades
nocturnes, sans rime ni raison, mais se chiffrant toujours par
de nouvelles victimes. Chaque rel�ve effectu�e exige un lourd
tribut.
Jusqu'� la fin de mars on tiendra de la sorte. Le 31, au soir,
changement de secteur. Le peloton Perr�e, avec un escadron, se
d�tachent en avant, sur l'abbaye de Dom�vre. De 11 heures � 2
heures il patrouille dans les bois, fouillant le bois des
Pr�tres. Il est inoccup�. Pendant ce temps, deux autres sections
qui appuient des dragons, attaquant les Haies d'Albe, sont
soumises vers 8 heures � un bombardement d'artillerie de
campagne. Pour �viter les pertes une section se retire. L'autre,
seule, reste en ligne. Tout le reste du groupe reste � Laronxe.
A part quelques reconnaissances, le secteur devient calme, sans
incidents marquants. Les pelotons, tour � tour, occupent les
avant-postes en avant de Leintrey, puis s'en vont au repos �
Manonviller.
La vie de tranch�es s'organise. Elle durera de longs mois,
coup�e � la fin juin par l'affaire de Leintrey, l'une des plus
sanglantes v�cues par les cyclistes et qui, mieux que toute
autre, a montr� l'esprit de sacrifice de la troupe et de ses
chefs.
Leintrey.
Ce fut seulement dans les premiers jours de juin
1915 que chacun des deux adversaires, Allemands et Fran�ais,
fatigu�s des escarmouches incessantes et se rendant compte de
l'inanit� des efforts non coordonn�s, se d�cident � occuper des
positions fixes et � se fortifier sur place.
On comprendra ais�ment que chacun des deux commandements mette
tous ses efforts et tous ses soins dans le choix des
emplacements � organiser et n'h�site pas � ex�cuter quelques
op�rations pr�liminaires qui leur assurerait pour l'avenir, avec
le maximum de s�curit�, le minimum de peine pour la d�fense.
C'est de ce genre d'op�rations que rel�ve la petite, mais
co�teuse attaque de Leintrey qui donna au groupe cycliste, une
fois de plus, l'occasion d'affirmer son courage et son ardeur
combative.
Depuis l'avance allemande du d�but, les adversaires, apr�s des
fluctuations diverses, s'�taient � peu pr�s fix�s, dans la
r�gion, sur une ligne qui court de Bures � Reillon, en passant
par la for�t de Parroy, Emberm�nil et le R�mabois. Le R�mabois
et Leintrey �taient allemands ; V�ho et Reillon fran�ais.
De Leintrey, un ruisseau descend vers le sud creusant une petite
vall�e entre des croupes successives.
La hauteur 303, toujours demeur�e inoccup�e entre les lignes,
n'avait jusque-l� �t� disput�e par personne. De temps en temps
des patrouilles s'y portaient, la parcouraient, puis battaient
en retraite, regagnant leur point de d�part. Or, quelques jours
avant le 22 juin, une patrouille fran�aise, qui faisait sa
tourn�e habituelle, se rendit compte que les Allemands, dans le
but vraisemblable d'avancer leurs lignes, avaient commenc� des
travaux sur la cote 303.
Une seconde reconnaissance, faite le lendemain, d�voila
l'existence de deux blockhaus; l'un � 303 m�me, l'autre �
l'extr�mit� est de la croupe dominant Leintrey. L'ennemi
paraissait donc vouloir se fixer l�. Il fallait � tout prix l'en
emp�cher et occuper nous-m�mes ce point d'appui.
Le 19 juin, une premi�re attaque, � l'est de Reillon, avait
am�lior� notre position. Il ne restait plus qu'� enlever la
croupe 303 pour donner une homog�n�it� � notre ligne et nous
assurer la possession de la ligne des cr�tes.
La cote 303 se dresse brusquement � 1.200 m�tres sud de Leintrey,
entre deux ravins o� coulent deux petits affluents du ruisseau
de Leintrey. De l'autre c�t�, le terrain se rel�ve et forme une
seconde croupe que nous occupions. C'est de cette croupe que
nous partirons pour l'attaque.
Le 21, au soir, le peloton De Mollans, qui ne vient cependant
que de rentrer du travail, est brusquement alert� � Manonviller
et part pour Reillon. L�, on lui indique sa mission qui sera
d'assurer la liaison entre deux attaques dirig�es l'une sur le
bois Zeppelin, � 1.800 m�tres nord-est de Reillon, l'autre sur
la croupe barrant, � 1.200 m�tres sud de Leintrey, la route Veho-Leintrey
et la cote 303.
Entre ces deux points d'attaque, une vaste br�che de 1.200.
m�tres s'ouvre propice aux infiltrations ennemies pour une
contre-offensive. C'est cette br�che que le peloton doit
surveiller � lui seul, servant pour ainsi dire de flanc-garde de
droite � l'attaque de gauche, et de flanc-garde gauche �
l'attaque de droite. Aussi, toute la nuit, se passe-t-elle en
patrouilles pour d�couvrir l'ennemi.
L'attaque men�e par des compagnies du 330e R. I. obtient, vers
minuit, un r�sultat partiel. Le blockhaus de la cote 303 est
emport� de vive force. De l'autre c�t� du ruisseau, vers le bois
Zeppelin, nous avons progress� �galement.
Il ne reste donc plus qu'� nettoyer le centre de la croupe entre
303 et le ruisseau o� un petit blockhaus, habilement fortifi�,
tient encore malgr� tout. L'op�ration semble possible et des
volontaires pris au 2e groupe cycliste, auront bient�t rectifi�
la ligne en enlevant le blockhaus. L'ennemi, s'il y en a, ne
tiendra pas; on attaquera donc sans artillerie et le peloton De
Mollans, qui n'a encore rien fait, sera charg� de l'ex�cution.
Vers 3 heures du matin, l'ordre d'attaque parvient � notre P.C.
install� sur la croupe, au sud du petit ruisseau 280-264.
Aucun renseignement suppl�mentaire n'est donn�. L'attaque sera
d�clench�e au petit jour et pouss�e � fond, jusqu'� possession
compl�te de la cr�te. Du c�t� allemand rien n'a encore boug�.
Le lieutenant De Mollans, vers 3 heures, prend son dispositif
d'attaque. Deux sections attaqueront en une seule vague. La
section de gauche (section Gilles) marchera sur l'ouvrage. La
section de droite (sergent Finiger) prolongera l'attaque de ce
c�t�.
Quant � la 4e section, elle restera en r�serve sur la croupe, au
sud du ruisseau 280-264.
Vers l'est le jour commence � poindre. Les deux sections
d�valent la pente et se forment en une vague, face � leurs
objectifs. Elles se trouvent au fond du ravin, � 30 m�tres
environ des lignes allemandes. Le lieutenant De Mollans, demeur�
sur la cr�te, de sa personne, �tudie � la jumelle le syst�me
ennemi.
C'est alors que, dans la brume qui commence � se lever, il se
rend compte d'un mouvement insolite dans l'ouvrage ennemi. Dans
un boyau qui vient de Leintrey des ba�onnettes brillent et des
ombres s'avancent en grand nombre. Le jour grandit de plus en
plus et chaque nouveau rayon de lumi�re montre des cr�neaux
occup�s et des sentinelles attentives. L'ennemi est aux aguets.
En toute h�te, un agent de liaison rejoint les sections
d'attaque leur apportant l'ordre de ne pas d�boucher et
d'envoyer en avant une faible patrouille qui obligera l'ennemi �
se d�voiler. Il �tait temps. A peine les quelques patrouilleurs
ont-ils quitt� la lisi�re du boqueteau o� sont d�ploy�es les
sections, qu'une salve de mousqueterie les salue � bout portant.
Un nouveau bond ne donne d'autres, r�sultats que des pertes
nouvelles. La patrouille n'insiste pas et les survivants
regagnent sous le feu le bois d'o� ils sont partis.
Dans le trou d'obus o� il s'abrite le lieutenant De Mollans
r�fl�chit � cette attaque, il �tudie ses moyens d'ex�cution, il
rassemble ses chefs de section, leur donne � chacun leur
mission. Il encourage les volontaires qui, sur sa demande, se
sont pr�sent�s spontan�ment pour cisailler le r�seau boche. Puis
les cisailleurs et les deux sections de premi�re ligne, en
rampant se portent aux emplacements d'o�, tout � l'heure au
signal de leur chef, ils devront d�boucher.
On est en juin, il est 6 heures et il fait encore grand jour;
sur la cr�te, derri�re ses r�seaux intacts, l'ennemi, qui voit
bien qu'il se passe quelque chose, a soigneusement pr�par� son
affaire. Il ne lui reste plus qu'� attendre l'attaque et � tirer
� coup s�r. En attendant, les batteries allemandes font du
r�glage en avant de l'ouvrage.
De tout cela le lieutenant De Mollans s'est bien rendu compte.
Attaquer maintenant para�t difficile. Mais devant un ordre
formel, son devoir de soldat est d'ob�ir. On attaquera donc ! La
4e section a rejoint ses compagnes et forme derri�re elles une
seconde vague. Dix chasseurs des sections de premi�re ligne ont
re�u des cisailles pour faire la br�che qui ouvrira le passage
aux sections d'assaut. Et puis brusquement, le lieutenant en
t�te de son peloton s'�lance � l'attaque.
L'infanterie ennemie a regard� tranquillement d�boucher sa
proie. Chaque homme a soigneusement ajust� son homme, puis, d'un
seul coup, la cr�te s'allume. Du premier coup la vague de t�te
s'abat fauch�e. Le sergent Finiger r�le dans l'herbe; le
lieutenant Gilles s'�croule la jambe travers�e. Le reste �pars,
sur lequel a serr� la 4e section, arrive au r�seau. Le
lieutenant De Mollans, d'un seul bond, y est arriv� le premier.
Follement, droit sous la mitraille, la cuisse travers�e, il
saute dans l'enchev�trement des barbel�s, montrant encore une
fois aux chasseurs qui le suivent l'ennemi cramponn� � ses
trous. Et puis, on le voit qui tournoie. Une balle l'a frapp� et
le chef h�ro�que s'abat foudroy� net, dans le supr�me
accomplissement de son devoir de Fran�ais.
Maintenant le peloton est sans t�te, les trois chefs de section
hors de combat, les hommes se sont tapis au pied du r�seau. Et
cependant la t�che enti�re reste � faire. On la fera.
Successivement, le commandement se passe de grad� en grad�; les
cisailleurs sans h�sitation ont commenc� leur travail; le reste
des hommes command� par deux sous-officiers, les sergents Didier
et Anquet, est pr�t � faire irruption dans les br�ches que
pr�parent leurs camarades.
Mais cet h�ro�sme sera vain; derri�re leurs cr�neaux les
Allemands tirent � la cible et s'amusent plut�t qu'ils ne se
battent. Huit des cisailleurs gisent dans le r�seau; malgr� ces
pertes l'attaque ne s'arr�te pas et les cisailles d'une main
mourante passent dans une autre main et d�j� pas mal d'hommes
sont dans le r�seau. La chance semble tourner; peut-�tre
arrivera-t-on, malgr� tout, � faire quelque chose. Fol espoir !
Les pertes deviennent toujours plus grandes et, malgr� leur
d�sir d'avancer, de chasser le Boche, malgr� les encouragements
des grad�s, la t�che est trop lourde et ces braves sont arr�t�s
au r�seau, � 30 m�tres des tranch�es � atteindre, et ils
regagneront bient�t leurs positions de d�part et d'abri.
Mais tout � coup on s'arr�te. L� -haut, les camarades bless�s
crient � l'aide. Alors, dans un supr�me sacrifice, on remonte,
et lorsque enfin on arrive au ruisseau, pas un homme vivant ne
reste aux mains de l'ennemi. Tous les bless�s sont l�. On est
encore trop pr�s; l'ennemi, fort de son succ�s, pousse de
l'avant. Il faut se replier � la cr�te o� l'on �tait le matin;
du reste l'infiltration boche continue � droite par le ruisseau.
A minuit, un poste avanc� signale que des �l�ments ennemis nous
tournent vers la droite. Le commandement qui a �t� averti
ordonne au sergent Didier, qui a pris le commandement de ce qui
reste du peloton, de se retirer et d'abandonner la croupe; mais
de cette poign�e de braves il n'en est plus un qui veuille
encore reculer. Le sergent Didier refuse d'ex�cuter l'ordre et
garde ses emplacements. Il ne se retirera que le lendemain, au
moment de la rel�ve.
Au petit jour, le peloton est relev� et regagne le fort de
Manonviller. L'attaque se refera et cette fois les ex�cutants,
profitant de l'exp�rience acquise, enl�veront le blockhaus le
soir m�me.
C'est encore � un peloton du groupe cycliste que l'on va confier
cette mission; on lui adjoindra une section du 217e R. I. et une
pr�paration s�rieuse d'artillerie sera faite sur l'ouvrage �
enlever.
Le peloton Perr�e est venu la nuit pr�c�dente relever le 2e
peloton. D�j� les hommes connaissent le lourd bilan de la
journ�e pr�c�dente et le sacrifice de leurs camarades. Aussi
sont-ce des pens�es graves qui s'agitent dans tous les cerveaux.
En sortant de V�ho il faut s'arr�ter et laisser passer un
lugubre cort�ge qui s'avance � pas lents. Ce sont les corps des
camarades tu�s et quelques bless�s que l'on ram�ne � l'arri�re.
Le peloton sait o� il va; il sait aussi ce qu'on attend de lui
mais il a, solide au coeur, l'espoir secret de venger les
camarades tomb�s et de prendre leur revanche.
Quelques m�tres plus loin une rafale d'artillerie les salue et,
d�s lors, il faudra avancer p�niblement en formations ouvertes.
Enfin, de grand matin, le peloton est au ruisseau et, les
Allemands s'�tant repli�s, occupe les positions d'o� le 2e
peloton �tait parti la veille � l'attaque. Il passe toute la
journ�e dans des trous de tirailleurs qu'il s'est creus�s. Vers
4 heures de l'apr�s-midi, le peloton Perr�e re�oit l'ordre
d'attaquer. Une section du 217e R. I. est adjointe au peloton.
On attaquera apr�s la pr�paration d'artillerie. La 3e section,
au centre, marchera droit sur le blockhaus; � sa droite, la 1re
section prolongera l'attaque; � sa gauche, la section du 217e
d�bordera l'ouvrage ayant comme objectif le boyau amenant �
l'ouvrage. Enfin, la 2e section en ligne, elle aussi, servira �
couvrir la droite de l'attaque et surveillera particuli�rement
le ruisseau; toutes les pr�cautions sont prises pour �viter une
surprise ennemie. Il n'y a plus qu'� attendre l'artillerie. Deux
pi�ces de 155 court ont pris s�rieusement � partie le r�seau
ennemi et le tir bien r�gl� ouvre des br�ches dans les fils de
fer. Tout le monde maintenant est s�r du succ�s.
A 17h55, tous nos 75 ouvrent d'un seul coup un feu roulant sur
l'ouvrage ennemi. A 18 heures, avec un �lan superbe, le peloton
Perr�e arrivait dans les d�fenses ennemies; en un clin d'oeil,
les r�seaux sont franchis et de toute part on saute dans les
tranch�es boches.
L'ennemi, qui a eu des pertes, ne r�siste plus et s'enfuit �
toutes jambes, laissant des prisonniers entre nos mains. La
position est � nous, nos pertes sont infimes.
Le soir m�me, la position retourn�e contre eux, nos chasseurs
infligeaient � l'ennemi qui tentait un retour offensif un
sanglant �chec. Celui-ci n'a d'ailleurs pas dit son dernier mot;
furieux de se voir repouss�, il en appelle � son artillerie et
toute la nuit un bombardement incessant s'abat sur le peloton
Perr�e.
Mais on tient la position, on la tient bien, malgr� toute la
rage et tout l'acharnement d�ploy� par l'ennemi; malgr� les
rafales qui bouleversent le sol, les chasseurs restent
cramponn�s solidement � la position si ch�rement conquise; on
peut les tuer, certes, mais ils ne reculeront pas.
Devant ce courage et l'inanit� de ses efforts, l'ennemi, lass�,
accepte le fait accompli.
Le peloton De Mollans est veng�.
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