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N° 1983

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 octobre 2025.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION tendant à la création d’une commission d’enquête sur la neutralité, le fonctionnement et le financement de l’audiovisuel public,

 

 

 

Par M. Charles ALLONCLE,

 

Député.

 

——

 

 

Voir le numéro : 1865.

 


SOMMAIRE

___

Pages

Examen de la recevabilité de la proposition  de résolution

EXAMEN EN COMMISSION

ANNEXE


 

   Examen de la recevabilité de la proposition
de résolution

M. Éric Ciotti et l’ensemble du groupe Union des droites pour la République ont déposé, le 26 septembre 2025, une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur « la neutralité, le fonctionnement et le financement de l’audiovisuel public ».

À l’occasion de la première réunion de la conférence des présidents de la session ordinaire 2025-2026, le mardi 14 octobre 2025, le président du groupe Union des droites pour la République a annoncé que son groupe souhaitait utiliser son droit de tirage pour la création de la commission d’enquête prévue par cette proposition de résolution, en application du deuxième alinéa de l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale.

Conformément au second alinéa de l’article 140 du Règlement, il revient à la commission des Affaires culturelles et de l’éducation, commission permanente compétente au fond, de vérifier que les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies, sans se prononcer sur son opportunité ni adopter d’amendement.

De même, il n’y aura pas lieu de soumettre au vote de l’Assemblée nationale la proposition de résolution. En effet, en application du deuxième alinéa de l’article 141 précité, la Conférence des présidents « prend acte de la création de la commission d’enquête » dès lors que celle‑ci répond aux exigences de l’article 6 de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et du chapitre IV de la première partie du titre III du Règlement.

*

Les demandes tendant à la création d’une commission d’enquête doivent satisfaire aux exigences de l’article 6 de l’ordonnance précitée, ainsi qu’aux critères fixés par les articles 137 à 139 du Règlement de l’Assemblée nationale reproduits ci‑après.

 

Dispositions encadrant la création des commissions d’enquête

 

Article 137

Les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont déposées sur le bureau de l’Assemblée. Elles doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion. Elles sont examinées et discutées dans les conditions fixées par le présent Règlement.

Article 138

1. Est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre.

2. L’irrecevabilité est déclarée par le Président de l’Assemblée. En cas de doute, le Président statue après avis du Bureau de l’Assemblée.

Article 139

1. Le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des Sceaux, ministre de la Justice.

2. Si le garde des Sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. Si la discussion est déjà commencée, elle est immédiatement interrompue.

3. Lorsqu’une information judiciaire est ouverte après la création de la commission, le Président de l’Assemblée, saisi par le garde des Sceaux, en informe le président de la commission. Celle‑ci met immédiatement fin à ses travaux.

Source : Règlement de l’Assemblée nationale.

● En premier lieu, une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête doit satisfaire à l’exigence d’une détermination précise des faits donnant lieu à enquête ou des services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion. Tel est le cas en l’espèce puisque l’article unique ainsi que l’exposé des motifs assignent à la commission d’enquête un champ d’investigations précis.

En effet, selon l’article unique, la commission d’enquête serait chargée « de réaliser une étude approfondie sur la neutralité, le fonctionnement et le financement du service public » de l’audiovisuel.

Or, les entreprises du service public de la communication audiovisuelle sont précisément citées aux articles 44 et 45 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : il s’agit principalement de France télévisions, Radio France, France Médias Monde, Arte-France et l’INA. S’y ajoute l’entreprise TV5 Monde, à laquelle la Charte de TV5, convention internationale ratifiée par la France et cinq autres États ou provinces francophones (Canada, Québec, Communauté de Wallonie-Bruxelles en Belgique, Suisse et principauté de Monaco), a également confié une mission de service public : promouvoir le patrimoine audiovisuel francophone. Ainsi, les entreprises publiques dont la commission entend examiner la gestion sont précisément déterminées bien que le texte de la proposition de résolution ne les cite pas expressément.

L’exposé des motifs précise par ailleurs que les travaux de la commission porteraient plus spécifiquement sur :

– les thèmes développés et les angles retenus par le service public, notamment le processus de décision de l’organisation des grilles de programmes, afin de s’assurer de l’absence de tout agenda politique dans celui-ci ;

– l’objectivité et la traçabilité de l’ensemble des processus de décision, notamment en matière de ressources humaines, d’attributions de contrats, de recrutements, nominations, sanctions et licenciements ;

– l’existence de potentielles collusions avec des facteurs exogènes (pressions politiques, leviers d’influence, lobbys) et de conflits d’intérêts qui pourraient avoir une influence sur les processus de décisions.

– la gestion, la répartition et l’utilisation des budgets consacrés à l’audiovisuel public.

La proposition de résolution est donc conforme aux dispositions de l’article 137 du Règlement de l’Assemblée nationale.

La finalité de la commission d’enquête dont il est demandé la création correspond également à l’esprit et à la lettre de l’alinéa 2 de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 : en proposant de faire la lumière sur la façon dont les entreprises de l’audiovisuel public mettent en œuvre leurs obligations légales et réglementaires de neutralité, de pluralisme et d’indépendance, ainsi que sur leur fonctionnement et leur financement, la proposition de résolution invite de fait à « recueillir des éléments d’information sur la gestion des services publics […] ».

● En second lieu, la proposition de résolution définit un champ d’investigations qui ne paraît pas de nature à interférer avec celui d’une mission d’information investie des prérogatives d’une commission d’enquête ou d’une commission d’enquête dont les travaux se seraient achevés dans les douze derniers mois.

En effet, le recensement des commissions d’enquête créées depuis moins d’un an à l’Assemblée nationale montre qu’aucune ne présente le même objet ([1]), bien que les travaux menés par la commission des Affaires culturelles et de l’éducation aient pu, en plusieurs occasions, aborder certaines thématiques évoquées par la présente proposition de résolution.

La dernière commission d’enquête relative au secteur de la communication audiovisuelle, dont les travaux portaient sur l’attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre, s’est achevée il y a plus de douze mois, le 7 mai 2024.

Ainsi, la présente proposition de résolution remplit la condition de recevabilité prévue à l’article 138 du Règlement de l’Assemblée nationale.

● En dernier lieu, la proposition de résolution ne contrevient pas à l’interdiction faite aux assemblées parlementaires de créer des commissions d’enquête portant sur des faits donnant lieu à des poursuites judiciaires.

En réponse au courrier l’informant de l’examen de la proposition de résolution visant à créer la commission d’enquête, le garde des Sceaux, dans un courrier daté du 20 octobre 2025, indique ne pas avoir connaissance de procédures judiciaires en cours en lien avec les faits ayant motivé le dépôt de la proposition.

Dès lors, cette condition de recevabilité est remplie.

*

Aussi, il résulte de l’analyse qui précède que la proposition de résolution  1865 est juridiquement recevable au regard des exigences de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 137 à 139 du Règlement.


   EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mardi 21 octobre 2025, la commission examine la proposition tendant à la création d'une commission d'enquête sur la neutralité, le fonctionnement et le financement de l’audiovisuel public (n° 1865) ([2]).

M. le président Alexandre Portier. Le président du groupe UDR a fait savoir lors de la réunion de la conférence des présidents du 14 octobre dernier que son groupe souhaitait utiliser son droit de tirage pour la création de cette commission d’enquête. Conformément au second alinéa de l’article 140 de notre règlement, notre commission, à laquelle la proposition de résolution a été renvoyée, doit vérifier sa recevabilité sans se prononcer sur son opportunité ni pouvoir amender son dispositif. Nous avons désigné M. Charles Alloncle rapporteur sur cette proposition.

M. Charles Alloncle, rapporteur. Le président Ciotti a annoncé lors de la conférence des présidents du 14 octobre dernier que le groupe UDR ferait usage de son droit de tirage pour créer une commission d’enquête sur l’audiovisuel public. Ce droit de tirage est accessible à dix des onze groupes représentés dans notre hémicycle. En effet, conformément à l’article 141, alinéa 2 du règlement de l’Assemblée nationale, chaque président de groupe minoritaire ou d’opposition peut l’exercer une fois par session ordinaire. La présente proposition de résolution formalise donc cette demande de création qui est de droit. Le vote d’aujourd’hui porte uniquement sur sa recevabilité et non sur son opportunité politique ou sa pertinence, selon la procédure prévue à l’article 140, alinéa 2 de notre règlement.

Pour être recevable, cette proposition doit satisfaire trois conditions. Premièrement, l’article 137 de notre règlement dispose que les propositions visant à créer une commission d’enquête doivent « déterminer avec précision les services ou entreprises publiques dont la commission doit examiner la gestion ». Cette exigence est remplie puisque son article unique propose « de réaliser une étude approfondie sur la neutralité, le fonctionnement et le financement du service public de l’audiovisuel ». Les entreprises concernées sont clairement définies par la loi dite Léotard du 30 septembre 1986 : France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, Arte France et l’Institut national de l’audiovisuel (INA).

Par ailleurs, cette commission s’articulerait autour de quatre axes précis. Elle contrôlera le respect de l’obligation d’impartialité incombant aux entreprises de l’audiovisuel public, notamment dans la conception des programmes, le choix des thèmes et l’angle de traitement des sujets, afin de vérifier l’absence de tout agenda politique au sein d’entités financées par dotations publiques. Elle examinera également leur bon fonctionnement, particulièrement la gestion des ressources humaines et l’objectivité des processus de recrutement, nominations, sanctions et licenciements. Le troisième axe visera à s’assurer de l’absence de conflits d’intérêts ou de collusion avec des facteurs externes, qu’il s’agisse de pressions politiques, de leviers d’influence ou de lobbies susceptibles d’orienter les processus de décisions. Enfin, le quatrième axe portera sur le financement, tant dans la gestion que dans la répartition et l’utilisation des crédits alloués annuellement au service public audiovisuel. Le spectre de cette commission étant précisément déterminé, le premier critère est donc rempli.

Concernant le deuxième critère de recevabilité, la proposition de résolution ne doit pas porter sur un sujet ayant fait l’objet d’une commission d’enquête au cours de l’année précédente. Ce n’est pas le cas ici puisque la dernière commission d’enquête relative à la communication audiovisuelle, qui traitait de l’attribution, du contenu et du contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la TNT, s’est achevée le 7 mai 2024, soit il y a plus de douze mois. Ce critère est donc rempli.

Enfin, le troisième critère, posé par l’article 139 du règlement, prévoit que la proposition de résolution ne peut être débattue si le garde des Sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition. L’ordonnance du 17 novembre 1958, dans son article 6 alinéa 3, précise également que la mission d’une commission d’enquête déjà créée prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle enquête. La présidente de l’Assemblée nationale a interrogé le garde des Sceaux qui a répondu hier ne pas avoir connaissance de procédure judiciaire en cours sur ces faits.

Les trois conditions de recevabilité étant donc réunies, cette proposition de résolution est juridiquement recevable.

M. le président Alexandre Portier. Merci, Monsieur le rapporteur. Plusieurs orateurs de groupe se sont signalés. Je leur donne la parole pour deux minutes.

Mme Caroline Parmentier (RN). Au nom du groupe Rassemblement national, je salue la création de cette commission d’enquête sur la neutralité, le fonctionnement et le financement de l’audiovisuel public initiée par le Groupe UDR et j’apporte mon plein soutien à cette démarche. La Cour des comptes a récemment étrillé dans le détail les finances et la dégradation financière de France Télévisions qui terminera l’année avec un déficit de 40 millions d’euros. J’ajoute qu’il devient de plus en plus difficile de percevoir la spécificité de l’audiovisuel public. La représentation nationale doit absolument travailler sur ce sujet. Le Rassemblement national soutient cette commission d’enquête, recevable dans sa forme et nécessaire sur le fond.

Mme Céline Calvez (EPR). Je tiens à le réaffirmer au nom du groupe Ensemble pour la République : l’audiovisuel public constitue une colonne vertébrale de notre démocratie. Il garantit à chaque citoyen, sans distinction de lieu ni de condition, l’accès à une information fiable, pluraliste et indépendante. Comme l’a souligné l’Inspection générale des finances (IGF) dans son rapport de 2024, face à l’archipélisation de la société, l’audiovisuel public demeure le seul média dont l’objectif est de s’adresser à tous et de créer du commun. Dans un monde où ressurgissent les ingérences et la désinformation, son rôle s’avère donc irremplaçable.

Concernant la question de l’impartialité et du respect du pluralisme, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) exerce aujourd’hui un contrôle accru, tandis que les sociétés de l’audiovisuel public prennent elles-mêmes des mesures concrètes pour renforcer et démontrer leur transparence. La présidente Sibyle Veil a récemment rappelé devant nos collègues sénateurs que Radio France s’engageait dans un processus de publication hebdomadaire d’un bilan automatisé recensant, à l’aide d’outils d’intelligence artificielle, les intervenants et les thématiques diffusées sur ses antennes, afin d’illustrer de manière objective et transparente la diversité et la pluralité des points de vue. Ces démarches volontaristes témoignent de la volonté des équipes de créer un espace de confiance et non de polarisation ou de polémique.

Alors que l’audiovisuel public traverse actuellement une période d’incertitude financière et stratégique, en l’absence de contrats d’objectifs et de moyens, il serait irresponsable d’ajouter la polémique à la polémique. Le récent rapport de la Cour des comptes sur France Télévisions souligne au contraire la nécessité d’un soutien accru de l’État. Notre collègue Denis Masséglia a d’ailleurs déposé un amendement au projet de loi de finances (PLF) 2026 visant à stabiliser ses crédits.

La commission d’enquête envisagée ne doit donc pas se transformer en tribunal médiatique, mais devenir un instrument de clarté et de progrès. Le débat doit se concentrer sur l’avenir, sur des propositions concrètes pour garantir la pérennité d’un audiovisuel public indépendant, financièrement stable et pleinement inscrit dans la révolution numérique, plutôt que sur des procès d’intention. C’est à cette condition que notre audiovisuel public demeurera un rempart démocratique et un outil de confiance pour les Français.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Quelle ironie de voir l’extrême droite, qui a tant conspué la commission d’enquête sur les chaînes de la TNT dont j’étais rapporteur, en créer une aujourd’hui sur l’audiovisuel public. Il y a un an à peine, l’extrême droite ne trouvait pas de mots assez durs pour stigmatiser mon travail. Je n’étais pas impartial, j’incarnais un censeur oscillant entre Saint-Just et Torquemada. J’avais eu, il est vrai, le mauvais goût de demander des comptes aux milliardaires qui nous submergent sous leur propagande.

Je ne vous accuserai pas, contrairement à vous, de manquer d’impartialité, puisque par définition, nous sommes tous ici des députés engagés, nous avons pris parti, nous sommes partiaux. Vous choisissez de mettre l’audiovisuel public sur le grill, je ne vous en ferai pas grief. Après tout, la République ne reconnaît aucune vache sacrée.

En revanche, je vous l’affirme avec force, vous manquez totalement de crédibilité. Vous démontrez constamment votre incompréhension des obligations en matière de pluralisme. Votre obsession consiste à faire taire toute voix un tant soit peu de gauche sur l’audiovisuel public, tout en refusant d’admettre que Vincent Bolloré a transformé son empire médiatique en machine de guerre au service exclusif de votre famille politique. Comment pourriez-vous alors juger objectivement du respect du pluralisme dans l’audiovisuel public ? Vous nourrissez à l’égard des différentes entreprises du service public audiovisuel une animosité qui confine à la haine.

Nous ne sommes pas dupes et nous nous investirons pleinement dans cette commission d’enquête pour garantir que vous n’abuserez pas des pouvoirs qu’elle vous confère. Nous veillerons à ce que vous n’utilisiez pas certains dysfonctionnements condamnables, mais déjà bien connus, pour occulter la qualité de ce service public dont le rôle demeure déterminant pour la vie culturelle et démocratique de notre pays. J’en veux pour preuve un exemple particulièrement adapté : un récent podcast de France Inter. L’émission s’intitule « Le fil de l’histoire » où l’historien Laurent Joly fait bénéficier le public des dernières avancées scientifiques pour répondre à la question « Le régime de Vichy était-il une dictature ? ». On chercherait en vain pareille émission sur une grande chaîne privée, a fortiori chez Bolloré.

M. Emmanuel Grégoire (SOC). La proposition de résolution soumise à notre examen ne propose pas véritablement la création d’une commission d’enquête mais s’apparente davantage à une mise en accusation politique. Ce texte se présente comme défenseur de la neutralité et du pluralisme, alors qu’il vise fondamentalement à jeter le discrédit sur les institutions indépendantes qui en garantissent l’intégrité.

Soyons parfaitement clairs, il ne s’agit nullement ici de constituer une commission d’enquête pour renforcer le pluralisme ou garantir une information fiable à nos concitoyens, d’autant que nos débats bénéficient déjà des éclairages d’un rapport de l’IGF et d’un rapport de la Cour des comptes. En réalité, cette initiative cherche à redéfinir les contours du service public de l’audiovisuel selon des critères purement partisans. Derrière les termes de neutralité et de contrôle, transparaît la tentation caractéristique de l’extrême droite qui n’accepte le pluralisme que lorsqu’il se soumet à ses vues.

Car M. Ciotti et ses collègues n’ont jamais exprimé la moindre inquiétude pour le pluralisme lorsqu’un industriel, Vincent Bolloré, concentre entre ses mains radios et chaînes d’information, transformant des médias d’opinion en véritables médias d’influence. Pas un mot, pas une commission d’enquête, pas un amendement, pas une indignation. Mais qu’une journaliste de France Inter assume un regard progressiste ou qu’une présidente de l’audiovisuel public rappelle la vocation d’émancipation du service public, soudain la droite extrême dénonce une prétendue dérive idéologique. Ce deux poids deux mesures révèle beaucoup. Il ne traduit pas une exigence de vérité, mais dévoile une stratégie politique délibérée.

Derrière cette initiative se cache la conception que l’audiovisuel public constituerait un adversaire culturel qu’il faudrait impérativement remettre au pas. Je tiens à affirmer très solennellement qu’il s’agit d’une attaque contre un pilier essentiel de la République. L’audiovisuel public ne représente pas une simple administration de la communication, il remplit une mission démocratique fondamentale : informer sans dépendre des puissances économiques, représenter la société dans toute sa diversité, garantir l’égal accès à la culture et à la reconnaissance. Le législateur a précisément voulu que cette indépendance soit garantie par l’Arcom. L’Arcom exerce cette fonction avec rigueur et transparence, en sanctionnant les comportements qui constitueraient une dérive. La France n’a nullement besoin d’une commission d’enquête alimentant la méfiance, elle a besoin d’un État qui assume pleinement la valeur du service public. Cette résolution ne vise pas à défendre la démocratie, elle vise à l’intimider !

Mme Frédérique Meunier (DR). Le dépôt de cette proposition de résolution s’inscrit dans un contexte d’appréciation très dégradée d’une partie de l’opinion publique concernant l’audiovisuel public. Accusé de parti pris politique, voire de collusion avec les forces de gauche, celui-ci peine à démontrer son impartialité et sa neutralité.

Au-delà du contexte récent, cette proposition de résolution exprime également la position du groupe UDR et de son président sur l’audiovisuel public, qu’ils n’envisagent pas de le réformer mais bien de le privatiser. En effet, contrairement au groupe Les Républicains qui a toujours défendu la réforme et la reprise en main d’un audiovisuel public dont les missions d’information demeurent essentielles pour nos concitoyens, l’UDR considère que le secteur privé peut opportunément et sans inconvénient s’y substituer. À cet égard, il apparaît clairement que cette commission d’enquête servira davantage de tribune politique que de tentative d’éclairer véritablement le débat public en la matière.

Cependant, le groupe Droite Républicaine ne s’opposera pas à la création de cette commission d’enquête qui est non seulement de droit, mais également pertinente au regard des dérives éditoriales avérées et documentées de certaines antennes. Nous souscrivons d’ailleurs à bon nombre des constats établis dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution. Pour autant, nous formons le vœu que cette commission ne se réduise pas à une succession de happenings motivés par la recherche du buzz et de la visibilité médiatique, mais qu’elle contribue véritablement à enrichir notre analyse sur le fond.

Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). De notre point de vue, le droit de tirage sur les commissions d’enquête constitue un instrument extrêmement précieux qui permet à chaque groupe de déterminer librement les sujets qu’il souhaite approfondir. Cependant, certains critères de recevabilité s’imposent et votre exposé, Monsieur le rapporteur, ne m’a nullement convaincue concernant le premier de ces critères, qui exige que le champ soit clairement établi.

Sur le fonctionnement et le financement de l’audiovisuel public, nous n’émettons aucune objection, le spectre apparaît effectivement clairement délimité. En revanche, la notion de neutralité, telle que vous la définissez, se révèle inappropriée car vous confondez plusieurs éléments. Vous amalgamez notamment les obligations incombant aux agents publics avec les missions de service public des médias publics. Vous prétendez donner un fondement sérieux à votre démarche en vous appuyant sur des décisions du Conseil d’État, mais ces décisions affirment l’exigence de neutralité en matière religieuse qui s’impose à tout agent public, qu’il exerce à Radio France, à l’Assemblée nationale, dans les hôpitaux ou dans tout autre service public.

Par ailleurs, le terme de neutralité ne figure pas dans la loi de 1986. Vous auriez pu évoquer d’autres concepts plus pertinents, comme l’indépendance ou le pluralisme, mais vous avez choisi de ne pas le faire. De plus, quelle légitimité aurions-nous à nous substituer à l’Arcom, précisément chargée d’évaluer l’impartialité du service public audiovisuel ? Nous assumons tous ici une position partiale puisque nous sommes des élus partisans, porteurs d’un programme politique. Nous ne représentons donc manifestement pas l’instance la plus appropriée pour juger de l’impartialité du service public.

Enfin, parmi les arguments fallacieux que vous déployez, vous utilisez une citation de Mme Ernotte que vous avez délibérément tronquée. Selon vos affirmations, Mme Ernotte aurait déclaré : « On essaie de représenter la France telle qu’on voudrait qu’elle soit ». Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que vous suggérez que Mme Ernotte et France 2 défendraient une vision idéologique. Or, ces propos ont été prononcés en 2023 par Mme Ernotte en réponse à une question spécifique portant sur la représentation des femmes sur les plateaux d’experts. Vos arguments manquent donc de fondement et se révèlent juridiquement incorrects. Pour ces raisons, je vous invite instamment à retirer ces références à la neutralité et à restructurer votre demande afin qu’elle puisse satisfaire aux conditions de recevabilité.

M. Jérémie Patrier-Leitus (HOR). L’audiovisuel public n’appartient à aucun député, quelle que soit sa place sur ces bancs, à aucun responsable politique, pas davantage à ses salariés, ni à ses auditeurs ou téléspectateurs. Il appartient à l’ensemble des Français qui en sont les seuls financeurs.

Nous avons besoin d’un service public fort, indépendant et exigeant. Cet attachement à l’audiovisuel public ne doit toutefois pas nous empêcher de poser des questions légitimes puisque, comme je l’ai souligné, il est financé par l’argent des Français. Il est normal et même salutaire que le Parlement exerce son droit de regard, qu’il évalue et contrôle l’audiovisuel public. Cette demande de commission d’enquête vise précisément à faire toute la lumière sur le fonctionnement, la gouvernance, l’indépendance éditoriale et l’utilisation des ressources publiques.

Je tiens cependant à affirmer très clairement, Monsieur le rapporteur, que cette commission ne doit pas être dévoyée, transformée en instrument de règlement de compte, en spectacle médiatique, ou pire encore, en tribunal politique. J’adresse cette mise en garde à l’ensemble des collègues : nous devons être vigilants quant à la manière dont nos commissions d’enquête fonctionnent. Notre responsabilité consiste à garantir un débat digne, rigoureux et fondé sur les faits. Ce n’est qu’à ce prix que cette commission servira utilement l’audiovisuel public. Par conséquent, si nous soutenons la création de cette commission d’enquête, nous souhaitons qu’elle mène des travaux exigeants, sérieux et dans un esprit de responsabilité.

M. Bartolomé Lenoir (UDR). Je souhaite simplement rappeler que nous examinons ici la recevabilité de cette commission d’enquête qui s’avère parfaitement légitime et démocratique, contrairement à certains propos tenus précédemment. Comme l’a démontré le rapporteur, cette commission satisfait pleinement aux trois critères de recevabilité. Le groupe UDR approuvera donc sans réserve cette commission d’enquête.

M. Charles Alloncle, rapporteur. Je vous remercie pour vos interventions. Il convient de rappeler que nous examinons ce soir l’opportunité et la recevabilité de cette commission d’enquête. C’est précisément pour cette raison que j’ai adopté une approche technique plutôt que politique, en m’appuyant sur les trois critères de recevabilité que, vous l’admettrez, la quasi-totalité d’entre vous, à l’exception du Parti socialiste, reconnaît comme satisfaits.

Concernant l’intervention du groupe écologiste, vous contestez la définition du périmètre, estimant que le premier critère ne serait pas rempli. Vous fondez votre argument sur l’exposé des motifs, mais ce qui importe dans une proposition de résolution, c’est avant tout son dispositif. Ce premier critère exige qu’une commission d’enquête détermine avec précision les services ou entreprises publiques dont elle doit examiner la gestion. Je me réfère à la loi Léotard du 30 septembre 1986 qui cite précisément les entreprises chargées du service public de l’audiovisuel que cible l’article unique de la proposition : France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, Arte et l’INA pour l’essentiel. Le critère de définition du périmètre se trouve donc parfaitement satisfait.

C’est cette même loi de 1986 qui dispose que le principe d’impartialité du secteur public de la communication audiovisuelle doit être garanti. Notre commission s’attachera à vérifier que cette obligation est respectée par ces organismes chargés d’une mission de service public. Cette vérification, peut-être dérangeante pour certains, constitue néanmoins une obligation que l’Assemblée nationale doit examiner, en parfaite conformité avec le premier critère.

En réponse aux groupes qui manifestent des réserves, notamment le groupe socialiste qui évoque des craintes de privatisation, je tiens à préciser que cette commission d’enquête ne présuppose aucune conclusion. Ni moi-même, ni mon collègue de l’UDR n’avons formulé la moindre exigence de privatisation. Nous ne cherchons pas à établir des conclusions avant même le début de ces six mois de travaux. Nous adopterons une démarche de vérification rigoureuse : existe-t-il un agenda politique sous-jacent ? Constate-t-on des collusions d’intérêts entre certains partis ou lobbys ? Les procédures de nomination ou de licenciement respectent-elles les missions de service public ? Tels sont les aspects que nous examinerons pour évaluer la bonne exécution de la délégation de service public.

La dimension financière revêt également une importance capitale. Je rappelle que l’audiovisuel public mobilise environ 4 milliards d’euros de contribution annuelle des Français. Dans un contexte budgétaire où nous recherchons des dizaines de milliards d’économies, l’examen de l’utilisation de ces fonds publics s’avère parfaitement légitime.

Quant à la France Insoumise, j’ai entendu vos arguments, mais vous ne pouvez nous reprocher d’interférer avec votre commission d’enquête précédente. Celle-ci se limitait aux fréquences TNT, alors que notre proposition couvre un périmètre bien plus large. Il n’existe donc aucune contradiction ni chevauchement entre nos démarches.

Concernant le troisième critère, la précédente commission sur ce sujet remonte à plus de douze mois révolus, ce qui rend notre initiative parfaitement légitime. Je souligne qu’aucune commission d’enquête n’a porté sur un périmètre aussi large que celui de l’audiovisuel public depuis fort longtemps. Le récent rapport de la Cour des comptes, bien que postérieur à notre demande, renforce la légitimité de notre démarche en mettant en lumière certaines préoccupations concernant la gestion des fonds publics. Cette commission d’enquête nous permettra donc de vérifier tant l’exigence de neutralité que celle de bonne gestion des fonds publics.

M. Alexis Corbière (EcoS). Je ne souhaite pas alourdir nos débats, mais ma collègue Sophie Taillé-Polian souligne pertinemment que vous confondez la situation d’un fonctionnaire, soumis au devoir de neutralité, avec celle d’un journaliste du service public qui, par définition, exprime une opinion et ne peut se cantonner à la neutralité. Notre rôle consiste à garantir le pluralisme au sein du service public, à veiller à l’expression de différentes opinions. Cette exigence paraît légitime. Cependant, la neutralité constitue par essence une impossibilité. Si nous acceptons votre proposition, Monsieur le rapporteur, nous introduisons déjà un vice fondamental dans la commission que vous envisagez, car quelle sera votre démarche ? Constater que des éditorialistes adoptent certains angles de traitement ?

Par ailleurs, vous qualifiez ce service de « décrié », alors que nous parlons de la première matinale de France, suivie par un public considérable. De nombreux citoyens apprécient ce service public qui fait intervenir des éditorialistes aux sensibilités diverses. À titre personnel, je ne me reconnais pas dans l’approche économique développée par Dominique Seux, mais cette même radio invite d’autres économistes proposant des analyses différentes. Il ne s’agit pas d’engager une controverse avec vous – votre groupe politique dispose légitimement d’un droit de tirage. Toutefois, le cadre même que vous proposez manque de cohérence et conduira inévitablement à ce qu’un regard politique – car nous sommes tous parlementaires et politiquement engagés – vienne exiger des journalistes qu’ils accomplissent ce qui n’est pas leur mission.

M. Charles Alloncle, rapporteur. Je souhaite rappeler que l’obligation de neutralité figure explicitement dans la loi de 1986. Cette obligation découle directement du principe d’impartialité, principe fondamental du service public. Par conséquent, dès lors que vous assumez une mission de service public, vous vous soumettez nécessairement à cette obligation de neutralité et d’impartialité. Aucune considération politique ne motive notre démarche. Nous cherchons uniquement à vérifier le respect d’une obligation parfaitement légale

M. le président Alexandre Portier. Sous réserve du vote à venir, ce débat pourra se poursuivre dans le cadre de la commission d’enquête. Nous devons maintenant nous prononcer sur la recevabilité de la proposition de résolution.

La commission déclare recevable la proposition de résolution.

 


   ANNEXE

 


([1]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/autres-commissions/commissions-enquete?limit=12&statut=termine

([2])  https://assnat.fr/4eKwvo