Bulletin mensuel
de la Soci�t� d'arch�ologie lorraine et du Mus�e historique
lorrain
1914-1919 et 1920
Le Pays des Baronnies.
Emile AMBROISE
1re PARTIE. - LA SEIGNEURIE DE TURQUESTEIN.
I. - Turquestein et les
�v�ques de Metz.
Turquestein, entre la Sarre et la Vesouze, est peut-�tre de
toutes les roches du versant lorrain des Vosges, la moins
visit�e par les touristes, la moins connue des chercheurs.
Cependant le ch�teau qui la couronne a �t� la demeure des d'Haussonville,
des Nettancourt, des du Ch�telet, des Beauvau. Il est peu
d'h�tes plus illustres; mais le pays ne conserve d'eux aucun
souvenir, et presque aucune trace. Aux abords du vieux donjon,
un bois feuillu, la For�t des Baronnies rappelle les titres
f�odaux de ces seigneurs disparus. Ses h�tres font bient�t place
� l'immense sapini�re de pr�s de 10.000 hectares, au fond de
laquelle une maison solitaire, la Ferme de Thons, et une
scierie, le Marquis, �voquent le souvenir de la famille du
Ch�telet (1). Ces noms n'�veillent plus ni curiosit� ni int�r�t,
et les gens du pays pensent qu'on ne saura jamais ce qui s'est
pass� dans les ruines.
Cependant, par de laborieuses recherches, dont la Soci�t�
d'arch�ologie lorraine a eu la primeur en 1886, Henri Lepage (2)
a r�ussi � jeter la lumi�re sur ce pass�, et � fixer les grandes
ligues de son histoire, au moins jusqu'au XVIe si�cle. Je
voudrais essayer, � l'aide de quelques documents post�rieurs, de
la poursuivre jusqu'� la R�volution de 1789 apr�s avoir r�sum�,
� la suite de Lepage, ce qui concerne les premiers temps.
La roche de Turquestein termine brusquement, � 460 m�tres
d'altitude, la cr�te bois�e qui s�pare la vall�e de la Sarre de
celle de la Vesouze. C'est un �troit plateau, inaccessible de
toutes parts, sauf � l'Ouest, o� s'ouvre la porte du vieux
ch�teau, m�nag�e dans une haute muraille si solidement
construite qu'elle subsiste seule, tr�s imposante encore sous
son manteau de lierre au milieu des ruines de tout le reste.
Par del� la for�t, Turquestein domine � droite la vall�e ne la
Sarre, et � gauche, une plaine coup�e d'�tangs � travers
laquelle court la limite invisible mais s�culaire des pays de
langue fran�aise et de langue allemande Bertrambois, Hattigny,
Saint-Georges, au couchant Aspach, Niederhof, Fraquelfing, au
levant. La ligne arbitraire des bornes blanches impos�es en
1871, coupe �galement, et sans souci des conditions
g�ographiques, ce territoire autrefois r�uni sous la juridiction
f�odale des tours de Turquestein.
Toute cette contr�e appartenait aux �v�ques de Metz de temps
imm�morial, comme d�pendance � la fois de leur dioc�se et de
leur temporel (3); la for�t qui la couvre depuis Turquestein
jusqu'au Donon s�parait ce dioc�se de celui de Toul. D�s avant
l'occupation romaine, elle s�parait d�j� le territoire des
Messins de celui des Leuques.
Mais jamais aucune ligne pr�cise n'avait �t� trac�e au travers
de ce massif profond, �pre, de difficile acc�s, et pour cette
raison � peu pr�s inexplor�. Sur ses rives s'�taient install�s
de rares habitants, qui vivaient de la for�t, qui en br�laient
des cantons entiers quand ils voulaient �tendre leurs p�tures
(4), mais qui n'y p�n�traient gu�re. C'�tait un territoire sans
ma�tre, ou du moins indivis entre ceux qui en poss�daient les
lisi�res. Or cette indivision a dur� jusqu'au XIVe si�cle,
source �ternelle de conflits et de ravages. En effet, c'est en
1306 seulement que fut tent� pour la premi�re fois un partage du
massif forestier; et c'est en 1314 que l'�v�que de Metz et le
comte de Bl�mont r�ussirent � r�aliser cet accord. L'�v�que eut
sa part s�par�e de celle du comte �� � plus pr�s de Turkstein �
et le comte la sienne �� � plus pr�s de Bl�mont �.
La limite adopt�e fut, d'une fa�on g�n�rale, la Vesouze.
L'�v�que eut tous les bois entre cette rivi�re et la Sarre le
comte eut les bois �� par de�� la Vesouze et ceux du ban de
Bonmoutier vers l'abbaye de Saint-Sauveur). Mais ce partage, en
d�pit des bornes qui furent alors plant�es, devait �tre
impuissant � pr�venir les contestations (5). On plaida jusqu'au
xvme si�cle; et m�me au XIXe, sur les anciennes limites de la
Lorraine et de la France en ces parages (6).
A Turquestein s'�tait fix�e une famille dont l'origine n'est pas
connue, mais qui se, reliait �troitement � celle non moins
ancienne des seigneurs de Bl�mont.. D�s l'ann�e 1002, l'�v�que
Berthold met l'abbaye de Saint-Sauveur sous la protection d'un
vou�, Ulrich de Turquestein, d�nomm� seigneur de Bl�mont. Son
fils G�rard est connu par la Chronique de Senones, pour ses
s�vices envers l'abbaye. Il y p�n�trait avec sa femme et ses
chiens.
Au XIIe si�cle, Bencelin de Turquestein et sa fille Havide,
�pouse de Conrard de Langstein (Pierre-Perc�e), figurent au
nombre des fondateurs de l'abbaye de Haute-Seille.
Au XIIe, on trouve encore des seigneurs particuliers de
Turquestein du nom de Hartung, Hanus et Viry, qui sont hommes
liges du comte de Bl�mont; puis au XIVe, Martin et Guelchoy,
enfin Geoffroy, le plus connu, que dom Calmet repr�sente comme
un seigneur puissant, et qui, d'apr�s les titres d�couverts par
Henri Lepage, aurait �t� plut�t turbulent, batailleur, et fort
charg� de dettes. Lorsqu'il mourut, en 1490, beaucoup de ses
terres et sa maison de Bl�mont �taient aux mains de ses
cr�anciers. Geoffroy est le dernier seigneur du nom de
Turquestein qui soit mentionn� aux archives. Son blason portait
une �toile � six rays. L'un de ses h�ritiers fut Wary de
Lutzelbourg, seigneur de Fl�ville, qui conserva quelques
int�r�ts dans la vall�e de la Vesouze, comme seigneur de Parux
(7).
En somme, cette famille, bien que fort ancienne, resta assez
obscure. C'est bien plut�t par les suzerains dont elle
d�pendait, c'est-�-dire les comtes de Dabo, les �v�ques de Metz
et les comtes de Bl�mont, que la seigneurie de Turquestein prend
une place dans l'histoire du pays lorrain.
Le premier document qui nous renseigne sur l'�tendue de la
ch�tellenie de Turquestein est un acte que Lepage a analys�, par
lequel l'�v�que de Metz Ad�mare de Montil en fait la cession �
titre de gag�re au duc Raoul de Lorraine en 1344 (8). L'�v�que y
�num�re 19 localit�s dont plusieurs ont disparu, ou n'ont pu
�tre identifi�es � des villages ou hameaux actuellement
subsistants (9).
Mais cette �num�ration doit �tre corrig�e au moyen d'autres
actes, qui prouvent que dans plusieurs des localit�s de la
ch�tellenie, notamment � Cirey, Hattigny, Niderhof, Bonmoutier,
Bertimont et Vala, les. seigneurs de Turquestein ne poss�daient
que des droits m�l�s et confondus avec ceux des sires de
Bl�mont.
Dans un partage de 1311, le comte Henri Ier de Bl�mont �num�re
comme d�pendances de son domaine ces m�mes localit�s de Hattigny,
Niderhof, Cirey il parle de ce qu'il �� � Vala, Bonmoutier et
Bertimont (10). Il y avait donc dans ces hameaux ou villages,
non moins que dans les for�ts, partage de seigneurie,
indivision, et par cons�quent conflits incessants.
De l�, les diff�rents trait�s d'entrecours, d�couverts aussi par
Henri Lepage, et qui, en 1306, 1314, 1390 et 1408, tendirent
soit � supprimer, soit � r�gulariser le passage des manants
d'une seigneurie dans l'autre, tant de village � village, que
dans l'int�rieur d'une m�me localit� (11).
Les voies de communication qui traversaient cette contr�e,
�taient � l'origine � peu pr�s nulles, et elles furent toujours
rares.
Un document du d�but du XVIIe si�cle en donne une �num�ration
qui est certainement compl�te, car elle a �t� dress�e dans le
but d'obtenir de l'Empereur le droit de frapper d'une taxe
toutes les b�tes de somme et de trait qui traverseraient la
seigneurie.
Elle mentionne uniquement un chemin menant aux villages de
Landange, Saint-Georges et Neufmoulin, depuis Bl�mont un chemin
de Cirey � Niderhoff prolong� d'une part vers Badonviller et de
l'autre vers Phalsbourg, et enfin trois sentiers, appel�s
sentiers des Bouteillers, l'un qui c�toye la forteresse de
Turquestein, le second qui traverse Saint-Quirin, et descend en
plaine par les Harcholins, et le troisi�me qui franchit la
Chette et entre dans le comt� de Dabo (12).
La condition des habitants n'�tait pas moins confuse au point de
vue religieux. Ils s'�taient group�s autour de quelques �glises,
que desservaient presque exclusivement des religieux ou des
vicaires d�pendant des trois grands �tablissements monastiques
qui se partageaient les d�mes de la contr�e l'abbaye de
Saint-Sauveur, celle de Haute-Seille et le prieur� de Saint-Quirin.
Mais la limite des dioc�ses �tait vague, comme celle des
seigneuries; d'autant plus que ces abbayes vosgiennes,
pr�tendaient � une juridiction sp�ciale, ind�pendante, et
quasi-�piscopale. Ce n'est gu�re qu'au XVIIIe si�cle, lorsque la
France eut impos� partout son autorit� sans r�plique, que
Saint-Sauveur et Haute-Seille durent, apr�s une r�sistance
opini�tre, accepter l'incorporation des cures dont elles avaient
la collation, l'un ou l'autre des dioc�ses de Metz et de Toul.
Cependant cette curieuse confusion s'y maintint avec tant de
persistance, que la description du D�partement de Metz, publi�e
par Stemer en 1756, place encore dans le dioc�se de Metz les
paroisses d'Angomont, Bionville, Br�m�nil, Buriville, Cirey,
Fr�m�nil, Halloville, Harbouey, Mign�ville, Neuviller, Petitmont
et le Val de Bonoutier, qui sont du dioc�se de Toul (13).
Ou voit quelle singuli�re �quivoque a plan� sur cette r�gion,
presque jusqu'au jour o� ses parties lorraines et ses parties
messines ont �t� indistinctement incorpor�es au d�partement et
dioc�se de la Meurthe en 1790.
II. - Comtes de Bl�mont et barons d'Haussonville (1344-1567).
L'�v�que de Metz, Kean de Lorraine, avait, en 1252, fait r�parer
le ch�teau de Turquestein (14). Mais cette forteresse �veillait
les convoitises des comtes de Bl�mont, d�j� ma�tres de la
presque totalit� de la vall�e de la Vesouze. L'un d'eux,
Thi�baut Ier, sut habilement profiter des dissensions qui
troublaient les rapports de la Lorraine et de l'Ev�ch�. Il
s'interposa � la suite d'une guerre dans laquelle l'�v�que avait
�t� vaincu, et d�termina le duc Raoul � se contenter de prendre
titre de gag�re la seigneurie de Turquestein. Le duc, en
reconnaissance de ses bons offices, la lui c�da en 1344 (15).
Outre que cette acquisition reculait jusqu'� la Sarre les
limites du comt� de Bl�mont, elle devait, semble-t-il, entrainer
comme cons�quence la fin de l'indivision qui pesait d'une fa�on
si lourde sur la condition des habitants de cette contr�e,
puisque le comte de Bl�mont r�unissait ainsi � ses possessions
h�r�ditaires, les parts qui d�pendaient de Turquestein.
Il n'en fut rien. Peu d'ann�es auparavant, lors d'un partage des
terres de Bl�mont entre les enfants du comte Henri Ier, la
plupart de ces villages, tomb�s dans le lot de l'une de ses
filles, Marguerite, �taient pass�s par mariage dans la maison de
Vergy. C'est ce qui explique comment la pratique des entrecours
et des contremands, continua de s'exercer entre les deux
domaine, et donna lieu entre les sires de Vergy et ceux de
Bl�mont aux conventions, dont nous avons rapport� les clauses
les plus curieuses (16).
Devenus possesseurs de Turquestein, mais expos�s � s'en voir
�vinc�s au cas ou quelque �v�que de Metz en op�rerait le rachat,
les comtes de Bl�mont s'y comport�rent comme en pays conquis.
Nous avons cit� ailleurs les textes qui conservent le souvenir
de leurs brigandages (17).
Ces souvenirs paraissent avoir frapp� l'imagination populaire,
et autour des ruines de Turquestein flottaient de sombres
l�gendes qui, eu 1791, d�termin�rent une agitation et presque un
soul�vement (18).
L'administration des comtes de Bl�mont fut donc funeste au pays
d�j� �prouv� par les guerres, pestilences et mortalit�. Aussi,
lorsqu'en 1433, l'�v�que Conrad de Bayer, songeant � racheter ce
domaine engag� depuis 90 ans, en fit faire la visite, on
constata (19) qu'il ne valait plus que 100 livres de censive et
de droits annuels au lieu de 400 ou 500 qu'il rapportait
autrefois. Les localit�s de Turquestein, Lorquin, Landange,
Aspach, Warcoville, Niderhoff,.Vasperviller, Hermelange,
Xouaxange. �taient totalement d�sertes, il n'y avait �� point
d'esp�rance que au temps advenir y doive venir demeurer personne
; pourquoi sont d�serts les champs, pr�s, terres arables, qui
sont converties en bois et haies. Le maisonnement et les murs du
ch�teau avaient �t� petitement entretenus en �difice. � et pour
les remettre en �tat, il e�t fallu plus de 6.200 florins du
Rhin. L'�v�que n'�tait point en �tat d'engager une pareille
d�pense, mais des offres lui furent faites de rembourser � sa
place les seigneurs de Bl�mont, et de r�parer le ch�teau, avec
promesse d'en laisser toujours rentr�e libre aux �v�ques ses
suzerains. Conrad de Bayer accueillit ces offres, retira la
ch�tellenie de Turquestein des mains des sires de Bl�mont, et en
investit le nouveau venu. C'�tait Jean d'Haussonville, seigneur
en partie de Ch�tillon-en- V�ge.
Les barons d'Haussonville dont Lepage constate l'existence d�s
1176 (20), ont �t� m�l�s d'assez bonne heure aux affaires de la
contr�e de la Vesouze, puisque en 1389, Jean I emprunte 15
florins � Henri de Bl�mont, et lui assigne en garantie Deneuvre
et au besoin le revenu de tous ses autres domaines (21) ; de que
la m�me ann�e, Henri IV, fait prisonnier � Cirey, donne comme
caution de sa ran�on Constantin d'Haussonville (22), et qu'en
1427, il passe avec Jean un trait� d'accompagnement,
c'est-�-dire de mise en commun de leurs sujets respectifs �
Hattigny.
Jean I vivait encore en 1432. C'est son fils Jean II qui, d�j�
seigneur en partie de Ch�tillon, acquit Turquestein, en
remboursant au comte Ferry de Bl�mont et � ses fr�res, enfants
de Thi�baut et de Marguerite de Lorraine, les sommes dues depuis
si longtemps par l'�v�que de Metz (2).
Il semble bien toutefois qu'une partie des vilges compris dans
la gag�re de 1344, ne sont pas pass�s � Jean d'Haussonville,
mais ont fait retour � l'�v�ch�. Ce sont Heille, Wasperviller,
Xouaxange, Hermelange, Wilre et Giversin, dont il ne sera plus
question dans les partages subs�quents de Turquestein. Ces
localit�s sont toutes sur la rive droite de la Sarre, qui devint
d�s lors la limite orientale de la seigneurie.
Jean Il d'Haussonville, comme s�n�chal de Lorraine, commanda
l'avant-garde � la bataille de Bulgn�ville (1431) avec le
seigneur d'Autel son beau-p�re.
Dom Calmet rapporte que les chroniques contemporaines lui
reproch�rent d'�tre du nombre des seigneurs lorrains qui
l�ch�rent pied d�s le d�but de l'action et �� qui en rallont en
leurs h�tels (23). Il fut pendant la captivit� du duc Ren� l'un
des r�gents du duch�, qu'il d�fendit contre les bandes
d'�corcheurs. Enfin en 1438 il essaya de prendre sa revanche sur
le parti bourguignon en attaquant � l'improviste le ch�teau de
Vaud�mont. Il �choua et �� huit jours apr�s vint le comte de
Vaud�mont boutter les feux sur la terre... d'Haussonville �.
Les seigneurs d'Haussonville, d�j� possesseurs de Ch�tillon,
ajout�rent � leurs titres celui de barons de Turquestein, d�s
qu'ils eurent acquis ce nouveau domaine. Le premier d'entre eux
qui l'ait port�, semble-t-il, est Balthasar, premier du nom,
fils de Jean II, auquel l'histoire lorraine reproche � juste
titre d'avoir accept� les faveurs du T�m�raire (24). Cette
d�faillance ne fut d'ailleurs que passag�re, car on retrouve
Balthasar avec son fils Jean, � la bataille de Nancy aux c�t�s
du duc Ren�.
Le duc fit m�me d'un autre de ses fils, Gaspard, le premier
gouverneur lorrain de la ville et du comt� de Bl�mont, r�unis au
domaine en 1506.
Enjoignant ainsi � sa seigneurie de Turquestein-Ch�tillon, le
gouvernement de Bl�mont, la famille d'Haussonville devenait sur
la Sarre et la Vesouze, aussi puissante que les anciens comtes
de Bl�mont. Elle eut, d�s les premiers jours du r�gne du duc
Antoine, � s'y d�fendre contre la menace d'une invasion de
hobereaux allemands, qui apparait comme le pr�lude des
d�pr�dations du c�l�bre aventurier Franz de Sickingen, vers
1516, et de celles des paysans alsaciens en 1524.
Cette agression, dont on ne trouve le r�cit ni dans l'Histoire
de dom Calmet, ni dans la chronique de Lorraine, se produisit en
1507 et 1508. Les comptes des ch�telains de Bl�mont comme ceux
du bailliage d'Allemagne, lui donnent le nom de Guerre des
Schencks de Brisac, et t�moignent des vives alarmes qu'elle jeta
dans le pays. Pour la pr�venir ou la repousser, on dut convoquer
la noblesse, la rassembler � Saint-Di�, lancer dans tout le pays
des �missaires pour surveiller la marche de l'ennemi, mettre en
�tat de d�fense Vaudrevange, Sierck, Sarreguemines, Sarrebourg,
garnir d'artillerie le ch�teau de Schaumbourg, enfin lever en
masse les gens de Bl�mont. pour dresser des barricades dans les
bois de Hattigny (25). Pendant toute la premi�re moiti� du XVIe
si�cle, le pays resta sous la menace de pareilles invasions.
Balthasar d'Haussonville eut trois fils : Gaspard, Simon et
Jean. Simon est le seul qui ait laiss� une descendance
masculine, en la personne d'African, premier du nom, qui est le
plus connu des membres de cette famille (26).
African d'Haussonville avait d�laiss� le vieux ch�teau de
Turquestein et �tabli sa r�sidence dans une contr�e moins �pre,
au ch�teau de Zufall (le Hasard), pr�s de Lorquin (27), localit�
qui prit d�s lors de l'importance comme chef-lieu de la
seigneurie, gr�ce � la suppression de la mainmorte et � quelques
franchises que lui avaient accord�es, en 1499, les trois fr�res
Gaspard, Simon et Jean (28).
African ajouta � ses titres celui de baron de Saint- Georges, �
raison d'une seigneurie toute voisine de ses domaines qu'il
acquit, et par laquelle il devint ma�tre des villages d'Ibigny
et de Richeval, avec l'important hameau de Hablutz (29).
Conseiller tr�s �cout� du duc Charles Ill, mar�chal du Barrois,
gouverneur de Verdun, c'est lui qui, apr�s avoir repr�sent� son
maitre aux conf�rences relatives la mouvance du duch� de Bar
(1562), re�ut en 1587 la mission d'arr�ter l'ann�e des reitres
qui p�n�trait en Lorraine, par le col de Saverne, pour se
joindre aux Huguenots de France (30). C'est son domaine de
Turquestein qu'il eut dont � d�fendre avant que l'ennemi n'e�t
p�n�tr� par Bl�mont dans la Lorraine proprement dite.
Entre les mains des d'Haussonville, cette seigneurie avait
prosp�r�. Elle �tait, devenue un tr�s important domaine
forestier reli� aux possessions patrimoniales de leur famille �
Tonnoy et Haussonville, sur la Moselle, par une ing�nieuse
combinaison. Par l'acquisition d'une partie du village de
Domjevin, sur la Vesouze, � six lieues de Cirey, � sept lieues
d'Haussonvitle, une sorte d'�tape, un relai, avait �t� �tabli
entre les deux r�gions. Les habitants de Cirey �taient oblig�s
de charroyer jusque l� les bois tir�s de la for�t vosgienne,
n�cessaires aux r�fections du ch�teau de Tonnoy, moyennant une
allocation de dix gros par char ; les sujets de Domjevin les
prenaient de leurs mains pour les conduire � destination ��
moyennant leur nourriture comme aux charois de grains �. Une
partie du village de Domjevin s'appelle encore la rue d'Haussonville
(31).
Turquestein, bien que d�laiss�, n'�tait point encore
compl�tement abandonn�, puisque, en 1535, l'un des fils de
Balthasar, Jean, et Catherine de Heu sa femme (32), apr�s y
avoir b�ti une chapelle, la dot�rent, et y assur�rent la
perp�tuit� des offices religieux, par une donation � l'abbaye de
Haute-Seille, � charge d'y envoyer un moine aux jours indiqu�s.
L'acte de fondation qui nous est parvenu (33) est int�ressant
par la saveur de son pr�ambule, ou Jean d'Haussonville consid�re
�� que la pr�sente vie humaine est transitoire, que se passe
comme l'ombraige, et que par la loi divine et de nature est
�tabli � tous humains de payer soit t�t ou tard le tribut de la
mort �.
Mais l'indivision du domaine de Turquestein, apr�s avoir dur�
134 ans, entre les descendants de Jean II, dut c�der devant la
n�cessit� d'un partage en 1567 en effet, Gaspard, Simon et Jean,
tous trois fils de Balthasar, et investis tous �galement du
titre de barons de Turquestein, �taient demeur�s dans la
contr�e, mais y avaient pris des r�sidences diff�rentes.
En France, leur titre de baron ne se f�t transmis qu'� l'ain�.
Mais la seigneurie de Turquestein, vassale de Metz et terre
d'Empire, relevait du statut nobiliaire allemand, qui admet la
transmission du titre � tous les m�les. C'est ainsi que d�s
1499, � Ch�tillon, � Lorquin, � Saint- Georges, chacun des
enfants de Balthasar d'Haussonville put prendre le titre de
baron et l'attacher � la terre o� il s'�tait fix� (34). Telle
est l'origine des premi�res baronnies d�membr�es de Turquestein.
Gaspard et Jean n'avaient, nous l'avons dit, laiss� que des
filles. Jean, il est vrai, avait eu pour fils Balthasar,
deuxi�me du nom, qui avait �t�, comme gouverneur de Nancy et
grand ma�tre de l'h�tel, l'un des personnages marquants de la
Cour du duc Charles III (35). Mais il �tait mort sans post�rit�.
Ses soeurs, Claude et Jeanne, en �pousant, la premi�re Gaspard
de Marcoussey, et la seconde Jean de Sayigny, introduisirent ces
deux familles Iorraines au nombre des copartageants du domaine
de Turquestein.
Il en fut de m�me des trois filles de Gaspard. Jeanne, l'ain�e,
�pousait en 1539 Georges de Nettancourt. Marguerite entrait dans
la famille du Ch�telet, en devenant la femme de Jean II, chef de
la branche de cette grande maison qui prenait le titre de
marquis des Thons. La troisi�me fille de Gaspard, Ren�e, �pouse
de Philippe des Salles, seigneur de Gombervaux, figure encore en
1541 au nombre des copropri�taires de Turquestein. Mais on n'y
trouve plus son fils Jean, celui qui fut assassin� par Jean IX
de Salm. Sa mort �teignit la succession masculine de cette
branche, qui parait d'ailleurs avoir �t� tenue � l'�cart, sans
doute � cause de son adh�sion aux doctrines luth�riennes (36).
C'est ainsi que dans les partages de Turquestein qui s'imposent
en 1567 apr�s une indivision de plus d'un si�cle, et qui
s'�laborent au ch�teau de Zufall, nous allons voir intervenir �
c�t� d'African d'Haussonville, les noms de Marcoussey, Savigny,
Nettancourt et du Ch�telet.
(Voir tableau g�n�alogique.)

III. Partages et d�membrements (1567-1607).
Le partage de la seigneurie de Turquestein en 1567, para�t bien
n'avoir �t� consenti qu'� contre-coeur par African d'Haussonville,
seul repr�sentant m�le de la famille, et les descendants de son
oncle Jean.
En effet, bien que ce partage int�ress�t les descendants des
trois fr�res, Jean, Simon et Gaspard, on ne fit que deux lots
des for�ts. L'un, double de l'autre en �tendue, devait rester
indivis entre les descendants de Simon et de Jean. Seuls les
h�ritiers de Gaspard devaient recevoir une part d�termin�e. Ce
fut le lot dit de Chatillon. Il remplit de leurs droits dans
l'ensemble du domaine Jean de Ch�telet et Georges de Nettancourt,
�poux des deux filles survivantes de Gaspard (37).
Ce partage, dont les archives conservent une copie authentique
(38) est int�ressant � divers titres. Il nous renseigne sur la
situation et l'�norme �tendue des for�ts qui constituaient le
domaine de Turquestein. Peu ou point exploit�es autrefois, elles
commen�aient � acqu�rir au si�cle une valeur d�j� consid�rable,
et qui devait croitre de si�cle en si�cle.
Le lotissement comprenait tout d'abord les for�ts les plus
voisines des deux ch�teaux. Elles sont d�nomm�es : Marches de
Turquestein et Marches de Ch�tillon. puis les For�ts des
montagnes. c'est-�-dire le massif jadis indivis avec les comtes
de Bl�mont, qui s'�tendait jusqu'au Donon; enfin les For�ts de
la plaine qui se prolongeaient jusqu'aux abords d'Ibigny,
Richeval d'une part, Barbas, Nonhigny et Montreux d'autre part
(39), mais n'avaient qu'une moindre valeur �� par suite de la
funeste coutume de mettre le feu aux for�ts pour faire venir la
p�ture, cause d'�normes et exorbitants dommages �.
Les Marches � elles seules comprenaient 28.500 jours ou arpents
de Lorraine, soit plus de 5.600 hectares ; la Montagne 6.500
jours, soit 1.300 hectares, la Plaine 10.200 jours, soit 2.000
hectares ; au total 45.200 jours ou 8.900 hectares.
Des bornes aux initiales D. C. (du Ch�telet) furent plant�es
pour cantonner le lot de Ch�tillon. Mais elles n'emp�ch�rent pas
les discussions et les proc�s qui passionn�rent ses possesseurs
et leurs voisins au cours du XVIIIe si�cle.
Apr�s les for�ts il fallait partager les villages. L'acte de
1567 n'en parle pas, et nous ne connaissons la composition des
lots que par un document post�rieur de 22 ans (1589) relatif aux
droits de sauvegarde que le duc de Lorraine, devenu acqu�reur de
la principaut� de Phalsbourg pr�tendit exercer sur tous les
villages des baronnies comme successeur des comtes palatins
(40).
L'origine exacte de ces droits est difficile � pr�ciser.
Cependant le comte palatin Georges-Jean qui, press� d'argent,
c�da Phalsbourg et les droits inh�rents � cette principaut� au
duc Charles III en 1583, r�unissait en sa personne et par suite
d'une longue succession d'alliances, les droits des comtes de
Deux-Ponts, de Veldenz et de Linange. Rodolphe, comte de Linange
et R�chicourt qui vivait en 1455 (41) avait �pous� Agn�s,
comtesse de Deux- Ponts. Il n'est pas �tonnant que les comtes de
Linange-R�chicourt dont les terres confinaient � celles de
Turquestein aient acquis sur cette baronnie certains droits qui
seraient pass�s ensuite aux comtes palatins, et devenus
l'origine des droits de sauvegarde que les ducs de Lorraine y
per�urent d�s la fin du XVIe si�cle. Dans son D�membrement de la
Lorraine, Thierry Alix les qualifie �� droits et sauvegardes sur
les villages et terres de Turquestein et Chatillon �, et les
comprend dans les terres et seigneuries qui ne sont de bailliage
(42).
La baronnie de Ch�tillon comprit d�s lors Cirey, Bonmoutier,
Petitmont, Harbouey, Ibigny (43). Le lot d'Haussonville
proprement dit Hattigny, Saint-Georges, Landange, Hablutz,
Rogern (sans doute Richeval), Bertrambois et Lafor�t.
Enfin celui dit de Marcoussey, c'est-�-dire le lot des h�ritiers
de Jean d'Haussonville Lorquin, Fraquelfing, Niderhof,
Laneuveville, Neufmoulin, La Frimbolle (44).
0n remarquera que dans cette �num�ration ne figurenl plus ni le
village,. ni le ch�teau de Turquestein. Il esl certain qu'apr�s
ces partages d�finitifs, le vieux burg, de plus en plus
abandonn�, ne fut conserv� qu'� titre de souvenir historique
commun � toutes les branches de la famille, et que du
d�membrement de l'ancien domaine, s'�taient form�es les trois
baronnies de Saint-Georges pour African d'Haussonville, de
Ch�tillon pour du Ch�telet et Nettancourt, de Lorquin pour
Marcoussey et Savigny.
Le lot d'Haussonville bien qu'il f�t celui auquel restait
attach� le nom de la famille, subit bient�t comme les autres la
loi des partages.
African d'Haussonville avait une soeur, Nicole, mari�e elle aussi
� un membre de la famille de Savigny. Il fallut lui faire sa
part, et l'on voit qu'en 1575 et 1586, Chr�tien de Savigny
ali�ne d�j� des gagnages � Landange, Aspach et m�me �
Turquestein (45).
C'est ainsi que d�membr�e et amoindrie, la seigneurie de
Turquestein arriva aux mains du dernier des Haussonville, Jean
IV, fils d'African, qui, sans omettre son titre de baron de
Turquestein, porta plut�t celui de Saint-Georges, devenu le
centre de son domaine.
.Jean IV, comme ses anc�tres, occupa des situations importantes
aupr�s de nos ducs. Il recevait de Charles III une pension de 6
000 livres, et sa femme, Chr�tienne du Ch�telet, fut,
croyons-nous, gouvernante de la princesse de Lorraine, charge
qui lui valait une pension de 500 livres (46).
Jean IV n'ayant point d'enfants fit, en 1605, un testament au
profit de l'un de ses neveux, Nicolas de Nettancourt, puis
mourut en 1607.
Ce petit-neveu que le dernier des d'Haussonville choisit comme
h�ritier de ses biens et de ses titres, lui �tait en effet
doublement cher. Il �tait le petit-fils de sa soeur consanguine
Ursule, devenue en 1573 �pouse de son cousin Jean de Nettancourt,
fils lui-m�me d'Anne d'Haussonville, fille a�n�e de Gaspard et
de Georges de Nettancourt.
Il r�sultait de ses alliances que l'enfant qui devenait ainsi,
par l'effet du testament de son oncle maternel, seul
attributaire de la baronnie de Saint-Georges, avait aussi dit
chef de ses a�eux paternels descendants de Gaspard d'Haussonville,
des droits sur celle de Chatillon dont la plus grande partie,
comme nous le verrons, eut une destin�e diff�rente de celle des
autres baronnies d�membr�es de Turquestein (47).
Les baronnies de Saint-Georges et de Lorquin, au contraire,
�taient destin�es � demeurer unies, et � passer au bout de peu
d'ann�es dans le domaine ducal.
(� suivre)
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