Paris-Bordeaux-Paris, la première course automobile de l'histoire !

Il y a tout juste 130 ans, le 11 juin 1895, s’élançait ce que beaucoup considèrent aujourd’hui comme la première véritable course automobile de l’histoire. Pour gagner, deux règles : conduire une voiture avec au moins quatre places et franchir la ligne d’arrivée en premier.

Une première compétition en 1894

C’est au cours du dernier quart du XIXe siècle que la « locomotion automobile » commence à se développer, allant des voitures à vapeur comme l'Obéissante, mise au point par le sarthois Amédée Bollée au début des années 1870, aux perfectionnements du moteur à explosion par les allemands Gottlieb Daimler et Wilhelm Maybach, au début de la décennie suivante.

Du 19 au 22 juillet 1894, un concours est organisé par Pierre Giffard, journaliste au Petit Journal et également initiateur de la course cycliste Paris-Brest-Paris en 1891. Cette première compétition, loin de pouvoir être considérée comme une course automobile au sens actuel du terme, vise principalement à encourager l’innovation des premiers constructeurs, tout en parvenant à rassurer un public parfois inquiet de l’arrivée de ces engins sur les routes. Ainsi, comme le stipule l’article 6 du règlement publié dans Le Petit Journal le 20 décembre 1893 :

« Le premier prix du concours sera attribué, littéralement, à la voiture sans chevaux qui remplira ces conditions : d’être, sans danger, aisément maniable pour les voyageurs et de ne pas coûter trop cher sur la route »

Sur une place, des hommes entourent les voitures numérotées qui s'apprêtent à prendre le départ de la course.
Une du Petit Journal - supplément illustré, 6 août 1894

11 et 12 juin 1895, la première course de vitesse

Bien qu’étant le premier à être entré dans Rouen en 1894, le Comte de Dion n’obtient que le deuxième prix de la compétition. Son remorqueur à vapeur qui s’attelle à une voiture comme un cheval « ne correspond[ant] pas tout à fait au desideratum du concours » (Le Vélo, 11 juin 1895).

Ensemble d'une plateforme à 4 roues avec un moteur à vapeur tractant un élément sur deux roues avec les sièges pour les passagers
Illustration du remorqueur à vapeur du Comte de Dion dans La Locomotion automobile, février 1895

Sans rancune, le Comte de Dion est à l’initiative du Paris-Bordeaux-Paris de 1895. Pour ce trajet d’environ 1200 km, soit dix fois plus que Paris-Rouen l’année précédente, aucune réglementation de vitesse n’est imposée (12,5 km/h pour Paris-Rouen). Sans cette règle, c’est donc la vitesse qui devient un élément clé de la victoire. Et nous pouvons ainsi parler de « course automobile » telle que nous la concevons aujourd’hui. De plus, parcourir une telle distance le plus vite possible nécessite une reconnaissance préalable du parcours et une certaine stratégie pour les ravitaillements en énergie et les changements de pilotes, autres caractéristiques actuelles des course automobiles.

Un comité exécutif est établi pour l’organisation de l’événement, dans lequel nous retrouvons des noms aujourd’hui durablement associés au sport automobile comme de Dion, de Zuylen de Nyevelt, Peugeot, Levassor ou encore Gordon Bennett. Ces hommes élaborent le règlement, qui en résumé propose une course ouverte à toutes les propulsions et tous les véhicules, bien que seuls ceux de quatre places ou plus pourront prétendre à la victoire. Aussi, pour suivre l’évolution de la course, des points de contrôle sont dispersés sur le parcours, dont la gestion du plus important, celui de Bordeaux, est confié au journal Véloce-Sport, habitué des courses cyclistes.

Alors que « Rarement une épreuve organisée par l’initiative privée – on pourrait dire jamais – n’a réuni de semblables sommes », ce ne sont pas les presque 35 000 francs de l’époques promis au vainqueur (soit environ 160 000€ en 2024 selon le convertisseur de l’INSEE) qui intéressent le plus les constructeurs mais plutôt la gloire de la victoire. En effet, bien que la somme soit importante, elle ne recouvre pas à elle-seule les investissements des concurrents. En revanche, prouver au monde que son véhicule est le premier à boucler 1200 km en locomotion automobile, s’avère plus prestigieux et rentable sur le long terme. Un journaliste en témoigne dans La Locomotion automobile en juin 1895 :

« Je sais des concurrents qui certainement se passeraient mutuellement sur le corps, si leurs corps étaient le seul obstacle au succès »

Le « vainqueur moral de l’épreuve », comme le qualifie la presse, est M. Levassor, premier à franchir la ligne d’arrivée. Mais le premier prix est remis à la Peugeot n°16, arrivée en quatrième position, mais premier véhicule à quatre places à ne recevoir aucune pénalité.

illustration du véhicule Peugeot portant le n°16, arrivé quatrième mais lauréat du premier prix
Illustration du véhicule Peugeot lauréat du premier prix. Les autres véhicules récompensés de la course sont également visibles dans ce numéro de La Locomotion automobile, juillet 1895

Une course pour le progrès

L’autre enjeu de cet événement, au-delà de déterminer quel constructeur serait le plus rapide et le plus fiable, est surtout de trouver des réponses sur l’énergie à privilégier pour la poursuite de l’innovation automobile : vapeur, pétrole ou électricité ? Ces trois types de moteurs ont chacun leurs qualités et leurs défauts, très bien résumés dans l’organe de presse officiel de la course La Locomotion automobile (n° de juin 1895, p.122-123). Et puisque les quatre premiers véhicules revenus à Paris sont équipés de moteur à pétrole, « c’est donc en réalité l’allemand Daimler qui a gagné la course ».

Une autre innovation majeure issue de cette course réside dans la participation des frères Michelin, déjà leaders du pneumatique pour les courses cyclistes. Avec un véhicule qu’ils ont conçu eux-mêmes, L’Eclair, ils terminent derniers de l’épreuve mais avec une expérience enregistrée décisive pour l’avenir de la firme clermontoise, aujourd’hui à la tête d’un palmarès exceptionnel et toujours plébiscitée en sport automobile.

véhicule Michelin équipé de quatre roues avec pneumatiques. Publicité qui précise "La première voiture automobile du monde munie de pneumatique"
Illustration du véhicule des frères Michelin, Le Cycle et la revue des sports, n°239, 1896

Enfin, il faut aussi retenir que c’est de cette course que naîtra en novembre 1895 l’Automobile Club de France, avec à sa tête le baron de Zuylen de Nyevelt, co-organisateur de l'épreuve Paris-Bordeaux-Paris aujourd'hui rétrospectivement considéré comme le premier Grand Prix de l'ACF.