« Pentathlon des Muses » : quand les Jeux Olympiques récompensaient les artistes

Près d'un an après l'ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024, replongeons dans l'histoire et évoquons ce fait peu connu entre 1912 et 1948, où les Jeux olympiques accueillaient dans leur programme des compétitions artistiques parmi lesquelles la littérature, l’architecture, la musique ou encore la sculpture.

Si ces épreuves n’ont pas marqué l’histoire de l’art, elles demeurent révélatrices d’une certaine volonté du Comité international olympique d’ériger, et ce encore aujourd’hui, des passerelles entre « muscle » et « esprit », comme le souhaitait l’instigateur du projet le baron Pierre de Coubertin.

En 1892, ce dernier, historien et pédagogue français, qui mène depuis plusieurs années une campagne de développement du sport en France, notamment à travers la création du Comité pour la propagation des exercices physiques dans l'éducation puis en occupant le poste de secrétaire de l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA), s’attèle à la rédaction d’un manifeste pour des Jeux olympiques modernes. L’idée est de refonder les Jeux olympiques de l'Antiquité en sommeil jusqu’alors pour en faire un évènement international, avec des épreuves élargies. 

Ces quatorze pages dans lesquelles il réaffirme sa vision du sport - synonyme de fair-play, d’esprit d’excellence, de cosmopolitisme et d’antimercantilisme (d’aucuns diront que sur ce dernier point, la donne a désormais bien changé) - sont considérées comme l’acte fondateur des JO tels qu’on les connait aujourd’hui. Son manuscrit sera d’ailleurs vendu plus d’un siècle après aux enchères pour la modique somme de 7,9 millions d'euros. Ce texte lui servira de base pour bâtir son discours du 25 novembre 1892 qu’il prononce dans l'amphithéâtre de la Sorbonne à l'occasion du cinquième anniversaire de l'USFSA. Deux ans après, dans ce même lieu, le retour des olympiades est officialisé à travers la création du CIO qui sera présidé par l’écrivain grec Dimitrios Vikelas. Il est convenu que la première édition aura lieu en 1896 en Grèce, à Athènes, un symbole fort.

Le baron de Coubertin, Timoléon Philémon, N. G. Politis et Charalambos Anninos, Les Jeux olympiques 776 av. J.-C.-1896.... 2e partie, Les jeux olympiques de 1896, C. Beck (Athènes), H. Le Soudier (Paris), 1896

Toujours dans cette volonté de rester fidèle à l’esprit originel des JO de la Grèce antique, Pierre de Coubertin insiste pour inclure des compétitions artistiques au programme des épreuves. Car pour lui l’art et le sport, le corps et l’esprit sont loin d’être des concepts antinomiques. Dans une tribune publiée par Le Figaro en 1904, il formule le vœu de voir l'architecture, la littérature, la musique, la peinture et la sculpture enfin récompensées :

Extrait du Figaro du 5 août 1904 (suite en suivant le lien)

Les premières compétions artistiques auraient dû avoir lieu lors de l’édition de 1908, à Rome, mais la ville fait face à des difficultés économiques qui la contraigne à abandonner l’organisation des Jeux. C’est Londres qui hérite, dans la précipitation, de l’évènement. Impossible cependant d’organiser en si peu de temps ces nouvelles épreuves. Ça sera donc à la Suède, lors des Jeux de 1912, d’ouvrir le bal. Joliment baptisées "Pentathlon des Muses", ces compétitions sont ouvertes à tous les artistes amateurs qui souhaitent réaliser une œuvre originale autour de la thématique sportive. Ils doivent envoyer leurs réalisations en amont à un Comité olympique chargé de constituer un jury qui décernera des médailles d’or, d’argent et de bronze. Enfin, les œuvres primées seront montrées lors d’une grande exposition organisée en parallèle des épreuves sportives.

À l’évidence, cette première tentative n’est pas un franc succès. D’abord, parce que le comité d’organisation et l’Académie royale suédoise sont loin d’adhérer pleinement à l’initiative de Pierre de Coubertin. Ils jugent notamment les épreuves trop difficiles à organiser et l’idée de décerner des prix à des œuvres de commande sur le thème du sport un peu hasardeuse. Au final, seuls 35 artistes participent. Si peu que le jury a bien du mal à décerner toutes les médailles. Aucunes médailles de bronze ne sont, par exemple, remises. La presse se fait néanmoins le relai de ces épreuves, saluant un « beau projet » :

Extrait du Figaro du 6 novembre 1912

La toute première médaille d’or de littérature est donc attribuée aux allemands Georges Hohrod et Martin Eschbach pour leur poème en prose, écrit en allemand et français. Chose étonnante, c’est en réalité…Pierre de Coubertin qui a écrit ce poème (dont un extrait figure ci-dessous) sous double pseudonyme pour ne pas influencer le jury et on dit que c’est Marie Eschbach son épouse qui a assuré la traduction en Allemand. Ce n’est pas la première fois que le baron s’essaye à l’écriture, il a notamment publié en 1902 Le Roman d’un rallié, déjà sous le pseudonyme de Georges Hohrod.

Extrait de Les Jeunes : courrier de quinzaine du journal "Le Patronage" de la Fédération sportive et culturelle de France, sous le titre Ode au sport
Extrait de Les Jeunes : courrier de quinzaine du journal "Le Patronage"
de la Fédération sportive et culturelle de France, 1976

Si les épreuves artistiques des Jeux de Stockholm remportent un succès mitigé tout comme ceux de Bruxelles quatre années après, ceux de Paris marque un vrai démarrage. Cette fois, 193 artistes s’inscrivent à la compétition, inaugurée au théâtre des Champs-Élysées en présence des membres du gouvernement et du corps diplomatique. 23 pays sont représentés et 189 œuvres sont exposées au public et soumises aux délibérations du jury. On compte parmi les membres des jurys plusieurs personnalités prestigieuses comme Igor Stravinsky ou Maurice Ravel pour la musique, Selma Lagerlöf, la première femme à recevoir le prix Nobel de littérature, ou Jean Giraudoux qui a consacré en 1926 un roman au JO. Une réussite qui sera confirmée en 1928 par les Jeux d’Amsterdam où plus de 1100 œuvres sont exposées au Stedelijk Museum en provenance de 18 pays. L’évènement attire tout de même près de 100 000 visiteurs. Pour cette nouvelle édition, les catégories s’affinent : bas-relief et médailles, dessin, arts graphiques, littérature dramatique, lyrique et épique, musique orchestrale et instrumentale, chant solo et en chorale, dessins, arts graphiques et peintures, statues, reliefs, médailles, plaques et médaillons…c’est un véritable tour d’horizon des disciplines artistiques que souhaite effectuer le CIO. Fait notable, la médaille d’or d’architecture est décernée au néerlandais Jan Wils pour son stade olympique imaginé pour les épreuves athlétiques, devenu aujourd’hui un monument classé.

Agence Rol, Maquette du stade olympique d’Amsterdam, 1928

Mais si cette édition marque l’apogée du concours, de plus en plus de critiques se font entendre ; l’aspect amateur semble disparaitre au profit d’une certaine professionnalisation qui s’éloigne de l’esprit des Jeux. Preuve en est, des entreprises et des institutions publiques se mettent à participer et les artistes profitent de l’évènement pour vendre leurs œuvres. Ainsi, si la participation des artistes reste stable lors des Jeux de Los Angeles, celle-ci décroit fortement lors de ceux de Berlin (1936) et de Londres (1948) jusqu’à ce que les épreuves soient transformées en simple exposition à l’occasion des Jeux d’Helsinki en 1952, date qui marque, et ce malgré des débats au sein du CIO et des tentatives de relance, la fin du « Pentathlon des Muses ». La belle idée de Pierre de Coubertin n’aura pas résisté à l’épreuve du temps. Et les médaillés dans tout ça ? Ils n’apparaissent plus sur les registres olympiques car les épreuves n’existent plus, et aucun n’est réellement passé à la postérité, mise à part peut-être le sculpteur Paul Landowski récompensé en 1928 de la médaille d’or de sculpture pour sa réalisation Le Boxeur [aussi appelée Le Pugiliste]. 

Agence Rol, Le Sculpteur Landowski, 1913

La charte olympique comporte néanmoins encore aujourd’hui un volet artistique puisque celle-ci enjoint le pays hôte à organiser en amont puis au même moment que les épreuves sportives des évènements culturels. Paris ne déroge évidemment pas à la règle avec une Olympiade culturelle reliant art et sport qui court depuis déjà plusieurs mois dans différents musées et lieux emblématiques de la capitale et nous mènera jusqu’au fameux Jeux de l’été 2024.

Pour aller plus loin :

L'Olympiade Culturelle est une programmation artistique et culturelle pluridisciplinaire qui se déploie de la fin de l’édition des Jeux précédents jusqu’à la fin des Jeux Paralympiques.