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Les vieux Ch�teaux de la Vesouze
Emile AMBROISE
Le Pays Lorrain -
1909
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Chapitre XV
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L'�tude d'Emile AMBROISE a
�t� publi�e par "Le Pays Lorrain", r�partie
en 15 parties, sur les ann�es 1908 et 1909. Si les dix-huit chapitres du texte ne concernent pas uniquement
Bl�mont, nous
avons cependant choisi d'en reprendre ici l'int�gralit�.
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renum�rot�es et plac�es en fin de ce document.
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CHAPITRE XV
LES PARTAGES DU COMT� DE SALM. - LES GUERRES DE RELIGION.-.
LES REITRES. - BADONVILLER ET LE PRINCE DE VAUD�MONT. - PIERRE FOURIER A BADONVILLER.
D'autres raisons encore entrav�rent le d�veloppement de cette contr�e du comt� de Salm.
L'indivision, surtout celle des terres et des ch�teaux de Salm et Pierre-Perc�e, berceau de la race, resta de tradition constante dans cette famille.
En d�pit des difficult�s multiples qu'elle engendrait, elle fut maintenue dans tous les partages qui eurent lieu du XIVe au XVIe si�cle. - Chaque Rhingrave de Salm voulait, par la possession de ces ch�teaux, retenir le droit d'en conserver le titre s�culaire, tout en emp�chant les autres de se l'attribuer exclusivement. - De l� l'abandon o� tomb�rent Salm et Pierre-Perc�e, et l'influence qu'y prirent en fait les seigneurs de Bl�mont et apr�s eux, les ducs de Lorraine.
Cette indivision, entrave insurmontable � tout progr�s dans les institutions locales, cause permanente de g�ne, de vexations et de mis�res pour les populations, avait fini par cr�er dans le domaine des Rhingraves les complications les plus curieuses.
La seigneurie d'Og�viller leur appartenait � tous en commun pour un quart; pour un autre quart � l'une des branches, seulement. Le reste �tait pass� � des �trangers
(1).
Le domaine de Pulligny sur le Madon, se partageait par sixi�mes, dont le premier �tait a eux. Ils avaient trois quarts du second, moiti� du troisi�me, ainsi
que du quatri�me et un tiers du sixi�me. Mais le cinqui�me sixi�me se subdivisait en six parts dont l'une �tait partag�e en deux, et un autre en sept
(2).
F�n�trange formait quatre seigneuries distinctes, l'une commune aux quatre seigneurs, une autre (Geroldseck) dans laquelle les Rhingraves n'avaient rien; deux autres (Col de Cygne et T�te de Brac) o� ils n'avaient que des parts
(3).
Il fallait n�gociations continuelles, des protocoles, rec�s et pactes de famille pour maintenir entre les comparsonniers d'un m�me ch�teau une paix toujours pr�caire. Ce r�gime de jalousie a entra�n� la ruine pr�matur�e de beaucoup de ces forteresses f�odales, entre autres du ch�teau de Lutzelbourg. Parmi ses nombreux copropri�taires, se trouvait au XVIe si�cle un seigneur pillard demeur� c�l�bre, Franz de. Sickingen, qui fut longtemps la terreur de ses voisins, Ceux-ci, ligu�s entre eux pour en finir avec lui, attaqu�rent Lutzelbourg � l'improviste (1525). Le gardien intimid� le leur livra sans r�sistance. Ils l'incendi�rent, le ras�rent, et c'est depuis lors qu'il n'en reste plus que la ruine pittoresque connue de tous les touristes
(4).
Dans la famille de Salm on fit � diverses reprises des efforts pour conjurer les discussions intestines qu'un pareil r�gime entretenait in�vitablement. En 1545, sur l'initiative du doyen ou senior de la famille, on avait r�ussi � �laborer un pacte de famille, aux termes duquel tous les Rhingraves s'engageaient � doter leurs filles en argent ou en rentes, afin d'emp�cher l'intrusion des �trangers dans leurs seigneuries et ch�teaux. Mais ces arrangements n'affect�rent jamais les terres de Salm et de Pierre-Perc�e. Lors d'un partage d�finitif qui s'en fit en 1598, on consacra au contraire un enchev�trement presque inconcevable
(5).
Badonviller fut mi-partie, c'est-�-dire partag� maison par maison.
Le Rhingrave, par exemple, eut ���la boutique d'Isaac Geoffroy, la maison de Paulus, de Namur, de Jean Dubois �, et ainsi de suite pour les soixante-quatre maisons mises dans son lot. Les rues, les chemins, la maison du cur� et celle du pasteur, l'auditoire, l'arche des titres, les prisons, les halles, les portes de la ville demeur�rent en commun ; mais le faubourg d'Allemagne �chut en entier au Rhingrave et le-faubourg de France en entier au comte.
L'abbaye de Haute-Seille demeura indivise; le ���cri de la f�te � y �tait fait pat les officiers des deux seigneurs. Mais Couvay et Ancerviller furent mi-partie, et Halloville indivis. Chacun eut sa part d�termin�e dans le ch�teau de Pierre-Perc�e et sept des quatorze maisons du village,
���en m�me droit et authorit� que du pass� �. Le droit lucratif de convoyer les voyageurs au col du Donon
dut s'exercer alternativement de six mois en six mois. Mais Sainte-P�le et Fenneviller �churent en entier au comte, sauf le moulin qui demeura indivis. Quant au droit de chasse dont les seigneurs f�odaux se montraient si jaloux, chacun dut se r�signer � ne l'exercer que sur ses terres et non
���sur celles du seigneur comparsonnier �. Il y avait 77.000 arpents de for�ts dont une partie a conserv� jusqu'� ce jour le nom de Bois sauvages
(6).
Et tout dans ce partage est minutieusement d�crit et d�limit�, notamment le Donon
���pour la singularit� bruit et renom d'iceluy, �lev� qu'il est par dessus tous les autres monts du comt�. �
Nulle. part, dans ces combinaisons o� les calculs de l'int�r�t personnel sont si �prement d�battus, n'appara�t le moindre souci de la condition du peuple. Il eut �t� trop difficile d'arriver � une entente durable des coseigneurs, en faveur de quelque all�gement des charges f�odales.
On ne trouve de chartes d'affranchissement que dans quelques rares localit�s comme Morhange o� le hasard ayant r�uni tout le domaine aux mains d'un seigneur unique; il avait pu s'inspirer du sentiment de son int�r�t bien compris, pour doter ses sujets de quelques institutions lib�rales
(7).
LES GUERRES DE RELIGION
Les Comtes de Salm, sont aussi responsables, en grande partie, des maux que les luttes religieuses ont caus�s � leur pays.
Au commencement du XVIe si�cle, la Lorraine n'inclinait nullement aux doctrines de Luther. Elle applaudissait bruyamment au massacre de Scherviller, par lequel le bon duc Antoine, apr�s avoir refoul� en Alsace les bandes de paysans insurg�s, les avait d�finitivement an�anties.
���M�chants Luth�riens mauldis,
Ne cour�s plus sur le pays
Du bon duc de Lorraine:
Retournez d'ou estes partis. �
chantait-on, apr�s cette sanglante victoire ; la po�sie populaire donnait m�me des conseils aux Fran�ais qui avaient aid� les Lorrains � exterminer la secte :
���O bons Fran�ais ne faites pas
Courser vostr� Dieu pour ce cas.
Car c'est chose vilaine.
Prenez autre part vos esbas
Sans point chercher ne hault ne bas
L'erreur luth�rienne (8).
L'impitoyable �nergie des ducs r�ussit d'abord � maintenir l'unit� de croyances par la s�v�rit� des ordonnances rendues contre les h�r�tiques.
Celle de 1523, du duc Antoine, portait d�fense de ���prescher des faits et gestes de Luther, de tenir ni lire ses livre, sous peine de confiscation de corps et de biens �
(9). En juin 1525, le duc faisait enlever � Saint-Hippolite un cur� nomm� Schuch qui y pr�chait l'h�r�sie, et le malheureux �tait br�l� vif � Nancy (10).
Mais les doctrines nouvelles, n'en p�n�traient pas moins en Lorraine, par les nombreuses enclaves du pays Messin, o� elles �taient moins s�v�rement proscrites. D�s 1525, Jean Chapelain, moine augustin, pr�chait � Vic
���r�confortant les pauvres gens et censurant les vices du clerg� � et son ex�cution par le feu, qu'il avait subie sans d�faillance en s'�criant
���J�sus me soit en aide � avait soulev� dans l� contr�e une �motion consid�rable (11).
Le caract�re d�mocratique de ce mouvement religieux s�duisait bient�t les gouvernants de la r�publique messine, et ils autorisaient en 1541 la c�l�bration du culte r�form� dans leur ville.
Interdites aussit�t par Charles-Quint, les manifestations publiques se changeaient en conciliabules secrets, et les pr�dicateurs, au nombre desquels on cite un moine du couvent des carmes de Baccarat, n'eu p�n�tr�rent pas moins dans la ville.
Sous la pression des circonstances, le gouverneur fran�ais de Metz accordait m�me aux r�form�s la permission d'avoir un temple et deux pasteurs, concession que le roi retirait d'ailleurs l'ann�e suivante (1559) (12).
Au contraire, dans la Lorraine allemande, le mouvement r�formateur se propageait sans entraves. Les petits seigneurs de ce pays, trouvant dans l'agitation populaire un appui dans leur lutte contre l'Empire, l'encourag�rent, s'en servirent pour satisfaire leurs convoitises, et en profit�rent pour saisir les biens d'�glise et piller les couvents.
On ne peut nier, que les Rhingraves de Salm aient adopt� cette politique �quivoque.
Philippe-Fran�ois embrasse la r�forme vers 1545, son fils a�n� Fr�d�ric, soul�ve les paysans du Val de Senones contre les b�n�dictins de l'Abbaye qui
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LE CHATEAU DE CHATILLON
sont contraints de s'enfuir � Deneuvre (13). Son second fils, Jean-Philippe, qui abat les pannonceaux de Lorraine, signe de la sauvegarde promise par le duc aux religieux, est celui-auquel une tradition persistante impute l'incendie et la ruine de l'abbaye de Saint-Sauveur (14). Paul de Salm, dissipe les biens du chapitre de F�n�trange (15), et Jean IX, bien que rest� catholique, ne fait rien pour emp�cher la cr�ation � Badonviller d'un centre d'agitation et de propagande religieuse.
Un temple y est ouvert, d�s 1555, o� le culte est c�l�br� r�guli�rement, et l'on n'y dit plus la messe qu'� P�ques pour quelques catholiques.
Les lorrains attach�s aux dogmes nouveaux, y viennent en cachette. - On y tient un registre des bapt�mes conf�r�s suivant le rite interdit, et ce document retrouv� et conserv� � la mairie de Sainte-Marie-aux-Mines, �claire d'un jour curieux l'�tat des esprits en Lorraine, � cette �poque troubl�e (16).
Il nous r�v�le en effet, qu'en d�pit des d�fenses et des supplices, la R�forme avait gagn� des partisans jusqu'au sein des plus illustres parmi les familles de l'ancienne, chevalerie.
On y voit mentionn� le bapt�me en 1569, d'une fille du seigneur de Haraucourt (17), et en 1574, celui de Phoeb�, fille d'Antoine du Chastelet (18).
On sait enfin qu'en 1580, Claude, fils du po�te des Mazures, jadis prot�g� du duc Charles III, puis proscrit pour ses opinions religieuses y exer�ait les fonctions de pasteur (19).
Des Mazures avait �t� l'un des plus actifs propagateurs des doctrines luth�riennes � Saint-Nicolas.
Il y avait fait venir un pr�dicant de Metz en 1562, et c'est pour ce motif qu'il avait encouru la col�re du duc.
Plusieurs membres de la famille du Chastelet avaient abjur� le catholicisme.
Pierre, seigneur de Gerb�viller, avait fait baptiser � Metz sa fille Eve en 1564. - Un autre, Baptiste, r�fugi� � Gen�ve y �tait devenu pasteur. Ayant imprudemment p�n�tr� en Lorraine il avait �t� appr�hend� au corps par les archers, et peu apr�s s'�tait vu contraint de vendre ses biens (20). - Une de ses soeurs, vou�e au clo�tre d�s son enfance, s'�tait aussi r�fugi�e � Gen�ve
���pour �viter les idolatries et superstitions papistiques, esquelles elle avait �t� plong�e d�s son
jeune �ge, n'ayant lors aucun jugement (21). � - Dom Calmet nomme encore Antoine du Chatelet, seigneur de Saint-Amand et Cirey, mort en 1620, et qui avait �pous� Judith de Larochefoucauld, �galement protestante (22).
Enfin on cite un certain nombre de lorrains qui ont �t� admis � l'habitation dans la ville de Gen�ve et y ont fr�quent� les cours de l'Universit�.
Si l'on consid�re les risques auxquels ces nobles familles exposaient leur fortune et leur vie en embrassant l'h�r�sie, la d�ch�ance et la pauvret� o� les r�duisait leur fuite � l'�tranger, on ne peut gu�re douter que leur conduite ne fut profond�ment sinc�re et par cons�quent digne de tout respect, car la r�pression, aggrav�e par les passions de la foule, pouvait �tre terrible. - Un pasteur Jean de Madoc, se rendant � Gerb�viller, avait �t� arr�t� � Lun�ville, puis �trangl� � Mont-sur-Meurthe par ceux qui �taient charg�s de le ramener � Nancy (23).
Soixante-dix familles furent expuls�es de Vic et le roi Charles IX, passant � Toul en 1569, avait fait imm�diatement chasser de la ville quarante-deux familles suspectes.
Les faveurs dont les Rhingraves de Salm entour�rent les r�form�s furent certainement beaucoup moins d�sint�ress�es. Tout d'abord ils se firent de la religion nouvelle une arme politique, imposant � leurs sujets les doctrines qu'ils venaient d'embrasser, et installant par la violence les ministres du nouveau culte � la place des pr�tres et des religieux expuls�s et malmen�s. Bien plus, ils ne craignirent pas, changeant de secte suivant les besoins de leur politique, d'imposer aux populations les m�mes changements. Luth�riens d'abord, plusieurs Rhingraves se firent calvinistes, et c'est ainsi que, de 1555 � 1610, l'�glise r�form�e de Badonviller suivit la m�me �volution (24).
Il avait fallu, (tant ces abus avaient paru intol�rables), que le Rhingrave Otto impos�t par testament � ses enfants, la d�fense de contraindre leurs sujets � quitter la confession d'Augsbourg, s'ils l'abandonnaient eux-m�mes (25).
Mais les Rhingraves tir�rent encore des dissensions religieuses d'autres sources de profit.
Ils figurent parmi les colonels de lansquenets et de re�tres que, pour soutenir la lutte contre les calvinistes, les rois de France Charles IX et Henry II prirent � leur solde, bandes indisciplin�es et pillardes, dont l'intervention a envenim� la fureur des guerres de religion.
Leurs chefs luth�riens exploitaient au profit du parti catholique, la haine
sectaire qu'ils avaient vou�e aux calvinistes (26) ; et quand les calvinistes fran�ais eurent � leur tour fait appel � leurs coreligionnaires allemands.
Ces bandes d'�trangers passant et repassant par la Lorraine y r�pandirent la terreur et la confusion.
Jean IX comte de Salm a r�alis� le type de ces brillants chefs de bande, imposant leurs services � chacun des partis, et bravant impun�ment toute autorit�. Jean IX avait �t� �lev� � la cour de Charles-Quint, combl� d'honneurs par le duc Charles III, comte de Salm, baron de Viviers, F�n�trange, Brandebourg, Ruppes, Domremy-la-Pucelle, etc., (27). Colonel de 1500 re�tres-pistoliers, mar�chal de Lorraine, gouverneur de Nancy, cr�� prince r�galien par l'Empereur, il bravait le duc de Lorraine en lui refusant l'hommage pour ses seigneuries d'Og�viller et d'Emberm�nil. Charg� par lui de d�tourner de la Lorraine les bandes allemandes appel�es au
secours des calvinistes fran�ais, il les arr�tait devant Baccarat en 1587, sans r�ussir pourtant � emp�cher le pillage de la commanderie Saint-Georges de Lun�ville, et le ravage des possessions de l'abbaye Saint-Remy. Mais peu de temps apr�s, il faisait cause commune avec le Rhingrave luth�rien Fr�d�rich, insultait les pannonceaux de Lorraine � Senones, et favorisait les progr�s de la R�forme dans leur seigneurie commune de Badonviller.
C'est lui qui, le 4 septembre 1573, visitant ses �curies la nuit, et trouvant qu'un palefrenier n'accourait pas assez vite, tire son �p�e, la lui passe � travers le corps, et prend la fuite. - Deux ans avant il avait provoqu� sans motif et assassin� en
plein Nancy un seigneur de Gombervaux. - Il fut graci�, la premi�re fois parce qu'il avait eu affaire � un gentilhomme, et la seconde parce qu'il s'agissait d'un manant (28).
Jean IX fut enterr� � Salival (1599) comme la plupart de ses anc�tres.
Plusieurs autres Rhingraves �taient rest�s sur les champs de bataille de France, comme Jean-Philippe tu� � Moncontour (1566).
Les batailles d'Auneau et d'Ivry d�livr�rent enfin la France de ces bandes f�roces. Leurs d�bris, repassant en Lorraine, furent � peu pr�s an�antis par le jeune marquis de Pont-�-Mousson, le futur duc Henry II. Mais les Rhingraves continu�rent � jouer aupr�s de nos ducs un r�le des plus importants, et rest�rent en possession de toutes leurs faveurs.
Une alliance princi�re mit le comble � leur fortune, mais provoqua dans la
situation du comt� de Salm un changement heureux qui, en mettant fin � la lutte religieuse et resserrant les liens qui le rapprochaient de la Lorraine, arracha ce pays fran�ais � l'influence allemande et r�alisa en fait son retour � la famille Lorraine.
LE PRINCE DE VAUD�MONT
Nous avons vu que ni Salm, ni Pierre-Perc�e n'avaient �t� la r�sidence ordinaire des comtes de Salm. C'est en 1574 seulement, alors que les comtes de Bl�mont leurs heureux rivaux, s'�taient �teints depuis soixante-dix ans, que Badonviller fut honor� de la pr�sence de ses ma�tres. La jeune et c�l�bre Diane de Dommartin, veuve du Rhingrave Jean-Philippe tu� � Moncontour, vint s'y fixer (29).
C'�tait alors un simple village. Il fut entour� de remparts, perc�s de deux portes � pont levis, et pr�s de
l'�glise, s'�leva une maison aujourd'hui totalement d�truite qui fut la r�sidence de la princesse (30).
Le village devint ainsi une petite bourgade, qui mesurait deux cents m�tres de long d'une porte � l'autre, et moins de six cents m�tres de pourtour.
Les constructions y �taient maussades et primitives, si l'on en croit un historien qui en voyait les restes en 1837, et leur trouvait des
���faces rebutantes par des crois�es obscures, coup�es de jambages de pierre en forme de croix, de fen�tres remplies de verres en losanges attach�s en petits plombs ; pour toutes couvertures des bardeaux en ch�ne dont les toits d�bordaient sur les rues. � Tel est bien, en effet, l'aspect de ces maisons dont le village de Br�m�nil renferme
encore des types identiques au portrait qu'en trace cet historien trop insensible au pittoresque.
Les bardeaux ont �t� la cause des vastes incendies qui ont, au cours du dernier si�cle, d�truit la plus grande partie de Badonviller. Mais la ville s'en est relev�e.
Cependant les effets de l'indivision et du morcellement plus que les catastrophes avaient longtemps paralys� tout l'essor du progr�s dans cette contr�e.
A la fin du XVIIIe si�cle, Badonviller �tait encore isol� au centre d'un rayon de trois lieues de chemins de traverse. Les habitants avaient fini par obtenir du gouvernement du roi Louis XVI, la construction d'une route pour les relier � Og�viller par Sainte-P�le. La construction commenc�e dut �tre ajourn�e, parce qu'on se heurta a l'opposition du seigneur de Montigny qui ne voulut
pas qu'on travers�t ses terres. Et comme Montigny relevait de l'intendant de Metz, alors que Badonviller et Og�viller relevaient de celui de Nancy, la R�volution fran�aise �clata avant que les deux administrations ne se fussent mises d'accord. - La France s'�tait successivement annexe l'�v�ch� de Metz, la Lorraine et le comt� de Salm, mais elle n'avait pas pris soin de simplifier l'�chiquier qu'avait d�coup� le partage de l'archev�que Brunon, pr�s de mille ans auparavant.
La route d'Og�viller ne fut faite qu'au cours du XIXe si�cle, et celle d'Allarmont vers le Donon date de 1835.
Lorsque, pendant la guerre de Trente Ans, Louis XIV s'empara des pays de la Sarre, les Rhingraves abandonn�rent successivement les diverses baronnies qu'ils occupaient dans la contr�e, pour se replier vers leurs possessions rh�nanes (31). Ils furent remplac�s en beaucoup d'endroits par le prince de Vaud�mont, Fran�ois, p�re de nos ducs Charles IV et Nicolas-Fran�ois, qui chercha avec pers�v�rance � se constituer par des acquisitions successives, un grand fief seigneurial dans ces parages. Il y r�ussit surtout par son mariage avec Christine, fille de Paul VIII de Salm, sur la t�te de laquelle se r�unirent par l'effet de diverses donations ou partages, toutes les parts que poss�daient dans les domaines de Salm son p�re et son oncle Jean IX. C'est en vue de ce mariage princier que fut �labor� le partage de 1598, qui consacra si bizarrement l'indivision des ch�teaux et des villes.
Il ne fut pas moins bizarre dans celles de ses dispositions touchant aux religions.
La collation des b�n�fices eccl�siastiques de Badonviller, Pexonne, Couvay, Celles, etc, demeure aux deux seigneurs en commun.
���S'eyant accord� lesdits deux seigneurs qu'il leur serait permis et loisible de prendre et retirer la moiti� des maisons, h�ritages, rentes et revenus desdistes cures, pour l'attribuer et convertir � l'entret�nement d'un pr�dicant de la r�forme d'Augsbourg, en cas qu'il plairait aux dits seigneurs introduire ladite confession audit comt� de Salm, avec la religion catholique, selon qu'elles sont tol�r�es et permises dans l'Empire �. Sous la r�serve de cette s�paration des revenus,
���les deux religions seraient exerc�es selon l'ordre �tabli sans innovation. � (32). Les d�mes de toutes sortes continu�rent � �tre per�ues. Celles des sujets catholiques allaient aux pr�tres, celles des sujets luth�riens aux ministres r�form�s.
Telle fut cette combinaison �trange qui n'aurait pu durer si les deux souverains de religion diff�rentes avaient r�sid� dans le pays.
Mais l'indivision subsista, parce que la Lorraine avait int�r�t � rester ma�tresse
du passage d'Allarmont, et elle subsista plus d'un si�cle. C'est en 1751 seulement, sous le r�gne nominal de Stanislas, qu'elle prit fin par un partage r�ellement d�finitif. On fit alors, de la terre de Salm, deux parts d�limit�es par le cours de la Plaine. Tout ce qui est au Nord fut exclusivement lorrain et bient�t Fran�ais. Le reste, avec Senones pour chef-lieu, demeura la Principaut� de Salm-Salm, partie int�grante de l'Empire Germanique, jusqu'� la R�volution
fran�aise.
L'assembl�e l�gislative en consomma d�s lors l'annexion par un simple d�cret.
Mais d�s la fin du XVIe si�cle, l'annexion. morale avait pr�c�d� l'annexion politique.
Les comtes sauvages, abandonnant au prince de Vaud�mont la r�sidence de Badonviller, s'�taient retir�s en Allemagne. D�sormais, pour eux comme pour la Lorraine, tous les officiers du comt� furent des Lorrains.
Les relations des habitants avec leurs seigneurs n'�tant que des rapports fiscaux, ils suivirentla
l�gislation lorraine ; et sauf dans leurs rapports avec l'Empire dont ils respectaient la souverainet� nominale, ils v�curent de la m�me vie, que leurs voisins devenus lorrains.
Mais il restait le dualisme des religions. Le prince de Vaud�mont, catholique fervent comme tous les princes lorrains, se fit un devoir de travailler � rendre lettre morte la clause du trait� qui leur permettait de se maintenir c�te � c�te.
Il entreprit d'abolir l'h�r�sie ; et il put bient�t s'y employer sans rencontrer de la part des Rhingraves, devenus indiff�rents ou r�concili�s avec l'Eglise romaine, la moindre r�sistance. Le prince de Vaud�mont appela d'abord des p�res J�suites, qui multipli�rent les sermons et les missions. Mais il s'effor�a aussi de ramener � l'�glise catholique le sentiment populaire, en combattant les abus et le rel�chement des moeurs, aussi bien chez les moines et les pr�tres que chez les particuliers. C'est l� que, avec raison, il voyait une des principales causes du mal.
Il essaya d'abord d'obtenir que les moines de Senones, si riches et si influents dans le comt�, r�formassent ou r�tablissent la r�gle dans leur monast�re.
Il suppliait le pape d'�loigner l'abb� Lignarius qui ���avait peu de conduite dans les affaires, beaucoup de faiblesse dans le jugement, et d'une vie o� il y avait � redire. � (33).
L'abbaye de Senones n'�tait plus, en effet, ce grand foyer de ferveur catholique, abritant deux cents religieux, dont nous avons rappel� la fondation et la puissance.
Il n'y restait que sept religieux, vivant en d�saccord, avec leur abb�, et disposant entre eux sur l'application de leur r�gle.
Les libertins, nous dit dom Calmet, prenaient occasion des abus qu'ils remarquaient dans l'Eglise, de s'en s�parer, non pour mieux vivre mais pour vivre, dans une plus grande licence. (34)
Les protestants y voyaient naturellement une raison l�gitime de pers�v�rer dans leur r�volte contre l'Eglise, et les peuples scandalis�s demandaient hautement la r�forme.
Les premiers efforts du prince de Vaud�mont n'eurent que peu de succ�s. En 1612 le pr�che et la messe se
partageaient encore, non sans tumulte et scandale, l'�glise de Badonviller.
Mais en 1618, la r�pression prit un caract�re violent. Le pape institua dans le comt� de Salm, un vicaire apostolique, qui fut notamment l'abb� de Haute-Seille, (35) et qui eut pour mission d'appuyer les exhortations et les pr�dications des p�res j�suites par des sanctions efficaces, en obtenant des seigneurs du pays des mesures s�v�res contre les protestants. Il leur fut demand� ou plus exactement
���requis� de faire ���de faveur ou main-forte � ce qui paraissait indispensable pour
���rem�dier aux plus forts inconv�nients dont le premier est l'h�r�sie, l'extirpation d'icelle d�pendant apr�s Dieu, de la seule autorit� et volont�
des comtes. �(36).
On �dicta donc des peines et des amendes non seulement contre les r�form�s, mais aussi contre les catholiques trop ti�des; on rendit obligatoires les sacrements et l'assistance � la messe. Enfin en 1625 on ordonna la fermeture du temple, on expulsa les pasteurs et les ma�tres d'�cole, et l'on impartit aux habitants un d�lai d'un an, pour se faire instruire dans la religion catholique, sous peine de bannissement. (37).
PIERRE FOURIER
C'est � ce moment critique que Pierre Fourier fut envoy� � Badonviller. II y vint sur les vives instances du prince de Vaud�mont, mais � contre coeur et, malgr� lui. Il semble que la s�v�rit� et les rigueurs auxquelles on voulait l'associer aient profond�ment troubl� sa mansu�tude et sa douceur.
��Enfin me voil� � Badonviller, enti�rement contre mon gr�, (�crivait-il le
16 ao�t), contre mon inclination, contre ma volont�, contre mon opinion, mais par n�cessit�. Il fallait y venir, ou f�cher tout � fait M. de Vaud�mont. �
���Mon Dieu que j'y suis inutile et malpropre. Je me r�jouis bien de m'en raller (sic) bient�t. �
Il n'a pas un mot de critique � l'adresse des J�suites, vis � vis desquels il affecte
un esprit de soumission et de d�f�rence qui les d�concerte, mais il ne partage pas leurs vues.
���Je ne fais rien du monde pour eux, les pauvres bons p�res ; vraiment, ils n'ont pas besoin de moi. �(38). - Les h�r�tiques de
Badonviller appartenaient surtout � la bourgeoisie; les catholiques g�n�ralement pauvres, vivaient dans une profonde ignorance. Le peuple, grossier, pr�venu, ent�t�, (39) accueillit � coup de pierres l'humble pr�tre
���qui allait toujours � pied, v�tu d'une grosse robe, un gros br�viaire sous le bras, et qui couchait sur la dure, ou sur la terre, ou sur un banc, � suivant le t�moignage d'un de ses fid�les compagnons.
Il r�pondit aux violences par tant de mansu�tude, il sut tenir aux pauvres, aux malades, un langage si tendrement consolateur il donna � ses entretiens inspir�s de la ferveur mystique de ses pri�res et de ses extases, un tour si populaire et si simple, que ceux qui l'avaient poursuivi, frapp�s de stupeur et d'admiration, accoururent bient�t implorer son pardon et se jeter � ses pieds.
Il pr�cha aux catholiques la r�forme de leurs moeurs et la charit�. Il traita les protestants avec d�licatesse; il les appelait
���les �trangers � pour ne pas les blesser par l'expression d'h�r�tiques. Il se m�la � eux, dans la rue, sous la halle, dans leur temple, o� on le voyait, tout affair� � b�gayer dans une chaire de pr�dicant, et � r�pondre � l'un ou � l'autre (40) et finalement il arracha � l'un d'eux ce t�moignage d�cisif
���C'est un des justes dont parle l'Ecriture.�
Quoi qu'il en soit, il n'y a pas � contester que Pierre Fourrier a laiss� dans le pays de Badonviller un souvenir imp�rissable. Dans cette contr�e o� les ravages des guerres ont presque enti�rement aboli toute tradition, on ne sait plus rien des luttes religieuses, ni des mis�res qu'elles ont engendr�es. Mais tout le monde conna�t encore
���le bon p�re �. Beaucoup racontent ses miracles, tous parlent avec respect de sa bont� et de ses vertus ; et l'humble monument �lev� � sa m�moire dans la for�t de Petitmont a traduit exactement le sentiment populaire, vivace encore apr�s trois si�cles, en honorant en lui un saint pr�tre et un grand citoyen.
Il semble �galement vrai que Pierre Fourier a fait en quelques mois ce que
VUES DE PIERRE-PERC�E EN 1755
(d'apr�s les dessins de Dom PELLETIER, conserv�s � la Biblioth�que de la Ville de Nancy)
les pr�dications et les rigueurs n'avaient point fait en vingt ans. Il faut tenir compte sans doute de l'exode des principales familles protestantes, qui fut la triste cons�quence des �dits de 1624 (41). Toujours est-il qu'au d�part de Pierre Fourier, la contr�e �tait pacifi�e, l'ordre r�tabli, les populations touch�es et reconnaissantes. Il les quitta le 17 janvier 1626, humble et simple, comme il �tait venu, refusant la
���cariolle � (42) que voulaient lui envoyer les chanoines
de Lun�ville, mais accompagn� des ovations de tout ce peuple : auquel il venait de rendre, avec l'unit� de ses croyances traditionnelles, la conscience de sa nationalit� lorraine.
(A suivre)
Emile AMBROISE.
(1) Lepage, Comm. de la Meurthe. II, 25
(2) M. arch. lorr., 1893, p. 27
(3) J. arch. lorr., 1859, p. 125
(4) Le ch�t. de Lutz., 1872
(5) Gravier. Hist. de Saint-Di�, p. 373.
(6) Bn Seilliere. Partage du comt� de Salm, 35 et suivants
(7) M. Arch. lorr., 1872, 236.
(8) Br Arch. lorr., 1853. p.468.
(9) CUVIER. R�form�s du Pays Messin, p. 5
(10) Ibidem, p. 6.
(11) Id. p. 8.
(12) CUVIER. Op. cit., p. 10.
(13) J. Arch. lorr., 1860. p. 100-111.
(14) Id., 108-237.
(15) M. Arch. lorr. 1872, p. 236.
(16) J. Arch. lorr., 1886, p, 97.
(17) J. Arch. lorr., 1888, p. 102.
(18) Id., 1886. p. 97.
(19) Id., 1886. p. 10.
(20) J. Arch. lorr., 1888. p. 130
(21) Id., p. 137
(22) J. Arch. lorr., 1886., p. 388, et Calmet. Notice sur la famille du Chatelet. p. 143.
(23) Cuvier. Ibidem. p. 23.
(24) M. Arch. lorr., 1871, 141, et J. Arch. lorr., 1860, p. 99.
(25) J. Arch. lorr., 1860, p. 127.
(26) J. Arch. lorr., 1860, p. 225.
(27) Bn Seilli�re. Partage du comt� de Salm, p. 5.
Louise de Stainville, m�re de Jean IX, avait achet� la maison de Jeanne d'Arc. C'est � elle qu'on doit sa conservation.
(28) Dumont. Justice Criminelle II. 342. J. Arch. lorr., 1860-92 et 1867. 6-21.
(29) J. Arch. lorr. 1860-109.
(30) Vieujot, Notice sur Badonviller p. 6-9.
(31) J. Arch. lorr, 1860 p. 233
(32) Bn Selli�re. Partage du Comt� de Salm p. 53.
(33) Dom Calmet. Hist. de Senones. Chap. 40. IV.
(34) Ib. id. Chapitre 40 no IV-VII.
(35) Digot. Hist. de lorr. V. 22.
(36) Lepage. Comm. I. 76.
(37) Rogie Hist. du B.-P. Fourier. II. p. 83.
(38) Lettres de B.-P. Fourier. T. II.232, 235, 264, 269, 283
(39) Rogie. Hist. du B.-P. Fourier II. p. 83, 86, 106, 108.
(40) Lettres Il.�288
(41) J. Arch. lorr. 1870 p. 176.
(42) Lettres, II. 289.
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