"Question de volontarisme" : le chemin escarpé vers la mixité des instances dirigeantes
Dans une étude intitulée « Mixité au sommet des entreprises », le cabinet de recrutement de dirigeants Heidrick & Struggles analyse les progrès des entreprises du SBF 120 vers la mixité des instances dirigeantes. Positif, mais peut mieux faire.

Où en sont les grandes entreprises françaises dans la féminisation de leurs instances dirigeantes ? Le cabinet de recrutement de dirigeants Heidrick & Struggles publie la 3e édition de son étude « Mixité au sommet de l’entreprise ». Elle analyse l’évolution, entre 2019 et 2024, des Comités exécutifs (Comex) dans les entreprises qui composent l’indice boursier du SBF 120. La loi portée par Marie-Pierre Rixain, députée (Renaissance) de l’Essonne, fixe deux échéances à toutes les entreprises employant 1 000 salariés ou plus : leurs Comex devront afficher un taux minimum de 30 % de femmes en 2027, et de 40 % à partir de 2030.
Un énorme écart entre "bons" et "mauvais" élèves
Si l’on considère le tableau général, « ce qui se passe est largement positif, même si la pente est encore raide pour 2027, et plus encore pour 2030 », résume Sylvain Dhenin, associé au sein de Heidrick & Struggles et responsable des activités de recrutement de dirigeants et d’administrateurs pour l’Europe et l’Afrique. Pendant les 5 ans couverts par l’étude, la proportion d’entreprises du SBF 120 ayant déjà atteint les 30 % fixés par la loi pour 2027 est en effet passée de 17 % à 47 %, soit 56 entreprises au total. Et concernant l’étape suivante (40 % de femmes), elles sont passées de 5 % à 21 % du total, soit 25 entreprises. Un bémol atténue toutefois la performance : 25 % de l’indice SBF 120 (soit 32 entreprises) accusent un gros retard, avec moins de 20 % des femmes dans leurs Comex. Comment celles qui ont réussi ont-elles fait ?
Le premier constat est plutôt rassurant : les entreprises n’ont pas augmenté le nombre de membres de leurs Comex pour atteindre plus facilement les quotas imposés par la loi Rixain du 24 décembre 2021. « Leur nombre a même légèrement baissé, de 1 345 en 2019 à 1 316 en 2024 », souligne Muriel Moreau, associée et responsable du bureau de Paris. Et cela, alors même que de nouveaux rôles ont intégré ces instances, comme la Responsabilité sociale et environnementale (RSE), la stratégie ou encore la recherche et développement.
Le deuxième constat l’est un peu moins : de 2019 à 2024, la proportion de femmes occupant des fonctions opérationnelles (liées à la production, notamment) n’a que légèrement augmenté, passant de 13 % à 17 %. Au rythme actuel, souligne l’étude, il faudra plus de 25 ans pour atteindre le seuil des 40 %. Or, il s’agit précisément des postes qui tiennent les budgets et conduisent au sommet des entreprises.
Postes fonctionnels contre postes opérationnels
« Pour aller plus vite, une partie des entreprises a privilégié les nominations de femmes à des postes fonctionnels », indique Hervé Borensztejn, associé et responsable des activités de conseil en leadership en France : de 32 % en 2019, leur part a grimpé à 43 %. Ressources humaines, marketing et communication deviennent ainsi des postes de plus en plus féminins, sachant que ce ne sont pas ceux qui peuvent donner accès à un poste de « numéro une ». Cette distribution des rôles explique pourquoi, au sommet des entreprises du SBF 120, on trouve si peu de femmes directrices générales ou PDG.
Troisième constat : les femmes n’ont pas trouvé leur juste place dans tous les secteurs d’activité. Si elles représentent aujourd’hui 34 % des comités de direction dans la santé et les sciences de la vie (contre 15 % en 2019), elles ne sont que 21 % dans le secteur tech-télécom, à comparer aux 17 % de 2019 : une avancée trop timide. A noter qu’avec 36 % de femmes dans les Comex des banques et assurances (contre 24 % cinq ans plus tôt), le secteur a enregistré des progrès significatifs, comme en témoignent BNP Paribas ou Société générale, qui ont déjà atteint l’objectif de 40 % fixé pour 2030. C’est aussi le cas de groupes aussi divers que Kering, Accor, Publicis ou Eramet, entreprise pourtant très industrielle. « Question de volontarisme », estime Sylvain Dhenin.
Mais le nœud du problème est sans doute ailleurs. « La promotion interne des femmes est assez faible, explique Emma Burrows, associée et responsable des activités de recrutement de DRH pour l’Europe et l’Afrique. Le recrutement externe progresse plus vite. » De 54 % en 2019, la part de femmes recrutées en comité de direction est tombée à 49 % en 2024. C’est donc plus de la moitié des femmes qui sont aujourd’hui recrutées en externe, contre seulement 32 % des hommes. « Nous avons travaillé avec certains clients sur les viviers de talents », détaille Emma Burroughs.
Quand les femmes favorisent la promotion des autres femmes
Si l’étude 2025 de Heidrick & Struggles met en lumière les progrès accomplis, elle tire aussi la sonnette d’alarme car une trentaine d’entreprises du SBF 120 – à l’instar d’Eiffage, Capgemini, Airbus, Nexans ou encore Bouygues – sont encore loin des objectifs fixés par la loi Rixain, avec un taux de féminisation de leurs instances inférieur à 19 %. Or, rappellent ces experts, le non-respect des quotas fixés par la loi Rixain aura un coût élevé pour les entreprises qui ne seront pas au rendez-vous : 1 % de la masse salariale.
A l’exact inverse, les entreprises les plus vertueuses sont celles qui sont dirigées par des femmes, dont près de trois quarts ont déjà atteint le seuil de 30 % et près de la moitié, celui de 40 %. Sur les 13 entreprises dont le dirigeant est une femme, 6 sont dans cette situation. Faut-il préciser qu’aucune entreprise ayant moins de 19 % de femmes à son Comex n’est dirigée par une femme ?
Newsletter
Recevez les analyses et les exclusivités de la rédaction directement dans votre boite mail.