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Le Grand Couronn� de Nancy - Roman

Ce document n'est pas un r�cit historique, mais un roman dont l'intrigue s'appuie sur la seconde invasion allemande et la d�fense du Grand Couronn� de Nancy. Pure oeuvre de propagande, on y constate des noms de lieux reproduits tr�s approximativement, et une description d�mesur�e des exactions allemandes � Lun�ville


Le Grand Couronn� de Nancy
Henry Frichet
Ed. Rouff - 1917

 

20 AOUT 1914

 

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Huit heures et demie du soir venaient de sonner !
R�m�r�ville, o� des troupes d'arri�re-garde �taient de passage, se noyait d'ombre. Les fen�tres des maisons �taient closes et toutes lumi�res �teintes, car des zeppelins avaient �t� signal�s dans la direction de Lun�ville. Le camp ayant �t� consign�, aucun soldat ne vaguait � travers les rues devenues silencieuses apr�s avoir �t� remplies, tout le jour, d'agitation et de rumeurs.
Au mess, les officiers s'attardaient � commenter fi�vreusement les �v�nements, � colporter des bruits singuliers et contradictoires. La guerre ! Personne n'osait y croire deux mois auparavant, et voil� qu'elle serrait l'Europe emprisonn�e dans ses formidables m�choires.
Le colonel du ... r�giment d'infanterie avait r�uni le matin m�me les officiers � l'issue du rapport : sa parole avait �t� coupante comme un sabre :
- La France vit actuellement les heures les plus solennelles de son histoire. Comme elle ne peut pas mourir, elle vaincra, mais ce sera dur. Messieurs, la patrie compte sur vous.
Le lieutenant nanc�en, Fran�ois Beaudoin, �tait un patriote tr�s ardent. Son p�re, n� � Thionville, avait fait la campagne de 1870, et son grand-p�re, colonel de houzards, avait charg� � Waterloo, � la t�te de son r�giment, contre les colonnes de Bl�cher. L'empereur l'avait d�cor� de sa main.
Lui, le petit-fils, entr� � Saint-Cyr dans un tr�s bon rang, n'avait fait que suivre d'instinct la tradition familiale, ne comprenant, d'ailleurs, point que l'on p�t �tre autre chose que soldat. �� Servir � �tait la devise des Beaudoin qui, de p�re en fils, depuis au moins deux si�cles, s'�taient distingu�s sur tous les champs de bataille.
Les �motions que le jeune homme �prouve sont � la fois violentes et confuses : La France parle, sans doute ; mais ce n'est pas tout � fait exact, c'est la Guerre qui parle. Le grand G�ant semble s'�tre assis au milieu des nations, d�chirant des hommes, grondant et hurlant.
Soudain, une pens�e lumineuse et jolie comme un rayon de soleil perce le voile s�v�re de ses r�flexions : Genevi�ve, la jeune fille qu'il aime de tout son coeur, habite R�m�r�ville, et il doit la retrouver le soir m�me.
- Huit heures cinquante-cinq. Elle sera l� dans quelques minutes, fit-il en regardant sa montre. Ch�re et si douce amie ! je vais la voir pour la derni�re fois, peut-�tre !
Et son coeur se serra.
Il se glissa dans l'ombre du clocher de la vieille �glise et attendit. Pourvu qu'elle puisse venir !
- Elle ne viendra pas, se dit-il, d�sesp�r�, lorsque le dernier coup de neuf heures eut achev� de se faire entendre au beffroi ; d'habitude, elle est toujours la premi�re au rendez-vous.
Soudain, la silhouette gracieuse et tant d�sir�e apparut � l'angle d'une petite rue. Le coeur du jeune officier bondit au-devant d'elle.
- Vous ! C'est vous, Genevi�ve ? Je vous attendais avec une impatience !
- Moi aussi, mon ami, il me tardait de vous rejoindre !
Et ils s'�treignirent la main avec passion.
- Je voudrais tant que nous puissions nous marier tout de suite ; mais je vous ai dit les raisons qui me font ajourner jusqu'apr�s la guerre la r�alisation de notre beau r�ve. La guerre sera de courte dur�e, esp�rons-le.
- Esp�rons-le. murmura-t-elle en �cho.
Puis elle demanda, d'un souffle :
- Vous partez bient�t ?
Il ne r�pondit rien ; en tournant la t�te, il s'aper�ut qu'elle pleurait ; de grosses larmes silencieuses roulaient de ses yeux, tombaient jusque sur sa robe.
Ils se promen�rent longtemps, n'�changeant que de rares paroles; puis, quand ils furent devant la porte de la maison de la jeune fille, il r�p�ta :
- Je vous aime, Genevi�ve.
Elle r�pondit :
- Je vous aime, Fran�ois, ayons confiance.
Quelques heures plus tard, le clairon sonnait la g�n�rale. Les derni�res avant-gardes fran�aises, dont faisait partie Beaudoin, allaient renforcer une brigade mixte du 20e corps sur la position de Flainval.
On apprend que les forces allemandes, arrivant de toutes les directions, concentrent leurs efforts pour donner le coup de b�lier terrifiant et en finir une bonne fois, disent les chefs avec ces Fran�ais qui ont la pr�tention de vouloir r�sister.
Le lendemain 22 ao�t, des hurlements sauvages et une galopade effr�n�e retentissent dans la principale rue de R�m�r�ville.
Courb�s sur leurs chevaux lanc�s au galop, le revolver au poing, passent comme un ouragan six cavaliers v�tus de gris : ce sont des chevau-l�gers bavarois.
Epouvant�s, les habitants s'enferment dans leurs maisons.
Dix minutes apr�s, de nouveaux hurlements et le vacarme effrayant d'une galopade. C'est une avalanche de deux cents cavaliers qui descendent la grande rue. Ils s'arr�tent au bas du village, dans la cour du ch�teau.
Un bruit sourd, cadenc�, de troupe en marche. Une colonne d'infanterie passe. Les hommes vont d'un pas allong�. Ils sifflent une m�lop�e monotone et triste qui scande leur marche. Une autre troupe arrive au pas gymnastique et dispara�t au tournant de la route de Nancy. Le village est bient�t rempli de soldats. Des automobiles arrivent sans cesse, des officiers en descendent. Des cyclistes, des cavaliers partent de tous c�t�s. A la m�me heure, des colonnes allemandes d�bouchaient � Mazerulles, Erb�viller, Courbefraux, Drouville, Maixe.
Les soldats allemands se conduisent comme des brutes dans le village, o� ils se r�pandent. Pleins de m�fiance, ils parcourent les maisons, les �curies, les greniers : ils inspectent tous les coins, ouvrent les armoires, enfoncent les ba�onnettes dans les matelas et, toujours, frappent les murs avec la crosse de leur fusil.
A R�m�r�ville, pr�s de la fontaine, au milieu du village, une troupe stationne. L'officier crie devant les maisons ferm�es :
- Monsieur ! Monsieur !
Personne ne r�pond.
Enfin il se d�cide � p�n�trer dans la demeure la plus proche et en fait sortir une jeune fille, Marie-Th�r�se Gu�rin.
- Pourquoi ne r�pondez-vous pas ? demande l'officier.
- J'�tais dans le jardin, derri�re la maison.
- Prenez ce verre et buvez. Nous verrons bien si cette eau est empoisonn�e.
La jeune fille prend l'eau � la fontaine et boit.
L'officier se tourne vers ses soldats et dit :
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- Es ist gut.
Puis il interroge :
- Y a-t-il des soldats fran�ais ici ? Quand sont-ils pass�s ? Avaient-ils l'air d�courag� ? Peuvent-ils se battre encore ? Ils ont pris la fuite � notre arriv�e, n'est-ce pas ? Mais o� se sont-ils repli�s ?
- C'est la nuit que nos soldats ont travers� le village, r�pond la jeune fille ; je n'ai donc pu juger de leur �tat. Quant � dire o� ils sont all�s se retrancher, cela me serait bien difficile, n'�tant pas sortie de chez moi.
- Ya, ya, reprend l'officier moqueur. Demoiselles fran�aises malignes ! malignes !
Des boches sont mont�s dans le clocher de l'�glise. On les voit en observation � une lucarne o� ils ont install� une mitrailleuse. Les aiguilles de l'horloge marquent l'heure allemande.
Le canon tonne du c�t� de Lun�ville.

II
LES FORCES EN PR�SENCE - EN ROUTE

Des renseignements pr�cis sont arriv�s au g�n�ral de Castelnau sur les forces de l'ennemi et ses intentions.
Le prince royal de Bavi�re, qui conduit son arm�e par tous les chemins, venant de Delme, de Morhange, a pour objectif le Grand-Couronn� et Lun�ville.
Pendant qu'elle progresse rapidement, l'arm�e du g�n�ral von Herringen d�bouche du Donon et des cols des Vosges et se dirige � marches forc�es sur la ligne de la Mortagne et la for�t de Charmes. Son intention est de prendre � revers les forces fran�aises qui ont pour mission de d�fendre la trou�e de Charmes.
L'arm�e du g�n�ral Dubail est en retraite sur la Meurthe.
L'arm�e du g�n�ral de Castelnau s'est aussi repli�e, mais en faisant demi-cercle � droite, de fa�on � occuper les hauteurs du Grand-Couronn� qui d�fendent Nancy.
Les deux arm�es, par ce double mouvement, se sont s�par�es l'une de l'autre ; entre elles, une fissure s'est produite : cette fissure se trouve dans la r�gion de Lun�ville, en face de la trou�e de Charmes. L'ennemi doit �prouver la tentation de se pr�cipiter par cette porte et de gagner vivement la fameuse trou�e. C'est pr�cis�ment ce que d�sire le haut commandement fran�ais qui manoeuvrera de fa�on � attirer l'ennemi vers cette trou�e de Charmes et � le prendre, pour ainsi dire, dans la sourici�re.
L'arm�e Dubail doit r�sister sur les lignes successives de rivi�res qui prennent la plaine en �charpe : la Vezouze, la Meurthe, la Mortagne, tandis que le g�n�ral de Castelnau s'organisera et s'appuiera sur le Grand-Couronn� de Nancy.
La position du Grand-Couronn� devient ainsi la base de notre contre-offensive dans l'Est.
N'omettons pas de dire que Nancy est d�fendu naturellement � l'Est par le Grand-Couronn� et � l'Ouest par la for�t de Haye.
D�j�, l'attaque ennemie a commenc� depuis 8 h. 30, des hauteurs de Crion et de Sionviller.
Le 15e corps, ne se sentant pas de force � engager le combat avec derri�re lui la rivi�re de la Meurthe, est autoris� � se replier sur la rive gauche.
Cependant, il faut r�sister le plus longtemps possible.
Le g�n�ral de Castelnau donne l'ordre au g�n�ral Foch, qui est � la t�te du 20e corps, de soutenir le 15e corps. Le g�n�ral Foch charge de cette mission la 11e division (la division de fer), command�e par le g�n�ral Ferry.
Alors la 22e brigade (de la 11e division), sauf quelques d�tachements isol�s qui ne tarderont pas � rejoindre, venant de Morhange o� elle s'est battue deux jours, se met en route pour Dombasle, o� elle arrive dans la nuit du 21 au 22 ao�t. Dombasle, � 7 kilom�tres environ au nord-ouest de Lun�ville, est situ� � l'embranchement de la Meurthe (rive droite) et du canal de la Marne. En moins d'une journ�e, cette brigade fait plus de 50 kilom�tres. Sur la route, on voit d�filer pendant des heures au milieu d'un nuage de poussi�re de la cavalerie, de l'infanterie, des convois de vivres, des canons, des voitures d'ambulance, des voitures de paysans r�quisitionn�es, et tout cella passe, passe comme un fleuve.
Cette 22e brigade, il �tait �crit qu'on ne la laisserait pas reposer une heure. Les hommes avaient � peine d�boucl� sacs et ceinturons et allum� le feu pour pr�parer le caf� qu'elle re�oit l'ordre de franchir la Meurthe et d'occuper les hauteurs de Flainval (� 5 kilom�tres au sud de Dombasle). Il faut � tout prix emp�cher l'ennemi de tourner le Grand-Couronn� vers le Sud. Elle doit aussi maintenir ses liaisons avec le 16e corps.
Les chasseurs � pied et les soldats d'infanterie de cette 22e brigade n'ont � peu pr�s rien mang� depuis vingt-quatre heures, et ils gravissent dans un silence provoqu� par la fatigue les pentes qui conduisent � Flainval.
On n'entend que le bruit sec de la terre foul�e, le cliquetis du quart sur le fourreau de l'�p�e-ba�onnette. Les pipes se sont �teintes aux bouches br�l�es par la soif. Le k�pi p�se comme du plomb sur les cr�nes bouillants ; on respire avec peine, la poitrine tendue par le poids du sac ; les courroies coupent les �paules, et la main droite est fatigu�e de tenir la bretelle du fusil, dont la crosse frappe � chaque coup sur la cuisse. Dans la chaussure, les pieds cuisent et s'alourdissent : on marche... Le paysage se d�roule, pareil � une magnifique tapisserie d'un coloris tendre et bleut�. Des for�ts montent et descendent aux pentes des coteaux, formant un rideau mouvant et perfide. Au fond du vallon, c'est un tapis vert � peine coup� par le damier de quelques champs : on marche. Les v�tements sont gris de poussi�re, la sueur ruisselle sur les visages terreux. Les drapeaux roul�s dans leur gaine sont port�s en t�te du r�giment. Aux flancs des colonnes, des chiens tirent la langue. On marche...
Soudain, tous ces soldats �reint�s l�vent la t�te. Ils ont entendu comme un ronflement de tuyau d'orgue, et l�-haut, au-dessus des nu�es, se profile la silhouette d'un taube qui vient sans doute de Metz ou de Thionville. On l'aurait cru immobile sur ses larges ailes, si sa vitesse ne se f�t r�v�l�e sur les dessins des nuages qui ont l'air de courir en sens inverse de l'oiseau. Ces nuages blancs, d�coup�s dans l'azur, ont en effet l'air de glisser sous le ventre du taube.
Soudain, du c�t� de Nancy, un autre a�roplane, plus petit, plus l�ger, qui a l'air de voler plus vite, arrive avec un bruit de moteur qui va toujours grandissant. C'est un Fran�ais.
Les deux ennemis se sont vus. Attention !
L'a�roplane fran�ais plane un instant, puis s'�lance, tel un faucon, sur son adversaire. L'Allemand gagne en hauteur. Il s'�l�ve, s'�l�ve, devient plus petit et plus p�le. Le Fran�ais aussi monte. Il monte et avance avec une rapidit� vertigineuse. In�vitablement ils vont se rejoindre L'Allemand continue � fuir en altitude. puis, plus rien. Il a disparu.
- Tiens, le voil� encore ! s'�crie un soldat.
- Oui, le voil� ! le voil� ! r�p�tent d'autres soldats en montrant du doigt l'oiseau boche qui a l'air de sortir du flanc d'un nuage.
Le Fran�ais s'est lanc� imm�diatement vers lui, dans le champ illimit� de l'�ther. Mais l'ennemi a disparu. La chasse se poursuit peut-�tre dans l'invisible.
Tout � coup, comme une perdrix frapp�e � mort par le plomb du chasseur, on voit le taube qui pique droit contre le sol, le nez en avant.
Le temps se couvre. O bonheur ! Il va peut-�tre pleuvoir.

III
LE COMBAT

Buifs ! Boum ! Vavraboum !
Les obus ont port� � quinze m�tres trop bas. Mais les boches vont peut-�tre rectifier leur tir. Une sueur glac�e court tout le long de l'�chin� ; la chair se contracte. Ce premier jet d'obus acc�l�re la respiration : on suffoque.
Les commandements se succ�dent.
- En tirailleurs ! A mille m�tres, feu � volont� !
Les coups de sifflet trillent. Cinq fois, dix fois, la rafale asperge la ligne. Enfin, sans trop savoir comment ni pourquoi, les hommes sont parvenus � dominer leur �motion. Le trouble a fait place � de la col�re.
- Zut ! s'�crie un soldat ; un �clat d'obus a enlev� ma gamelle de dessus mon sac, et j'avais ma provision de tabac dedans !
Un duel d'artillerie commence. Nos 75 ne s'arr�tent pas de tonner. Le paysage tremble, fr�mit, hurle, se convuls�. La terre pulv�ris�e gr�le en l'air. Parfois un obus de gros calibre traverse l'air, sifflant comme une b�te rageuse, et ce sifflement des projectiles produit un �nervement particulier : les sourcils se rapprochent, les �paules remontent, autrement dit on fait le �� gros dos � ; enfin les yeux clignent et l'on baisse un peu la t�te, comme si l'on s'attendait � recevoir un formidable coup.
Un caporal crie aux hommes de son escouade :
- Ceux qui ont besoin de faire leur testament n'ont qu'� demander une permission de quinze jours pour aller voir leur notaire.
A ce moment, le colonel ouvre un pli qu'un sous-officier vient de lui remettre. Le sous-officier attend, immobile, � la distance r�glementaire.
Mais, subitement, le colonel chancelle. II a la cuisse broy�e par un �clat d'obus.
Des officiers s'empressent autour du chef vaillant, qui est un p�re pour ses hommes.
Les l�vres p�les du colonel s'entr'ouvrent.
- Messieurs, je vous en prie, �loignez-vous, ne me soutenez pas. Non, pas devant mon r�giment.
Chacun comprend. Autour du bless�, le cercle respectueux s'�largit.
Et le colonel, faisant un effort surhumain pour se ternir droit sur sa jambe valide, ach�ve de lire l'ordre qui vient de lui �tre transmis.
Un nouvel obus gronde, �clate � trente pas et un paquet de mitraille d�capite net le colonel.
Dzim ! A�e ! Le lieutenant Beaudoin secoue sa main gauche. Une balle vient de lui �rafler le pouce. Rien de grave. Arr�t de cinq minutes dans un trou pour mettre un pansement.
- Heureusement, se dit-il, j'ai la main droite valide pour �crire � Genevi�ve et pour porter haut et ferme le drapeau du r�giment.
Il s'�lan�a sur un petit mamelon au pied duquel g�t pour toujours le corps du colonel, et fait flotter dans l'air les plis de l'�tendard. Quelques balles sifflent, rageuses, des obus �clatent, enfin le bombardement allemand, qui avait beaucoup diminu� d'intensit�, cesse presque compl�tement.

IV
AU SUD DE LA MEURTHE

L'ordre que lisait le colonel au moment o� il fut tu� par un obus, �tait celui-ci : �� L'ennemi a perdu le contact; repassez la Meurthe et faites sauter les ponts derri�re vous. �
En r�alit�, ce jour-l�, nous avions r�ussi � maintenir en face de nous des forces trois fois sup�rieures aux n�tres. Pour ce fait d'armes, quelques semaines plus tard (le 16 octobre), le g�n�ral de Castelnau citait � l'ordre du jour le g�n�ral Ferry.
Le 20e corps a pris ses positions au sud de la Meurthe. Le g�n�ral de Castelnau veut d�fendre, co�te que co�te, la trou�e de Charmes. Son plan est de relier le Remb�tant aux plateaux de Saffais et de Belchamps. De toutes ces hauteurs, qui commandent � la fois les vall�es de la Meurthe et de la Mortagne et les plaines de la Moselle au sud, on peut emp�cher l'ennemi de progresser.
Les mesures prises par le g�n�ral de Castelnau �taient excellentes, puisqu'elles emp�chaient l'ennemi de p�n�trer par la classique trou�e de Charmes, malheureusement, Lun�ville n'�tait plus solidement d�fendu. En effet, le 15e corps n'avait pu attendre le choc au nord de cette ville. Le 16e corps, attaqu�, d�s le matin, sur Crion-Siouville, fut forc� � la retraite apr�s avoir fait une d�fense h�ro�que. L'avant-garde du 21e corps allemand avait pouss� une si violente offensive que notre 31e division commen�a � plier. Une contre-attaque sur Croisemau d�gagea momentan�ment cette division. Mais elle finit par c�der.
Lun�ville �tait d�couvert.

V
LES ALLEMANDS A LUN�VILLE

L'artillerie allemande se porta aussit�t sur les hauteurs qui dominent Chantelieux et ouvrit un feu violent.
Lun�ville est pris.
H�tons-nous de dire que les Bavarois qui occup�rent la ville en furent bient�t chass�s (ils en auraient m�me �t� chass�s plus vite si nous avions eu le triste courage de bombarder l�chement la charmante petite cit� lorraine).
Apr�s avoir assur� la garde militaire de la ville, plac� des avant-postes dans les faubourgs, les Allemands �tablirent une batterie dans ce joli jardin Louis XV, si galamment baptis� �� Le Bosquet �.
Ils plac�rent d'autres pi�ces sur des points plus �lev�s, arbor�rent leur drapeau aux fen�tres de la mairie; puis, suivant leur coutume th��trale, d�cid�rent que le lendemain, dimanche 23, vers midi, ils op�reraient, � travers les rues de Lun�ville, une entr�e en musique avec tambours et fifres.
Le lendemain, � midi, le roulement sec des petits �� trommels � plats et le sifflement aigu des fifres retentissaient � l'entr�e de la Grande-Rue, au bas de la cit� d'Einville. Toute une division bavaroise, bien astiqu�e, commen�a � d�filer � ce grotesque pas de parade qui indique si bien le degr� d'autoritarisme humiliant de la discipline prussienne.
Les rues �taient d�sertes.
Le maire s'avan�a au-devant de l'�tat-major et se d�clara responsable des actes des habitants. Un g�n�ral lui r�pondit :
- Les habitants n'ont rien � craindre, tant qu'ils ne commettront aucune hostilit� contre nous. Mais s'ils attaquent un seul de mes soldats, le premier que je ferai fusiller, ce sera vous.
- Vos paroles ne m'intimident pas, r�pliqua le repr�sentant de la ville.
Derri�re les persiennes, plus d'une Lun�villaise pleurait, plus d'un homme serrait les poings, mais nul n'esquissait un geste de r�volte, h�las! trop inutile.

VI
UN ARDENT PATRIOTE, M. KAHN, EST FUSILLE.

Un homme, M. Kahn, ne put supporter la douleur d'un pareil spectacle. Il ouvrit sa porte toute grande et, tenant � la main un drapeau tricolore d�ploy�, ivre d'une sainte col�re, s'�lan�a vers le premier rang des tambours en criant :
- Vive la France et mort aux boches !
Le sort de M. Kahn fut vite r�gl�. Sur le geste d'un lieutenant, huit hommes se d�tach�rent, pouss�rent le manifestant qui ne cessait de crier : �� Vive la France ! � devant un mur et le couch�rent en joue.
M. Kahn jeta sur ces brutes un regard de m�pris et, dans un dernier �� Mort aux boches! � s'abattit sur le pav� de la rue.
Devant le cadavre, d'o� le sang coulait en rigoles, toute la division bavaroise d�fila.
Le maire, le sous-pr�fet et le d�put� de Lun�ville, demeur�s � leur poste, furent pris les premiers comme otages et menac�s cent fois de mort. Ils eurent la chance de ne pas �tre ex�cut�s.
Le brave sous-pr�fet, M. Minier, fut r�duit � se nourrir, pendant quinze jours, de miel et de sardines, seul �� fond d'armoire � que l'ennemi lui ait permis d'utiliser.
L'occupation de Lun�ville �tait un succ�s dont on fit grand �tal en Allemagne. Cependant la r�sistance de nos troupes dans la journ�e du 22, notamment au combat de Flainval, aurait d� avertir les chefs allemands qu'ils n'avaient pas affaire � des arm�es �puis�es.

Deux jours apr�s l'occupation de Lun�ville, les atrocit�s commen�aient.
Les Allemands pourchassaient les habitants qui se sauvaient sur les toits ; on les tuait comme du gibier et, quand les soldats allemands ne pouvaient les d�couvrir, ils mettaient le feu � la maison en disant :
- Ils sortiront ou ils cr�veront !
Une vieille femme malade fut fusill�e dans son lit.
Ils impos�rent � la ville deux contributions de guerre : la premi�re de 10.000 francs, la seconde de 650.000 francs, payables en or. Les habitants de Lun�ville vers�rent � la caisse municipale leurs r�serves d'or, et la somme exig�e put �tre r�unie.
Nulle part on ne constata un mouvement de r�volte, comme les Allemands ont voulu le pr�tendre pour justifier leurs assassinats, pr�c�dant comme partout le pillage et les incendies destin�s � faire dispara�tre la trace de leurs forfaits.

VII
L'AVALANCHE ALLEMANDE

Dans la matin�e du 23, l'ennemi a envahi la vall�e de la Vezouze et s'est mis en marche vers la vall�e de la Meurthe.
Venant d'Avricourt, de Blamont, de Cirey, du Donon, du col des Vosges, l'arm�e von Heeringen et la gauche de l'arm�e du kronprinz de Bavi�re forment un vaste arc de cercle dont le point culminant est aux pentes du Donon et dont la corde se trouve �tre la Meurthe. Von Heeringen descend ce plan inclin� pour aider l'arm�e bavaroise dans sa marche vers Rozelieures et la trou�e de Charmes.
Devant cette avalanche, nous reculons, mais avec un but pr�cis d'offensive ult�rieure.
Le g�n�ral Dubail (1re arm�e) op�re vers le sud-ouest une conversion de sa gauche et de son centre, afin d'�tablir sa liaison en �querre avec la droite du g�n�ral de Castelnau qui, le 23 au soir, aura son point extr�me au nord de la for�t de Charmes, vers Villacourt. Le 8e corps quitte, en cons�quence, ses cantonnements � l'est de la for�t de Moudon, pour s'articuler avec la droite de la 2e arm�e (g�n�ral de Castelnau), laissant ainsi � l'ennemi la facult� d'entrer de lui-m�me dans le pi�ge qui lui est largement ouvert.
Le 2e corps d'arm�e passa la Meurthe par un temps abominable. En sortant d'Hablainville, un convoi du 95e r�giment (16e division) fut pris dans une terrible temp�te. En pleine for�t, les chevaux avan�aient difficilement, et d'�normes grelons cinglaient le visage. En d�bouchant du bois, le soleil r�apparut. Mais un spectacle navrant s'offrait aux regards des soldats. Sur tous les chemins qui, du nord, d�bouchaient sur la Meurthe, passaient des files interminables de fugitifs.
- O� allez-vous ? leur demandait-on.
- A la gr�ce de Dieu.
Ils fuyaient l'invasion, tra�nant un chariot sur lequel ils avaient jet� � la h�te leurs enfants, leurs bardes et leurs matelas.
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Apr�s avoir pass� la Meurthe, on fit sauter les ponts.
Le 8e corps (le 23 ao�t au soir) s'est port� en entier sur la ligne Damar-aux-Bois, Hallainville et Fauconcourt. A sa gauche, il a laiss� le 2e bataillon alpin pour contenir l'ennemi et l'emp�cher notamment de franchir la Mortagne avant la fin de la retraite du corps d'arm�e et sa liaison avec la 2e arm�e. Il s'agit, avant tout, d'assurer la s�curit� des mouvements qui permettront d'�tablir solidement le barrage de la trou�e de Charmes. Ainsi, les troupes fran�aises, descendant de Sarrebourg, se repliaient en combattant vers Gerb�viller. La bataille, dans cette r�gion, fui terrible. Pr�s de Crevic, tout fut br�l�, y compris la maison du g�n�ral Lyautey. Puis les troupes fran�aises continu�rent � se replier vers Rozelieures.

VIII
A GERBEVILLER

Une poign�e d'hommes permit la retraite du 8e corps en retenant une journ�e enti�re une brigade bavaroise ayant � sa t�te le g�n�ral Clauss.
Un d�tachement de 54 chasseurs alpins, command� par l'adjudant Ch�vre, un enfant du pays, re�oit l'ordre de tenir le plus longtemps possible, c'est-�-dire jusqu'� -la mort, les ponts de la Mortagne qui relient les deux parties du bourg de Gerb�viller.
Il est neuf heures du matin (24 ao�t).
L'adjudant, qui a pris sa lorgnette, inspecte l'horizon et dit � ses hommes :
- Les canons en batterie l�-haut, � Fraimbois, ne vont pas tarder � nous canarder.
Il avait � peine achev� sa phrase que les pi�ces concentrent leur tir sur le petit ravin o� les chasseurs se sont abrit�s, et une vol�e de balles claque sur les pierres en coups de fouet furieux.
- Dispersons-nous, commande l'adjudant, et harcelons l'ennemi. Nous avons deux gros sacs de cartouches que je cache ici. Vous enverrez un homme aux provisions � tour de r�le.
Ces 54 alpins firent des prodiges : cach�s tant�t � un endroit, tant�t � un autre, d'o� ils ex�cutaient des feux de salve meurtriers contre un ennemi qui n'arrivait pas � les surprendre, ils multipli�rent tellement leurs efforts h�ro�ques que les Bavarois subirent, en fin de compte, des pertes nombreuses et d'autant plus cruelles que nos terribles diables bleus n'�taient jamais o� l'on croyait les surprendre : ils avaient l'air d'�tre partout et -ils n'�taient nulle part, puisqu'on ne pouvait pas les atteindre.
Quand les chasseurs virent que les munitions commen�aient � s'�puiser, ils se repli�rent tous derri�re la barricade qu'ils avaient �tabli pr�s du pont qui est � l'entr�e du bourg. L�, ils arr�t�rent la marche des Allemands jusqu'� la nuit tombante. Derri�re des tas de pierres, accroupis ou couch�s � plat ventre, ils br�l�rent leurs derni�res cartouches ; puis ils se gliss�rent, sans �tre vus, derri�re les murs des jardins bordant la rivi�re et purent ainsi gagner la route de Rozelieures.
Ils avaient rempli leur mission. Toute une brigade allemande avait �t� tenue en respect par une cinquantaine de chasseurs, � pr�s de 15 kilom�tres en avant des cantonnements. La conduite admirable de cette petite troupe, que l'on e�t crue sacrifi�e, permit aux chefs de donner quelque repos au 8e corps, qui en avait tant besoin.
Quand les Bavarois, fous de rage, purent entrer dans Gerb�viller, ils mirent le feu aux maisons, se ruant sur les habitant qui tentaient de se sauver. Ils tiraient au hasard, par les fen�tres et par les soupiraux des caves. Les rues fuirent vite jonch�es de bouteilles et de barriques dont ils avaient vid� le contenu en poussant des hurlements d'ivrognes.
Un officier � cheval, suivi de quatre soldats, fonce sur une religieuse et lui dit :
- Vous avez dans votre maison des soldats cach�s avec des armes.
- Non, monsieur, r�pondit la soeur, nous avons seulement des soldats fran�ais, mais ils sont gravement bless�s ; entrez et vous les verrez.
Il descend alors de son cheval et, toujours suivi des soldats revolver au poing, lui-m�me tenant une petite ba�onnette - sorte de poignard - p�n�tre dans l'hospice.
Arriv� au lit, il jette brutalement les couvertures par terre et d�couvre un pauvre bless� qui agonise. Ses jambes sont envelopp�es d'ouate et le lit est plein de sang. Il lui dit avec des injures affreuses, en fran�ais :
- Les v�tres ont crev� les yeux de nos bless�s.
Le pauvre petit moribond tourne vers lui un regard presque �teint et ne r�pond pas.
Alors, plein de haine, il lui met son poignard tout pr�s de la gorge.
La religieuse se jette devant ce mis�rable en criant :
- Ici, c'est la maison du bon Dieu ; on ne fait de mal � personne.
Il se calme un peu et il continue � inspecter partout, dans le dortoir, dans le r�fectoire, jusque dans l'�plucherie.
A chaque lit. il arrache brusquement les couvertures, toujours escort� de ses soldats arm�s. Enfin, il dit :
- Madame, nous ne sommes pas des barbares, mais des civils ont tir� sur nous tout � l'heure.
- Non, monsieur, ce ne sont pas des civils, ce sont des soldats qui d�fendaient le pont. Si vous mettez chez -nous vos bless�s, ils seront sacr�s; nous les soignerons comme les n�tres, mais promettez-moi d'arr�ter les incendies.
Alors, il r�pondit un �� oui � de complaisance et il partit.
Bient�t la ville enti�re br�lait. Il �tait onze heures du soir; les d�bris enflamm�s tombaient partout dans les rues et l'odeur affreuse qui se r�pandait provenait de la chair grill�e des animaux surpris dans les �tables.
Les Allemands avaient pris quarante et un otages. On leur fit planter les pieux o� ils devaient �tre attach�s et ex�cut�s. On les laissa plusieurs jours dans une terrible incertitude pendant que les soldats les insultaient et leur disaient : �� Fran�ais, capout ! �

IX
JOURN�E DU 25

L'ordre est donn� : la 1re arm�e doit faire front et lutter sur place; la 2e arm�e, plac�e perpendiculairement � la 1re, doit tomber sur le flanc de l'ennemi s'il s'engage dans la r�gion des rivi�res au sud-ouest de Lun�ville.
D'une part, les Allemands cherchent � glisser vers leur objectif, qui est la trou�e de Charmes; d'autre part, les arm�es fran�aises prennent toutes mesures urgentes pour barrer la route � l'ennemi, le contre-attaquer et le mettre en �chec.
Plusieurs grands combats sont imminents.
Fran�ois Beaudoin est reparti avec ses hommes pour Dombasle. Il fume une petite pipe en bruy�re - un cadeau de Genevi�ve. Le temps est clair. Une brise � peine sensible frissonne dans les arbres verts au bord de petits cours d'eau qui murmurent en bousculant de menus cailloux. Dans l'air dor�, des oiseaux chantent. La vie appara�t avec des douceurs ignor�es jusqu'alors et le jeune lieutenant a le coeur plein de r�ves de tendresse, mais, par une pression violente de sa volont�, il chasse toutes pens�es amollissantes; en face de lui se dresse le terrible g�ant ; la guerre.
Le canon tonne sans discontinuer. Un fourrier arrive vers lui en courant et lui apporte l'ordre de se placer avec sa section sur une petite cr�te abrit�e par un verger. Des Allemands doivent �tre dans le bois voisin et sa mission est de renseigner le colonel sur le nombre et la position exacte des ennemis.
Baudoin n'h�site pas � utiliser les chiens de guerre.
Les cinq chiens du bataillon se placent en demi-cercle autour d'un caporal. Leur ma�tre leur pr�sente des b�rets et des casquettes allemandes qu'ils flairent. On leur met � chacun un manteau de foug�res et de branches d'arbres. La t�te elle-m�me est couverte de verdure. Seuls, la gueule et les yeux sont libres.
- Allez ! commande le caporal.
Nique part le premier, Lutin le second, puis Tambour, Tobie et Pilou.
On les voit d'abord gagner la vall�e au galop et ils entrent dans le bois.
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Une demi-heure apr�s, Tobie et Lutin reviennent avec un calot de fantassin, Pilou rapporte le casque d'un colonel, Tambour une coiffure d'artilleur. Quant � Nique, il tient entre ses dents un k�pi fran�ais ensanglant�.
Beaudoin traduit ainsi le r�sultat de cette reconnaissance :
- Il y a un r�giment entier d'infanterie ennemie dans le bois, car voici le casque de celui qui le commande. Enfin, un soldat fran�ais est bless�. Nique y conduira le service de sant�.
En position derri�re nous, nos 75 lancent un ouragan de fer. Un quart d'heure se passe et un taube avant survol� nos positions, les boches se mettent � tirer sur la batterie qu'ils croient avoir rep�r�e. Les obus de tous calibres pleuvent; mais, plus ils tirent, plus nos 75 r�pondent. Nos fantassins se couchent d'abord, le nez dans la terre qui tremble, pour laisser passer cette gr�le de mitraille, puis ils prennent une vigoureuse offensive. Le r�giment auquel appartient Beaudoin forme autour du bois un cercle qui va toujours se resserrant; bient�t les boches qui n'ont pas �t� bless�s, apr�s une r�sistance opini�tre, finissent par se rendre, car ils sont compl�tement encercl�s.
Ce qui divertit fortement nos troupiers, c'est la vue d'un officier allemand, gros, gras, la figure apoplectique et qui, sans cesse, porte la main � son cr�ne d�nud� : c'est le colonel dont un de nos bons chiens a ravi la coiffure.
En regagnant leurs positions, les soldats virent un cheval qui n'avait plus que la peau et les os. Cette pauvre b�te r�dait, lamentable, autour du petit bois, mangeant des feuilles de ch�ne, car l'herbe �tait rare en cet endroit. Elle portait, suspendu � l'encolure, un �criteau sur lequel les boches avaient �crit : �� Soldats fran�ais, rendez-vous ! l'arm�e fran�aise a �t� �cras�e dans le Nord. Le g�n�ral Joffre est mort. Paris s'est rendu. En France, on meurt de faim. �
Ce fut un grand �clat de rire parmi nos poilus.
Retournant l'�criteau, un loustic r�pondit : �� Nous avons du poulet, du vin de Champagne, de la confiture, du tabac et... des pruneaux � vous envoyer. Nous vous invitons � un repas pantagru�lique. Demain, apr�s-demain et jours suivants, grands d�jeuners � la fourchette. �
Maintenant la nuit tombe, le soleil couchant allonge les ombres des arbres; la vall�e est toute baign�e dans les rayons jaunes du cr�puscule, mais le long des chemins et des sentiers, au bord des ruisseaux, gisent des cadavres qui semblent s'�tre couch�s sur le dos ou sur le c�t� pour mieux dormir. Quelques-uns ont l'air de fixer une premi�re �toile qui s'allume au firmament; � c�t� d'eux s'�tale une petite mare de sang et Beaudoin pense � toutes les m�res qui, ne recevant pas la lettre tant attendue, pleureront � jamais le fils qu'elles ont berc� dans leurs bras.
Mais l'heure n'est pas aux r�veries douloureuses. L'homme d'action en a l'�me � peine effleur�e. Il faut lutter! Il faut vaincre ! Or, nos arm�es reform�es sont capables de livrer bataille sur le terrain qu'elles occupent. En aucun cas, le mouvement de repli ne sera pouss� plus loin. Des ordres sont donn�s : une offensive violente sera lanc�e sur les hauteurs du Grand-Couronn� et sur les positions occup�es par les 15e et 16e corps.
Cette offensive a pour but, soit d'arr�ter l'ennemi, au cas o� il marcherait sur Nancy, soit � le prendre de flanc s'il porte son effort vers la trou�e de Charmes.
D'une fa�on comme de l'autre, le r�le de nos troupes est nettement d�fini : il s'agit de retenir les forces allemandes, de les emp�cher de passer la Moselle, soit en direction de Verdun, soit en direction de Toul, et de tenir ferme pour qu'elles ne puissent prendre � revers les arm�es fran�aises qui battent en retraite vers le sud et qui bient�t vont livrer la grande bataille entre Verdun et Paris.

X
LE G�N�RAL DE CASTELNAU A SON PLAN

De m�me que von Kluck n�gligera Paris pour aller vers le sud, une reconnaissance d'avions nous signale que les forces allemandes ne se portent pas vers Nancy.
C'est ce qu'avait pr�vu le g�n�ral de Castelnau. Tous les renseignements concordent : l'arm�e ennemie, laissant de c�t� le chef-lieu de la Meurthe-et-Moselle, se pr�cipite en masse vers le sud-ouest : la route qu'elle suit indique nettement son objectif : c'est Rozelieures et la trou�e de Charmes.
Ainsi l'arm�e allemande se jette t�te baiss�e dans le pi�ge.
Les colonnes ennemies viennent de partout, de Damelevi�res, de Mont, de Lun�ville. Elles se r�unissent autour de la route de Lun�ville � Bayon, se croyant d�j� ma�tresses des passages, mais l'offensive que l'ennemi n'a pas pr�vue s'est d�velopp�e sur son flanc et m�me sur -ses derri�res.
Le prince de Bavi�re croyait �videmment qu'il suffisait de mous devancer sur nos lignes de communication.
Mais le g�n�ral de Castelnau avait aussi son plan.
D�s l'aube du 24 ao�t, l'attaque ennemie se dessine contre notre 3e corps, que l'artillerie allemande crible de ses rafales furieuses, tandis que l'infanterie cherche � franchir les hauteurs au sud-ouest de Remenoville et aux approches de Rozelieures, afin de percer entre Chatel, Charmes et Bayon.
Le g�n�ral de Castelnau conforme ses ordres � cette situation et commande aux 15e et 16e corps de se porter en avant; quant aux d�tachements qui se trouvent dans la r�gion de Borville, ils doivent presser leur marche au-devant de l'ennemi. Le 8e corps va attaquer maintenant vers le nord, tandis que le 16e corps, renforc�, attaquera vers l'est (Einvaux, Franconville).
Cette manoeuvre admirable - qui fut parfaitement ex�cut�e - fait le plus grand honneur au g�n�ral de Castelnau.
Parmi les �pisodes qui la marqu�rent, la prise de Lamath, petit village sur -la rive gauche de la Mortagne, fut particuli�rement dure. Le 6e bataillon de chasseurs s'y distingua.
Cependant, malgr� des prodiges de courage, le r�giment de gauche du 8e corps, qui supporte tout le poids de l'offensive ennemie, est repouss� de Rozelieures. Le 8e corps va-t-il �tre forc� � la retraite? L'entr�e de la trou�e va-t-elle se trouver ainsi d�couverte? Non point. Le g�n�ral de Castelnau a gard� des forces disponibles. D'un magnifique �lan, le 2e bataillon de chasseurs, appuy� sur les lisi�res par des escadrons � pied du corps de cavalerie et des fantassins, reprend � la ba�onnette le bois de Lalau, qui commande Rozelieures, et s'y maintient jusqu'au soir, malgr� des pertes s�v�res, tandis qu'� l'ouest le 16e corps attaque de flanc. Cette action vigoureuse bouche le vide qui tend l� se produire entre le piton de Borville et les hauteurs de Rozelieures.
Pour s'emparer de ce bois de Lalau, situ� sur une hauteur, il fallut un mordant terrible.
Les mitrailleuses, cach�es derri�re les arbres, font entendre leur tac-tac-tac �motionnant. On dirait le bruit monotone du grand moulin de la mort. Beaucoup d'hommes couch�s ont le cr�ne bris� ou les mains coup�es. Il faut faire vite ! Allez-y, les gars, et vive la France ! Canons, mitrailleuses, grenades, fusils sont au travail. L'atmosph�re de la colonne bourdonne et bruit comme celle d'une usine m�tallurgique. Nos hommes ont mis ba�onnette au canon. Beaudoin dit au clairon :
- Sonne la polka, sonne le tango, sonne la valse, sonne la mazurka, sonne le tremblement, sonne tout ce que tu voudras, mais ne sonne pas la retraite...
Le tintamarre cr�pitant des balles continue. Pourquoi ce petit chasseur a-t-il, soudain, une �paulette de sang sur sa veste bleue? Les soldats bondissent et rivalisent d'ardeur. Les commandements s'entre-croisent. Beaudoin apprend que son capitaine, papa Lagadec (ainsi que l'appellent famili�rement ses soldats), est mortellement bless�.
Mais-on n'a pas le temps de s'attarder aux regrets.
On se battit terriblement pendant les journ�es du 24 et du 25 ao�t.
Gr�ce � la formidable �nergie d�ploy�e par nos troupes, le g�n�ral de Castelnau put t�l�graphier de Pont-SaintVincent, le 25, � 15 heures : �� En avant partout, � fond. �
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Ordre admirable qui r�v�le le coup d'oeil et la d�cision d'un grand chef.
L'arm�e tout enti�re s'�branle
La bataille qui se livra dans la soir�e du 25 et dans la nuit du 25 au 26 fut une des plus fertiles en actes d'h�ro�sme.
Le colonel et le lieutenant-colonel d'un r�giment avaient �t� tu�s.
Le g�n�ral de brigade donna alors des instructions � un commandant, tout jeune, rayonnant de sant�, de force et de courage qui avait pris Aa t�te du r�giment.
- Mais prenez garde, deux colonels ont d�j� �t� tu�s.
- Je serai le troisi�me, r�pondit le commandant en souriant : jamais deux sans trois.
Au m�me instant, un obus �clate et le d�capite. Il avait command� nominalement dix minutes son r�giment.
Un autre colonel part � la t�te de quelques hommes; un obus �clate encore, blesse six hommes et atteint le colonel, qui meurt quelques heures apr�s en disant au g�n�ral :
- Je n'ai pu accomplir ma mission. Pardonnez-moi !
Le lieutenant Beaudoin, durant cette terrible journ�e, et ses hommes, et toute l'arm�e fran�aise, non, la France enti�re - car ces soldats sont, pour la plupart, des civils d�racin�s - tous ont �t� sublimes de courage et d'esprit de sacrifice.
A un moment donn�, il s'agit de d�loger les Allemands d'un petit bois d'o� ils commencent � nous asperger.
Des ordres se colportent de bouche en bouche.
On se met en marche.
- Y a du bon, mes enfants! crie le commandant. Vous allez bien marcher, hein ?
Quelques balles viennent, �� et l�, s'enfoncer dans la terre br�l�e par le soleil et font voler de petites volutes de fum�e.
Brusquement, de sombres flammes s'�lancent et frappent l'air de d�tonations �pouvantables; des fusants sortent du ciel, des explosifs sortent de terre. Des hommes courent dans de grands flots de fum�e; des crat�res s'ouvrent; des rafales se d�cha�nent. La stridence des �clats d�chire Les oreilles, frappe sur la nuque, traverse les tempes. Une odeur de soufre br�l�, de laine chaude et de sang soul�ve le coeur. La vue est obstru�e par une avalanche fulgurante. C'est le barrage. Il faut passer dans cet enfer. On se h�te. On entrevoit comme dans un cauchemar des hommes qui tombent la face en avant, pareils � des statues de pierre; d'autres qui s'asseoient pour ne plus se relever. Les uns ont l'immobilit� des choses, d'autres sont agit�s de tremblements convulsifs Mais on continue � crier : �� En avant en avant! � chacun prend le pas de course en �vitant les bless�s qui crient, se d�battent ou bien s'accrochent aux soldats valides qui ont autre chose � faire qu'� plaindre et � secourir les camarades. D'aucuns r�pliquent durement : �� Fiche-nous la paix ! � ou bien : �� Les brancardiers vont venir te porter au poste de secours. �
Mails, devant nos soldats, l'ennemi reflue, dispara�t derri�re un tourbillon de fum�e.
Puis, sans bien s'expliquer pourquoi, on sent que c'est fini. Plus de r�sistance. Un vide, un grand vide. On souffle un instant et l'on se regarde.
- Tu n'es pas amoch�?
- Non, et toi?
Moi non plus Aujourd'hui, y a bon.
Chacun a le visage enflamm�, rouge de fi�vre et ruisselant de sueur. On est l� p�le-m�le. On hal�te, puis l'exaltation s'apaise. Il ne reste plus qu'une infinie fatigue.

XI
A L'AUBE DU 26 AOUT

La plupart des Villages qui se pressent au pied du Grand-Couronn� �taient r�occup�s par nos troupes.
Quand nous entr�mes dans Remenoville, que les Allemands furent oblig�s d'�vacuer, les maisons br�laient; on pi�tinaient litt�ralement les cadavres des Bavarois et des Fran�ais. Le petit ruisseau qui va se jeter dans la Mortagne �tait couleur de pourpre.
Aussit�t la fi�vre de la bataille tomb�e, les hommes ont faim.
- Qu'est-ce qu'il y a � becqueter? demande un poilu.
- Des fayots � l'huile, et puis de la bidoche.
- C'est pas du cataplasme, au moins? fait un soldat en soulevant le couvercle de la marmite.
- Et dans ce seau-l�, e'est-y du pinard, du bon?
- Mets tes lunettes si tu ne vois pas clair.
Puis les poilus ��ne disent plus rien, tout entiers occup�s � avaler.
Plus tard, quand la nuit tombe, chacun s'installe du mieux qu'il peut pour dormir. Derri�re les armes rang�es en faisceaux, des monceaux de corps inanim�s se d�tachent en masses noires sur les fronts de bandi�re. �� et l� apparaissent des sentinelles qui semblent des fant�mes veillant sur les morts. Spectacle � la fois majestueux et sinistre. Le calme qui r�gne n'est troubl� que par les plaintes des bless�s que l'on �vacue vers les postes de secours ou par les hennissements des chevaux et des mulets estropi�s errant � l'aventure.
Le lendemain 3 septembre, nous apprenons que les Allemands, venus de l'est, occupent Pont-�-Mousson; le lendemain, que le kronprinz, arriv� par le nord, a enlev� le fort de Mousson.
Le peloton du lieutenant Beaudoin est en t�te du r�giment, qui se porte sur la colline d'Amance.
Nos troupes sont ext�nu�es... On marche de nuit : la lune brille dans un ciel tr�s pur o� tremblent les essaims d'�toiles que l'on a regard�es par des soirs d'amour ou de beaux r�ves. On fait halte, assis sur le revers des foss�s.
Puis on reprend le pas de route dans la nuit pleine d'astres, �clair�e encore par les fus�es lanc�es par les boches.
Tout � coup, le bruit se confirme que les troupes prussiennes ont l'ordre de prendre Nancy. Guillaume II est impatient de fouler sous les sabots de son cheval d'armes la capitale de la Lorraine.
En effet, les arm�es allemandes descendent les versants de la Seille, qui se couvrent d'uniformes gris si nombreux qu'on dirait une invasion de mulots; traversent la rivi�re par les ponts de Chambley, Moncel, Brin et Bioncourt, puis remontent l'autre versant. Sur les cr�tes de Doncourt, de Bourthecourt et de Rozebois, elles �tablissent leurs batteries..
Nous ripostons avec �nergie; mais d�j� le feu des obus ennemis dirig� contre Amance et ses environs a mis le feu aux villages de Laitre, de Bouxi�res-aux-Ch�nes et de Fleur-Fontaine. Les clochers des �glises et les maisons s'�croulent comme ces jouets de carton sur lesquels des enfants font partir leurs petits calons de cuivre. Des incendies s'allument sous le vent de la mitraille.
Cependant, nos admirables 75 font des vides �normes dans les rangs allemands. Mais � mesure que des br�ches se forment dans la formidable muraille humaine qui s'avance, d'autres troupes accourent, sans souci des cadavres qui s'amoncellent.
C'est une avalanche qui roule et qui grossit sans cesse; elle est � la fois si compacte et si puissante qu'il semble qu'aucune force humaine n'est capable de l'arr�ter. Les soldats tombent, la terre est rouge de sang, mais l'avalanche continue sa course que rien n'arr�te et va tout �craser.
Le chant grave du Deutschland �ber alles, entonn� comme un psaume fun�bre par tous ces milliers d'hommes qui ont fait le sacrifice de leur vie, monte vers le ciel, emplit l'espace, se m�le � la voix des canons. Ces soldats savent que leur empereur est sur un monticule d'o� il les observe, qu'il est impatient de vaincre. Alors, dans un effort de plus en plus violent, ils concentrent tous leurs efforts sur Amance.
- Allons! s'�crient les Allemands, Amance est � nous, ou il le sera bient�t.
Les chefs ordonnent que la route de Nancy soit ouverte avant la nuit, car Guillaume II a d�cid� de faire le jour m�me une entr�e triomphale dans la vieille cit� lorraine.
Le kaiser, v�tu de blanc, mont� sur son grand cheval de bataille et entour� de dix mille cavaliers de sa garde, se trouve dans le bois de Morel, et � chaque instant il envoie des ordres de plus en plus pressants. Il faut en finir une fois pour toutes.
 
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- Ce soir, messieurs, dit-il aux officiers qui l'entourant, nous d�nerons � Nancy, � l'h�tel de la pr�fecture.
Nos chefs, dont les troupes sont inf�rieures en nombre, ont-ils gard� l'espoir de r�sister � l'�lan de l'adversaire? Oui ! car les g�n�raux fran�ais savent que la confiance et l'audace sont les pierres angulaires de tout succ�s.
Il faut � tout prix tenir jusqu'� l'arriv�e de renforts.
- Si nous nous maintenons tout le jour, dit le g�n�ral Ferry, nous aurons fait un miracle.
Le miracle se r�alise.
La douceur du cr�puscule a remplac� l'�clat du soleil d'�t�. Nous tenons bon devant l'avalanche qui, en certains points, se disloque sous le feu de nos 75. Bient�t arrive la nuit; on se bat toujours; �� et l� des villages br�lent.
Un rayon d'espoir luit dans l'�me fran�aise.
Le lendemain, les efforts allemands redoublent d'intensit�; l'ennemi s'acharne et il est plus nombreux, plus mordant. Apr�s un tir bien r�gl�, V�laine, qui est la clef du d�fil� entre les deux monts d'Amance, succombe et les Allemands envahissent le d�fil� avec la rapidit� d'un torrent dont on aurait ouvert les digues.
- Nous sommes perdus, pensent les plus optimistes.
Soudain, les renforts sut lesquels nous ne comptions pas encore arrivent. Cette bonne nouvelle �lectrise les hommes, va porter un surcro�t de courage jusqu'� la premi�re ligne des tirailleurs. Derri�re l'infanterie, vivement engag�e, le canon fran�ais, cette fois, tonne sans arr�t; nos 75 font merveille et nos fantassins voient devant eux des champs entiers de casques � pointe couch�s comme des �pis sous la faux du moissonneur.
La mitraille passe en sifflant comme un vent d'�quinoxe. Les clairons sonnent. Les officiers donnent des ordres nets. Une fi�vre de triomphe anime les �mes. Un vieux chasseur � barbiche blanche interpelle Beaudoin :
- Je crois, mon capitaine, que, cette fois, les hoches prennent quelque chose pour leur rhume.
Le fait est que le ciel et la terre sont d�chir�s de bruit. C'est partout le crachement effroyable d'un volcan, cependant que le tic-tac d'un moulin � caf� s'impose au milieu de ce vacarme d'enfer.
Guillaume II a ordonn� de faire donner les r�serves. Alors, tout un corps d'arm�e s'avance, pareil � un immense ruban gris, vers les ponts de la Moselle.
Mais nos batteries d'artillerie, nos fantassins, admirablement post�s sur les hauteurs, effectuent un tir si pr�cis, si meurtrier, que l'ennemi n'arrive pas � franchir la rivi�re.
Cependant les Allemands n'abandonnent pas la partie. Ils luttent avec une �nergie farouche et, pendant des heures, c'est un effroyable combat. L'air, travers� par le sifflement des balles, par des obus, semble secou� par un vent de folie.
Mais voil� que la temp�te s'apaise : l'avalanche allemande oscille, s'arr�te, puis recule: maintenant, elle court, bat en retraite, cependant que les dix mille cavaliers de la garde imp�riale galopent vers Metz � bride abattue.
La victoire si pr�somptueusement escompt�e la veille par les Allemands, s'�tait chang�e en d�route.
Avant le coucher du soleil (11 septembre), les ann�es fran�aises �taient victorieuses.

XII
BLESS�

Nous poursuivons les fuyards. Nos 75 cr�pitent sans arr�t. Les obus fendent l'air au-dessus de la t�te des fantassins et voit �clater au milieu des boches. Un bruit diabolique fait trembler toute la campagne. Une temp�te de battements rauques, de clameurs furibondes, de cris per�ants de b�tes, s'acharnent sur la terre o� tra�nent des loques de fum�e. Beaudoin grimpe une colline en t�te de sa section. Il commande :
- Feu � volont�!
Tout le monde est plein d'�nergie; une excitation anime les nerfs. Les boches sont devant l'officier � 50 m�tres. Il s'arr�te un instant pour donner un ordre. Soudain il �prouve un double sentiment, il veut repartir, et il a l'impression d'�tre clou� sur place. Est-il touch�? Un engourdissement dans le c�t� droit le paralyse. Sa respiration est longue � venir; tout � coup, une cascade de sang s'�chappe de la manche de sa vareuse; son bras droit est lourd comme du plomb; la terre dispara�t sous ses jambes : il tombe � genoux, il veut crier : impossible ! impossible aussi de faire un mouvement. Un caporal se pr�cipite, d�fait la vareuse; enl�ve la chemise : au-dessus du sein droit est un petit trou d'o� s'�chappe le sang; le poumon est travers�, la balle est ressortie sous l'omoplate.
Beaudoin a soif..., le caporal lui tend un flacon de gnolle; il en vide la moiti�; son k�pi est � terre, il appuie la t�te sur ce k�pi et aussit�t il se sent bien.
Un soldat s'�lance, prend l'officier sur son dos et descend la c�te rapidement. Chaque mouvement qu'il fait active l'h�morragie, la faiblesse du bless� s'accentue et sa blessure devient si douloureuse qu'il supplie le porteur de le laisser tranquille; alors celui-ci le pose � terre, puis, avec l'aide du caporal, s'occupe � confectionner un brancard avec deux fusils et une toile de tente; ils l'installent dessus, mais la toile s'est d�tach�e et le bless� roule � terre. Le soldat n'h�site pas � reprendre sur ses �paules, et le voil� parti � la recherche d'un poste de secours. Affal� sur lui, Beaudoin �prouve un instant de soulagement, puis il voit des personnes autour de lui, il est dans une chambre que le soleil �claire. Pourtant rien de tout cela n'est vrai; le soleil s'est couch� ; c'est son cerveau qui commence � battre la breloque... Beaudoin reprend ses sens.
- je vais vous donner � boire, dit le soldat qui d�posa son officier sur une butte de terre.
La nuit tombe. A l'horizon se d�tachent les silhouettes de voitures cass�es, d'arbres d�pouill�s par la mitraille.
Enfin, voici des brancardiers. L'officier s'abandonne au balancement de leur marche; il n'a plus conscience de ce qui se passe autour de lui.

XIII
AU CHEVET DU BLESS�

Le lieutenant Beaudoin est � Nancy, � l'h�pital. II est encore bien faible, mais la gu�rison fait de rapides progr�s.
Pour l'instant, il dort.
A son chevet se penche une dame de la Croix-Rouge et, comme si le bon regard pos� sur le bless� avait eu une influence sur son sommeil l�ger, Beaudoin ouvre doucement les yeux.
- Voulez-vous boire un peu de limonade? demande la gracieuse infirmi�re.
- Je vous remercie, madame; j'accepte par pure gourmandise, car maintenant la soif qui me d�vorait est bien �teinte. Mais quelle heure est-il donc? N'est-ce pas le jour de la visite des parents? L'attente va me para�tre longue.
- C'est moi qui attends, fait Genevi�ve en se levant soudain de la chaise o� elle �tait assise. Voil� pr�s d'urne demi-heure que je guette votre r�veil. Vous dormiez d'un sommeil d'enfant.
- Oh! mon amie, d�j� vous ! C'est mon r�ve qui continue. Donnez-moi vite la main afin que je ne doute pas de la r�alit�. Elle est br�lante, votre main. Seriez-vous malade ? interrogea-t-il avec anxi�t�.
- J'�tais si �mue en arrivant tout � l'heure. Je redoutais une rechute, j'�tais stupide. Et voil� qu'au contraire le m�decin m'a annonc� que vous �tiez en si bonne voie de gu�rison que, d�s la semaine prochaine, vous serez autoris� � sortir en ville, avec moi, bien entendu.
- Et nous ferons la d�nette ensemble?
- Oui, si vous promettez d'�tre raisonnable.
- Je promets... Approchez-vous, Genevi�ve... encore, davantage.
Et Fran�ois, ayant pos� un baiser sur la joue fra�che de la jeune fille, murmure � son oreille : - Quand le bonheur passe, mon amie, que faut-il faire?
- Il faut le saisir bien vite.
- Alors, nous nous marierons dans quinze jours, si toutefois vous n'avez pas chang� d'avis d'ici l�, demande-t-il malicieusement.
- Qui sait ? Les femmes sont si volages !
Elle se met � rire. Puis, devenue soudain s�rieuse, elle reprend :
- Vrai, bien vrai, vous voulez bien de moi pour votre petite femme?
Il fit : oui, des yeux.
Alors, le coeur de Genevi�ve, trop gonfl� de bonheurs, �clata en sanglots.

FIN

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