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Le Temps - 13 juin 1873
CHRONIQUE
J'ai eu la curiosit� d� rechercher comment les voyageurs du bon vieux temps s'y prenaient pour aller � Vienne. C'�tait une entreprise assez aventureuse : on faisait son testament avant de monter en voiture ; rien ne ressemblait moins � une partie de plaisir.
Le voyage que je, vais vous d�crire est de 1780. A cette �poque d�j�, les moyens de locomotion �taient assez vari�s. Les hommes jeunes et vigoureux se servaient de chevaux de poste et se faisaient accompagner d'an postillon comme guide. Les femmes et les vieillards allaient en berline : il y avait enfin la diligence dont le prix �tait moins �lev�, mais dont le trajet �tait n�cessairement beaucoup plus long.
En 1780, on pouvait aller directement de Paris � Vienne en diligence. La diligence de Strasbourg partait de Paris tous les lundi, � minuit. Elle passait par Pantin, Bondi, Ville-Parisis, Claye, Meaux, la Fert�-sous-Jouarre et faisait un premier arr�t � Ch�teau-Thierry o� l'on d�nait. Elle allait de l� � Dormans et l'on couchait � Epernay. Le lendemain, on traversait Joallons, d�ner � Ch�lons, puis Pogny, Vitry, Saint-Dizier, coucher � Bar-le-Duc. Troisi�me journ�e Ligny, Saint-Aubin, d�ner � Voyd, Toul, coucher � Nancy. Quatri�me journ�e : Saint-Nicolas, Lun�ville, Herbeviller, d�ner � Blamont, H�ming, Sarbourg, Phalsbourg, coucher � Saverne. Cinqui�me journ�e : Vilthoeim, Stisseim, d�ner � Strasbourg. On comptait cent treize lieues de Paris � Strasbourg par ce trajet.
De Strasbourg � Vienne, le d�tail de la route par terre est scrupuleusement indiqu� dans l'ouvrage curieux que j'ai sous les yeux. Malheureusement la dur�e du voyage n'y est pas. Vous remarquerez toutefois que l'itin�raire est � peu pr�s semblable � celui que suit la voie ferr�e. Le chemin de fer remonte, en effet, de Kehl � Ettlingen au nord de Rastadt, d'o� il prend d�cid�ment la direction de l'Est. La route suivie par la diligence est � peu de chose pr�s la m�me. Du fort de Kehl � Vienne, les principales. stations sont les suivantes : Rastatt, Ettlingen, Stuttgart, Ulm, Augsburg, Munich, Lintz, Vienne.
�� De Strasbourg � Vienne, ajoute l'atlas, il y a 50 3/4 postes ou stations qui font 101 1/2 milles qui valent 389,260 -toises-, qui �galent 194 lieues 2/3 de 2,000 toises chacune. � La route par eau �tait presque aussi directe et moins co�teuse. Tous les mardis un coche d'eau partait d'Ulm pour Vienne et passait � Hochstett, de l� � Donatwerth, Neubourg, Ingolstat, Wohburg, Kelheim, Ratisbonne, Staubing, Dekendorf, Wilshowen, Passau, Lintz, Ips et Tuln. �� Il est � remarquer, dit l'Indicateur, que la diligence par terre marche jour et nuit; elle est conduite par les chevaux de poste. Le prix ordinaire est d'un demi-florin. ou une livre un sol neuf deniers par chevaux, et pour le postillon, quatre krutzers ou trois sols de guide. La route par eau est � meilleur compte; il en co�te huit florins, ou dix-sept livres huit sols six deniers d'Ulm � Vienne, et pour un bateau particulier, cinquante-deux florins, ou cent treize livres neuf sols. �
Vous voyez, par la seule indication des distances et le nombre des relais, que ce voyage n'�tait pas une petite affaire. Il fallait cinq jours de Paris � Strasbourg ; puisqu'� partir de la fronti�re la diligence roulait jour et nuit, on peut en conclure que le voyage ne prenait gu�re plus de cinq jours encore. En dix ou douze jours, le trajet total pouvait donc �tre effectu�. C'est � Turgot que revient l'honneur d'avoir fait organiser un r�seau de diligences s'�tendant sur toute la France. Le peuple a compris que c'�tait � l'influence �clair�e du grand ministre qu'il devait ce progr�s et, par un hommage spontan�ment rendu, les diligences ont pris le nom de turgotines, qu'elles ont conserv� jusqu'� la r�volution.
Le livre int�ressant auquel j'ai emprunt� la plupart de ces renseignements est un atlas magnifique, grav� avec le plus grand soin, et dont voici le titre: �� Indicateur fid�le, ou Guide des voyageurs, qui enseigne toutes les routes royales et particuli�res de la France, routes lev�es topographiquement, d�s le commencement de ce si�cle, et assujetties � une graduation g�om�trique, dress� par le sieur Michel, ing�nieur g�ographe du roy � l'Observatoire. Paris, rue Saint-Jacques, � l'enseigne du Globe. 1780. � Il est d�di� �� � Monsieur Cassini de Thury, seigneur de Villetaneuse, directeur de l'Observatoire royal, ma�tre des comptes, associ� des Acad�mies des sciences de Paris, Londres, Berlin, Munich, etc. � |