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L'�glise et la
sorcellerie -
J. Fran�ais
(notes renum�rot�es)
Voir
Sorcellerie dans
le Bl�montois
L'�glise et
la sorcellerie : pr�cis historique suivi des documents
officiels, des textes principaux et d'un proc�s in�dit
J. Fran�ais
Ed. Paris 1910
[...] CHAPITRE VII
LORRAINE, FRANCHE-COMTE et BOURGOGNE
I. lorraine. [...]
Tels sont les renseignements fragmentaires sur diverses
provinces qui peuvent simplement nous aider �
reconstituer les s�ries de proc�s qui n'ont gu�re cess�
de se d�rouler dans chacune d'elles.
Pour quelques-unes seulement, nous avons des
renseignements assez complets, du moins pour quelques
p�riodes donn�es.
Les proc�s de sorcellerie en Lorraine atteignirent les
proportions d'une v�ritable h�catombe. Nous le savons
par le procureur g�n�ral lui-m�me, Nicolas R�my, qui
compte � peu pr�s neuf cents victimes en quinze ans
(1591-1606) pour le seul territoire de sa juridiction
(1).
Nicolas R�my �tait un homme de foi profonde, p�n�tr� de
th�ologie, toujours pr�t � citer l'Ecriture. Dans sa
jeunesse, il avait �tudi� le droit � Toulouse, et d�s ce
moment, il avait eu � lutter contre le d�mon : un soir
qu'il jouait avec d'autres �tudiants, le diable s'amusa
� se m�ler au joyeux groupe et � lui jeter des pierres
aux jambes. De ce jour sa conviction �tait faite et de
retour en Lorraine, il ne songea qu'� d�livrer son pays
de la tyrannie de Satan. Celui-ci, en effet, y
triomphait, comme il triompha toujours dans les �poques
de mis�res et de privations, Les populations lorraines,
par leur situation sur le passage incessant des arm�es,
�taient des plus mis�rables. Il y r�gnait, d'apr�s R�my
lui m�me, de v�ritables �pid�mies de suicide. Le d�lire
m�lancolique, la d�pression mentale dont �tait atteinte
cette malheureuse province tendaient � prendre racine
dans les familles et � devenir h�r�ditaires, Le mal
�tait, d'ailleurs, ajoute-t-il, incorrigible. R�my n'y
vit qu'un rem�de, le b�cher. Tous ces sympt�mes ne lui
paraissaient pas relever d'autre cause que de la
sorcellerie et du satanisme.
Il ne se contente pas de chercher le diable dans tes
r�cits des sabbats, dans les aveux. de succubat qui, l�
comme partout, sont tr�s nombreux. Des fillettes
d�clarent avoir �t� offertes � Satan, dans leur premi�re
enfance telle Nicole Mor�le; des m�res de famille
viennent apprendre au juge pour se d�barrasser des
importunit�s de Satan, elles lui ont donn� leurs enfants
telles Fran�oise Hacquardt et Barbe Gillette. D'autres
ont d�terr� des cadavres, fabriqu� de leurs os une
poudre qui doit d�truire tes r�coltes et faire p�rir les
gens. Catherine Math� donne la recette compl�te de son
poison fiel de oeuf, sule, aun�e, foug�re et lupin. Cela
n'a, rien de bien terrible !
A c�t� de ces hallucinations que nous ne nous �tonnons
plus de voir conduire tout droit au b�cher, le pieux
R�my poursuit l'�pid�mie de suicide de ses impr�cations
et de ses supplices. Cette �� soif enrag�e � de mourir
qui poussait les Lorrains � se jeter dans les puits, �
se suspendre aux arbres, � se couper la gorge de leurs
couteaux n'�tait pas autre chose, pour lui, que le d�sir
de se d�rober � l'obsession de Satan. C'est Satan qui
lui semblait agir par la main de ce D�sir�, qui, devant
�tre br�l� vif apr�s avoir �t� tenaill� de pinces
ardentes, pour avoir fait mourir son p�re de mal�fice,
s'�tait coup� la gorge avec un vieux couteau rouill�; ou
de cet autre qui enfon�a un os dans le mur de sa prison,
s'y suspendit avec une bande de toile � moiti� pourrie,
tint ses jambes repli�es et se laissa mourir, les genoux
presque � terre; ou de ces femmes qui venaient
solliciter la piti� du juge et demander qu'on se h�t�t
de dresser le b�cher qui les arracherait � leurs
mis�res.
Bien plus, Remy trouvait la trace du d�mon dans les
d�tails les plus ordinaires de la vie. Des voyageurs
rencontrent une vieille femme � la brune et s'�garent.
C'est une sorci�re on la br�le. Un paysan s'enfonce une
�pine dans un doigt; le mal s'aggrave c'est une sorci�re
qui a envenim� la plaie. Une femme est aper�ue �crasant
une coquille d'escargot ; les moutons de sa voisine
p�rissent quelques jours apr�s : c'est une sorci�re qui
pr�parait la poudre d�vastatrice. Une paysanne souffle
son feu; la voisine assise pr�s de l'�tre re�oit une
�tincelle sur le visage; or, elle est enceinte et
aussit�t les douleurs la prennent; elle a tout juste le
temps de rentrer chez elle la premi�re est br�l�e comme
sorci�re. Un enfant veut, de la fen�tre, saisir un nid
au bout d'une branche; il se penche, perd l'�quilibre,
tombe et se tue. A ce moment, passe une vieille femme,
l'Ani�re. On l'arr�te; on la met � la torture, elle
croit apercevoir le d�mon dans un coin de la salle; on
la br�le.
Mais avant Remy, la pers�cution s'exer�ait d�j� en
Lorraine et dans des proportions terribles. De 1530 �
1661, M. Dumont a relev� pour toute la Lorraine sept
cent quarante proc�dures dont les dossiers nous sont
parvenus. Ce chiffre est bien au-dessous de la r�alit�,
puisque nous savons combien peu de dossiers se sont
conserv�s jusqu'� nous (2).
M. A. Fournier rapporte une condamnation pour
sorcellerie qu'il faut noter ici. C'est peut-�tre le
seul cas o� se rencontre le grief que nous allons voir.
On avait trouv� chez un n�gociant de Mattaincourt deux
actes sign�s de lui � la m�me date, l'un � Besan�on,
l'autre � Gen�ve. Sorcellerie �vidente; l'homme fut
br�l�. Or, cela se passait apr�s la r�forme du
calendrier par Gr�goire XIII, en 1582, et Besan�on �tait
une ville catholique o� l'on admettait le nouveau
calendrier que repoussait Gen�ve protestante. Il y avait
donc eu dix jours d'intervalle entre les deux
signatures, temps suffisant pour le voyage de Gen�ve �
Besan�on (3).
Les aveux obtenus par la question avaient, on le sait,
force de t�moignage. Un sorcier de Lamarche, Thomas
Gaudel, pensa que la meilleure vengeance � tirer de ses
bourreaux �tait de les accuser. A la torture donc il
d�clara avoir vu au sabbat chacun de ses juges, depuis
le greffier jusqu'au procureur. Stupeur g�n�rale ! on
suspendit le proc�s et l'on alla par deux fois en
conf�rer avec les deux avocats les plus c�l�bres de
Langres (4) �.
Ni les nobles, ni les pr�tres n'�taient �pargn�s. Andr�
des Bordes, seigneur de Gibeaumeix, gouverneur de Sierck
et Melchior de la Vall�e, aum�nier du duc, avaient
d�tourn�, inutilement d'ailleurs, Henri II de marier sa
fille avec le futur duc Charles IV. Celui-ci ne l'oublia
pas et, sous pr�texte de magie, les fit ex�cuter tous
deux. Des Bordes s'�tait fait tirer des saluts par des
personnages de tapisserie et d'un signe avait fait
servir un pique-nique d'Henri II par les cadavres de
trois pendus ! Et il avoua � la torture ! (5). Quant �
M. de la Vall�e, on trouva pour son oraison fun�bre un
mot que les terroristes n'ont point d�pass� �� Il fut
lav� dans un cent de fagots et c'est assez dire �. Cette
atrocit� est d'un moine tiercelin, le P�re Vincent (6).
Un autre pr�tre, le cur� de Vom�court, Dominique Cordet
fut arr�t� et br�l�e en 1632 pour avoir soustrait des
sorciers au b�cher il avait, en effet, acquis la
conviction que le crime de sorcellerie ne m�ritait pas
le b�cher et s'effor�ait de calmer les sorciers de sa
paroisse.
A la suite de la R�forme, la surexcitation religieuse
atteignit son comble. Des �mes mystiques, dans cette
effervescence, perdirent compl�tement la raison. Telle
Elisabeth de Ranfaing et Alix Le Clerc, toutes deux
fondatrices d'ordres. Le Cardinal Charles, fils du duc
Charles III se faisait exorciser par des fr�res
Ambrosiens venus expr�s d'Italie, pour gu�rir sa goutte,
et sa soeur Catherine, abbesse et r�formatrice de
Remiremont (7), se d�clarait victime d'un envo�tement.
Une premi�re fois, l'envo�teuse fut d�couverte, elle
s'enfuit et le mal�fice avorta (1612). Mais plus tard,
�puis�e par ses aust�rit�s, Catherine se vit gravement
malade. Sur la suggestion des Capucins, elle pensa
d'abord que si elle obtenait la b�atification de F�lix
de Cantalice, sa gu�rison serait assur�e. En 1626, la
b�atification avait lieu, mais Catherine n'en allait que
plus mal. Assur�ment le diable �tait l� dessous. Un
jour, un gentilhomme, le chevalier de Trembl�court
s'�tait permis avec elle une familiarit� qu'elle
trouvait inconvenante. Cette privaut� �tait pardonn�e et
oubli�e. Mais n'est-oe pas par elle qu'un sort avait �t�
jet� sur Catherine ? Arr�t� et emprisonn� � Ch�tel,
Trembl�court fut pendu sur la place publique sans autre
proc�s (8).
Quel jour tous ces r�cits nous ouvrent sur t'�tat d'�me
des populations au milieu desquelles avait grandi Jeanne
d'Arc ! Voil� les faits qu'il faut avoir pr�sents �
l'esprit pour juger la Bonne Lorraine (9).
(1) Nicolal Remigii, Demonolatrioe libri
tres, Lyon, 1595. Voir Ch. Pfister, Nic. R�my et la
sorcellerie en Lorraine � la fin du XVIe si�cle (dans
Revue Historique. mars-avril, mai juin 1907). Le livre
de Remy fut r�imprim� l'ann�e suivante � Cologne, chez
Henri Falkenberg, 1596.
(2) Dumont, Justice criminelle des duch�s de Lorraine et
de Bar, t. II. - Cf. A. Fournier, Une �pid�mie de
sorcellerie en Lorraine, Nancy, 1891. - M. G. Save, La
Sorcellerie d Saint-Di� (Soci�t� Philomatique, 1887-88,
p. 135 et suiv.), estime � 600 le nombre des victimes
pour le seul arrondissement de Saint-Di� et � 400 ceux
qui r�sist�rent aux tortures ou �chapp�rent au supplice.
De 1530 � 1629, il a relev� 230 proc�dures pour la m�me
r�gion. Voici quelques chiffres du relev� de M. Dumont
pour l'ensemble de la Lorraine
1582. - 22 supplici�s, dont 17 femmes;
1587. - 28, dont 21 femmes;
1594. - 31 dont 24 femmes;
1603. - Au village de Leintrey, 8, dont 7 femmes;
1608. - 37, dont 25 femmes; c'est l'ann�e du maximum;
1616. - 32, dont 26 femmes; � Raon, 10, et 7 �
Laneuveville-les-Raon
1629. - 7 � Raon;
1630. - 5 � Hymont et 7 � Mattaincourt;
1653. - 6 sorciers au Val-d'Ajol.
D'ailleurs les juges lorrains n'avaient pas besoin de
l'exemple de Remy pour �tre sans piti�. �� A Toul, �
Saint-Mihiel, dit M. A. Fournier, o� ils �taient
ind�pendants de M. Remy, ils se montr�rent aussi
impitoyables que leurs coll�gues de Nancy. � A.
Fournier, loc. cit., p. 32. - A. Denis, La Sorcellerie �
Toul aux XVIe et XVIIe si�cles, Toul, Lemaire, 1888. -
En Alsace, dans une p�riode de 20 ann�es, on br�la 5.000
personnes dans l'�v�ch� de Strasbourg. - Documents
relatifs � l'histoire de la sorcellerie dans le
Haut-Rhin, Colmar, 1869.
Dans la torture lorraine on employait surtout le
gr�sillon, lames reli�es par des vis entre lesquelles on
serrait le bout des doigts et des pieds; l'�chelle sur
laquelle on d�tirait le patient � l'aide d'un
tourniquet; les tortillons ou tourdillons, courts b�tons
pass�s dans une corde que l'on tordait de fa�on � broyer
les chairs. Dumont, Justice criminelle, etc., I, 80, 81,
83
(3) Digot, Histoire de la Lorraine, t. V, p. 119. - A.
Fournier, loc, cit., p. 20.
(4) Dumont, Justice criminelle des duch�s de Lorraine et
de Bar, II, p. 56. - A. Fournier, p. 22.
(5) Lepage, Bulletin de la Soci�t� d'Arch�ol., VII,
1857. - A. Fournier, p. 23. A. des Bordes fut ex�cut� en
1622 et M. de la Vall�e en 1631. Charles IV voyait � la
condamnation de celui-ci un avantage consid�rable : il
pouvait divorcer. En effet, c'est Melchior de la Vall�e
qui avait baptis� sa femme, Nicolle; or, Melchior �tant
li� � Satan, le bapt�me �tait nul et Chartes n'�tait
plus mari� � une chr�tienne. - Lionnois, Hist, de Nancy,
II, 337. D'Haussonville, Hist. de la r�union de la
Lorraine, I.
(6) A. Fournier, loc. cit., p. 21.
(7) Avec son mysticisme exalt� c'�tait une femme
d'action : elle d�fendit Remiremont contre Turenne.
(8) Dom Calmet, Histoire de Lorraine, t. passim.
(9) Le cur� de Mattaincourt, Pierre Fourrier, est bien
connu lui aussi pour ses hallucinations. |