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Les repr�sentants
du peuple en mission et la justice r�volutionnaire dans les
d�partements en l'an II (1793-1794). Tome 5
Henri Wallon
Ed. Hachette 1889-1890
Meurthe.
Le d�partement de la Meurthe s'�tait rendu suspect de
mod�rantisme par le caract�re m�me de Nancy, nagu�re la capitale
du roi Stanislas, et plus r�cemment la patrie de Salles, un des
hommes marquants dans le parti de la Gironde. J'ai dit ailleurs
l'altitude que le conseil g�n�ral du d�partement avait prise �
la veille et au lendemain du 31 mai, et comment l� ainsi qu'en
beaucoup d'autres lieux, on s'effor�a de conjurer par les
adresses les plus soumises les rigueurs de la Convention (1).
Malgr� ces manifestations, la ville fut pourtant menac�e d'un
grand p�ril, et une sentence de mort allait �tre suspendue sur
les t�tes de ses principaux citoyens.
Un agent du pouvoir ex�cutif, nomm� Mauger, venait d'�tre envoy�
� Nancy, homme d'une moralit� douteuse, mais d'une grande
�nergie, et qui rallia facilement le. petit nombre de ceux qui,
dans la ville, inclinaient vers la Montagne. Le d�partement
avait �t� renouvel� ; mais la Soci�t� populaire Comptait
toujours des hommes d'opinion plus mod�r�e (2). Mauger r�solut
d� l'�purer : le 27 juillet, quatre-vingt-dix-huit membres
furent chass�s de la Soci�t�, dont quarante-cinq ��
fonctionnaires publics, ex-d�put�s aux Assembl�es l�gislative et
constituante, n�gociants, pr�tres, suppl�ants � la Convention,
tous enfin, dit plus tard Julien dans son rapport, �� composant
une esp�ce d'hommes dont les qualit�s morales et les
inclinations perverses semblent en opposition avec l'ordre de
choses nouvellement �tabli (3) �.
On fit deux cat�gories des exclus : les meneurs et les men�s; et
pourtant le sans-culotte Philip se plaint que des suspects y
rest�rent encore. Il est vrai que bien peu de gens pouvaient
�tre r�put�s purs aupr�s du sans-culotte Philip (4).
Les exclus trouv�rent un autre lieu de r�union chez une femme
qui tenait boutique de libraire (5). Ils avaient d'ailleurs des
amis dans la municipalit� qui ne partageait pas encore les
doctrines des jacobins, et elle en donna la preuve. Elle refusa
d'assister � la f�le fun�raire organis�e en l'honneur de Marat.
L'indignation fut grande dans la Soci�t� populaire. Mauger y
tint des discours violents. En pr�sence de cette attitude
mena�ante, la municipalit� fit commander la force arm�e.
Voulait-elle se d�fendre, voulait-elle attaquer? Elle avait
r�solu de faire arr�ter Mauger, ce qu'elle fit dans la nuit du
16 au 17 ao�t, et peut-�tre, en pr�vision du mouvement que ce
coup de force pouvait produire, ne songeait-elle qu'� se
d�fendre; mais on l'accusa d'avoir voulu attaquer, ce qu'en tout
cas elle ne fit point, car les canonniers �taient all�s
rejoindre la Soci�t� populaire (6).La Soci�t� n'en appela pas
moins � sa grande patronne, la soci�t� m�re de Paris, et le 22
ao�t les Jacobins en corps se pr�sent�rent devant la Convention
demandant, vengeance :
Citoyens repr�sentants, disaient-ils, parmi les attentats commis
contre la r�volution, le plus grand sans doute est la
pers�cution exerc�e contre les soci�t�s populaires. Ebranler ces
colonnes de la Constitution, c'est saper le fondement de la
libert�. Une loi porte la peine de mort contre ceux qui
tenteraient de d�truire ces foyers de patriotisme. Nous
demandons l'ex�cution de cette loi. Nous vous d�non�ons la
municipalit� de Nancy qui a voulu dissoudre la. Soci�t�
populaire de cette ville. Nous d�posons sur le bureau les pi�ces
qui constatent ce fait Citoyens, votre intention n'�tant point
de favoriser les conspirateurs, nous esp�rons que vous prendrez
notre p�tition en consid�ration (7).
Et l'affaire fut renvoy�e � l'examen du Comit� de s�ret�
g�n�rale.
Julien (de Toulouse) fit, au nom de ce Comit�, un rapport dans
la s�ance du 21 ao�t. Il adoptait la version la plus d�favorable
et provoquait par sa conclusion aux r�solutions les plus
terribles (8).
Les conclusions du Comit� n'allaient pas pourtant aussi loin que
les r�clamations des Jacobins. Le d�cret qu'il proposa et fit
accepter mettait en libert� Mauger, traduisait le procureur de
la commune et deux officiers municipaux de Nancy � la barre de
la Convention, destituait le directeur dos postes, le secr�taire
greffier de la municipalit� et le conseil g�n�ral de la commune
(exceptant pourtant les amis), et d�cidait que deux
repr�sentants iraient incessamment � Nancy pour renouveler les
autorit�s constitu�es, selon le besoin (9).
Quand on fit ce d�cret, songeait-on aux deux repr�sentants
Richaud et Soubrany qui se trouvaient alors dans ces parages ?
Il est probable qu'ils en re�urent' la mission : car; on voit
les administrateurs du directoire de la Meurthe, qu'ils avaient
�tablis, destitu�s plus tard par Saint-Just et Le Bas sur. la
plainte d'administrateurs des subsistances qui craignaient
eux-m�mes d'�tre d�nonc�s (10). Toujours est-il que ce furent
eux qui all�rent � Nancy; et si on en juge par les dates, ils
durent m�me devancer, en vertu de leurs pouvoirs g�n�raux, la:
mission sp�ciale qui leur �tait donn�e : on les voit r�organiser
le directoire du d�partement, le 23 ao�t, le tribunal, le 21
ao�t, et le conseil g�n�ral du d�partement, le 21 septembre
(11). Ils en parlent eux-m�mes dans une lettre du 29 octobre (8
du
2e mois) au Comit� de salut public, et ils accomplirent l'ordre
de la Convention en mettant en libert� Mauger:
Nous rend�mes une justice �clatante au citoyen Mauger, qui avait
�t� arbitrairement mis en arrestation (12).
Mais il y avait en outre dans le d�partement un repr�sentant
charg� de remonter la cavalerie, que nous avons rencontr� tout �
l'heure, Faure, d�put� de la Haute-Loire, Il avait plu aux
patriotes, il avait gagn� leur confiance; et quand ils
�prouv�rent le besoin de faire renouveler encore une fois les
autorit�s de la ville, ce fut � lui qu'ils songeront: ce fut lui
que, sur leur demande, Bar�re, le 11 brumaire (4 novembre 1793),
fit d�signer pour cette op�ration, avec des pouvoirs illimit�s
(13).
Faure semblait bien fait pour r�pondre aux esp�rances des
Jacobins. Il avait donn� des gages aux plus avanc�s. Apr�s la
loi des suspects, lorsqu'on mit en exercice les quatre sections
nouvellement cr��es du tribunal r�volutionnaire, Faure trouvait
que cela n'�tait point assez. Il disait que le tribunal
r�volutionnaire n'avait de r�volutionnaire que le nom, et, dans
la s�ance du 27.septembre 1793, il avait propos� une proc�dure
qui e�t �t� connue un premier essai de la loi du 22 prairial :
Le jour du jugement arriv�, les juges et les jur�s rendus dans
la salle d'audience, le greffier lira l'acte d'accusation. Cet
acte lu et tous les t�moins plac�s devant les jur�s eu pr�sence
du pr�venu, l'accusateur public dira au pr�venu : On vous accuse
de tel fait. L'accus� r�pondra seul et sans d�fenseur. Sa
r�ponse sera affirmative ou n�gative.
En cas d'affirmative, tout est dit ; en cas de n�gative, on
entend les t�moins :
Les d�bats termin�s en cette forme, il ne sera fait aucun
discours de d�fense g�n�rale de la part du d�fenseur.
Le pr�sident ne fera non plus aucune, r�capitulation g�n�rale
des faits; mais les jur�s, pleins de ce qu'ils auront entendus,
se retireront pour leurs d�bats particuliers en la forme
ordinaire (14).
Ce fut peu de temps apr�s, � peine sorti du Comit� de
l�gislation auquel il avait �t� adjoint pour l'examen de son
projet de d�cret, qu'il �tait parti pour Nancy. Avant de
recevoir la mission que Bar�re lui avait fait conf�rer, il avait
pu voir, dans quel �tat se trouvait le pays depuis que Mauger,
rendu � la libert�, triomphait insolemment de ses ennemis; et ce
spectacle, faut-il le dire? Pavait d�go�t� des patriotes. On en
petit juger par le tableau qu'il en fit plus lard, lorsqu'il eut
� justifier sa conduite (15): c'est une r�plique � des attaques,
et il faut tenir compte de ce caract�re de son rapport, comme de
l'�poque o� il fut r�dig�, en pleine r�action thermidorienne;
mais ses assertions sont, sur bien des points, confirm�es par
celles du sans-culotte Philip lui-m�me qui entreprit de lui
r�pondre.
Quoi qu'il en soit des bonnes relations qu'il eut d'abord, selon
Philip, avec les patriotes, ma�tres de la ville (16), il avait
�t� en mesure de les juger. C'�tait au premier rang Mauger,
Marat-Mauger comme il s'�tait appel� lui-m�me; et il avait
souffert que son buste f�t plac� aupr�s de celui de Marat par le
servile enthousiasme des satellites de sa dictature (17). Il
avait un conseil de douze dont il semblait prendre l'avis et
qui, partageant ses pillages et ses d�bauches, ne faisaient
qu'autoriser tous ses caprices, �� cour crapuleuse et d�hont�e �,
dit Faure; au nombre de ces acolytes, Philip, venu de Strasbourg
� Nancy comme garde-magasin, �� homme atroce, n� pour le crime �
: c'est celui qui, r�pondant � Faure, n'a que trop confirm� ses
appr�ciations, au moins sur Mauger; Fabv�, pr�sident du tribunal
criminel, �� plus rus�, avec des dehors s�duisants �, infatu� de
sa pr�sidence : - �� Je plane, disait-il un jour � la Soci�t�
populaire, sur toutes les autorit�s constitu�es; personne n'a le
droit de m'attaquer �; - c'est lui qui, selon Philip, �tait ail�
� Paris demander pour Faure des pouvoirs illimit�s; Glassan
Brisse, acteur, �� transplant� des tr�teaux de Paris � Nancy �,
-- �� c�libataire immoral, aussi faux patriote que mauvais
com�dien �, rev�tu du triple pouvoir de maire, de membre du
Comit� de surveillance et du conseil supr�me de Mauger, un
maire, humble valet de ses administr�s, qui, dans une f�le
publique, s'�criait : �� Peuple, veux-tu que je garde mon �charpe
� la c�r�monie ou que je la quitte ? Tu es souverain. Parle, cl
j'ob�irai. �.
Mauger r�gnait par la Soci�t� populaire :
L� tes citoyens �taient d�sign�s et proscrits; l� on arr�tait la
mort des uns et la d�portation des autres: des juifs �taient
proscrits en masse; l� on arr�tait les taxes arbitraires, et
Mauger, � la t�te de son conseil, s'en �tablissait le receveur
et le distributeur, sans tenir de registre de recette ni de
d�pense ; l� on proposait, tant�t de faire sauter la maison
d'arr�t avec un baril de poudre, et tant�t de transf�rer les
d�tenus et de les �gorger en route (18).
Les vues de Faure sur l'acc�l�ration de la justice
r�volutionnaire �taient bien d�pass�es ! Juger, c'est le premier
apanage du pouvoir souverain. Mauger en prenait tout � son aise
:
Souvent, au milieu de la nuit, il faisait tirer de la maison
d'arr�t et traduire chez lui ces malheureuses victimes; et l�,
�tendu dans son lit, son poignard sous le chevet, une femme
d�hont�e � ses c�t�s, le verre et les bouteilles sur la tabl� de
nuit, d�cor� d'un ruban tricolore et d'une m�daille de juge pour
accabler de sa puissance, il mettait � prix la libert� et la
vie.
Il jugeait aussi, disons-le, dans son conseil de sans-culottes,
car ce conseil faisait office de tribunal :
C'est dans le domicile de Mauger qu'il tenait ses s�ances; c'est
l� que ce dictateur pronon�ait ses arr�ts; c'est de l� qu'il
frappait et absolvait, suivant les sacrifices p�cuniaires. Ses
ordres �taient donn�s dans le style des tyrans; il en existe
ainsi con�us : �� Marat Mauger, de l'avis de son conseil, enjoint
au gardien de la maison d'arr�t de mettre en libert� �, etc.
Et cette bande avait ses supp�ts dans les divers districts: �
Marsal, Dumont, que Mauger appelait le seul patriote de la ville
et qui, � ce titre, s'en �tait fait le despote; � Dieuze,
l'ex-chevalier Durozet, ayant quitt� ses habits de soie pour se
faire sans-culotte, et Cunin, ex-l�gislateur royaliste, devenu
terroriste ; � Saint-Avold, � Sarreguemines, autres gens
pareils, r�gulateurs de l'opinion publique et � qui tous �taient
for�es d'ob�ir :
Tout, dit Faure, �tait pr�par� pour le crime, organis� pour la
d�vastation, dispos� pour le meurtre, l'incendie et le pillage,
lorsque je me mis en devoir d'arr�ter le compl�ment du mal.
Il avait des pouvoirs illimit�s, mais d'autres en avaient
�galement, et les repr�sentants d�l�gu�s pr�s les arm�es ne
reconnaissaient m�me � leur action aucune limite de lieu : si
bien que les d�partements fronti�res recevaient des ordres
dictatoriaux de partout (19). Tandis que Faure se croyait ma�tre
� Nancy, il voyait, d'une part, Lacoste et Mallarm� y �tablir un
Comit� de surveillance r�volutionnaire et, d'autre part,
Saint-Just et Le Bas y exercer aussi leurs pouvoirs
extraordinaires. Ces deux derniers envoyaient l'ordre d'y lever
une Contribution de cinq millions sur les riches, de destituer
les membres du directoire et de les traduire � Paris, comme
ayant n�glig� les approvisionnements de l'arm�e : des
fournisseurs, qui avaient manqu� � leurs engagements, avaient
rejet� sur eux la faute dont ils auraient d� r�pondre eux-m�mes
(20).
(D�p�t de la Guerre, arm�e du Rhin, � la date.)
Les grands meneurs de Nancy n'avaient ou garde de ne point
prendre leur part dans les b�n�fices de l'administration. Mauger
s'�tait fait nommer directeur des salines de Dieuze, comme
d'autres des salines de Moyenvic, de Ch�teau-Salins, etc., et
c'est ce qui le perdit. Eloign�, il voyait s'�vanouir tout
l'ascendant qui tenait les opprim�s dans une consternation
muette. On parla; ses pr�varications et celles de ses agents
furent r�v�l�es, et Philip, lui-m�me, le principal de ses
acolytes, les d�non�a : il s'en vante au moins dans son �crit
contre Faure (21). Le repr�sentant Faure fit op�rer une saisie
chez Mauger; il y acquit la preuve de ses concussions, et le
traduisit avec sa femme devant le tribunal r�volutionnaire de
Paris (Ier frimaire 21 novembre (22).
Tous les vrais sans-Culottes y applaudirent (23).Mais il n'�tait
pas possible qu'on oubli�t ce qu'ils avaient fait eux-m�mes. Ce
fut un d�cha�nement universel contre les amis de Mauger, et
Philip, par ses d�nonciations, ne r�ussit point � s'y
soustraire. Faure se rendit � la Soci�t� populaire o� la
majorit�, aussi bien que les tribunes, prenait d�sormais parti
contre la dictature de Mauger. Il s'entendit avec elle pour
composer un nouveau comit� de surveillance et �tablir un
tribunal r�volutionnaire, afin de juger les pr�varicateurs (24).
�� Des ce jour, dit Philip, commen�a la pers�cution des patriotes
(25). � Philip lui-m�me essaya de tenir t�te au mouvement. Il
cria � la contre-r�volution. Il osa m�me �crire � Faure pour
lui dire qu'il craignait qu'elle ne s'�tablit � Nancy, comme
jadis � Lyon, et s'attira cette verte r�plique (6 frimaire, 26
novembre 1793) :
J'observe tout, citoyen, rien ne m'�chappe. Depuis 1788 j'ai
combattu l'aristocratie et je la combattrai toujours, ainsi que
tes fripons, tels que Mauger, et ses amis, tels que Durosel.
S'il y a ici une contre-r�volution actuelle, c'est celle d� la
friponnerie, et je vois � regret que ceux qui fr�quentaient le
plus Mauger se taisent sur son compte.
Au surplus, je ne m'en tiens pas aux paroles, mais aux faits, et
j'agis en connoissance de cause. L'aristocratie ne triomphera
pas, sois-en sur; mais j'�tablirai le r�gne de la libert�, de
l'�galit� et de la probit�. Enfin, que les innocents soient
tranquilles, je saurai les connoitre ainsi que les coupables.
Salut et fraternit�,
FAURE (26)
Et le lendemain Philip �tait arr�t� ainsi que Febv� et plusieurs
autres. Ses protestations demeur�rent sans effet (27).
Ce jour m�me, Faure donnait une garantie de plus � ses desseins.
Il reconstituait la Soci�t� populaire de Nancy. Il la composait,
dit Philip, de f�d�ralistes, de tous ceux qui avaient refus�
leur signature � l'adresse, d'adh�sion au 31 mai, et il lui
donna le nom de Soci�t� populaire r�volutionnaire, pour mieux
tromper le peuple, nous dit son haineux adversaire. Sous ce
titre, ajoute-t-il, elle re�ut �� tout ce que Nancy renfermait de
riches aristocrates, de f�d�ralistes, de mod�r�s (28) �.
Retenons ce dernier mot, qui �tait vrai sans doute, mais qui
�tait alors un titre de proscription.
Il n'est pas besoin de dire que Faure, dans tous ses actes et
ses �crits, gardait toujours l'attitude d'un montagnard. Dans
une sorte de monitoire qu'il adressa � l'administration
d�partementale, il ne manquait pas de dire : �� Que chacun soit
un Brutus � ; et parmi ses griefs contre Mauger �tait celui
d'avoir pr�tendu aux honneurs de Marat : �� Comment, disait-il
aux administrateurs, son buste est-il � c�t� de celui de Marat,
votre v�ritable ami ? (29) �
La r�action suivait son cours : Brisse �tait destitu� de ses
fonctions de maire, qu'il ne devait, disait Faure, qu'� ses
intrigues, et les r�volutionnaires les plus prononc�s �taient
arr�t�s (30). Mais cela �tait-il durable quand la Terreur ne
faisait pour ainsi dire que de commencer � Paris, que l'an II
n'�tait qu'� ses d�buts, que la sanglante ann�e 1794 s'ouvrait �
peine? Faure �tait bien na�f, s'il avait pu croire que Mauger et
ses amis, qu'il avait envoy�s � Fouquier-Tinville, seraient
l'objet des rigueurs du tribunal r�volutionnaire de Paris. Ils y
furent acquitt�s avec �clat le 1er pluvi�se (20 janvier 1794),
sauf Mauger lui-m�me qui �tait mort en; prison (31); et � Nancy,
Lacoste et Baudot, qui n'avaient cess� de contre-carrer Faure
(32), s'empress�rent, quand il fut parti, de remettre toutes
choses sur l'ancien pied. �� Ils avaient, dit Philip, reconnu les
f�d�ralistes sous le bonnet rouge.� La sc�ne changea donc comme
par un coup de baguette. Brisse, l'ancien acteur, remis en
libert�, redevint maire; Philip et les autres sortirent de
prison et y firent place � plusieurs des conseillers de Faure
(33) ; Febv�, acquitt� par le tribunal r�volutionnaire de Paris
et r�tabli dans ses fonctions de pr�sident du tribunal criminel
par d�cret de la Convention nationale, fut nomm� par; les
repr�sentants Lacoste, Baudot et Bar, pr�sident de la Soci�t�
populaire r�g�n�r�e (34). Enfin au tribunal r�volutionnaire de
Faure, qui n'avait gu�re fait que poursuivre les
concussionnaires et les pillards, �tait substitu�e une
commission extraordinaire dont on attendait d'autres services
(35).
Le d�bat pouvait �tre transf�r� sur un autre th��tre et tourner
mal pour l'ancien d�l�gu� de la Convention, comme pour ceux qui
lui avaient pr�t� leur concours. Faure, d�s son retour, publia
un m�moire o� il allait au-devant de l'attaque. On l'accusait
d'�tre mod�r�, d'avoir pers�cut� les patriotes, m�nag� les
aristocrates, pris pour conseils des suspects. Mod�r� ! Il avait
commenc� par appeler aupr�s de lui Mauger et ceux qui passaient
pour les meilleurs sans-culottes; mais lorsque Mauger lui eut
�t� d�nonc�, m�me par les gens de son parti, quand il eut en
main les preuves de ses pr�varications, il avait bien d� le
frapper, lui et ses pareils, et il ne l'avait fait qu'avec le
Comit� m�me de surveillance �tabli par Lacoste. Le tribunal
r�volutionnaire avait bien fait de les absoudre s'il les avait
trouv�s innocents; il n'en avait pas moins eu raison de les
poursuivre, puisqu'ils lui �taient signal�s comme coupables; et
en regard de ces patriotes qu'on lui opposait, il produisait les
noms des contre-r�volutionnaires qu'il avait lui-m�me envoy�s an
tribunal, notamment treize habitants de Sarrelibre (Sarrelouis)
dont nous parlerons plus loin; il all�guait encore tout ce qu'il
avait fait pour l'extermination du fanatisme, c'est-�-dire de la
religion chr�tienne; il se faisait honneur des abjurations qu'il
avait obtenues et rappelait que, trois jours seulement apr�s les
sc�nes du 27 brumaire � Paris, le 30 brumaire, quatre-vingts
pr�tres avaient abjur� � Nancy. Puis, r�criminant contre Lacoste
et Baudot, contre Lacoste surtout qui avait des motifs
particuliers de ressentiment � son �gard, il demandait
l'abrogation de l'arr�t� injurieux des deux repr�sentants, qui
avaient suspendu l'ex�cution de ses arr�t�s et soumis � leur
propre contr�le tous ceux qu'il pourrait prendre seul, sous
pr�texte d'�viter toute �� contrari�t� � dans leurs actes (36).
Il r�pandit ce m�moire dans la Convention, il l'adressa aux
districts de la Meurthe, mais il risquait de provoquer des
contradictions plus ardentes ; car dans la Meurthe les patriotes
avaient repris l'offensive. Le 30 pluvi�se, la Soci�t� populaire
de Sarrebourg, en r�ponse au m�moire justificatif qu'il lui
avait adress�, consignait sur ses registres la d�claration
suivante :
D�clare � l'unanimit� que les mesures prises par Faure ont jet�
la consternation parmi tous les bons patriotes qui en ont �t�
les t�moins, et qu'elle a consid�r� son rappel comme une
victoire remport�e par les patriotes sur l'aristocratie.
La Soci�t� d�clare de plus que les repr�sentants Baudot et
Lacoste; tous deux bien connus par leur z�le et les services
qu'ils ont rendus jusqu'� ce jour � la cause de la libert�, ont,
en cette occasion, �t� les fermes appuis des patriotes et que
d�j� l'esprit public commence � se r�g�n�rer dans Nancy et dans
tout le d�partement de la Meurthe, par l'effet des mesures sages
et rigoureuses qu'ils y ont prises (37)
De leur c�t�, Lacoste et Baudot, instruits de ces
r�criminations, y r�pondaient sur un ton d�daigneux dans une
lettre dat�e de Strasbourg (2 vent�se, 20 f�vrier 1794), lettre
o� ils annon�aient de nouveaux succ�s de nos arm�es et en
pr�sageaient d'autres (38).
Faure, pr�sent � la s�ance (6 vent�se), protesta hautement, et,
sur l'intervention de Legendre, qui se fit garant de son
patriotisme, il ajourna sa querelle avec ses deux coll�gues
absents; mais il en prit occasion de demander qu'on suspendit
aussi la poursuite commenc�e contre trente citoyens traduits
(probablement comme �tant ses amis) devant la Commission
extraordinaire de Lacoste et Baudot � Nancy, et que ce d�cret y
f�t port� par un courrier extraordinaire : car de pareilles
proc�dures marchaient vite; ce qui fut vot� (39). Le parti
mod�r�, comme on l'appelait alors, celui de Legendre et de
Danton, �tait encore debout dans l'assembl�e; mais cette
accusation incidente des deux repr�sentants Baudot et Lacoste
suffit pour faire ajourner, apr�s une vive discussion,
l'admission de Faure, dans un scrutin �puratoire, aux Jacobins
ce jour m�me (40).
Les d�nonciations continu�rent d'arriver contre les pers�cuteurs
des patriotes. Des citoyens de Nancy �tant venus en signaler
plusieurs � la Convention, Montaut profita de l'occasion pour y
comprendre Cunin, ancien membre de l'Assembl�e l�gislative,
r�cemment acquitt�, avec la bande de Mauger, par le tribunal
r�volutionnaire de Paris ; et il demandait qu'on le m�t en
arrestation comme un faux patriote, l'auteur des troubles qui
divisaient Nancy : proposition qui fut combattue par Levasseur
comme tendant � faire de la Convention une chambre de mise en
accusation mal inform�e; et la proposition, avec la p�tition des
citoyens de Nancy, fut renvoy�e au Comit� de s�ret� g�n�rale
(41).
Ce n'�taient plus les patriotes qui pouvaient se dire menac�s,
et leurs plaintes de pr�tendue pers�cution �taient d�j� un
commencement de repr�sailles contre leurs adversaires. Les
mod�r�s d'ailleurs, qu'�taient-ils autre chose que les complices
de Danton qui venait de tomber ? Ils se cachaient; mais l'oeil
des sans-culottes les allait chercher dans leurs retraites, Le
27 flor�al (16 mai 1794), la Soci�t� populaire de Nancy
remontrait � la Convention �� que plusieurs ennemis de la libert�,
pour �chapper � la surveillance des autorit�s constitu�es et se
soustraire � l'arrestation qu'ils avaient encourue, s'�taient
transport�s dans les grandes communes, o�, � la faveur de
l'incognito, ils tramaient des complots liberticides. Elle
invitait la Convention � prendre des mesures contre les
changements de domicile que des raisons plausibles ne motivaient
pas, � faire juger le plus promptement possible les gens
suspects, et � mettre les sans-culottes � m�me de jouir de leurs
biens (42). � - Qu'�taient-ce que leurs biens ? probablement
ceux des autres.- Leur r�gne ne fut plus interrompu jusqu'au 9
thermidor.
L� du reste, comme en g�n�ral dans cette r�gion, la justice
r�volutionnaire se manifeste plus par des arrestations et des
confiscations que par des sentences de mort. On envoyait pour la
mort � Paris. On n'a point le r�sultat pr�cis des op�rations des
Commissions r�volutionnaires ou extraordinaires. Quant au
tribunal criminel jugeant r�volutionnairement, on ne compte � sa
charge que dix ou onze condamnations � mort (43). En ce qui
touche la querelle de Faure et de Lacoste, il eut �t� dangereux
pour le premier qu'elle se continu�t apr�s le jugement de
Danton. Lorsque Faure d�posa son rapport sur son administration
dans la Meurthe, la r�volution du 9 thermidor �tait accomplie;
on �tait m�me en pleine r�action antijacobine : c'�tait le 21
pluvi�se an III (12 f�vrier 1795). Il y put fl�trir les
sans-culottes dont il avait momentan�ment d�barrass� Nancy
alors, sans que Lacoste, qui d'ailleurs n'�tait pas pris �
partie, essay�t d'y r�pondre. Un peu plus tard, apr�s l'�meute
avort�e du 1er prairial (20 mai 1795), quand les principaux
membres des deux Comit�s, les vainqueurs du 9 thermidor, Collot
d'Herbois, Bar�re, Billaud-Varenne, Vadier, �taient proscrits �
leur tour, quand ou faisait rendre compte aux proconsuls de
province, Lacoste et Baudot, attaqu�s eux-m�mes dans la
Convention, essay�rent bien de r�criminer contre Faure. Mais
Faure n'eut pas m�me besoin de r�pliquer pour qu'ils fussent
d�cr�t�s d'arrestation (13 prairial, 1er juin 1795). (44)
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