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HISTOIRE DES RÉPUBLIQUES ITALIENNES DU MOYEN ÂGE, PAH J. C. L. SIMONDE DE SISMONDI, Correspondant de l’Institut et de l’Académie royale de Prusse, des Académies italienne, de Wilna, de Cagliari, des Georgoûli, de Genève, de Pistoia, etc. NOUVELLE ÉDITION, REVUE ET CORRIGÉE. TOME SEIZIÈME. A PARIS, CHEZ TREUTTEL ET WÜRTZ, LIBRAIRES, SUt DE BOURBON, N° I7; A Strasbourg et à Londres , même Maison de Commerce. ' 1826. f XÀOTJ 'C A.\ i LEHH- ANSTALTEN w HISTOIRE DES RÉPUBLIQUES ITALIENNES DU MOYEN ÂGE. CHAPITRE CXXI. Préparatifs des Florentins pour défendre leur liberté; ils sont assiégés par le prince dé Orange. Exploits, dans l’état florentin, de François Ferruccï, commissaire - général ; il livre au prince d’Orange un combat où tous deux sont tués; capitulation de Florence. i529, *53o. Tandis que tous les autres états de l’Italie, chap. cm trahis parleurs chefs, ravagés par les étrangers, épuisés par une longue guerre, divisés par une fausse politique, et vendus par leurs alliés, se soumettoient sans résistance au joug que leur imposoit la maison d’Autriche, la république de Florence se préparait seule, avec courage, à TOME XVI. I 2 HISTOIRE UES RÉPUB. ITALIENNES en ap. cxxt. tomber noblement en sacrifice, plutôt que de renoncer à son antique liberté. Dépositaire de tout l’éclat, de toutes les vertus, de tout le savoir de ces républiques du moyen âge, au milieu desquelles elle s’étoit élevée, et qu’elle avoit toutes surpassées en renommée, en puissance et en richesses, elle sembloit recouvrer des forces par le sentiment de sa gloire passée, . et si aucune espérance ne se présentoit plus à elle, si sa résistance ne pouvoit être couronnée d’aucun succès, elle ne croyoit pas moins devoir se défendre, pour l’honneur de ses souvenirs. Florence n’avoit jamais été une république militaire ; et dans le temps même où, occupant le premier rang en Italie, elle avoit mis des bornes à la puissance des ducs de Milan , des rois de Naples et des empereurs, elle ne comp- toit, dans ses armées, presque aucun de ses citoyens. Les mêmes hommes qui, au milieu des plus effrayans revers, montroient dans les conseils une constance, une fermeté à toute épreuve, ne savoient point affronter des dangers personnels; mais lorsqu’une dernière ruine vint menacer leur patrie, les Florentins saisirent eux- mêmes leurs armes. Abandonnés de la France; menacés par toutes les forces de l’Eglise, de l’Empire et des royaumes d’Espagne et de Naples , ils sentirent qu’ils ne pouvoîent plus 1>U MOYEN AGE. 3 prendre confiance qu’en leur propre valeur, chap. cxxi Sans négliger aucun des moyens qui pouvoient encore attacher à leur cause, comme condottieri, les petits princes leurs voisins, ils prévirent qu’ils pourroient être abandonnés par eux au moment du besoin ; et ils s’occupèrent à organiser la milice nationale, qui seule ne pouvoit leur manquer. Encore que l’esprit de parti eût peut - être présidé à l’établissement des divers corps de cette milice, un même zèle militaire et patriotique avoit animé tout le peuple, et ce zèle le rendit capable d’une résistance héroïque. Le peuple florentin, en prenant successivement les armes, avoit formé trois corps diflé- rens : le premier, organisé dès le mois de décembre 1537, pour la garde du palais public et du gonfalonier, étoit composé de trois cents jeunes gens, presque tous de familles nobles. Mais comme l’amour de la liberté étoit plus ardent parmi ces jeunes gens que parmi les vieillards, ils étaient aussi susceptibles de plus de détiauce. Les ménagemcns extrêmes de Nicolas Capponi pour les Médicis, les inquiétoient ; ils avoient déjà quelque soupçon de sa correspondance secrète avec le pape Clément VII, et ils se considéraient comme moins destinés à le garder, qu’à garder le palais public contre lui. (i) (i) Ben, Varchi, L. V, p. 4g.— Bern, Segni, L. IT, p. 34- 4 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES ti ca ap. cxxi. C’étoit dans un autre esprit que la garde urbaine des citoyens florentins avoit été formée. D’après le décret du grand - conseil, du 6 novembre 1528, elle auroit dû être composée de seize compagnies de deux cent cinquante hommes, commandées par les seize gonfaloniers de quartier, qui formoient le collège de la seigneurie : cependant il ne se trouva sur le rôle que dix-sept cents arquebusiers, mille piquiers et trois cents hallebardiers, ou soldats armés de pertuisanes et d’épées à deux mains, en tout, trois mille hommes , âgés de dix-liuit à trente-six ans, et issus de parens habiles à siéger au grand- conseil. La seigneurie accorda à chaque compagnie, au commencement de l’année 1629, le droit de nommer son capitaine ; et elle engagea plusieurs officiers distingués, qui avoient déjà servi dans les bandes noires, à discipliner ce corps. Il devint bientôt supérieur à la meilleure troupe de ligne. (1) Enfin, le troisième corps étoit la milice du territoire florentin, qu’on nommoit encore les bandes de l’ordonnance. Cette milice formée sous le gonfalonier Pierre Sodérini, d’après les conseils de Macchiavel, avoit été licenciée et désarmée parles Médicis; mais elle fut rassemblée de nouveau dès l’an j 527. A la première (1) Bened. Varchi, L. VIII, p. 224.- — Bern. Segrti, L. II, p. 38. DU MOYEN AGE. 5 revue, on l’avoit trouvée forte de dix mille hommes ; elle étoit composée d’une élite des paysans âgés de dix-huit à trente-six ans, qu’on exerçoit tous les mois à tirer de l’arquebuse, et auxquels on assuroit une petite paye, dans le temps même où ils ne quittoient pas leurs foyers : on avoit fait venir pour eux d’Allemagne, des armes de toute sorte, et on les avoit divisés en trente bataillons, selon les provinces auxquelles ils apparlenoient. Les seize bataillons de la rive droite de l’Arno, avoient été mis, au mois de juin i 528, sous les ordres de Babbone de Bri- sighella, petit-fils de ce Naldo de Val de Lamone, qui avoit le premier illustré l’infanterie italienne à la bataille d’Aignadel ; les quatorze bataillons de la rive gauche avoient été mis sous les ordres de Francesco del Monte. Chacun de ces capitaines avoient amené avec lui cinq cents fantassins de troupes de ligne, pour donner l’exemple à la milice, (i) Dès la fin de l’année i5a8, les Florentins choisirent, pour capitaine - général de leurs hommes d’armes, don Hercule d’Este, fils du duc Alfonse de Ferrare. Il l’evenoit alors de France, où il avoit épousé madame Renée, fille de Louis XII et belle-sœur de François I er : il paroissoit impossible que celui-ci î’abandon- (i) Ben. Varchi, Stor.Fior ., L. VI, p. 1 34-— Bern. Segni, L - L P- '7- GIIAP. cxxi 6 HISTOIRE DES BÉPUB. ITALIENNES chap. cxxi. nât ; et les Florentins croyoient s’attacher plus fortement à la maison de France, en choisissant un général qui lui tenoit de si près : le vicomte de Turenne, ambassadeur du roi auprès d’eux, leur avoit donné l’assurance de l’appui de sa cour. D’ailleurs, une haine héréditaire existoit, dès le temps de Léon X, entre la maison d’Este et les Médicis ; et Alphonse, menacé dans tous ses états par Clément VII, paroissoit devoir être l’allié le plus fidèle de la république, contre un ennemi qu’ils craignoient autant l’un que l’autre, (i) Les fortifications qu’avoit commencées à Florence, en i 52 i, le cardinal Jules de Médicis, avant de porterie nom de ClémentVII, n’étoient point terminées. On ne pouvoit les rendre complètes sans détruire ou endommager les possessions de plusieurs citoyens : la magistrature des neuf de la milice fut chargée, au commencement d’avril i 52 g, de faire estimer tous ces fonds, et d’en créditer les propriétaires sur le livre de la banque de la république (il Monté), avec intérêt au cinq pour cent. En même temps, Michel-Ange Buonarotti fut nommé directeur- général des fortifications de la ville. (2) A mesure que le danger approchoit, les Dix (t) Ben. Varchi, StoriaFior., L. VII, p. 194 - 200 .—Jacopo Nardi, L. VIII, p. 349-— Bern. Segni, L. II, p. 5t. ( 2 ) Benedetto Varchi, L. VIII, p. 234 -—Jacopo Nardi, L. VIII, p. 349' — Bern Segni, L. III, p. 75 . T DU MOYEN AGE. 7 de la guerre faisoient de nouveaux efforts pour mettre la république en état de défense. Comme les provinces d’Arezzo et de Cortone passoient pour fournir les meilleurs soldats de Toscane, ils y envoyèrent Raphaël Girolami, leur quartier-maître-général, et huit capitaines, qui tous avoient servi dans les bandes noires, avec ordre d’y lever cinq mille fantassins. En même temps ils prirent à leur solde, au mois de mai 1629, Malatesta Baglioni, seigneur de Pérouse, en lui donnant le titre de gouverneur-général, avec mille fantassins. Baglioni étoit fils de ce Jean-Paul que Léon X avoit fait mourir injustement : il desiroit se venger des Médicis ; il de- voit craindre l’ambition du pape, et il occupoit à Pérouse une position importante pour fermer la Toscane à une armée venant de Naples et de Rome. Plusieurs autres capitaines distingués, tels que Stéfano Colonna, Mario Orsini, George Santa-Croce, s’engagèrent au service des Florentins ; mais ceux-ci étoient obligés de ménager l’orgueil de tous ces petits princes, qui, n’ayant point de grade dans une armée déjà formée, ne vouloient reconnoître d’autre supériorité que celle du rang des souverains. C’étoit pour ce motif que ni l’incapacité d’Hercule d’Este, ni la mauvaise foi souvent éprouvée de Malatesta Baglioni, n’avoient empêché de songer à eux pour le commandement : on auroit 8 HISTOIRE UES RÉPUB. ITALIENNES eu Ai’ cxxr« pu leur préférer de meilleurs capit aines ; mais i5-i8. j e reste des officiers n’auroit pas voulu leur obéir. ( 1 ) Tandis que la république se mettoit en garde avec activité contre les dangers dont elle étoit de toutes parts entourée, elle fut alarmée par la découverte de ce qui parut d’abord un complot de son premier magistrat. Nicolas Capponi, le gonfalonier, prenoit bien moins de confiance dans tous les moyens de résistance que réunis- soient les Dix de la guerre, que dans les négociations qui pouvoient désarmer la colère du pape. Modéré lui-même par caractère, et n’ayant point eu à souffrir pendant l’administration des Médicis, il étoit d’une famille qui avoit su conserver une sorte de neutralité dans les dissensions de sa patrie : son père Pierre , ses aïeux Néri et Gino, ne s’étoient trouvés enrôlés, ni sous les • étendards des Albizzi, ni sous ceux des Médicis ; et durant toutes les administrations, ils avoient rendu d’éminens services à l’état. Depuis que Capponi étoit gonfalonier, il s’étoit fait une étude de calmer la fureur du peuple, de défendre les partisans des Médicis, d’adoucir en même temps le ressentiment du pape par des marques extérieures de respect. 11 n’avoit point trouvé les (i) Bened. Parchi, L. VIII, p. 234 - — Bern. Segni, L. II, p. 56 .— Jacôpo Nctrdi, L.VIII, p. 349.— Letterede’Principi, T. II, p- 172 et seq. DU MOYEN AGE. 9 mêmes dispositions dans ceux que les suffrages CIIA du peuple mettoient avec lui à la tête de l’état ; 1 mais il avoit suivi l’usage établi par les Médicis, et même avant eux, par les Albizzi, d’appeler aux délibérations les citoyens qui, sans être revêtus d’aucune autorité, avoient acquis une longue habitude des affaires publiques. A ces consultations, connues à Florence sous le nom de pratica, Capponi faisoit intervenir un grand nombre de citoyens signalés pour leur attachement aux Me'dicis ; et parmi eux il trouvoit toujours de l’appui pour les mesures de conciliation qu’il proposoit. (i) Les conseillers nommés par le peuple, et investis de la confiance populaire, se plaignirent amèrement de ce que les délibérations , au lieu d’être décidées par leurs suffrages, dépendoient de ceux d’hommes sans mission, que le gon- falonier appeloit à siéger avec eux, et dont plusieurs, tels que François Guicciardini, François Yettori et Mattéo Strozzi, s’étoient rendus trop suspects au peuple, par leur attachement aux Médicis, pour qu’il les revêtit d’aucune fonction. Une loi régla alors la pratica, qui devoit servir de conseil aux Dix de la guerre ; elle la composa des dix magistrats sortant de charge, et de vingt adjoints, choisis par le grand- (i) Jacopo Nardi, ht. Fior., L. VIII, p. 342 - 345 .— Istor. di Ciovio Cambi, T, XXIII, p. 4°- IO HISTOIRE DES R^PÜB. ITALIENNES ciup. cxxi. conseil, tous les six mois, cinq dans chaque i5iS. quartier de la ville. Le gonfalonier, privé par cette loi de son conseil habituel, ne renonça pas cependant aux directions des seuls hommes d’état en qui il eût confiance ; et il les tint dès- lors presque toujours dans ses appartemens, pour conférer avec eux. (i) Les conseillers privés de Nicolas Capponi l’avoient encouragé à entretenir une correspondance secrète avec Clément VII pour tâcher de mitiger son courroux ; elle avoit commencé dès le temps où Lautrec assiégeoit Naples. Ce général craignoit que l’irritation de Clément VII contre les Florentins ne le déterminât à se jeter dans les bras de l’empereur ; et il avoit lui-même prié le gonfalonier de montrer des égards au pape et de lui donner des espérances (a). Après la déroute de Lautrec, Capponi avoit continué à correspondre avec Jacob Salviati, qui, depuis la retraite de G. M. Ghiberti, étoit le principal secrétaire de Clément VII (3). Un nommé Jachi- notto Serragli étoit l’intermédiaire secret de cette correspondance que le gonfalonier déroboit à la seigneurie. Une lettre échappée du sein de (1) Filippo de' JVerli, L. IX, p. 186. — Bernardo Segni, L. I, p. 18; L. II, p. 5 i. (2) Bernardo Segni, L. I, p. 27. ( 3 ) Lettere de' Principi. Diverses Lettres de Jacob Salviati, dès le commencement de l’année lâag, T. II, f. i 54 et seq. I>IT MOYEN AGE. II Capponi, fut relevée le t 6 avril i5ag, dans la salle même des Prieurs, par Jacob Ghérardi, l’un d’eux, et celui peut-être qui nourrissoit déjà le plus de soupçous contre le gonfalonier. La lettre rendoit brièvement compte d’une conférence entre Serragli qui l’écrivoit, et Jacob Salviati : elle annonçoit que le pape consenti- roit, sous de certaines conditions, à maintenir la liberté florentine ; mais elle demandoit au gon- falonier d’envoyer secrètement son fils à Rome pour s’entendre sur ce qu’il ne convenoit pas d’écrire, (i) Cette lettre communiquée par Ghérardi aux plus violens adversaires du gonfalonier, fut considérée par eux comme une preuve manifeste de trahison : elle fut dénoncée à la seigneurie, qui convoqua pour le lendemain le conseil des quatre-vingts, et lui proposa la déposition du gonfalonier et sa mise en jugement. Nicolas Capponi, effrayé de la violence de ses adversaires, au lieu de justifier sa conduite, se contenta de déclarer, avec beaucoup de trouble , que son fils n’étoit nullement coupable, et n’avoit aucune connoissanee de cette affaire. C’étoit presque se reconnoitre lui-même criminel : aussi (i) Bened, Varchi, L. VIII, p. itfi. — Bern. Segni, L. II, p. 5g.—Pauli Jovii , L. XXVII, p. 8 6.—Jac. Nardi, L. VIII, p. 343. — Giovio Cctmbi, T. XXIII, p. 4 1 - — Filippo Nerli L. VIII, p. 179 . CHAP. CXXT r la HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES eiiA.p. oxxi. dès le même jour il fut déposé; et le lendemain l e grand-conseil lui douna pour successeur François, fils de Nicolas Carducci, qui devoit occuper cet emploi jusqu’à la fin de l’année. (1) Cette déposition et cette élection nouvelle s’étoient faites avec une précipitation et une violence qui tenoient en partie au trouble et à la timidité manifestés par Capponi dans sa défense , en partie à l’acharnement de ceux de ses ennemis qui espéroient lui succéder. Lorsqu’il fut remplacé et que ses envieux ne purent plus prétendre à ses dépouilles , leur fureur se calma ; et lui-même il recouvra plus de tranquillité et de présence d’esprit. Traduit devant la seigneurie, il justifia avec fermeté ses intentions et sa conduite ; il soutint qu’il avoit fait pour la république précisément ce qu’il avoit dû faire, et la seule chose qui pût la sauver. Déjà personne ne soupçonnoit plus sa bonne-foi : ceux qui étoient dans le secret de ses négociations, et ceux qui, sans les connoître, se confioient en sa loyauté, le défendoient avec zèle, en sorte qu’il fut acquitté honorablement; et le peuple, pour le dédommager de la mortification qu’il venoit de recevoir , le reconduisit avec pompe à sa maison. (2) (1) Bened. Varchi, L. VIII, p. 244 -— Jac. Mardi, L. VIII, p. 344 -— Giov. Cambi, p. 43 .— Comment, del JYerli , L. VIII, p. 180.— Bern. Segni, L.II,p.6o .—Pauli Jovii, L. XXVII, p. 86. (2) Bened. Varchi, Lib. VHI, p. 251-271.— Bern, Segni, DU MOYEN AGE. l3 Le nouveau gonfalonier avoit à peine pris possession de son emploi, lorsque la république reçut coup sur coup les nouvelles les plus désespérantes. La déroute de Saint-Paul, sa captivité et la dispersion de toute l’armée française, furent bientôt suivies par l’annonce du traité de Barcelone, dans lequel Charles - Quint abandonnoit les Florentins aux vengeances du pape, et pro- mettoit de rétablir dans leur ville la tyrannie de la maison de Médicis. Peu de jours après, le traité de Cambrai fut connu, par lequel François I er , au mépris des engagemens les plus sacrés, excluoit les Florentins de la pacification générale, et re- nonçoit à les protéger. En même temps ils apprirent le débarquement de Charles-Quint à Gènes avec une armée espagnole, et la descente en Italie d’une armée allemande qui venoit le joindre. Ces coups répétés étoient faits pour at- térer les plus fermes courages; et l’effroi qu’ils répandirent à Florence étoit d’autant plus grand, que les prêtres et les moines qui, réveillant la secte de Savonarola, secondoient de tout leur pouvoir le gouvernement populaire, avoient affirmé, comme s’ils en étoient instruits par une révélation divine, que l’empereur ne viendroit point cette année en Italie. Ce premier événe- Lib. II, p. 61-67. — Comment, di Fil. de’ JVerli, Lib. VIII, p. 18-2 .—Jacopo Nardi, Lib. VIII, p. 344 - — Pauli Jovii, L. XXVII, p. 89. l4 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES citât, cxxi. méat quidémentoit leurs prophéties, diminua la *5 a 9« foi que le peuple accordoit à toutes les autres, (i) Cependant les Florentins, déterminés à affronter ces nouveaux dangers avec un l’edoublement de courage, prirent dès-lors des mesures plus énergiques pour se mettre en état de résister. Le gonfalonier dont la fermeté étoit inébranlable, communiquoit sa vigueur aux conseils et au peuple. Il étoit surtout secondé par Bernardo de Castiglione, Jean-Baptiste Céi, Nicolas Guic- ciardini, Jacob Ghérardi, André Niccolini et Louis Sodérini, qui s’étoient rangés dans le parti le plus populaire. ( 2 ) Avant tout il falloit pourvoir aux dépenses d’une guerre que les plus riches monarques ne pouvoient supporter long-temps. Le gonfalonier obtint une première loi dérogeant à la constitution florentine, par laquelle le grand-conseil étoit autorisé à établir tout emprunt ou toute imposition nouvelle, à la simple majorité des suffrages (3). Les lois fiscales que la nécessité fît porter pendant la durée du siège, n’auroient, en effet, jamais été sanctionnées selon les formes an- (1) Bened. Varchi, L. IX, p, 20. — Bern. Segni, Lib. III, p. y 3 . — Comment. delDferli, L. IX, p. 188. (2) Benedetto Farchi, Stor. Fior. , L. IX, p. 3 o.— Fil. de’ Nerli, L. IX, p. 189. ( 3 ) Jacopo flfardi, L. VIII, p. 353 . DÛ MOYEN AGE. l5 ciennes ; car comme il fallut pourvoir à des dé- chap, cxxr penses inouïes, comme tous les revenus ordi- l5s9 ' naires avaient cessé par l’occupation du territoire et par la suppression de la gabelle des portes, il fallut recourir à des mesures arbitraires et rigou- l’euses pour lever de l’argent. Des emprunts forcés furent à plusieurs reprises exigés de ceux que des commissaires nommés à cet effet dési- gnoient comme les cinquante, les cent, les deux cents plus riches citoyens de la république. Toute l’argenterie des églises, aussi-bien que toute celle des particuliers, fut portée à la Mon- noie; toutes les pierres précieuses qui ornoient les reliques furent mises en gages; le tiers des possessions ecclésiastiques fut vendu en même temps que les immeubles des corporations d’arts et métiers et les biens des rebelles. Par ces moyens souvent violens, mais que justifioit la nécessité, la république se trouva en état d’opposer une longue résistance à une armée qui en vouloit à sa propriété autant qu’à sa liberté. (i) Le gonfalonier et la seigneurie ordonnèrent ensuite aux paysans de mettre en sûreté dans Florence ou dans les villes fortifiées la totalité de leurs vivres; mais les récoltes avaient été si prodigieusement abondantes cette .année, que (i) Fil de’ Nerli , L. X , p. 216.— Bern, Segni, Lib, IM , P- 97 - l6 niSTOIRE DES RÉPÜB. ITALIENNES ciiap. cxxi. cet ordre fut mal exécuté, et les ennemis profitât). tèrent,bien plus que les citoyens, de cette richesse des moissons. Les villes de Borgo-San- Sépolcro, Cortone, Arezzo, Pise et Pistoia, où le gouvernement n’étoit pas aimé, furent obligées de donner des otages. Dans toutes les autres, et dans toutes les forteresses, la seigneurie envoya des commandans affidés. Enfin sept commissaires furent nommés avec un pouvoir presque dictatorial pour veiller au salut de la république : malheureusement le choix tomba sur des hommes fort inégaux en talens, en connaissances et en énergie; ils ne furent point assez d’accord entre eux ou assez prompts dans leurs décisions, pour que leur création fût d’un grand secours. (1) Comme le danger approchoit, les Dix de la guerre sommèrent Hercule d’Este de se rendre à son poste; et, en même temps, ils lui envoyèrent la solde des mille fantassins qu’il de- voit conduire. Mais déjà le duc de Ferrare, son père, négocioit pour se réconcilier avec l’empereur et le pape ; et il ne vouloit pas les aliéner en envoyant son fils au service de leurs ennemis. Après avoir accepté l’argent des Florentins, (i) Ce furent Jacob Morelli, Zanobi Carnésecchi, Anton- Francesco Albïzzi, Bernardo de Castiglione, Alfonso Strozzi, Agostino Dini, et Filippo Baroncini. Bened. Varchi, L. IX, p. 34- MJ MOYEN AGE. T 7 et promis que son fils ne tarderait pas à se chap. csm mettre en route avec ses troupes, il différa son départ sous divers prétextes; puis il le refusa péremptoirement, sans rendre l’argent qu’il avoit reçu. Bientôt après, il rappela son ambassadeur de Florence; et enfin, il prêta au pape de l’artillerie et deux mille pionniers, pour les employer contre les Florentins. (1) Lorsque la seigneurie avoit reçu la nouvelle du débarquement de l’empereur à Gènes, elle avoit cru devoir lui envoyer une députation. Cette démarche fournit un prétexte que saisirent avidement tous les alliés des Florentins, pour prétendre que la ligue avoit été violée. En effet, les puissances italiennes s’étoient engagées à ne point traiter séparément ; et aucune autre n’avoit encore manqué ouvertement à cette promesse. D’ailleurs la députation florentine étoit aussi mal choisie que hors de saison : ses quatre membres étoient opposés d’opinions et de partis, et jamais ils ne purent s’accorder pour agir de concert. L’empereur refusa constamment de traiter avec eux, s’ils ne se récon- cilioient préalablement avec le pape; et il regarda comme insufïisans leurs pouvoirs, encore qu’ils portassent que la république consentait à toutes les conditions qui lui seroient impo- (i) j Ben. Varchi, Stor. Fior., T. III, L. IX, p. 35. TOME XVI. 2 l8 HISTOIRE DES RÉPIJB. ITALIENNES ciui’. cxxi.seos, sauf à l’aliénation de sa liberté. Le grand i5ag. chancelier de l’empereur leur déclara que, par les secours qu’ils avoient donnés à la France, ils avoient encouru la forfaiture de cette liberté et de tous leurs privilèges ; et il ne voulut point admettre leur réponse, que Florence étoit un état indépendant, qui ne tenoit pas ses privilèges d’une concession des empereurs, mais de ses propres droits. Les ambassadeurs furent, ensuite congédiés. Cependant deux d’entre eux, effrayés des dispositions qu’ils avoient vues à la cour impériale, ne reprirent, point le chemin de leur patrie. Mattéo Strozzi se retira à Venise, et Thomas Sodérini à Lacques. Nicolas Capponi, l’ancien gonfalonier, qui étoit le troisième ambassadeur, lorsqu’il arriva à Castel-Nuovo de Garfagnana, y rencontra Michel-Ange Buona- rotti, qui s’enfuyoit avec Rinaldo Corsini, et qui lui donna les plus tristes détails sur les revers déjà éprouvés par la république. Capponi, accablé par la fatigue, l’âge et le chagrin, fut alors atteint d’une maladie dont il mourut le 8 octobre. Raphaël Girolami revint seul à Florence rendre compte de son ambassade, et exhorter ses compatriotes à affronter avec courage la tempête qui les menaçoit. (i) (i) Benedelto Varchi, L. IX, p. 38-42. — Jacopo Nardi, L. VIII, p. 354- — Filippo IVerli, L. IX, p. îgi, ig5. — Bern. Segni, L. III, p. j5. — Michel-Ange semble avoir été accès- / PU MOYEN AGE. I() C’étoit au prince d’Orange, alors vice-roi de cbap. cxxj Naples, que l’empereur avoit confié la commis- l ^9- sion de réduire Florence, et d’accomplir les Vengeances du pape Clément VII. Celui-ci alloit donc tourner contre sa patrie ce même général * et cette même armée qui, trois ans auparavant, l’avoient tenu assiégé avec tant de rigueur, qui avoient pillé sa capitale sous ses yeux avec une si effroyable barbarie, et qui ne lui avoient rendu la liberté à lui-même qu’après avoir extorqué de lui une scandaleuse rançon. Le pape consentoit à pardonner toutes ces injures, pourvu que ces hommes féroces prissent l’engagement ' d’infliger de sefnblables peines à la ville où il avoit vu le jour. L’armée qui.avoit pillé Rome, et qui avoit vécu à Milan à discrétion, fut rappelée sous ses étendards par l’espoir de piller Florence; et l’on vit des soldats espagnols, retenus devant les tribunaux pour quelque cause civile, protester contre leur partie adverse à raison des dommages et intérêts qu’ils pourroient sible à des terreurs d’autant plus vives, qu’il avoit plus d’imagination. Aux premiers revers des Florentins , il s’enfuit jusqu’à Venise. Un sentiment de remords et de honte le ramena ensuite à son poste et à la direction des fortifications. A la prise de la ville, il fut frappé d’un nouvel effroi, et il se tint long-temps caché : mais, lorsque Clément VII l’eut fait assurer qu’il n’avoit rien à craindre, il entreprit par reconnoissance les statues des tombeaux de la chapelle Laurenziana. Bened. Varchi, T. IV, !.. XII, p. 293-294. 20 HISTOIRE DES IlEHUB. ITALIENNES chap. cxxi. encourir pour n’avoir pas assisté au sac de Flo- 1529. rence. (1) Cependant lorsqu’à la fin de juillet le prince d’Orange vint à Rome pour avoir une conférence avec le pape sur les moyens de commencer son expédition, il fut arrêté quelque temps par l’avarice et la défiance de Clément VII, qui ne vouloit point se dessaisir de l’argent qui lui étoit demandé. Ce fut avec peine que le pape consentit enfin à payer trente mille florins comptant, et à en promettre quarante mille dans un terme court (2); mais il trouva un autre moyen pour gagner la bienveillance des soldats, sans qu’il en coûtât rien à son trésor. Ceux-ci, eu quittant Rome le 17 février i 5 a 8 , n’avoient pas achevé de recouvrer les tailles et les rançons qu’ils avoient imposées arbitrairement à ses citoyens, et dès-lors ils ne croyoient plus pouvoir y prétendre. Clément VII leur accorda le jîrivilége de se faire payer tout ce que les Romains leur dévoient encore sur ces engage- mens extorqués par la violence. ( 3 ) L’armée du prince d’Orange se rassembla entre Foligno et Spelle, sur les confins de l’état de Pérouse. On y voyoit trois mille cinq cents (1) Bened. Varchi, L. IX, p. 54-— Bern. Segni, L. III, L’. 77 -—Jacopo Nardi, L. VIII, p. 35o. ( 2 ) Ben. Varchi, L. IX, p. 5o. (3) Idem , p. 53. 1HJ MOYEN AGE. 21 Allemands, reste des treize mille landsknechts en ap. cxx i que George Frundsberg avoit amenés à Bourbon iSag. en 1526 ; la peste de Rome et la famine de Naples avoient emporté les autres : on y voyoit encore cinq mille Espagnols du marquis de Guasto, vieillis de même que les Allemands dans toutes les guerres d’Italie. Après la paix de Lombardie seulement, on y vit arriver aussi, sous don Pédro Yelez de Guévara, deux mille Espagnols nouvellement débarqués à Gènes, qui n’avoient point encore servi, et qui, d’après l’état de dénûment absolu dans lequel arri- , voient toujours les recrues d’Espagne, étoient appelés par les Italiens Bisogni. Vers le même temps, le comte Félix de Wirtemberg amena aussi de nouvelles recrues allemandes. Le reste de l’armée étoit composé de soldats italiens, qui pour la plupart servoient sous leurs chefs les plus distingués, sans paye, et dans la seule espérance du pillage. Lorsque le prince d’Orange entra en campagne, au commencement de septembre, il n’avoit pas plus de quinze mille hommes sous ses ordres -, mais, avant la fin du siège, il parvint à en avoir plus de quarante mille. (1) Pour entrer en Toscane, Orange devoit tra- (i) Ben. (Sarcla, L.X, p. 128. — Bern. Segni, L. HT, p. 99 — Pauli Jovii, L. XXVII, p 116, 22 HISTOIRE UES RÉPUB. ITALIENNES chap. cxxi. verser l’état de Pérouse, que Malatesta Baglioni 1529. défendoit avec trois mille hommes à la solde des Florentins. Le château de Spellc, sur l’extrême frontière du Pérousin, où l’abbé Léon de Baglioni, frère naturel de Malatesta, étoit venu s’enfermer, arrêta quelque temps les ennemis. Jean d’Urbina, lieutenant-général de l’armée impériale, y fut tué. Spelle fut pris enfin le i er septembre, et pillé avec une grande cruauté (1). T/armée arriva ensuite devant Pérouse; mais le siège de cette ville, située au sommet d’une petite montagne, et dans une très-forte position, présentoit de grandes difficultés. lie prince d’Orange, qui hésitoit à Ven- treprendre, offrit à Malatesta Baglioni des conditions honorables et avantageuses. 11 s’engageoit à le faire absoudre par le pape de toutes les censures ecclésiastiques qu’il a voit encourues, à lui faire permettre de demeurer au service des Florentins avec sa compagnie d’aventure, à lui conserver enfin la seigneurie de Pérouse, pourvu qu’il évacuât cette ville, que le prince d’Orange ne vouloit ni assiéger, ni laisser derrière lui en des mains ennemies. Baglioni demanda aux Florentins, ou de consentir à ce traité, ou d’augmenter considérablement ses (1) Ben. Varchi, L. X, p. i 3 2.— Comment, di Pilippo de’ Nerli, L. IX, p. >92. — Bern. Segni, L. III, p. 78 .—Paidi Jovii, L XXVII, p. 112. DU MOYEU A.G1Î. 2 3 forces. Comme ceux-ci ne pouvoient accor- chap.cxxi. ( 1 er une entière confiance ni à Baglioni, ni aux T ^ a 9 ' Pérousins, ils prirent le premier parti. Le traité de Malatesta Baglioni fut signé le 10 septembre; et, le 12, il prit le chemin d’Arezzo avec ses troupes et celles des Florentins. (î) Le prince d’Orange le suivit de près : il s’approcha, le 1 4 septembre, de Cortone, où il n’y avoit pour garnison que sept cents fantassins; et après avoir éprouvé quelque perte dans un assaut qu’il fit donner à la ville ce même jour, il la reçut le lendemain à composition. Arezzo se trouvoit ensuite sur sa i*oute : Anton-Francesco Albizzi y avoit été envoyé pour commissaire, et il y commandoit deux mille hommes ; mais troublé par l’arrivée de Malatesta Baglioni, et par la prompte capitulation de Cortone, il évacua Arezzo avec sa troupe; et en faisant précipitamment sa retraite sur Florence, il répandit la consternation dans tout le Val d’Arno supérieur. Les ennemis du gonfalonier affirmèrent que e’é- toit sans la participation de la seigneurie et des Dix de la guerre, qu’il avoit donné à Anton- Francesco Albizzi l’ordre de se retirer, pour réunir toute l’infanterie à Florence, au lieu de l’exposer en détail à soutenir des sièges. Dans ce cas (i) Ben . Varchi, L. X, p. 137 . — Jacopo Nardi , L. VIII, p. 35o .—Bern Segni, L. III, p. 86. Pauli Jovii, L. XXVII, p 11 5 . 24 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES même, le désordre de cette retraite auroit été aussi coupable qu’imprudent, (i) Arezzo, évacué par les Florentins, ouvrit, le 18 septembre, ses portes à l’armée impériale. Cette ville crut alors recouvrer son antique liberté : elle fit battre monnoie, elle envoya des commissaires dans tous les châteaux de son ancien territoire; elle réorganisa son administration, sous le nom de république d’Arezzo; et pendant le siège de Florence, elle fournit aux Impériaux de constans Secours, sans prévoir qu’aussitôt que Florence seroit prise, Arezzo retomberoit sous le joug. (2) La perte de Cortone et d’Arezzo fut bientôt suivie de celle de Castiglione-Fiorentino, de Firenzuole et de Scarpéria; l’armée impériale s’avançoit, et aucun obstacle ne paroissoit plus pouvoir l’arrêter. Son approche répandit une grande terreur dans Florence : on vit alors fuir de la ville tous ceux que leur pusillanimité ou leur attachement aux Médicis engageoient à séparer leur sort de celui de leur patrie. Barthé- lemi ou Baccio Valori en donna l’exemple, et il fut suivi par Robert Acciaiuoli, Alexandre (1) Ben. Varchi , L. X, p. 142.— Jacopo JYardi , L. VIII, p. 35 i. — Bern. Segni, L. III, p. 88. — Fil de' Nerli, L. IX , p. 292. — Pauli Jovii, L. XXVII, p. n 4 - (2) Ben. Varchi , Stor. Fior., L. X, p. i 55 .— Bern. Segni, L. III, p. 87, 90. DU MOYEN AGE. 2 0 Corsini, Alexandre de Pazzi, et enfin par François Guicciardini l’historien, qui, après avoir vécu en prince dans son gouvernement de Parme et Modène, ne croyoit point qu’on eût pour lui, dans sa république, assez de respect et de reconnoissance. Il passa dans le camp ennemi ; il eut une part odieuse aux vengeances du parti victorieux, et il contribua, d’une manière plus fatale encore, à l’établissement final de la tyrannie, employant son habileté politique à la ruine de son pays. La haine qui dans Florence, malgré son asservissement, poursuivit ensuite tous ceux qui avoient trahi la liberté, paroît avoir déterminé Guicciardini à écrire l’histoire de son temps pour reconquérir l’estime publique. Le même motif porta sans doute Philippe de Nerli à écrire ses commentaires. Celui-ci s’étoit rendu tellement suspect par son zèle pour les Médicis, que, le 8 octobre i5zç), il fut arrêté avec dix-huit autres citoyens, et détenu dans le palais jusqu’à la fin du siège, (i) La seigneurie avoit récemment envoyé quatre ambassadeurs au pape; mais les pouvoirs qu’elle leur avoit donnés , étoient trop limités pour satisfaire l’ambition de la maison de Médicis. Clément VII leur répondit que son honneur exi- (i) Ben. Varchi, L. X, p. 170. —Filippo de’ Nerli, L. IX , p. 198. — Bern. Segni, L. III, p. 193. — Fr. Guicciardini, L. XIX, p. 53 a. chAp. cxxi. 1529. I aG HISTOIRE DES RÉPUE. ITALIENNES en ap. cxxi. geoit que la ville se rendît à lui à discrétion ; l5a 9' qu’alors il montrerait à son tour au monde qu’il étoit lui-même Florentin, et qu’il aimoit sa patrie (i). Cette réponse fut communiquée à une assemblée générale des citoyens réunie dans la salle du grand-conseil : ils se divisèrent ensuite en seize bureaux, pour délibérer sous leurs gônfalons; et quinze de ces bureaux déclarèrent qu’ils aimoient mieux sacrifier leurs biens et leurs vies dans un combat, que leur honneur et leur liberté par un traité. ( 2 ) Malgré les progrès qu’avoit faits l’art d’attaquer les villes, les fortifications de Florence étoient encore regardées comme presque inexpugnables du côté de la plaine : mais la partie des murs qui traverse les collines au midi de l’Arno étoit mal tracée, dominée en plus d’un endroit, et beaucoup plus foible. La portion montueuse de cette enceinte, nommée le Monte à San-Miniato, fut confiée à la défense de Sté- fano Colonna, qui se mêloit fort peu du reste du siège, et qui, dans son quartier, ne recon- noissoit pas de supérieur (5). Les retards du prince d’Orange, qui perdit près de quinze jours dans le Val d’Arno, lorsqu’on s’attendoit à toute (1) Ben. Varchi, L. X, p. 167. — Fil. de’ Nerli, Lit-, IX , p. 196.— Bern, Segni, L. III, p. 86. (2) Ben. f~archi. L. X, p. 17?) - f 3 ' Idem, L. IX, p. 81 . — Jacopo Nardi, !.. VIII, p. 356 . DU MOYEN AGE. I'] heure à le voir arriver devant la ville, donnèrent c le temps de fortifier, par de nouveaux travaux, ces murs dont la foiblesse laissoit des doutes. Ils permirent aussi d’exécuter un ordre, donné le 19 octobre par le conseil des Quatre-Vingts, pour raser tous les bourgs, toutes les maisons, tous les jardins, à un mille de distance des murs de Florence. Cet ordre, qui sacrifioit des milliers de riches bâtimens et des vergers délicieux, dans le site le plus peuplé et le plus richement cultivé de toute l’Italie, fut exécuté avec un zèle vraiment patriotique, par les propriétaires eux- mêmes. On les vit rentrer à la ville, chargés des fagots qu’ils avoient coupés pour les fortifications, parmi les oliviers, les figuiers, les orangers et les cédrats de leurs propres bosquets. (1) Ce fut le 14 octobre seulement, que le prince d’Orange vint établir son logement au Piano à Ripoli, devant Florence. Il avoit demandé aux Siennois de l’artillerie ; et ceux-ci, qui ne la prêtaient qu’à regret, la faisoient avancer fort lentement. Les premières batteries ne purent être ouvertes avant le commencement de novembre ; et dans l’intervalle, les Florentins avoient travaillé avec tant de constance à leurs fortifications, qu’ils ne croyoient plus avoir à craindre les attaques de leurs ennemis. La république (1) Bened. Varchi, L. X, p. i 85 . Jacopo Pfardi , L, VIII p. 353 .—Filippo de lYerli, L. IX, p. 197 et 202. H AP. CXXI. 1529 . y.8 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES cuap. cxxi. payoit alors la solde de dix-huit mille fantassins 1J2 9- et de six cents chevaux : cependant elle n’avoit réellement que treize mille soldats sur pied, dont sept mille à Florence, et six mille dans les garnisons de Prato, Pistoia, Empoli, Vol- terra, Pise, Colle et Montépulciano. Malatesta Baglioni commandoit trois mille Pérousins, et le capitaine Pasquino, qui lui étoit subordonné, deux mille Corses; Étienne Colonna avoit sous ses ordres les trois mille hommes de la milice urbaine, qui faisoierit le service comme la troupe de ligne. Toute la population avoit pris des habitudes militaires; et toute autre occupation étoit suspendue dans la ville, à la réserve des travaux purement mécaniques. La dépense de cet établissement alloit à soixante-dix mille florins par mois, (i) Pour défendre les parties plus éloignées de leur territoire, et surtout Borgo San-Sépolcro et Montépulciano, les Florentins prirent à leur solde Napoléon Orsini, plus connu sous le nom d’abbé de Farfa, quoiqu’il eût depuis long-temps résigné cette abbaye pour faire le métier de condottiere. C’étoit un des plus redoutables parmi ces gentilshommes qui partageoient leur vie entre la guerre et le brigandage. Il avoit rassemblé, dans son fief de Bracciano, une troupe (i) Bernanlo Segni, I. II[, p. 89. OU 1UOYF.JM AGE. 2() nombreuse de soldats et de bandits, avec lesquels, pour venger, disoit-il, les Romains, il avoit exercé de grandes cruautés sur les Impériaux, et ensuite sur les soldats du pape ( 1 ). Il rendit d’abord de bons services aux Florentins, avec les trois cents chevaux qu’il leur amena ; mais il se laissa plus tard surprendre par Alexandre Vitelli, entre Borgo San-Sépolcro et Città di Castello : sa troupe fut entièrement dissipée ; il se sauva lui-même avec peine, et il abandonna dès-lors le service des Florentins. ( 2 ) D’autres petits combats se livroient autour de Florence, soit dans les lignes que vouloit tracer le prince d’Orange, soit à l’attaque des petites places du Val d’Arno, qu’il cherclioit à réduire. Ce fut dans ces combats que François Ferrucci se distingua par son intrépidité et son intelligence de la guerre, et qu’il gagna la confiance de ses concitoyens comme l’estime de ses ennemis. Quoique la famille de Ferrucci fût ancienne, elle étoit très-pauvre ; et depuis plusieurs générations elle n’avoit pas produit de magistrat distingué. Son aïeul Antonio s’étoit signalé aux sièges de Piétra-Santa et de Sarzane. Son frère Simone étoit entré, ainsi que lui, au (1) Marco Guazzo, Ist. di saoi tempi, f. 52 . —Leltere de Principi, T. II, f. i5y et seq. ( 2 ) Bentardo Segni , L. III, p. qq ; L. IV, p. 10A. — Pqtdi Jovii Hist., L. XXVIII, p. i3i. ai’, r.xxi. 1529. 3o HISTOIRE DES 11JÏ1*[JB. ITALIENNES (inAi*, cxxi. service sous Antonio Giacomino Tébaldueci, le i5*g. meilleur officier que les Florentins eussent eu depuis long-temps : ils avoient appris de lui l’art de la guerre, et ils s’étoient ensuite distingués dans les bandes noires, sous Jean de Mé- dicis. Francesco Ferrucci avoit servi jusqu’à la fin dans cette troupe redoutable; et il en étoit le payeur à l’expédition de Naples, d’où il étoit tout récemment revenu (i). 11 fut envoyé comme commissiaire-général, par la seigneurie, d’abord à Prato, puis à Empoli ; et après avoir mis ces petites villes en état de défense, il tint la campagne avec tant de succès, il enleva si souvent aux ennemis des partis considérables, des chevaux ou des convois de vivres, il sut maintenir une si bonne discipline dans sa petite armée, que les soldats, qui l’aimoient autant qu ils le craignoient, se croyoient invincibles sous ses ordres. ( 2 ) A leur première arrivée devant Florence, les Espagnols s’étoient rendus maîtres de San-Mi- niato, où ils avoient laissé deux cents fantassins qui, favorisés par les habitans de la ville, infestoient tout le pays environnant, et gê- noient la communication entre Florence et Pise. (0 Jacopo Nardi, G Vllt, p. 363. — Bern Segni, L. IV, p. io3.— Bened. P'arcki, L. X, p. 222 . ( 2 ) Ben. Varchi, L. X, p. 224 . — Fr. Guicciardini, L. XX, p. 54a. Dl! MOYIÎK AGE. 3l Ferrucci, déterminé à les en chasser, alla les c attaquer avec soixante chevaux et quatre compagnies d’infanterie : il planta le premier son échelle contre les murs, il y monta aussi le premier, et quoique les Espagnols, secondés par les liabitans, fissent une valeureuse résistance, Ferrucci prit San-Miniato d’assaut; il s’empara de même de la citadelle, et presque tous les Espagnols qui avoient défendu les murs : furent taillés en pièces. Tandis qu’il étoit occupé à cette expédition, le château de la Lastra sur la même route, et plus près de Florence, fut attaqué par les Impériaux. Il leur opposa une très-vigoureuse résistance, et les Espagnols avoient déjà perdu beaucoup de monde, lorsqu’ils firent venir du canon. Les assiégés demandèrent alors et obtinrent une capitulation honorable. Mais au moment où les Espagnols eurent passé la porte, ils tombèrent sur la garnison qui n’avoit plus aucune défiance,,et la passèrent toute au fil de l’épée, (i) Jusqu’alors l’armée impériale n’avoit rien tenté contre la place même de Florence; mais le t o novembre, veille de la Saint - Martin, Orange ne doutant point que les Florentins ne fussent moins sur leurs gardes dans cette nuit (i) Bern. Varchi i Lib. X, p. 1 27 . — Bern. Segni, Lib. IV, p. io3. —Jacopo Nardi, Lib. VIII, p. 565. — Pauli Jovii, L. XXVIII, p. 1 35. — Fr Guicciardini , L. XX-, p. 54o. AP. CXÜI- '52g. t 32 HISTOIRE DES RÉPUE. ITALIENNES chap. cxxi. habituellement consacrée au plaisir, profita de 1529. son obscurité profonde, redoublée encore par une pluie abondante, pour tenter une escalade ; quatre cents échelles furent appliquées le long des murs, depuis la porte de San-Niccolo, jusqu’à celle de San-Friano, c’est-à-dire dans la partie la plus montueuse de Florence : mais partout les sentinelles donnèrent l’alarme; la garde urbaine accourut avec autant de zèle que la troupe de ligne, et l’ennemi fut repoussé. (1) Justement un mois après cette tentative d’escalade, Etienne Colonna qui commandoit dans le quartier que les Impériaux avoient voulu surprendre, essaya à son tour de les attaquer à l’improviste dans leurs lignes. Il avoit une inimitié personnelle contre son parent Sciarra Colonna, qui servoit dans le camp ennemi ; et la nuit du 11 décembre, il alla l’attaquer à son quartier de Sainte-Marguerite à Montici, avec cinq cents fantassins, auxquels il avoit fait revêtir des chemises blanches par-dessus leurs armes, pour se reconnoitre dans l’obscurité. Les Impériaux, surpris dans une nuit obscure , perdirent beaucoup de monde avant de pouvoir se rallier : un accident ridicule augmenta encore leur désordre ; les Florentins en cherchant partout les ennemis, enfoncèrent les portes d’une (1) Ben. Varchi, L. X, p. 229. 1)U MOYEN AGE. 33 étable, où l’on avoit enfermé un troupeau cnAP . CXXI de porcs demi - sauvages des maremmes : iSsg. ceux-ci, effrayés des cris qu’ils entendoient, se précipitèrent au milieu des fuyards avec des grognemens effroyables, et renversèrent un grand nombre de soldats, qui, ne distinguant rien dans l’obscurité profonde, se croyoient poursuivis par l’ennemi. Le prince d’Orange et don Fernand de Gonzague étoient déjà accourus au secours de leurs troupes, et remettoient quelque ordre dans la défense ; lorsque, de trois portes de Florence, trois nouveaux corps d’armée sortirent pour attaquer les Impériaux, selon le plan concerté d’avance par Etienne Colonna. Les assiégeans furent forcés dans plusieurs de leurs positions, et ils se crurent plus d’une fois sur le point d’être chassés de leur camp. Enfin Malatesta Baglioni fît sonner la retraite, bien plus tôt qu’il n’étoit nécessaire; il perdit peut-être ainsi une occasion unique de terminer la guerre par une victoire, (x) Deux jours après, le commissaire Ferrucci dressa une embuscade près de Montopoli, au colonel Pirro de Stipicciano, de la maison Co- lonua, et lui prit ou lui tua beaucoup de monde. (i) Bened. Varchi, L. X, p. 238 . — Bern. Segni, L. IV, p. 104. — Fr. Guicciardini, Lib. XX, p. 54 o. — Pauli Jovii, L. XXVIII, p. i 36 . TOME XVI. 3 34 HISTOIRE DES REPU B. ITALIENNES Ces petits succès relevoient le courage des assiégés et leur faisoient oublier leurs pertes. Ils en éprouvoient souvent de douloureuses. Ainsi le 16 décembre, deux de leurs meilleurs capitaines, Mario Orsini, et George Santa-Croce, furent tués ensemble par un même coup de coule- vrine, comme ils ordonnoient quelques chan- gemens aux fortifications (i). Le même jour, les Florentins reçurent une nouvelle qui les sou- lageoit d’une assez vive inquiétude; Jérôme Moroni étoit mort le i5 décembre, dans le camp des assiégeans. Cet homme si habile dans tous les arts de l’intrigue, qui avoit gouverné avec un pouvoir si absolu Maximilien, puis François Sforza, et qui avoit eu une part si active aux révolutions de Lombardie, avoit passé à l’armée impériale comme prisonnier de Pescaire. Il étoit déjà condamné à perdre la tête, lorsqu’il s’étoit rendu maître de l’esprit de Bourbon, et dès-lors il l’avoit gouverné jusqu’à la mort de ce duc devant Rome. Le prince d’Orange avoit recueilli avec l’armée, le conseiller de son prédécesseur, et désormais il n’agissoit plus que d’après ses avis : Clément VII lui-même étoit subjugué par sa croyance à l’habileté supérieure de Moroni ; et il lui pardonnoit le mal qu’il avoit reçu de lui, en raison du mal qu’il comptoit par lui pouvoir (i) Bened. F'archi, L. X, p. 243 . — Bern. Segni, L. IV, p. 104. DIT MOYEN AGE. 35 faire à ses ennemis. Moroni sembloit suivre la chap. oxxi chance du succès plutôt qu’un but déterminé. Il lîsg. vouloit rendre puissans ceux auxquels il s’étoit attaché, et faire réussir leurs entreprises; mais il paroissoit indifférent entre les personnes et les principes, et après avoir travaillé à exclure les étrangers d’Italie, il travailloit avec une égale ardeur, à servir ces mêmes étrangers contre les Italiens. Il s’éteignit naturellement, et presque sans maladie, dans un âge très-avancé. Les Florentins se figurèrent que sa mort laisserait le prince d’Orange sans ressources dans le conseil, et sans crédit sur l’armée, et que l’habile Moroni avoit été jusqu’alors l’ame du camp ennemi. (i) Pendant ce temps, les négociations de Bologne approchoient de leur conclusion; et, par la médiation du pape, tous les états de l’Italie se re'con- cilioient à l’empereur, en abandonnant les Florentins. Ceux-ci voyoient se séparer d’eux successivement tous les membres de cette ligue nommée sainte, par laquelle le roi d’Angleterre, le roi de France, le duc de Milan, les Vénitiens, le duc de Ferrare, s’étoient chacun engagés à défendre leur république, et à ne jamais traiter sans elle. L’abandon des Vénitiens les blessa d’autant plus qu’ils avoient plus lieu de se regarder comme unis pour une même cause, et (0 lien. Varchi, L. X, p. 245 . 36 HISTOIRE DES REPUB. ITALIENNES chap. cxxi. que dernièrement encore ils avoient confirme l5a 9- leur alliance (i^ : . D’ailleurs tandis qu’ils per- doient leurs alliés, ils voyoient augmenter le nombre de leurs ennemis , car c’étoit une des conditions de la' pacification de la Lombardie , que Charles-Quint en retireroit ses troupes; et en effet, dans les derniers jours de décembre, environ vingt mille Espagnols et Allemands passèrent les Apennins avec une nombreuse artillerie , et vinrent camper sur la rive droite de l’Arno, qui, jusqu’alors, avoit été exempte des ravages de la guerre ( 2 ). Les Florentins, effrayés de l’arrivée de ces nouveaux ennemis, évacuèrent Pistoia et Prato avec autant de précipitation qu’ils avoient évacué Cortone et Arezzo à l’arrivée de la première armée. Les forteresses plus éloignées de Piétra-Santa et de Mutrone ouvrirent volontairement leurs portes aux Impériaux; en sorte qu’avant la fin de l’année, l’autorité de la république n’étoit plus reconnue qu’à Livourne , Pise , Empoli, Vol- terra , Borgo, San - Se'polcro, Castrocaro , et dans la citadelle d’Arezzo. (3) (1) Ben. Varchi, L. X, p. 257-261. (2) Idem , p. 268. — Jacopo Nardi , L. VIII, p. 35 g. — Fr. Giticciardini , L. XX, p. 54 o. — Filippo de' Nerli, L. IX, p. 207 . — Bern. Segni, L. III, p. 98. ( 3 ) Ben. Farchi, L. X , p. 27g. — Filippo de Nerli, L. IX, p. 206.— Bern. Segni, L. IV, p. 102. DD MOT EN AGE. 3 7 Malgré les dangers de l’état, sa première ma- cuap. cxxi. gistrature étoit toujours recherchée avec une ^ 2 9- égale ardeur. Francesco Carducci, qui avoit remplacé Capponi pendant les huit derniers mois de l’année i52g, avoit donné des preuves de la vigueur de son caractère et de ses talens. Il desiroit être confirmé pour l’année suivante, et il exprima ce désir assez clairement dans le grand-conseil, où il représenta à ses concitoyens que dans des circonstances aussi critiques, on ne pouvoit guère changer le chef de l’état, sans s’exposer à changer aussi toutes les mesures, et à bouleverser tous les projets mûris par lui longtemps à l’avance. Mais cet avertissement même parut blesser ceux qui se croyoient aussi propres que lui à la première place ; et Carducci ne fut pas même au nombre des six candidats désignés pour le gonfalon. Le grand-conseil fit choix, le i décembre de Raphaël Girolami, le seul des ambassadeurs envoyés à Charles-Quint à Gènes qui fut revenu dans sa patrie rendre compte de sa mission. Dès ce jour, Girolami vécut dans le palais public, et assista aux délibérations de la seigneurie, encore qu’il n’entrât en fonctions que le I er janvier i53o. (i) Depuis l’arrivée de la seconde armée impériale i53o. (i) Ben. Varchi, L. X, p. 237. — Jacopo Nardi, L. VIII, p. 370. — Istor. di Giovio Cambi, T. XXIII, p. 47. — Filippo de' Nerli, L. IX, p. 204. — Bern. Segni, L, IV, p. jo3. 38 HISTOIRE DES REPUE. ITALIENNES chai', cxxt. qui étoit venue de Lombardie, Florence étoit i55o. entourée de tous côtés ; et le prince d’Orange avoit une artillerie formidable et bien suffisante pour pousser vivement le siège : cependant il n’essaya point de battre en brèche les murailles; il tenta seulement, et même sans succès, d’ahattre quelques tours dont l’artillerie l’incommodoit, et d’ailleurs il se contenta de bloquer la ville, espérant s’en rendre maître par la famine. (1) Outre sa nombreuse population habituelle, Florence contenoit alors une foule de paysans qui s’y étoient réfugiés de toutes les campagnes voisines, et douze ou quatorze mille soldats. Les derniers ne s’étoient accoutumés dans aucune des précédentes guerres d’Italie à supporter des privations. Cependant leur modération, leur discipline et leur patience formèrent un étrange contraste avec les vexations qu’avoient éprouvées les autres villes de la part des soldats qu’elles avoicnt reçus dans leurs murs. Le mérite en étoit dû surtout à la garde urbaine, qui, par sa bonne contenance, donnoit l’exemple aux autres troupes, et les contenoit dans le devoir. Néanmoins tous les greniers de Florence se seroient épuisés à la longue, si le commissaire - général Francesco Ferrucci n’avoit pas trouvé moyen, par une activité constante et un zèle égal à son courage, (i) Jacopo Nardi, L. VIII, p. 55g.— Barn. Se gui, L. IV, p. io3. —Pauli Jovii, Hist. sui temp., L. XXVIII, p- i5o. chai’, cxxi DU MOYEN AGE. 39 d’introduire dans la ville des convois de bétail, de grains et de fourrage, et d’y faire passer les munitions qui se trouvoient amassées à Empoli, à Volterra et à Pise. (i) L’engagement d’Hercule d’Este, comme capitaine-général, s’étoit terminé avec l’année i 52 g, sans qu’il se fût jamais rendu lui-même à son poste. Ses gendarmes, qu’il y avoit envoyés, avoient été commandés par le comte Hercule Rangoni, son lieutenant; mais ils s’étoient conduits avec une extrême mollesse, d’après les ordres qu’ils avoient reçus de Ferrare. A la fin de l’année il les rappela. Il ne desiroit point conserver davantage la place de capitaine-général, et les Florentins songeoient moins encore à la lui confirmer. Les Dix de la guerre s’occupèrent donc de lui nommer un successeur. Ils hésitoient entre Malatesta Baglioni, qui n’avoit encore que le titre de gouverneur-général , et Etienne Colon ua , général de leur ordonnance : mais ce dernier, homme circonspect, et qui ne laissoit jamais connoître ses intentions secrètes, déclara qu’il se regardoit toujours comme soldat du roi très-chrétien, que c’étoit pour son service qu’il demeuroit à Florence, et qu’il ne desiroit pas d’autre distinction (2). Baglioni au ( 1 ) Ben. Farchi, Stor. Fior., T. IV, L. XI, p. 4i- — Fr. Guicciardini, L. XX, p. 54i. — Fil. de’ JVerli, L. IX, p. 207 . ( 2 ) Ben. Farchi, T. IV, L. XI, p. a3. i53o. 40 HISTOIRE H ES RÉPUB. ITALIENNES c h ap. cxxi. contraire briguoit la première place. Quoique i53o. affaibli et presque estropié par de longues maladies, il n’étoit pas moins distingué par son courage que par son talent militaire. 11 ayoit servi avec distinction dans les armées vénitiennes, il savoit se faire aimer et respecter des soldats, tout en les maintenant sous une sévère discipline ; et encore que l’expérience prouvât ensuite qu’il préféroit son intérêt personnel à son devoir, il eut, même en manquant au dernier, des ménagemens pour son honneur, objet que les condottieri négligeoient le plus souvent. Ce fut le 26 janvier que le gonfalonier Raphaël Giro- iami lui confia l’étendard de la république et le bâton du commandement, après l’avoir exhorté en présence de tout le peuple à répandre , s’il le falloit, son sang pour la défense de la liberté florentine, et avoir reçu son serment. (1) Peu de jours auparavant, François I er , pour complaire au pape et à l’empereur, avoit fait donner l’ordre à ce même Malatesta Baglioni, et au même Étienne Colonna, de quitter le service des Florentins, déclarant qu’il ne vouloit pas les encourager dans leur rébellion contre l’Église et contre l’Empire ; mais en même temps ( 1 ) Ben. Varchi , L. XI, p.-a4-— Jacopo Nardi, I. VIII, j). 558. — Istor. di Gi ov. Cambi, T. XXItl, p. 48 . — Fil. de’ Nerli, L. X, p. 219 ,— Bern. Segni, L. IV, p. io5. DU MOYEN AGE. 4* qu’il leur envoyoit publiquement ce message, chaf. cxxi il les faisoit avertir secrètement de n’y point obéir. Il rappeloit M. de Vigli, son envoyé ordinaire à Florence; mais il y laissoit Emilio Ferréto comme secrétaire d’ambassade, et il lui donnoit la commission de soutenir le courage des Florentins, en les assurant que, dès que l’échange des fils de France contre leur rançon seroit accompli, il recommenceroït à leur donner ouvertement des secours, (i) D’après une décision du grand - conseil, le nouveau gonfalonier avoit envoyé des ambassadeurs à l’empeî’eur et au pape à Bologne, pour demander la paix. Ils étoient chargés d’offrir le rappel de la maison de Médicis à Florence, sous condition que tout l’état florentin fût rendu à la république, que sa liberté fût conservée, et que sa constitution actuelle ne fût point changée. Charles-Quint ne voulut point entrer en traité avec eux, et les renvoya toujours au pape. Celui-ci parut accorder les deux premiers points ; mais il s’emporta contre ceux qui lui proposoient le troisième : il jura qu’il renverseroit un gouvernement abandonné à la populace, qui op- primoit tout ce que la nation devoit respecter ; et il força les ambassadeurs, au milieu de février, (i) Ben. Farchi, L. XI, T. IV, p. 19 — Fr. Guicciardini, L XX, p. 54i 42 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES ciiap cxxi.à sortir précipitamment de Bologne, sans avoir i 53 o. r j en conclu, (i) Mais ni la dureté de l’empereur et la colère du pape, ni l’abandon du roi de France, ni la fuite de plusieurs capitaines qui passèrent à l’ennemi , ni les complots des partisans des Médicis, poursuivis avec une rigueur et des formes de procédure indignes d’une république, ni la perte successive de tout le domaine de l’état, ne dé- courageoient les Florentins. Les moines du couvent de Saint-Marc et les élèves de Jérôme Sa- vonarolaavoient recommencé leurs prédications. Frère Benoît de Foiano, moine de Sainte-Marie- Novelle, et frère Zacharie, dominicain de Saint- Marc, étoient les deux plus éloquens parmi ces orateurs , et ceux que le peuple écoutoit avec le plus d’enthousiasme. Ils soutenoient le courage des dévots en leur promettant que le Christ, qu’ils avoient nommé leur roi, songeroit à les défendre ; et ils prédisoient que lorsque tout secours humain paroîtroit impossible, lorsque les Impériaux auroient déjà planté leurs enseignes sur les remparts, les anges de Dieu des- cendroient dans la mêlée, et chasseroient, avec leurs épées flamboyantes, les ennemis du Seigneur, de la ville qui s’étoit donnée à lui. (a) (0 Fil. de’ fferli, L. X, p. 217, 218 .—Bern. Segni, L. IV, p. 106. — Bened. Varchi , T. IV, L. XI, p. 12-18. (2) Benedetto Varchi,'L. XI, p. 3 g, 78 .—Bernardo Segni, i53o. DU MOYEN AGE. 43 Tandis que les Florentins s’attendoient cha- cda-p. cvxi que vendredi à une attaque du prince d’Orange , parce que ce jour e'toit considéré par les Espagnols comme heureux pour eux, ils laissoient, de leur côté, à peine passer un jour sans tenter par quelque sortie de surprendre un poste des ennemis. Dans plusieurs de ces petits combats ils perdirent des hommes qui leur étoient vraiment précieux ; et l’on en prit occasion d’accuser Malatesla Baglioni d’avoir voulu les épuiser par cette petite guerre. 11 y gagna, à la vérité, de mettre le conseil de guerre dans son absolue dépendance, parce que les officiers qu’on perdoit dans ces escarmouches, étoient toujours remplacés par ses créatures qu’il désignoit lui- même. D’autre part Baglioni pouvoit être fondé à estimer que, par ces petites pertes, il n’ache- toit pas trop chèrement l’avantage d’aguerrir ses soldats, de leur inspirer de la confiance, et de tromper cette impatience et cet ennui, souvent plus funeste aux troupes assiégées que le fer ennemi. (i) Quelques-unes des sorties des Florentins avoient un plan plus général. En surprenant de nuit les quartiers des ennemis, ils pouvoient Lit). IV, p. 116 . — Istorie di Giovanni Cambi , T. XXIII, p. 52, 66 . (i) Ben. Varchi, T. IV, L. XI, p. 3o et scq. — Jacopo Pfardi, L. VIII, p. 35g. 44 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES ghàp. cxxi. se flatter de mettre leur armée entière en dés- i53o. ordre, et de la forcer à lever le siège. Ces surprises nocturnes étoienl nommées incamiciale, parce que les assaillans se couvroient d’une chemise blanche, pour se reconnoître dans l’obscurité. Les Florentins ne craignoient pas même d’attaquer quelquefois leurs ennemis en plein jour. Le 2 1 mars, d’après les ordres de Malatesta Baglioni, cinq corps de cinq à six cents hommes chacun sortirent par cinq différentes portes, pour attaquer en même temps les Impériaux ; le but principal de l’entreprise étoit de s’emparer d’une redoute nommée cavalier, élevée par le prince d’Orange, devant la porte Romaine : les autres attaques dévoient distraire l’attention de l’ennemi. Malheureusement les Florentins furent trahis par un transfuge qui sortit de la ville une demi-heure avant eux : néanmoins quoique les Impériaux fussent partout sur leurs gardes, l’attaque des Florentins fut si vive, que plusieurs d’entre eux parvinrent sur le cavalier, et que lorsqu’ils se retirèrent à la fin de la journée, ils avoient fait aux ennemis beaucoup plus de mal qu’ils n’en avoient reçu d’eux ( 1 ). Ils recommencèrent le 2 3 mars, mais avec moins de succès. Le jour de Pâques et les jours sui- vans, il y eut encore plusieurs brillantes escar- ( 1 ) lien. Varchi , L. XI, p. 54 -—Fr Ouicciardini, L. XX, p. 542. DU MOYEN AGE. /j5 mouches. Pendant ce temps, l’empereur étoit c parti pour l’Allemagne ; le pape étoit retourné à Rome, et l’argent commençoit à manquer à l’armée du prince d’Orange. Les Florentins étoient persuadés que s’ils pouvoient dans ce moment remporter un avantage un peu marquant, sur l’armée impériale , ils feroient lever le siège ; tandis qu’en se soumettant à un plus long blocus, leurs forces seroient bientôt consumées par la famine, (i) Malatesta Baglioni, apprenant que le peuple l’accusoit de traîner à dessein la guerre en longueur, que les gardes nationales soupiroient après une sortie générale, que les Dix de la guerre et la seigneurie la demandoient, déclara qu’il conduiroit les Florentins au combat, quoiqu’il ne le jugeât point avantageux pour les assiégés. En effet, le 5 mai, il fît sortir plus de la moitié de la garnison par la porte Romaine et par deux autres portes du même côté de l’Arno. 11 emporta d’assaut le couvent de San-Donato, défendu par les Espagnols ; il jeta dans un grand désordre toute l’armée du prince d’Orange ; et, s’il avoit fait sortir le reste des troupes dont il pouvoit disposer, ou si Amico de Vénafro, qu’il avoit destiné à commander l’une des trois colonnes, n’avoit pas été tué la veille, il auroil ai*. exxr. i53o. (i) Ben Varchi, L. XI, p. 71 . 46 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES chap. cxxr. probablement forcé le prince d’Orange à lever le i53°. sié^e. (i) Etienne Colonna entreprit à son tour de diriger une attaque sur le camp allemand , à la droite de l’Arno, où le comte Louis de Lodrone avoit remplacé Félix de Wirtemberg. Colonna sortit de la ville, le 10 juin, quelques heures avant le jour, par la porte de Faenza, pour marcher droit aux ennemis, tandis que le capitaine Pas- quîno Corvo devoit le seconder par la porte de Prato, et que Malatesta Baglioni gardoit la rivière, pour empêcher que le prince d’Orange ne secourût les Allemands. Colonna combattit avec une grande bravoure ; il força les doubles retran- chemcns des Allemands, et leur tua beaucoup de monde : mais le capitaine Pasquino ne vint point à son secours, comme il en avoit reçu l’ordre, et Malatesta Baglioni, au milieu du combat, au lieu d’avancer lui-même, fît sonner la retraite. Étienne Colonna la fît en bon ordre, remportant une quantité immense de butin, qu’il avoit enlevée dans les quartiers de l’ennemi. (2) La guerre se faisoit en même temps dans le (1) Ben. Varchi, L. XI, p. 77 .—Jacopo Nardi, L. VIIÏ, p. 36a. (2) Bened. Varchi , L. XI, p. 100_ Jacopo Nardi, L. IX, p. 374.— Fil. de’ Nerli, L. X, p. 23 i.— Bern. Segni, L. IV, p. 117. — Pauli Jovii, L, XXVIII, p. 146. DU MOYEN AGF. 47 reste de l’état florentin. Lorenzo Carnésecchi caAP - CXXI étoit commissaire-général dans la Romagne tos- I ^°* cane; il faisoit sa résidence habituelle à Cas- trocaro : avec très-peu de soldats, et moins encore d’argent, il trouva le moyen d’organiser une petite armée dans cette province ; de repousser les attaques des troupes de l’Église; de porter à son tour la terreur et les ravages dans toute la Romagne pontificale, et de contraindre le gouverneur de la légation à lui demander une trêve partielle : Carnésecchi ne l’accorda que lorsqu’il eut lui-même épuisé toutes ses ressources pour continuer la guerre, (i) La citadelle d’Arezzo, assiégée parles Arétins, capitula le 22 mai. Les soldats qui y étoient en garnison s’étoient mutinés, pour ne pas se soumettre plus long-temps aux privations que leur imposoit l’état de siège. Les Arétins s’en étant rendus maîtres, la rasèrent immédiatement, pour que le prince d’Orange n’y mît pas garnison (2). Le 23 juin, Borgo San-Sépolcro se rendit par capitulation aux Espagnols, qui ne l’avoient point assiégé ( 3 ). Volterra s’étoit rendue aux troupes du pape dès le 24 février ( 4 ). Mais (1) Bened. Varchi, L. XI, p. 112. (2) Idem, p. 117. ( 3 ) Idem, p. 118.— Jacopo JYardi, L. VIII, p. 366 . ( 4 ) Benedetto Varchi, L. XI, p. i 3 i.— Fr. Guicciardini, L. XX, p. 542. — Bern. Segni, L. IV, p. no.— Pauli Jovii, L. XXVIII, p. i 48 . 48 HISTOIRE DES RÉRUB. ITALIENNES chai*, cxxi. comme cette vilie paroissoit importante, les Dix I0;)0 ' de la guerre, après avoir nommé Francesco Fer- rucci commissaire-général, et lui avoir donné des pouvoirs si étendus, qu’aucun citoyen florentin n’en avoit jamais eu de semblables, le chargèrent de porter des secours à la citadelle de Volterra, qui tenoit encore, et de tenter s’il seroit possible de regagner la ville par son moyen. Ferrucci avoit réuni sa petite armée à Em- poli, où il avoit rassemblé d’immenses magasins de vivres, qu’il faisoit passer successivement à Florence, et il avoit mis cette ville en si bon état de défense, qu’il assuroit que les femmes seules pourroient avec leurs fuseaux en repousser les Espagnols : il la quitta le 27 avril, selon l’ordre qu’il avoit reçu , et il en confia le commandement à André Giugni et à Pierre Or- landini. (1) Le départ de Ferrucci eut des conséquences funestes pour Empoli : le prince d’Orange envoya Diégo Sarmiento, avec les Bisogni Espagnols, pour en faire le siège; il y joignit toute la cavalerie de don Fernand de Gonzague, et plusieurs vieilles bandes du marquis de Guasto. En même temps, Fabrice Maramaldo tenoit la campagne, et empèchoit Ferrucci de se rapprocher de la ville assiégée. Les batteries espagnoles ( 2 ) Bened. Farchi, L. XI, p. ç)5. DU MOYEN AGE. 49 furent ouvertes contre Empoli, le 24 mai; etciup. cxxi. le 28, les Impériaux livrèrent à la place un as- i 53 o. saut très-meurtrier. Mais après plusieurs heures de combat ils furent repoussés. La nuit suivante* les bourgeois d’Empoli, craignant les souffrances d’un siège, envoyèrent secrètement au camp espagnol pour traiter; et ayant obtenu une sauvegarde pour leurs personnes et leurs propriétés, ils ne firent aucune mention des soldats qui les avoient défendus. Les deux capitaines Giugni et Orlandini avoient pris part à cette transaction honteuse. Lorsqu’ensuite les Espagnols furent introduits dans les murs d’Empoli, ils méprisèrent la capitulation, et livrèrent au pillage non-seulement les immenses magasins rassemblés avec tant de peine par Ferrucci, pour assurer l’approvisionnement de Florence, mais encore toutes les maisons des bourgeois, (x) Pendant ce temps, Francesco Ferrucci avoit réussi dans son expédition : il étoit. parti d’Empoli le 27 avril, avec environ quatorze cents hommes d’infanterie, et deux cents chevau- légers; il leur avoit fait prendre à chacun des provisions pour deux jours, ef il arriva toute- (i) Ben. Varchi , L. XI, p. gi. —Jacopo Hardi , L. VIII, p. '56']. —Fr. Guicciardini , L. XX, p. 543-— Fil. de' JVerli, L. X, p. 226 .— Bern. $egni, L. IV, p. 112 .- —Pauli Jovii, L. XXVIII, p. 1 53. TOME XVI. 4 5o HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES ch,U-, cxxi. fois à Volterra lé même jour , trois heures i55o. ava nt la nuit. Après être entré dans la citadelle, par la porte du Secours, et avoir fait prendre une heure de repos à ses soldats, il descendit dans la ville, et força les premiers retranche- mens que les Yolterrans avoient construits. Il les poursuivit l’épée dans les reins, jusqu’à la place de Sant-Agostino, où de nouveaux re- tranchemens étoient élevés. La nuit sur ces entrefaites étoit survenue; ses soldats accablés de fatigue, après une longue marche, suivie d’un combat obstiné, ne pouvoient plus se tenir debout : il fallut se barricader sur place, et attendre le matin suivant. Le combat recommença le lendemain au point du jour; les Volterrans at- tendoient d’heure en heure le secours que leur avoit promis Fabrice Maramaldo, qui occupoit la province avec 25oo Calabrois, et qui, ne recevant point de paye, y vivoit à discrétion. Mais Ferrucci força les Volterrans à capituler, avant que Maramaldo pût arriver à leur aide, (i) Ferrucci ne perdit pas un instant pour mettre Volterra en état de défense; il avoit à se tenir en garde en même temps contre les habitans de (0 Bened. Varchi, L. XI, p, i4g.— Jacopo Nardi , L. VIII, p. 368.— Fr. Guicciardini, L. XX, p. 542. — Pauli Jovii, L. XXVIII, p. i5o. — Berrt. Segni, L. IV, p. ni. —Filippo de Pferli, L. X, p. 226. — Istor. di Giov. Cambi, T. XXIII, p. 54, DU MOYEN AGE. 5l la ville, pleins de ressentimens envers les Flo- chap. cxxi rentins, et contre Fabrice Maramaldo, qui ne "53o. tarda pas à l’attaquer avec son infanterie légère. Les combats entre eux se prolongèrent pendant tout le mois de mai, avec un acharnement qui se changea en haine personnelle. Après la prise d’Empoli, le marquis de Guasto et don Diégo de Sarmiento vinrent se joindre à Maramaldo avec leurs corps d’armée. Ils ouvrirent, le 12 juin, leurs batteries contre les murs de Vol- terra, et y firent de larges brèches. Ferrucci fut blessé assez grièvement en deux endroits dans cette attaque. Néanmoins, sans se donner le temps de se faire panser, il se fit porter sur une chaise dans tous les postes les plus menacés par l’ennemi, et il continua a diriger seul la défense (i). Le ij juin suivant, le marquis de Guasto, qui avoit reçu du camp du prince d’Orange un renfort d’artillerie, ouvrit de nouveau deux larges brèches aux murs de Volterra. La fièvre étoit venue se joindre aux blessures de Ferrucci : mais oubliant tout soin de sa santé, il fit tête à l’ennemi ; et après un combat acharné, il le força ‘de lever honteusement le siège. (2) ' ( 1 ) Bened. Varchi, L. XI, p. 162 . — Pauli Jovii, L. XXIX, p. i54- ( 2 ) Ben. Varchi, L. XI, p. i64- — Jacopo Nardi, L. VIII, p. 368.— Fr. Guicciardini, L. XX, p. 544- — Giov. Cambi, 52 HISTOIRE DES RÉPU13. ITALIENNES ciup. cxxi. Après avoir mis Volterra en sûreté, Ferrucci i53°. songea à exécuter la commission que lui a voient donnée les Dix de la guerre ; à rassembler tout ce qui restoit de soldats florentins dans les diverses parties du territoire qui reconnois- soient encore l’autorité de la république; et, après avoir ainsi grossi autant qu’il pouvoit sa petite armée, à venir attaquer le camp des assié- geans, tandis que les Florentins le seconderoient par une vigoureuse sortie : car le gonfalonier, la seigneurie, les Dix de la guerre, et le conseil des Quatre-Vingts lui-même, desiroient la bataille, et donnoient ordre à leurs généraux d’attaquer l’ennemi. En vain Malatesta Baglioni et Étienne Colonua déclaroient qu’ils ne pou- voient mener des milices contre des soldats vétérans, supérieurs en nombre, et retranchés dans leurs positions ; les conseils répétoient l’ordre d’attaquer l’ennemi, pour conserver au moins une chance de succès, tandis que la disette qu’ils voyoient approcher, et la peste qui du camp ennemi avoit passé dans la ville, les détruisoient presque aussi rapidement qu’au- roit fait la bataille, sans leur laisser ni gloire ni espoir, (i) T. XXIII, p. 66 .— Bern. Segrti, L. IV, p. 114.— Pauli Jovii, L. XXIX, p. i5 7 . 4 (1) Bened. Varchi, L.'XI, p. ij 5 , 176. — .Tacopo JYardi, L. IX, p. 3 y 5 . — Filippo Nerli , L. X, p. a 34 . DU MOYEN AGE. 53 Ce fut le 1 4 juillet que Ferrucci reçut les c nouveaux pouvoirs qui lui étaient confiés, et qui l’investissoient d’une autorité égale à celle de la seigneurie et du peuple entier de Florence; et ea même temps, il reçut l’ordre de se mettre en marche pour sauver sa patrie, qui n’avoit plus d’espoir qu’en lui. Il avoit vingt compagnies sous ses ordres ; il en laissa sept à la garde de Volterra : il en prit treize avec lui, qui ne formoient plus que quinze cents hommes, quoique dans l’origine elles eussent été fortes de deux cents hommes chacune. Il descendit la Cécina, et il arriva par Vado et Rossignano à Livourne, sans se laisser arrêter par les arquebusiers de Maramaldo, qui tâchoient de lui barrer le chemin. De Livourne, il se rendit à Pise, où le seigneur Jean-Paul Orsini l’atten- doit avec une troupe presque égalé à la sienne. Celui-ci étoit fils de Renzo de Céri; et, dans le plus grand danger de la république, il s’étoit offert à elle avec une sorte de dévoûment chevaleresque , pour participer à ce dernier combat en faveur de la liberté et de l’indépendance italiennes (i). Il fallut, pour payer ces deux petites armées, lever-de l’argent à Pise par des contributions arbitraires; et tandis que Ferrucci, accablé de fatigues et de soucis, devoit pourvpir (i) Jaoapo A'ardi, L. IX , p. 375. - Bencd. Varchi, L. XI, p. 69. hàp. exxr i53o. 54 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES en ap. cxxi.à tout par lui-même, il fut atteint d’une fièvre i53o. violente, qui le retint treize jours dans une inaction forcée et désespérante, (i) Le plan qu’alloit suivre Ferrucci n’étoit pas le sien. Il avoit offert à la seigdeurie de conduire sa petite armée contre Rome; il savoit que le pape étoit absolument sans défense; il auroit annoncé qu’il alloit livrer pour la seconde fois la cour romaine au pillage, et il auroit attiré sous ses étendards la foule des mercenaires, sans honneur et sans religion, qui ne cherchoient à la guerre que le butin : il ' comptoit surtout débaucher aisément les Biso- gni espagnols de Diego Sarmienjo. Le pape, effrayé à son approche, auroit fait la paix, ou tout au moins auroit rappelé le prince d’Orange pour se défendre. Mais la seigneurie ne voulut pas approuver un projet qu’elle jugea trop hasardeux. ( 2 ) François Ferrucci, ayant enfin recouvré ses forces, prit toutes les mesures convenables pour la sûreté de Pise : en même temps, il se pourvut d’artillerie, de feux d’artifice, et de tout ce qui pouvoit donner à sa petite armée plus de confiance en elle-même ; puis il se mit en marche, dans la nuit du 3o juillet, trois heures (0 Benedetto Varchi, Lib. XI, p. 208. — Jacopo Nardi, Lib. VIII, p. 370. — Bern. Segni, Lib. IV, p. 120. — Pauli Jovii, L. XXIX, p. 160. (2) Jacopo Pfardi , L. IX, p. 376. DU MOYEN AGE. 55 après le coucher du soleil : son armée s’étoit accrue jusqu’au nombre de trois mille fantassins , et quatre à cinq cents chevaux. Il sortit de Pise par la porte de Lucques; et traversant tout l’état lucquois, il voulut d’abord rentrer dans la plaine de Pescia par le pont de Squarcia- Boccone ; mais comme il y trouva de la résistance, il s’avança dans les montagnes lucquoises, et passa la première nuit à Médicina. Il passa la seconde à Calamecca, dans les montagnes de Pistoia. Il comptait rassembler dans cette province tout le parti Cancelliéri, qui étoit dévoué a la république, et, après avoir grossi son armée par des corps insurgés, s’emparer de Pistoia, où il pourroit assembler les magasins qu’il destinoit à ravitailler Florence. Mais les partisans des Cancelliéri qu’il trouva à Calamecca, voulant profiter de son approche pour se venger du parti ennemi des Panciatichi, le trompèrent sur sa route, et le conduisirent à San-Marcello, où les Panciatichi dominoient. Ferrucci prit en effet ce château; le pilla, et le brûla; il perdit ainsi un temps précieux. Une pluie violente lui fit encore différer quelques heures; après quoi, il conduisit son armée à Ga- vinana, château qui appartenoit à la faction Cancelliéri , à quatre milles de San-Marcello, et à huit de Pistoia. (i) (i) Bened. Varchi, L. XI, p, aïo. — Bern. Segni, L. IV, CH AP. CXXI. s55oi 56 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES chap. cxxi ^ Mais quelles qu’eussent été la rapidité de Fer- i53o. rucci et l’habileté de sa marche, qui, tournant la moitié des frontières toscanes, le conduisoit au secours de Florence par le côté le plus opposé à celui d’où il étoit parti, il étoit déjà entouré presque de toutes parts. Fabrice Maramaldo étoit sur sa gauche, et l’avoit toujours suivi sans essayer de le combattre. Alexandre Vitelli étoit sur sa droite avec le corps des Bisogni espagnols, qui auparavant s’étoient mutinés et retirés à l’Alto-Pascio, mais qu’il ramenoit à l’obéissance par l’espérance d’un combat. Bracciolini le sui- voit avec un millier d’hommes de la faction Pan- cia tichi qu’il avoit armés dans la montagne. Cependant Ferrucci se croyoit encore en état de leur échapper à tous, ou de les combattre, et de les vaincre séparément, lorsque le prince d’Orange lui-même s’avança à sa rencontre avec mille vétérans allemands, autant d’Espagnols, et quatre colonels italiens, (i) Le prince d’Orange, qui avoit confié le commandement de son armée en son absence à don Ferdinand de Gonzague et au comte de Lo- drone, ne pouvoit s’éloigner ainsi de Florence que parce qu’il comptoit sur une trahison. Le p. 121 .—Filippo de’ JVerli, Lib.X, p. 236 . — Pauli Jovii, Lib. XXIX, p. 162. (1) Ben. Varchi, L. XI, p. 2i3. — Pauli Jovii, L. XXIX, p. i63. DU AIOYEJN AGE. ■J'] gonfalonier savoit que le salut de la république CHAP - CXXI étoit attaché au succès de Ferrucci, il étoit ré- solu à le seconder par l’attaque la plus vigoureuse sur le camp des assiégeans. Quelle que fût la supériorité de position, de nombre ou de discipline, des Espagnols et des Allemands, il vou- loit l’affronter; et il donna ordre à Malatesta Baglioni de tout disposer pour une sortie générale. En même temps, il lui déclara qu’il se mettroit lui-même à la tête de l’élite de la milice florentine, et qu’il suivroit la troupe de ligne partout où Malatesta voudrait la conduire, laissant la garde de Florence aux vieillards et à l’ordonnance des paysans, (i) Mais Baglioni n’avoit plus rien à espérer ou à craindre de la république florentine ; il ne vouloit pas attacher plus long-temps sa fortune à celle d’un état qu’il voyoit sur le point de périr. Il étoit entré secrètement en négociation avec le prince d’Orange, et par lui avec le pape Clément VII; il s’étoit fait confirmer sa souveraineté de Pérouse, et promettre de nouvelles faveurs ecclésiastiques et temporelles , et il s’étoit enfin engagé par écrit envers le prince d’Orange, à ne point attaquer le camp des assiégeans, pendant que le prince s’en éloignerait, pour marcher contre Ferrucci. Il opposa successivement trois protestations aux (i) Benedetto Vwchi, L. XI, p. 191, 58 HISTOIRE DES REPUE. ITALIENNES CHAP. CSXI. ordres que la seigneurie lui envoya d’attaquer i53o. l’ennemi ; et son collègue Etienne Colonna eut la foiblesse ou la fausseté de les signer aussi. Dans ces écrits, il représentoit que le combat auquel on vouloit le forcer, causeroit la ruine inévitable de son armée et de la république; et lorsqu’il reçut enfin un ordre péremptoire de marcher, il l’éluda par tant de lenteurs, qu’avant qu’il se fût mis en mouvement, les Florentins apprirent l’issue de l’expédition de Ferrucci. (i) Le prince d’Orange étoit parti de son camp le soir du i" août; il marcha toute la nuit, et vint reposer ses troupes le lendemain à La- gone, village situé entre Gavinana et Pistoia : elles y prenoient leur repas à l’heure même où celles de Ferrucci prenoient le leur à San-Mar- cello. Tous deux se mirent de nouveau en marche à peu près en même temps, et arrivèrent en même temps devant Gavinana. Le tocsin, qu’on sonnoit dans ce dernier village, apprit à Ferrucci l’approche de ses ennemis, sans qu’il pût croire cependant que le prince d’Orange lui- même , et une partie si considérable de son armée , eussent abandonné leur camp devant Florence. ( 2 ) ( 1 ) Benedetto Varchi, L. XI, p. 179-204. — Jacopo Nardi, L. IX, p. 385. ( 2 ) Bened. Varchi , L. XI, p. 214 . DU MOYEN AGE. 5() L’infanterie de Ferrucci était divisée en deux cha.p. cxxi. corps, chacun de quatorze compagnies : il ’^o. commandoit le premier, et Jean-Paul Orsini le second, qui lui servoit d’arrière - garde ; sa cavalerie étoit de même divisée en deux troupes : Amico d’Ascoli conduisoit l’une; Charles de Castro et le comte de Civitella comman- doient l’autre (i). Avant de combattre, Ferrucci exhorta, en peu de mots, ses compagnons d’armes ; il leur rappela que le salut de Florence ,et la dernière espérance de la république étaient attachés à leur petite armée, et il leur demanda seulement de le suivre partout où ils le verroient s’avancer. (2) Ferrucci, ayant remis son casque, descendit de cheval et entra dans Gavinana une pique à la main, au moment même où Fabrice Ma- ramaldo, ayant fait enfoncer un mur sec, y entroit par une autre rue. L’infanterie des deux armées se rencontra sur la place du château, autour d’un châtaignier élevé qui en occupoit le milieu; et c’est là quelle combattit le plus long-temps et avec le plus d’acharnement, tandis que le prince d’Orange, avec sa cavalerie, attaquoit impétueusement celle de Ferrucci, qui étoit restée en dehors des murs. (1) Jacopo JVardi, L. IX , p. 377. (a) Ben. Varchi, L. XI, p. 2i5.— Jacopo JYardi, L. IX, p. 377. — Bernardo Segni, L. IV, p. 122. Go HISTOIRE DES RliPIJB. ITALIENNES ciiAP. cxxi. Les cavaliers florentins tinrent ferme ; des ar i53o. quebusiers, mêlés dans leurs rangs, accueillirent, par des décharges répétées, les chevaux ennemis, et les firent fuir en désordre. Le prince d’Orange, s’efforçant de les rallier, traversa seul, au galop, une pelouse en pente rapide, sous le feu des Florentins : il y fut frappé en même temps de deux balles, l’une dans le col, l’autre dans la poitrine, et il tomba mort à l’instant. Antonio d’Herréra et le reste des cavaliers, témoins de sa chute, prirent la fuite, et ne s’arrêtèrent point jusqu’à Jfistoia, où ils répandirent l’alarme dans leur parti. Les soldats de Ferrucci trouvèrent sur le prince d’Orange le billet même de Malatesta Baglioni, par lequel celui-ci promettoit au prince de ne point attaquer son camp, (i) La cavalerie de Ferrucci, qui venoit de dissiper celle du prince d’Orange, et de tuer ce général lui-même, faisoit retentir l’air de ses cris de victoire. Mais, pendant ce temps, Jean-Paul Orsini avoit été attaqué par Alexandre Vitelli ; l’arrière-garde, qu’il commandoit, avoit été rompue, elle avoit perdu ses drapeaux, et Jean- Paul avoit été contraint de se retirer à pied dans Gavinana, où il avoit rejoint Ferrucci. Celui-ci , (i) Ben. Varchi, L. XI, p. 21 •}i~Jacopo Nardi, L. IX, p. 377 et 385 .— Bern. -Segni, L. IV, p. 122. — Pauli Jnvii Ilist., L. XXIX , p. 164. DU MOYEN AG1Î. 6l de son côté , avoit chassé de Gavinana Mara- maldo et ses Calabrois, les landsknechts et les chevaux du prince; mais après avoir combattu trois heures sous l’ardeur du soleil du mois d’août, il se reposoit appuyé sur sa pique. Sur ces entrefaites, une nouvelle troupe de landsknechts, qui n’avoient pas encore donné, vint l’attaquer : Ferrucci et Jean-Paul n’avoient plus, dans ce moment, autour d’eux, qu’un petit nombre d’officiers ; leurs soldats s’étoient écartés pour prendre quelques instans de repos. Avec ce peloton d’élite, Orsini et Ferrucci se défendirent long-temps encore. Cependant Jean-Paul, blessé et couvert de poussière, ne voyant plus aucune espérance de salut, se retourna vers Ferrucci, et lui dit : Seigneur commissaire, ne voulons-nous pas nous rendre? — Non ! s’écria Ferrucci ; et il s’élança sur un nouveau bataillon d’ennemis qui venoient l’attaquer. En effet, il les repoussa hors des portes; mais, en les poursuivant," il vit ces portes se refermer sur lui. Le bourg étoit pris; tous ses soldats étoient morts, blessés ou en fuite : Ferrucci lui-même étoit blessé de plusieurs coups mortels, et il restoit à peine sur son corps une place saine ; enfin, il se rendit à un Espagnol, qui, pour gagner une rançon, s’efforçoit de lui sauver la vie. Mais Maramaldo le fit amener devant. lui dans la place du château ; et là, après CH AP. CXXI. i53o. Gi HISTOIRE DES lléPUB. ITALIENNES chai*, cxxi.l’avoir fait désarmer, il le poignarda de ses i55o. m ains. Ferrucci se contenta de lui dire, tu tues un homme déjà mort, (i) Pendant ce même temps, Jean-Paul Orsini avoit été fait pi’isonnier, mais il fut remis en liberté en payant une rançon : Amico d’Ascoli avoit aussi été fait prisonnier, et son ei*memi personnel, Muzio Colonna, l’acheta pour six ' cents ducats, de celui qui l’avoît pris, afin de le tuer de sang-froid. Guillaume Frescobaldi, que Ferrucci regardoit comme son meilleur lieutenant, mourut à Pistoia de ses blessures : environ deux mille morts demeurèrent sur le champ de bataille ; le nombre des blessés fut plus considérable encore. L’armée de Ferrucci étoit détruite j mais celle des Impériaux avoit acheté chèrement la victoire : sa perte étoit énorme, et la mort de son général pouvoit la jeter dans la confusion, d’autant plus que le marquis de Guasto l’avoit aussi quittée pour passer au service de Ferdinand de Hongrie. (2) Ferrucci, il est vrai, étoit plus nécessaire encore aux Florentins que le prince d’Orange aux (1) Bened. Varchi, L. XI, p. 219. — Jacopo Nardi , L. IX, p. 378 , — Fr. Guicciardini, Lib. XX, p. 544 -— Pauli Jovii, L. XXIX, p. 168.— Bern. Segni, L. IV, p. ia 3 .— Giov. Cambi, T. XXIII, p. 67. Le dernier raconte ces faits avec beaucoup d’inexactitude, quoiqu’il écrivît jour par jour les nouvelles. (2) Bened. Varchi, L. VI, p. 221.— Jacopo JYardi, L. IX, p. 378. — Pauli Jovii Hist. , L. XXIX , p. i 65 . DU MOYEN AGE. 63 Impériaux. Lorsque, le 4 août, on reçut à Florence la nouvelle de sa mort, la ville entière fut dans le deuil et l’effroi. Le gonfalonier et la seigneurie s’efforçoient vainement de relever les esprits abattus, et de montrer les ressources qui restoient encore. La défaite de Ferrucci étoit en partie attribuée à une pluie violente, qui avoit éteint les trombes à feu, espèce d’artifice que les fantassins florentins portoient attaché à leurs piques , et qui , vomissant constamment des flammes, épouvantoit les chevaux. Mais le gonfalonier représentoit que la même pluie qui avoit perdu Ferrucci, pouvoit sauver la ville; que l’Arno étoit tellement gonflé par les eaux, que les divers quartiers des ennemis n’avoient plus de communication les uns avec les autres ; et que les Florentins, dans une sortie générale, pou voient recouvrer l'avantage du nombre, en attaquant leurs ennemis en détail. Il pressoit donc Malatesta Baglioni de livrer bataille; et la seigneurie, pour s’attacher les capitaines de ses troupes de ligne, leur promettoit, en récompense de la victoire , la continuation de leur solde pendant toute leur vie : Malatesta Baglioni refusa toute obéissance, et déclara hautement qu’il vouloit désormais sauver une ville prête à se perdre par l’obstination et la témérité de ses chefs, (i) (i) Bened. Varchi, L. XI, p. 229 . Bern. Segni, L. TV, CH AP. CXXI i53o. 64 HISTOIRE DES REPÜB. ITALIENNES chap. cxxi. Baglioni trouvoit, dans Florence, un parti i53°. nombreux qui applaudissoit à son refus de combattre. Tous les hommes foibles et pusillanimes , tous les égoïstes , et tous ceux qui regret- toient les jouissances d’une vie tranquille, lan- guissoient après la paix, et l’auroient acceptée à tout prix. Les partisans de l’aristocratie se soucioient peu de s’exposer plus long-temps pour le maintien de l’autorité populaire : les partisans secrets des Médicis osoient eux-mêmes faire à leur tour entendre leur voix ; et les historiens de ce parti confessent la trahison de Baglioni, pour lui en faire un mérite (i). Déjà on ne désignoit plus les citoyens attachés à la liberté que par les noms d’obstinés et d’enragés. Malatesta déclara que plutôt que d’attaquer le camp impérial, commandé par don Ferdinand de Gonzague depuis la mort du prince d’Orange, il donneroit sa démission. Les Dix de la guerre crurent pouvoir le prendre au mot; et ils lui envoyèrent, le 8 août, Andrénuolo Niccolini, pour lui porter son congé, rédigé dans les termes les plus flatteurs pour lui. La surprise de Malatesta Baglioni, en le recevant, fut extrême , et sa rage plus grande encore : sans vouloir l’ac- p. 124. — Jacopo Nardi, Lib. IX, p. 379. — Giov. Cambi, T. XXIII, p. 68. (1) Filippo de’ JYerli, L. X, p. 225.— Fr. Guicciardini , L. XX, p. 545. — Pauli Jovii, L. XXIX, p. 166- DU MOYEN AGE. 65 cepter, sans vouloir le lire, il se jeta sur Nicco- chaf. cxxi. lini, qui le lui portoit, et le frappa de plusieurs î530, coups de poignard, (i) Le gonfalonier voulut faire un nouvel effort pour maintenir l’autorité chancelante de la république : il ordonna à toutes les compagnies de milice de se rassembler sur la place ; et il se mit à leur tête pour marcher contre Baglioni. Mais la terreur avoit déjà suspendu toute obéissance : au lieu de seize compagnies, il n’en parut que huit sur la place. D’autre part, Malatesta Baglioni avoit déjà introduit dans son bastion le capitaine impérial Pirro Colonna de Stipicciano; il avoit désarmé ou congédié la garde florentine de la porte Romaine, et il avoit tourné contre la ville l’artillerie destinée à la défense des murs. (2) Florence étoit perdue, et aucun pouvoir humain ne pouvoit plus la sauver. Tandis qu’une partie des citoyens vouloient encore mourir libres et les armes à la main, les autres recori- noissoient qu’aucun obstacle ne pouvoit plus arrêter désormais cette armée féroce, qui s’étoit signalée par la tyrannie exercée à Milan et par le sac de Rome : ils fuyoient dans les églises, (1) Bened. Varchi , L, XI, p. 235.— Jacopo Nardi , L. XI, p. 38o. (2) Bened. Varchi , L. XI, p. a3g.— Bern. Segni, L. IV, p. 124. — Gioi’. Cambi, T. XXIII, p. 69. TOME XVI. 5 66 HISTOIRE DES REPUE. ITALIENNES chap. cxxi. avec leurs femmes, leurs enfans et leurs ri- IÎ,3o ‘ chesses; et sans pouvoir prendre aucun parti, sans concevoir aucune espérance, ils n’obéis- soient plus à aucun ordre, et ils entravoient à chaque pas ceux qui conservoient plus de présence d’esprit et qui montroient plus de fermeté. La seigneurie, avec l’humiliation la plus profonde et la douleur la plus cruelle, rendit le bâton du commandement à Malatesta, de qui il dépendoit encore de laisser inonder la ville par les Impériaux, ou de leur imposer des conditions. Quatre cents jeunes gens, parmi lesquels on vit avec douleur les fils et les gendres du gon- falonier Nicolas Capponi, s’étoient rangés en armes sur la place du Saint-Esprit, déterminés à seconder Baglioni, et à ne plus reconnoître la seigneurie. Celle-ci -fit un dernier effort pour les rappeler à leurs drapeaux; elle leur représenta, qu’en se séparant d’avec leurs concitoyens dans ce moment critique, ils exposoient la patrie et eux-mêmes aux plus affreux dangers : mais, en retour, elle fut insultée et menacée par ces jeunes gens qui vinrent en armes sur la place du palais, et qui la forcèrent à remettre en liberté tous ceux qu’on détenoit à cause de leur attachement au parti des Médicis. (i) (i) Bened. Varchi, Lib, XI, p. a45 .—Filippo de’ IVerli, L. X, p. aSç).— Giov. Cambi, T. XXHI, p. 70 . DU MOYEN AGE. 67 Ce fut au milieu de ce tumulte que la seigneurie nomma quatre ambassadeurs, qu’elle envoya au camp de Ferdinand de Gonzague, pour demander une capitulation. Elle fît choix de Bardo Attuiti, Jacob Morelli, Laurent Stroz- zi, et Pier-Francesco Portinari. Ils n’eurent pas besoin d’aller chercher bien loin ceux avec lesquels ils dévoient traiter : car Barthélemi Va- lori, l’un des émigrés, que le pape avoit nommé son commissaire en Toscane, et qui gouvernoit, au nom des Médicis, tous les pays soumis par l’armée impériale, étoit venu s’établir dans la maison même des Bini, qu’occupoit Malatesta Baglioni. Les conditions qu’ils obtinrent, étoient plus avantageuses que la situation des affaires n’auroit dû le faire espérer ; mais les conditions sont de peu d’importance lorsqu’elles sont jurées par des souverains sans foi, et réclamées ensuite par des hommes sans pouvoir. Il est probable que le pape avoit donné ordre à Valori de consentir à tout, se réservant ensuite d’interpréter le traité à sa manière. L’empere-ur ne fournis- soit absolument rien pour la paye et le maintien de l’armée devant Florence ; et le crédit de Clément VII étoit ruiné, comme ses revenus épuisés par de longues guerres, et par toutes les conséquences du sac de Rome : aussi ne pou- voit-il suffire plus long-temps à une dépense 68 HISTOIRE UES RÉPUB. ITALIENNES ghap. cxxi. qui passoit soixante - dix mille florins par i53o. mois, (i) Le traité qui fut signé, le 12 août i53o, à Sainte-Marguerite de Montici, portoit que la forme du gouvernement de Florence seroit réglée par l’empereur avant l’expiration de quatre mois, sous condition cependant que la liberté seroit conservée. La république promettoit de payer à l’armée cinquante mille écus en argent comptant, et trente mille en lettres de change; et en retour, les troupes impériales dévoient s’éloigner immédiatement. Les forteresses de Pise, de Volterra et de Livourne, dévoient être livrées au commissaire du pape. Pour sûreté du paiement des lettres de change, de la tradition des forteresses, et de l’obéissance du peuple au gouvernement que l’empereur lui donnerait; les Florentins dévoient remettre à Ferdinand de Gonzague cinquante otages à son choix. Une amnistie complète étoit enfin accordée, au nom du pape et de l’empereur, soit à tous les Florentins sans exception, pour tout ce qu’ils pou- voient avoir fait contre la maison des Médicis, soit à tous les sujets de l’Empire et de l’Eglise qui les avoient servis pendant la guerre, pour ( 1 ) Jacopo Nardi, Lib. IX, p. 38i .—Filippo de’ JVerli, L. X, p. a4i-— Bern. Segni, L. IV, p. 110 . CHAP. CXXI UU MOV EN AGE. 69 avoir porté les armes contre leurs seigneurs suzerains. (1) Ensuite de ce traité, qui bientôt demeura dans les archives comme un monument du scandaleux manque de foi des deux souverains au nom desquels il étoit stipulé, tous les émigrés florentins et les commissaires du pape rentrèrent dans la ville. Barthélemi Valori fit occuper, le 20 août, la place du palais par quatre compagnies de soldats corses; il força ensuite la seigneurie à descendre sur le balcon, et fit sonner la grosse cloche pour assembler le peuple en parlement. A peine trois cents citoyens se trouvèrent réunis sur la place : quelques-uns de ceux qui avoient voulu s’y rendre pour y faire entendre pour la dernière fois un vote libre, en furent repoussés à coups de couteau (2). Salves- tro Aldobrandini, s’adressant à cette dérisoire assemblée du peuple, lui demanda si elle con- sentoit « qu’on créât douze hommes qui eussent » à eux seuls autant d’autorité et de pouvoir » qu’en avoit le peuple de Florence tout en- » semble ». Par trois fois cette demande fut répétée , et par trois fois la populace et les enfans répondirent : Oui, oui, les balles, les balles! (1) Ben. Varchi, L. XI, p. 246-a5o. —Jaeopo Nardi, L. IX, p. 382, 383 . —Filippo de' JYerli, L. XI, p. 244 -— Pauli Jovii, L. XXIX, p. i 7 3 . (2) Bened. Varchi, L. XI, p. 157. i 53 o. 70 HISTOIRE UES REPUB. ITALIENNES ciiap. cxxi. ( armes des Médicis), les Médicis, les Médicis ! i53°. Après ce prétendu consentement populaire, douze seigneurs de la balie furent nommés par le commissaire apostolique. Ceux-ci déposèrent la seigneurie, les Dix de la guerre, les Huit de guardia e balia ou juges criminels suprêmes. Ils firent désarmer le peuple; et par leur entremise la liberté florentine succomba pour la dernière fois. Avant l’expiration de leur pouvoir, le nom même de république fut anéanti, (i) (i) Benedetlo Varchi , L. XI, p. a56-26o.— Jacopo Nardi , Ist. Fior., L. IX, p. 387.— Fr. Guicciardini , L. XX, p. 545. — Islor. di Giovio Cambi, T. XXIII, p. 73. — Filippo de' JYerli, Lib. X, p. 24a- — Bernardo Segni , Lib. V, p. 128.— Pauli Jovii, L. XXIX, p. 75. L’Histoire de Florence de Jacob Nardi finit à la prise de la ville et à l’établissement de la balie. Elle est écrite avec un ton de candeur et de loyauté qui attache à l’historien : on y reconnoît l’ami de la liberté, l’homme religieux et l’honnête homme. Nardi ne regardoit point son livre comme terminé, et il l’auroit détruit à sa mort, si heureusement il n’y en avoit pas eu déjà plusieurs copies en circulation. Les six premiers livres cependant, qui comprennent l’intervalle de l’année i 494 à la mort de Léon X, paroissent avoir reçu toute la perfection que l’auteur étoit capable de leur donner. Il n’en est pas de même des trois derniers j le récit y est à peine ébauché, et l’auteur paroît l’avoir écrit hors de portée des matériaux qu’il devoit employer. On trouve dans ces trois derniers livres quelques erreurs de faits et de dates , beaucoup de répétitions, beaucoup de désordre, et des morceaux qui semblent n’avoit jamais été relus par l’auteur. Jacob Nardi avoit eu quelque part à la révolution de 1527 ; aussi fut-il au nombre des exilés que la balie de i53o priva de leur patrie. Ce fut lui que les émigrés chargèrent DU MOYEN AGE. 7 1 CHAPITRE CXXII. Violation de la capitulation de Florence : persécution de tous les amis de la liberté. Règne et mort d’Alexandre de Médicis : succession de Cos me 1 er au titre de duc de Florence. Sienne, opprimée par les Espagnols, embrasse le parti français : siège et dernière capitulation de cette ville. i53o, 1555. L’indépendance de l’Italie qui avoit commencé l!H - cxxu avec le douzième siècle, et qui avoit été solennellement reconnue ensuite des victoires de la ligue lombarde sur Frédéric Barberousse, cessa à l’époque du couronnement de l’empereur Charles-Quint à Bologne, ou à celle de la prise de Florence par ses généraux, en mars ou en août r53o. Avant le douzième siècle, l’Italie, se souvenant encore de son ancienne grandeur, ensuite de porter leurs plaintes à l’empereur sur la violation de la capitulation de Florence , et d’e-xposer leurs griefs dans un écrit qui fut remis à Charles-Quint. Jusqu’à la fin de sa vie, qui se termina dans l’exil, Jacob Nardi travailla , malgré la pauvreté et la vieillesse, à susciter des vengeurs à la liberté de sa patrie. Son histoire fut imprimée à Florence, in-4°- 1 584 , i vol. de 3go p. en. cxxn. 72 HISTOIRE DES REPUJ3. ITALIENNES s’indignoit d’être asservie par les peuples voisins. Elle se crojoit supérieure à sa condition : néanmoins elle obéissoit : elle fît partie de l’empire des Francs, puis de celui des Germains. Sa destinée étoit réglée par les passions, la politique et les victoires d’ultramontains, dont elle n’entendoit pas même la langue. Telle a été de nouveau sa situation depuis l’année i53o jusqu'à nos jours. La liberté avoit donné à l’Italie quatre siècles de grandeur et de gloire. Pendant ces quatre siècles, elle fît peu de conquêtes au-delà de ses limites naturelles ; ce fut alors cependant qu’elle assura à ses peuples le premier rang entre les nations de l’Occident. Elle n’exerça jamais sa puissance sur les états voisins, de manière à mettre en danger leur indépendance ; sa division en un grand nombre de petits états interdisoit absolument cette carrière à son ambition ; mais la même division avoit multiplié ses ressources , et développé l’esprit et le caractère de ses peuples dans chacune de ses petites capitales. Les Italiens n’avoient alors pas besoin de conquêtes pour se faire connoître comme une grande nation. Les Allemands, les Français, les Anglais, les Espagnols, avoient des privilèges municipaux, des chefs féodaux, des monarques, qu’ils croyoient devoir défendre ; les Italiens seuls avoient une patrie et le sentoient. Us avoient DU MOYEN AGE. 7 3 relevé la nature humaine dégradée, en donnant en. à tous les hommes des droits comme hommes, et non comme privilégiés. Ils avoient les premiers étudié la théorie des gouvernemens, et donné aux autres peuples des modèles d’institutions libérales. Us avoient rendu au monde la philosophie, l’éloquence, la poésie, l’histoire, l’architecture, la sculpture, la peinture, la musique. Ils avoient fait faire des progrès rapides au commerce, à l’agriculture, à la navigation, aux arts mécaniques. Us avoient été les instituteurs de l’Europe. A peine pourroit-on nommer une science, un art, une connoissance dont ils n’eussent enseigné les élémens aux peuples qui depuis les ont surpassés. Cette universalité de connoissances avoit développé leur esprit, leur goût et leurs manières j et ce poli leur resta longtemps encore après qu’ils eurent perdu tous leurs autres avantages ; l’élégance et les agré- mens survécurent à l’ancienne dignité : mais celle-ci en avoit été le fondement. Elle dura autant que la liberté italienne. Telle fut la grandeur de la nation au temps de sa gloire ; et cette grandeur n’avoit pas besoin de victoires pour la rehausser. Avant le douzième siècle, quelques petits princes italiens se croyoient indépendans, quelques petits peuples se croyoient libres et l’étpient peut-être. Cependant à cause des ducs de Spolète CH, CXX1I. / 74 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES ou de Bénévent, à cause des républiques d’Amalfi ou de Naples, nous n’avons pas cru devoir commencer l'histoire de l’Italie dès la chute de l’empire romain en Occident ; nous ne croyons pas davantage devoir la continuer après la chute de Florence, à cause des ducs de Toscane ou de Parme, et des républiques de Venise ou de Gènes. Pendant tout le temps que les Italiens furent vraiment une nation, nous avons cherché à rassembler avec une scrupuleuse exactitude tous les faits qui pouvoient peindre leur caractère, expliquer leur politique, motiver leurs lois, et réveiller dans leurs descendans des souvenirs instructifs, ou servir de miroir aux autres peuples libres. Nous n’avons point craint alors de descendre à des détails tro,p minutieux ; ces détails ne sont pas inutiles lorsqu’ils servent à peindre des hommes. Nous n’avons pas craint non plus d’entremêler à notre récit les événemens principaux survenus dans les autres contrées de l’Europe ; l’influence de l’Italie se faisoit sentir sur toutes, et l’on ne pouvoit comprendre la politique de ses états sans promener alternativement ses regards sur la Grèce et l’Espagne, la Hongrie et la France, la Turquie et l’Allemagne. Nous avons vu ensuite le déclin de cette influence italienne sur les autres contrées. Nous avons vu l’Italie tour-à-tour victime de la fausse politique DU MOYEN AGE. ;5 de ses chefs, de la mauvaise foi des ultramon- ch. c\w tains, de la férocité des soldats mercenaires, ravagée par les armées, par la peste et par la famine pendant trente-sept ans de guerres presque continuelles. Nous l’avons vu réduite ainsi au dernier degré d’épuisement. Nous sommes enfin parvenus au point où elle a cessé d’exister. Nous avons vu pour la dernière, fois un empereur d’Allemagne venir dans une église italienne, pour recevoir la couronne d’or des mains du pape ; et cette cérémonie, devenue futile, ne s’est plus renouvelée depuis Charles-Quint. En 1 53o, il avoit commencé à régner par l’épée seule ; il n’avoit plus besoin, pour prendre le titre d’empereur, qu’un représentant de l’Italie sanctionnât son inauguration par une autorité religieuse. Dès cette époque et jusqu’à nos jours , huit ou dix princes en Italie ont continué à se croire souverains, mais sans jouir d’aucune indépendance , sans se défendre jamais par leurs propres forces, sans exercer jamais sur les autres l’influence que les autres exerçoient sans cesse sur eux. Trois ou même quatre républiques, en comptant San-Marino, ont continué à repousser de leur sein le pouvoir d’un seul, mais sans garder leur liberté, sans conserver aucune ombre, ni de la souveraineté du peuple, ni de la garantie des droits et de la sûreté des citoyens. L’Italie n’a plus été dès-lors qu’un vaste musée où les 76 HISTOIRE UES UÉPUli. ITALIENNES ctr. cxxn. monumens de la mort sont déposés sous les yeux des curieux. On n’a plus eu occasion de demander une seule fois à Vienne, à Madrid, à Paris, à Londres, ce que voudraient, ce que feraient les princes et les peuples de l’Italie. Les peuples avoient cessé d’avoir ou d’exprimer une volonté ; et les princes, en anéantissant l’esprit vital de leurs sujets, s’étoient anéantis eux-mêmes. L’Italie énervée ne parloit plus qu’au souvenir ; et l’on alloit l’interroger sur ce qu’elle avoit fait jadis, avec la certitude qu’elle ne pourrait plus le faire. Cependant nous n’abandonnerons point des peuples avec lesquels nous avons en quelque sorte vécu si long-temps sans jeter un dernier coup d’œil, mais un coup d’œil rapide, sur le sort qui les attendoit dans leur organisation nouvelle. De même que dans les six premiers chapitres de cet ouvrage, nous avons parcouru un espace de cinq siècles, et nous nous sommes contenté de fixer dans la mémoire quelques dates et quelques traits principaux, nous attendons de l’indulgence de notre lecteur, qu’il nous permettra d’accorder encore un petit nombre de chapitres aux trois derniers siècles, pour que notre récit comprenne, mais dans des proportions bien différentes, la première enfance de la nation italienne, son âge viril, et sa décrépitude. / DU MOYEN AGE. *}*} La Toscane, qui si long-temps avoit été la ch. ex* patrie de la liberté, doit la première attirer nos regards. L’histoire de Florence ne paroît point absolument finie par la capitulation de cette ville : tant que les citoyens qu’on avoit vus animés d’un si ardent patriotisme vivoient encore , tant qu’ils luttoient encore contre le pouvoir absolu , la république florentine existait toujours, du moins dans leur souvenir , et nous devons un hommage à leurs derniers efforts. Ils surent rallier leur cause à celle de la liberté de Sienne ; et la chute de cette dernière république mérite aussi quelque attention de notre part. Ce fut avec des formes républicaines que la i 53 o république de Florence fut détruite. Pour créer une balie, on avoit convoqué un parlement et consulté une prétendue assemblée de tout le peuple florentin. On avoit demandé à ce peuple de conférer la totalité de ses pouvoirs aux commissaires par les mains desquels on vouloit organiser la tyrannie. C’était reconnoître la souveraineté du peuple, au moment même où le peuple abdiquoit cette souveraineté pour jamais. Mais le parlement florentin qui créa la balie de i53o, devoit être le dernier; et en effet l’ordre fut donné ensuite de briser la cloche qui servoit à le convoquer, pour quelle ne pût jamais plus servir au même usage, (x) (i) Bernardo Segni, L. V, p. 129. —Le 12 octobre i 532 , CH. CXXI1. 1 53o. 78 HISTOIRE DES liéPUB. ITALIENNES La balie gouverna seule Florence pendant plusieurs mois en son propre nom , et non poiut au nom du pape ou des Médicis. Mais c’étoit Clément VII qui Favoit voulu ainsi, pour que ces commissaires, qui, en toute chose, agissoient uniquement d’après ses ordres , et qui atten- doient de Rome la décision de chaque affaire, ne parussent point liés par la capitulation que Barthélemi Valori avoit signée en son nom. Le pape et l’empereur avoient promis à Florence liberté et amnistie ; mais Clément prétendoit que si la république vouloit elle - même changer ses lois et punir ses citoyens, la capitulation ne pouvoit point l’en empêcher. Pour que la balie parût davantage représenter la république, il voulut qu’elle formât un corps plus nombreux, dépositaire de la souveraineté ; et au mois d’octobre, une seconde balie de cent cinquante citoyens fut élue par la première. Celle-ci com- prenoit tous les chefs de cette partie de l’aristocratie qui s’étoit montrée dévouée aux Médicis. (1) Alors les vengeances du pape et celles de ses partisans commencèrent. Les plus distingués parmi les membres de l’ancien gouvernement Giov. Cambi, T. XXIII, p. 122. — Bened. Varchi, L. XIII, T. V, p. 9 . (1) Ben. Varchi, L. XII ,p. 317. — Giov. Cambi, T. XXIII, p. 81. DU MOYEN AGE. 79 furent soumis à une torture rigoureuse ; puis le ci - devant gonfalonier Cardueci, Bernard de Castiglione, et quatre autres de ces vénérables magistrats eurent la tête tranchée (i). Raphaël Girolami, l’autre gonfalonier , obtint grâce de la vie, à l’intercession de Ferdinand de Gonzague; mais il fut enfermé dans la citadelle de Pise; et peu après , il y mourut empoisonné ( 2 ). Le prédicateur Benoist de Foiano fut livré au pape, et conduit à Rome. Celui-ci, en le faisant emprisonner au château Saint - Ange, ordonna qu’on lui diminuât chaque jour sa ration d’eau et de pain ; et c’est ainsi qu’il le fit mourir lentement de misère. Frère Zacharie , qui étoit également poursuivi, trouva moyen de s’échapper déguisé en paysan. Il s’enfuit à Ferrare, puis à Venise ; et il mourut enfin à Pérouse, où il étoit venu se jeter aux pieds de Clément VII, pour implorer son pardon (3). Une vingtaine de ceux qui se croyoient plus compromis , se dérobèrent au supplice par la fuite. En effet, ils furent condamnés à mort par contumace , et leurs biens furent confisqués. Environ cent cinquante citoyens furent relégués (1) lien. l'archi, L. XII, p. 2 g 5 .— Ciov. Cambi, T. XXIII, p. 79.— Scipione Ammirato , Lib. XXXI, p. 4 T 4 •— Bem. Segni , L. V, p. i 33 . (2) Bened. Varchi, L. XII, p. 289. ( 3 ) Idem, p. 275. [. cxxh. i 53 o. 8o HISTOIRE DES RÉPÜB. ITALIENNES ch. crm. pour trois ans dans des lieux déterminés, sou- i53o. vent à une très-grande distance de leur patrie et de leurs affaires ; mais le nouveau gouvernement, qui au lieu de frapper tous ses ennemis en une fois, redoubloit de sévérité à mesure qu’il se rassuroit lui-même, desira bientôt une occasion de condamner ces mêmes bannis comme rebelles, et de confisquer leurs biens. Après qu’ils se furent conformés à leur condamnation avec une dépense excessive , la balie , au bout de trois ans, les envoya dans un nouvel exil, plus incommode encore que le premier, et força ainsi la plupart d’entre eux à désobéir, (i) La république sembloit exister encore : un corps aristocratique assez nombreux paroissoit souverain ; le pape , qui n’a voit voulu envoyer personne de sa famille à Florence, et qui cacboit l’autorité absolue qu’il exerçoit, pour ne pas être responsable des supplices qu’il ordonnoit, lais- soit agir Barthélemi Valori, François Guicciar- dinî l’historien, François Vettori , et Robert Acciaiuoli. C’étoient eux qui paroissoient les vrais chefs de la république : ce furent eux aussi qui versèrent le sang et qui confisquèrent les biens des plus vertueux citoyens ; qui réduisirent (i) Benedetto Vardhi, L. XII, p. 5o4-3ia. — Giov. Cambi, T. XXIII, p. 87 - 95 .— Bernardo S’egni, Lit). V, p. i35.— Filippo de' Nerli, L. XI, p. 202 . — Fr. Guicciardini, L. XX, p. 546. DU MOYEN AGE, 8l à un exil perpétuel ceux qu’ils feignirent d’épar- ch gner, qui ruinèrent par des taxes arbitraires ,5 3o- tous ceux qui avoient montré de l’attachement à la liberté ; qui firent rendre sans indemnité tous les biens patrimoniaux ou ecclésiastiques vendus par autorité de justice ; qui firent désarmer le peuple en prononçant les peines les plus sévères contre quiconque conserveroit quelque arme en sa possession, et qui, pour maintenir leur autorité par la terreur, prirent à leur solde deux mille des îandsknechts qui avoient assiégé Florence, (i) Mais Clément VII, qui comptoit sur le zèle des chefs de parti pour se venger, savoit bien qu’ils ne seroient point également empressés à exécuter ses projets ultérieurs et à changer la constitution de leur patrie, pour en faire une souveraineté absolue en faveur d’un de ses neveux. Aussi avoit-il envoyé Alexandre de Mé- dicis en Allemagne et en Flandre à la cour de Charles - Quint, pour solliciter l’empereur de régler le gouvernement de Florence selon la faculté qui lui en avoit été réservée par la capitulation. L’empereur, quoiqu’il eût promis à Alexandre sa fille naturelle, ne répondoit pas à beaucoup près à l’impatience du pape. Il avoit (i) Bened. Varchi , L. XII, p. 3io et seq.— Giov. Cambi, T. XXIII, p. 79 .- Bern. Segni, L. V, P- >3r. —Filippo de' JVerli, L. XI, p. 25o. TOME XVI. 6 en. cxxn. i53i. 82 HISTOIRE DES ltilHJB. ITALIENNES laissé écouler non-seulement les quatre mois fixés par la capitulation, mais tout près d’une année avant de renvoyer à Florence Alexandre de Médicis, qui portoit déjà le titre de duc de Civita di Penna. Ce fut seulement le 5 juillet 1 53 1 que ce jeune homme y fit son entrée; et ce fut le lendemain que Jean-Antoine Mussétola, ambassadeur de Charles-Quint, communiqua à la seigneurie et à la balie le décret signé par l’empereur à Augsbourg, le a 1 octobre précédent : ce décret rétablissoit les Florentins dans leurs anciens privilèges, sous condition qu’ils recon- noitroient pour chef de la république Alexandre de Médicis, et après lui ses enfans, ou^a leur défaut l’ainé des autres Médicis ; et cela à perpétuité, et par ordre de primogéniture. ( 1 ) Le décret d’Augsbourg ne sembloit point encore faire une révolution complète dans l’état. Il maintenoit nominalement la liberté et la forme républicaine; il n’attribuoit à la maison de Médicis que les prérogatives dont elle jouis- soit avant l’année i5aj, et qu’il transformoil en droits ; il assuroit au duc Alexandre vingt mille florins d’or de pension, au lieu de lui abandonner la disposition de tous les revenus ( 1 ) Benedetlo Varchi , L. XII, p. 356-35g .— Giov. Cambi, T. XXIII, p. io3. — Scipione Ammirato , L. XXXI, p. 4*6. — Berncfrdo Segni, L. V, p- 1 43. — Filippo de’ Nerli, L. XI, p. i55. DU MOYEN AGE. 83 de l’état. Mais Clément VII n’étoit pas satisfait de cette autorité limitée; et ceux qui l’avoient servi dans ses vengeances, n’étoient pas tranquilles. Ceux-ci, reconnoissant qu’ils étaient l’objet de la haine, non pas d’un parti seulement , mais de l’universalité de leurs concitoyens, tremhloient d’être chassés de nouveau de Florence à la mort du pape, ou à la première révolution d’Italie. Guicciardini, consulté par Clément VII, lui répondit qu’il étoit impossible au gouvernement d’acquérir aucune popularité; que sa seule ressource étoit de se donner des associés dans la haine publique ; de songer moins encore à gagner quelques partisans parmi les hommes riches et habiles qu’à les compromettre avec tout le peuple, pour que, comme lui- même et ceux qui avoient suivi la même ligne que lui, ils sussent bien qu’il n’y avoit de salut pour eux que dans le maintien de la maison de Médicis. Ce fut dans cet esprit qu’une nouvelle révolution fut préparée, (i) Le pape, en disposant, en ordonnant toute chose, voulut encore que les citoyens florentins qui gouvernoient alors, prissent seuls la responsabilité du nouveau changement. Il en- (i) Lettre de Fr. Guicciardini à Nicolas de Schomberg, archevêque de Capoue, du 3o janvier i53a, avec un Mémoire sur le gouvernement de Florence. Lettere de’ Princ., T. III, L 8 et seq. . cxxir. i53i. i53s. 84 HISTOIRE DES RÉPIIB. ITALIENNES en. cxxu. voya son plan tout dressé de Rome; mais il en i53a. laissa l’exécution à Barthélemi Valori, à Guic- ciardini , à François Vettori, à Philippe de Nerli, et à Philippe Strozzi. Ce dernier se sentant l’objet de la défiance et de la haine secrète de Clément VII, cherchoit à regagner ses bonnes grâces, en exécutant ses volontés avec plus de zèle que tout autre, (i) Ces confidens du pape forcèrent en quelque sorte la balie à décréter, le 4 avril i 552, la création d’un comité de douze citoyens chargés de réorganiser le gouvernement de Y état et de la cité de Florence, car on cessa de prononcer le nom de république. On leur donna un mois pour terminer leur ouvrage ; mais comme il avoit été préparé d’avance par le pape, ces commissaires purent le publier plus tôt encore. ( 2 ) La nouvelle constitution fut rendue publique le 27 avril i 552. Elle supprimoit le gonfalonier de justice et la seigneurie ; et elle interdisoit de jamais rétablir cette magistrature , qui avoit duré deux cent cinquante ans avec tant de gloire. Elle déclaroit Alexandre de Médicis chef et prince de l’état, avec le titre de doge, ou duc de la république florentine, qu’il transmettrait (1) Ben. Varchi, Lib. XII, p. 067.— Bern. Segni, Lib. V, p. 149. — Comment, del Nerli, Lib. XI, p- 260. (2) Bened. Varchi, L. XII, p. 372. — Scipione Ammirato, L. XXXI, p. 4*9. — tst. di Giov. Cambi, T. XXIII, p. 110. V DU MOYEN AGE. gg CI! cxxil. ■ ^ > i 53 2• à perpétuité à ses descendans par ordre de pri- mogéniture; elle établissoit deux conseils à vie, pour partager avec lui le soin du gouvernement : l’un, nommé les deux cents, comprenoit tous les membres actuels de la grande balie, et près * d’une centaine d’autres qu’Alexandre se réser- voit le pouvoir d’y appeler; l’autre, nommé le sénat, devoit être composé de quarante-huit membres, choisis parmi les conseillers des deux cents, et âgés de plus de trente-six ans. Quatre conseillers élus tous les trois mois, chaque fois par un nouveau quart du sénat, dévoient remplacer la seigneurie dans ses fonctions honorifiques : le doge ou son lieutenant remplaçoit le gonfalonier, ou plutôt la république tout entière. Aucune proposition ne pouvoit être mise en délibération que par le doge ; aucune ne pouvoit passer en loi sans son assentiment formel ; et les nouveaux conseils ne donnèrent jamais l’exemple d’une proposition du prince, qui ne fût pas immédiatement sanctionnée avec un servile empressement. (i) Alexandre de Médicis fut tel que devoit être un prince établi sur le trône par des armées étrangères, contre le vœu de tous ses concitoyens , après une guerre qui avoit ruiné et hu- (i) Ben. Varchi, L. XII, p. 374, et T. V, L. XIII, p. 12. — Cio. Cambi, T. XXIII, p. 114.— Bern. Segni, L. V, p. i 5 o. — Filippo de’ Nerli, L. XI, p. 262-268. 86 HISTOIRE DES RJÎPUB. ITAMENUES ch. cxxn. milie sa patrie. Se défiant de tout le monde, et j 532. -s’efforçant d’obtenir de la peur ce qu’il ne pou- voit devoir à l’amour, il s’entçura de soldats étrangers : il choisit, pour les commander, Alexandre Vitelli de Città di Castello, parce qu’il le savoit irrité contre les Florentins et l’état populaire, qui avoient fait mourir son père Paul Vitelli. Il fortifia sur les bords de l’Arno un bastion qui pût lui servir de refuge, en cas d’insurrection du peuple ; mais ne se croyant point encore assez assuré par-là, il fit jeter, 1534. l e jer j u i n j 534, les fondemens d’une citadelle à l’endroit où étoit auparavant la porte de Faenza ; et il y fit travailler avec tant d’activité, qu’avant la fin de l’année elle fut en état de défense. Il tint rigoureusement la main au désarmement des citoyens; la peine de mort et la confiscation des biens étoient prononcées contre ceux dans la maison desquels on trouvoit des armes : en même temps, il avoit formé une milice des sujets de la république ; il l’avoit armée, il lui avoit donné des privilèges; et il con- tenoit ainsi les anciens souverains par la crainte de leurs anciens vassaux. ( 1 ) Les soldats d’Alexandre croyoient tout permis à leur libertinage et à leur avarice; et de (1) Ben. Varchi, Lib. XIII, T. V, p. 5 ; Lib. XIV, p. 85 . — Istor. di Giov. Cambi, T. XXIII, p. 137. — liera. Seguin L. VI, p. 1 53 . — Filippo de’ l\ T erli, L. XI, p. 270 , 272. IUT MOYEN AGE. 87 quelque outrage que les citoyens eussent à se plaindre, ils ne pouvoient jamais obtenir de justice ni contre aucun militaire, ni contre aucun des officiers ou des moindres valets employés dans la maison du duc. Celui-ci sembloit prendre à tâche d’humilier ses compatriotes, et de les ravaler sans cesse en les comparant aux étrangers. Il avoit successivement offensé presque tous ceux qui lui avoient été le plus dévoués ; aussi les chefs de ces grandes familles qui avoient dirigé le parti des Médicis, et qui, pendant le siège, avoient porté les armes contre leur patrie, avoient-ils quitté de nouveau cette patrie, où ils ne pouvoient plus vivre sous le tyran qu’ils lui avoient donné. François Guic ciardini, que Clément VII avoit nommé gouverneur de Bologne, n’éprouvoit point encore la douleur d’obéir là où il avoit commandé; mais Barthélemi Valori, quoique gouverneur de la Romagne pour le pape, ne pouvoit se consoler de la part qu’il avoit eue à la révolution, et de l’esclavage où il s’étoit réduit lui-même ; Philippe Strozzi, malgré tous ses efforts pour gagner la bienveillance du duc, le savoit jaloux de son immense richesse,-et toujours prêt à l’offenser : aussi, lors du mariage de Catherine de Médicis avec le duc d’Orléans, en i533, passa-t-il à la cour de France, et y appela-t-il, l'année suivante, sa nombreuse famille. Tous l. CXXII. 1534. CH. CXXI1. T 534. 88 HISTOIRE DES RéPUB. ITALIENNES les cardinaux florentins, et il y en avoit quatre à cette époque, se rangeoient parmi les ennemis d’Alexandre : mais le plus ardent de tous étoit le cardinal Hippolyte de Médicis, son cousin, qui, se regardant comme né plus honorablement qu’Alexandre, dont il étoit aussi l’aîné, ne pou- voit se consoler de ce qu’on avoit donné à un bâtard, dont le père étoit inconnu et la mère infâme» des prérogatives dont il avoit joui lui-même quelque temps, et que l’amour de ses concitoyens lui auroit volontiers déférées de nouveau. (1) La mère même d’Alexandre ne savoit point en effet s’il étoit fils de Laurent, duc d’Urbin , de Clément VII, ou d’un muletier. Dans le premier cas, il se seroit trouvé frère consanguin de Catherine de Médicis, fille unique de Laurent et de Madelène de la Tour-d’Auvergne, à laquelle Clément VII venoit de procurer une grandeur au-delà de ses espérances. Clément, incertain dans sa politique et chancelant dans ses alliances, s’étoit rapproché de la France ; il avoit été à Nice pour y rencontrer François I"; de là, il avoit passé à Marseille, et il avoit enfin marié Catherine, le 27 octobre i553, à Henri d’Orléans, second fils de François I er , auquel ce Henri succéda (2). La paix duroit toujours entre (1) Ben. Varchi, T. Y, Lib. XIV, p. 90.— Bern. Segrti, L VI, p. i56. (2) Ben. Varchi, Lib. XIV, p- 53. — Bern. Segni, L. VI', p. 161. — Pauli Jovii Hist., L. XXXI, p. 224. Dü MOYEN AGE. 8 9 les deux monarques; et Clément VII, en s’alliant chap. cxsa à la France, n’avoit garde de se déclarer contre l’empereur, dont il sentoit bien qu’il dépendoit : le mariage de son favori Alexandre avec la fille naturelle de Charles - Quint, quoique convenu dès long-temps, ne s’effectuoit point encore, à cause du bas âge de Marguerite d’Autriche ; le pape ne vouloit pas s’exposer à le faire rompre : il savoit qu’Alexandre ne trouveroit aucun appui dans Catherine, qui le détestoit comme tous ses parens ; mais plus Alexandre avoit d’ennemis, plus Clément VII s’attachoit à lui : il se réjouissoit de voir ce jeune homme exercer ses vengeances; il dirigeoit, il approuvoit tous les actes de son gouvernement, et il le couvroit d’un crédit qu’il sentoit devoir bientôt lui échapper; car, dès le mois de juin i534> Clément VII avoit été atteint d’une fièvre lente, et il mourut le 25 septembre de la même année, laissant son protégé en butte aux attaques de ses nombreux ennemis, (i) Clément VII avoit eu d’abord l’intention de faire continuer, tous les six mois, la liste des proscrits, à chaque renouvellement du tribunal des Huit de balie ; il en fut empêché seulement par les clameurs élevées contre lui dans toute (i) Ben. yarchi, L. XIV, p. 88 .— Giov. Cambi , T. XXIII, p. 141 . — Scipione Ammirato , Lib. XXXI, p. 429- —Pauli Joviï Ilist.. L. XXXII, p. 254. QO HISTOIRE DES RIÎPÜB. ITALIENNES h. cxxn. l’Europe (i). Cependant le nombre des exilés et i534. j es émigrés de Florence étoit déjà prodigieux, et lorsqu’il avoit sommé le duc de Ferrare de les expulser de ses états, on en avoit trouvé plus de trois cents dans cette seule province ( 2 ). Leur parti devint bien plus redoutable encore après la mort du pape. Paul III, de la maison Farnèse, qui lui avoit succédé, accordoit sa faveur à tous les ennemis de Clément VII et de sa mémoire ; et il avoit ainsi encouragé les cardinaux florentins à se déclarer plus ouvertement. Le cardinal Hippolyte de Médicis prétendoit à la gloire de rendre la liberté à sa patrie. Les Strozzi, dont la richesse surpassoit celle d’aucun particulier en Europe, les Valori, Ridoîfi et Salviati, qui tous, dans la dernière guerre, avoient pris parti pour les Médicis, s’étoient réunis à Rome pour chercher les moyens de renverser le tyran. Tous les autres émigrés étoient venus les joindre ; ils avoient établi entre eux une sorte de gouvernement, et ils avoient envoyé trois des principaux citoyens de Florence à l’empereur en Espagne, pour lui demander de retirer sa protection à un prince dont la cruauté, la débauche et la perfidie ne pouvoient être comparées qu’à celles d’un Pha- (1) Bened. Varchi, T. IV, L. XII, p. 3 i 5 (■j) Idem, L. XfV, p. 80. 1 \ DU MOYEN AGE. QI iaris ou de quelque autre des monstres fameux de l’antiquité, et pour réclamer l’observation de la capitulation de Florence, (i) Charles V, étonné des injustices criantes, des atroces cruautés, des meurtres , des em- poisonnemens sans nombre dont il entendoit accuser Alexandre, promit d’examiner sa conduite, quand lui-même il reviendroit de son expédition de Tunis. En effet, comme à son retour il se reposoit à Naples, les émigrés florentins lui dépêchèrent le cardinal Hippolyte de Médicis, pour achever de l’éclairer : mais le duc Alexandre avoit pris ses mesures pour se défaire de cet antagoniste. Le cardinal, arrivé à Itri, dans la route de Rome à Naples, fut empoisonné, le jo août, par son échanson ; il mourut après treize heures de souffrances : Dante de Castiglione et Berlinghière Berlinghiéri, qui l’accompagnoient, moururent le lendemain , du même poison , mais le duc ne put réussir à faire assassiner Philippe Strozzi, comme il l’avoit tenté plusieurs fois, et les embûches qu’il dressoit à ses autres ennemis furent également découvertes. ( 2 ) (1) Bened. Varchi , T. V, L. XIV, p. 108. — Bern. Sagni, L. VU, p- 178. — Pauli Jovii, L.XXXIV, p.3o2.— Scipione Ammirato , L. XXXI, p. 4 7 | û. — Filippa de’ JYerli, L. Xlf, P' 2 77' (•2) Ben, Varchi, L, XIV, p. i 32 . — Bern. Segni. L, VIII, .cxxu. i534- i535. En. cxxii i 535 . 92 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES La mort d’Hippolyte, en délivrant Alexandre de son ennemi le plus redoutable, ajoutoit, d’autre part, une nouvelle tache à sa réputation. Ses mœurs étoient infâmes, toutes ses habitudes étoient vicieuses ; et comme il avoit rempli l’Europe de ses ennemis, ses crimes étoient aussi publiés en tout lieu. La fille de l’empereur lui étoit promise, mais elle ne lui étoit point encore donnée ; et depuis que son alliance n’étoit plus un gage de celle de l’Eglise, il pouvoit craindre que Charles-Quint ne saisît avec empressement un prétexte plausible pour rompre le mariage projeté, et disposer de son état en faveur d’un autre. Mais Charles avoit une haine invétérée contre les républiques, et contre les prétentions des peuples à la liberté : il se défioit surtout des Florentins, qu’il savoit attachés de tout temps à la France, avec laquelle il étoit sur le point de rentrer en guerre; et Alexandre , comptant sur cette partialité, se rendit à Naples, pour plaider lui-même sa cause à la cour de l’empereur. (1) Le duc avoit rattaché à son parti Barthélemi Valori : il le conduisit à Naples avec lui, aussi- p. 188. — Filippo de’ Nerli, L. XII, p. 278. —Scipione Am- viiraio, L. XXXI, p. 43 °. (1) Benedetlo Varchi, L. XIV, p. i 3 i.— Bernardo Segrti, L. VH, p. 189.— Il partit le 19 décembre i 535 . Fil. de’ jtferli) L. XII, p.a 79 . MI MOYEN AGE. 9 3 bien que François Guicciardini, Robert Ac- C ir. cxsn. ciaiuoli et Mattéo Strozzi. Les émigrés, de leur i535. côté, s’étoient rendus à Naples : on y voyoit, entre autres, Philippe Strozzi et ses fils, les cardinaux Salviati et Ridolfi, et leurs frères, tous proches parens de ceux qui s’étoient attachés au duc. La ville et la cour étoient pleines de Florentins des deux partis ; et ceux qui re- demandoient la liberté de leur patrie, parois- soient bien accueillis par les ministres de Char- les-Quint. Ils furent invités à présenter leurs plaintes par écrit ; Filippo Parenti, et après lui Jacopo Nardi l’historien, le firent avec beaucoup de vigueur, donnant les preuves détaillées des crimes divers d’Alexandre, et des extorsions effroyables par lesquelles il ruinoit la Toscane. François Guicciardini entreprit d’y répondre article par article ; et il ajouta ainsi à la haine populaire, à laquelle il se plaignoit déjà d’être en butte. Enfin, l’empereur prononça, au mois de février i536, le jugement qu’on lui i536. demandoit. Tous les exilés et les émigrés florentins dévoient, d’après son rescrit, être rappelés dans leur patrie, remis en possession de leurs biens, et garantis dans leurs personnes; mais aucun changement n’étoit apporté à la constitution de l’état, ni aucun privilège garanti au peuple, (i) (i) Ben. Varchi, L. XIY, p. 143-219, et 224 ' — Scipione eu. exxn. ] 556 . 94 HISTOIRE DES RéPUB. ITALIENNES Alors tous les émigrés florentins, quoique plusieurs sentissent déjà les atteintes de la misère, se réunirent pour rejeter un compromis qui ne sauvoit qu’eux et qui sacrifîoit leur patrie. Leur réponse, l’une des plus nobles que conservent les archives de la diplomatie, com- mençoit par ces mots : « Nous ne sommes point » venus ici pour demander à sa Majesté impé- » riale sous quelles conditions nous devions » servir le duc Alexandre, ni pour obtenir par » elle son pardon, après avoir volontairement, » avec justice, et selon notre devoir, travaillé » à maintenir ou recouvrer la liberté de notre a patrie. Nous ne l’avons point invoquée pour » retourner esclaves dans une ville d’où il y a » bien peu de temps que nous sommes sortis » libres, ou pour y recouvrer nos biens. Mais » nous avons recouru à sa Majesté, nous con- » fiant en sa bonté et en sa justice, pour qu’il » lui plût de nous rendre cette entière et vraie » liberté que ses agens et ses ministres s’enga- » gèrent en son nom, par le traité de i53o, à « nous conserver.Nous ne savons donc ré- » pondre autre chose au mémoire qui nous a » été remis de la part de sa Majesté, si ce n’est » que nous sommes tous résolus à vivre et à » mourir libres, ainsi que nous sommes nés, Ammiralo , L. XXXI, p. 43 l. — Bern. Segni, L.VII, p. 189, — Filippo de’ IVerli, L. XII, p. 379. l)lf MOYEN AGE. C)0 » et que nous supplions de üouveau sa Majesté en- exxn, » de soustraire cette malheureuse cité au joug » cruel qui l’écrase. » (i) François Sforza, duc de Milan, étoit mort le 24 octobre i535. Son frère naturel, Jean-Paul Sforza, marquis de Caravaggio, qui avoit quelque prétention à lui succéder, parce qu’il avoit été appelé dans les investitures au défaut de la ligne légitime, fut empoisonné à son passage à Florence, comme il se rendoit en poste à la cour de l’empereur ; et sa mort trancha, en faveur de la maison d’Autriche, une question difficile à résoudre. Une guerre furieuse alloit recommencer entre l’Autriche et la France; le duc Alexandre promettoit de l’argent, et sa fidélité étoit assurée, tandis que la république de Florence , si elle étoit rétablie, ne manqueroit pas d’écouteç bientôt son antique affection pour la France. Charles - Quint n’hésita plus entre les deux partis : le 28 février, il maria sa fille naturelle , Marguerite d’Autriche, au duc Alexandre ; il reçut de lui, en retour, une somme d’argent considérable ; et il le renvoya plus puissant que jamais dans ses états. Le mariage d’Alexandre fut célébré une seconde fois à Florence, avec plus de solennité, le i3 juin, i536. ( 2 ) (1) Toutes les pièces originales sont rapportées par Bened. Varchi : celle-ci eut, dit-il, beaucoup de réputation en Italie. L. XIV, p- 229, 23 o. (2) Bened, Varchi , L. XIV, p. 2D9, — Bern. Segni , L. VH, (CH. CXXII. j 536. >53 7 . 96 HISTOIRE DES REPÜB. ITALIENNES Peu de mois s’étoient écoulés depuis ce mariage , et Alexandre les avoit passés dans ses débauches habituelles, portant alternativement le libertinage et le déshonneur dans les couvens et dans les maisons les plus nobles de Florence, lorsqu’il fut assassiné, le 6 janvier i 537, par l’homme dont il se défioit le moins. Cet homme étoit Lorenzino de Médicis, son cousin, l’aîné dé la branche cadette de cette maison, et celui même que le rescrit impérial appeloit à succéder à Alexandre, si ce dernier mouroit sans enfans. Lorenzino, qui auroit mérité de l’estime par son esprit et son goût pour les lettres, si ses mœurs ou son caractère ne l’avoient pas dégradé, avoit vécu dans les plaisirs, et avoit servi, comme un lâche flatteur , le duc Alexandre dans ses impudiques amours. Il l’avoit déjà aidé à séduire plusieurs femmes nobles ; et il prêtoit souvent sa maison, attenante à celle du duc, dans P7a larga, pour leurs rendez-vous. Il s’engagea à lui amener de même la femme de Léonard Ginori, sœur de sa propre mère, mais beaucoup plus jeune qu’elle, La beauté de cette dame avoit depuis long-temps frappé Alexandre, et sa vertu l’avoit jusqu’alors rebuté. Après souper, le jour même de l’Epiphanie , où le carnaval commence, Lorenzino p. 192 et 198. — Filippo de’ Nerli, L. XII, p. 283, 286.— Délia Storia di Gio. Bail. Adriani, L. I, p. n. 11 fait suite à Guicciardini, qui finit à la mort de Clément YII. DU MOYEN AGE. 97 avertit le duc, que, s’il vouloit se rendre chez ch.cxxit. lui absolument seul, et en observant le plus i53j. profond secret, il y rencontreroit sa tante Catherine Ginori. Alexandre accepta le rendez- vous ; il écarta tous ses gardes ; il dérouta tous ceux qui pouvoient l’observer, et il entra sans être aperçu de personne dans la maison de Lo- renzino. Il étoit fatigué de la journée, et vouloit se reposer : mais avant de se jeter sur le lit, il détacha son épée, et Lorenzino la prenant de ses mains pour la mettre au chevet de son lit, en passa le ceinturon autour de la garde, de manière à ce qu’il ne fût pas facile de la tirer. Il sortit ensuite, en lui disant de se reposer, tandis qu’il alloit chercher sa tante, et il l’enferma sous clef. Il revint un moment après, avec un assassin surnommé Scoronconcolo, qu’il avoit aposté d’avance, en lui demandant de le servir pour se défaire d’un grand personnage de la cour, qu’il n’avoit point nommé; car Lorenzino étoit arrivé jusqu’au moment de l’exécution sans mettre une seule personne dans son secret. En entrant le premier dans la chambre, Lo- renzino dit au duc : Seigneur, dormez-vous? Mais en même temps il le perça de part en part avec une épée courte, qu’il tenoit à la main. Alexandre, quoique blessé mortellement, essaya de lutter contre son meurtrier; et Lorenzino, pour l’empêcher de crier, tout en lui disant, 7 TOME xv r. q8 histoire des répüb. ITALIENNES ch. cxxn. Seigneur , ru ayez pas peur, lui enfonça deux 1557. doigts dans la bouche. Alexandre les mordit de toutes ses forces, en se roulant sur le lit avec Lorenzino, qu’il tenoit embrassé. Scoronconcolo ne pouvoit frapper l’un sans frapper l’autre; il tâchoit d’atteindre Alexandre entre les jambes de Lorenzino, tandis qu’ils se débattoient ; mais tous ses coups se perdoient dans le matelas. Enfin, il se souvint qu’il avoit un couteau dans sa poche, et le plongeant, dans la gorge du duc , il le tourna tant qu’il le tua. (1) Lorenzino étoit assuré que, quelques cris qui se fissent entendre de son appartement, personne ne viendrait en demander la cause ; ses domestiques y étoient. accoutumés. Personne ne savoit son secret; il avoit plusieurs heures devant lui, pendant lesquelles personne ne de- manderoit le duc, ni ne s’apercevroit qu’il marjquoit. II ne s’agissoit plus que de recueillir les fruits de la conjuration qu’il avoit conduite avec tant d’habileté et un si profond secret. Mais Lorenzino avoit excité, par sa vie précédente , la défiance de tous les honnêtes gens ; il n’avoit. point d’amis dont il pût demander le (i) Bened. Parchï , Lib. XV, p. 264-272.— Bern. Segni, L. VII, p. 204-206 .—Filippo de‘ Pïerli, L. XII, p. 286-290. — Gio. Balt. Adriani, Lib. I, p. 11. — Scipione Ammirato , L. XXXI, p. 43 6 . — PauliJovii Hist ., L. XXXVIII, p. 58 7 - 391 .—ïstorie di Marco Guazzo, f. 1 5 g. DU MOYEN AGE. 99 conseil ou l’assistance ; il n’avoit point de parti : on ne lui connoissoit pas le zèle pour la liberté qu’il affecta ensuite, et qui peut - être n’étoit qu’un héroïsme d’emprunt. Quoiqu’il fut le premier des Médicis dans la ligne dé la succession, personne ne songeoit à lui, soit parce qu’on ne doutoit point qu’Alexandre, jeune, vigoureux, et nouvellement marié^, n’eût des enfans, soit parce qu’on ne regardoit pas l’élat monarchique comme assez solidement établi pour supposer que la succession passerait dans une branche éloignée. 11 étoit troublé par l’action qu’il venoit de faire, troublé par la peur de Scoronconcolo, son associé, peut-être aussi par la douleur que lui causoit sa main, violemment mordue par Alexandre. D’ailleurs il crut le gouvernement renversé par la mort du tyran ; celui-ci n’avoit point de fils, point de frère prêt à recueillir sa succession : lui-même il étoit son plus proche héritier ; et il ne pouvoit même prévoir à qui le parti des Médicis penseroit à déférer l’autorité monarchique. Il ne songea donc plus qu’à se mettre lui-même à couvert pour les premiers raomens d’effervescence, et à rassembler les émigrés qui dévoient recueillir le fruit de sa hardiesse. Il ferma la porte de sa chambre, et en emporta la clef avec lui; puis se faisant donner un ordre pour qu’on lui rouvrît les portes de la ville, et qu’on lui fournît des chevaux de . CXXI1 1537. IOO HISTOIRE DES RÉPUE. ITALIENNES ch. cvxn. poste, sous prétexte qu’il venoit d’apprendre la • maladie de son frère à la campagne , il partit en diligence pour Bologne, et ensuite pour Venise, avec Scoronconcolo. (i) Lorenzino raconta à Salvestro Aldobran- dini, à Bologne, et à Philippe Strozzi, à Venise, comment il s’étoit défait du tyran. Le premier ne voulut pas le croire : le second hésita long-temps avant de lui prêter foi; alors enfin il l’embrassa avec transport, l’appela le Brulus de Florence, et lui promit que ses deux fils épouseroient les deux sœurs de Lorenzino. Cependant il s’en falloit de beaucoup que la dissimulation du nouveau Brutus, qui fut alors célébrée par les poètes et les orateurs de toute l’Italie, eût des résultats aussi heureux que celle du premier. Le sénat, qui avoit été formé pour seconder Alexandre, n’avoit aucune raison de se louer du gouvernement du duc; mais plus la révolution qui l’avoit établi, avoit été violente et cruelle, plus ceux qui y avoient contribué craignoient le retour et les vengeances des émigrés. lie cardinal Cybo, principal mi- (i) Benedetto Varchi, L. XV, p. 273, et cœteri, ut supra. Lorenzino de Médicis a écrit lui-même un Mémoire pour justifier son entreprise. Roscoe l’a imprimé dans l’appendix à la vie de Laurent de Médicis, n° 84, p- ujS-ifiâ. Une lettre écrite de Rome, 1 5 mars, à M.Paolo del Tosco , par son frère, donne aussi des détails reçus de la bouche même de Lorenzino. Lellere de Principi , T. III, f. 52 . DU MOYEN AGE. IOI nistre d’Alexandre, apprit le premier que le duc n’e'toit point dans son appartement, qu’on ne F avoit point vu revenir de toute la nuit, et qu’on ne savoit où il étoit. Le départ précipite de Lorenzino, dont il fut instruit peu après, lui fit soupçonner la vérité : mais encore que Je peuple fût désarmé, encore qu’il fût efïrayé par la citadelle que le duc avoit fait bâtir, il avoit tant de haine pour les Médicis et tous leurs agens , qu’on devoit s’attendre à un soulèvement, au moment où il seroit instruit de la disparition du duc. Le cardinal Cybo fît dire à tous les courtisans qui venoient au palais , qu’Alexandre se reposoit encore, parce qu’il avoit veillé toute la nuit. En même temps il envoya un courrier à Alexandre Vitelli, commandant de la garde, pour le presser de revenir en diligence avec tout ce qu’il pourroit rassembler de soldats ; car Lorenzino avoit choisi, pour exécuter son projet, le moment où Vitelli avoit fait une excursion à Città di Castello. Cybo fit aussi avertir tous les commandans de place, tous les capitaines d’ordonnance, de se tenir sur leurs gardes, et ce ne fut que dans la nuit du 7 au 8 janvier, qu’il eut le courage de faire ouvrir avec un profond secret l’appartement de Lorenzino, et qu’il y trouva le duc baigné dans son sang, (i) (i) Ilenecl. I "archi , L. XV, p. 278. — Comment, di Filippo en. cxxir eu. exxu J 537. 102 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES Lorenzino de Médicis avoit bien fait avertir quelques patriotes florentins de la mort du duc; mais ceux-ci, ou ne lui avoient prêté aucune foi, ou n’avoient pas osé répandre un secret aussi dangereux. Lorsque ce secret commençoit enfin à percer parmi le peuple, celui-ci vit arriver en poste Alexandre Vitelli, le lundi matin, 8 janvier; et tous les lieux-forts de la ville, et l’entrée des principales rues, furent garnis de soldats et d’artillerie. La difficulté de tirer parti d’un événement dont tout le monde se réjouissoit, mais dont personne n’osoit encore se croire assuré, augmentoit d’heure en heure. Les quarante-huit sénateurs se rassemblèrent cependant au palais des Médicis , sous la présidence du cardinal Cjbo. Dominique Canigiani, l’un d’eux , proposa de déférer la seigneurie à Jules, fils naturel, encore en bas âge, d’Alexandre. François Guicciardini proposa pour chef de la république, Cosme, fils de Jean, l’illustre commandant des bandes noires. Ce jeune homme, ignorant ce qui se passoit, étoit alors à sa maison de campagne de Trebbio en Mugello, à quinze milles de Florence. Mais Palla Ruccellai repoussa avec une égale indignation l’une et l’autre proposi- dë Nerli, Lib. XII, p. igi. — Bernardo Segni, Lib. VIII, p. 208.— Scipione Ammirato, L. XXXI, p. — Gio. Batt. Adriani, Lib. I, p. 12. — Pauli Jovii Hist., Lib. XXXVIII, p, 3 gi. DU MOYEN AGE. io3 tion. Puisque la Providence les avoit délivrés d’un tyran odieux, il demanda qu’on affermît cette liberté que le ciel leur accordoit, et qu’on rendît à la république son ancienne constitution; surtout qu’on se gardât de prendre aucune détermination, tandis que tant de nobles citoyens exilés et émigrés, qui avoient autant de droit qu’eux à régler le sort de leur patrie, en étoient éloignés, (i) La plupart des sénateurs partageoient les sen- timens de Palla Rucceliai ; mais ils trembloient encore devant les quatre hommes qui avoient eu le plus d’influence sous le dernier gouvernement ; et ceux-ci, savoir, François Vettori, Guic- ciardini, Robert Âcciaiuoli et Mattéo Strozzi, croyoient n’avoir d’autres moyens de se mettre à couvert de la haine de leurs concitoyens, qu’en élevant un nouveau prince à la place de celui qui venoit de périr. Ils représentèrent aux sénateurs tout ce que l’oligarchie avoit à craindre de l’indignation du peuple et des vengeances des émigrés ; et, ne pouvant les amener à une décision plus précise, ils les engagèrent du moins à déférer pour trois jours , de pleins- pouvoirs au cardinal Cybo, qui, étant fils d’une sœur de Léon X, pouvoit être considéré comme (i) Ben. Fcirchi , L. XV, p. 784• — Bern. Segni, L. VIH , p. 2i3. —Filippo de ÏŸerli, L. XII, p. 291. 104 HISTOIRE DES RÉPÜB. ITALIENNES ca. cxxn. le représentant de la maison de Médicis, encore i53j. qu’il ne fût pas Florentin. (i) Cette résolution ne sufîi^oit point pour contenter Guicciardini et ses associés : ils savoient que le parti républicain tenoit de son côté de secrètes assemblées ; ils jugeoient qu’une plus longue irrésolution pouvoit perdre leur faction, et ils assemblèrent dans la nuit un comité secret , auquel assistèrent, outre les quatre chefs du parti , le cardinal Cybo, Alexandre Vitelli , commandant de la garde, et le jeune Cosme de Médicis, qui étoit arrivé en hâte du Trebbio, pour saisir l’occasion que lui offroit la fortune. Ils convinrent de rassembler de nouveau le sénat le lendemain matin, et de le déterminer à élire Cosme de Médicis, non pas pour duc , mais pour chef et gouverneur de la république florentine, avec des pouvoirs limités, en employant s’il le falloit la force pour presser la résolution des sénateurs. En effet, comme ceux-ci hésitoient, le mardi g janvier i55y, à accepter et sanctionner les conditions que François Guicciardini avoit rédigées par écrit ; Alexandre Vitelli, qui avoit fait remplir toute la rue de ses soldats , fit retentir les cris de vivent le duc et les Médicis ! et fit avertir les sénateurs de se hâter, caron ne pou- (i) Ben. Varchi, L. XV, p. 285 . — Bern. Segni, L. VIII , p. 2i2. — Filippo de’ JVerti, L. XII, p. 292. — Gio. Boit. Adriani, L. I, p. i/|. MJ MOYEN ACE. IOO voit plus retenir les soldats. De cette manière l’élection de Cosme 1 er fut résolue dans le sénat, par une grande pluralité, (i) Cosme de Médicis, fils de Jean, qui lui-même étoit arrière-petit-fils de Laurent, frère de Cosme- l’Ancien, passoit alors pour avoir l’esprit lent et timide. Guicciardini, qui avoit surtout décidé son élection, ne doutoit pas de son autorité sur ce jeune homme sans expérience, et qu’il jugeoit n’avoir d’autres goûts que ceux de la chasse et de la pêche. Il avoit fait limiter à douze mille écus le traitement annuel du duc, tandis qu’il croyoit être devenu lui-même le vrai souverain de Florence. Mais jamais jeune homme ne trompa autant que Cosme de Médicis l’attente universelle; sous ses manières silencieuses et réservées, il cachoit l’ambition la plus démesurée, la dissimulation la plus profonde, et il repoussoit tout partage de son pouvoir avec la jalousie la plus soupçonneuse ; celui que chacun s’étoit flatté de gouverner n’admit personne dans son secret, et ne reçut les conseils de personne, (a) Les trois. cardinaux florentins, Salviati, Ri- dolfi et Gaddi, à la nouvelle de cette élection, partirent immédiatement de Rome pour Flo- (0 Ben. Varcld , Lib. XV, p. 287. — Scipione Ammiralo L. XXXI, p. 438.— Gio. Batt. Adriani, L. I, p. 18.— Bern. Segni, L. VIII, p. 216. — Filippo de' lYerli, L. XII, p. 2Ç)5, (a) Bened. Varchi, L, XY, p. 3a6. :. cxxn. i53 7 . ch. cxxn. i53 7 . 106 HISTOIRE DES RépUB. ITALIENNES rence , avec deux mille hommes de troupes qu’ils levèrent à leurs frais. Barthélemi Valori, qui avoit quitté le duc Alexandre à son retour de Naples, et qui dès-lors s’étoit joint aux émigrés , accompagna les cardinaux avec un grand nombre d’exilés. Philippe Strozzi, de son côté, étoit venu de Venise à Bologne, et y soldoit des troupes. La moindre attaque auroit été alors suffisante pour renverser le nouveau gouvernement ; mais comme les fils de Strozzi étaient entrés au service de France, et comme les émigrés comptaient déjà sur les secours de cette couronne, les généraux de l’empereur s’empressèrent d’offrir leur assistance à Cosme, et de faire passer en Toscane deux mille Espagnols tout récemment débarqués à Lérici. Cependant le duc de Florence avoit adressé aux cardinaux florentins les protestations les plus respectueuses : il les avoit invités à rentrer sans armes dans leur patrie, les assurant de son empressement à se conformer en tout à leurs volontés. Le cardinal Salviati, que les autres prélats et tous les émigrés avoient reconnu pour chef, étoit propre frère de la mère de Cosme. Cette proche parenté sembloit rendre les négociations plus faciles. Les émigrés consentirent à renvoyer leurs troupes; ils entrèrent dans Florence avec un double sauf-conduit de Cosme de Médicis, et d’Alexandre Vitelli ; mais bientôt ils s’aperçurent qu’ils DU MOYEN AGE. IO7 étoient joués, que les troupes espagnoles qu’on avoit promis de renvoyer en même temps que les leurs, s’approchoient toujours plus de Florence ; que la citadelle avoit été surprise par Alexandre Vitelli, et étoit gardée au nom de l’empereur ; qu’on ne leur accordoit aucune des conditions dont on les avoit d’abord flattés ; que Vitelli enfin commençoit à les faire menacer par ses soldats : ils se retirèrent précipitamment le i er février, après être restés seulement neuf jours à Florence. Comme le cardinal Salviati, croyant n’avoir rien à craindre de son neveu , étoit resté après eux, Alexandre Vitelli fit entourer sa maison de soldats, menaça de le faire tailler en pièces, et le contraignit a s’enfuir aussi. ( 1 ) L’imprudence et les fautes répétées des chefs que les émigrés avoient reconnus , parce que seuls dans le parti ils étoient assez riches pour faire la guerre avec leur bourse privée, contribuoient à affermir le gouvernement de Cosme I". Il acquit une nouvelle stabilité par l’arrivée de Ferdinand de Sylva, comte de Si- fonte , ambassadeur de l’empereur qui, dans ( 1 ) Ben. Varchi, L. XY, p. 3n. — Bern. Segni,L. VIII, p. arg. — Comment. delNerli, L. XII, p. 2g4-— Cio. Batt. AcLriani , L. I, p. 24 . — Lettera di cinque Cardinali Fior. al C. Cibo. Borna, i5 gennaio. i53 7 . Lett. de 1 Principi, T. III, f. 5 7 . cnn. cxx. i57>y* cii. cxxn i53 7 . IC)8 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES une assemblée du sénat, le 21 juin, produisit une bulle impériale du 28 février, par laquelle Cosme de Médicis étoit déclaré successeur légitime d’Alexandre, dans la principauté de Florence jtandis que Lorenzino, son frère, et tous les descendans de Pier-Francesco, étoient privés à perpétuité de leur droit à l’hérédité, à cause du meurtre du dernier prince. Ce jugement, il est]vrai, portoit une cruelle atteinte à l’indépendance de l’état florentin; et il étoit accompagné de conditions plus contraires encore aux anciens droits de la république. Les forteresses de Florence et de Livourne reçurent garnison impériale’; et ce ne fut pas avant l’année i 543, qu’elles furent rendues au souverain de la Toscane. (1) Les émigrés n’avoient pas renoncé à l’espoir de renverser par la force le gouvernement de Cosme I er . Après avoir échoué avec des troupes levées à leurs frais, ils recoururent à l’assis- (r) Bened. Varchi, L. XVI, p. 3 7 3.— Scipione Ammirato, L. XXXII, p. 448. — Bern. Segni, L. VIII, p- 223 . — Gio. Batl. Adrïani, Lib. I, p. 5i. — Filippo de’ Nerli, Lib. XII , P- 2 97- Nous prendrons ici congé de Benedetto Varchi, l’historien le plus verbeux peut-être qu’ait produit l’Italie. Mais , au milieu des détails infinis dont il accable son lecteur, on trouve des sentimens élevés et de la philosophie. Son seizième Livre finit au commencement de l’année i538. L’ouvrage paroît n’avoir pas été achevé, 1>U MOYEN AGE. iog tance de la France. La guerre s’étoit rallumée ch. cxxn entre Charles V et François I er , sans que les ! ^7- armées du dernier eussent pu pénétrer au-delà du Piémont. Mais le comte de La Mirandole s’étoit maintenu sous la protection de la couronne de France : il avoit ouvert aux Français sa forteresse ; et ceux-ci tentoient encore de regagner auprès des états d’Italie le crédit dont ils avoient joui dans la précédente guerre. Ce fut là, qu’avec l’argent de François I er , et celui de Philippe Strozzi , les émigrés levèrent au commencement de juillet quatre mille fantassins et trois cents cavaliers, sous les ordres de Pierre Strozzi, fils aîné de Philippe, de Bernard Salviati, prieur de Rome, et de Capino de Mantoue. (i) Toute la province de Pistoia étoit alors soulevée ; les anciennes factions des Panciatichi et des Cancellieri avoient recommencé à s’attaquer avec acharnement. Un des chefs des premiers, Nicolas Bracciolini offrit à Philippe Strozzi de lui livrer Pistoia, qui étoit presque dans sa dépendance ; il le trahissoit, et il étoit alors même d’intelligence avec Alexandre Vitelli : il réussit toutefois à inspirer tant de confiance aux émigrés, que Philippe Strozzi, dont on avoit jusqu’alors estimé la prudence, Barthé- (i) Berti Segni , !.. VIII, p. 9.27.— Cio. Batt. d’Adriani, L. I, p. 54 . — Filippo de’ Nerli , L. XII, p. 299. 1 IO niSTOIRE DES REPUE. ITALIENNES en c xxii. lemi Valori, et presque tous les autres chefs du 1537. parti, se déterminèrent à entrer en Toscane, vers la fin de juillet i 53 j, sous la protection de quelques compagnies de cavalerie ; ils s’avancèrent jusqu’à Montémurlo, château avantageusement situé, au pied de l’Apennin, entre Pis- toia et Prato, tandis que Capino et Salviati s’acheminoient plus lentement de La'Mirandole, pour venir les joindre. (1) Tous les émigrés florentins étoient venus se réunir à l’armée de Pierre Strozzi et du prieur de Rome; et l’on vit jusqu’au dernier écolier florentin des universités de Padoue et de Bologne se faire un devoir de venir combattre pour la liberté. De son côté, Cosme de Médicis avoit à son service un corps nombreux de vétérans espagnols et allemands, que l’empereur lui avoit donné pour maintenir son autorité, mais plus encore pour s’assurer de son obéissance. 11 avoit en outre assez de troupes italiennes pour se faire respecter : cependant il affecta de ressentir la plus vive inquiétude, de rappeler toutes ses troupes espagnoles dans la ville, et de ne prendre que des mesures défensives. Par cette feinte terreur, il trompa si bien les émigrés, que Philippe Strozzi, (i) Gio. Batt. Adriani , L. I, p. 54 - — Scipione Ammirato, L. XXXII, p. 45 o.— Bernardo Segni, L. VIII, p. 227.— Filippode’ IVerli, L. XII, p. 2.99 .—Pauli Jovii, Uist. sui temp., L. XXXVIII, p. 409- DU MOYEN AGE. I 1 I Barthélemi Valori, et tous ceux qui étoient moins <■*. «xn accoutumés aux fatigues de la guerre , allèrent >537- se loger comme en pleine paix dans la maison des Nerli, à Montémurlo, qui autrefois avoit servi de citadelle, mais qui n’en conservoit plus que le nom ; tandis que Pierre Strozzi, avec quelques centaines d’hommes seulement, gardoit le pied de la colline, et que l’armée, retenue par des pluies violentes , étoit encore à quatre milles de distance, (i) Cosme de Médicis profita habilement de la confiance qu’il avoit su inspirer à ses ennemis : dans la nuit du d i juillet, il fît sortir toute son armée sous les ordres d’Alexandre Vitelli, et il l’envoya d’une seule traite jusqu’à Montémurlo. Pierre Strozzi avoit divisé sa petite troupe pour dresser une embuscade à un foible parti de cavalerie qu’il avoit combattu la veille. Sandrino Filicaia , qui commandoit les troupes mises en embuscade, étonné de voir passer devant lui une armée entière au lieu d’un escadron, ne sortit point de sa retraite, et ne put prévenir Pierre Strozzi : celui-ci fut surpris dans son quartier, sa troupe mise dans une complète déroute, et lui-même fut fait prisonnier, mais sans être reconnu; aussi trouva-t-il ensuite moyen (i) Pauli Jovii Hist. , Lib. XXXVIII, p. 4 1 J- — Gio. Sait. Adriani, L. I, p. 55.— Eern. Segni, L. VIII, p. 'i'iB. — Sci- pione Ammirato , L. XXXII, p- 4^o. I 12 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES en. cxxn. de s’échapper, en traversant une petite rivière à '^ 3 7' la nage, (i) Quand on vint rapporter à Philippe Strozzi que son fils étoit tué ou prisonnier, il perdit la tète; et, quoiqu’il fût encore à temps de se sauver, il attendit l’attaque d’Alexandre Vitelli. Celui-ci, arrivé devant l’ancienne citadelle de Montémurlo, que les émigrés avoient barricadée le mieux qu’ils avoient pu, la fit attaquer, et fît mettre le feu à la porte. Après un combat sanglant, qui dura plus de deux heures, les assaillans pénétrèrent de toutes parts dans le château, et les émigrés se rendirent prisonniers aux soldats italiens ou espagnols qui les arrêtoient les premiers. Philippe Strozzi, qui jusqu’alors avoit passé pour le plus heureux particulier de l’Italie, de même qu’il en étoit le plus riche, se rendit à Vitelli lui-même. Celui-ci, avei'ti que l’armée de Capino et du prieur Salviati approchoit, et qu’elle étoit déjà à Fabbrica, à peu de distance de Montémurlo, ne voulut pas l’attendre, et soumettre aux chances d’un nouveau combat les nombreux captifs qu’il avoit faits ; il rentra dans Florence le i er août avec sa troupe victorieuse, ramenant prisonniers dans leur propre patrie, les hommes les plus marquans de l’ancienne république. Il n’y avoit pas une des familles illus- (i) Pauli Jovii, L. XXXVIII, p. 4i2.— Cio. Batt, Adriani, L. I, p. 58. DU MOYEU AGE. I l3 très de Florence , dont un membre tout au moins ch. cxxn. n’eût été fait captif à Montémurlo. L’armée des émigrés, instruite du désastre de ses chefs, se retira en hâte, et repassa les Apennins, (i) Cosme savoit bien qu’il n’affermiroit son pouvoir que par l’anéantissement de tous ceux qui aimoient leur patrie, et qui y jouissoieut de quelque considération. Mais quoique tous ses ennemis fussent prisonniers de son armée , il ne pouvoit pas encore disposer d’eux : ils s’étoient rendus, dans un combat, à des soldats, comme prisonniers de guerre ; et ils étoieut devenus la propriété de ceux qui les avoient faits captifs. Cosme chargea le tribunal suprême des Huit de balie, de traiter avec les soldats pour acheter d’eux les proscrits, et d’enchérir sur les rançons que leurs familles seroient disposées à donner ; et le despotisme avilit tellement ceux à qui il confie ses dignités , que des magistrats et des juges acceptèrent cette honteuse commission. La plupart des soldats espagnols infusèrent de traiter avec eux ; les Italiens ne furent pas si délicats, et c’étoit entre leurs mains que se trouvoient les captifs les plus illustres. (2) (1) Pauli Jovii, L. XXXVIII, p. 4 '2.— Gio. Batt. Adriani, L. I, p. 6t. — Bern. Segni, Lib. VIII, p. 229.— Pilippo de’ JVerli, L. XII, p. 3 oi. — Son histoire finit par cette déroute , qu’il regardoit comme le triomphe de son parti. (2) Gio. Batt. Adriani, L. II, p. 63 .— Bern. Segni, L. IX, p. 234. — Scipione Ammirato, L. XXXII, p. 452 . TOME XVI. 8 J l4 HISTOJBE DES R]fi>UB. ITALIENNES cir. cxxit Cosme I" avoit voulu voir tous les prison- 1537. niers y dès le jour de leur entrée dans Florence ; et il leur avoit parlé avec une apparente modération : cependant, dès le lendemain , le tribunal des Huit, en ayant racheté des soldats quelques-uns, les fît mettre à la torture, et ensuite décapiter sur la place de la seigneurie. Pendant quatre jours , il en périt ainsi quatre chaque jour ; et l’intention du duc étoit de continuer long-temps encore : mais les clameurs du peuple l’intimidèrent ; il envoya les autres, parmi lesquels se trouvoit Nicolas Macchiavelli, fils de l’historien, dans les prisons de Pise , de Livourne et de Volteira, où ils périrent au bout de peu de temps. Les prisonniers les plus illustres, savoir : Barthélemi Valori, Philippe, son fils, et un autre Philippe, son neveu; Anton-Francesco Albizzi, et Alessandro Rondinelli, furent réservés pour périr le 20 août, anniversaire du jour où le même Valori, sept ans auparavant , avoit assemblé le parlement, violé la capitulation de Florence, et soumis sa patrie ht la tyrannie de ces mêmes Médicis, qui le ré- compensoient comme les tyrans récompensent. Tous cinq furent soumis, avant leur supplice, à une cruelle torture ; et le duc, pour répandre des soupçons dans tout le parti des émigrés, eut soin de publier que leurs dépositions dé- voiloient une ambition privée et des projets per- DU MOYEN AGE. 115 sonnels, que chacun d’eux cachoit sous le masque du patriotisme et de l’amour de la liberté, (i) Philippe Strozzi demeurait encore : Alexandre Vitelli, dont il étoit prisonnier, avoit eu soin de l’enfermer dans la citadelle, dont il étoit maître ; et il l’y traitoit avec beaucoup d’égards. Il refusoit de le remettre à Cosme de Médicis ; il promettoit de solliciter l’empereur pour sa liberté, et il réussissoit ainsi à extorquer de son prisonnier des sommes considérables. Philippe Strozzi, époux de Clarisse de Médicis, petite-fille de Laurent-le-Magnifique, avoit contribué au retour des Médicis, en i53o : il avoit prêté de l’argent au duc Alexandre pour bâtir cette même citadelle où il se trouvoit enfermé ; et il n’avoit abandonné son parti qu’après avoir éprouvé combien toute grandeur, tout crédit, toute indépendance de fortune, étoient suspects à un maître absolu. Son immense richesse n’étoit pas la seule circonstance qui attirât sur lui les regai'ds de l’Europe ; il étoit renommé pour son savoir, pour son goût dans les arts et la littérature, pour les agrémens de son esprit, et la générosité de son caractère. Il avoit donné des preuves de cette dernière par l’accueil qu’il (i) Gio. Batt, Adrianî, L. II, p. 66 .— Bern. Segni, L. IX, p. a34. — Pauli Jovii, L. XXXVIII, p. 4*4 ‘—Marco Guazzo, f. 178 .— Scipione slmmirato, L. XXXII, p. 453. CB. CXXIT 1537. . CH. CXXII. l537. i538. Il6 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES avoit fait à toute la famille de Lorenzino de Médicis, expulsée de Florence et dépouillée de tous ses biens. Il avoit reçu la mère et le frère dans sa maison ; il avoit marié les deux sœurs à ses deux fils, sans autre dot que l’honneur d’appartenir au Brutus florentin (1). Charles Y défendit quelque temps Philippe Strozzi contre la vengeance de Cosrne ; enfin, vaincu par les instances répétées du duc, il consentit, l’année suivante, à ce que cet illustre citoyen fût mis à la torture, et envoyé ensuite au supplice : mais le jour même où le consentement de l’empereur arrivoit à Florence, Philippe Strozzi en fut averti j et pour que la douleur ne le contraignit pas à accuser ses amis, il se coupa lui- même la gorge, après avoir écrit, sur le mur de sa prison, ce vers de Virgile : Exoriare ali- quis nostris ex ossibus ultorl auquel la vie entière de son fils Pierre, depuis maréchal de France, sembla répondre. (2) Lorenzino de Médicis ne s’étoit point associé aux émigrés qui s’avancèrent jusqu’à Monté- murlo contre Cosme ; il savoit que, poursuivi en même temps par le duc de Florence et par (1) Bened. Vachi, T. IV, L. XII, p. 3 ii ; T. Y, L. XIV, p. 60. — Bernardo Segni, Lib. YIII, p. 227. — Pauli Jovii, L. XXXVIII, p. 4 ' 5 . — Oio. Batt. Adriani, L. II, p. 71. (2) Oio. Batt. Adriani, L. II, p. 100.— Bern. Segni, L. IX, p. 245. — Pauli Jovii Hist. , L. XXXVIII, p. 4 * 5 - 1)U MOYEN AGE. II 7 l’empereur, sa vie étoit partout en danger, ch. cxxir Aussi, de Venise où il s’étoit d’abord réfugié, il l538 - passa en Turquie ; de là il revint en France, mais en se dérobant à tous les yeux, et se tenant toujours sur ses gardes ; puis il retourna à Venise , où il fut enfin assassiné en 1 54 7 avec son oncle Sodérini, par ordre de Cosme I". ( 1 ) Le nouveau duc de Florence n’étoit encore délivré que de ses ennemis ; mais ce n’étoit pas eux qu’il craignoit ou qu’il haïssoit le plus. Il savoit que, tandis qu’une république n’a point à redouter ceux qui Font instituée ou sauvée, un tyran peut récompenser les services, mais qu’il ne peut jamais pardonner les bienfaits. André Doria pouvoit compter sur l’amour et la reconnoissance des Génois ; mais Cosme devoit redouter à jamais ceux qui avoient contribué à le placer sur le trône. De même qu’ils ne pou- voient avoir la conscience d’avoir fait une bonne action, ils ne dévoient point trouver en eux- mêmes la constance de la maintenir. Cosme avoit déjà été délivré, par la bataille de Monté- murlo et les échafauds, de la plupart de ceux qui avoient appelé, en 1 53o, la maison de Médicis à la souveraineté de Florence ; mais il redoutoit ceux qui lui avoient transmis à lui- même l’héritage d’Alexandre, et qui croyoient (1) Pauli Jovii, L. XXXYI 1 I, p. 396. — Bernardo Segnl, L. XII, p. 3 1 3 . I I 8 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES ch. cxxu. par ce bienfait signalé avoir acquis des droi's j 538. sur } u * ç; e tte révolution avoit été l’ouvrage du cardinal Cybo, d’Alexandre Vitelli, et des quatre Florentins, François Guicciardini, François Vet- tori, Robert Acciaiuoli, et Mattéo Strozzi ; il songea dès-lors à se défaire d’eux successivement. Le cardinal Cybo s’étoit chargé de l’éducation des fils naturels d’Alexandre : il découvrit, ou crut découvrir, qu’un apothicaire nommé Bia- gio avoit été pratiqué par les ministres du duc pour empoisonner Jules, l’aîné de ces enfans, et celui même qu’on avoit proposé d’abord de faire succéder à son père. Il s’en plaignit : Cosme se plaignit plus encore d’une accusation qu’il prétendit calomnieuse ; il menaça, et contraignit le cardinal Cybo à se retirer à Massa en Luni- giane, chez la marquise sa belle-sœur, (i) Alexandre Vitelli avoit forcé le sénat à élire Cosme, parla terreur de ses soldats, et il avoit ensuite affermi son trône par ses victoires. Il est vrai qu’il s’en étoit fait amplement payer ; qu’il avoit amassé une immense fortune au milieu des révolutions de Florence ; et que, quoique bâtard de sa maison, il étoit alors plus riche que les chefs de la ligne légitime. Il s’étoit (i) Gio. Satt. Adriani, Lib. II, p. no, m. — Scipione Ammirato, Lib. XXXII, p. 458.— Bernardo Segni, Lib, IX,, p. 246 . DU MOYEN AGIC. HQ d’ailleurs emparé par surprise de la citadelle de eu. exxu Florence, et il en avoit mis l’empereur eu pos- *538. session, de préférence à Cosme. Celui-ci travailla long-temps en vain à décréditer Alexandre Vi- telli dans l’esprit de Charles - Quint ; il obtint enfin , en i538, que l’empereur lui donnât pour successeur don Juan de Luna dans le commandement de la citadelle de Florence, et le retirât de cette ville. ( 1 ) Les quatre sénateurs florentins qui avoient élevé Cosme sur le trône, se sentoient exposés en même temps au mépris et à la haine de leurs compatriotes, à la jalouse défiance du tyran, qui les écartoit de toutes les affaires, et à leurs propres remords : ils ne tardèrent pas à succomber à leur chagrin. François Vettori ne sortit plus de sa maison après la mort de Phi- i53g. lippe Strozzi, avec lequel il avoit été intimement lié , que pour être porté au tombeau. Guicciardini, navré de douleur, se retira à la campagne, où il mourut en i54o, non sans soupçon de poison. Robert Acciaiuoli et Mattéo Strozzi le suivirent de près. Marie de Salviati, mère de Cosme, mourut en i543. François Campana, son secrétaire intime, qui n’avoit guère eu moins de part à son élection, mourut aussi disgracié ; et Cosme I er sentit enfin qu’il (i) Gio. Bail. Adriani, L. II, p. 76 , 89 . — Bern. Segni, L. IX, p. 244- — Scipione Ammirato , L. XXXII, p. 455. CH. CXXIT i53g. 120 HISTOIRE DES REPU B. ITALIENNES n’avoit plus d’amis, et qu’il commençoit à régner, (i) Les étincelles de liberté qui restoient encore dispersées en Italie , s’éteignoient successivement. Dans les états du pape, Ancône avoit conservé une administration républicaine et indépendante jusqu’au mois d’août de l’année i5o 2; elle jouissoit sans bruit de cette liberté, lorsque Clément VII fît donner avis aux magistrats de cette petite ville qu’une flotte de Soliman , entrée dans l’Adriatique, préparoit contre elle une attaque. En même temps, il lui offroit les secours d’une petite armée que commandoit Louis de Gonzague. Les Anconitains reçurent sans défiance les troupes du pape : mais celles-ci s’étant emparées des portes, arrêtèrent tous les magistrats, tranchèrent la tête à six d’entre eux, désarmèrent tous les citoyens, bâtirent une forteresse sur le mont San-Siriaco, et privèrent la ville de tous ses anciens privilèges. ( 2 ) La république d’Arezzo, qu’on avoit vu renaître pendant le siège de Florence, n’avoit pas eu une longue durée. Après avoir nourri l’armée (1) Bern. Segni, L. IX, p. 24®’ — Guicciardini mourut à sa villa d’Arcétri, le 17 mai i54o , âgé de 58 ans. Tiraboschi Storia délia Letterat. ltal. T. VII, L. III, Cap. I, §. 39, p. 883. (2) Bened. Varchi , Lib. XIII, T. V, p. 7. — Bern. Segni, L. VI, p. 15 7 . DU MOYEN AGE. Ï2I impériale pendant tout le temps que Florence s’étoit défendue, et avoir fait pour elle les plus énormes sacrifices, cette cité fut attaquée à son tour par ses alliés victorieux; et le io octobre i53o, elle fut obligée de rentrer sous la domination des Florentins (i). Le comte Rosso de Bévignano, qui avoit eu le plus de part au soulèvement d’Arezzo contre la république florentine, et qui avoit assisté le plus vigoureusement Clément VII et les Médicis, fut arrêté sur les terres de l’Eglise, livré au duc Alexandre, et pendu (a). Cosme I er fit rebâtir une forteresse à Arezzo, en j 538, aussi-bien qu’à Pistoia; il fît désarmer les habitans de l’une et de l’autre ville, et il s’assura ainsi de leur obéissance. (3) La république de Lucques tentoit l’ambition du nouveau duc de Florence ; il la força de sortir de son obscurité, en saisissant toutes les occasions d’offenser son gouvernement, pour l’engager dans une guerre qu’il espéroit terminer par la conquête de ce petit état. Il y eut, à plusieurs reprises, des hostilités entre les paysans des deux dominations. La jalousie et la haine de voisinage éclatèrent entre eux avec un caractère qu’elles n’avoient point eu pendant toute la durée (1) Bened. Varchi, L. XII, T. IV, p. 325-328. (2) Bened. Varchi, L. XIII, T. V, p. 17. (3) Bern. Segni, Lib. IX, p. 248. — Gio. Bail. Adriani, L. II, p. 97 .—Scipionc Ammirato, L. XXXII, p. 456. 122 IIISTOIRE DES llipUB. ITALIENNES en. exxu. (le la république florentine. Mais les Lucquois, sentant leur foiblesse, avoient mis tout leur espoir dans la protection de l’empereur. Ils ache- toient, par des sommes très-considérables, des défenseurs dans son conseil; et iis évitèrent ainsi une attaque à laquelle ils auroient probablement succombé, (i) Les projets de Cosme I e ' sur la république de Sienne furent couronnés de plus de succès. La prudence, la dissimulation, et la constance du duc, triomphèrent d’une ville affoiblie par une longue anarchie, et plus encore par la mauvaise fortune des Français, qui, entraînant la république de Sienne dans leur parti, la ruinèrent par leurs secours mêmes , autant qu’ils avoient ruiné les Florentins en les abandonnant. Quoique la république de Sienne fût dès longtemps attachée au parti impérial, le traité de Cambrai ne lui avoit pas moins fait perdre son indépendance qu’à tous les autres états de l’Italie. Charles-Quint la laissoit en proie sans regret à toutes les souffrances de l’anarchie, pourvu qu’elle lui donnât une garantie suffisante de son constant dévouement au parti impérial. D’ailleurs, par un penchant naturel aux princes, aux courtisans et aux ministres, c’étoit à l’aristocratie seule que la cour réservoit toutes ses faveurs ; (i) Gio. Batt. Adriani, L. II, p. 95, adann. i 558 etpassim. — Scipione Ammirato, L. XXXII, p 457 et passim. DU MOYEN AGE. ia3 et la république de Sienne, au lieu d’être troublée comme elle l’avoit été dans le siècle précédent par les passions tumultueuses du peuple, Tétoit désormais par les querelles non moins sanguinaires et non moins violentes des grandes familles. Le duc d’Amalfî, Alfonse Piccolomini, descendant d’un neveu de Pie II, avoit été choisi par le crédit de l’empereur, au mois de mai 1 538, pour chef de la république de Sienne (i). Dès- lors il avoit été l’agent principal de Charles V auprès de cet état : mais, comme il avoit lui- même trop peu de capacité pour gouverner, il s’étoit entièrement abandonné aux conseils de Giulio Salvi et de ses six frères, dont la famille s’étoit élevée à un tel degré de puissance et d’arrogance, qu’elle bravoit toutes les lois, et qu’elle soumettoit à sa tyrannie les fortunes, les femmes et les filles des citoyens. Les plaintes des Sien- nois furent portées à l’empereur, comme il re- venoit de son expédition d’Alger. Cosme de Médicis leur donna plus de poids en dénonçant à Charles V un traité secret qu’il prétendit avoir découvert, entre Giulio Salvi et M. de Montluc, alors secrétaire d’ambassade à Rome pour le roi de France. Son objet devoit être de livrer Porto- (i) Orlando Malavolli, Storia di Siena, Parte III , L. VIII, f. i4o. CH. CXXII. i54i. 1^4 HISTOIRE UES RÉPUB. ITALIENNES Ercole aux Français, alors sur le point de recommencer la guerre contre l’empereur ; de les introduire par-là en Toscane, d’attacher la république de Sienne à leur alliance, et de leur donner ainsi le moyen d’influer de nouveau sur les affaires d’Italie. (1) Les Français cherchoient en effet avidement l’occasion de renouer quelques négociations avec l’Italie, et d’y recouvrer quelque crédit; et l’empereur travailloit, avec non moins de zèle, à leur fermer toute communication avec ces petits états. Il chargea Granvelle de réformer le gouvernement de Sienne : celui-ci se rendit dans cette ville, avec la garde allemande de Cosme de Médicis ; il confia la souveraineté à une balie ou étroite oligarchie de quarante membres, dont trente-deux furent nommés par les dif- férens monts ou ordres de citoyens, et huit par Granvelle lui-même. La présidence des tribunaux fut réservée à un sujet de l’empereur, nommé tous les trois ans par le sénat de Milan ou par celui de Naples. Telle étoit la liberté que Charles-Quint laissoit aux républiques ses plus anciennes alliées, lorsqu’il consentait à les protéger. (2) (1) Gio. Batt. Adriani , L. III, p. i 33 , i 34 -— Malavolti, P. III, L. VIII, f. 141.—Montluc ne dit rien de cette négociation. Mémoires, L. I, p. 124. (2) Gio. Balt. Adriani, L. III, p. 157, i 58 . — Malavolti, DU MOYEN AGE. 12 5 Sienne étoit fort mécontente de cette nou- CH - cxxn velle constitution ; et sans les troupes que Cos- l5 ^ r ’ me I er tenoit sur ses frontières, cette république eût bientôt rejeté le joug (i). Dans la guerre qui s’étoit renouvelée entre la France et l’Empire, Pierre Strozzi, et son frère Léon, prieur de Ca- poue, sans cesse occupés du projet de venger leur père Philippe, et de renverser Cosme I er de son trône, cherchoient une place d’armes en Toscane où ils pussent réunir les soldats que leur donneroit la France, aux mécontens toujours prêts à les seconder. L’état de Sienne leur paroissoit éminemment propre à recevoir leurs débarquemens ; et comme François I er avoit fait alliance contre Charles - Quint avec l’empire turc, et que la flotte française s’unissoit chaque année à celle du fameux corsaire Barberousse, elles attaquèrent à plusieurs reprises les ports de l’état siennois ; et Barberousse s’empara enfin, en i544, de Télamone et de Porto-Ercole. Il assiégea aussi Orbitello, qui lui résista. Les Siennois ne voyoient pas sans terreur les Turcs débarquer sur leurs rivages : cependant les secours que leur offroit Cosme I er , leur étoient plus suspects encore. Cet état de soupçons mutuels et de dangers se prolongea jusqu’au traité Parte III, Lib. VIII, fol. 142. — Bernardo Segni, Lib. X, p. a65. (0 Gio. Bail. Adriani, L. III, p, i85; L. IV, p. 208. I2Ô HISTOIRE DES RÉPUI). ITALIENNES eu. cxxu. de Crespy, du 18 septembre 1 544 y qui rétablit ‘54 1 - pour quelque temps la paix entre la France et l’Empire, (i) Après la paix, don Juan de Luna continua à commander à Sienne une petite garnison espagnole , sous prétexte de maintenir l’ordre dans cette ville, et dans la vérité pour la conserver dans la dépendance du parti impérial. Mais Charles-Quint n’envoyoit jamais d’argent à ses soldats ; et en temps de paix il les laissoit vivre à discrétion dans les provinces sujettes ou alliées, qui ne souffroient pas moins de la cruelle avidité des Espagnols, qu’auroient pu faire les pays ennemis en temps de guerre ( 2 ). Le mécontentement causé par les voleries des Espagnols étoit déjà extrême ; il fut encore augmenté par la faveur constante que don Juan de Luna, d’accord avec Cosme I er , rnontroit à l’aristocratie. L’un et l’autre vouloient que tous les pouvoirs fussent concentrés dans la noblesse et le mont des Neuf, qui se confondoit presque avec elle ; et ils témoignoient aux autres ordres le mépris dont les roturiers étoient couverts dans les monarchies » Le peuple, poussé à bout, se souleva (r) Gio. Balt. Adriani, L. JY, p. 261.— Bern. Segni, L. XI, p. 295. — Orl. Malavolti, P. III, Lib. VIII, f. 1 43 . — Pauli Jovii Hist., L. XLV, p. 599. L’histoire de Paul Jove finit au traité de Crespy. (2) Gio. Batt. Adriani, L. V, p- 293. 1 )U MOYEN AGE. I 27 le 6 février 1 545 ; une trentaine de gentilshom- ch. cxxu mes furent tués, les autres allèrent chercher un 1 ^‘ refuge dans le palais, auprès de don Juan de Luna. Cosme I er , dont les troupes étoient toutes prêtes sur les frontières pour profiter de ce tumulte, auquel il n’étoit peut-être pas étranger, vouloit que don Juan leur ouvrît les portes de la ville : mais celui-ci manqua de résolution ou de prévoyance, il laissa licencier sa garnison espagnole; et il fut enfin réduit à sortir de Sienne, le 4 mars i545, avec une centaine de membres de l’aristocratie : en même temps le mont des Neuf tout entier fut privé de toute part au gouvernement. ( 1 ) Tandis qu’il ne restoit presque en Toscane aucune trace de son ancienne liberté, que l’Italie entière avoit perdu son indépendance, et qu’aucune puissance étrangère ne paroissoit à portée de lui tendre des secours, un gonfalonier de Lucques forma le hardi projet de rappeler à la vie toutes ces anciennes républiques, de les unir par une confédération, de secouer le joug de l’empereur, alors occupé en Allemagne par la ligue de Smalcalde, d’éviter de se soumettre à celui de la France, et de conquérir en même temps l’indépendance de l’Italie, la liberté politique ( 1 ) Gio. liait. Adriani, L. V, p. 327 . — Malavolli, P. III, Lib. VIII, f. i44, i45. — Scipione Ammiralo, Lib. XXXIII, p. 475 . — Bern. Segni, L. XI, p. 3o6. 128 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES des citoyens, et la liberté religieuse, dont la prédication de la réforme avoit inspiré à Luc- que le désir. François Burlamacchi, l’auteur de ce projet, étoit un des trois commissaires de l’ordonnance ou de la milice des campagnes de Lucques. Il avoit sous ses ordres environ quatorze cents hommes; et il pouvoit porter sa troupe à deux mille hommes, sans exciter aucun soupçon. Il comptoit, selon l’usage annuel, leur faire passer une revue sous les murs de Lucques ; et lorsque les portes de la ville seraient fermées, après la revue, il vouloit, sous un faux prétexte, conduire sa troupe au travers du mont de Saint-Julien, surprendre Pise, où il n’y avoit pas de garnison, et où le commandant de la forteresse étoit dans ses intérêts ; rendre aux Pisans cette liberté pour laquelle ils avoient combattu quarante ans auparavant avec tant de valeur ; les joindre à ses Lucquois pour marcher ensemble sur Florence, et profiter du mécontentement universel des peuples, et de la sécurité des tyrans, pour étendre partout la révolution. Une autre troupe aurait marché sur Pescia et Pistoia, où les habitudes militaires avoient été entretenues par l’esprit de faction. Arezzo, qui tout récemment avoit montré son attachement aux idées républicaines; Sienne, qui redoutoit le ressentiment de l’empereur; Pérouse, qui, en i 539, avoit essayé de secouer DU MOYEN AGE. 129 le joug du pape (i); Bologne, qui le supportoit ch. cxxh avec impatience, dévoient entrer dans la ligue *546. nouvelle. Cette ligue devoit garantir à chaque ville sa liberté, à toutes des moyens suffisans de résistance. Les deux frères Strozzi avoient promis trente mille écus en argent comptant, les secours de la France, et l’active coopération des émigrés florentins. Mais ils engagèrent Bur- lamacchi à différer l’exécution de son projet, pour se donner le temps de connoître les résultats de la guerre que l’empereur venoit de commencer contre les protestans d’Allemagne. Un Lucquois, qu’on vouloit faire entrer dans la conjuration , en alla porter l’avis au duc Cosme I er , à Florence. Burlamacchi étoit alors gonfalonier ; et quoique sa dignité ne pût le dérober au châtiment pour une entreprise aussi hasardeuse, faite sans l’aveu de sa patrie, il au- roît encore eu le temps de se mettre en sûreté, depuis qu’il avoit appris qu’on avoit découvert son secret à Cosme I" : mais le soin généreux qu’il prit de quelques émigrés siennois, qu’il craignoit d’avoir compromis, et qui le dénoncèrent aux conseils de Lucques, fut cause de son arrestation. Cosme I er engagea l’empereur à demander un prisonnier qui avoit voulu soulever toute l’Italie. Les Lucquois n’osèrent pas le re- (i) Gio. Bail. Adriani, L. Il, p. 119.— Bern. Segni, L. IX , p. a5i. TOME XVI. 9 i3o HISTOIRE DES RÉPDB. ITALIENNES fuser : il fut conduit à Milan, soumis à la torture, puis puni de mort, (i) La conjuration de Burlamacchi donna à l’empereur un motif nouveau pour s’assurer du gouvernement de Sienne. 11 craignit que le mécontentement qu’il voyoit croître chaque jour, ne déterminât cette république à chercher un protecteur plus loyal, à ouvrir ses portes aux Français, et à leur donner ainsi une station importante dans le centre de l’Italie : aussi, malgré la répugnance des Siennois, il résolut d’introduire de nouveau une garnison espagnole dans leur ville, sur le même pied où étoit celle de don Juan de Luna, qu’ils avoient renvoyée. 11 en donna le commandement à ce don Diégo Hurtado de Mendoza, qui s’est fait un grand nom dans le monde littéraire, par son Histoire de la Guerre de Grenade, ses poésies, et son roman de Lazarille de Tormes, mais qui ne se fît connoître en Italie que par sa hauteur, son avarice et sa perfidie. La garde espagnole fit son entrée à Sienne le 29 septembre i 547 ; et Mendoza, qui étoit alors en même temps ambassadeur à Rome, et qui, dirigeant de là les intrigues espagnoles, étoit bien aise d’avoir, près ( 1 ) Gio. Batt. Adriani, L. V, p. 345-35o. — Scipione Am- mirato, L. XXXIII, p. 476 - — Orl. Malavolti , P. III, L. IX, f. 1 46. — Riguccio Galiuzzi , Storia del gran ducato di Tos- cana, L. I, c, V, T. I, p. io5. DU MOYEN AGE. I.3l de lui et à ses ordres, une place d’armes, se oh. cxxu rendit d’abord à Sienne le 20 octobre, puis y *548. fit entrer, en i548, de nouvelles troupes, en désarma les citoyens, et en changea le gouvernement de manière à le rendre absolument dépendant de ses volontés. Le 4 novembre i 548 , il y forma une nouvelle balie de quarante membres , dont vingt furent élus par l’ancien sénat, et vingt par lui-même. La souveraineté de la république fut attribuée à ce corps : mais l’empereur y commandoit si bien, dès-lors, en maître absolu, qu’il offrit à la même époque, au pape Paul III, de lui céder Sienne en échange de Parme et de Plaisance, comme s’il avoit eu quelque droit à en disposer. ( 1 ) Pour être plus sûr encore de l’obéissance de cette république, Mendoza obtint des ordres précis de l’empereur, de bâtir une citadelle à Sienne, malgré l’opposition constante et unanime de toutes les classes de citoyens. Les Espagnols se conduisoient avec tant d’insolence, il étoit si impossible d’obtenir justice des vols, des meurtres, des outrages de tout genre dont ils se rendoient coupables, que les citoyens ne les voyoient pas sans terreur s’affermir davan- ( 1 ) Gio. Batt. Adriani , L. VI, p. 583, 4°'> 4^1 ; L. VII, p. 465, 474 .— Orl. Malavolti , P. III, Lib. l'X, f. 146 , 147 . — Scipione Ammirato, L. XXXIII, p. 4$ 1 ■— Bern, Segni,. L. XII, p. 3i5. l3a HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES ch. cxxn. tage dans leurs murs. L’historien Malavolti fut i548. lui-même député auprès de Charles V, pour le supplier de renoncer à un projet qui mettoit ses compatriotes au désespoir. Ses instances furent sans succès ; mais le plan adopté par Mendoza, pour la construction delà forteresse étoit si vaste, il demandoit des dépenses si considérables , que les ouvrages commencés ne furent point en état de mettre à couvert les soldats qui dévoient les garder, quand le moment du danger fut venu, (i) Aucun des états de l’Italie n’avoit peut-être persisté avec plus de constance que la république de Sienne, dans l’ancien parti gibelin, et depuis que ce nom commençoit à être mis en oubli, dans le parti impérial, par opposition à celui de la France. Toutes les factions qui s’é- toient disputé et successivement enlevé le timon de la république, avoient professé les mêmes senlimens : mais l’avarice espagnole et la mauvaise foi de Mendoza avoient enfin triomphé de cette longue affection ; et lorsqu’en 1 55a, la guerre se renouvela en Piémont et en Allemagne, entre Charles V et Henri II, les Siennois tournèrent leurs regards vers la France, et implorèrent son assistance, pour se soustraire à (i) Gio. Batt. Adriani, L. VIII, p. 5i5, 563.— Orl. Malavolti, P, III, Lib. IX, f. i48 , i5o. — Scipione Ammirato, I,- XXXIII, p. 486.— Bcrn. Segni, L. XIII, p. 33ç». Dit MOYEN AGE. 133 la dure tyrannie qui comrnençoit à peser sur ch. cxxn eux. (i) i55a. Le duc de Florence, qui veilloit sans cesse sur cet état voisin, découvrit la correspondance des Siennois avec les Français; il avoit à se plaindre de Mendoza, et du gouvernement d’Espagne. Au lieu d’être traité en prince indépendant, il sentoit qu’on le faisoit descendre chaque jour davantage au rang de vassal de l’empereur. Il redoutoit l’établissement des Espagnols à Sienne, presque autant que celui des Français. Cependant, le premier de ses intérêts étoit toujours de contenir le mécontentement des Florentins, et de se maintenir sur le trône, en dépit de la haine de ses sujets; aussi, à quelque humiliation que le soumissent l’empereur ou ses ministres, il n’hésita point à leur demeurer fidèle. Il offrit de puissans secours à don Diégo de Mendoza. Celui-ci, plus jaloux de lui que de se précautionner contre l’ennemi commun, refusa de les recevoir dans Sienne. ( 2 ) Un rassemblement s’étoit formé dans les comtés de Castro et de Pitigliano, sous les ordres de ( 1 ) Gio. Batt. Adriani, L. IX , p. 5go.— Orl. Malavolti, P. III, Lib. IX, f. i5a. — Jacq. Aug. de Thou, Hist. univ., T. II, L. XI, p. io3. ( 2 ) Gio. Batt. Adriani, Lib. IX, p. 5g3. — Bern. Segni , Lib. XIII, p. 342. 134 HISTOIRE DES REPUE. ITALIENNES cii.cxxii. Nicolas Orsini, qui avoit passé à la solde de i55a. France : deux émigrés sienuois, Enée Piccolo- mini et Amérigo Amérighi, s’étoient mis à la tête d’un parti d’insurgés, qui, en traversant l’état de Sienne , se grossit jusqu’au nombre d’environ trois mille. Piccolomini se présenta le soir du 9.6 juillet i5o 2 , devant les portes de Sienne, en proclamant le nom de liberté. Le peuple, quoique désarmé, se souleva ; il ne res- toit que quatre cents Espagnols dans la ville, sous les ordres de don Giovanni Franzési ; les autres avoient été envoyés à Orbitello, et dans les divers ports de la Maremme; et Mendoza étoit à Rome. Les Siennois ouvrirent leurs portes à Piccolomini, et bientôt ils chassèrent les Espagnols du couvent de Saint-Dominique, où ceux-ci s’étoient fortifiés; ils les poursuivirent jusqu’à la citadelle, que l’avarice de Mendoza avoit laissée mal armée, et mal pourvue de vivres. Cosme de Médicis se hâta d’envoyer des secours aux Espagnols : mais, craignant ensuite d’attirer sur lui seul les armes de la France, au moment où Charles - Quint, vivement attaqué par Maurice de Saxe, paroissoit peu en état de le seconder, il retira ses troupes, et se fit médiateur d’une capitulation, par laquelle, le 3 août i55a, la forteresse bâtie à la porte de Ca- mullia, fut livrée aux Siennois, qui la démo- DU MOYEN AGE. J 35 lirent, et la garnison espagnole se retira à Flo- CH- cxxn , N i55z. rence. (i) Henri II saisit avec empressement l’occasion qui lui étoit offerte, de faire pénétrer ses armes dans la moyenne Italie, et de profiter du mécontentement universel, pour appeler les peuples à rejeter le joug de la cour d’Espagne. Il fit passer aux Siennois des gentilshommes français pour les diriger, des soldats pour les défendre, et des secours de tout genre. Le duc de Termes, auparavant gouverneur de Parme, vint le 11 août s’établir à Sienne ; et bientôt un traité d’alliance fut signé entre la république et le roi de France, (a) Cosme 1 “ voyoit avec une extrême inquiétude l’établissement des Français à ses portes. Toutefois il ne croyoit point le moment convenable pour les chasser à force ouverte ; il avoit promis de demeurer neutre, et Henri II s’étoit engagé à respecter sa neutralité. Il cherchoit à persuader à Charles V, qu’avec de la patience (i) Gio. Batt. Adriani, L. IX, p. 5 g 8 . — Scipione Ammi- rato, L. XXXIII, p. 489 . — Orl. Malavolti, P. III, L. IX, f, i 5 a.— Bem. Segni, L. XIII, p. 345 .— J. Aug. de Thou, L. XI, p. 106, iia. (a) Gio. Batt. Adriani, L. IX, p. 6 a 5 .— Scipione Ammi- rato, Lib. XXXIII, p. 492-— Orl. Malavolti , P. III, L. IX, f. 1 54 ■— Pecci, Memorie di Siena, T. III, p. 200, 261.— Lettres des Siennois à Henri II, du 5 août. Lettere de’ Princ.. T. III, f. i3i. 011. CXXII i55'i. i553. l36 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES et de l’adresse, il arriverait à ses fins, aussi bien que par les armes. Mais l’empereur ajaut signé, le i août, la paix de religion à Passau, et se trouvant ainsi délivré de Maurice de Saxe , l’ennemi qu’il redoutoit le plus, résolut de punir les Siennois d’une révolution qu’il regardoit comme offensante pour son honneur ; et il donna ordre à don Pédro de Tolède, vice-roi de Naples, et beau-père de Cosme I er , de se rendre par mer à Livourne, avec les forces qu’il com- mandoit. (i) Le vieux vice-roi, l’un des plus cruels et des plus avares parmi ces ministres de Charles-Quint qui avoient rendu son nom odieux à l’Italie , n’eut pas le temps de mériter les malédictions des Toscans, comme il avoit recueilli celles des Napolitains. 11 arriva à Florence au commencement de l’année 1 553 ; et il y mourut au mois de février suivant, après avoir paru n’être occupé que des plaisirs d’un nouveau mariage, qui ne convenoit pas à ses vieux ans ( 2 ), Cosme I er , auquel Charles-Quint voulut déférer le commandement de cette expédition, le refusa ; don ( 1 ) Gio. Batt. Adritmi, L. IX, p. 628 . — Orl. Malavolti, P. III, Lib. X, f. i56.— Bern. Segni, Lib. XIII, p. 348.— J. Aug. de Thou, L. XII, p. i65. ( 2 ) Gio. Batt. Adriani , L. IX, p. 63i.— Malavolti, P. III, L. X, f. i56. — Scipione Ammirato. L. XXXIII, p. 493.—- Bern. Segni, L. XIII, p. 349- IHT MOYEN AGE. i3 7 Garcias de Tolède , fils du vice-roi, en demeura chargé. Il se trouva à la tête d’une armée de six mille Espagnols et deux mille Allemands, qu’a- voit amenés son père, et de huit mille Italiens assemblés dans la province de Val de Chiana, par Ascanio de la Cor nia, neveu du pape. Avec cette armée, don Garcias entra dans l’état de Sienne, il prit Luciniano, Monte-Fellonico, Pienza ; il porta le ravage dans presque toutes les parties du territoire de la république, et il assiégea Montalcino (i). Mais pendant ce temps, les Français avoient sollicité l’assistance de la flotte turque qui, chaque année , venoit ravager les côtes des états de l’empereur en Italie, et qui, chaque année, rendoit son assistance inefficace, par sa lenteur à se trouver au rendez- vous, et par son empressement à se retirer. Son apparition sur les côtes du royaume de Naples contraignit néanmoins don Garcias de Tolède à lever le siège de Montalcino, et à reconduire son armée dans l’Italie méridionale. (2) Cosme I er , abandonné au mois de juin par les Espagnols, se trouvoit dans un cruel embarras : en refusant de renoncer ouvertement à sa neu- (1) Gio. Batt. Adriatii, L. IX, p. 634, 65 y .— Malavolti, l. y, f. i5 7 . (2) Gio. Batt. Adriani, L. IX, p. 648.— Malavolti, P. III, L. X, f. i5g. — Scipione Ammirato, L. XXXIII, p. 497- — Bern. Segni, L. XIII, p. 35o. ch. cxxii i553. en. cxxii i553. 1 38 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES tralité, il avoit vivement irrité l’empereur ; et cependant, il avoit offensé bien davantage les Siennois et le roi de France, puisque, sous le masque de la neutralité, il avoit donné des secours de tout genre à leur ennemi ; il s’étoit fait céder Lucignano, une des places conquises sur eux, et il avoit enfin ourdi dans Sienne par son ambassadeur une conspiration , qui avoit été découverte, et qui avoit coûté la vie à Giulio Salvi, son chef, et à plusieurs de ses complices. Cosme se trouvant exposé aux ressentimens des Français, des Siennois, et des émigrés florentins qui étoient venus les joindre, s’empressa de traiter de la paix : elle fut conclue au mois de juin r553. Lucignano fut rendu 'aux*Siennois, avec tout ce qui avoit été conquis de leur territoire ; et ceux-ci promirent de ne pas recevoir dans leur état, les ennemis du duc. (i) Toutefois Cosme I er étoit loin de vouloir observer religieusement le traité qu’il venoit de conclure : il ne pouvoit se maintenir sur le trône, malgré la haine de tous ses sujets, que par l’appui d’un souverain étrangerj en sorte qu’il lui étoit impossible de demeurer neutre entre la France et l’Empire. Au service de France, il voyoit comblé d’honneurs Pierre Strozzi, fils (i) Gio. Batt. Adriani, L, X, p. 6 /jg. — Bernardo Segni, L. XIII, p. 35i. — Orl. Malavolti, P. III, L. X, f. 161 .— Jac. Aug. de Thou, I.. XII, p. 173. DU MOYEN AGE. l3() de ce Philippe qui avoit pe'ri dans ses prisons, ch. cxxn Pierre, favorisé par la reine Catherine de Me- dicis, sa cousine germaine, avoit bien plus en- , core dû sa fortune à sa valeur et à ses rares talons. Il étoit maréchal de France et lieutenant du roi en Italie ; il n’avoit pas de désir plus ardent que de précipiter Cosme I er de son trône usurpé. Celui-ci ne pouvoit donc hésiter à s’attacher au parti contraire, et à seconder l’empereur. Cosme avoit été trompé à plusieurs reprises par les ministres de Charles-Quint. Il avoit été entraîné dans des dépenses énormes pour la défense de Piombino, que ce monarque lui avoit repris sans compensation, après le lui avoir donné : il s’at- tendoit à être traité de même s’il réussissoit à conquérir Sienne à ses frais; et malgré cette crainte, il résolut d’entreprendre la guerre, d’en supporter tout le fardeau, et de prendre même sur lui la honte de la commencer par une trahison. (i) Les Siennois se reposoient avec confiance sur leur traité avec Cosme I er ; et partageant l’imprévoyance des Français, leurs alliés et leurs hôtes, ils ne songeoient qu’à jouir du présent , sans préparer pour l’avenir des moyens de défense. Tandis que Cosme faisoit faire sur ses frontières la garde la plus sévère, pour que personne ne pût (1) Gio. Bail. Adriani, L. X , p. 669 .—Scipione Ammirato f L. XXXIII, p. 499. — Jac. Aug. de Thou , L. XIV, p. 249. J/fO HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES leur porter des nouvelles de ses préparatifs, il prenoit à sa solde de nouveaux soldats ; il met- toit ses milices en mouvement, et il donnoit ordre à chaque corps de son armée de se trouver le 26 janvier 1 554à Poggibonzi, dernier château de l’état florentin, sur la route de Sienne. Cosme ne se mettoit jamais lui-même à la tête de ses troupes; mais il en destina le commandement à Jean-Jacques Médicis ou Médequin , auparavant connu sous le nom de châtelain de Musso, puis de marquis de Marignan ; homme entreprenant et cependant précautionneux , persévérant , cruel, et qui passoit pour un des meilleurs généraux de l’empereur. En même temps, pour flatter sa vanité, il feignit de reconnoitre entre les Médicis de Milan et ceux de Florence une parenté qui n’avoit jamais existé. ( 1 ) Le 27 janvier i554, le territoire siennois de- voit être attaqué de partout à-la-fois ; mais des t pluies effroyables qui tombèrent pendant la nuit, suspendirent toutes les attaques, excepté celle du marquis de Marignan. Celui-ci étant parti de Poggibonzi deux heures avant la nuit, avec quatre mille fantassins et trois cents che- vau-légers, arriva sans être reconnu jusqu’à la porte de Sienne, nommée Camullia, et s’empara (1) Gio. Batt. Adriani , L. X, p. 670. — Malavolti, P. III, L. X, f. tUf. — Scipione Ammirato, L. XXXIII, p- 499.— Bern. Segni, L. XIII, p. 352 . DU MOYEU AGE. 14* par escalade d’un bastion destiné à la protéger, qu’on avoit laissé sur pied lorsque le peuple, en chassant les Espagnols, avoit rasé la citadelle élevée par don Diégo de Mendoza, (i) Le cardinal de Ferrare, D. Hippolyte d’Este, qui résidoit à Sienne pour le roi de France, s’étoit laissé tromper par les caresses et les flatteries de Cosme I er : il croyoit n’avoir rien à craindre de lui, et il passoit son temps dans les fêtes. Il étoit au bal au moment même de la surprise de Camullia ; et les Siennois eurent de la peine à l’empêcher de s’enfuir de la ville quand il en fut averti. Mais comme ils opposèrent une vigoureuse résistance à Marignan , et que celui-ci ne put point pénétrer dans la ville, le cardinal de Ferrare se rassura ; et bientôt après, Pierre Strozzi, qui visitoit alors Grosséto, Massa, Porto-Ercole, et les autres lieux-forts de la Ma- remme, rentra à Sienne, et mit la ville dans un meilleur état de défense. Marignan crut trop hasardeux d’ouvrir ses batteries contre les murailles de Sienne, garnies d’une bonne artillerie et défendues par une nombreuse garnison. Il jugea plus avantageux de réduire la ville par le blocus. Les récoltes de l’année précédente avoient été détruites par la guerre; il paroissoit facile de (i) Gio. Batt. Adriani, L. X, p. 671. — Bernardo Segni, L. XIV, p. 36o. — Scipione Ammirato , L. XXXIII, p. 5oi. — Jac. Aug. dè Thou, L. XIV, p. s53- . exxu i554. l/j2 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES ch. cxxn. détruire également celles de l’année qui com- i554. mençoit. La ville surprise par une attaque inattendue n’avoit pu faire de grands approvision- nemens ; et Marignan, en s’emparant successivement de tous les châteaux qui dominent tous les chemins par lesquels on arrive à Sienne, comptoit empêcher qu’on n’apportât des vivres du dehors. ( 1 ) Des troupes allemandes et espagnoles avoient été promises par l’empereur à Cosme I er : elles arrivèrent successivement après le commencement de la guerre, et l’armée qui attaquoit Sienne se trouva forte de vingt - quatre mille fantassins et mille cavaliers. Des troupes françaises ou à la solde de France arrivèrent de leur côté à Pierre Strozzi, ou par mer, ou par l’état romain : mais elles se trouvoient toujours en nombre fort inférieur • et Marignan put commencer, selon le plan de campagne qu’il avoit arrêté, l’attaque des châteaux du territoire siennois. Le premier qu’il soumit, fut l’Aiuola; les habitans, après l’avoir défendu bravement, se rendirent à discrétion. Marignan les fit pendre pour la plupart, déclarant qu’il réservoit ce sort (1) Gio. Batt. Adriani, L. X, p. 673.— Scipione Ammi- rato , L. XXXIII, p. 5 o 3 . — Bern. Segni, L. XIV, p. 36 1.— Orlando Malavolti, P. III, L. X, f. i 63 .—Lettre de Cosme I* 1 à la république de Sienne, et réponse, 28 et 3 1 janvier 1 554 • Lettere de’ Principi, T. III, f. 148. DU MOYEN AGE. l43 à fous ceux qui atlendroient dans une bicoque les premières déchargés de son artillerie (1). Mais cette barbarie n’eut d’autre résultat que d’augmenter les horreurs de la guerre ; les paysans siennois, avec une constance digne d’un meilleur sort, se montrèrent toujours inébranlables dans leur fidélité à leur patrie, quel que fût son gouvernement. Turrita, Asinalunga, la Tolfa, Scopéto, la Chiocciola, opposèrent la même résistance et éprouvèrent le même traitement. Un général, qui faisoit profession de bravoure et de loyauté, livra partout aux bourreaux de braves gens auxquels il 11e pouvoit reprocher que leur loyauté et leur courage. (2) Les Siennois de leur côté remportèrent quelques avantages qui soutenoient leur constance. Marignan avoit envoyé, vers la fin de mars, son général d’infanterie Ascanio délia Cornia avec Ridolfo Baglioni à Chiusi, qu’on avoit pro- mis de lui livrer en trahison. Mais les traîtres, qu’il croyoit avoir séduits, l’avoient trompé ; Ascanio délia Cornia fut fait prisonnier; Baglioni (1) Gio. Batt. Adricini , L. X , p. 691.— Scipione Ammirato, L. XXXIV, p. 006. — Jacq. Aug. de Thou, Histoire universelle, T. II, L. XIV, p. 257 et suiv. (2) Gio. Batt. Adriani, L. X, p. 6 g 3 .— Scipione Ammirato, L. XXXIV, p- 507 ; ibid. 5 i 6 -— Bern. Segni, L. XIV, p. 363 . — Lettres entre Pierre Strozzi et le marquis de Marignan. Let- tere de Principi , T. III , f. i 49 >t seq. CH. CXX1I i554. 144 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES fut tué, et leur troupe, qui passoit quatre mille hommes, fut entièrement dissipée (i). Cependant Cosme I er se hâta de fournir des fonds pour lever de nouveaux soldats et réparer cet échec. Après avoir reçu des renforts, Marignan continua le siège et l’incendie des villages fortifiés de l’état de Sienne. 11 prit successivement les châteaux de Belcaro, Leccéto, Monistéro, Viti- gnano, Ancaiano et Mormoraia. Chacun d’eux lui coûta des combats obstinés, et chacun aussi fut traité avec la même barbarie ; une partie des habitans fut envoyée au supplice : tous les blés furent coupés, toutes les campagnes dévastées. ( 2 ) La désolation du territoire siennois étoit extrême ; les secours de la France tardifs et insuf- fisans, et le sort de la guerre qui, dans le même temps, se faisoit en Flandre, étoit contraire à Henri II. Néanmoins les espérances des Siennois et celles de Strozzi étoient ranimées par la haine universelle que les Florentins portoient à la maison de Médicis. Partout où deux Florentins se rencontroient hors de la puissance de Cosme, (1) Gio. Batt. Adriani, L. X, p. 694. — Orlando Mala- volti, P. III, L. X, f. i63. — Bern. Segni, L. XIV, p. 36a. — Jacq. Aug. de Thou, L. XIV, p. 261. (1) Gio. Batt. Adriani, L. X , p. 706,718. — Orlando Ma- lavolti, P. III, L. X, f. i63, 164.— Bern. Segni, L. XIV, p. 363. —Jacq. Aug. de Thou, L. XIV, p. 268. DU MOYEN AGE. 145 ils se reconnoissoient aux malédictions dont ils ch. cxxii chargeoient le tyran. Ceux que le commerce avoit l 5 ^t- rassemblés à Rome, à Lyon, à Paris, ouvroient des souscriptions poyr faire passer de l’argent à Pierre Strozzi, et l’aider à secouer le joug honteux qui pesoit sur leur patrie. (1) Des troupes françaises se rassembloient à La Mirandole, pour porter du secours à Sienne ; Pierre Strozzi résolut d.e leur ouvrir le chemin. 11 sortit, le 11 juin, de la ville assiégée, avec environ six mille hommes (2); il passa l’Arno à Pont-ad-Era, et s’avança, par la forêt de Cerbaia, vers l’état de Lucques, qu’il traversa. C’est là qu’il reçut, en effet, le renfort qui lui étoit promis, et qui étoit venu le joindre par Pontrémoli ; mais la flotte française qui devoit. arriver en même temps à Yiareggio, ne parut point : elle fut retardée plus de quarante jours; et le prieur Strozzi, frère de Pierre, qui Patte ndoit avec deux galères, fut tué devant Scar- lino. Deux jours après la mort du grand-prieur, Biaise de Montluc, que Henri II avoit choisi pour commander à Sienne, vint débarquer à Scarlino, avec dix compagnies françaises et les (1) Gio. Batt. Adriani, L. X, p. 722.— Scipione Ammi- ralo, L. XXXIV, p. 5 a 5 .—B cm. Segni, L. XIV, p. 366 . (2) Gio. Batt. Adriani, L. XI, p. 734. — Scipione Ammi- rato , L XXXIV, p. 517. TOME XVI. IO 146 histoire des répub. italiennes en. cxxii. Allemands de George de Ruckrod, qui de là se 1554. rendirent à Sienne. (1) L’expédition du maréchal Strozzi ne pouvant plus avoir tout le succès qu’il en avoit espéré, lorsqu’il avoit cru tenir seul la campagne, et assiéger Florence, à l’aide des troupes que devoit lui amener la flotte, il repassa l’Arno aussi rapidement et aussi heureusement qu’il l’avoit franchi la première fois, et il reconduisit son armée à Casoli, dans l’état de Sienne, (a) Cependant l’expédition de Pierre Strozzi avoit répandu la terreur dans tout le parti du duc en Toscane; et elle sembloit promettre de plus heureux résultats. Marignan, qui l’avoit suivi avec toute l’armée du siège, frappé d’une terreur panique, s’étoit enfui de Pescia sur Pistoia, qu’il étoit aussi sur le point d’abandonner ( 3 ). La fertile province du val de Niévole se déclarait pour le parti de Strozzi et de la république ; les châteaux-forts de Monte-Catini et de Monte- Carlo avoient reçu garnison française, et le dernier soutint ensuite un siège de plusieurs (1) Mém. fie Biaise de Montluc , L. III, p. ir 5 , T. XXIII. (2) Gio. Batt. Adriani, L. XI, p. 747- — Scipione Amrni- rato , L. XXXIV, p. 5 ao , 522 .— Bern. Segni, L. XIV, p. 364 - — Jacq. Aug. deThou, L. XIV, p. 272. ( 3 ) Gio. Batt. Adriani, L. XI, p. 743- — Scipione Ammi- rato, L. XXXIV, p. 721.— Bern. Segni, L. XIV, p. 365 . — Jacq. Aug. de Thou, L. XIV, p- 274. DIJ MOYEN AGE. mois; enfin, l’éloignement des deux armées au cn . cxxu, moment même de la récolte, auroit donné le >554- loisir aux liabitans de Sienne de faire d’amples provisions de vivres, s’ils avoient su en profiter. (r) Mais la terre avoit été frappée cette année de stérilité : d’ailleurs la guerre avoit empêché les paysans de labourer et de semer leurs champs autour de la ville; et les Siennois, ou ne firent pas d’assez grands sacrifices, ou n’eurent pas assez de temps, pendant les quinze jours que leurs chemins furent ouverts, pour faire venir de plus loin leurs approvisionnemens. Ils com- mençoient déjà à manquer de vivres dans la ville ; les deux camps de Strozzi et de Marignan, qui éloient revenus dans l’état de Sienne, en manquoient également. Marignan sembloit re- connoître son infériorité : une terreur nouvelle lui fit abandonner son camp, devant la porte Romaine de Sienne, avec non moins de précipitation qu’il avoit abandonné Pescia, peu de semaines auparavant. ( 2 ) Pierre Strozzi, pour soulager Sienne, en éloignant les armées, résolut de transporter la guerre (1) Gio. Batt. Adriani, L. XI, p. 797.— Scipione Ammi- rato, L. XXXIY, p. 724. — Jacq. Àug. de Thou, Hist. viniv. , L. XIV. p. 275. (2) Gio. Batt. Adriani, L. XI, p. 761. —Scipione Ammi- rat.o, L. XXXIV, p- 527. — Bern. Segni, L. XIV, p. 367. 148 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES GH. CXXII . dans le val de Chiana; il s’empara, le 20 juillet, *554- de Marciano et d’Olivéto, et il établit son armée sur le pont de la Chiana. Marignan l’y suivit, et il obtint sur lui un grand avantage dans une escarmouche à Marciano, où les deux armées furent engagées presque tout entières : ce ne fut encore que le prélude d’un plus grand désastre. Strozzi, qui souffroit dans son camp du manque d’eau et de vivres, voulut se retirer; Marignan le suivit, et le força d’eu venir à une bataille rangée, le 2 août, devant Lucignano, Marignan avoit sous ses ordres deux mille Espagnols, quatre mille Allemands, et six ou sept mille Italiens, avec douze cents chevau-légers : Strozzi avoit à-peu-près autant de monde, dont le quart seulement étoit Français, le reste Allemand, Grison et Italien. La lâcheté de sa cavalerie, qui s’enfuit dès le commencement du combat, et le peu de fermeté des Grisons, assurèrent la victoire aux Impériaux : elle fut néanmoins long-temps disputée par la valeur et l’habileté de Pierre Strozzi; et le champ de bataille resta couvert de plus de quatre mille morts. ( 1 ) ( 1 ) Gio. Batt. Adriani, L. XI, p. 783-787. —Relation de la bataille adressée le 4 août 1 554, par le marquis de Marignan à l’empereur. Lettere de’ P r: fui pi . T. III, f. r 54- — Berrt. Segni , Lib. XIV, P- 371 .— Scipione Ammirato , Lib. XXXIV, p. 529 . — Orlando Malavolti, T. III, L. X , p. 363. —Mém. DU MOYEN AGE. 1 l\Ç) Après la déroute de Lucignano, il ne restoit plus, pour Sienne, de chances de salut; cependant les citoyens, encouragés par Montluc, qui commandoit la garnison française, et par les succès de M. de Brissac en Piémont, ne se laissèrent rebuter par aucune privation ni aucun danger : ils avoient à se défendre contre le plus froidement cruel de ces généraux impériaux dont la férocité scmbloit le caractère distinctif; et si le voyageur voit encore aujourd’hui l’état de Sienne changé en un vaste désert, il doit l’attribuer surtout au marquis de Marignan et à Cosme I er . Toutes les fois que les Siennois fai- soient sortir de leur ville des bouches inutiles, Marignan faisoit massacrer impitoyablement ces citoyens; toutes les fois que les paysans siennois faisoient quelques efforts pour introduire des vivres dans la ville , Marignan les faisoit pendre : tous ceux qui, dans leurs villages ou leurs châteaux, opposoient quelque résistance à l’armée, étoient passés au fil de l’épée ; toutes les provisions , tous les vivres des malheureux paysans étoient pillés par les Espagnols : ce qui n’étoit pas consommé par les soldats, étoit détruit avec rigueur. La province entière de Sienne éprou- voit les horreurs de la famine : la population de la Maremme fut alors détruite, et dès-lors elle CB. CXXI! i554. de Biaise de Montluc, T. XXIIJ, L. III, p. t3g - Histoire de Jaca. Aug. de Thou, l,. XIV, p. 283 l5o HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES Cil. CXXI1. 1554. i555. n’a jamais pu se renouveler : l’air de ce pays fertile est pestilentiel ; l’expérience a prouvé à plusieurs reprises que le mouvement d’une population nombreuse le corrige, tandis que, lorsqu’il est inhabité, il devient plus pernicieux encore. D’ailleurs, toutes les habitations, tous les ouvrages de l’homme, avoient été détruits par la férocité espagnole ; et ceux qui, dès-lors, sont venus de provinces éloignées, pour cultiver ces campagnes, se sont trouvés pour la plupart sans r.bri, sans aucune des commodités de la vie, exposés aux intempéries d’un climat funeste. ( 1 ) Ce n’étoit que par la famine que Marignan espéroit prendre Sienne ; il essaya, il est vrai, au mois de janvier i555, d’ouvrir quelques batteries près de la porta Ovile et de celle de Ravaniano : mais cette attaque n’eut aucun succès, et Marignan y renonça ( 2 ). Strozzi (1) Gio. Batt. Adriani, Lib. XII, p. 8i5. Pendant cette guerre, la population de la ville de Sienne fut. réduite de trente mille à dix mille âmes : dans la province, on compta qu’il périt de misère , par les combats ou les supplices, cinquante mille paysans, outre ceux qui passèrent en pays étranger. Bern. Segni, Lib. XIY, p. 377.—Il y a une lacune dans Scipion Ammirato, jusqu’à l’an i56r, et Malavolti n’ose donner aucun détail.—Mém. de Biaise de Montluc, T. XXIII, L. III, p. 170. — Histoire de Jacq. Àug. de Thou, T. II, L. XIV, p. 288. (2) Gio. Batt . Adriani, Lib. XII, p. 836. --Bern. Segni, L. XIV, p. 37p. — Biaise de Montluc, L. III, p. tg6-235. OU MOYEN AGE. 151 s’étoit flatté que les succès de Brissac en Pié- ch. cxxn mont détermineroient l’empereur à rappeler 1 ^ 5 ^- l’armée qui assiégeoit Sienne, pour l’opposer aux Français : mais Cosme n’épargnoit ni argent, ni munitions, ni vivres, pour satisfaire des troupes dont l’avidité alloit croissant, à mesure qu’elles sentoient plus leur importance. Cependant la crainte de voir l’armée de Marignan rappelée, lui faisoit desirer ardemment une pacification. Il écrivit au gouvernement de Sienne, pour l’assurer qu’il n’en vouloit point à la liberté de la république, qu’il ne lui demandoit autre chose que de se remettre sous la protection impériale, et qu’il s’offroit pour médiateur d’un traité avec Charles-Quint, qui lui garantiroit tous ses privilèges, (i) En effet, après que les Siennois eurent supporté les horreurs du blocus, avec une patience et un courage à toute épreuve, au-delà de tous les calculs qu’ils avoient faits d’avance, et après qu’ils eurent consommé leurs vivres de telle sorte qu’il ne leur en restoit plus pour le lendemain, ils obtinrent encore de Cosme 1 er des conditions honorables, telles à peu près que celles qu’avoit obtenues Florence, vingt-cinq ans auparavant; mais aussi furent-elles violées (i) Gio. Batt. Adriani , L. XII, p. 848. — Lettre du marquis de Marignan à la seigneurie de Sienne. Lettere de' Principi, T. III, f. i 58 . 15ü HISTOIRE DES REPUB. ITALIENNES ch.cxxii. avec ] a nième effronterie. L’empereur reçut, sous sa protection, la république de Sienne : il promit de lui conserver sa liberté et ses magistrats ordinaires ; de pardonner à tous ceux qui avoient agi contre lui; de ne point y bâtir de forteresse, de payer lui-même la garnison qu’il maintiendroit dans la ville pour sa sûreté ; de permettre à tous ceux qui voudraient émigrer de se retirer librement avec leurs biens et leurs familles, dans la partie de l’état siennois qui n’étoit pas soumise. Le traité fut signé le i avril : mais comme les vivres finissoient seulement le 21 , ce fut dans ce jour que la garnison française sortit de Sienne, et que les Impériaux y entrèrent, (i) La réserve stipulée en faveur des Siennois qui voudraient émigrer, n’étoit point une précaution vaine. Un grand nombre de citoyens illustres et de ceux qui avoient montré le plus de zèle pour la liberté de leur patrie, sortirent de Sienne avec la garnison française, le 21 avril, et se retirèrent à Montalcino, petite ville bâtie sur une montagne, non loin de la route qui conduit de Sienne à Rome; et là ils maintinrent l’ombre de la république siennoise, jusqu’à la 10 Gio. Batt. Adriani, Lib. XII, p. 864-— Malavolti, P. III, L. X, f. 166 . Son Histoire finit par cette capitulation. — Bern. Segni , L. XIV, p. 38o. — Biaise de Montluc, L. III, p. 266 - 279 . — Jacq Aug. de Thou , L. XV, p. 3i4- nU MOYEN AGE. I 53 paix de Cateau-Cambrésis du 3 avril i55g, qui ch. cxxu les soumit au sort du reste de la Toscane, (i) l55 ^- Quant à la métropole, aucun des articles de sa capitulation ne fut exécuté; et la violation de ce pacte sacré ne fut pas moins impudente que l’avoit été celle de la capitulation de Florence. Néanmoins Cosme I", qui avoit conquis Sienne à ses frais et par ses armes, n’en fut pas mis immédiatement en possession. Philippe 11, en faveur duquel Charles V avoit abdiqué la couronne, vouloit conserver cet état entre ses mains, pour établir plus solidement sa domination sur la Toscane. La guerre allumée par l’ambition de Paul IV et des Caraffa, ses neveux, lui fit mettre en délibération s’il ne leur céderoit pas l’état de Sienne en compensation des pajs auxquels ils prétendoient. Enfin, Philippe trouva plus avantageux de s’en servir pour acheter la coopération du duc de Florence. Par un traité conclu au mois de juillet 1 55y, , 557 , il consentit à céder l’état de Sienne à Cosme I er , qui en prit possession, le 19 juillet, comme d’une province sujette. Philippe réserva toutefois à la monarchie espagnole les ports de cette (1) Gio. Batt. Adriani, L. XYI, p. 1107- 112a. —Bernardo Segni étant mort le i 3 avril i 558 , a laissé son Histoire interrompue au quinzième Livre, où il racontoit la guerre de Cosme contre les Siennois de Montalcino.—Jacq. Aug. de Thou, L. XXII, p. 66i, 665 , T. II. 0 eu. exxn, 1557. l54 HISTOIRE DES RÉ PUB. ITALIENNES république, savoir : Orbitello , Porto - Ercole , Télamone, Monte - Argentaro, et Porto San- Stéfano. Cette petite province a formé dès-lors ce qu’on a nommé l’état des Présidi. Sa séparation du reste de la Toscane a privé l’état de Sienne de son ancienne communication avec la mer et. de son commerce ; et elle a contribué à perpétuer l’état effrayant de désolation auquel la Maremme siennoise est réduite. (1) (1) Gio. Batt. Adriani, L, XIV, p. iooo-ioi 5 . — Le duc prit possession de Sienne le ig juillet i 55 j. — Lett. de' Prin- cipi , T. III, f. i 65 et seq. Entre autres , un Mémoire de Pierre Strozzi sur la défense de Sienne, p. 177-180. — Histoire de Jacq. Aug. de Thou, T. II, Liv. XV, p. 343 ; Liv. XVIII, p. 471. Dü MOYEN AGE. 155 CHAPITRE CXXIII. Révolutions des différons états de l’Italie depuis la perte de l’indépendance italienne jusqu’à la fin du seizième siècle, i 53 i , 1600. L’histoire de l’Italie pendant le seizième siècle CH< CMn r. se divise en trois périodes, dont chacune présente un caractère fort différent. La première s’étend depuis le commencement du siècle jusqu’à la paix de Cambrai, en i52g. Ce fut un temps de guerres continuelles et de désolation , pendant lequel la puissance de la France et celle de la maison d’Autriche parurent assez également balancées pour que les peuples d’Italie ne pussent prévoir laquelle triompberoit. Ils s’attachèrent alternativement à l’une et à l’autre : ils espérèrent maintenir entre elles leur indépendance ; et ils ne s’aperçurent que les Italiens avoient cessé d’exister comme nation qu’au moment où François I er les sacrifia par le traité des Dames, que signa sa mère. La seconde période s’étend depuis la paix de Cambrai du 5 août 1 52g, jusqu’à celle de Cateau- Cambrésis du 3 avril i55g. Par celle-ci, Henri II ch. cxxur. l56 HISTOIRE DES RÉPDB. ITALIENNES et Philippe II. mirent un terme à la longue rivalité de leurs deux maisons, et les réunirent par le mariage de Philippe avec Elisabeth de France. Cette période de trente années fut ensanglantée par presque autant de guerres que la précédente, et toujours entre les mêmes rivaux. Mais ces guerres ne se présentoient plus sous le même aspect aux Italiens, et n’éveilloient plus en eux les mêmes espérances. Tous leurs divers états, ou avoient passé sous la domination immédiate de la maison d’Autriche, ou avoient reconnu sa protection par des traités qui ne leur iaissoient plus d’indépendance. Si dans cet espace de temps quelques-uns d’entre eux se détachèrent momentanément de cette alliance qui leur avoit été imposée, ils furent traités comme rebelles , bien plus que comme ennemis publics. La France, comptant à peine trouver parmi eux des alliés, au lieu de les attirer à elle par des récompenses , s’efforçoit d’anéantir leurs ressources , dans la certitude que tous leurs soldats et tous leurs trésors seroient toujours à la disposition de son constant ennemi. Elle fit contre eux alliance avec les Turcs et les Barbaresques, et elle livra toutes les côtes de l’Italie aux dévastations des Musulmans. Les trente-neuf ans qui s’écoulèrent depuis la paix de Cateau-Cambrésis jusqu’à celle de Ver- vins, signé le a mai i5g8, par Henri IV, Phi- DU MOYEN AGE. I 57 lippe II et le duc de Savoie, devraient être con- en. exxm sidérés comme un temps de paix profonde, en les comparant aux deux premières périodes : car pendant tout ce temps, les provinces de l’Italie ne furent attaquées par aucune armée étrangère; et les états italiens, retenus par le sentiment de leur foiblesse, ne se livrèrent jamais entre eux à de longues hostilités. Cependant l’Italie ne jouit d’aucun des avantages de la paix à cette époque malheureuse. La France, déchirée par des guerres civiles, ne mettoit plus aucun poids dans la balance politique de l’Europe, tandis que le farouche Philippe II, souverain d’une grande partie de l’Italie, et commandant à ses alliés presque autant qu’à ses sujets, travailloit à écraser le parti protestant dans les Pays-Bas, en France et en Allemagne. Pendant tout son règne, il ne cessa de combattre les Hollandais et les calvinistes de France, et de donner des secours aux empereurs ses alliés, Ferdinand, son oncle, Maximilien II et Rodolphe II, qui furent tout aussi constamment engagés dans des guerres contre les protes- tans d’Allemagne et contre les Turcs. Les Italiens combattirent sans relâche pendant toute cette période, dans les pays lointains où Philippe II portoit la guerre. Leurs généraux, comme leurs soldats, rivalisèrent de gloire, de talens et de courage avec les vieilles bandes espagnoles, dont l58 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES CH. CXXITI. ils semblèrent avoir adopté le caractère. La nation recouvra ainsi sa vertu militaire au service des étrangers; et si elle l’avoit ensuite employée à la défense de la patrie, peut-être ne l’auroit- elle pas payée trop cher par tout le sang qu’elle versa; mais elle continua de servir jusqu’à ce qu’elle eût perdu de nouveau l’habitude de combattre. Le plus grand malheur attaché à cet état continuel de guerre étrangère fut la continuation du régime militaire, Iq séjour ou le passage des troupes espagnoles dans les diverses provinces, et surtout les impositions intolérables dont la cour de Madrid accabloit les peuples. L’ignorance de ses ministres, qui ne connoissoient aucun des principes de l’économie politique, étoit plus funeste encore que leur rapacité, ou leurs dilapidations. Ils n’inventoient pas un impôt qui ne semblât destiné à écraser l’industrie et à ruiner l’agriculture. Les manufactures toroboient en décadence, le commerce dispa- roissoit, les campagnes devenoient désertes ; et les habitans, réduits au désespoir, étoient forcés enfin d’embrasser comme profession le brigandage. Des chefs distingués par leur naissance et leurs talens se mirent à la tête des troupes d’assassins qui se formèrent à la fin du siècle dans le royaume de Naples et l’état de l’Eglise; et la guerre des brigands mit plus d’une fois en dan- DU MOYEN AGE. I 59 v ger l’autorité souveraine elle-même. Pendant en. cp-m ce temps, les provinces restoient sans soldats, les côtes sans vaisseaux de guerre, les forteresses sans garnison. Rien n’arrêtoit les ravages des Barbaresques, qui, non contens des prises qu’ils pouvoient saisir sur la mer, faisoient des descentes sur tous les rivages alternativement , brûloient les villages et souvent les villes, et entraînoient en esclavage tous leurs habitans. Toutes les horreurs dont la traite des Nègres a affligé l’Afrique pendant les deux derniers siècles, éfoient pratiquées dans le seizième par les Musulmans en Italie. De même ces avides marchands d’esclaves entretenoient des traîtres sur toutes les côtes, pour les avertir et leur livrer leurs malheureux compatriotes : de même une récompense étoit toujours offerte au crime ; et le dernier des malheurs menaçoit sans cesse la famille qui croyoit pouvoir le plus compter sur son innocence et son obscurité. Telles étoient les calamités sous le poids desquelles l’Italie dé- ploroit, à la fin du seizième siècle, la perte de son indépendance. Nous avons, dans les derniers volumes, exposé avec de longs détails tous les événemens de la première des trois périodes entre lesquelles nous avons divisé le seizième siècle. Nous avons aussi, dans les chapitres précédens, rassemblé quelques-uns des faits qui appar- r6o histoire m:s répub. italiennes en. exxm tiennent, pour le temps, à la seconde période, quoiqu’ils semblent porter encore quelques-uns des caractères de la première : c’est la dernière lutte soutenue en Toscane pour la liberté ; ce sont les efforts des Siennois pour repousser le joug dont la maison d’Autriche vouîoit les accabler. Il ne nous reste plus désormais qu’à donner une idée des événemens qui, dans le même temps ou dans la période suivante, changèrent les rapports entre les états en Italie, influèrent sur le sort des peuples, ou altérèrent le caractère national. Pour le faire, nous suivrons chacun des gouvernemens entre lesquels l’Italie étoit divisée, et nous tracerons un précis de ses révolutions. Les états de la maison de Savoie, les premiers que les Français trouvoient sur leur route en entrant en Italie, avoient échappé aux ravages des premières guerres du siècle. Les relations de parenté du duc Charles III avec les deux chefs des maisons rivales avoient sans doute contribué à leur inspirer des ménagemens pour lui. Celle même parenté fut cause de l’invasion du Piémont, lorsqu’en i535 la guerre se renouvela entre François I er et Charles-Quint. Le duc de Savoie avoit épousé Béatrix de Portugal, sœur de l’impératrice ; et il s’étoit laissé engager par elle dans une confédération avec la maison d’Autriche. François, pour s’en venger, DU MOYEN AGE. l6l réclama une part de la Savoie, comme succès- CH, CXXUI. sion de sa mère Louise, sœur du duc régnant; çt sous ce prétexte, toute la Savoie et la plus grande partie du Piémont furent envahis par les Français. Les Impériaux de leur côté mirent , garnison dans le petit nombre de villes qu’ils purent dérober aux attaques de leurs ennemis. Pendant vingt-huit ans, le Piémont fut le principal théâtre des guerres entre les rois de France et d’Espagne. Lorsque Charles III mourut à Verceil, le 16 août t553, il se trouvoit dépouillé de la plus grande partie de ses états, par ses amis autant que par ses ennemis ; et quoique son fils Emmanuel Philibert se fût déjà distingué comme général au service de l’empereur, et qu’il continuât de se couvrir de gloire dans les guerres de Flandre, il ne trouva point de reconnoissance chez les princes pour lesquels il avoit combattu. La paix de Cateau-Cambrésis, que Philippe II dictoit en quelque sorte à la France, n’assura point ses intérêts. Elle laissa entre les mains du roi de France Turin, Chiéri, Civasco, Pignerol, et Villeneuve d’Àsti avec leurs territoires, et dans les mains du roi d’Espagne Verceil et Asti. Les guerres civiles de France déterminèrent Charles IX à rendre au duc de Savoie, en 1062 , les villes qu’il occupoit encore en Piémont. (1) (1) Guichenon, Hist. généal. de la Maison de Savoie, T. II, TOME XVI. I I IÔ2 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES ch. cxxm. Ce fut à dater de cette époque seulement, qu’on vit la maison de Savoie s’élever en Italie, autant que les autres états étoient déchus. Emmanuel Philibert, non plus que son fils Charles- Emmanuel , qui lui succéda en 158o, n’avoient plus rien à craindre de la France, alors déchirée par les guerres de religion. Le dernier, au contraire, y fit à son tour des conquêtes , et disputa au maréchal de Lesdiguières la possession de la Provence et du Dauphiné. Philippe ÏI, qui commençoit à s’affoiblir, sentoit la nécessité de ménager un prince belliqueux, qui couvroit la frontière de l’Italie; et le duc de Savoie étoit, entre les alliés de l’Espagne, celui qui avoit le moins à se plaindre de l’insolence de ses vice-rois et de ses généraux. Lorsque les guerres de religion finirent, le duc de Savoie fut compris d’une manière avantageuse dans la paix de Vervins, le 2 mai 1598. Il lui restoit seulement encore un différend avec Henri IV sur la possession du marquisat de Saluces. Pendant les guerres d’Italie, les marquis de ce nom s’étoient attachés à la cour de France, et en avoient reçu plusieurs faveurs : ils avoient alors fait revivre d’anciennes chartes, par lesquelles ils se reconnoissoient feu- p. 256. —Mémoires de Martin du Bellay, L. IV, p. 296 ; L. V et seq.—Histoire de la Diplomatie française, T. II, L. IV, p. 46. —DeThou, Hist., T. III, L. XXXI, p. iSi.-Mura- tori Annali d’Italia , ad ann. nu MOYEN AGE. i63 dataires des dauphins de Viennois. Leur famille, CH - cxxm - après avoir été divisée par quelques guerres civiles, auxquelles François I er prit part, s’éteignit en i548; et la France s’empara du marquisat de Saluces, qui lui ouvroit la porte de Fltalie. D’autre part, le duc de Savoie profita des guerres civiles de France pour se mettre en possession du même fief en i588 (1). Les deux traités du 27 février 1600, efdu 17 janvier 1601, terminèrent ces discussions entre la Savoie et la France, auxquelles toute l’Italie attachoit la plus haute importance. Henri IV accepta la Bresse en échange du marquisat de Saluces; et par cette transaction il se ferma entièrement l’Italie, ôtant aux états de cette contrée l’espé- rance qu’il a voit lui-même nourrie, de les rétablir un jour dans leur indépendance. (1) La maison d’Autriche avoit, dans ce siècle, étendu sa souveraineté sur quatre des états les plus puissans de l’Italie, le duché de Milan, le royaume de Naples, le royaume de Sicile et celui de Sardaigne. Le duc de Milan François II, dernier héritier de la maison Sforza , étoit mort (1) Henrico Cather. Davila, delle guerre civili di Francia, L. IX, p. 526. — Guichenon, Hist. généal., T. II, p. 287. (2) Guichenon, Hist. généal., T. II, p. 552 et suiv. —Hist. de la Diplomatie française, T. II, p. 197. ■—Hist. univers, de Jacq. Aug, de Thou, T. IX, L. CXXIII, p. 5 a 5 ; et L. CXXY, P- 4 l3 ' ... I 164 HISTOIRE DES RÉPUE. ITALIENNES h. exxm. le 24 octobre i535, après avoir fait une vaine tentative pour secouer le joug de Charles-Quint, qui lui paroissoit trop accablant. Il avoit entamé, avec le roi de France, des négociations hasardeuses, et il avoit obtenu qu’un ambassadeur de cette couronne fût envoyé à sa cour avec une mission secrète; puis, tout-à-coup effrayé de la colère de Charles-Quint, il avoit fait trancher la tête à cet envoyé, nommé Maravi- glia ou Merveilles, à l’occasion d’une querelle qu’il lui avoit lui-même suscitée ( 1 ). Cet outrage fut la principale cause du renouvellement de la guerre entre la France et l’Empire, en 1 535; et l’on assure que la peur des vengeances du roi hât? la mort du duc. La possession du Milanez à l’extinction de la ligne des Sforza n’étoit point définitivement réglée par le traité de Cambrai ; et Charles-Quint, avant de recommencer la guerre, amusa quelque temps François I" par des négociations, dont l’objet étoit d’inféoder le Milanez au second ou au troisième fils du monarque français.' Dans le même temps, il faisoit avancer ses armées et il garnissoit ses forteresses : aussi, lorsque les hostilités éclatèrent, les Français ne purent jamais soumettre les places les plus importantes du duché, et leurs succès se bornèrent au ravage des frontières. (1) Mémoires de messire Martin du Bellay, L. IV, p, 233. DU MOYEN AGE. ï65 Le Milanez ne pouvoit jamais se relever , sous en. cxxm. l’administration espagnole, des désastres des précédentes guerres. Des impôts absurdes en bannirent le commerce et les manufactures; et si les lois ne réussirent pas à rendre stériles ces riches campagnes, elles rendirent du moins misérables ceux qui les cultivoient. Le gouvernement voulut encore aggraver le joug odieux que portoient les Milanais, par l’établissement de l’inquisition espagnole. Celle d’Italie , qui depuis long-temps étoit établie à Milan, ne suf- fisoit point pour satisfaire le fanatisme farouche ou la politique de Philippe IL Le duc deSessa, gouverneur de Milan , annonça, en 1 563, cette détermination du roi à la noblesse et au peuple : mais elle excita une fermentation si violente, les Milanais parurent si déterminés à s’opposer, les armes à la main, à l’établissement de ce tribunal sanguinaire, que le gouverneur persuada à Philippe de renoncer à son dessein, (i) Le royaume de Naples étoit, depuis plus longtemps que le Milanez, sous la domination espagnole. Il avoit été envahi, à la fin du siècle précédent , par Charles VIII, et au commencement du seizième par Louis XII ; mais, pendant le (i) Pallavicino , Istoria del Concilia di Trento, L. XXII, cap. VIII, T. V, p- 2 i 5 , editio di Faenza , 1796, in- 4 °- —De Thou, Histoire, L. XXXVI, p. 4-71. — Gregorio Leti, Vita di Filippo H, L. XVII, T. I, p. /jo 5 . l66 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES ch. cxxm. règne belliqueux de François I, les armées françaises n’y firent qu’une courte apparition, sous M. de Lautrec ; et pendant le règne de son fils Henri II, 1’ expédition du duc de Guise, en i 557, quoique concertée avec le pape Paul IV, ne pénétra jamais au-delà des frontières de l’Ab- bruzze. Elle prouva que le parti angevin exis- toit encore dans ces provinces ; mais elle ne mit pas un instant en danger la monarchie autrichienne à Naples. D’autre part, le royaume de Naples fut abandonné, presque sans défense, aux ravages des Turcs et des puissances barbaresques, qui, durant ce même siècle, s’élevèrent à une grandeur jusqu’alors sans exemple. Horuc et Hariadéno Barbarossa (Àroudi et Khaïr-Eddyn), fils d’uii corsaire renégat de Mételin, après s’être rendus célèbres par leur hardiesse comme pirates, parvinrent à commander les flottes de Soliman, et à s’asseoir sur les trônes d’Alger et de Tunis (i). Le métier de corsaire, qui avoit été le premier échelon de leur grandeur, fut toujours dès-lors l’école de leurs soldats et de leurs matelots, et la source première de leurs richesses. On vit, de i5i8 à i546, durée du règne du second Barberousse, des flottes de cent et cent cinquante voiles, armées dans le but unique (1) Pauli Jovii Uist., L. XXVII, p. 98 et passira. — Bern. Segni, L. III, p. 90 j L. VI, p. 166. DU MOYEN AGE. 167 de ravager les côtes, d’en enlever les habitans, ch. cxxm et de les vendre comme esclaves. Le royaume de Naples, qui présentait une longue étendue de rivages sans défense, dont les habitans, tenus sous un joug oppressif, avoient perdu tout courage et tout esprit militaire, dont les lois rejetaient hors de la société, de nombreux essaims de bandits, de contrebandiers, de brigands, toujours prêts à servir l’ennemi dans toutes ses tentatives, fut, plus que tout le reste de l’Italie, exposé aux ravages des Barbaresques. En i554, tout le pays qui s’étend de Naples jusqu’à Terracine fut ravagé, et les habitans emmenés en captivité. En i 556 , la Calabre et la terre d’O- trante éprouvèrent le même sort; en 1537 , la Fouille et le voisinage de Barlette furent ruinés de même ; en i543, Reggio de Calabre fut brûlé, et jusqu’à la fin du siècle, à peine une année s’écoula sans que les Barbaresques, commandés par Dragut-Rayz après la mort des Barberousse, puis par Piali et Ulucciali, rois d’Alger, enlevassent et réduisissent en captivité tous les habitans de nombreux villages, et souvent de plusieurs grandes villes. ( 1 ) Tandis que les provinces napolitaines vi- voient dans la crainte continuelle des ravages (1) Pauli Jovii Hist., L. XLIII, p. 533 et passira. — Sum- monte Istoria diNapoli, L. VIII, cap. II, T. IV, p. 146. i—Giannane Ist. civ., T. IV, L. XXXII, cap. VI, p. 166. l68 HISTOIRE DES RéPUB. ITALIENNES cii.cxxm. des Barbaresques et de ceux des brigands; tandis que tout homme devoit, à toute heure, trembler de se voir ravir ses biens, sa femme et ses enfans, ou d’être lui-même réduit en esclavage, l’administration espagnole faisoit éprouver à la capitale un autre genre de calamites. Don Pedro de Tolédo, qui fut vice-roi de Naples pendant quatorze ans, et qui donna son nom à la plus belle rue de cette ville, ouverte par lui vers l’an i54o (i), fut en quelque scrte l’instituteur de l’administration espagnole à Naples; ses successeurs ne firent plus que marcher sur ses traces. Ce fut lui qui, attribuant à l’état le monopole du commerce des blés, exposa la capitale à de fréquentes famines, et la réduisit à n’avoir, dans les années les plus abondantes, qu’un pain inférieur en qualité à celui que man- geoient les pauvres dans les années de disette, lorsque le commerce e'toit encore libre (2). Ce fut lui qui suscita la haine qui a toujours régné depuis, et qui a souvent éclaté par des batailles, entre la garnison espagnole et les soldats de la ville. Ce fut lui qui, jaloux de la noblesse 11a- (1) Summonte Istoria délia ciuà e regno di Napoli, L. IX, cap. I, T- IV, — Giannone Ist. civ., Lib. XXXII, cap. III, T. IV, p. 87. (2) Summonte lst. di Napoli, Lib. IX, cap. I, p. 173.— Giannone Ist. civile, Lib. XXXtl, cap. II, p. 84 -— Bern. Segni, L. XIII, p. 346 . DU MOYEN AGE. 169 politaine, la rendit suspecte à l’empereur, et ch. cxxm l’accabla de mortifications, qui poussèrent plusieurs de ses chefs à la rébellion. Ce fut lux enfin qui, au mois d’avril , voulut établir l’in- quisitioü à Naples : mais il tx-ouva, dans le peuple comme dans la noblesse, une résistance qu’on n’auroit pas attendue, soit de l’état d’oppression auquel la nation étoit réduite, soit du fanatisme religieux qui l’animoit. Les Napolitains regardèrent l’introduction de l’inquisition chez eux comme entachant l’honneur de la nation entière, par une accusation d’hérésie ou de judaïsme : d’ailleurs, ils savoient que cet odieux tribunal étoit un instrument aveugle entre les mains du despote, pour écraser et ruiner sans aucune justice tous ceux qui lui étoient suspects. La ville entière prit les armes : le sang des Napolitains et celui des Espagnols coulèrent alternativement; et le projet d’établir l’inquisition fut enfin abandonné par Tolédo et par Charles- Quint : mais presque tous ceux qui avoient pris en main la cause du peuple, et qui avoient osé s’opposer aux volontés de la cour, furent successivement sacrifiés. (1) (j) Summonte Ist. di lYapoli, L. IX, c. I, p. 178-210.— Pallavicini , Ist. del Concilio di Tretito, L. X, c. I, T. III, p. 82. — Gio. Batt. Adriani, L. VI, p. 402 et seq. — Gian- none Istor. civ. , L. XXXII, c. V, p. 107. — Fra Paolo, Ist. del Concilio di Trento, L. III, p. 279. —De Thou , Histoire universelle , !.. III, p. 220. I70 HISTOIRE DES REPUE. ITALIENNES ch. cxxm. Le royaume de Sicile, qui faisoit partie de la monarchie aragonaise dès le temps des vêpres siciliennes, et le royaume de Sardaigne, qui avoit été réuni à la même monarchie dès le milieu du quatorzième siècle, n’avoient plus eu dès-lors d’influence sur la politique italienne que pour prêter des forces à ceux qui dévoient opprimer l’indépendance nationale. Au seizième siècle, les peuples de ces deux îles se trouvant soumis au même gouvernement que la plus grande partie du continent, se souvinrent un peu plus qu’ils étoient Italiens ; mais ce fut pour souffrir et gémir à l’envi de leurs compatriotes. L’administration espagnole avoit de même fait retourner ces deux îles vers la barbarie : elle avoit chassé des villes le commerce et les manufactures; elle avoit abandonné les campagnes aux brigandages des bandits et des contrebandiers, et elle laissoit toutes leurs côtes exposées aux ravages des corsaires barbaresques. En i565, la Sicile fut menacée de l’invasion la plus redoutable par la flotte ottomane que Soliman destinoit à en faire la conquête : mais, contre l’avis du pacha Mahomet, qui commandoit l’expédition, le sultan voulut que son armée commençât par le siège de Malte. Cette détermination imprudente sauva la Sicile, que son vice- roi don Garcias de Tolédo n’auroit pas été en état de défendre. Toute la puissance des Turcs DU MOYEN AGE. 171 vint se briser contre l’héroïque résistance du eu. exxm grand-maître La Valette et de ses chevaliers. Dragut-Rayz, roi de Tripoli, y fut tué le 21 juin i565. Hassem, fils de Barberousse, roi d’Alger, fut repoussé, aussi-bien que les pachas Piali et Mustapha, et l’armée turque, après quatre mois de combats, leva le siège en désordre. ( 1 ) Les guerres qui, au commencement du siècle, avoient précipité l’asservissement de l’Italie, avoient été presque toutes allumées par l’ambition ou la politique des papes Alexandre VI, Jules II, Léon X et Clément VII. Le dernier, après avoir été cruellement puni de ses intrigues, s’étoit cependant trouvé, à la conclusion de la paix, souverain de provinces plus étendues que l’Église n’en eut encore jamais réuni dans sa possession. CeS provinces, il est vrai, étoient appauvries et dépeuplées par trente années de guerres, et plus encore parla férocité des vainqueurs espagnols. D’autre part, de riches tributs étoient encore apportés chaque année au Saint- Siège, par l’aveugle piété des catholiques ; le nom du pape étoit encore redouté ; il sembloit rendre plus formidables les ligues auxquelles il s’asso- ( 1 ) Summonte Ist. diTfapoli, L. X, c. Y, p. 343-348.— Gio. Batt. Adriani, Lib. XVIII».p. i3o3-i 329. — DeThou, Lib. XXXYIII, p. 564 et suiv. — Gregorio Leti, Fila di Fi- lippo II, L. XYIII, p. 44a. I72 HISTOIRE DES RÉPtfE. ITALIENNES ch. cxxni. doit j et il fallut quelque temps aux successeurs de Clément VII pour s’apercevoir que, quoique le traité de Barcelone les eût remis en possession de toutes le provinces que ce pontife avoit perdues, ils n’avoient point recouvré avec elles leur indépendance. Clément VII eut pour successeur Alexandre Farnèse, doyen du sacré college, qui, élu le 12 octobre i534, prit le nom de Paul III. Non moins ambitieux que Clément Vil, Paul III eut autant que lui la passion de placer sa famille au rang des maisons souveraines. Cette famille, propriétaire du château de Farnéto, dans le territoire d’Orviéto, avoit produit dans le quatorzième siècle quelques condottières distingués. Mais Paul III lui donna une illustration nouvelle en accumulant tous les honneurs dont il pouvoit disposer sur la tète de son fils naturel Pierre-Louis, et des fils de celui-ci. Il commença en 17 par ériger en duché les villes de Népi et de Castro, en faveur de Pierre-Louis Farnèse; la seconde, qui est située dans la Ma- remme toscane, devint ensuite l’apanage d’Horace , le second de ses petits-fils. Pierre-Louis, nommé en même temps gonfalonier de l’Église, signala l’année même où il reçut les premiers fiefs de la chambre apostolique, par un excès scandaleux envers le jeune évêque de Fano, prélat non moins distingué par sa sainteté que par sa belle du moyen âge. i 7 3 figure. Le tyran qui soumit ce jeune homme à ch. c*m. une indigne violence, sembloit moins encore attester par ce crime ses débauches habituelles, que son désir d’offenser les mœurs publiques et la religion dont son père étoit le pontife, (i) Paul III ne bornoit pas son ambition aux petits duchés dont il avoit investi son fils : il sentoit que, pour établir la grandeur des Farnèse, il fal- loit faire acheter l’alliance du Saint-Siège, et il trouva les deux rivaux qui se disputoient la domination de l’Europe, disposés à la payer au même prix qu’ils avoient déjà payé à Clément VII. Charles-Quint, pour s’assurer l’amitié du pape, accorda en i538 sa fille Marguerite d’Autriche, la même qui étoit restée veuve d’Alexandre de Médicis, à Octave Farnèse, petit-fils de Paul III, et en même temps il créa celui-ci marquis de Novarre. Le pape acquit encore pour lui l’année suivante le duché de Camérino ( 2 ). D’autre part, Paul III obtint en i 54 7 , pour Horace, duc de Castro, le second de ses petits-fils, un fille naturelle de Henri II. (1) Ben. Vartdiï, L. XVI, T. V, p. 389. — Bernardo Segni , L. IX, p. 238 ; L. XI, p. 3 o 4 . — Belcarius Ber. Gallicar. — Jacq. Aug. de Thou , Histoire universelle, L, IV, p. 286. — Jo. Sleidani Comment., L. XXI, p. 376. (2) Gio. Batt. Adriani, L. II, p. 98.— Bern. Segni, L. IX, p. 2 3 7 . 174 HISTOIRE DES REPLIE ITALIENNES ch. cixm. Mais encore que Paul III fit espérer tour-à- tour à l’empereur et au roi de France qu’il uni- roit ses armes avec les leurs, il évita jusqu’à la fin de son pontificat de s’engager dans aucune guerre. ïl chercha au contraire à plusieurs reprises à rétablir la paix entre ces deux rivaux. Il est vrai qu’il s’attendoit en même temps à en recueillir pour lui-même de grands avantages; car l’un et l’autre admettant que, pour le repos de l’Europe, il conviendroit mieux que l’héritage de Sforza passât à une nouvelle famille de feudataires; Paul III demandoit le ducfié de Milan pour son fils Pierre-Louis, et il offroit aux deux monarques de riches retours pour cette concession. ( 1 ) Paul III ne tarda pas cependant à reconnoître que le repos de l’Europe n’étoit pas le premier objet que les deux monarques avoient en vue, et qu’ils ne songeoient à donner le duché de Milan à une puissance neutre , que lorsqu’ils per- doient l’espérance de le garder pour eux-mêmes. CEarles V s’étant approprié ce duché, Paul ne chercha plus qu’à former une souveraineté à son fils aux dépens de celle de l’Église. Il obtint enfin, au mois d’août i 545, le consentement du sacré collège pour accorder à Pierre-Louis Farnèse les états de Parme et de Plaisance avec le titre (i) Gio. Batt. Adriani, L. Il, p. 89. — Pauli Jovii Hist ., L. XLIII, p. 534- DU MOYEN AGE. i 7 5 de duché relevant du Saint-Siège. Son petit-fils cn.cxxm. renonça en retour aux deux duchés de Népi et de Camérino, qui furent réunis à la chambre apostolique ; et les cardinaux, gagnés par de riches bénéfices, crurent ou feignirent de croire qu’il valoit mieux pour le Saint-Siège incorporer de nouveau deux petites provinces qui se trouvoient au centre de ses états, que d’en conserver deux autres, plus grandes à la vérité, mais à l’égard desquelles les titres de l’Église étoient. douteux, et qui n’avoient plus aucune communication avec le reste de son territoire, (i) Tel fut le commencement des duchés de Parme et de Plaisance, et de la grandeur nouvelle de la maison de Farnèse. Celle-ci prit rang parmi les maisons souveraines presque en même temps que celle des Médicis : leur rivalité dura deux siècles ; et elles s’éteignirent en même temps. Toutes deux aussi, ébranlées dès leur origine, par la haine de leurs sujets et par la mort violente du fondateur de leur dynastie, ne sembloient pas destinées à durer si long-temps. Pierre-Louis Farnèse avoit à peine régné deux ans lorsqu’il fut assassiné le io septembre i54 7 par les nobles de Plaisance, auxquels ses dé- ( 1 ) Gio. Bail. Adriani, L. V, p- 3 o5-3ii. — Bern. Segni, L. XI, p. 3oa.— Pallavicini, Istor. del Concilie» di Trente, L. V, c. XIV, T. II, p. &'x.—Fra Paolo , Istor. del Concilia di Trento, L. II, p. 12 5. r 176 HISTOIRE DES llÉPUll. ITALIENNES en. cxxui. bauches, son avarice et ses cruautés l’avoient rendu odieux. D. Fernand de Gonzague, gouverneur du Milanez pour l’empereur, avoit trempé dans cette conspiration ; et il s’empara aussitôt de Plaisance au nom de son maître, (1). Paul III ne doutant pas que Parme ne fût bientôt attaquée aussi, réunit de nouveau cette ville aux états de l’Eglise, pour mieux faire valoir les droits du Saint-Siège sur elle. Il offrit en échange à Octave Farnèse des espérances lointaines ; celui-ci, qui voyoit son aïeul parvenu au dernier période de la vieillesse, n’osoit rien attendre de l’avenir. Il résista autant qu’il put aux volontés du pape ; mais il dut céder à la fin. Fernand de Gonzague s’étoit rendu maître des lieux les plus forts autour de Parme, et tenoit la ville comme bloquée : l’empereur en même temps exigeoit impérieusement du pape qu’elle lui fût rendue , comme faisant partie du duché' de Milan. Le vieux pontife cherchoit à faire valoir les droits du Saint-Siège par des mémoires et des manifestes ; mais on le voyoit s’affaiblir : la contestation du- roit déjà depuis deux ans, et les espérances d’Oc- tave Farnèse diminuoient chaque jour. Lorsque, croyant n’avoir plus un moment à perdre, il se rendit en poste à Parme, et tenta de s’en (1) Gio. Batt. Adriani, L. VI, p. 4 1 4 ~ 4 20 • — Bern. Segni, L. XII, p. 3 r Q.—FraPaoio, Conc. di Trento, L. III, p. 281. — DeThou, Hist, univers., L. IV, p. 283, T, T, DU MOYEN AGE. I 77 remettre de nouveau en possession, les comman- ch. cxxm. dans de la ville et de la forteresse ne voulurent pas lui obéir 5 et Paul III, averti de cette entreprise et des offres de réconciliation faites par Octave à don Fernand de Gonzague, en conçut tant de douleur, qu’il en mourut, au bout de quatre jours, le io novembre i54ç), à l’âge de quatre-vingt-deux ans. (i) On auroit dû croire impossible à la maison Farnèse de se relever après de telles calamités. Octave avoit été dépouillé d’une moitié de ses états par l’empereur son beau-père, et de l’autre moitié par le pape son aïeul. Il ne lui restoit ni trésor, ni armée, ni forteresses; et il semMoit être demeuré sans espérances, comme sans forces et sans alliés. Mais Paul III pendant son long pontificat avoit créé plus de soixante-dix cardinaux. Deux de ses petits-fils entre autres sié- geoîent dans le sacré collège ; et ils eurent assez de crédit et d’habileté pour faire tomber l’élection, le as, février i55o, sur le cardinal del Monte, créature de leur grand-père, qui prit le nom de Jules III. Celui-ci, dès le surlendemain de son élection, ordonna que Parme et sa forteresse fussent rendues à Octave Farnèse : il confirma (1) Gio. Batt. Adrîani, L. VII, p. 479-482.— Bern. Segni, L. XII, p. 322 .— Pallavicini , L. XI, c. VI, T. III, p. i 54 - — Jo. Sleidani Comment. , L. XXI, f. 375.—DeThou, L. VI, p. 5 ta. TOME XVI. 12 178 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES ch. cxxin. l’investiture du duché de Castro à Horace Far- nèse son frère : il les maintint dans les charges importantes de préfet de Rome et de gonfalonier de l'Église, et il fît ainsi pour cette maison ce que Paul III avec toute son ambition n’avoit point réussi à faire. (1) Le sort du duc de Parme n’étoit cependant pas encore assuré ; Charles - Quint sembloit oublier qu’il l’avoit pris pour gendre, et prétendoit le dépouiller du reste de ses états. Il le réduisit à se jeter dans les bras du roi de France, au nom duquel Octave Farnèse fit la guerre, du 27 mai i 55 i au 29 avril i 552 , et au service duquel, Horace, duc de Castro, son frère, resta engagé jusqu’à la fin de sa vie. Celui-ci fut tué le 18 juillet i555, dans Hesdin, qu’il défendoit contre les Impériaux (2). Ce fut seulement lorsque Philippe II, au commencement de son règne, fut alarmé par l’invasion du duc de Guise en Italie, qu’il rendit le i5 septembre i556, Plaisance au duc Octave, pour s’assurer de son alliance (5). 11 conserva toutefois une garnison dans la forteresse de cette ville, et ce ne fut que trente ans (r) Cio. Batt. Adr'umi, Lib. VIII, p. 4g5. — Jiern. Segni, L. XII, p. 3a4- — Pallavicinl, L. XI, c. VII, T. III, p. i56. — De Thou, L. VI, p. 5ai. ( 2 ) Gio. Batt. Adriani, L. VIII, p. 5a4 et seq. (3) Idem, L. XIV, p. 947 - — Jàcq. Aug. de Thou, Histoire universelle, L. XVI, p. 407 . DU MOYEN AGE. *79 après j qu’en signe de reconnoissance pour tous ch. cxxm. les services que lui avoit déjà rendus Alexandre Farnèse, fils d’Octave, et prince de Parme, il restitua au duc cette citadelle, en i 585 . Octave dut en partie à la longueur de son règne et de sa vie, l'affermissement de la souveraineté qu’il laissa à ses descendans. Il mourut le 18 septembre 1086. Son fils Alexandre, qui depuis long-temps se couvroit de gloire à la tête des armées espagnoles en Flandre, ne gouverna jamais par lui-même les états dont il a illustré le nom. Il faisoit encore la guerre dans les Pays-Bas, lorsqu’il mourut à Arras, le 2 décembre i5g2, laissant son fils Ranuccio solidement établi dans les deux duchés de Parme et de Plaisance, sous la double protection de l’Église et du roi d’Espagne. (1) Paul III fut le dernier de ces papes ambitieux qui démembrèrent l’état de l’Eglise pour former de puissans établissemens à leur famille. Jules III qui lui succéda le g février i 54 g, crut n’ètre parvenu à la tiare que pour s’abandonner sans contrainte à la pompe et aux plaisirs. Il obtint seulement de Cosme de Médicis, Monte San- Sovino sa patrie, dans le territoire d’Arezzo, qui fut érigé en comté, en faveur de son frère (1) Henr. Cather. Davila, Guerre civili di Francia, L. XIII, p. 814, editio di Venezia, in-4°, i63o. — Card. Bentivoglio, Guerra di Fiandra, P. II, L. VI, p. 168, Venise, in-4 0 , i645. l8o HISTOIRE DES RÉPUJB. ITALIENNES ch. cxxm. Baldovino del Monte; et il donna à ce même frère, le duché de Camérino, que les Farnèse avoient restitué à la chambre apostolique. D’ailleurs il parut n'avoir d’autre pensée que de combler de richesses et d’honneurs ecclésiastiques un jeune homme qu’il aimoit. Il le fit adopter par son frère : il le créa cardinal à l’âge de dix-sept ans, sous le nom d’Innocenzio del Monte;' il le corrompit si bien par tant de faveurs, que ce jeune homme, tiré de la plus basse classe du peuple, devint par ses vices le scandale du sacré collège, et en fut chassé par les successeurs de Jules III. (i) Ce pontife, digne de peu d’estime comme de peu de blâme, mourut le 29 mars i555, et eut pour successeur Marcel II de Monte-Pulciano, qui ne régna que vingt-deux jours, du g au 3o avril. Sa mort prématurée fit place au cardinal Jean-Pierre Caraffa, Napolitain, déjà âgé de quatre-vingts ans, qui fut élu le 23 mai i555, sous le nom de Paul IV. ( 2 ) Depuis long-temps le Saint-Siège avoit été (1) Gio. Batt. Adriani, L. VIII, p- 497 et se( I-— Bern, Segni, L. XII, p. 323. — Pallavicino, L. XI, c. VII, T. III, p. i5g. — Fra Paolo Sarpi, L. III, p. 307. — Jacq. Aug. de Thou , Histoire universelle, L. VI, p. 520, T. I. (2) Gio. Batt. Adriani, L. XII, p. 867; L. XIII, p. 876, 8go.— Lettere de’ Principi, T. III, f. 161. Lettre d’un con- claviste, avec beaucoup de détails curieux sur les cérémonies de l’élection. DU MOYEN AGE. 181 occupé par des hommes uniquement animés ch. cxxm par des intérêts mondains, qui s’étoient proposé successivement de satisfaire leur goût pour les plaisirs , pour les arts , pour la magnificence ou pour la guerre. Les uns avoient voulu étendre la monarchie même de l’Église ; les autres avoient voulu au contraire en détacher des fiefs pour élever leur famille : dans tous, l’homme d’état l’avoit emporté sur l’homme d’Église, et le fanatisme religieux avoit eu très- peu de part à leur conduite. Tel fut le caractère des papes dans tout l’espace de temps qui s’écoula du concile de Constance à celui de Trente : mais le pape Paul IV avoit été élu dans un autre esprit. Le danger que couroit l’Église romaine à cause des progrès de la réforme, changea enfin le caractère de ses chefs. Jusqu’alors on avoit vu le bas clergé jaloux du clergé supérieur ; les évêques jaloux de la cotir de Rome; les cardinaux jaloux du pape ; et de leur côté, les supérieurs toujours défians ou toujours jaloux des droits de leurs inférieurs. Les papes avoient longtemps considéré les évêques comme leurs secrets , mais constans ennemis ; et ceux - ci avoient manifesté en effet un esprit républicain qui tendoit à limiter le pouvoir du chef de l'Égl ise. Mais les réformateurs avoient attaqué en même temps le haut et le bas clergé, et I CH» CXX1IJ. J82 HISTOIRE UES RÉPUB. ITALIENNES l’Église entière. Ceux qui s’étoient divisés pour attirer tout le pouvoir à eux, sentirent alors la nécessité de se réunir pour se défendre. Les rois, dont le clergé avoit si long-temps disputé l’autorité, se trouvèrent dès cette époque aux prises avec l’esprit républicain des réformés. Ils firent de leur côté alliance avec leurs anciens ennemis, contre leurs nouveaux adversaires ; et tous ceux qui, à quelque titre, et sous quelque prétexte que ce fut, se proposoient d’empêcher les hommes d’agir ou de penser pour eux-mêmes, se réunirent en une seule ligue , contre le reste du genre humain. Ce fut cet esprit nouveau de résistance à la réforme, qui donna au concile de Trente un caractère si différent de celui des conciles pré- cédens. D’après les instantes sollicitations de Charles-Quint , ce concile avoit été convoqué par Paul III pour décider toutes les questions de foi et de discipline que la réforme avoit fait naître en Allemagne. Il avoit été ouvert à Trente, le 1 5 décembre 1 545 : mais bientôt Paul III se défiant de cette assemblée, l’avoit transportée à Bologne en i 547 , pour qu’elle y fût dans une plus grande dépendance du Saint-Siège. Jules III consentit ep i55t à la faire retourner à Trente. Les succès de Maurice de Saxe contre Charles V, et l’approche rapide de l’armée protestante, la dissipèrent en i 552. Le concile fut ouvert de DU MOYEN AGE. i83 nouveau dans la même ville de Trente, le jour c „. cxxm. de Pâques i56i , par le pape Pie IV, et il dura jusqu’au 4 décembre i563. (i) Le concile de Trente travailla avec autant / d’ardeur à réformer la discipline de l’Eglise, qu’à empêcher toute réforme dans ses croyances et ses enseignemens. Il élargit la brèche entre les catholiques et les protestans ; il sanctionna comme articles de foi, les opinions qui offen- soient le plus ceux qui vouloient faire usage de leur raison ou de leurs sentimens naturels, pour diriger leur conscience. Il porta au plus haut degré le fanatisme de l’orthodoxie ; mais en même temps il rendit au clergé sa vigueur dès long-temps affoiblie. Les prêtres avoient trop sacrifié leur réputation à leurs plaisirs ; tous les abus qui s’étoient introduits dans la discipline augmenloient leur bien-être, et dimi- nuoient en même temps leur pouvoir et leur considération. La politique du concile tendit, au contraire, à les rendre respectables aux yeux des dévots, à les unir plus étroitement par l’esprit de corps, aies subordonnei à la règle; et, dans leur obéissance même, il leur auroit donné une force irrésistible, il auroit dominé par eux, ( 1 ) Pallavicini, Sloria del Concilio di Trento.~FraPaolo Sarpi sotto il nome di Soave, Sloria del Concilio di Trento. ■—Raynaldi Ann. eccl. ad ann. — Fleury, Hist. eccles. ,1. 1 44 et suiv. — Labbei Conc. gener., T. XIY, p 725. 184 HISTOIRE UES RÉPUli. ITALIENNES ch. cxxm, J es conseils de tous les rois * si les progrès de l’esprit humain n’avoient pas marché plus rapidement encore que cette réforme du clergé. L’on sentit l’influence du nouvel esprit qui animoit l’Église, et qui s’étoit étendu jusqu’au sacré collège, dès les premières élections qui suivirent la convocation du concile de Trente. A dater de cette époque, les pontifes de Rome furent souvent plus fanatiques et plus cruels que n’avoîent été leurs prédécesseurs ; mais ils cessèrent de déshonorer le siège de Rome par des vices, et une ambition toute mondaine. Jules III, il est vrai, qui fut élu depuis que le concile étoit déjà commencé, ne répondit point à l’opinion avantageuse qu’on avoit conçue de lui ; cette opinion toutefois étoit fondée sur les vertus et la conduite austère qu’on avoit remarquées en lui avant ses dernières grandeurs. Marcel II, qui lui succéda, et qui ne régna que peu de jours , étoit estimé un saint homme. Paul IV, qui fut créé le 2 3 mai i555, s’étoit déjà fait connoître comme un des plus savans parmi les cardinaux : on avoit surtout remarqué son zèle pour l’orthodoxie; et l’ordre des The'atins qu’il avoit fondé lui donnoit une réputation de sainteté. ( 1 ) (i) Gio. Batt. Adriani, Lib. XIII, p. 8go. — Bern. Segni, Lib. XY, p. ult. — Pallavicini, Lib. XIII, cap. XI, p. 3 10. — Onqfrio Panvino, Vite de’ Pontifici, f. 284, 28 6 . — Fra Paolo Sarpi, Hist. del Concil., Lib. IV, p 4 oo. DU MOYEN AGE. i85 Le fanatisme persécuteur s’assit avec Paul IV ch.cxxui sur le siège de Saint-Pierre. I,'intolérance des pontifes précédens étoit presque uniquement l’effet de leur politique ; celle de Paul IV étoit à ses yeux mêmes la juste vengeance du ciel irrité, et de son autorité méprisée. L’impétuosité de caractère de ce vieillard napolitain, n’admettoit aucune modification, aucun retard dans l’obéissance qu’il exigeoit : toute hésitation lui paroissoit une révolte ; et comme il confon- doit dans sa conscience ses propres opinions avec les suggestions du Saint-Esprit, il auroit cru pécher lui-même en faisant grâce d’un instant à ceux qui étoient assez impies pour différer d’avec lui. 11 avoit été , dès le règne de Paul III, le principal promoteur de l’établissement de l’inquisition à Rome, et il avoit rempli lui- même les fonctions de grand-inquisiteur. Lorsqu’il monta sur le trône, il redoubla la rigueur des édits de ses prédécesseurs, et il multiplia les supplices de ceux qui, dans l’état de l’Église, étoient soupçonnés de favoriser les nouvelles doctrines. Philippe II et Paul IV commencèrent à régner en même temps, et tous deux étoient animés d’un même fanatisme : mais cette passion n’établit point entre eux l’union qu’on auroit dû attendre. Le pape, indigné de la dépendance où la maison d’Autriche avoit réduit l’Eglise ro- l86 HISTOIRE DES REPUE. ITALIENNES eu. cyxiit* maine, étoit résolu à secouer son joug; il s’allia dans ce but avec Henri II, qui, bien qu’ami des hérétiques d’Allemagne et des Turcs, traitoit les protestans de France avec non moins de férocité et de perfidie que le monarque espagnol. Cette alliance engagea la cour de Rome dans une courte guerre contre Philippe II, et ce fut la dernière que les papes entreprirent dans ce siècle, par des motifs de pure politique. Elle eut une issue beaucoup plus heureuse que n’au- roient dû le faire présumer la foiblesse du pape, et î’inconsidération de ses trois neveux, dont il avoit trop écouté les conseils, et voulu flatter l’ambition. Le duc d’Albe, qui covn- mandoit les Espagnols, entra au commencement de septembre i556, dans l’état de l’Eglise, et y soumit un grand nombre de lieux-forts, sans rencontrer presque de résistance. Le duc de Guise accourut au secours du pape avec une armée française ; mais la déroute du connétable de Montmorency , à Saint-Quentin , força bientôt Henri II à le rappeler. Le pape demeuroit sans alliés et sans ressources, lorsque Philippe II, qui ne pouvoit se résoudre à combattre contre le Saint-Siège, acheta la paix, le 14 septembre i55j, aux conditions les plus humiliantes. Il fut cependant vengé des Carafl’a, que Paul IV, leur oncle, avoit enrichis des dépouilles de la maison Colonna, et qu’il sacrifia à la fin de DU MOYEN AGE. 187 sa vie, en reconnoissant qu’il avoit été trompé ch.cxxui par eux. ( 1 ) A Paul IV, mort le j 8 août i55g, succéda Pie IV, frère du marquis de Marignan, de la maison de Médicis de Milan. Avec lui commence la suite de ces pontifes auxquels les historiens orthodoxes prodiguent des éloges sans restriction. Pie V, qui lui succéda le ig janvier i56o, et Grégoire XIII, qui fut créé le i3mai 1572 , avoient à peu près le même caractère que lui. Tous trois ne semblèrent occupés que du soin de combattre et de supprimer l’hérésie : renonçant absolument à toute lutte pour établir l’indépendance du Saint-Siège, à toute jalousie de la cour d’Espagne, ils s’allièrent de la façon la plus intime à un monarque qui, par son zèle pour l’inquisition, par le massacre des juifs d’Aragon, des musulmans de Grenade, des protestans de Flandre, par ses guerres continuelles contre les calvinistes de France , les Anglais et les Turcs, se montroit le plus dévoué entr.e les fils de l’Église. Les papes ne songèrent plus à faire la guerre pour l’intérêt temporel de leurs états ou de leurs làmilles; (1) Gio. Batt. Adriani, h. XIV, p- 980; L. XV, p. io 44 - — Onofrio P an v me, Vita di Paolo IF, f. 289. — Pallavicini, Storia del Concilio di Trente, L XIII, cap. XVI à L. XIV, cap. IV, p. 3 a 5 et seq., T. III.— Fr a Paolo, Conc. di Trento L. V, p. 417. 1 88 HISTOIRE DES RÉPÜB. ITALIENNES cu.cxxm. niais ils contribuèrent largement, avec les trésors et les soldats de l’Eglise, aux expéditions du duc d’Albe dans les Pays-Bas, au soutien de la ligue de France, et aux guerres avec les Musulmans. On vit de nouveau, sous ces trois papes, des légions romaines campées sur les rives de la Seine et du Rhin, d’autres combattre les Turcs sur les bords du Danube et sur les côtes de Chypre et de l’Asie mineure ; et Marc-Antonio Colonna, général des galères du pape, eut une part essentielle à la victoire de Lépante, remportée le 7 octobre 15y 1 , par Don Juan d’Autriche sur les Musulmans. (1) Au milieu de cette série de pontifes également célébrés pour la décence de leurs mœurs, la sincérité de leur zèle religieux, et l’oubli de leurs intérêts personnels, Sixte V, successeur de Grégoire XIII, qui régna du 24 avril i385 au 20 août i5go, se fait remarquer par la vigueur de son caractère, la grandeur de ses entreprises, la splendeur des monumens dont il orna Rome, et les formes promptes, sévères et despotiques de son administration. 11 supprima le brigandage dans ses états, il y fit observer une police rigoureuse; il accumula, par des (0 Gio. Batt. Adriani, L. XXI, p. 1579-1589 .—Antonio Ciccarelli, Vita di Pio F, f. 299. — Gregorio Leti, Fita di Filippo II, T. Il, L. I, p. 37. —Jacq. Aug. de Thou, L. L , p. 456, T. IV. OU MOYEN AGE. 189 impôts très-onéreux, un trésor immense, et ch. cnm. il mérita, avec l’admiration, la haine de ses sujets ( 1 ). Urbain VII, Grégoire XIV, Innocent IX, qui n’occupèrent le souverain pontificat que quelques mois, avoient les mêmes vertus et les mêmes défauts qui signalèrent leurs prédécesseurs, depuis le concile de Trente. Clément VIII, qui fut élu le 3o janvier iôg 2 , prolongea son règne jusqu’au 3o mars i6o5. Nous en parlerons en traçant le précis des révolutions du siècle suivant. L’administration de tous les papes qui se succédèrent depuis l’ouverture du concile de Trente jusqu’à la fin du siècle, est souillée par les persécutions atroces qu’ils exercèrent contre les protestans d’Italie. Les abus de la cour de Rome étoient mieux connus dans cette contrée que dans aucune autre ; les lettres y avoient été cultivées plus tôt et avec plus de soin ; la philosophie y avoit fait de plus grands progrès, et au commencement du siècle, celte philosophie avoit abordé les matières religieuses elles-mêmes avec une grande indépendance. La réforme avoit gagné en Italie de nombreux partisans parmi les lettrés ; mais beaucoup moins dans la classe (1) Anton. Ciccarelli , T'ila di Sisto V, f. 3i2. —Jacq. Aug. de Thon , L. LXXXII, T. VI, p. 5o3. — Labbei Concil. gen., T. XV, p. 1190. J go HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES cir.cxxïit. pauvre et laborieuse, qui l’adopta, avec tant d’ardeur, en Allemagne et en France. Les papes réussirent à l’éteindre dans le sang : l’inquisition fut pendant tout le siècle, le chemin qui mena le plus sûrement au trône pontifical, (i) Les papes ne montrèrent pas moins leur cruel fanatisme dans la part qu’ils prirent aux guerres civiles et religieuses du reste de l’Europe. Pie V, pour récompenser le duc d’Albe de sa conduite atroce envers les Flamands, lui envoya, en i568, le chapeau et l’estoc garni de pierres précieuses, que ses prédécesseurs avoient quelquefois envoyé a de grands rois ( 2 ). Grégoire XIII avoit fait rendre grâces à Dieu du massacre de la Saint-Barthélemi (3). Ses successeurs refusèrent d’admettre les ambassadeurs de Henri IV, lorsqu’ils vinrent traiter de son abjuration, même après qu’il l’eût publiquement effectuée. Tous ces pontifes ne cessèrent de nourrir les guerres civiles de France , de Flandre, d’Allemagne, et les complots contre la reine d’Angleterre, en sorte que les calamités de la seconde moitié du seizième siècle, (1) Muratori Annali ad ann. 7Ü67, T. X, p. 438.— Gio. Batt. Adriani , L. XIX, p. 7348. (2) Bentivoglio, Guerradi Fiandra, P. I, L. V, p. 92, (3) Gio. Batt. Adriani, L. XXII, p. 4jÉ— H. Cath. Da- vila, Guerre civiii di Francia, L. Y, p. 273. — Jacq. Aug. de Thou. L. LUI, p. 63a, T. 1Y- DU MOYEN AGE. igi dans toute l’Europe, furent presque eoustam- oh. cum ment leur ouvrage. Les sujets des papes, pendant la seconde moitié du seizième siècle, ne furent pas plus heureux que ceux de l’Espagne : un gouvernement également absurde les opprimoit sans les protéger ; tandis que les impôts les plus onéreux, les monopoles les plus ruineux détrui- soient chez eux toute industrie : l’administration des subsistances, arbitraire et violente, en entravant le commerce des blés, causoit de fréquentes famines, toujours suivies de maladies contagieuses; celle de i5go à iogi enleva, dans Rome seule soixante mille habitans ; plusieurs châteaux et riches villages de l’Ombrie demeurèrent dès-lors absolument déserts (i). C’est ainsi que la désolation s’étendoit sur ces campagnes autrefois si fertiles, et que le mauvais air en faisoit la conquête : l’effet devenoit cause à son tour, et les hommes ne pouvoient plus vivre là où de tels fléaux avoient détruit leurs devanciers. Quoique l’état pontifical jouit d’une paix profonde , la force armée n’y étoit point suffisante pour protéger les citoyens, ni contre les incursions des Barbaresques, ni contre les ravages des brigands. Ceux-ci, devenus fiers de leur (i) Ciccarelli, Vita di Gregorio XIII , f. 336, 35y. 1 Q9. IirSTOïRE DES RÉPUR. ÏTAr.lKNNES ch. cxxiii. nombre, et se glorifiant de combattre le honteux gouvernement de leur patrie, en étoient arrivés à regarder leur métier comme le plus honorable de tous; le peuple même, qu’ils ran- çonnoient, applaudissoit à leur valeur, et con- sidéroit leurs bandes comme des pépinières de soldats. Les gentilshommes endettés, les fils de famille dérangés dans leurs affaires, se faisoient un honneur d’y avoir servi quelque temps ; et de grands seigneurs se mirent quelquefois à leur tête, pour soutenir une guerre réglée contre les troupes du pape. Alfonse Piccolo- mini, duc de Monte-Marciano, et Marco Sciarra, furent les plus habiles et les plus redoutables parmi ces chefs de brigands : le premier déso- loit la Romagne, le second l’Abruzze et la Campagne de Rome. Comme tout deux comman- doient à plusieurs milliers d’hommes, ils ne se contentoient pas de dévaliser les passans, ou de fournir des assassins à tous ceux qui vou- loient les payer pour des vengeances privées ; ils surprenoient les villages et les petites villes pour les piller, et ils forçoient les plus grandes à se racheter par d’énormes rançons, si leurs habitans vouloient éviter l’incendie de leurs maisons de campagne et de leurs moissons, (i) Cet état habituel de brigandage fut suspendu (1) Ciccarelli, Vita di Gregorio XIII, p. 3 oo. — Galuzzi, Ist. del gran Ducato, L. IV, T. III, p. 276 et seq. 1)U MOYEN AGE. I 9 3 durant le règne de Sixte V, qui, par la terreur C| n cxxm. de sa justice prévôtale, réussit à écarter de ses états le reste des bandits, après en avoir^ fait périr des milliers : mais les exécutions qu’il ordonna furent si rapides et si violentes, qu’un grand nombre d’innoeens furent enveloppés dans le supplice des coupables. D’ailleurs le brigandage recommença, sous le règne de ses successeurs, avec plus de fureur que jamais; les seigneurs de fiefs continuèrent à donner asile, dans leurs petites principautés, aux délinquans que poursuivoient les tribunaux, et à regarder cet asile comme le plus beau privilège des justices seigneuriales. Cet usage a subsisté jusqu’à nos jours; et souvent l’on a vu le seigneur associé secrètement aux profits du crime. Les habitudes nationales en sont demeurées perverties ; et aujourd’hui encore, dans la partie de l’état romain où toute population n’est pas détruite, dans la Sabine surtout, le paysan ne se fait aucun scrupule d’unir le métier d’assassin et de voleur de grand chemin à celui d’agriculteur. Nous avons déjà vu quels furent, dans ce siècle, le premier établissement et les progrès du duché de Parme et Plaisance, le plus grand des fiefs de l’Église. Celui de Ferrare, - qui lui étoit peu inférieur en étendue et en population, devoit éprouver un sort tout contraire dans les dernières années du siècle. tome xv i. IÇ)4 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES en. cxxiii. Alfonse I er d’Este, qui possédoit ce duché aussi-bien que ceux de Modène et de Reggio, pendant les règnes de Jules II, de Léon X et de Clément VII, mourut le 3i octobre i534, un mois après le dernier de ces pontifes, dont il avoit si cruellement éprouvé l’inimitié (i). Hercule II, qui lui succéda, sentit que l’Italie avoit perdu toute indépendance, et il ne se considéra plus que comme un lieutenant de Charles- Quint. Cependant sa femme étoit française et fille de Louis XII; sa fille épousa le duc d’Aumale , qui fut plus tard duc de Guise ; toutes ses affections l’attachoient à la France : aussi se confiant dans la force naturelle de son pays à moitié inondé, dans celle de sa capitale et dans le voisinage des Vénitiens qui favorisoient secrètement la France, il essaya, à deux reprises, de secouer un joug qu’il trouvoit trop pesant. Lorsque le duc Octave Farnèse fut obligé, en i55i , de se mettre sous la protection de Henri II, le duc de Ferrare ne cessa point de lui faire passer des munitions; et, sans en venir avec l’empereur à une brouillerie ouverte, il excita vivement son ressentiment ( 2 ). De nouveau lorsqu’au commencement du règne de (1) PauiiJovii, Pita Alfonsi, trad. p. 1 4 - 4 - (2) Gio. Batt, Adriani, L. Y 1 II, p. i 53 .—Jacq. Aug. de Thou, Histoire universelle , L. III, p. 680 , T. I. DU MOYEN AGE. iq5 Philippe II, Paul IV fit alliance contre ce monarque avec la France, Hercule II accepta en 1 556 les fonctions de général de l’armée de la ligue; et, avec sa petite armée, il livra quelques combats sur ses frontières au duc de Parme qui avoit alors embrassé le parti impérial. Philippe, après s’être réconcilié avec le pape, chargea les ducs de Florence et de Parme de punir Hercule II; et celui-ci, ayant éprouvé les ravages de leurs troupes, fut trop heureux d’acheter une paix humiliante avec l’Espagne le 22 avril i558. Il mourut le 3 octobre de l’année suivante, (i) Alfonse II, fils d’Hercule, celui même qui s’est acquis une triste célébrité par les persécutions exercées contre le Tasse , n’essaya jamais de secouer le joug de l’Espagne, ou de revendiquer une indépendance qu’il falloit bien regarder comme perdue. D’ailleurs son esprit petit et vaniteux n’étoit pas fait pour concevoir un projet qui demandât une vraie fierté. Il ne chercha d’autre illustration que celle que pouvoient lui procurer les fêtes de sa cour. Il épuisa, durant une profoude paix , les finances de ses trois duchés, pour ses divertissemens splendides, (i) Gio. Batt. Adriani, L. XIV, p. 989; !.. XVI, p. n 3 2. — De Thou , Histoire universelle, L. XX, p. 55 g j L. XXIII, p. 712. . cxxm 196 HISTOIRE DES ItéPUB. ITALIENNES en. cxxm. pour ses tournois et ses pompes de tout genre : il doubla toutes leurs impositions , et il réduisit leurs peuples au désespoir. Des disputes de préséance avec le souverain de la Toscane, des efforts dispendieux pour acheter les suffrages des Polonais, en i5^5, et obtenir la couronne de ce royaume, composèrent toute la carrière politique d’Alfonse IL Quoique marié trois fois , il n’eut d’enfans d’aucune de ses femmes ; et la ligne légitime de la maison d’Este finit en lui, le 27 octobre i 5 gj. (1) Mais Alphonse I er avoit eu sur la fin de sa vie un fils naturel de Laura Eustochia, qu’il avoit, disoit-on, épousée ensuite. Ce fils, nommé Alfonse comme lui, avoit été autorisé à porter le nom de la maison d’Este, et avoit été marié à Julie de La Bovère, fille du duc d’Urbin : il avoit eu d’elle un fils nommé don César, qu’Al- fonse II désigna pour être son héritier. Ce n’étoit pas la première fois que l’héritage de la maison d’Este passoit à des bâtards; et les papes n’avoient mis aucun obstacle à la succession de Lionnel et de Borso, au quinzième siècle. Quoique la maison d’Este reconnût quelle tenoit le duché de Ferrare comme vicariat de l’Eglise, depuis quatre (1) Gallu&zi, Istoria del grctn Ducato, T. Il, p. 38 o ; T. IV, p. 317. — Jacq. Aug. de Thou, Hïst. univ., L. CIX, p. i/ji , T. IX. DU MOYEN AGE. *97 cents ans elle eu étoit réellement souveraine, CH. CXXIIt. et les papes s’étoient contentés des vains honneurs de la suzeraineté, (x) Toutefois l’ambition que Jules II, Léon X et Clément VII avoient manifestée dans leurs guerres contre Ferrare, se réveilla dans le cœur de leur successeur à la mort d’Alfonse II. Clément VIII, connu aupai’avant sous le nom de cardinal Hippoljte Aldobrandin, étoit monté , le 3o janvier 1592, sur le trône pontifical. Dès qu’il apprit la mort d’Alfonse, il se hâta de déclarer tous les fiefs ecclésiastiques de la maison d’Este, dévolus au Saint-Siège, par l’extinction de la ligne légitime, et de faire marcher sur Fer- rare son neveu le cardinal Pierre Aldobrandin, à la tête d’une armée. Don César, qui n’avoit ni talens, ni vigueur de caractère, se laissa effrayer par l’approche des milices pontificales. Il n’essaya point de défendre un état qui présentoit de grandes ressources militaires; et il signa, le i3 janvier 1598, un honteux traité, par lequel il remettoit au Saint-Siège Ferrare et tous les fiefs ecclésiastiques qu’il possédoit, se réservant seulement les biens patrimoniaux de ses ancêtres. Il se retira ensuite dans les duchés de Mo- dène et de Reggio, dont la possession ne lui fut (1) Muratori Antichiià Kstensi, T. II .—Ejusdem Annali d’ilnhn , ad ann, 1 5 m. IÇ)8 HISTOIRE DES lïél'ÜR. IT ARIEWES ». cxxm point disputée par l’empereur Rodolphe 11, de qui ils releyoient. (i) Ferrare, en tombant sous la domination ecclésiastique, perdit son industrie, sa population et ses richesses. On ne retrouve plus dans cette ville, aujourd’hui déserte et ruinée, aucune image de cette cour si splendide, où les lettrés et les artistes étoient accueillis avec tant de faveur. Modène, au contraire, devenue le siège du gouvernement de la maison. d’Este , s’enrichit des ruines de sa voisine ; et elle prit un aspect d’élégance, d’industrie et d’activité qu’elle n’a- voit point connu dans les plus beaux temps dé ses premiers ducs. Les duchés d’Urbin et de Camérino étoient des fiefs du Saint-Siège beaucoup moins importais que ceux de Parme et de Ferrare ; mais la réputation militaire du duc François-Marie de La Rovère, et la protection des Vénitiens, dont il avoit long-temps commandé les armées, con- tribuoient à sa sûreté. En i534, il avoit fait épouser à Guid’Ubaldo, son fils, Julie, fille de Jean-Marie de Varano, dernier duc de Camérino , et il comptoit réunir ainsi ces deux petits étals ; mais Hercule de Varano réclamoit Camérino comme fief masculin, et ne se sentant pas (i) fUuratori Antichità F.slensi , T. 11, et Annàii d ltalia ad ann. i/|Ç)8 inilio. — Greg. I.eti, Vila di Filippo II, P. Il, L. XIX, p. 5a 9 . mr .moykn agi:. J 99 assez puissant pour faire valoir ses droits par Clf. CXX1IÏ. lui-même, il les vendit au pape Paul 111. Lorsque François-Marie de La Rovère mourut, le i cr octobre i538, son fils Guid’Ubaldo, qui lui succéda, consentit à acheter l’investiture d’Ur- bin, en rendant au pape le duché de Camérino qui fut inféodé de nouveau, d’abord aux Far- nèse, puis aux comtes del Monte, neveux de Jules III, et qui retourna enfin à la chambre apostolique, (i) Guid’Ubaldo II , qui gouverna le duché d’Ur- bin de i558 à 1574 , ne parcourut point une carrière aussi illustre que son père. Aucune guerre ne mit ses frontières en danger ; son pays montueux étoit peu exposé au passage des troupes. 11 n’avoit point de côtes que les Barba- resques pussent ravager : cependant la vanité et le luxe du prince étoient pour les peuples un fardeau presque aussi pesant que les guerres étrangères. Des impôts excessifs réduisirent les habitans à la dernière misère ; la famine et les maladies contagieuses en furent la conséquence. Des insurrections éclatèrent en 1 5y3 : Guid’Ubaldo les punit avec la plus excessive rigueur ; et un grand nombre de ses sujets périrent dans les supplices. L’année suivante, il mourut lui- même, et fut remplacé par son -fils, François- ( 1 ) Cio. Bail. Adrfani , L, N, p. i o3. — Lett. de' Principi, T. III;, f. 28 . 200 HISTOIRE DES IIEPIJB. ITAEIEPfNF.S en. cxxiii. Marie II, dout le règne est encore moins riche en événemens que le sien, (i) Les marquis de Montferrat et ceux de Mautoue avoient été comptés dans les siècles précédens parmi les princes indépendans de l’Italie. Fré- / déric II, duc de Mautoue, réunit l’héritage de ces deux dynasties, à l’époque où l’on voyoit finir toute indépendance italienne; mais il fut moins puissant après cette réunion que ne l’a- voient été ses ancêtres, lorsqu’ils n’étoient encore que marquis de Gonzague. Boniface , marquis de Montferrat, étoit mort d’une chute de cheval, en i53i , à la fleur de son âge. Il ne restoit plus de la noble famille Paléologue que son oncle Jean-George, qui déposa l’habit ecclésiastique pour lui succéder , et deux sœurs, dont le duc de Mantoue, Frédéric II, épousa l’aînée ( 2 ). A la mort de Jean- George, le 3o avril i533 , des commissaires impériaux s’emparèrent du Montferrat, en attendant que Charles-Quint eût décidé à qui devroit appartenir cet héritage. Il ne fut pas difficile au duc de Mantoue d’établir que le Montferrat étoit un fief féminin , et qu’il étoit entré dans la maison Paléologue par les femmes. Cependant ce ne fut que le 3 novembre i536 que l’empereur lui en adjugea la possession. Il renonçoit à peine ( 1 ) Muralori Annali d’italia ad ann. i5^4' (a) Pauli Jovii Uist., L. XXXYIII, p. 383. OU MOYEN AGE. 201 ainsi à le posséder lui-même. Les Gonzague qui se succédèrent pendant le reste du siècle, et qui obtinrent en i5y4 que le Montterrat fut érigé en duché, comme l’étoit déjà le Mantouan, gouvernèrent l’un et l’autre pays en lieutenans de la maison d’Autriche. Frédéric II mourut le 28- juin i5/jo. Ses deux fils régnèrent l’un et l’autre successivement après lui ; l’aîné , François III, se noya le 21 février 155o dans le lac de Mantoue ; le second mourut le 13 août 1587 , et eut pour successeur don Vincent , son fils unique. Toute l’histoire de ces princes ne contient autre chose que les réceptions somptueuses qu’ils firent aux souverains qui traversèrent leurs états, leurs propres voyages, et quelques subsides qu’ils donnèrent aux empereurs, pour faire la guerre aux Turcs. Nous avons vu, dans le chapitre précédent, quel fut, jusqu’au milieu du siècle, le gouvernement du duc de Florence. Cosme de Médicis, défiant, dissimulé et cruel, se maintenoit sur le trône en dépit de la nation entière qu’il gouvernoit. Moins libre , moins indépendant que les magistrats éphémères de la république qu’il avoit supprimée, il devoit recevoir les ordres, non-seulement de l’empereur et de Philippe II, mais encore de tous leurs généraux, et des gouverneurs de Naples et de Milan, qui . cxxm en. exxm. 202 HISTOIRE DES REPUB. ITAXIEîmES lui faisoient cruellement sentir l’insolence espagnole. Pour donner le change à l’ancien orgueil des citoyens florentins, il les avoit décorés de nouveaux titres de noblesse. Il avoit créé en 1 56o un ordre religieux et militaire sous l’invocation de saint Etienne. Les riches citoyens de Florence et du territoire toscan, séduits par l’espérance d’une vaine décoration, retirèrent leurs fonds du commerce, les employèrent en achats de terre, et les lièrent au soutien des dignités nouvelles qu’ils obtenoient pour leurs familles par des fidéi-commis, des substitutions perpétuelles et des commanderies. C’étoit le but de Cosme I er , qui croyoit plus facile d’exiler de Florence s&n ancien commerce que de courber l’esprit d’indépendance de ses riches marchands. (i) Il n’y avoit pas long - temps que Cosme I er étoit délivré de la crainte que lui avoit inspirée Pierre Strozzi , tué au siège de Thionville en i558, quand sa maison fut ensanglantée par des événemens tragiques qui demeurèrent couverts de ténèbres dont nous ne pouvons point percer l’obscurité. On assure que don Garcias , le troisième de ses fils , assassina don Giovanni, le second , qui étoit déjà décoré du chapeau de (i) Galluzzi, Storia del gran Ducanlo , T. II, p. iS '].— Cio. Eatt. Adriani , L. XVI, p. 1178. — Jacq. Aug.deThou, IJist. univers., L. XXXII, p. 269, T. TU. DU MOYEN AGE. üt>3 cardinal, et que Cosme vengea Giovanni, eu en. exxm poignardant Garcias dans les bras mêmes de sa mère, Eléonore de Tolède, qui en mourut de douleur (i). Quoique le duc eût cherché à dérober ces événemens à la connoissance du public, ils contribuèrent a lui inspirer le désir de se retirer de la scène plus active du monde, et à se décharger des soins principaux du gouvernement sur son fils aîné don François. Il exécuta cette résolution en 1 564- François, tout aussi perfide, tout aussi cruel que son père, mais bien plus dissolu, bien plus vaniteux, bien plus irascible que lui, n’avoit aucun des taiens par lesquels Cosme I er avoit fondé sa grandeur. Aussi fut-il, plus encore que lui, l’objet de la haine des peuples ; et cette haine n’étoit mêlée d’aucun sentiment de respect pour son habileté. Cosme avoit néanmoins réservé pour lui-même la direction suprême des affaires : il demeuroit seul chargé de toutes les relations diplomatiques ; et son attention continuelle à flatter le pape Pie V, à livrer à l’inquisition de Rome tous ceux de ses sujets que le pape suspectoit d’hérésie, et jusqu’à son propre confident Pierre Carnésecchi, lui gagna si bien l’affection de ce pontife, qu’il (1) Cronicn Mssia. del Setlimani ail’ anno 1 56 'J, presso An- guillesiNotizie dal palazzo di Pisa, p. 1 45 . — De Thon, Hist. univers., L. XXXII, p. 270. ch. cxxnr. 204 HISTOIRE DES RÉPIIB. ITALIENNES obtint de lui, eu i 56 q , le titre de grand-duc de Toscane, (i) La Toscane n’étoit point et n’avoit jamais été un fief de l’Eglise ; en sorte que le pape n’avoit aucune sorte de droit à changer le titre de son souverain. Aussi cette innovation excita-t-elle la colère de tous les ducs au-dessus desquels celui de Florence vouloit, s’élever, et de l’empereur, dont elle usurpoit les prérogatives. Cosme I er mourut le 21 avril 1574> avant d’avoir vu le terme des négociations par lesquelles il cherchoit à engager les divers souverains de l’Europe à recon- noître son nouveau titre (2). Mais don François, qui lui succéda, obtint, en i 5 jB, de l’empereur Maximilien II, que celui-ci lui conférât, le 2 novembre, le titre de grand-duc de Toscane, comme une grâce nouvelle, et sans faire aucune mention de la concession précédente du pape. (3) Une conjuration contre le grand-duc, qui fut découverte en 1578, et punie par un grand nombre de supplices, fut le dernier effort des amis de la liberté à Florence pour rejeter l’odieux (1) Gio. Batt. Adriani, L. XIX, p. i348; L. XX, p. i5o4- — Galïuzzi, Storia del gran Ducato , T. II, p. 3io et 348. (2) Gio. Batt. Adriani, L. XXII, p. 86. C’est la fin de son Histoire. — Galïuzzi, Storia del gran Ducato, L. III, c. VIII, p. 56, T. III. (3) Galïuzzi, Storia del gran Ducato, !.. IV, c. I, T. III, p. 166. DU MOYEN AGE. 205 gouvernement des Médicis ( 1 ). Ce gouverne- ch. cuur. ment étoit déjà établi depuis quarante-huit ans ; il avoit laissé mourir dans l’exil tous ceux qui avoient quelque élévation dans le caractère ; le commerce florentin étoit détruit ; les mœurs nationales étoient changées; l’éducation nouvelle avoit façonné les âmes au joug. Le grand-duc avoit chargé Curzio Picchéna , son secrétaire d’ambassade à Paris, de le délivrer des émigrés distingués qui restoient encore à la cour de Catherine de Médicis. Il lui fit passer des poisons subtils, dont Cosme I e ' avoit établi dans son palais une manufacture, qu’il pré- tendoit être un atelier de chimie pour ses expériences ; il lui envoya aussi des assassins italiens jugés supérieurs à tous les autres : quatre mille ducats de récompense furent promis pour chaque meurtre, outre le remboursement de tous les frais qu’il auroit occasionnés. Bernard Girolami fut, en 1678, la première victime de ce complot : sa mort alarma tous les autres émigrés florentins, qui se dispersèrent dans les provinces de France et d’Angleterre pour s’y mettre à couvert. Mais les sicaires de don François les poursuivirent partout ; et tous ceux qui avoient causé de l’inquiétude au grand-duc succombèrent. (2) (1) Muratori Annali d!Italia, adann. (2) Galluzzi, Stor. del gran Ducato, L. IV, c. III, T. III, p. 220. 206 HISTOIRE DES R1ÏPHB. ITALIENNES cb. cxxm. Don François vécut et mourut dans une dépendance absolue de Philippe IL Aussi parut-il aux yeux de ses sujets toujours appuyé par toute la puissance de l’Espagne; et quoiqu’il excitât, en 1579, un nouveau mépris par son mariage avec l’artificieuse et débauchée Bianca Capello ( 1 ), quoique sa famille présentât une scène sans cesse renouvelée d’assassinats, d’empoisonncmens, de crimes de tout genre, les Florentins ne firent plus d’efforts pour secouer son autorité : seulement ils ne dissimulèrent pas leur joie lorsque François mourut au Poggio-à-Caïano, lë 19 octobre 1587, empoisonné, ainsi que sa femme, dans un repas de réconciliation qu’il donnoit au cardinal Ferdinand de Médicis, son frère. (2) Ce Ferdinand, qui lui succéda, et qui déposa l’habit de prêtre pour se marier, releva le premier la nation toscane de l’oppression où elle avoit gémi soixante ans. Il avoit autant de ta- lens pour le gouvernement qu’on en peut avoir sans vertus, et autant de fierté qu’on en peut conserver sans noblesse d’aine. Il se proposa de secouer le joug de l’Espagne, qui avoit pesé si rudement sur ses deux prédécesseurs ; il voulut opposer de nouveau la France à la maison d’Au- (1) Anguillesi, Memorie del Poggio a Caiano, p. m, es- tratto da mssti. del Settimani .— Galluzzi, T- H et III. (2) Galluzzi, T. IV, p. 53 , L. IV, c. VIII.— Anguillesi , nolizia del Poggio a Caiano, p. 117. DIT MOYEN AGE. 207 triche, et il fut le premier des souverains ca- en. cran, tholiques à reconnoitre Henri IV, et à faire alliance avec lui. Ce fut aussi lui qui négocia sa réconciliation avec le pape, et qui obtint pour lui l’absolution. Mais le traité de Paris, du 37 février 1600, entre la France et le duc de Savoie, en ôtant à la première sa communication avec l’Italie par le marquisat de Saluces, fit retomber le grand-duc sous le joug de l’Espagne qu’il avoit voulu rejeter, (r) Telle fut en abrégé l’histoire, pendant ce siècle, de tous les princes souverains que comp- toit alors l’Italie. Celle des trois républiques qui conservoient toujours leur liberté fut moins riche encore en événemens. En Toscane, la république de Lucques étoit seule demeurée indépendante. A en juger par ses formes extérieures , elle continuoit à se gouverner démocratiquement. La souveraineté résidoit dans trois corps, qui dévoient donner leur assentiment à toutes les lois, savoir : la seigneurie, composée d’un gonfalonier et de neuf anziani, changés tous les deux mois ; le sénat des trente-six, qu’on renouveloit tous les six mois ; et le conseil général composé de quatre-vingt-dix membres , qui siégeoient une année (2). Mais comme les (1) Galluzzi, L. V, c. VI, VII, VIII, T. IV. (2) Dissertazione VHl >a , sopra la Storia Lucchese, T. II delle Memorie documenti sopra la Storia Lucchese, ao8 histoire des répub. italiennes ch. rxxm. magistrats qui étoient en place pendant l’année formoient eux-mêmes le corps électoral , par lequel les magistrats de l’année suivante étoient désignés, les mêmes hommes trouvoient moyen d’occuper toujours les emplois, en échangeant seulement entre eux leurs fonctions, parce que la loi ne leur permettoit pas d’être réélus sans intervalle. Aussi les émigrés florentins , qui se trouvoient en grand nombre à Luc- ques, reprochoient - ils aux Lucquois d’avoir abandonné leur république à une étroite oligarchie , qu’ils appeloient par dérision les seigneurs du petit cercle ( i signori del cerchio- lino). (i) Des règlemens oppressifs portés en faveur des chèfs d’atelier, contre les artisans, et surtout contre les tisserands de soie, donnèrent lieu, le i er mai i53i, à une insurrection, qui força la seigneurie à composer avec le peuple, et à augmenter d’un tiers le nombre des conseillers , pour accorder ces places à des hommes nouveaux : mais, avant la fin de l’année, la seigneurie se fit autoriser à prendre une garde de cent soldats étrangers pour défendre le palais public ; et avec leur aide et celle de la milice des campagnes , elle rétablit l’ancien système, le 9 avril i53a , et elle annula toutes ( 1 ) Beverini Annales Lucenses manuscr., L. XIV. — JJis- sertazione otlava sopra la Storia Lacchese, T- II, p. a5a. nU MOYEN AGE. ÏO9 les lois faites en faveur des classes inférieures. (1) «»• «cxm Cependant ce 11e fut qu’après la capitulation de Sienne, et lorsque la liberté étoit déjà exilée de tout le reste de la Toscane, que le gon- falonier Martin Bernardino proposa et fît passer, le 9 décembre i 556 , la loi que les Luc- quois considèrent comme ayant fondé leur aris- tocratie, et comme équivalant au serrar del consiglio de Venise : ils la nomment legge Mar- tiniana , du nom de son auteur. Celui-ci, qui vouloit restreindre la souveraineté à un petit nombre de familles, ménageoit encore néanmoins l’opinion publique, et n’avoit point exprimé tout ce qu’il vouloit statuer en effet. La loi martiniana porte seulement que tout fils ou d’étranger ou de campagnard, doit demeurer exclu à perpétuité de toutes les magistratures. De cette manière indirecte, le corps aristocratique, qui étoit déjà réduit à un fort petit nombre de familles, s’assura qu’il ne seroit jamais renouvelé : car tous les nouveaux Candidats qu’on auroit pu y introduire, ne pou- voient être que des étrangers naturalisés, ou des sujets de l’état anoblis. La souveraineté fut dès-lors transmise par droit héréditaire à un nombre toujours plus restreint de familles ( 1 ) A. N- Cianelli, Dissertaùone ottava sopra la Storia ÏMechese, p. >68. TOME XVI. 14 I 210 HISTOIRE DES R^PUE. ITALIENNES ch. cxiin. nobles (i). En effet, il paroît qu’en l’an 1600 l’aristocratie lucquoise ne comptoit plus que cent soixante-huit familles; et en 1797, lors des derniers comices tenus pour l’élection des magistratures, elle étoit réduite à quatre-vingt- huit familles, qui ne fournissoient plus un nombre suffisant de sujets pour tous les emplois de l’état. (2) La constitution que s’étoit donnée la république de Gènes, lorsqu’André Doria la remit en liberté, avoit rempli de reconnoissance tous ses concitoyens, parce qu’elle appeloit le plus grand nombre d’entre eux au gouvernement, au moment où ils avoient pu craindre que la souveraineté ne fût usurpée par un seul ; cependant cette constitution étoit purement aristocratique ; et, par sa nature même, le cercle des dépositaires du pouvoir devoit se resserrer toujours plus. La dépendance absolue où la famille des Doria et la république s’étoient placées vis-à-vis des Espagnols, devoit encore favoriser l’oligarchie par tous les préjugés nobiliaires que nourrissoit l’orgueil de Philippe II et de sa cour. ( 3 ) Depuis qu’André Doria, parvenu à une (1) Beverini Annales Lucenses, Lib. XV. — Dissertazione nona sopra la Storia Lucchese, T. II, p. 27t. (2) Dissertaz. nona sopra la Storia Lucchese, T. II, p. 3 o 1. ( 3 ) überto Foliota délia republica di Genova Dialoghi .— Fil- Casoni Ann. di Gen ., L. V, p. 157. DU MOYEN AGE. 21 I grande vieillesse, ne sortoit presque plus de sa C h. cxxm maison, où il e'toit retenu par la goutte, son neveu Giannettino avoit pris le commandement de ses galères : comme lui il e'toit honoré de la faveur de l’empereur, et il tenoit le premier rang dans la république ; mais il s’étoit attribué bien plus de pouvoir que n’en avoit eu son oncle, et il l’exerçoit avec plus d’orgueil. Le peuple, affligé d’avoir perdu toute part à l’administration de la république, et la haute noblesse, jalouse du crédit de Doria, se livroient tous les jours davantage à leur mécontentement. Jean-Louis de Fieschi, comte de Lavagne et seigneur de Pontrémoli, écoutant l’antique animosité de sa famille contre les Doria, et blessé dans son orgueil par Giannettino, projeta de soustraire sa patrie en même temps à l’autorité de l’aristocratie, à celle des Doria et à celle d’Espagne. Il s’assura des secours de Pierre- Louis Farnèse, nouveau duc de Parme et de Plaisance, et de ceux de la France; il engagea dans ses intérêts plusieurs citoyens attachés à l’ancien parti populaire, et le reste de la faction des Frégosi; enfin, il fit venir de ses fiefs plusieurs de ses vassaux, et environ deux cents soldats affidés, sous prétexte d’armer quatre galères à lui, pour aller en course contre les Barbaresques. (i) (i) Gio. Batt. Adriani, L. VI, p. 369. —Bernardo Segrti , L.XII, p. 3 t 6 . 2 12 HISTOIRE DES REPUE. ITALIENNES ch. coin. Jean-Louis de Fieschi avoit convié un grand nombre de jeunes gens, de ceux qu’il croyoit les plus mécontens, à un repas qu’il donna le 2 janvier 1 547 > et lorsqu’il les eut tous rassemblés chez lui, que les portes furent fermées et gardées par des hommes à lui, il leur communiqua tout le plan de sa conspiration, et leur ( demanda de le seconder et de le suivre, s’ils vouloient sauver leur vie. La plupart, effrayés de ses menaces, plus encore qu’entraînés par leurs passions, en prirent l’engagement. Jean- Louis de Fieschi partagea alors sa troupe entre ses frères et lui, afin d’attaquer en même temps le port où Doria tenoit ses galères, la porte de Bisagno, et celle qui menoit au palais où les deux Doria vivoient hors de la ville : la nuit étoit déjà fort avancée lorsque les combats commencèrent partout à-la-fois. Giannettino Doria, averti du tumulte qu’on venoit d’exciter, fut tué à la porte de la ville, comme il accouroit pour le calmer : André Doria, croyant alors la ville et ses galères perdues, s’enfuit jusqu’à Sestri. Partout, en effet, la conjuration avoit réussi : la flotte, où l’on comptoit quarante- quatre galères, étoit déjà au pouvoir des insurgés; les portes de la ville avoient été surprises. Mais on cherchoit vainement Jean-Louis de Fieschi, pour marcher au palais, en chasser la garde de la seigneurie, et changer le gouvernement : en voulant passer sur la galère-capi- DU MOYEN AGE. 2 I 3 tane, au moment où celle-ci s’éloignoit du eu. axm rivage, il étoit tombé dans la mer avec le pont qui y conduisoit, et le poids de ses armes l’avoit empêché de se sauver à la nage. Ses partisans, perdant courage aussitôt qu’ils apprirent son sort, n’osèrent point marcher au palais : déjà vainqueurs, ils traitèrent en vaincus avec la seigneurie; ils offrirent de rendre les portes moyennant une amnistie entière : elle leur fut accordée et solennellement jurée, et les Fieschi se retirèrent à Montoglio (i). Mais un gouvernement qui obéissoit à l’influence espagnole, ne croyoit jamais être obligé à tenir ses enga- gemens : les vengeances du vieux André Doria furent cruelles ; et elles n’eurent de terme qu’avec sa vie, qui se prolongea jusqu’à quatre- vingt-quatorze ans, et finit le novembre 1 56o. ( 2 ) Pendant le reste du siècle, les Génois, toujours soumis aux Espagnols, perdirent en 1 566 File de Scio, conquise par Soliman sur les Giustiniani, leurs concitoyens, qui s’en étoient arrogé la souveraineté. Ils furent aussi sur le point de perdre File de Corse, qui, après avoir (1) Gio. Batl. Adriani , L. VI, p. 569-075. — Bern. Segni , L. XII, p. 3 i 6 .—DeThou, Hist. univ., L. III, p. 203-217. — Fil. Casoni Ann. di G en., L. V, p. 167. (2) Gîo. Bail. Adriani, Lii>. XVI, p. 1177. — Fil. Casoni Ann. di Genovct, I, VI , p. 1 44 • / 214 HISTOIRE DES HÉPUB. ITALIENNES en. cxxm. été envahie par les Français en i553 ( 1 ), se souleva en i564, et continua à repousser de toutes ses forces le joug oppressif de la république, jusqu’en i568, quelle fut soumise de nouveau ( 2 ). La paix ne régnoit point non plus dans les murs de Gènes. Depuis la conjuration de Fieschi, les membres les plus riches et les plus puissans de l’aristocratie, craignant de se voir enlever le gouvernement par la haine populaire, avoient songé à rebâtir une citadelle à la Lanterne, et ils vouloient y introduire une garnison espagnole, pour contenir la ville et affermir leur autorité. Ce projet devoit s’exécuter en i548, au passage de don Philippe, prince d’Espagne à Gènes ; et don Fernand de Gonzague , gouverneur du Milanez, devoit le seconder avec toutes ses forces. Mais, malgré leur obéissance, les Génois détestoient les Espagnols; ils sollicitèrent André Doria de s’opposer à ce projet honteux, auquel l’esprit de vengeance l’avoit d’abord fait consentir; ils lui recommandèrent la liberté de la république, dont il étoit le second fondateur, et ils obtinrent l’assurance que le prince d’Espagne ni ses troupes ne se- roient point admis dans la ville. (3) (1) Gio. Balt. Adricmi, L. X, p. 658. (2) Idem, L. XVIII, p. 127g et seq .—Filippo Casoni Ann. di Genova, L. VII, p. 21g et seq. (3) Gio. Balt. Adriani, L. VII, p. 4^7.— Fil. Casoni Ann. di Genova, L. V, p. ao3. DU MOYEN AGE. 2l5 De nouvelles dissensions éclatèrent, dans la CH - c * x seconde moitié du siècle, entre l’ancienne et la nouvelle noblesse, dont les droits étoient mal définis, et elles allèrent même assez loin pour faire concevoir à don Juan d’Autriche le projet de s’emparer de Gènes, lorsqu’il passa devant cette ville en i 5 yi, avec la flotte qui remporta ensuite la victoire de Lépante (i). Le pape Grégoire XIII prit dans cette occasion la république sous sa protection ; et contribua puissamment à en réconcilier les factions. Il obtint de celles-ci, en 157 5 , qu’elles remissent leurs intérêts à trois médiateurs; savoir, lui-même, l’empereur et le roi d’Espagne. Les trois cours modifièrent la constitution de la république, et détruisirent en partie l’ouvrage qui avoit été fait au temps d’André Doria. Leur nouvelle loi publiée le 17 mars 1576, augmenta les privilèges des nouveaux nobles; mais ce fut toujours comme nobles : les droits des citoyens furent laissés en oubli, et la liberté ne fut guère moins exilée de cette république, qu’elle l’étoit des prin- dpautés absolues. (2) La liberté n’étoit pas mieux connue à Venise, 1) Gio. Batt. Adriani, L. XXI, p. i 56 g.— Filippo Casoni, T.IV, L. VIII, p. 5 . (!) Grœvii Thésaurus Ber. liai. , T. I, P. II, p. 1471 — Ciccarelli , Fila del papa Gregorio XIII , f. 3 o 4 - — Fil. Casoni Annali di Genova, T, IV, L. VIII, p. 72. CH» CXXIII. 2 l 6 HISTOIRE DES RÉPIIB. ITALIENNES qui, depuis qu’elle avoit épuisé ses forces pour résister à la ligue de Cambrai, paroissoit chercher l’obscurité, s’efforcer de s’ensevelir dans le silence, se défier également de ses citoyens, de ses alliés, de ses ennemis, et, en alléguant les dangers qui la pressoient tour-à-tour du côté de la Turquie et du côté de l’Autriche, éviter de jouer aucun rôle par elle-même. Deux guerres cruelles avec les Turcs, privèrent en effet, dans ce siècle, la république de plusieurs t de ses plus beaux établissemens dans le Levant. L’une commença en i 537, par la dévastation de Corfou, et finit, le 20 octobre i 54 o, par la cession que la république fît à Soliman, de toutes les îles de l’Archipel déjà conquises par les Turcs, et des villes fortes de Napoli et de Malvagi a ou Epidaure, qu’elle possédoit encore dans le Péloponnèse (1). L’autre fut entreprise par les Turcs en 1670, pour conquérir l’île de Chypre. Cette île, défendue par des prodiges de valeur, et avec des sacrifices immenses d’hommes et d’argent, fut enfin perdue par les Vénitiens, et abandonnée à la paix qu’ils signèrent a» mois de mars 1 5 y 3 . (2) Cependant la crainte des Turcs, qui daas (1) Paolo Paruta, Ist. Vend a , L. X, p. 726. — Pauli Jcvii Hist., L. XXXYI, p. 333; et L. XXXIX, p. 417. — Lauger, Histoire de Venise, T. IX, L. XXXVI, p. 480-577. — Vetor A'andi , Storia civile Veneta, P. III, L. X, c. VI, p. 625. (a) Lcttere cle Principi , T, III, f. 243 et seq. — De Thon , DU MOYEN AGE. 217 toutes leurs guerres avoient eu des succès cou- en. exxm. stans contre la république, forçoit celle-ci à s’attacher à l’alliance de la maison d’Autriche. Entourée des possessions de cette maison, obligée de recourir à elle contre un ennemi plus redoutable encore , elle n’osoit prétendre à une entière indépendance. Tant que les deux monarchies des Turcs et des Espagnols conservèrent toute leur vigueur, les Vénitiens furent trop heureux d’échapper au danger par l’obscurité, et d’éviter toute action qui pût attirer sur eux les regards de l’Europe. Telles furent pour chacun des états de l’Italie, les révolutions qu’amena le seizième siècle. Le nom de ce siècle rappelle d’abord une période de gloire, parce que ses premières années furent illustrées par les plus beaux génies que l’Italie eût produits dans les lettres et dans les arts. Au milieu d’effroyables calamités, l’espérance alors n’étoit point encore perdue, et elle soutenoit le talent de ceux qui étoient nés, ou qui s’étoient formés dans des temps plus heureux. Tous les grands hommes dont lTtalie se glorifie, appartiennent à cette première moitié du seizième siècle, où elle se sentoit encore libre. Le Tasse seul est plus récent qu’eux tous; Hist. univers., L. XLIX, p. 4 12 et suiv. — Laugier, Hist. de Venise, L. XXXVIII, T. X, p. i 83 etsui v. — Vettor Sandi, P. III, L. X, c. XI, p. 667-698. 21 8 HISTOIRE DES RÉPUE. ITALIENNES ch. cïxiii. il ne publia son poème qu’en i58i , et déjà il se trouvoit isolé, comme un représentant des anciens temps, au milieu d’une génération déchue. Le génie disparut avec lui de la terre d’où la liberté avoit été chassée ; et la fin du seizième siècle, celui de tous où la race humaine fut frappée en Italie des plus épouvantables malheurs, ne doit être rappelée qu’avec l’effroi qu’inspirent le crime, la souffrance, et la dégradation de nos semblables. * DU MOYEN AGE. 219 CHAPITRE CXXIY. Révolutions des différens états de F Italie pendant le cours du dix-septième siècle. 1601—1700. Tandis que chez les autres peuples civilisés ch. cxxiv les derniers siècles ont développé tant d’intérêts nouveaux, tant de sentimens et de passions nouvelles, qu’on ne sauroit renfermer leur histoire dans le cercle étroit qui suffisoit aux siècles précédens, l’histoire de l’Italie au contraire devient plus stérile, à mesure que nous nous rapprochons davantage de notre temps. Mais toutes les autres nations arrivoient lentement à l’existence, tandis que la nation italienne perdoit la sienne. Après même que la dernière lutte pour l’indépendance fut terminée, il fallut encore quelque temps pour désabuser les hommes des rêves de leur ambition, pour les convaincre qu’il n’y avoit plus à espérer pour eux ni liberté, ni grandeur, ni gloire; plusieurs pères avoient communiqué à leurs fils les sentimens dont ils s’étoient nourris dans des temps plus heureux ; plusieurs caractères avoient été retrempés par l’exil, la persécution, les souf- 220 HISTOIRE DES RÉPU B. ITAL1EHJNES eu. exxiv. frances de la guerre, et toutes les calamités du commencement du seizième siècle : plusieurs hommes énergiques ayant pris une fausse direction, "et ayant s servi ^l’ennemi commun, avoient été ménagés "par’ ceux mêmes qui opprimoient tous les “autres, mais qui avoient besoin de se réserver quelques instrumens assez forts pour maîtriser le pays. Plusieurs autres, sans avoir de but, sans avoir d’espérance, s’agitoient encore par l’habitude des révolutions, de même que la matière brute conserve le mouvement par la force d’inertie, une fois qu’elle l’a reçu. Ainsi tout le seizième siècle eut encore une apparence de vie ; et c’est sans doute poui’quoi il participa tout entier à la gloire que lui assurèrent les poètes , les littérateurs , les artistes , qu; fleurirent surtout à son commencement. Le dix-septième, au contraire, est une époque de mort complète ; autant l’histoire littéraire le représenteS'comme abandonné au plus mauvais goût, à la fadeur, à la langueur, et à la stérilité, autant l’histoire politique nous le montre dépourvu de toute action comme de toute vertu, de tout caractère élevé comme de toute révolution importante. Plus on avance, plus on demeure convaincu que l’histoire, non point des républiques seulement , mais de la nation italienne elle-même, a fini avec l’année i53o. Mais on seroit dans une grande erreur, si DU MOYEN AGE. 2a I observant que l’histoire ne s’occupe guère que ch. cxxiv. des malheurs des hommes, on jugeoit que les temps sur lesquels elle est silencieuse, ont été moins malheureux. Toutes les calamités ne sont point historiques; il leur faut un certain degré de grandeur et de noblesse, pour qu’elles puissent fixer notre attention , et se graver dans notre souvenir. Il faut aussi, pour que les contemporains eux - mêmes nous en ti’ansmettent le détail, qu’elles associent les individus dans une souffrance commune, que la cause et l’effet soient liés aux yeux les moins clairvoyans. Les malheurs du dix-septième siècle étoient d’une autre nature, ils étoient silencieux, ils ne sem- bloient point tenir à la politique, chacun souf- froit , mais chacun souffrait dans sa famille , comme homme et non comme citoyen. Ses relations privées étoient empoisonnées, ses espérances étoient détruites , sa fortune dimi- nuoit ; tandis que ses besoins s’accroissoient chaque jour : sa conscience, au lieu de le soutenir dans l’épreuve, l’accusoit comme coupable ; et la honte se joignant à la douleur, il s’efforçoit encore de cacher ses chagrins aux yeux du monde, et d’en dérober le souvenir à la postérité. , Ainsi l’on n’a point songé à compter parmi les malheurs publics, de l’Italie, la cause peut- être la plus universelle des souffrances privées CH. CXXIV. 222 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES de toutes les familles italiennes, l’atteinte portée au lien sacré du mariage, par un autre lien avoué, considéré comme honorable, et que les étrangers voient toujours en Italie avec une égale surprise, sans pouvoir le comprendre, celui des cicisbei ou cavalieri serventi. Cette mode funeste ayant une fois été introduite au dix- septième siècle, par l’exemple des cours, et étant mise sous la protection de toutes les vanités, la paix des familles fut bannie de toute l’Italie : aucun mari ne regarda plus sa femme comme une compagne fidèle, associée à toute son existence; aucun ne trouva plus en elle un conseil dans le doute, un soutien dans l’adversité, un sauveur dans le danger, un consolateur dans le désespoir; aucun père n’osa s’assurer que les enfans qui portoient son nom étoient à lui ; aucun ne se sentit lié à eux par la nature; et l’orgueil de conserver sa maison, mis à la place du plus doux et du plus noble des senti- mens, empoisonna tous les rapports domestiques. Combien ils furent criminels envers l’humanité ces princes qui réussirent à empêcher que leurs sujets connussent aucun des doux sen- timens d’époux, de pères, de frères et de fils ! Quoique l’insjitution de tous les ridicules devoirs des sigisbés fût peut-être le moyen le plus efficace pour calmer des esprits inquiets, tout récemment asservis, d’amollir des courages trop DU MOYEN AGE. t23 mâles, d’efféminer des nobles et des citoyens ch.cxxiv trop impatiens du joug, en leur faisant oublier ce qu’ils avoient perdu, ce qu’ils ne dévoient plus rechercher; peut-être est-ce faire trop d’honneur à l’intelligence de ceux qui changèrent les mœurs de l’Italie, que de supposer qu’ils prévirent toutes les conséquences des modes nouvelles qu’ils introduisirent. Cependant l’instinct du crime mène souvent aussi directement au but que le calcul. L’habitude du travail avoit été jusqu’au milieu du seizième siècle la qualité distinctive des Italiens : le premier rang à Florence, à Venise, à Gènes, étoit occupé par des marchands; et les familles décorées de toutes les dignités de l’État, de l’Église, ou de l’armée, ne renonçoient point pour cela au commerce. Philippe Strozzi, le beau-frère de Léon X, le père du maréchal Strozzi et du grand-prieur de Capoue, l’ami de plusieurs souverains, et le premier citoyen de l’Italie, étoit, jusqu’à la fin de sa vie, demeuré chef d’une maison de banque. Il eut sept fils; mais, malgré son immense fortune, il n’en avoit destiné aucun à l’oisiveté. Les princes voulurent faire succéder à cette activité redoutable, ce qu’ils nommèrent un noble loisir; les armes castillanes inondoient l’Italie, et ils appelèrent à leur aide les préjugés castillans, qui couvroient d’un mépris profond toute 224 HISTOIRE UES RÉPUB. ITALIENNES ch. cxxiv. espèce de travail. Ils engagèrent tous leurs courtisans à changer toutes leurs fortunes en fonds de terre, à les substituer à perpétuité à l’aîné de leur famille, sacrifiant ainsi à leur orgueil les plus jeunes frères et les femmes; et ils condamnèrent à une constante fainéantise, tous les fils aînés par hauteur, tous les fils cadets par impuissance. Ce fut pour remplir les loisirs de tout ce qui étoit courtisan, de tout ce qui fut décoré de titres de noblesse; pour offrir en même temps une compensation à cette foule de cadets déshérités de toute espérance j et exclus pour jamais du mariage, qu’on inventa les droits et les devoirs bizarres des siglsbés, ou chevaliers ser- vans. On les fonda tout entiers sur deux lois que s’imposa le beau monde : aucune femme ne put plus avec décence paroître seule en public ; aucun mari ne put sans se donner un ridicule accompagner sa femme. L’exemple des débordemens des grands contribua sans doute beaucoup à corrompre le peuple ; celui de l’impudique Bianca Capello, ou de tous les princes et princesses de la maison de Gonzague, pendant le dix-septième siècle, ne pouvoit pas rester sans influence : mais quoique les mœurs des cours fussent plus relâchées, on avoit connu aussi l’intrigue et la galantei'ie dès le temps des républiques, et ce J)U MOYEU AGE. 225 désordre ne suffisoit pas seul pour détruire le ch. cxxiv caractère national. Ce qui distingue le dix-septième siècle, c’est la naissance d’un préjugé antisocial , plus funeste que le libertinage, d’après lequel on faisoit parade de ce qu’on avoit caché autrefois. Ce ne fut pas parce que quelques femmes eurent des amans, mais parce qu’aucune femme ne put paroître en public sans son amant, que les Italiens cessèrent d’être des hommes. Tandis que tous les liens de famille furent brisés, au dix-septième siècle, par ces mœurs nouvelles, qui, regardées dans les cours comme seules conformes à l’élégance, ne tardèrent pas à être imitées par la masse entière du peuple, le commerce fut frappé d’un coup mortel par la retraite subite des hommes industrieux et des capitaux. Sa ruine fut complétée par les monopoles, et par les impôts absurdes sur chaque vente de tous les objets commerciables qu’établirent les Espagnols, dans toutes les provinces qui dépendoient d’eux- Cependant le faste augmen- toit à mesure que les ressources diminuoient : autant dans les anciennes mœurs on avoit attaché de mérite à l’ordre et à l’économie, autant dans l’opinion des cours le rang fut fixé par la splendeur et le luxe. Les Italiens apprirent dans ce siècle, et ce fut encore des Espagnols qu’ils reçurent cette leçon, l’art de retrancher sur les besoins les plus pressans, pour donner davan- tome xvi. i5 22Ô HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES en. cxxiv. tage à l’apparence; de supprimer toute l’aisance qui ne se voit pas, pour augmenter le faste qui frappe les yeux du public. La considération se mesura sur la dépense, et l’on fit un mérite au chef de famille, de tout ce qu’il donnoit à sa vanité et à ses plaisirs. Dans le temps des républiques, les citoyens ne recherchant d’autre décoration que les suffrages de leurs concitoyens, craignoient d’exciter leur jalousie par des distinctions ambitieuses. Ils ne recevoient et ne donnoient aucun titre ; ils ne torturaient point leur langage pour employer des formules plus obséquieuses. Les nouvelles cours substituèrent en toute chose la vanité à l’orgueil national. Des questions de préséance occupèrent toute leur politique. La rivalité entre la maison d’Este et la maison de Médicis, entre celle-ci et la maison de Savoie, n’avoit d’autre cause que la prétention de chacune d’avoir le pas sur l’autre, dans les cérémonies où leurs ambassadeurs se rencontraient. Les souverains s’arrogeoient successivement de nouveaux titres, en même temps qu’ils en dis— tribuoient aussi de nouveaux à toute leur cour. Tandis qu’ils passoient eux-mêmes par toutes les gradations, d’illustrissimes, d’excellences, de magnificences, d’altesses, d’altesses sérénis- simes, d’altesses royales, ils créoient pour leurs sujets des patentes sans nombre de marquis, de DU MOYEN AGE. 227 comtes, de chevaliers ; et ils leur abandonnoient CH. CXXIV. successivement la qualification qu’ils avoient portée, et qu’ils commençoient à dédaigner. Ces décorations descendoient toujours plus bas dans la foule : on n’éCrivoit plus, il y a trente ans, à son cordonnier, sans l’appeler molto illustre : mais, en multipliant les titres, on n’avoit multiplié que les mécontentemens et les mortifications ; chacun, au lieu de ce qu’on lui accor- doit, ne voyoit que ce qu’on lui refusoit, et il n’y avoit si mince gentilhomme, si petit officier de milice qui ne se regardât comme blessé mortellement lorsqu’on l’appeloit, par erreur, très- célèbre et très-excellent ( chiarissimo ed eccellen- tissimo ), tandis qu’il prétendoit à l’illustrissime. Les lois, les mœurs, l’exemple, la religion même, telle quelle étoit pratiquée, tendoient à substituer en toute chose l’égoïsme à tout mobile plus noble. Mais tandis qu’on forçoit les hommes à tout rapporter à eux-mêmes, on les privoit en même temps de toutes les jouissances qu’ils auroient pu trouver en eux-mêmes. Le père de famille, marié à une femme qu’il n’avoit point choisie, qu’il n’aimoit point, dont il n’étoit point aimé ; entouré d’enfans dont il ne savoit point s’il étoit père, dont il ne suivoit point l’éducation, dont il n’obtenoit point l’amour, gêné sans cesse dans sa famille par la 228 HISTOIRE DES REPUB. ITALIENNES ch. cxxiv. présence de l’ami de sa femme, séparé d’une partie de ses frères et de ses sœurs , qu’on avoit enfermés de bonne heure dans des couvens; fatigué de l’inutilité des autres, auxquels, pour tout établissement, il étoit obligé de donner toujours un couvert à sa table, n’étoit regardé par eux tous que comme l’administrateur du patrimoine de la famille. Il étoit seul responsable de son économie, tandis que tous les autres, frères, sœurs, femme et enfans, étoient entrés dans une ligue secrète, pour détourner à leur profit le plus qu’ils pourroient du revenu commun, pour jouir, pour se mettre eux-mêmes dans l’aisance, sans se soucier de la gêne où pou- voit se trouver leur chef. Ce chef de famille n’étoit plus le vrai propriétaire du bien patrimonial ; il n’avoit plus aucun moyen, de l’accroître, tandis que les impôts, les désastres publics et l’augmentation du luxe le diminuoient sans cesse. Le bien qu’il tenoit de ses ancêtres étoit tout entier substitué à perpétuité. Il n’appartenoit point à la génération vivante, mais à celle qui étoit encore à naître. Le père de famille ne pouvoit ni hypothéquer, ni échanger, ni vendre : si quelque imprudence de jeunesse lui avoit fait contracter une dette, ses revenus seuls étoient saisis pour l’acquitter ; et pendant ce temps, il devoit, pour vivre, en contracter une nouvelle. L’obligation que son DU MOYEN AGE. 229 ancêtre lui avoit imposée pour conserver sa for- en. exxiv. tune, l’empêchoit de la réparer jamais. Pour chaque besoin imprévu, il prenoit sur le fonds destiné à la culture, le seul qui fut à sa disposi- > tion, et le seul qui auroit dû demeurer sacré. Il ruinoit ses terres, parce qu’il n’avoit pas droit de les vendre, et de nombreuses familles de métayers étoient victimes avec lui de son inconsidération, de celle de ses proches, ou du malheur fortuit qui avoit dérangé sa fortune. S’il recherchoit des honneurs, pour se dérober aux chagrins que lui causoit son intérieur, il étoit mortifié à toute heure, par toutes les vanités jalouses de la sienne ; s’il vouloit suivre une carrière publique, il ne pouvoit y réussir que par les arts de l’intrigue, par l’adulation et la bassesse ; s’il avoit des procès, son bon droit étoit compromis par les lenteurs interminables de la chicane, ou sacrifié par la vénalité de ses juges; s’il avoit des ennemis, ses biens, sa liberté, sa vie, étoient à la merci de délateurs secrets et de tribunaux arbitraires. N’aimant rien que lui-même, il ne trouvoit en lui-même que peines et que soucis. Pour s’étourdir sur ses chagrins, il étoit forcé en quelque sorte à suivre la pente universelle de sa nation vers les plaisirs des sens; il s’y abandonnoit, et dans leur ivresse , il se préparoit encore de nouveaux soucis et de nouveaux remords. 2 3o histoire des répub. italiennes ch. cxxiv. Telle étoit, au dix-septième siècle, la situation de la presque universalité des sujets italiens ; et c’est ainsi qu’au milieu des fêtes et des gaîtés de la vie, le malheur les atteignoit de partout, sans laisser aucune trace dans l’histoire. Quant aux événemens du siècle qui appartiennent davantage à l’historien , si on compare cette période à celle qui l’avoit précédée, on y trouvera peut-être moins de calamités générales mais plus d’humiliation; moins de ces souffrances violentes et rapides qui semblent épuiser les forces de la nature humaine , mais autant de misère, et plus de dégradation encore. Charles-Quint avoit annexé l’ïtalie à la monarchie espagnole. Philippe II, pendant son long règne, l’avoit maintenue dans une étroite dépendance ; et quoique tous les états qui lui étoient soumis eussent commencé à déchoir dès le moment où ils passèrent sous sa domination, la monarchie espagnole paroissoit encore, sous lui, réparer par des conquêtes au-dehors ce qu’elle perdoit de forces intérieures. En vain l’oppression avoit poussé à la révolte les Maures de Grenade et les Hollandais dans les Pays-Bas, en vain l’Océan avoit englouti les flottes formidables de Philippe , et la France et la Hollande étoient arrosées du sang de ses soldats ; en vain le désordre toujours croissant de ses finances l’avoit réduit à faire une banqueroute ignomi- DU MOYEN AGE. 231 nieuse, il étoit encore, lorsqu’il mourut le i3 ch. exxiv. septembre 1 5q8, le monarque le plus formidable de l’Europe. Aucun souverain n’osoit se mesurer avec lui, et aucun état neutre ne pou- voitj près de lui, conserver son indépendance. Le dix-septième siècle est rempli par le règne des trois princes de la ligne autrichienne d’Espagne qui lui succédèrent. Son fils Philippe III mourut le 3i mars i63i ; son petit-fils Philippe IV mourut le 7 septembre 1 665, et son arrière-petit-fils Charles II le i er novembre 1700 . L’incapacité croissante de ces trois souverains, leur foiblesse pusillanime, et l’imprudence de leurs favoris et de leurs premiers ministres, accélérèrent la décadence de la monarchie espagnole, et firent succéder le mépris à l’effroi qu’elle avoit inspiré. Cependant, cette décadence de la monarchie espagnole ne donna point à l’Italie les moyens de secouer ses chaînes. Les tentatives faites par les provinces qui reconnoissoieut la souveraineté du roi d’Espagne , furent mal combinées , mal secondées, et n’eurent d’autres effets que de rendre l’oppression plus cruelle j et quant aux petits souverains qui s’étoient mis sous la protection de l’Espagne, ils n’a voient plus assez d’énergie pour desirer une plus grande liberté. Quelquefois ils balançoient entre ce joug et celui de la France; ils se rapprochoient momentané- a3a HISTOIRE DES RÉPUB. ITARIENNES' ch. cxxiv. ment de Louis XIV, dont ils reconnoissoient , l’ascendant : mais bientôt, ne se sentant pas appuyés d’assez bonne foi, ils retournoient à leurs anciennes habitudes, et ils ne vouloient pas, sur l’espoir d’un secours éloigné, s’attirer l’inimitié de leurs plus proches voisins. L’autorité de Philippe III sur l’Italie ne fut point troublée par la rivalité du roi de France. Pendant une partie de son règne, il eut, il est vrai, pour antagoniste Henri-le-Grand ; mais ce prince, qui vouloit relever ses états de l’épuisement où les guerres civiles les avoient jetés, évita les combats, et se ferma en quelque sorte l’entrée de l’Italie. La régence tout autrichienne de Marie de Médicis ne donna plus d’inquiétude à l’Espagne. Philippe IV, plus foible que ( son père, eut des antagonistes plus redoutables. Les deux ministres, Richelieu et Mazarin, pendant toute la durée de leur administration, se proposèrent pour but l’abaissement de la maison d’Autriche. Depuis l’année 1621, où Richelieu commença à protéger, contre les Espagnols, les droits des Grisons protestans sur la Valteline, jusqu’à la paix des Pyrénées, le 7 novembre j 65g, une lutte presque sans relâche continua entre ces deux monarchies : mais la France n’a- voit alors ni un roi qui sut se mettre à la tête de ses armées, ni des ministres guerriers ; aussi ne se laissa-t-elle point tenter par des expédi- DU MOYEN A.G1Î. 233 tions lointaines. Elle ne versa pas moins de eu. exxiv. sang, elle ne dissipa pas moins de trésors que pendant les règnes plus brillans de Louis XII et de François I er ; toutefois ses armes ne passèrent guère, en Italie, les frontières de la Val- teline et du Piémont. Ses principaux efforts, il est vrai, étoient dirigés contre la Flandre et l’Allemagne : mais on n’en doit pas moins remarquer, comme caractère propre à toutes les guerres dirigées par les deux cardinaux, que leur but fut la dévastation plutôt que la conquête , et qu’elles ruinoient l’Espagne sans pouvoir profiter à la France. La troisième période s’étend depuis la paix des Pyrénées jusqu’à la guerre de la succession d’Espagne, et correspond au règne de Charles II, en même temps qu’aux années plus brillantes de celui de Louis XIV. Pendant ce temps, le dernier des monarques autrichiens de Madrid, sentant toute sa foiblesse, cherchoit à tout prix à éviter la guerre, tandis que le français, croyant ne pouvoir acquérir de la gloire que par ses armes, saisissoit avec empressement toutes les occasions d’attaquer ses voisins, sans s’arrêter un instant à peser la justice ou la plausibilité des prétextes qu’il employoit. Ni Louis XIV, ni aucun de ses conseillers, ne purent , de bonne foi, croire fondés les titres de la reine-mère ou de la reine régnante de France, au 234 HISTOIRE DES EÉPUB. ITALIENNES ch. cxxiv. partage de la succession de Philippe IV. La guerre n’avoit d’autre motif que le sentiment de la force opposée à la foiblesse, et les manifestes n’étoient qu’une grossière hypocrisie, qu’il auroit mieux valu s’épargner. Néanmoins, pendant cette période , qui coûta tant de sang à l’humanité, l’Italie fut, moins que le reste de l’Europe, le théâtre de la guerre générale. Les armes françaises n’y parurent guère que lorsque la vanité de Louis XIV se complut, en 1662, à humilier le pape Alexandre VII, à l’occasion de l’insulte prétendue faite par les Corses à son ambassadeur, et lorsqu’il désola, en 1684, la république de Gènes par un bombardement barbare. D’ailleurs , les petits princes italiens, embarrassés de la liberté que l’afïbiblissement de l’Espagne leur rendoit, se tournèrent vers l’empereur, pour lui transporter leur allégeance, et s’appuyèrent de sa protection ; encore que Léopold I er , qui parvint à la couronne de l’Empire en i658, et qui la porta jusqu’en 1705, ne se fit presque connoître à l’Italie que par les vexations et la rapacité de ses généraux. Le duché de Milan, le royaume de Naples, et ceux de Sicile et de Sardaigne, demeurèrent pendant tout le dix - septième siècle sous la domination des Espagnols. Le duché de Milan n’ayant manifesté, pendant cet espace de temps, ni volonté nationale, ni aucune résolution qui DU MOYEN AGE. 235 lui fût propre, ne peut pas plus être l’objet c "- cxxrv. d’une histoire séparée, qu’aucune autre des provinces de la vaste monarchie autrichienne : comme les autres, il souffrit du faste et de l’impéritie du duc de Lerme ; du comte duc d’Olivarès ; de don Louis de Haro, qui, premiers ministres et favoris, gouvernèrent despotiquement le roi et le royaume. Il souffrit même plus que les autres, parce que la guerre entre la France et la maison d’Autriche, ayant eu, pendant tout le siècle, pour objet, en Italie, la possession du Piémont, du Montferrat, de la Valteline et du duché de Mantoue, ne s’éloigna jamais des frontières du Milanez. Cependant cette guerre se fit avec une moindre activité si ce n’est avec moins de cruauté que dans le siècle précédent; et ses ravages, non plus que les fautes journalières du gouvernement, ne suffirent point pour contrebalancer l’admirable fertilité de ce beau pays, ou pour détruire les ouvrages dispendieux par lesquels ses anciens propriétaires avoient maîtrisé les eaux, et les faisoient servir à la richesse des campagnes. L’histoire garde de même un silence absolu, pendant tout ce siècle, sur la vice-royauté de Sardaigne; mais le royaume de Naples et celui de Sicile se firent du moins remarquer par leurs efforts infructueux pour secouer la tyrannie des Espagnols. 236 HISTOIRE UES REPUE. ITALIENNES en, cxxiv. Les revenus du royaume de Naples, au milieu du dix-septième siècle, montoient à six millions de ducats; les dépenses de l’administration, de la flotte et de l’armée, en y comprenant même les ambassades d’Italie, ne pas- soient pas’un million trois cent mille ducats. On estimoit, il est vrai, que sept cent mille ducats étoient encore employés dans le royaume en dépenses secrètes, ou dilapidés par les officiers du roi : mais quatre millions de ducats, ou les deux tiers des revenus ordinaires, sortoient annuellement du royaume pour acquitter les dettes de l’Espagne ou. solder ses armées (i). Cet emploi des tributs du peuple, pour une politique à laquelle il ne prenoit aucun intérêt, lui causoit un extrême mécontentement; mais sa mauvaise humeur étoit encore augmentée par l’accroissement progressif de toutes les charges. D’après les privilèges du royaume, reconnus par Ferdinand et par Charles-Quint, aucun impôt nouveau ne pouvoit être établi sans le consentement du parlement, qui représentoit la noblesse et le peuple : mais le parlement n’étoit plus assemblé depuis long-temps; et chaque jour les vice-rois, pressés par leur cour, inventoient quelque nouvelle gabelle, et écra- soient toujours plus un peuple déjà accablé sous (1) Uist. del conte Galeazzo Gualdo Priorato, P. IV, L. V, p. 208. Vcaezia , 1648 , in- 4 °. OU MOYEN AGE. 9.3j le faix. Les Espagnols d’après leur ignorance CH ' cxx,v ‘ accoutumée de l’économie politique, avoient fait porter presque toutes ces gabelles sur les denrées de première nécessité ; ils avoient taxé successivement la viande, le poisson, la farine, et enfin le fruit. Les pauvres, obligés de renoncer à une consommation que les impôts rendoient toujours plus coûteuse, se privoient successivement de tous les objets taxés. La gabelle sur le fruit, qui fut estimée à quatre- vingt mille ducats pour la ville de Naples, leur parut établie pour les poursuivre dans leurs derniers retrancheraens, et leur enlever le seul aliment qu’ils pussent encore atteindre. Us se soulevèrent le 7 juillet 1647, contre le duc d’Arcos, alors vice-roi; un jeune pêcheur d’A- malfi, nommé Mas ou Tommaso Aniello, se mit à leur tête : ils brûlèrent les baraques où la gabelle étoit perçue; ils menacèrent le vice- roi ; ils le forcèrent à s’enfuir au château Saint- Elme; ils incendièrent les maisons de ceux qui s’e'toient enrichis par leurs malversations dans les finances : ils réclamèrent le rétablissement de tous les privilèges qui leur avoient été garantis par Charles -Quint ; et ils forcèrent enfin le gouvernement, vaincu dans plusieurs rencontres, à traiter avec eux. (1) ( 1 ) Historié del conte Gualdo Priorato , P. IV, L. V, p. a u. — Giannone Ist. civile, L. XXXVII, c. II, T. IV, p. 5og. 238 niSTOJRE DES Rf’PUE. ITALIENNES ch, cxxiv» Un esprit de liberté paroissoit, à cette époque, animer toute l’Europe. Les Hollandais avoient fait reconuoître et respecter leur république; les Anglais retenoient Charles I" prisonnier à Hampton-Court ; les Français faisoient la guerre au Mazarin et à la régente ; les Portugais avoient secoué le joug de l’Espagne ; les Catalans étoient soulevés, et une insurrection en Sicile avoit éclaté avant même celle de Naples. Mais presque partout l’inquiétude et la souffrance avoient soulevé les peuples contre des abus intolérables, avant qu’ils eussent assez de connoissances pour corriger leurs gouvernemens, ou pour en fonder de nouveaux sur de meilleurs principes. La populace se mit à la tête des mouvemens d’insurrection, et leur donna un caractère effrayant. Les hommes d’un ordre supérieur, qui, plus encore qu’elle, avoient besoin de liberté, abandonnèrent cependant une cause trop souvent souillée par des crimes : ils voyoient d’une part l’étendard du despotisme, de l’autre celui de l’anarchie, et ils ne savoient sous lequel se ranger. Les souffrances du peuple, et son ignorance même, qui étoient l’ouvrage du gouvernement, ne justifîoient que trop son ressentiment; mais la plus dangereuse de toutes les passions auxquelles les opprimés puissent s’abandonner, est celle de la vengeance : c’est elle qui a fait échouer presque toutes les révolutions. 1)U MOYEN AGE. U 3 9 Le duc d’Arcos se défioit des gentilshommes en. exxiv. napolitains autant que du peuple ; il savoit qu’il avoit violé tous leurs privilèges, qu’il les avoit abreuvés de mortifications, et que ces gentilshommes pouvoient pourtant soulever toutes les provinces, et les joindre à la capitale par leur crédit sur les paysans leurs vassaux. 11 jugea donc convenable, avant tout, de les brouiller irrémissiblement avec leurs compatriotes ; il fit porter par eux au peuple de fausses paroles de conciliation : il les chargea de lire un faux privilège de Charles-Quint, de se rendre garans de fausses écritures ; et il les engagea si avant dans ses propres perfidies , que la populace tourna contre eux la fureur qu’elle avoit conçue d’abord contre les Espagnols, et que plusieurs d’entre eux furent massacrés et leurs maisons incendiées, pour s’être prêtés à ces indignes artifices. Le reste de ces gentilshommes, quoique convaincus que le vice - roi seul étoit coupable du sang de leurs frères, furent obligés de le seconder, parce qu’ils n’obtenoient plus de confiance , et ne trouvoient plus de sûreté dans le parti opposé, (r) Aucune foi donnée, aucun engagement, quelque solennel qu’il fût, ne pouvoit enchaîner la vengeance du gouvernement espagnol. Ce fut (1) Historiédelconte Gualdo Priorato, P. IV, L. V, p. aifi. 24° HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES en. exxiv. au milieu de l’église du Carminé, au moment où il faisoit lire au peuple les articles de la pacification qu’il venoit de jurer, que le duc d’Arcos fît faire une décharge d’arquebusiers sur Masaniello et les siens (i). Ce chef de parti, par un bonheur étrange, ne fut point blessé; et le vice-roi, désavouant les bandits qu’il avoit employés, les sacrifia à la fureur du peuple, pour regagner son propre crédit; puis, continuant à traiter de paix, il invita Masaniello à un repas de conciliation, où il lui fit administrer une boisson qui troubla sa raison. Le favori du peuple perdit alors la confiance de son parti, par ses extravagances et ses cruautés ; et le duc d’Arcos en profita pour le faire assassiner le 16 juillet. (2) Pendant le peu de jours qu’avoit duré son pouvoir, Masaniello avoit exercé sur le peuple l’autorité la plus illimitée. Les talens naturels de ce jeune pêcheur^ et l’obéissance empressée de la populace, avoient frappé le duc d’Arcos de terreur, et lui avoient dicté toutes les concessions par lesquelles il avoit cherché à apaiser la sédition; il les retira toutes au moment où il se fut défait de son ennemi : il crut pouvoir, sans danger, annuler les engagemens qu’il venoit de prendre. Mais, le 21 août, la sédition (1) Gualdo Priorato , P. IV, L. V, p. 220. (2) Idem, p. 225 .— Giannone, L. XXXVII, c. II, p. 517. IHT MOYEN AGE. 2l\ I recommença avec plus de fureur que jamais; ch. cxxiv. et les Espagnols, se sentant les plus foibles, furent réduits à une nouvelle capitulation (i). Toutefois, lorsque, par les promesses les plus solennelles, ils eurent décidé le peuple à poser les armes, les trois forts qui dominent Naples, et la flotte de don Juan d’Autriche, qui était entrée dans le port, commencèrent tout-à-coup, le 5 octobre à midi, à canonner et à bombarder la ville; et au moment où le peuple désarmé, frappé de terreur et de surprise, demandoit encore la cause d’une attaque aussi imprévue, six mille hommes des vieilles bandes espagnoles débarquèrent de la flotte, avec ordre de massacrer tout ce qu’ils rencontreroient. ( 2 ) Mais la population de Naples passoit quatre cent mille âmes. Les insurgés, presque tous sans maison et sans fortune , n’avoient rien à craindre du bombardement : comme ils com- battoient sans ordre, ils ne s’aperce voient point de toutes les pertes qu’ils faisoient ; et le massacre dans une rue n’étoit pas connu dans la rue prochaine, où le combat recommençoit. La populace parcourait les toits, en accablant les soldats de pierres et de briques; puis elle s’en- fuyoit avant que la troupe de ligne pût l’attein- (1) Gualdo Priorato, P. IV, L. IV, p. 275. (2) Idem, L. V, p. 378.— Giannone, L. XXXVII, c. III, p. 520. TOME XVI. 16 242 HISTOIRE UES RÉPUB. ITALIENNES ch.cxxiv. dre. Après deux jours de combat, les insurgés attaquèrent à leur tour les soldats espagnols accablés de fatigue ; ils les chassèrent de tous leurs postes ; ils les forcèrent à se retirer dans les trois forts ou sur la flotte, et ils demeurèrent maîtres de la ville. (1) Ce fut seulement alors que les Napolitains commencèrent à négocier avec les Français, et qu’ils appelèrent à leur aide Henri de Lorraine, duc de Guise, qui se trouvoit à Rome dans ce temps-là. Celui-ci descendoit par les femmes de la seconde maison d’Anjou ; il croyoit avoir à la couronne des droits qu’il espéroit faire valoir , et il comptoit sur le secours de la Fi’ance. Il accourut à Naples, où il fut déclaré généralissime et défenseur de la liberté. Le nom de république de Naples commençoit à être prononcé et reçu par le peuple avec acclamation, et toutes les provinces s’étoient soulevées à l’envi de la capitale. (2) Mais le peuple napolitain n’avoit pu acquérir , sous la domination des Espagnols, ni les mœurs, ni les habitudes, ni les opinions par lesquelles on fonde une république. Il ne songeoit qu’à déplacer l’autorité arbitraire au lieu de la détruire ; il obéit aveuglément à Masaniello, puis (1) Gualdo Priorato , P. IV, L. VI, p. 278. (2) Idem, p. 283. — Limiers, Histoire de Louis XIV, L. I, p. 120.— Giannone, L. XXXVII, c. III, p. 52 r. DU MOYEN AGE. 243 à Gennaro Annèse et au duc de Guise, comme ch. cxxiv il avoit obéi au vice-roi; il leur permit de régner par les supplices ; et jamais justice pré- vôtale ne fut plus rapide ou plus injuste que celle de ces favoris de la populace. Dans son aveugle superstition, il compta bien plus sur les miracles de la Madonna del Carminé, sur ceux de Masaniello lui-même, qu’il regardoit comme un saint, que sur ses propres efforts. Passant d’une confiance aveugle à une défiance insensée, il fut trahi par tous ceux à qui il remit son pouvoir, et il changea en ennemis acharnés tous ceux qu’il poursuivit de ses soupçons injurieux ; surtout il continua trop longtemps à proclamer comme souverain le roi d’Espagne, à prétendre lui conserver toute sa fidélité, et à rejeter sur les Espagnols le nom de rebelles. C’est une grande erreur de croire que les mots employés contre leur sens naturel puissent faire illusion sur le fond des choses. Il y a plus de sûreté pour ceux qui se révoltent à s’avouer franchement pour révoltés; et les Napolitains avoient assez éprouvé le caractère de Philippe IV et de son ministère, pour s’assurer qu’il ne tran- sigeroit plus avec eux que pour les tromper. Le duc de Guise, au lieu de constituer la république qui le choisissoit pour chef, ne songea qu’à s’attribuer une autorité absolue; il se montra jaloux de tous les droits de la nation, ^44 HISTOIRE DES REPU B. ITALIENNES ch. exxiv. de tous ceux de ses magistrats, et surtout du crédit de Gennaro Annèse, l’homme le plus habile du parti de la liberté, et le vrai chef de la révolution. De même que Guise n’avoit rien fait pour le peuple, il n’obtint point de lui ces efforts généreux qu’inspire le seul amour de la liberté. Gennaro Annèse, irrité de n’avoir fait que changer de maître, et craignant pour lui- même la jalousie de Guise , commença secrètement à traiter avec les Espagnols. 11 leur vendit enfin sa patrie , dont il leur ouvrit les portes le 4 avril 1648 , tandis que Guise en étoit sorti avec un petit corps d’armée pour faciliter les arrivages de vivres. Un joug plus pesant que jamais fut imposé à la ville de Naples, et le peuple n’eut d’autre consolation que de voir ceux qui l’avoient trahi, victimes de leurs propres perfidies. Le duc d’Arcos avoit perdu sa vice-royauté, et avoit été rappelé en Espagne ; le duc de Matalona et le prince don Francesco Toralto, qu’il avoit engagés avec d’autres gentilshommes napolitains, à trahir leurs compatriotes, furent massacrés par un peuple furieux; le duc de Guise fut fait prisonnier des Espagnols , et ne recouvra sa liberté qu’en 1 652 ; et Gennaro Annèse, qui avoit rendu la couronne à Philippe IV, et qui avoit livré sa patrie aux Espagnols, périt sur un échafaud par ordre du roi qu’il avoit rétabli, avec presque tous ceux UU MOYEN AGE. 245 qui avoient eu part aux troubles ; éprouvant ch. cxxiv ainsi qu’aucun service, quelque éminent qu’il soit, n’efface aux yeux d’un despote des offenses passées, et qu’aucun serment ne le lie envers ceux qui ont voulu une fois diminuer son pouvoir. (1) Le soulèvement de Palerme, qui avoit eu lieu le 20 mai 1647, fut de moindre durée et de moindre importance que celui de Naples ; mais il passa à peu près par les mêmes crises. Le vice-roi de Sicile, don Pédro Faxardo de Zu- niga, marquis de Los Velez, ne fut ni moins perfide, ni moins cruel que le duc d’Arcos. Joseph d’Alessi, tireur d’or, natif de Polizzi en Sicile, joua dans cette insurrection le même rôle que Masaniello à Naples : comme lui, il fut, le 22 août, massacré par ses propres partisans, gagnés par le vice-roi, et comme lui, il fut amèrement pleuré par le peuple, qui auroit dû le défendre. Enfin, à Palerme comme à Naples, après une amnistie solennellement accordée, le peuple fut mitraillé dans les rues, tous ses chefs furent pendus ; et les gabelles, qui avoient causé le soulèvement, et que le vice-roi avoit (1) Gualdo Priorato , P. IV, L. VIII, p. 4°4- — Gio. Batt. Birago, Uist. memorab. de nostri tempi Parte V ta annessa ail’ opéra d’Alessandro Ziliolo, L. VI. Venezia, i654, in-4°. — Muratori ad ann.—Giannone, L. XXXVII, c. IV, p. 5ag. — Lahode, Histoire de Louis XIV, T. I, L. V, p- 186. CH. CXXlV. 246 HISTOIRE DES RéPUB. ITALIENNES abolies, furent rétablies dans toute leur rigueur. (1) Mais dans le même siècle, l’autorité espagnole fut ébranlée en Sicile par un autre soulèvement, dont on auroit pu attendre des conséquences plus sérieuses, parce que les insurgés furent secondés par Louis XIV, alors parvenu au plus haut faîte de sa puissance. Cette insurrection éclata à Messine, au mois d’août 1674. Seule entre les villes de Sicile, Messine étoit alors gouvernée comme une république plutôt que comme une municipalité, par un sénat choisi dans la ville, et dont le gouverneur espagnol n’étoit que président, avec des pouvoirs très-limités. La liberté de Messine avoit conservé à cette cité une prospérité inconnue dans tout le reste des royaumes de la maison d’Autriche. La ville comptoit soixante mille habitans; le commerce y avoit accumulé d’immenses richesses ; les art§, les manufactures, l’agriculture y étoient également encouragés : mais les Espagnols regardoient cette prospérité même comme un dangereux exemple pour les villes voisines, puisqu’elle leur faisoit regretter les privilèges qu’elles avoient perdus. D’ailleurs les (1) Gualdo Priorato, P. IV, L. IV, p. 159-173. — Historié memorabili de nostri lempi, Gio. Batt. Birago, P. V, L. III. — Muratori ad arm .— Giannone, Hist. civile, L. XXXVII, e. II, T. IV, p. 5 11. DU MOYEN AGE. 247 gouverneurs ont tous une même aversion pour CH - cxxiv les droits de leurs administrés, qui les autorisent à la résistance ; et ils sont toujours empressés de les supprimer. Don Diégo Soria, gouverneur de Messine, accabloit la ville de nouvelles gabelles : il bravoit ouvertement les droits de son sénat ; on le soupçonna même d'avoir voulu faire périr tous les sénateurs , un jour qu’il les fit arrêter dans son palais. Cette crainte, peut-être mal fondée, fit éclater l’insurrection. Les Espagnols, chassés de la ville, se retirèrent dans les quatre forteresses qui l’entourent. Des députés envoyés au duc d’Estrées, ambassadeur de Louis XIV à Rome, lui offrirent pour son roi la possession de Messine, et avec elle la souveraineté de la Sicile. Cette offre fut avidement acceptée par l’ambassadeur, et ensuite par sa cour. Louis XIV fut proclamé roi de Sicile à Messine; et le commandeur Alphonse de Valbelle vint, avec six vaisseaux de guerre, prendre possession de cette ville. (1) L’année suivante, le duc de Vivonne et ensuite le sieur du Quesne entreprirent la conquête du reste de la Sicile, et la défense de ce qui en étoit déjà possédé par les Français. Des (1) Muratori Annali d’Italia ad ann. 1674 , T. XI, p. 024. — Limiers, Histoire de Louis XIV, L. VII, T. II, p. 276.— Giannone, L. XXXIX, c. III, p. 60g. — Lahode , Histoire de Louis XIV, T. M , L. XXXV, p. 5 j 6. 248 HISTOIRE DES REPUE. ITALIENNES ch. cxxiv. combats acharnés furent livrés entre les Mes- sinois et les Espagnols, entre les Français et les Hollandais, dont la cour d’Espagne avoit obtenu l’assistance. Ce fut dans la plus sanglante de ces batailles que le brave Ruyter, amiral hollandais, fut blessé mortellement, le 22 avril 1676. (1) Cependant Louis XIV avoit perdu l’espérance de s’emparer de toute la Sicile; et quand les conférences pour la paix furent ouvertes à Nimègue, il reconnut bientôt qu’une des con- . ditions auxquelles il seroit forcé de souscrire seroit l’évacuation de Messine. En faisant de cette cession un article du traité, il auroit aisément obtenu une amnistie pour ceux qui l’avoient servi, et peut-être la confirmation de leurs anciens privilèges ; mais il lui sembla que son orgueil auroit moins à souffrir, s’il évacuoit la ville de lui-même, sans condition, sans y être forcé, et comme une simple opération militaire . Avant le 17 septembre 1678, jour où la paix de Nimègue fut signée avec l’Espagne, Louis XIV envoya au maréchal de La Feuillade, qui ccm- mandoit à Messine, l’ordre de remettre la garde (1) Muratori AnnaU d'Italia. ad ann. 1674, 1670, 1676.— Limiers, Histoire de Louis XIV, L, VII, T. II, p. 2 gg, 3o8 et suiv. ; L. VIII, p. 5i5 et suiv. —Abrégé de l’Histoire de la Hollande, Chap. XIV, p. 890, T. III.—Lahode, Histoire de Louis XIV, T. IV, L. XXXVII, p. 4t. DU MOYEN AGE. 249 de la ville aux bourgeois, et d’en partir immé- cu ‘ cxx,v ' diatement avec tous les Français. Le sénat reçut cette cruelle nouvelle lorsque presque tous les Français étoient déjà embarqués; il supplia La Feuillade de suspendre son départ au moins de quelques jours, puisqu’aucun danger ne le menaçait, et d’accorder ainsi aux malheureux habitans de Messine le temps de s’embarquer avec lui, pour se soustraire aux bourreaux d’Espagne. Pour toute grâce, il ne put obtenir du maréchal que quatre heures de délai. Sept mille personnes, dans ce court espace de temps, se réfugièrent sur les vaisseaux français, mais avec une telle précipitation , que toutes les familles furent séparées, et que, dans cette scène d’effroi, il n’j eut pas une mère de famille qui n’eût perdu son mari, son frère, ou quelqu’un de ses enfans, pas un fugitif qui eût pu rassembler seulement tout ce qu’il avoit d’argent comptant, ou d’effets précieux faciles à transporter. Bientôt le maréchal, craignant que sa flotte ne fût trop chargée, fît mettre à la voile, tandis que deux mille malheureux lui tendoient encore les bras sur le rivage, et demandoient à grands cris à être embarqués. L’effroi de ces infortunés n’étoit que trop fondé. Le vice-roi, don Vincent de Gonzague, publia, il est vrai, une amnistie à son entrée à Messine ; mais les ordres de Madrid ne tardèrent a5o HISTOIRE DES llipUB. ITALIENNES ch. cxxiv. p as ^ j a révoquer. Tous les biens de ceux qui s’étoient enfuis furent confisqués ; la ville fut privée de tous ses privilèges, des monumens y furent élevés pour perpétuer la mémoire de son châtiment ; tous ceux qui avoient exercé quelque charge sous les Français furent exilés ; tous ceux qui avoient pris une part plus active à la rébellion, furent mis à mort. La ville se trouva réduite , de soixante mille habitans , à n’en avoir plus que onze mille, et elle ne s’est jamais relevée de ce désastre, (i) Ceux d’autre part qui, après s’être sacrifiés pour la France, avoient compté sur la recon- noissance de Louis, et que le maréchal de La Feuillade avoit ramenés sur la flotte, furent dispersés dans différentes villes de France, et maintenus aux frais du roi pendant un an et demi : mais tout-à-coup celui-ci leur ordonna, sous peine de la vie, de sortir de son royaume, et les priva de tout secours. On vit alors des personnes de la plus haute naissance, et qui, jusqu’alors , avoient vécu dans l’opulence, réduites à mendier leur pain; d’autres se réunirent par bandes, pour voler sur les grands chemins. Quinze cents des plus désespérés passèrent eu Turquie, où ils renièrent leur foi, ne voulant d’associés que ceux qui comme eux avoient en 0 ) Muratori Annali d’Italia ad ann. 1678, T. XI, p. 34 t . — Giannone , Isl. civile , L. XXXIX, c. IV, p. 62 3 . DU MOYEN AGF. a5i horreur tous les princes chrétiens. Cinq cents CH> CXX1V d’entre eux enfin obtinrent, des ambassadeurs espagnols, des passe-ports pour rentrer dans leurs patrie; mais le nouveau vice-roi de Sicile, marquis de las Navas, les fit tous saisir à mesure qu’ils arrivoient; et n’ayant fait grâce qu’à quatre d’entre eux seulement, il condamna tous les autres ou à la potence, ou aux galères. (i) ^ Les autres états d’Italie n’éprouvèrent point à beaucoup près, pendant ce siècle, de révolutions aussi importantes. De treize papes qui occupèrent successivement la chaire de Saint- Pierre, depuis Clément VIH jusqu’à Clément XI, trois seulement méritent de fixer l’attention sur leur règne par des événemens un peu marquans : Paul V, de i 6 o 5 à 1621, pour ses démêlés avec la république de Venise; Urbain VIII, de i 6 a 5 à 1644, pour la guerre des Barbérini; et Alexandre VII, de i 655 à 1677, pour les outrages qu’il reçut de Louis XIV. Paul V, auparavant connu sous le nom de cardinal Camillo Borghèse, étoit. renommé pour la pureté de ses mœurs, son zèle pour la religion , et surtout son ardent attachement aux immunités de l’Église. Dès la première année de son règne, il se crut appelé à défendre celle-ci, (1) Muratori Annali d’Italia ad arm. 1678, T. XI, p. 543 - — Lahode, Histoire de Louis XIV, L. XXXIX, T. IV, p. 169. CH. CXXIV. a5a histoire des rèpdb. italiennes parce que le conseil des Dix avoient fait mettre en prison à Venise un chanoine de Vicence et un abbé de Nervèsa, tous deux accusés de crimes énormes; et qu’en même temps la république avoit renouvelé une antique loi qui interdisoit aux ecclésiastiques d’acquérir de nouveaux immeubles. Paul V somma le doge de Venise, sous peine d’excommunication, de livrer les deux ecclésiastiques prisonniers au nonce Mattéi, et de révoquer une loi qui lui paroissoit attenter aux droits de l’Eglise. Paul V étoit persuadé qu’aucun souverain n’oseroit résister à l’autorité pontificale; le zèle religieux avoit été ranimé par les papes, élevés dans les tribunaux de l’inquisition, qui s’étoient succédés à la fin du siècle précédent, par le fanatisme de Philippe II, la réforme du concile de Trente, et la violence des guerres de religion, à peine terminées en France, et qui duroient toujours en Flandre. La fermeté de la république de Venise l’étonna; et elle empêcha peut-être de nouvelles usurpations. Les Vénitiens, plutôt que de céder, encoururent l’excommunication et l’interdit qui furent fulminés contre eux le 17 avril 1606. Ils donnèrent ordre, sous peine de la vie, à tous les prêtres et moines de leurs états, de ne tenir aucun compte de cet interdit, et de continuer à célébrer les offices divins. Les jésuites, les théatins et les capucins, DU MOYEN AGE. 253 ayant refusé d’obéir, furent obligés de vider les ch. cxxiv états de la république ; et les premiers n’y furent admis de nouveau qu’en l’année 1657. Paul Y, ne voulant point céder, commença à lever des troupes pour soutenir ses décrets par les armes. Les Vénitiens en levèrent aussi, et demandèrent l’assistance du roi de France, leur allié. Celui-ci (c’étoit Henri IV) s’interposa avec zèle, pour terminer une querelle qui pouvoit rallumer une guerre générale. Il envoya le cardinal de Joyeuse à Venise, et ensuite à Rome, pour négocier; et il seconda si bien la fermeté du sénat vénitien, que la république, dans l’accommodement conclu à Venise le 21 avril 1607, ne renonça ni au droit de traduire les ecclésiastiques devant les tribunaux séculiers, ni à la loi qui leur interdisoit l’acquisition des immeubles. Elle remit seulement au cardinal de Joyeuse les deux ecclésiastiques qui avoient été arrêtés, en déclarant qu’elle ne le faisoit que par déférence pour le roi de France. (1) Pendant son long pontificat, Paul V combla ses neveux de richesses immenses; une partie considérable de 1 'Agro Romano fut donnée aux (1) Muratori Annali ad ann. iGo 5 , 1606, 1607, T. XI, p. 17 et seq. — Histoire de la Diplomatie française, quatrième période, L. II, T. II, p. a 43 -a 5 o. — Galluzzi, Sloriadi Tos- cana, L. V, c. XI, T. Y, p. 79.—.Laugier, Hist. de Venise, T. X, L. XXXIX et XL, p. 35 o et suiv. 254 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES en. cxxiv. Borghèse; et ces possessions si vastes, à mesure qu’elles passoient à de plus riches proprietaires , vojoient diminuer le nombre de leurs habitans. Les Borghèse, trop opulens pour ne pas dissiper avec un luxe royal les revenus que leur avoit faits leur oncle, ne l’étoient point assez pour mettre en culture la province qu’ils possédoient, et qui demeuroit consacrée au pâturage. Le cardinal Mafféo Barbérini, élevé au Saint- Siège, le 6 août 1625, sous !e nom d’Urbain VIII, fut encore plus prodigue des biens de l’Église envers ses neveux. Pendant un règne de vingt-un ans, il leur abandonna l’entière direction des affaires de l’Église, et il leur assura plus de cinq cent mille écus de revenu. Mais des richesses ne suffisoient point aux Barbérini; ils vouloient profiter de leur crédit sur l’esprit de leur oncle, retombé presque dans l’enfance, pour acquérir les duchés de Castro et de Ronciglione, fiefs de la maison Farnèse, situés entre Rome et la Toscane. (1) A cette époque, ces deux duchés, aussi-bien que ceux de Parme et de Plaisance, étoient gouvernés par Édouard Farnèse, petit-fils d’Alexandre, illustre rival de Henri IV. Édouard croyoit. (1) Historié del conte Gualdo Priorato , P. III, L. II, p. 84. —Michel le Vassor, Histoire de Louis XIII, T. X , L. XLV 1 II, deuxième partie, p. 177, seconde édition. nu MOV EN AGli. 255 être par droit héréditaire un héros et un habile général. Comme il avoit contracté à Rome des dettes immenses dont il ne payoit point les intérêts, il avoit donné au gouvernement pontifical un prétexte plausible pour ordonner la saisie de ses fiefs, et pour lui proposer ensuite un traité de vente ou d’échange ; mais il opposa aux prétentions des Barbérini une hauteur égale à la leur, et il ne voulut entendre à aucun accord. Une guerre entre l’Église et le duc de Parme éclata à cette occasion, en 164.1 • Ce fut la seule de tout le siècle dont l’origine fût italienne. Tous les autres combats qui, pendant cette période, ensanglantèrent le sol de la Péninsule, avoient eu pour cause des intérêts ultramontains. Le duc de Modène, le grand-duc de Toscane et la république de Venise, s’engagèrent dans cette guerre comme alliés d’Edouard Far- nèse ; une grande étendue de pays fut ravagée ; les finances de l’Église et du duché de Parme furent ruinées : cependant le ridicule de cette guerre passa encore le dommage qu’en éprouvèrent les combattans. Taddéo Barbérini, préfet de Rome et général de l’Église, qui commandoit dix-huit à vingt mille hommes dans le Bolonais, s’enfuit avec son armée qui se dissipa tout entière à l’approche d’Édouard Farnèse, quoique celui-ci ne conduisit avec lui que trois mille chevaux. Édouard, à son tour, par son inconsé- cxxiv. ch. cxxiy. 256 HISTOIRE DES REPUE. ITALIENNES quence, son ignorance présomptueuse et sa prodigalité , perdit tous les avantages que lui avoient procuré, ou la lâcheté de ses ennemis, ou la coopération de ses alliés. Aussi dut-il se trouver heureux qu’une paix conclue à Venise le 3 i mai 16.44, rétablît les deux parties belligérantes dans l’état où elles se trouvoient avant la guerre. (1) Les papes étoient loin de conserver au dix-septième siècle^ l’influence sur la politique de l’Europe, que leurs prédécesseurs avoient exercée au seizième. Les Bourbons ne leur avoient jamais montré la déférence que leur prodiguoient les monarques espagnols. Cependant les papes dévoient tout au moins être regardés comme souverains dans leurs états, et comme maîtres d’exercer la justice dans leur propre capitale. Louis XIV sembla résolu à disputer au pape Alexandre VII cette dernière prérogative, en maintenant, sous le nom de franchises, la protection que son ambassadeur accordoit aux ha- bitans de tout un quartier de Rome, contre la justice pontificale. La querelle des franchises, commencée en 1660, renouvelée en 1662, poussa ( 1 ) Muratori Annali cL’ltalia ad annn. t64i et seq., T. XI, p. 183 - 198 . — Hist. del conte Gualdo Priorato, P. III, L.YIII, p. 3i6. — Hist. déliareptiblica Veneta diBattistalYani, L. XII, p. 553-744> editio in-4°. Venez., i663. — Galluzzi , Stor. di Toscano, L. VII, c. II et III, T. VI, p. i 37 et seq. DU MOYEN AGE. 257 à bout les Corses de la garde du pape, qui, après eu avoir été maltraités par les domestiques de l’ambassade française, vinrent en corps insulter et attaquer le duc de Créqui, ambassadeur de France. Louis XIV, pour le venger, renvoya le nonce du pape, fît saisir Avignon et le comtat Venaissin , prépara enfin une armée pour attaquer Alexandre VII à Rome même. Il demandoit en même temps avec hauteur une satisfaction éclatante ; il l’obtint par le traité de Pise du 12 février 1664; le pape et ses neveux consentirent aux plus humiliantes réparations. (1) La querelle des franchises fut renouvelée avec plus d’amertume encore sous le pape Innocent XI. Celui-ci, qui avoit obtenu de tous les autres ambassadeurs d’Europe l’abolition de leurs franchises, voulut profiter de la mort du duc d’Estrées, à Rome, le 3 o janvier 1687, pour abolir, avant que le roi lui nommât un successeur, celles dont ce duc avoit joui comme ambassadeur de France : Louis XIV ne voulut point y consentir; il destina à l’ambassade de Rome le marquis de Lavardin, qu’il y envoya avec une garde de huit cents spadassins, pour (1) Hist. de la Diplomatie franc. ; cinquième période , L. I, T- III, p- 3 o 1 - 3 14. — Muratori ylnnali d’Italia ad ann. 1660, 1664, T- XI, p. 280 etseq. — Limiers, Histoire de Louis XIV, L. V, T. II, p- 38 . — Galluzzi, Sior. delgran Ducalo, L. VU/ c. VIII, T. VI, p. 3 o 8 . TOME XVI. J 7 258 HISTOIRE DES REPUE. ITAEIEiViVES ta. cxxiv. braver le pape jusque dans sa capitale. Ceux-ci se fortifièrent dans le palais de France; ils défendirent ses franchises à main armée, et ils manquèrent grossièrement, non-seulement au respect que Louis XIV devoit au chef de son Eglise, mais aux égards que le plus puissant monarque auroit dû conserver pour le plus petit souverain. L’affaire des franchises ne fut terminée qu’en i6ç)3, sous le pontificat d’innocent XII; Louis XIV consentit enfin à cette époque à se désister d’un prétendu droit qui maintenoit l’anarchie et favorisoit le crime dans les états du chef de la religion catholique, (i) Les états de Savoie et de Piémont furent gouvernés successivement, pendant ce siècle, par cinq ducs, entre lesquels il y en eut trois qui brillèrent par des talens distingués. Cependant cette maison, qui devoit acquérir dans le siècle suivant une grande prépondérance en Italie, eut peine dans celui-ci à se maintenir au point de puissance où elle étoit déjà arrivée en le commençant. Si ses frontières demeurèrent à peu près les mêmes, si ses places fortes augmentèrent en nombre et en importance, ses sujets (i) Hist. de la Diplomatie franc. ; cinquième période, L. V, T. IV, p- 94-106.—Limiers , Hiat. de Louis XIV, T. II, L. X, p. 469.— Muratori Annali d’italia ad ann. 1687, T. XI, p. 374 et seq. — Oalluzzi, Storia del gran Ducato, L. VIII, cap. V, T. VU, p. 108. DU MOYEN AGE. 2 $9 furent cruellement ruinés par les guerres dont ch. cxxiv leur pays fut constamment le théâtre. Charles-Emmanuel I er , qui au commencement du siècle régnoit déjà à Turin depuis vingt ans, et qui mourut seulement le 26 juillet i63o, réunissoit les talens d’un grand politique à ceux d’un grand guerrier; il étoit reconnu pour le plus habile des princes d’Italie : néanmoins son ambition insatiable, ses intrigues et sa mauvaise foi, dévoient enfin lui attirer la haine de tous ses voisins. Il avoit tour- à-tour voulu s’emparer de Genève, de l’ile de Chypre, de Gènes, du Montferrat; mais il ne s’étoit pas borné à faire la guerre à de petits états seidement, il avoit aussi attaqué alternativement la France et l’Espagne, et il avoit attiré dans ses états les armes de l’une et de l’autre puissance ; aussi, quand il mourut, ses meilleures villes étoient entre les mains de ses voisins. (1) Victor-Amédée, son fils, qui avoit épousé Christine de France, fille de Henri IV, fut aussi brave et aussi habile que Charles - Emmanuel ; mais plus loyal dans sa politique, et plus con- ( 1 ) Historié memorabili de' nostri tempi da Alessandro Zi- liolo, P. I, L. I. Ibid, , L. X; P. III, L. III,—Guiclienon, Histoire généal. de la Maison de Savoie, p. 345-444- — Mura- tori Annali ad ann. — Le Vassor, Hist. de Louis XIII, T. VI, L. XXVIII, p. 364. a6O HISTOIRE DES REPUE. ITALIENNES eu. cxxiv. stant dans ses affections : il s’attacha uniquement à la France. Pendant les sept ans de guerre continuelle qu’il soutint durant tout son règne, contre les Espagnols maîtres du Milanez, il ne put recouvrer qu’une partie de ce que son père avoit perdu. Sa mort, survenue le 7 octobre 1637, fut fatale à la maison de Savoie; sa veuve, Christine , fut déclarée tutrice de ses enfans, dont l’aîné, François-Hyacinthe, étant mort le L\ octobre i638, le second, Charles-Emmanuel II, n’qvoit que quatre ans, lorsqu’il succéda à la couronne. Mais deux frères de Victor-Amédée, le cardinal Maui’ice, et le prince Thomas, fondateur de la branche de Savoie-Carignan, voyoient avec douleur la régence déférée à une femme et à une étrangère, qui leur paroissoit méeon- noître les vrais intérêts et la politique de leur maison. Ils lui disputèrent son autorité, et les états de Savoie furent engagés dans de longues guerres civiles, pour lesquelles Christine implora le secours de la France, et ses beaux-frères celui de l’Espagne. Ces alliés firent de part et d’autre cruellement payer leurs secours : Christine éprouva tout l’orgueil et tout le despotisme de Richelieu; les princes n’eurent pas moins à souffrir de la mauvaise foi des Espagnols, et les peuples furent, pendant plus de vingt ans, tourmentés par les uns et les autres. (1) (1) Galcazœo Gualdo Priorato, P. II, L. V, p. i3i et seq.—| I*U MOYEN AGE. 261 Après même que Charles-Emmanuel II fut en. exxiv. sorti de tutèle, son règne n’eut rien de brillant; et à sa mort, survenue le 12 juin 1676, ses états éprouvèrent de nouveau les malheurs d’une minorité; son fils, Victor-Amédée II, n’avoit que neuf ans : toutefois la régence de Jeanne- Marie de Nemours, mère de celui-ci, ne fut pas aussi turbulente que l’avoit été celle de son aïeule. Victor-Amédée II, lorsqu’il entra dans les affaires, y donna des preuves d’une habileté consommée. Le 4 juin 1690, il s’associa à la ligue de l’Espagne, de l’Angleterre et de la Hollande, pour réprimer l’ambition de Louis XIV. Il quitta ce parti le 29 août 1696, pour passer à l’alliance du roi de France ; et on remarqua plus, dans cette occasion, sa souplesse et sa discrétion, que sa loyauté : c’est par les mêmes artifices que, se ménageant adroitement entre des rivaux bien plus puissans que lui, il éleva dans le siècle suivant ^ sa maison, de manière à tenir un plus haut rang entre celles des princes d’Europe. (1) Muratori Annali d‘Italia ad ann. -—Guichenon, Hist. généal. de la Maison de Savoie, T. III, p. 5, 46 , 54- L’histoire de Guichenon finit en 1660 , au milieu du règne de Charles-Emmanuel II. — Le Vassor, Histoire de Louis XIII, T. IX , L. XLII et XLIII. (i) Limiers, Histoire de Louis XIV, L. X, p. 523; L. XI, T. II. —Muratori Annali d‘Italia ad ann. Cil. CXXIV. 262 HISTOIRE UES ItÉPIIB. ITALIENNES La Toscane, qui, dans les siècles précédens, jouoit un rôle si important dans l’histoire de l’Italie, s’y fait à peine remarquer dans le dix- septième. Le grand-duc Ferdinand I" régnoit encore à Florence au commencement du siècle ; il mourut seulement le 7 février 160g. Les anqiens Médicis lui avoient transmis leur estime pour le commerce que les autres princes d’Italie ne savoient point apprécier; il chercha à donner aux Toscans le goût des expéditions maritimes, auxquelles ils s’étoient montrés peu portés ; il changea le château de Livourne en ville ; il orna son port d’ouvrages magnifiques, et lui accorda des franchises qui y ont attiré presque tout le commerce d’entrepôt de la Méditerranée (i ). En même temps il encouragea les courses des chevaliers de l’ordre de Saint-Etienne contre les Barbaresques. Ses galères tentèrent, en 1607, une surprise sur Famagosta, et 'pillèrent Hip- pone en 1608 (2). Son fils, Cosme II, qui lui succéda, redoubla de zèle pour l’illustration de la marine toscane; aucun des Médicis ne fut plus passionné pour une gloire militaire que (1) Les premiers fondemens de la nouvelle ville de Livourne avoient été jetés parle grand-duc François I« r , le 28 mars 1577, mais négligés par lui. Galluzzi, Storia del gran Ducato , L. IV, c.II, p. 208, T. III. (2) Idem, L. V, cap. XI, T. V, p. 82. — Muratori Annali ad ann. UÜ MOYKN AGF. a63 la foiblesse de sa santé et celle de ses talens ne eu. cxxiv lui permettaient point de poursuivre lui-même. Pendant les douze ans que régna Cosme II, l’ordre de Saint-Étienne, marchant sur les traces de celui de Malte, renouvela chaque année ses expéditions contre les Barbaresques : mais Cosme II mourut le 28 février 169.1 ; et Ferdinand II, son fils, étant encore en bas âge, la régence fut administrée par sa mère et par son aïeule. (1) Le long règne de Ferdinand II, qui mourut seulement le 2 3 mai 1670, porta tout entier le caractère des femmes qui avoient formé ce prince; il fut doux, paisible et foible. Ferdinand avoit de la bouté et quelques talens; mais une langueur mortelle se répandoit dans toutes les parties de l’administration ; et c’est de l’époque de son règne qu’on peut dater cette apathie universelle qui a succédé à l’antique activité des Toscans. Cependant la cour de Ferdinand II se fit remarquer par un zèle glorieux pour les sciences naturelles; son frère, le cardinal Léopold de Médicis, les protégeoit : sous ses auspices, l’académie ciel Cîrnento fut fondée en 1657; et elle fit, aux frais des Médicis, ses plus belles expériences. (2) ( 1 ) Galluzzi, Storiadelgran Ducaio, L. VI, c. I à V, T. V, p. 1 5 7 . (a) Idem, Lib. VU, cap. VII, T. VI, p. 283 .—Muralori Annali ad ann. ' cii. cxxiv. 264 HISTOIRE BES REPUE. ITALIENNES Cosme III, qui succéda en 1670 à son père Ferdinand II, tenoit de sa mère Vittoria de La Rovère, un esprit minutieux et défiant, un faste ridicule, et une bigoterie outrée. Il avait épousé Marguerite-Louise d’Orléans, à laquelle son caractère le rendit bientôt odieux par-delà toute expression. Leur brouillerie, la retraite de la grande-duchesse à la cour de Louis XIV, les imprudences de cette princesse, et la constance de son mari à la persécuter, remplirent seules les annales de Toscane pendant le reste du siècle; tandis que les trésors de Cosme III étoient prodigués pour gagner à prix d’argent de nouveaux convertis, ou pour orner des églises, et que la cour et la nation entière revêtoient des habitudes d’hypocrisie et de dissimulation. (1) Les duchés de Parme et de Plaisance furent gouvernés, pendant le dix-septième siècle, par quatre princes de la maison Farnèse, dont aucun ne mérita l’amour de ses peuples ou le respect de la postérité. Ranuce I er , qui avoit succédé en i5g2 à son père Alexandre, n’avoit hérité d’aucune des qualités de ce héros. Il avoit montré, il est vrai, sous ses ordres, de la bravoure dans lés guerres de Flandre ; mais son caractère étoit sombre, sévère, avare et dé- (1) Galluzzi, Storia del gran Ducato, L. VUI, c. I à VII, T. VII. A DU MOYEST AGE. 265 fiant. Il ne vouloit régner que par la terreur; en. cxxiv. et cette terreur se changea bientôt en une haine acharnée. 11 accusa sa noblesse d’avoir coujuré contre lui; et le ig mai 1612 il fit trancher la tête à un grand nombre de nobles, et pendre un plus grand nombre encore de plébéiens, après un procès secret en vertu duquel il confisqua tous leurs biens. Mais personne en Italie ne crut au crime des suppliciés; le duc de Toscane, à qui Ranuce avoit envoyé copie du procès, témoigna ouvertement son incrédulité, en lui renvoyant un procès en tout aussi bonne forme contre l’ambassadeur de Parme, comme coupable d’un meurtre à Livourne, tandis qu’il étoit notoire qu’il n’y avoit jamais été. Le duc de Mantoue, qui regardoit son père comme inculpé , fut sur le point de faire la guerre à celui de Parme pour se laver de ce soupçon (1). Ranuce I" avoit d’abord destiné sa succession à son fils naturel Octave ; mais ayant eu ensuite des enfans légitimes, il conçut de la jalousie contre ce bâtard, et l’enferma dans une prison affreuse, où il le laissa mourir misérablement. Ranuce mourut lui-même au commencement de mars 1622. Son fils ainé s’étant trouvé sourd (0 Muratori Annali ad ann. 1612 , T. XI, p. 3g. — Gai- luzzi, L. VI, cap. Il, T. V, p. ao3. — Le Vassor, Histoire de Louis XIII, L. III, p. 34i, T. I. a66 HISTOIRE DES REPUTE ITALIENNES en. cxxiv. et muet, sou héritage passa à Édouard Farnèse, le second, (i) Édouard Farnèse avoit un esprit satirique et mordant, quelque éloquence, et plus de présomption encore. Il vouloit tout faire par lui- «même, et il demandoit à ses ministres de l’obéis- ' sance et non des conseils. Il croyoit surtout être né pour la guerre, et devoir faire revivre les admirables talens de son aïeul Alexandre. Cependant son excessive corpulence, qu’il transmit ensuite à ses enfans, et qui devint fatale à la maison Farnèse, devoit le rendre peu propre à tout exercice fatigant. Il s’allia en i635 aux Français contre les Espagnols ; et cette première guerre d’Édouard, terminée en i63y, fit peu briller les talens qu’il croyoit avoir, tandis qu’elle exposa ses états à de cruels ravages. Sa seconde guerre avec les Barbérini, de i6/ji à 1644, qu’il s’étoit attirée par son irrégularité à payer les intérêts de ses immenses dettes, mit dans un plus grand jour encore son inconséquence et sa malhabileté. 11 mourut le 12 septembre 1646, délivrant ses sujets delà fatigue que cause l’activité quand elle n’est pas unie au talent, et du danger où les entraînoit sans cesse un prince médiocre qui jouoit le grand homme. (2). (1) Muratori Annali ad ann 1622, T. XI, p. 82. (2) Idem, ad ann. 1646, T. XI, p. 2 t 4 -— Gai. Gualdo, IUT MOYEN AGE. 267 Ranuce II, qui succéda à son père , n’avoit ni ch. cxxiv. la férocité du premier Ranuce, ni la présomption d’Edouard ; mais les Parmesans n’en furent guère plus heureux : l’indolence et la foiblesse de leur maître le livrèrent à la domination des plus indignes favoris. L’un d’eux, le marquis Godefroi, son premier ministre, qui avoit été son maître de langue française , l’engagea en 1649 dans une guerre avec la cour de Rome, guerre qui fit perdre à la maison Farnèse les états de Castro et de Ronciglione. Godefroi avoit fait assassiner l’évêque de Castro : Innocent X, vengeant cet attentat sur des innocens, fît raser Castro, et ne laissa subsister, au milieu des ruines de cette ville, qu’une colonne avec une inscription (1). Ranuce II fît ensuite trancher la tête à son ministre, et confisqua ses biens ; mais sans être plus en état de gouverner par lui- même, et sans que ses sujets recueillissent aucun bénéfice de ce changement, parce'que de nouvelles sangsues avoient succédé aux anciennes. Ranuce II mourut seulement le 11 décembre 1694 , et déjà il pouvoit prévoir alors l’extinction prochaine de sa maison. Son fils aîné, Édouard, étoit mort avant lui, le 5 sep- P. IV, L. III, p. 88 . — Galluzzi, L. VI, c. X, T. VI, p. 7 5 ; L. VII, c. V, p. 237. (1) Muratori Ànnali ad ann. 1649 > T- XI, p. 240.— Galluzzi, L. VII, c. V, T. VI, p. a 3 7 . 268 HISTOIRE DES RÊPUB. ITALIENNES ch. cxxiv. tembre i 6 g 3 , étouffe par son excessif embonpoint; il avoit laissé une fille, Élisabeth, qui fut ensuite reine d’Espagne. Les deux autres fils de Ranuce II, François et Antoine, régnèrent chacun à leur tour; mais leur excessive corpulence donnoit lieu de supposer qu’ils n’auroient point d’enfans. (i) Entre les familles souveraines de l’Italie, la maison d’Este fut celle qui au dix-septième siècle produisit le plus de princes aimés de leurs peuples; mais ses domaines, réduits aux seuls petits duchés de Modène et de Reggio, ne lui donnoient plus l’importance qu’elle avoit eue au siècle précédent. César, qui par sa foiblesse avoit laissé « perdre le duché de Ferrare, mourut seulement le ii décembre 1628. Les Modénois lui pardonnèrent une pusillanimité qui leur avoit été profitable, puisqu’elle avoit élevé leur ville au rang de capitale ; et ils lui surent gré de sa douceur et de sa clémence. Son fils aîné, Alfonse III, ne régna guère que six mois. Cet homme, dont on redoutoit le caractère violent et sanguinaire, fut si touché de la mort de sa femme, qu’il abdiqua la souveraineté le 24 juillet 1629, et se retira dans un couvent du Tyrol, où il prit l’habit de capucin. (2) François I er , qui succéda à son père Alfonse, (1) Muratori Atmali adann, i 6 g 4 , T. XI, p. 4 ' 6 - (2) Idem , ad ann. 1629 , T. XI, p. 118. DU MOYEN AGE. 269 s’acquit la réputation d’un des meilleurs capi- 0,1 CXX ' T taines de l’Italie, comme aussi d’un des meilleurs administrateurs. Au commencement de son règne , il avoit épousé les intérêts de la monarchie espagnole ; et il fît pour elle, en i655, la guerre au duc de Parme, Edouard Farnèse, son beau- frère. En récompense, il reçut de l’empereur, en i636, la petite principauté de Correggio, qui fut annexée à ses états, (i) En 1647, François I er passa dans le parti de la France ; il fit épouser à son fils Laure Mar- tinozzi , nièce du cardinal Mazarin, qui lui apporta d’immenses richesses ; et il fut nommé généralissime des armées françaises en Italie. Il remporta plusieurs avantages sur les Espagnols , mais sans compenser ainsi pour ses sujets les ravages auxquels ceux-ci se trouvoient exposés à leur tour. Il mourut le 14 octobre i658, d’une maladie qu’il avoit contractée au siège de Mortara. (2) Alfonse IV, qui succéda à François son père, et qui mourut le 16 juillet 1662, ne signala son court règne que par la signature de sa paix particulière avec les Espagnols, le 11 mars i65g. Son fils François II, qui pendant une moitié de son règne demeura sous la régence de sa mère, ( 1 ) Muratori Ann. d’italia , i636, T. XI, p. i5<).— Battista JYani, Storia Venela , L. X , p. 5ar et seq. ( 2 ) Muratori Annali d’italia ad ann. — Antichità Estensi. 2^0 HISTOIRE DES KÉPIJB. ITALIENNES en. exxiv. et qui pendant l’autre se soumit volontairement à l’autorité de son frère naturel don César , mourut le 9 septembre 169/j., sans laisser aucune mémoire de son foible gouvernement ; et Renaud, alors cardinal, et second fils de François I er , succéda à son neveu. Les malheurs qui l’attendoient dans la guerre de la succession d’Espagne, ne commencèrent qu’avec le siècle suivant. (1) La maison de Gonzague, souveraine au dix- septième siècle des deux duchés de Mantoue et de Montferrat, alluma pour ses intérêts plusieurs des guerres qui dévastèrent l’Italie, sans qu’un seul de ses chefs ait mérité, dans ses calamités, de l’estime ou de la compassion. Vincent I er , François IV, Ferdinand et Vincent II, qui occupèrent successivement le trône jusqu’à la mort du dernier, survenue le 26 décembre 1627, furent des hommes perdus dans les plaisirs et la débauche; ils donnèrent à leurs sujets l’exernple de tous les genres de scandales, et les accablèrent des charges les plus onéreuses, tantôt pour satisfaire leur goût de dissipation et leur faste , tantôt pour placer avec des dots ruineuses des princesses de la maison de Gonzague sur le trône impérial. Vincent II mourut sans enfans, et la branche des Gonzague, ducs de Nevers, (1) Muratori Annedi d’îtalia. — Antichità Estensi. DU MOYEN A.GE. 27 1 établie en France , et alors représentée par ch. Charles , petit-fils du duc Frédéric II qui étoit 'mort en 1 54o, fut appelée à la succession de Mantoue. Celle de Montferrat étoit un fief féminin, et devoit passer à Marie, fille de François IV et d’une princesse de Savoie. Mais la nuit même de la mort de Vincent II, Charles, duc de Réthel, fils de Charles, duc de Nevers, qui étoit venu à Mantoue pour recueillir la succession de son cousin, dont il prévoyoit la fin prochaine, épousa Marie , héritière de Montferrat , en sorte que l’héritage entier du dernier duc passa à la branche de Nevers. (i) Cette succession d’un prince français au centre de l’Italie fut une double offense, et pour le duc de Savoie, Charles-Emmanuel, qui n’avoit pas été consulté pour le mariage de sa petite-fille, et pour l’empereur Ferdinand II, de qui le nouveau duc n’avoit pas attendu l’investiture. Le duché de Mantoue fut envahi par ces mêmes armées impériales accoutumées au pillage et à la férocité dans la guerre contre les protestans, qui désoloit alors l’Allemagne, et qui depuis a été désignée par le nom de guerre de trente ans. CXXIV» (1) Muratori Annali d’Italia ad ann. 1626, 1627, T. XI, p. io 5 . — Historié memorabili d’Alessandro Ziliolo, P. III, L. III, p. 83 et seq.— Historia délia Mepublica Veneta di Battista Nani, L. VH, p. 445 et seq. — Le Vassor, Histoire de Louis XIII, T. V, L. XXIV, p. 699. 272 HISTOIRE DES lléPUl!. ITALIENNES eu. cxxiv- Mantoue fut surprise le 18 juillet i63o, par le comte de Colalto, Altringer etGalIas, et pillée avec une effroyable cruauté (1). Les calamités du Montferrat, quoique moins frappantes, furent plus longues et plus douloureuses. Jusqu’à la paix des Pyrénées en 1659, il fut constamment le théâtre des combats des grandes puissances ; et, tour-à-tour ravagé par les Français, les Espagnols, les Savoyards et les Allemands, morcelé par chaque traité entre les différens princes , il fut presque abandonné par ses ducs, qui sentoient l’impossibilité de le défendre. (2) Charles lï avoit succédé , le 25 septembre 1637, à son père Charles I er , et Ferdinand-Charles succéda, le 15 septembre i665, à son père Charles II, sans que le sort des habitans du Montferrat fût amélioré. Le dernier de ces princes, plus dissolu, plus insensible au déshonneur, plus indifférent au malheur de ses sujets qu’aucun de ses prédécesseurs, vendit, en 1681, Casai, capitale du Montferrat , à Louis XIV , pour (1) Alessandro Ziliolo, P. III, L. III, p. 119. — Gio. Batt. 2 Vani, Hist. Ven., L. VII, p. 407. — Schiller geschichte des Dreyssigiarh. KtHeges. —Le Vassor, Hist. de Louis XIII, T. VI, Liv. XXVII, p. 243 j Liv. XXVIII, p. 38 a. — Vettorio Siri Memorie recondite, T. VI, p. 742 et seq. ; T. VH, p- 123 et seq. (2) Aless. Zilioli, Hist. memorabili, P. III, L. III. — Gio. Batt. Ifani, L. VII et seq. — Muratori Annali d’Italia. eu. cxxiv DU MOYEN AGE. 273 aller dissiper dans les plaisirs du carnaval de Venise, des sommes qui ne suffisoient jamais à ses extravagances. Ses sujets de Mantoue gé- missoient sous des taxes éuormes ; ceux du Montferrat étoient livres aux extorsions des gens de guerre, tandis quil couroit en masque dans les festins et les mauvais lieux, et qu’il ne rougis- soit pas d’exposer ses honteux plaisirs aux yeux d’un peuple étranger, qui n’avoit pas besoin de dissimuler son mépris, ou d’un sénat qui interdisoit aux nobles de Venise de communiquer avec lui. (i) La maison souveraine des ducs d’Urbin s’éteignit au commencement du dix-septième siècle. Le vieux duc François - Marie de La Rovère, qui régnoit dès l’an i5y4, ayant vu en 1623 son fils unique le prince Frédéric mourir victime de ses débauches, consentit, en 1626, à abdiquer sa souveraineté en faveur de l’Église. Sa petite- fille, Victoire de La Rovère, mariée à Ferdinand II de Médicis, lui porta seulement en héritage les biens patrimoniaux de sa famille. Le duché d’Urbin, réuni à la directe du Saint- Siège , perdit son opulence, sa population, et tous les avantages qu’avoit su lui attirer la cour la plus polie de l’Italie ; et le vieux duc, qui mourut seulement en i636, eut le temps de voir la (1) Muratori Annali d’italia ad ann. 1681, T. XI, p, 354 - — Limiers, Histoire de Louis XIV, L. IX, T. II, p. 3 gg. TOME XVI. 18 HISTOIRE UES RÉPIJB. ITALIENNES ch. cxxiv. décadence des pays que sa famille avoit fait prospérer, (i) Le gouvernement de Lucques, croyant ne pouvoir se maintenir que par le silence, et en se faisant oublier des potentats qui disposoient de l’Europe, avoit interdit la publication d’aucune histoire nationale : aussi la république de Lucques n’a-t-elle laissé d’autre souvenir d’elle pendant tout ce siècle, que par deux petites guerres contre le duc de Modèue dans la Garfagnane, commencées sans motifs en 1602 et en 161 3 , et terminées sans gloire par la médiation de l’Espagne. (2) La république de Gènes se laissa engager, dans le cours du siècle, par le crédit de la cour d’Espagne , dans deux guerres avec les ducs de Savoie, en 1624 et en 1672. Peu de temps après que la première eut été terminée , l’ambassadeur de Savoie réveilla les factions assoupies de la noblesse et de l’ordre populaire, et engagea en 1618 Jules-César Vachéro, riche marchand de l’ordre populaire, dans une conjuration pour renverser la constitution. ( 5 ) Après l’acte de médiation de l’année 1576, (1) Muratori Annali d’Italia ad ann. — Galluzzi, Storia di Toscana, L. VI, c. VI, T. V, p. 298 et seq. (2) Muratori Annali d’Italia. ( 3 ) Alessandro Zilioli, P. III, L. IV, p- 178. — Annali di Genova di Filippo Casoni, T. V, L. II, p. 61. ^»U MOYEN AGE. 2j5 la république de Gènes étoit demeurée divisée ch. cxxiv. en deux factions. La première comprenoit les familles inscrites au livre d’or, et ayant droit de siéger au conseil, au nombre de cent soixante- dix environ. Parmi elles, les unes appartenoient a l’ancienne noblesse; d’autres avoient été récemment agrégées à l’aristocratie. C’étoit entre elles qu’avoient éclaté les dernières dissensions calmées par l’acte de médiation. Mais un second ordre dans la république étoit composé des familles non inscrites, parmi lesquelles on en comptait cependant plus de quatre cent cinquante , riches de cinquante à sept cent mille écus, et décorées de prélatures, de fiefs , de com- manderies, et de titres de comtés et de marquisats. Les premières, orgueilleuses du privilège de posséder seules la souveraineté, affectaient beaucoup de mépris pour les secondes, qui de leur côté se croyoient sous tous les rapports leurs égales. L’acte de médiation avoit bien ordonné que chaque année dix familles nouvelles seroient inscrites au livre d’or, savoir, sept, de la capitale et trois des villes des deux rivières. Mais cette loi étoit presque constamment éludée, ou bien le sénat, lorsqu’il étoit forcé de faire un choix, n’admettoit à l’inscription que des célibataires , ou des hommes sans espoir de postérité , afin de ne pas accroître le nombre des familles dominantes, ou enfin des hommes tout- 2 j 6 histoire des répub. italiennes ch. cxxiv, à-fait pauvres, afin qu’ils restassent plus complètement dans la dépendance de l’oligarchie, (i) C’étoit justement l’insolence des plus pauvres parmi les citoyens inscrits au livre d’or, qui blessoit davantage les riches marchands et les seigneurs feudataires exclus du gouvernement. Jules-César Vachéro, quoique marchand lui- même , avoit adopté les habitudes qu’on regar- doit alors comme propres aux gentilshommes : il marchoit toujours armé, et en habit militaire ; il étoit entouré de braves, et il les em- ployoit fréquemment à exercer ses vengeances par des assassinats. Des saluts refusés par les membres du gouvernement, des propos, des rires moqueurs, des insultes éprouvées par sa femme, avoient déjà été punis par beaucoup de sang versé : mais de nouvelles offenses augmentant son ressentiment, il associa à ses vengeances un grand nombre de riches citoyens exclus du livre d’or ; il augmenta le nombre de ses braves ; il répandit des sommes immenses parmi la populace, pour s’assurer qu’elle lui obéiroit, sans avoir besoin de connaître son projet, et il résolut d’attaquer le palais le i" avril 1628, de forcer la garde allemande, de jeter par les fenêtres les sénateurs, de massacrer tous les citoyens (1) Alessandro Ziliolo, Istorie memorabili, P. ITI,L. IV, p. 187. — Filippo Casoni Annali délia Republica di Cenova , T. V, L- III, p. i 36 . DU MOYEN AGE. 2 77 inscrits au livre d’or, et de reformer la repu- eu. exxir blique, dont il seroit déclaré doge, sous la protection du duc de Savoie. Le complot fut découvert, le 3o mars, par un capitaine piémontais que Vachéro y avoit associé. La plupart des conjurés eurent le temps de s’enfuir : mais Vachéro, et cinq ou six autres, furent arrêtés; et, après un procès qui ne laissa point de doute sur leur crime, ils furent exécutés, malgré les réclamations du duc de Savoie, qui jeta ouvertement le masque, se déclara chef de la conspiration, et menaça même la république de représailles. (1) La république de Gènes attira encore, dans ce siècle, l’attention de l’Europe, par le traitement barbare que lui fit éprouver Louis XIV, le 18 mai 1684, lorsque, saus pouvoir reprocher à cet état aucun acte d’hostilité, aucun témoignage de mauvaise volonté, aucun autre tort, enfin, que d’avoir empêché la contrebande du sel sur son propre territoire, et d’avoir armé quatre galères pour sa défense, il envoya devant cette ville le marquis de Seignelay, avec une escadre. Il y fit pleuvoir, pendant trois jours, quatorze mille bombes : il détruisit ainsi une moitié de ses magnifiques édifices, et il exigea enfin que le doge lui-même vint à Versailles, (1) Aless. Ziliolo, Parle III, L. IV, p. 188-199. — Casoni Ann ., L. III, p. i 4 o. 278 HISTOIRE ÜES REPU B. ITALIENNES n. cxxiv. pour excuser les torts imaginaires de sa république. (1) La république de Venise se releva dans ce siècle avec une vigueur nouvelle de l’épuisement auquel elle paroissoit succomber dans le précédent; seule elle sembloit songer encore à défendre l’indépendance italienne. Nous avons vu avec quelle fermeté elle repoussa les attaques de Paul V, et maintint les droits de sa souveraineté, malgré les interdits et les excommunications de Rome: au commencement du siècle, en 1601 et i6i5, elle défendit avec la même vigueur sa souveraineté sur la mer Adriatique, contre les pirateries des Uscoques de Signa, encore que ces peuples esclavons, protégés par l’archiduc Ferdinand de Stirie , pussent l’entraîner dans une guerre avec la toute-puissante maison d’Autriche. (2) Les hostilités des Vénitiens avec le pape et la maison d’Autriche les rapprochèrent du parti protestant; car,, à cette époque, l’Europe étoit divisée par la religion plutôt que par la poli- (1) Muratori Annali ad ann., T. XI, p. 363 .—Limiers, Histoire de Louis XIV, L. IX, T. II, p. 4 a 3 . — Histoire de la Diplomatie française, L. IV, p. 83 . — Filippo Casoni Ann. di Genova, T. VI, L. VIII, p. ai 4 - Ces Annales de Gènes finissent avec l’année 1700, 6 vol. in-8 0 . Gènes, 1800. (2) Alessandro Ziliolo, Ist. memor., P. II, L. I, p. 1.— Laugier, Histoire de Venise, T. X, Liv. XXXIX, p. 55 1 ; et T. X, L. XL!, p. 38 . DU MOYEN AGE. 279 tique. En effet, ils contractèrent alliance, en ch. cxxiv 1617, avec les Hollandais, tandis que le duc de Savoie, leur allié, s’assura des secours du maréchal de Lesdiguières, chef des protestans du midi de la France. Ces deux puissances furent les premières en Italie qui osèrent chercher un appui parmi les hérétiques. Aussi, lorsque la guerre de trente ans éclata, les protestans d’Allemagne comptèrent-ils sur les secours de toutes deux. Le comte de Thurn, Bethlem Gabor, le comte de Mansfeld et Ragotzi reçurent à plusieurs reprises du sénat de l’argent et des munitions, sans que celui-ci en vînt jamais à des hostilités ouvertes avec la maison d’Autriche, (i) Les ducs d’Ossuna et de Tolède, orgueilleux vice-rois espagnols, qui gouvernoient alors le royaume de Naples et le duché de Milan avec une indépendance presque absolue, considérèrent de leur côté la république de Venise comme une ennemie qu’il falloît détruire. Ils employèrent alternativement pour lui nuire la force ouverte et les trahisons; et de concert avec le marquis de Bedmar, ambassadeur d’Espagne à Venise, ils ourdirent, en 1618, une conjuration qui sembloit avoir pour but, bien plus la ruine entière de la ville, que le renversement de (1) Schiller Dreyssig iahrig, Krieg., B. 1 . 2i8o ch. cxriv. HISTOIRE I>ES RÉPÜB. ITALIENNES son gouvernement. La conjuration fut découverte ; les principaux coupables furent punis : mais le sénat, craignant le ressentiment de la cour d’Espagne, n’osa point donner de publicité à ses procédures, ni accuser ouvertement les vrais instigateurs des conjurés, (i) Sachant tout ce qu’ils avoient à craindre de l’ambition et de l’inimitié de la maison d’Autriche, les Vénitiens furent fort alarmés de voir, en 1619, les Espagnols s’assurer une communication avec l’Allemagne par les forts qu’ils élevoient dans la Valteîine, sous prétexte de protéger les catholiques de cette province contre les Grisons protestans, leurs souverains. Les Vénitiens s’allièrent aux Grisons j ils sollicitèrent l’intervention de la France, et ils décidèrent le cardinal de Richelieu à les seconder. La paix qui régla le sort de la Valteîine fut conclue le 6 mars 1626 : mais, par la lenteur et les artifices des Espagnols, ce ne fut pas avant l’année 1637 que les Grisons furent remis en possession de la souveraineté de cette province, en y garantissant le maintien de la religion catholique. (1) (1) Gio. Sait. JYani, Hist. f'en., L.III,p. i56.—LeVassor, Histoire de Louis XIII, T. III, L. XII, p. ig3. — L’abbé de Saint-Réal, Histoire de la Conj. de Bedmar, — Vettor Sandi, Stor. civile, P. III, L. XI, c- XI, §. II, p. gg5 .— Vettorio Siri Memorie recondite, T. IV, p. 447 et seq. — Laugier, Histoire de Venise, L. XLI, p. 107. (■i) Gio. Balt. Pfani, Lib. IV, p. 170,2o3 et seq. — Aless. ntj MOYEN AGE. 281 Dans la seconde moitié du dix-septième siècle, ch. cxxiv. les Vénitiens durent tourner leurs efforts d’un autre côté ; et l’attaque inattendue des Turcs contre l’île de Candie, le ?,5 juin i 645, les rapprocha de nouveau de la maison d’Autriche, avec laquelle elle leur donna des intérêts communs (1). La guerre qui commença alors entre les Vénitiens et le sultan Ibrahim fut la plus longue et la plus ruineuse que la république eût soutenue contre l’empire ottoVnan; elle dura vingt-cinq ans : elle fut illustrée par de glorieuses victoires navales. Deux entre autres furent remportées aux Dardanelles, à une année de distance, l’une par Francesco Morosini, le 21 juin i655; l’autre par Lorenzo Marcelli, le 26 juin i656. Mais, malgré des efforts inouïs de bravoure, et des succès qui contre un ennemi moins puissant auroient paru décisifs, les Vénitiens ne purent empêcher que le grand-visir ne vînt mettre le siège devant la ville même de Candie, le 22 mai 1667. Ce siège fut soutenu avec la bravoure j la plus brillante par les chrétiens, qui reçurent des secours de presque tous les Zilioli, Ist. memorabili, P. II, L. VII, p. 173. — Le Vassor, Histoire de Louis XIII, Liv. XXIII, p. 367. — Vettorio Siri Memorie recondite, T. VI, p. 92 et seq. — Laugier, Histoire de Venise , T. XI, I.. XL 1 I, p. 139. (1) Cualdo Priorato Ist., P. III, L. X, p. 3 ga. — Laugier, Histoire de Venise, T. XI, L. XLIV, p- 33 a. CH. CXXIV. 282 HISTOIRE DES RÉPÜB. ITALIENNES princes de l’Occident. La mortalité fut prodigieuse des deux parts, la peste ravagea le camp des Musulmans; chaque ouvrage avancé, chaque ravelin, chaque bastion, fut défendu jusqu’à ce qu’il fût converti en un monceau de ruines. Le duc de Beaufort y perdit la vie; le duc de Navailles abandonna la défense de la ville, et se rembarqua avec tous les Français malgré les instantes sollicitations de François Morosini, qui croyoit pouvoir encore se défendre. Enfin, Candie fut obligée de capituler le 6 septembre 1669. La république renonça à la domination de nie de Crète, et conserva ses autres possessions dans le Levant. (1) Mais les Vénitiens supportoient impatiemment la perte de Candie ; ils épioient l’occasion où ils pourroient prendre leur revanche sur l’empire ottoman ; et ils crurent l’avoir trouvée pendant la guerre que la Porte déclara, en 1682, à l’Autriche. Ils contractèrent, le 5 mars 1684, par l’entremise du pape Innocent XI, une alliance avec l'empereur Léopold et Jean So- bieski, roi de Pologne. Us mirent à la tête de ( 1 ) Muratori Annali d’italia ad ann. 166 g, T. XI, p. 3o8. — Limiers, Histoire de Louis XIV, T. Il, L. VI, p- 10 g.— Girolamo Brusoni, Ist. deU’ult. Guerra IràVenezianieTur- chi in Candia, , i vol. in-4°- — Laugier, Histoire de Venise, T. XII, L. XLV, p. io3. — Vettor. Sandi, Ist. civile Veneta , P. III, L. XII, c. III, p. io45. DU MOYEN AGE. a 83 leurs armées le même François Morosini, qui ch. cxxiv. s’étoit déjà distingué dans la guerre de Candie ; et par une confiance que leur république accor- doit bien rarement, ils lui continuèrent le commandement de leurs armées après l’avoir nommé doge. De brillans succès couronnèrent leurs efforts ; et cette seconde guerre, qui dura quinze ans, répara les désastres de la précédente. En 1684, les Vénitiens conquirent Sainte-Maure; en 1686 et 1687, ils soumirent toute la Morée; ils ajoutèrent même à ces conquêtes, en i6g4> l’île de Scio, qu’ils reperdirent l’année suivante. Un général suédois, le comte de Konigsmark, qui s’étoit mis au service de la république, eut la principale part à ces victoires. Cependant Venise s’épuisoit par la longueur de cette guerre; et elle accepta avec joie la trêve de Carlowitz du 26 janvier 1699, qui lui assura la possession de la Morée, de l’île d’Égine, de Sainte-Maure, et de plusieurs forteresses qu’elle avoit conquises en Dalmatie. (x) (1) Muratori Annali cTltalia ad ann. 1699, T. XI, p. 458. — Limiers, Histoire de Louis XIV, L. XIII, T. III, p. 32. — Laugier, Histoire de Venise, T. XII, L. XLVI, P- 139-228. 3-84 TTlSTOyîF DES ÜF.PUB. ITALIEWKES i CHAPITRE CXXV. Dernières révolutions des anciens états de VItalie, depuis Vouverture de la guerre de la succession d’Espagne, jusqu’à Vépoque de la révolution française. 1701, 1789. ch. cxxv. Depuis plus d’un siècle et demi, l’Italie avoit subi le joug de l’étranger ; la liberté avoit été détruite dans les républiques, l’indépendance des princes dans les états absolus, la garantie sociale des citoyens partout. Sous le poids de cette calamité, tout orgueil national dut s’éteindre dans le cœur des Italiens, toute vertu publique dut cesser; et ceux qui ne pouvoient plus prétendre à la gloire s’abandonnèrent à la mollesse et au vice. On ne vit plus se développer de talens qui ne fussent entachés de dissimulation et d’intrigue , défauts de la foiblesse ; la littérature se corrompit avec la morale publique ; l’esprit eut bientôt le sort des vertus. Le goût de ceux qu’on nomma les seicentisti , ne fut pas moins dépravé que la politique de leurs contemporains. Les Marini, les Achillini daus la poésie, les Bcrninî dans les arts, eurent une DU MOYEN AGE. 285 réputation analogue aux Concini, aux Maza- ch. cxxv rini, aux Catherine et Marie de Médicis, dans le gouvernement ou l’intrigue, et la terre asservie ne porta plus que des fruits corrompus. L’Italie fut ravagée par la guerre dans la première moitié du dix-huitième siècle, à peu près comme elle l’avoit été dans la première moitié du seizième. C’étoient les mêmes peuples, les Français, les Espagnols, les Allemands, qui s’en disputoient la possession : mais déjà leur manière de combattre étoit moins cruelle, et ils laissoient aux peuples de plus longs intervalles de repos. Ils vouloient disposer des provinces de l’Italie d’après leurs propres convenances, ou d’après de prétendus droits de famille, sans consulter ni les intérêts des peuples, ni leurs droits, ni leurs vœux ; mais le résultat de leurs efforts fut précisément inverse de celui qu’avoient eu les guerres du seizième siècle. Celles-ci avoient changé les plus nobles principautés de l’Italie en provinces de monarchies étrangères; celles-là leur rendirent des souverains nationaux. Elles créèrent, sur la frontière la plus exposée une puissance nouvelle, capable de défendre l’Italie , et elles établirent un juste équilibre entre ses voisins. La paix d’Aix-la-Chapelle, du 18 octobre 1748, auroit rétabli l’indépendance de l’Italie, si l’indépendance pouvoit exister sans liberté qt sans CH. CXXV. 286 HISTOIRE DES RÉ PUR. ITALIENNES esprit national. Ses bases étoient sages et équitables autant qu’on pouvoit l’attendre d’un congrès où les peuples n’étoient point représentés : aussi l’Italie nous offre-t-elle, dans ce siècle, une grande expérience politique, dont les résultats sont dignes d’observation. L’Europe, après avoir en quelque sorte anéanti une grande nation, sent le mal qu’elle s’est fait à elle-même en lui ravissant l’existence. Les quatre guerres d’un demi-siècle sont terminées par autant de traités qui relèvent toujours plus l’indépendance italienne. Il n’y a rien que les étrangers ne fassent pour les Italiens, excepté de leur rendre la vie. Quarante années de paix viennent ensuite , et ce sont quarante années de mollesse, de foiblesse et de dépendance; en sorte que, par cette épreuve, les diplomates devroient rester convaincus qu’on n’établit point l’équilibre de l’Europe quand on n’oppose que des forces mortes à des forces vives, et qu’on ne garantit point l’indépendance d’une nation, quand on ne l’intéresse point à la conserver, et qu’on ne lui donne ni point d’honneur, ni énergie pour la défendre. Ce fut par quatre guerres successives que l’équilibre de l’Italie fut changé au commencement du dix-huitième siècle, et les quatre traités qui les terminèrent établirent les nouvelles dynasties, qui, à peu près partout, remplacèrent les anciennes. DU MOYEN AGE. 287 La guerre de la succession d’Espagne, de 1701 ch. cxxv. à 1713, étoit entreprise par presque toutes les puissances de l’Europe, contre la maison de Bourbon, pour disputer à celle-ci l’héritage de Charles II, dernier monarque de la branche autrichienne d’Espagne. Louis XIV avoit prétendu le recueillir tout entier pour le second de ses petit-lils, et avoit déjà mis celui-ci en possession des quatre grands états que Charles V avoit laissés en Italie à ses descendans, Milan, Naples, la Sicile et la Sardaigne. Mais les forces de l’Europe combinées contre lui, après avoir ravagé long-temps les provinces qu’il prétendoit défendre les lui enlevèrent successivement. L’abandon du duc de Savoie, qui, en 1703, passa au parti de ses ennemis, contribua surtout à lui faire perdre l’Italie : les Français furent contraints, le i5 mars 1707, d’évacuer la Lombardie; le 7 juillet delà même année, ils perdirent le royaume de Naples ; la Sardaigne fut enlevée à la maison de Bourbon au milieu d’août 1708. De tout l’héritage de la maison d’Autriche en Italie, la Sicile seule étoit demeurée à Philippe V : il la céda par le traité de paix; en sorte que les traités d’Utrecht du 11 avril 1713, et de Rastadt du 6 mars 1714? qui terminèrent la guerre de la succession d’Espagne, disposèrent de tous les pays que Charles-Quint avoit réunis à la monarchie espagnole, et par les- CH. CXXV. 388 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES quels il avoit asservi le reste de l’Italie. (1) Le Milanez, le royaume de Naples et la Sardaigne furent cédés à la maison d’Autriche allemande, qui acquit encore, en Italie, le Man- touan, confisqué sur le dernier des Gonzague. Ces provinces passoient d’un monarque étranger à un autre monarque étranger; et l’indépendance italienne, loin d’y gagner, y perdoit peut-être, puisque ce monarque étoit plus rapproché. Mais, d’autre part, le plus militaire des souverains de l’Italie acquit des provinces qui donnoient plus de consistance à ses états, et qui le met- toient plus en mesure de se faire respecter à l’avenir. Le Montferrat fut réuni au Piémont, avec quelques petits districts détachés de la France; et le royaume de Sicile fut en même temps accordé à Victor-Amédée II, en sorte que l’Italie compta de nouveau, dès cette époque, un roi parmi ses princes. (2) Le cardinal Albéroni, qui gouvernoit despotiquement l’Espagne au nom de Philippe V , toujours esclave d’un favori, ne pouvoit se ré- ( 1 ) Muratori Annali d'italia ad ann. T. XII. — Limiers, Histoire rie Louis XIV, T. III, L. XIII à XVIII. — Giannone, Istor. civile, Lib. XL, cap. IV, p. 656- C’est la fin de cette histoire. ( 2 ) Muratori Annali d’italia ad ann. i^i3 , T. VII, p. 81 . — Limiers, Histoire de Louis XIV, L. XIX, p. 525 et seq_ Histoire la Diplomatie française; cinquième période, T. IV, L. VII, p. 322. DU MOYEN AGE. S..8Ç) signer à ce que l’Espagne eût perdu, par le ch cxxv. traité d’Utrecht, la domination de l’Italie, qu’elle avoit conservée près de deux siècles. Avec les forces que quatre ans de paix , et une administration un peu moins oppressive, avoient rendues à l’Espagne, il voulut tenter de reconquérir en Italie son influence perdue. Faisant adopter au cabinet Bourbon, de Madrid, la politique du cabinet autrichien qu’il avoit remplacé, il débuta par une trahison. Au sein de la paix, une armée espagnole, débarquée en Sardaigne le 22 août 1717, fît la conquête de cette île sur les Autrichiens. L’année suivante, elle fit aussi celle de la Sicile sur les Piémon- tais, après avoir trompé de même la cour de Turin. Cette guerre reçut son nom de la quadruple alliance contractée pour y mettre un terme. La France, alors gouvernée par le régent duc d’Orléans, jaloux du roi d’Espagne, l’Angleterre et la Hollande, s’allièrent à l’empereur, pour mettre des bornes à l’ambition du cardinal Albéroni, et défendre contre lui l’Italie. Cette guerre fît répandre peu de sang, et causa peu de ravages. L’extinction prochaine des maisons Farnèse et de Médicis, auxquelles il ne restoit plus d’espérance de succession, donnoit aux puissances médiatrices le moyen de prendre des compensations dans le continent de l’Italie, parce qu’il leur plut de regarder comme vacans, 19 TOME XVI. 290 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES ch. cxxv. par l’extinction (les familles souveraines, les états de Parme et de Toscane. Le désir d’agrandissement de la cour d’Espagne fut satisfait, lorsqu’elle accéda, le 17 février 1720, à la quadruple alliance, car on lui promit, en échange des îles de Sicile et de Sardaigne qu’elle avoit conquises, la succession des Médicis et des Farnèse pour don Carlos, fils de Philippe V et d’Élisabeth Farnèse, auquel cette mère ambitieuse s’efforçoit de faire un établissement indépendant de son frère aîné. L’ambition de la maison d’Autriche fut également satisfaite , parce qu’elle reprit à Victor-Amédée la Sicile, peuplée de i, 3 oo,ooo sujets, pour lui donner en échange la Sardaigne, qui n’en compte que 4 2 ^,ooo. Les petits et les peuples furent seuls sacrifiés. Cependant on entrevoyoit encore un soin de l’indépendance italienne dans la formation d’une souveraineté nouvelle pour le prince d’Espagne qu’on établissoit en Italie, au lieu d’annexer les états qu’on lui donnoit, à l’une ou à l’autre des grandes monarchies qui s’arrogeoient le droit de disposer du sort des peuples indépendans. (1) La troisième guerre qui changea l’équilibre de l’Italie dans ce siècle, fut également courte, ( 1 ) Muratori Annali rCltalia ad ann.. — Histoire de ta Diplomatie française , T. 1Y, p. 465-483 , sixième période, L. I. — Lacretelle, Hist. de France pendant le dix-huitième siècle, T. I, L. TI, p. 280 . Dü MOYEN AGE. 29 r et accompagnée de peu de ravages. On auroit ch. cxxv peu dû s’attendre, d’après son origine, quelle eût l’Italie pour théâtre; car elle fut excitée, en 1733, par l’élection contestée d’un roi de Pologne. Toutefois, comme les rois de France, d’Espagne et de Sardaigne entrèrent dans une même ligue contre l’Autriche, celle-ci éprouva le danger attaché aux possessions lointaines chez un peuple différent de mœurs et de langage, qui, au lieu de se sacrifier pour défendre son maître , fait déjà beaucoup lorsqu’il ne saisit pas l’occasion de se révolter et de secouer le joug. La maison d’Autriche fut dépouillée de tous ses états en Italie : les Français, unis aux Piémontais, conquirent le Milanez ; les Espagnols conquirent le royaume de Naples et celui de Sicile ; en sorte que la maison d’Autriche dut se soumettre aux conditions désavantageuses qui lui furent imposées par les préliminaires signés à Vienne le 3 octobre iy35, et confirmés par le traité de Vienne du 18 novembre 1738. (1) Cette troisième paix rendit aux deux Siciles l indépendance qu’elles avoient perdue depuis plusieurs siècles. Le royaume de Naples avoit (i) Muratorï Armali d’Italiaadann. —Will. Coxe, Histoire de la maison d’Autriche (trad. ), Chap. XC et XCI, T. IV, p. 4^2 et suiv. —Lacretelle , dix-huitième siècle, T. II, L. VI, p. 175, 180. » CH. cxxv. ( 292 HISTOIRE DES RJÎ.PUB. ITALIENNES passé sous une domination étrangère dès L’année 1 5 oi, le royaume de Sicile dès l’année 1409. Plus de six millions de sujets italiens furent de nouveau soumis à un souverain né d’une Italienne, élevé en partie en Italie, et destiné à y fixer sa résidence et celle de ses enfans : ses deux royaumes sembloient réunir tout ce qui donne la force et la richesse; population nombreuse, climat délicieux , produits de tout genre, navigation facile, et frontières aisées à défendre. La même paix étendit les frontières du roi de Sardaigne : Novarre et Tortone, avec leurs territoires, furent détachées du Milanez pour être réunies au Piémont. D’autre part, le reste du Milanez et le duché de Mantoue furent rendus à la maison d’Autriche; et en compensation de ce qu’elle avoit perdu, le traité de Vienne lui accorda encore le duché de Parme, qui devoit de nouveau être réuni à celui de Milan, et le grand-duché de Toscane, qui devoit former une principauté indépendante pour François, duc de Lorraine, époux de Marie-Thérèse, et futur empereur. (1) Mais le traité de Vienne ne procura qu’un court repos à l’Italie. La branche allemande de la maison d’Autriche s’éteignit dans la personne (1) Muralori Annali d'Italia ad ann. ij 35 et 1738. — Histoire de la Diplomatie française, T. Y, p. 80 , sixième période, L. III.— Galluzzi, lst. di Toscana, T. Y 1 II, p. ig 5 , L IX, cap. IX. DU MOYEN AGE. 2 9 3 de l’empereur Charles VI, le 20 octobre 1740 , ca. exxv peu d’années après la branche espagnole. Ce monarque avoit en vain cherché à faire assurer la succession de ses états à sa fille Marie-Thérèse ; les souverains mêmes qui avoient garanti la pragmatique sanction ( c’est ainsi que Charles VI avoit nommé la loi publiée en 1713, par laquelle il appeloit ses filles à la succession de ses états ), prirent les armes après sa mort, pour disputer à sa fille son héritage. Les trois branches de la maison de Bourbon, de France, d’Espagne et de Naples , s’allièrent au roi de Sardaigne pour attaquer la maison d’Autriche en Italie. La lutte fut longue et acharnée ; et ce qui la rendit surtout désastreuse pour l’Italie, c’est que le roi de Sardaigne quitta, au mois de septembre 1743, l’alliance de la maison de Bourbon pour celle de Marie-Thérèse, dont les Anglais avoient pris la défense. L’Italie presque entière fut exposée aux ravages des armées ; et les pajs neutres, l’État de l’Église, entre autres, disputés entre les combattans, ne souffrirent guère moins que ceux des puissances belligérantes. Enfin, après sept ans de combats et de malheurs, les articles préliminaires, signés à Aix-la-Chapelle le 3 o avril 174b, et suivis d’un traité définitif le 18 octobre de la même année, rendirent la paix à l’Italie, et fixèrent les rapports de ses divers états. Le duché de Milan et celui de Mantoue CH. CXXV. 294 HISTOIRE DES RÉPIJB. ITALIENNES demeurèrent seuls en Italie soumis à une puissance étrangère : ils furent rendus à la maison d’Autriche : mais de nouveaux districts du Mi- lanez en furent détachés en faveur du roi de Sardaigne. Les duchés de Parme et de Plaisance , que le traité précédent avoit réunis au Milanez, en furent séparés une seconde fois pour former une souveraineté indépendante en faveur d’une quatrième branche de la maison de Bourbon, de don Philippe, frère du roi d’Espagne et du roi de Naples. Le grand-duché de Toscane fut rendu à l’empereur, mais pour passer à son second fils, et former la souveraineté d’une seconde branche de sa maison. Le duc de Modène et la république de Gènes, qui s’étoient alliés aux Bourbons, furent rétablis dans toutes leurs possessions ; et l’indépendance de l’Italie fut entière, autant que les rois qui ré- gloient son sort pouvoient la concevoir. (1) Mais l’Italie, depuis la paix d’Aix-la-Chapelle , n’eut pas plus de puissance politique qu’elle n’en avoit auparavant ; elle ne fut pas plus en état de se faire respecter ou craindre de ses voisins : elle ne trouva pas ses habitans (1) Muratori Annali d’Italia ad ann. Ils finissent à celte époque, ou plutôt à l’année 1749- — Histoire de la Diplomatie française, T. Y, p. 385 et suiv., sixième période , L. Y.—Will Coxe, Histoire de la Maison d’Autriche, Ch. CVIII, T. V (trad.), p. 170.—Lacretelle, T. II, L. YIII, p. fai. DU MOYEN Age. 295 plus empressés à défendre un ordre politique oh. cxxv qui ne leur assuroit ni félicité, ni gloire ; et quoiqu’elle l’emportât sur presque toutes les régions du continent en population et en richesses, elle n’obtint pas, à beaucoup près, le respect qu’avoit conquis pour son petit peuple, le souverain des marches sablonneuses du Brandebourg. Le reste de son histoire générale, depuis la paix d’Aix-la-Chapelle, ne présente plus d’événemens ; les écrivains périodiques qui se croyoient obligés à donner des nouvelles d’Italie dans leurs journaux, n’ont plus entretenu le public, pendant quarante ans, que de quelques disputes théologiques, de quelques régle- mens nouveaux établis par les princes, de leur propre volonté , et sans consulter leurs peuples ; de fêtes, de mariages, de funérailles, et de voyages de souverains. Ceux de ces événemens qui ont eu quelques conséquences dans l’avenir, se présenteront à leur place dans la revue rapide de l’histoire des divers étals de l’Italie. La Savoie et le Piémont étoient gouvernés, dès le 12 juin 1675, par Victor-Amédée II, qui cependant n’étoit encore âgé que de trente- quatre ans au commencement du dix-huitième siècle. Il avoit marié, en 1697 et 1701, ses deux filles aux deux petits-fils de Louis XIV, le duc de Bourgogne, et le duc d’Anjou , depuis roi d’Espagne; et il s’étoit chargé, au commen- 296 histoire des répub. italiennes eu. exxv. cernent de la guerre de la succession d’Espagne, du commandement des armées françaises et espagnoles en Italie, avec le titre de généralissime. Mais l’ambition étoit bien plus puissante dans son cœur que l’affection paternelle; il avoit déjà montré, en 1696, qu’il n’étoit pas scrupuleux sur l’observation de ses engagemens. 11 croyoit n’avoir pas de plus sûr moyen d’augmenter ses états, que de mettre en quelque sorte à l’enchère le prix de son alliance; et si le Milanez étoit une fois possédé par la maison de Bourbon, il lui restoit peu de chances de faire jamais de nouvelles conquêtes. L’empereur et les puissances maritimes lui firent secrètement des offres avantageuses ; il les accepta au mois de juillet 1703. Le duc de Vendôme, qui en fut averti, et qui avoit avec lui, dans le Mantouan, un corps de troupes piémontaises , les fît désarmer le 29 septembre ; et, le 3 décembre de la même année, Louis XIV déclara la guerre à Victor-Amédée. (1) Le duc de Savoie avoit préféré des alliés puis- sans, mais éloignés, à ceux qui l’entour oient de partout, et qui étoient encore assez forts . (1) Muratori Ann. d’ïtalia ad ann. 1703, T. XII, p. ai. — Limiers, Histoire de Louis XIV, L. XIV, T. III, p- ia 4 - — Lahode, Histoire de Louis XIV, L. LVI, T. V, p. 373.— Will. Coxe, Histoire de la Maison d'Autriche, Cliap. LXIX, T. IV, p. 95 . OU MOYEN AGE. 297 pour le punir cruellement de sa désertion. Ses en exxv. états furent envahis de toutes parts en même temps par les armées de France et d’Espagne : la Savoie entière fut conquise; Verceil, Suse, la Brunette, Ivrée, Aoste, Bard, Verrue, Civiasco, Crescentino et Nice, furent successivement soumis, en 1704et 1706, par les ducs de Vendôme et de LaFeuillade; Turin même fut assiégé en 1706; et le duc, presque dépouillé de ses états, fut obligé d’envoyer sa famille chercher un asile à Gènes, tandis que lui-même s’enferma dans Cunéo. Il dut alors son salut à un héros issu de sa maison, le prince Eugène de Savoie, alors général de l’empereur, et petit- fils de ce Thomas-François de Savoie, prince de Carignan, qui, au milieu du dix-septième siècle, avoit si long-temps troublé la régence de sa belle-sœur, la duchesse Christine. Le prince Eugène força dans ses lignes devant Turin, le 7 septembre 1706, l’armée du duc d’Orléans, de La Feuillade et de Marsin, et les contraignit à lever le siège. La France perdit vingt mille hommes dans cette journée ; et le duc de Savoie recouvra, avec tout ce qu’il avoit perdu, tout le Montferrat, Alexandrie, Valence et la Lomelline, que les alliés lui avoient promis pour récompense de son adhésion. (1) (1) MuratoriAnn. r 706, T. XII, p. 4 o.— Limiers , Histoire 2C)S HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES cn. cxxv. La réunion du Montferrat au Piémont chan- geoit l’existence de cette puissance ; les frontières des deux états étoient tellement entremêlées, que leur inimitié faisoit perdre à l’une et à l’autre toute chance de bonne administration en temps de paix, ou de défense en temps de guerre. La petite province de Vigevanasco avoit été promise au duc de Savoie ; mais, dès que les Autrichiens eurent repris possession du Milanez, ils ne voulurent plus se dessaisir d’aucune de ses parties. Cette contestation causa quelque refroidissement entre Victor-Amédée et l’empereur Joseph; et elle empêcha le premier de prendre une part active à la guerre, jusqu’à la conclusion du traité d’Utrecht, en 17 ia , qui consolida les précédentes conquêtes de la maison de Savoie, et y ajouta la Sicile. (1) Le voyage que Victor-Amédée fît en Sicile avec toute sa cour pour s’y faire couronner, et son séjour d’une année à Palerme, épuisèrent les finances du Piémont presque autant que la guerre qu’il venoit de terminer. A son arrivée dans cette île, il s’y engagea dans des hostilités d’une autre nature avec le pape Clément XI, pour maintenir les prérogatives de la couronne contre l’autorité du Saint-Siège; plusieurs dés de Louis XIV, T. III, L. XV, p. ao 5 . —Will. Coxc, Histoire d’Autriche, T. IV, Ch. LXXIII, p. 160, (1) Muratori Annali d’Italia 1708, T. XII, p. 56 , % DU MOYEN AGE. 2Ç)g ministres du roi furent frappés de censures, et CH - csxy plusieurs villes furent mises sous l’interdit ; tandis que Victor - Amédée exila de Sicile plus de quatre cents ecclésiastiques, qui tenoient contre lui le parti du pape : ces troubles religieux remplirent le court règne de Victor-Amé- dée II en Sicile (r). Lorsqu’il comptoit le plus sur l’alliance de Philippe V, roi d’Espagne, Palerme fut attaquée inopinément par l’armée espagnole, le 3o juin 1718, et obligée de capituler. Le vice-roi de Victor-Amédée défendit Syracuse, Messine, Trapani et Mélazzo ; mais il avoit peu de chances de s’y maintenir longtemps : son maître étoi| trop éloigné et trop foible pour lui envoyer des secours suffisans ; aussi, dès le 2 août de la même année , le traité de la quadruple alliance négocié à Londres par l’abbé Dubois, n’offrit-il, au lieu de protection à Victor-Amédée, que l’échange infiniment désavantageux de la Sicile contre la Sardaigne , auquel il fut cependant forcé de souscrire, le 18 octobre 1718. Dès-lors, renonçant à ses prétentions sur la Sicile, que les Impériaux dis- putoient aux Espagnols , et prenant le titre de roi de Sardaigne, quoiqu’il ne possédât pas dans cette île un pouce de terrain, Victor - Amédée II consacra l’année 171g à soumettre à l’autorité (1) Muratori Annali d'Italia ad ann. iji 5 , T. XII, p, 9A. CH.CXXV. 3oO HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES royale, dans le Piémont, ses propres feuda- taires, dont il abolit les privilèges et dont il confisqua les régales. Lorsqu’enfîu Philippe V eut accédé à la quadruple alliance, il remit, au mois d’août 1720, la possession de la Sardaigne à un envoyé de l’empereur, qui la consigna immédiatement aux troupes de Victor - Amé- dée.(1) La Sardaigne ne donnoit à son roi qu’un vain titre ; mais l’acquisition du Montferrat, de l’Alexandrin et de la Lomelline avoient assuré au Piémont une consistance qu’il n’avoit jamais eue avant le règne de Victor-Amédée II. Ce prince, qui peut être considéré comme le fondateur de sa monarchie, consacra les dix années suivantes de son règne à augmenter les fortifications de ses villes, à accroître ses forces militaires, à former d’habiles ingénieurs, à rapprocher enfin ses sujets des ultramontains, par une éducation plus conforme aux progrès des lumières dans toute l’Europe. Jusqu’à lui le Piémont n’avoit eu presque aucune part à la gloire littéraire du reste de l’Italie. En relevant le sentiment d’honneur national chez les Pié- montais , Victor-Amédée développa en eux des talens distingués; en même temps il répara les « (1) Muratori Annali d'Kalia ad ann. 1718 , T. XII, p. 109 et seq.— Lacretclle, Histoire du dix-huitième siècle, T. I, L. II, p. igS, 208. DU MOYEN AGE. 3oi désastres de l’agriculture, du commerce et des cn< cvxv manufactures ; il simplifia l’administration de la justice dans les tribunaux; il travailla enfin, avec autant d’activité que d’intelligence, à fermer toutes les plaies de l’état. Après avoir fixé long-temps l’attention de l’Europe sur la brillante carrière qu’il venoit de parcourir, Victor- Àmédée II, parvenu à l’âge de soixante-quatre ans, lui causa, le 3 septembre 1730, une nouvelle surprise, en abdiquant la couronne en faveur de son fils Charles-Emmanuel III, alors âgé de trente ans. Ses sujets cependant, qui avoient plus souffert de son activité inquiète et de son despotisme, que profité des réformes dont ils ne recueilloient pas eucore les fruits, ne dissimulèrent pas la joie que leur causoit cet événement. Victor-Amédée avoit compté sur la reconnoissance et le respect de son fils ; mais les rapports des princes entre eux ne sont point ceux des liens du sang : la défiance et le soupçon les assiègent ; l’affection n’a eu aucune part à leur éducation , la reconnoissance est étouffée dans leur cœur par la flatterie, et la voix de la conscience pervertie par les conseils des courtisans. Victor-Amédée II fut arrêté par ordre de son fils, dans la nuit du 28 au 29 septembre 173», avec les circonstances les plus révoltantes : dans sa captivité et durant sa dernière maladie, il ne put obtenir par ses in- 3 oa histoire des r^pur. italiennes en. cxsv. stantes prières que ce fils allât le voir ; et il mourut enfin le 5 i octobre 1752, au château de Moncaliéri, où il étoit détenu , à trois milles de Turin. (1) Charles-Emmanuel III ne dégénéra point des princes ses prédécesseurs, ni par son habileté dans la politique, la guerre et l’administration, ni par l’instabilité de ses alliances, qui , de même que celles de ses ancêtres, furent toujours vendues au plus offrant. Dans la guerre de l’élection de Pologne, il surprit les Autrichiens , à qui son premier ministre, le marquis d’Orméa, avoit donné par écrit les assurances les plus formelles qu’il ne s’étoit point allié à la maison de Bourbon ; et il conquit en peu de temps tout le Milanez. Il en fut récompensé à la paix par la cession de Novarre et de Tortone avec leurs territoires. (2) Dans la guerre de la succession d’Autriche , le roi de Sardaigne offrit d’abord son alliance .à la maison de Bourbon ; mais la cour d’Espagne, qui prétendoit rentrer dans la possession du (1) Muratori Annali d’Italia ad ann. ij 3 i , T. XII, p. 174. —Will. Coxe, Hist. de la Maison d’Autriche, Ch. LXXXIX, T. IV, p. 422.—Lacretelle, Histoire du dix-huitième siècle, T. II, L. VI, p. 114. ‘ (2) Histoire de la Diplomatie française, T. V, p. 80, sixième période, L. III.—Will. Coxe, Histoire de la Maison d’Autriche, Ch. XC, T. TV, p. 438 . —Lacretelle, Histoire, T. II, p. ij 5 . DU MOYEN AGE. 3o3 Milanez, séparé depuis vingt-cinq ans de cette en. exxv monarchie, n’offrit à Charles-Emmanuel, pour acheter son alliance, que de très-petits districts de ce duché, qu’elle auroit probablement encore revendiqués, si la victoire avoit couronné ses armes. Le roi de Sardaigne fit alors un traité provisionnel avec Marie-Thérèse pour la défense du Milanez, auquel il se re'servoit de pouvoir renoncer, en avertissant la reine un mois d’avance. Ce traité fut signé le i er février 1742 (1) : il mit Charles-Emmanuel dans l’obligation d’entrer en guerre avec les Espagnols, qui, sous la conduite de l’Infant d’Espagne, don Philippe, envahirent toute la Savoie, tandis que les Piémontais, unis aux Autrichiens, combattirent avec succès les Espagnols dans la Lombardie “d’outre - Pô. Mais le roi de Sardaigne n’interrompoit point, en même temps ses négociations avec la maison de Bourbon. Il faisoit entendre aux Espagnols que son alliance leur assurerait la conquête de tout le Milanez ; seulement il vouloiten être bien payé : il donna assez de publicité à ces négociations, pour que la cour de Vienne, et plus encore son allié, George II, sentissent la nécessité de l’attacher à leur parti. Ceux-ci se résolurent, à signer avec lui le i 3 sep- (1) Will. Coxe, Histoire de la Maison d’Autriche, Ch. Cil, T. Y, p. 7a. 3 o 4 HISTOIRE DES REPUE. ITALIENNES en. cxxv. tembre 1743, à Worms, un traité qui ajoutoit à ses états Plaisance, Vigévano et le Haut-Novar- rois, et qui lui donnoit pour frontières au levant la Nura, le Tésin et le lac Majeur. (1) Charles-Emmanuel agit avec vigueur en raison de cette alliance, contre les Français et les Espagnols : mais dans le temps même qu’il les combattoit, il négocioit sans cesse avec eux pour retourner à leur parti; il y eut même des préliminaires signés à Turin, le 26 décembre 1745, entre la France et la Sardaigne : les conditions déjà arrêtées auroient affermi la puissance de la maison de Savoie, et assuré l’indépendance des états de l’Italie. Ils abolissoient jusqu’au nom du saint Empire romain, qui a voit été l’occasion de tant de vexations pour les états prétendus feudataires ; et ils excluoient les Français, les Espagnols et les Allemands de toute possession dans la Péninsule. Mais la défiance du roi de Sardaigne, les lenteurs de la cour d’Espagne, et la marche rapide d’une armée de la reine de Hongrie, firent rompre ces négociations; et Charles-Emmanuel, se joignant de nouveau aux Autrichiens, persista dans leur alliance jusqu’à la paix d’Aix-la-Chapelle , qui lui confirma à peu près les avantages acquis (1) Muratori Annali d’italia ad ann. 1742 . > 743 ) T. XII, p. 282, 3 oo. — Will. Coxe, Histoire de la Maison d’Autriche, T. Y, ch. CIV, p. io 3 . DU MOYEN AGE. 3ü5 par le traité de Worms, à la réserve de Plaisance e à laquelle il dut renoncer, (i) Le reste du règne de Charles-Emmanuel îll, jusqu’à sa mort survenue le 20 janvier 1773, et celui de son fils Victor-Amédée III, qui lui succéda, furent constamment pacifiques; or, dans un pays où l’on ne permet point au peuple de se mêler de son gouvernement et de sa politique, les temps de paix ne présentent aucun événement à l’historien. On peut regarder l’histoire du Piémont comme absolument nulle pendant toute cette période : le gouvernement n’auroit pas vu sans humeur qu’il en restât quelque souvenir; et aucun écrivain, en effet, ne voulut s’exposer à lui déplaire; en racontant ce que l’autorité suprême enseveüssoit dans un profond secret. Le duché de Milan, qui, pendant la guerre de la succession d’Espagne, passa sous la domination de la maison allemande d’Autriche, eut le malheur d’être ravagé par toutes les puissances belligérantes dans chacune des guerres, et démembré par chacun des traités de paix, La capitale perdit beaucoup de sa population et de ses richesses, lorsque plusieurs de ses meilleures provinces furent soustraites à sa do- (r) Muralori Annaii d’Italia, 17 ^ , T. XII, p. 445. — Histoire de la Diplomatie française , T. V, p. 4<>2 , sixième période , L. V.—Will. Coxe, Histoire de la Maison d'Autriche', T. V. ch. CVIII, p. 170 . TOME xvr. CXXV. 20 3o6 HISTOIRE UES itKPUB. t’i’ALIEfflNES eu. exxv. mination , pour être données au roi de Sardaigne. Les campagnes souffrirent aussi pendant la guerre ; mais leur prospérité fut plus rapidement l'établie, soit en raison de leur admirable fertilité, soit parce que le gouvernement des Autrichiens fut beaucoup plus juste et plus raisonnable que celui des Espagnols. La maison de Lorraine surtout se montra supérieure à l’ancienne maison d’Autriche; et l’administration du comte de Firmian (1759-1782) a laissé un souvenir de reconnoissance. C’étoit le sort de l’Italie de recevoir désormais du dehors la lumière qu elle y avoit si long-temps portée; et les provinces gouvernées par des monarques étrangers profitoient des progrès dans les sciences politiques , que les nationaux seuls n’avoient point faits encore. Joseph II s’occupa avec zèle, avec bonne foi, mais souvent avec trop de précipitation, de réformes devenues désormais nécessaires. L’opinion publique étoit si peu éclairée , qu’elle condamnoit presque tout ce que ce prince tentoit pour le bien du pays. Ses efforts cependant ne demeurèv-ent pas vains; les lettres, les eonnoissances, et quelques vertus publiques , recommencèrent à fleurir en Lombardie ; et ce fut cette province qui donna le plus d’espérance de voir enfin renaître une nation italienne. Le duché de Mantoue fut enlevé à ses anciens DU MOYEN AGE. 307 souverains presque dès le commencement du ca. cxxv siècle ; et Joseph II le soumit à celui de Milan , pour compenser en faveur du dernier ce qu’il avoit perdu du côté du Piémont. L’imprudent Ferdinand-Charles de Gonzague s’étoit laissé gagner a prix d’argent, au commencement de la guerre de la succession d’Espagne , pour admettre une garnison française dans Mantoue; ce lut l’objet du traité qu’il signa à Venise, le 24 février 1701 (1). Non-seulement il attira ainsi la guerre dans ses états, tandis qu’il s’étourdis- soit dans les plaisirs de Venise sur les malheurs de ses sujets ; il donna encore à l’empereur un prétexte pour le mettre comme rebelle au ban de l’Empire. En effet, les Français ayant évacué la Lombardie, en vertu de la convention de Milan, du i3 mai 1707, Mantoue et tout son duché furent occupés par les Impériaux; le duc fut déclaré coupable de félonie, et ses fiels furent réunis à la directe de l’Empire ; peu après il mourut à Padoue, le 5 juillet 1708, sans laisser d’enfant. Mais il restoit de sa famille une branche cadette, celle des ducs de Guastalla et de Sabbionetta, princes de Bozzolo, qu’avoit formée Frédéric de Gonzague , général (1) Muratori Annali d'italia , 1701, T. XII, p. ’S. —Limiers, Histoire de Louis XIV, L XIII, p. 69. — Le Vassor, Histoire de LouisXIII, T. VI, L. XXVI, p. 98.—WiU. Cexe, Histoire de la Maison d’Autriche, Ch. LXXY, T. IV, p. ai i. CH. CXXV. 3ü8 HISTOIRE DES IUÉPUB. ITALIEKUES distingué au seizième siècle. Ces ducs réclamèrent vainement une succession qui leur appar- tenoit par les lois de l’Empire, et qui demeura confisquée. Leur ligne s’éteignit à son tour dans la personne de Joseph-Marie de Gonzague, qui mourut le i 5 août 1746; et la paix d’Aix-la- Chapelle réunit ses petits états à ceux de Parme et de Plaisance. (1) Au commencement du dix-huitième siècle, les duchés de Parme et de Plaisance étoient gouvernés par François Farnèse ; qui avoit succédé à Ranuce II, son père, le r 1 décembre 1694. Dès sa jeunesse il étoit appesanti par une grosseur démesurée, et devenue héréditaire dans sa famille; de plus, il bégayoit, et la foiblesse de son esprit répondoit à ses défauts extérieurs ; aussi avoit-il contracté une crainte extrême de paroître en public, et il se cachoit à tous les yeux. Pendant la guerre de la succession d’Espagne , il mit dans ses villes des garnisons pontificales pour faire respecter sa neutralité, et celle de l’Église dont il se reconnoissoit feudataire. Cependant les Allemands violèrent à plusieurs reprises son territoire. N’ayant point eu d’enfans de Dorothée de Neubourg, veuve de son frère aîné, qu’il avoit épousée, il maria, le 16 sep- (1) Muratori Annaïi d’italia ad ann. 1708, T. XII, p. 55. Ibid. i 7 46, T. XII, p. 4oo. DIT MOYEN \GF. 3op tembre 1714? Élisabeth Farnèse, fille de celui-ci, ch. c*xv. à Philippe Y, roi d’Espagne. Quoique les femmes ne fussent point appelées à l’hérédité des fiefs de l’Église, ce fut Élisabeth qui transmit à la maison de Bourbon des prétentions sur les duchés de Parme et de Plaisance, et qui les fit passer au second de ses fils. (1) François Farnèse n’avoit jamais voulu accorder à son frère Antoine un revenu suffisant pour que celui-ci pût se marier; d’ailleurs Antoine étoit seulement d’une année plus jeune que le duc, sa corpulence étoit également monstrueuse ; aussi regardoit-on déjà l’extinction de la maison Farnèse comme certaine, lorsque le traité de la quadruple alliance imposa, en 1720, des lois à l’Espagne, pour terminer la guerre excitée par le cardinal Albéroni. L’héritage de Parme, aussi-bien que celui de Toscane, fut assuré à un fils d’Élisabeth Farnèse et de Philippe V, qui ne fut pas roi d’Espagne : les duchés de Parme et de Plaisance furent déclarés fiefs impériaux, malgré les réclamations du pape Clément XI; et il fut convenu que des garnisons suisses les occuperoient du vivant des derniers princes de la maison Farnèse, pour garantir cette succession éventuelle. Ces arran- gemens furent encore confirmés par le traité (t) Muratori dnnali d'italia, 1714, T. XII, p 91 3to histoire des répub. italiennes ch. cxsv. du 3 o avril 1726, entre l’Autriche et l’Espagne. (1) L’infant don Carlos, auquel ces principautés italiennes étoient destinées, ne passa point dans la péninsule avant la mort du duc de Parme François, survenue le 26 février 1727. Le frère de ce dernier, don Antoine, qui étoit alors âgé de quarante-huit ans, se hâta de chercher une femme , pour sauver en- , core, s’il étoit possible, la maison Farnèse de son extinction. Il se maria au mois de février 1728 avec Henriette d’Este, troisième fille du duc de Modène. Le pape Benoit XIII, et l’empereur Charles VI, le sommèrent en même temps de recevoir, l’un de l’Église, l’autre de l’Empire, l’investiture de ses duchés; il craignit de se compromettre avec des souverains tellement plus puissans que lui ; et, pour ne point décider entre eux, il refusa l’un et l’autre. Sur ces entrefaites, la France, l’Angleterre et l’Espagne convinrent, par un traité signé à Séville, le 9 novembre 1729, que six mille Espagnols seroient mis en garnison à Livourne, Porto - Ferraïo , Parme et Plaisance, pour assurer la succession de l’infant don Carlos. Cette substitution des troupes espagnoles aux troupes suisses, déplut (1) Muratori Annali d’Italia , 1720, 1725, T. XII, p. iai, i 4 i— Calluzzi, Isloriadi Toscana, L. IX, cap. III, p. 345 , T. VII. DU MOYEN AGE. 3l I à l’empereur, qui ne voulut point accéder au en. exxv traité de Séville, et qui fit passer trente mille hommes en Lombardie, pour s’opposer à l’introduction de ces garnisons, (i) Les ducs de Parme et de Toscane, qui voyoient disposer de leur héritage, de leur vivant, et contre leur gré, redoutoient également et l’arrivée des troupes étrangères qui viendraient leur faire la loi, et la guerre par laquelle l’empereur sembloit prêt à les en défendre. Leur règne se consuma en tristes négociations, qui toutes avoient pour objet l’époque de leur mort, qu’on regardoit comme prochaine, encore que tous deux fussent pleins de vie, et au milieu de leur carrière : toutefois aucune troupe espagnole n’é- toit encore arrivée en Italie, lorsqu’Antoine , dernier souverain de la maison Farnèse, mourut le 20 janvier 1731. Pendant le peu d’années que dura son règne, il considéra les finances de ses états comme une rente viagère : il sacrifia les générations qui dévoient le suivre aux jouissances du moment présent : et il ne mit aucune borne à ses profusions, soit pour satisfaire ses goûts, Soit pour gagner la reconnoissafice des flatteux's et des complaisans qui l’entouraient. (2) (1) Muraiori Annali d’Ital. adann. 1729, T. XII, p. i56.— Hist.de la Diplora. franc., T. V, p. 60, sixième période, L. III. — Calluzzi, Stor, del gran liucalo, L. IX, c. XI, T. VIII, p. 66, (2) Muratori Annali d'Italia, 1 r j’ 2 >\ , T. XII, p. 170, — J 312 HISTOIRE DES RÉPÜB. ITALIENNES ch. cxxv. L a duchesse Henriette, veuve du dernier duc de Parme, se croyoit grosse; et ce fut seulement au mois de septembre de la même année qu’elle reconnut s’être trompée, et qu’elle quitta Parme pour retourner à Modène. Cette incertitude donna le temps aux autres puissances de s’entendre sur leurs prétentions. Le général impérial avoit pris possession, dès le 23 janvier 1731, de Parme et de Plaisance, pour le compte, il est vrai, de l’infant d’Espagne, mais avec des troupes allemandes : un commissaire pontifical, qui se trouvoit alors à Parme, protesta solennellement le lendemain contre cette prise de possession, contraire à la suzeraineté de l’Église. Une nouvelle convention signée le 22 juillet 1731 , entre l’empereur, le roi d’Espagne et 1 Angleterre, confirma les arrangemens de la quadruple alliance. Ce fut seulement le 27 décembre de la même année, que l’infant don Carlos arriva à Livourne, avec les troupes espagnoles qui dévoient le mettre en possession de ses nouveaux états. Après avoir séjourné plusieurs mois en Toscane, auprès du grand- duc Jean Gaston de Médicis, qu’on forçoit à l’adopter en quelque sorte, et à le reconnoiire pour son héritier présomptif, don Carlos fit Calluzzi , Istoria di Toscana, L. IX, c. VII, T. VIII, p. 116. — \Vili Coxe, Hist. de la Maison d’Autriche, Ch. LXXXVIII, T. IV. p. 410. DU MOYEN AG1C. 3 ï 3 son entrée à 'Parme, le g septembre 1732. (1) eu. cxxv. I/emperenr Charles VI avoit donné pour tuteurs à don Carlos, sa grand’mere , la duchesse Dorothée, veuve d’Edouard et de François Far- nèse, et le grand-duc de Toscane; mais, dès l’année suivante , la maison de Bourbon ayant attaqué celle d’Autriche , don Carlos, qui le 20 janvier 17 33 avoit accompli sa dix-septième année, se déclara lui-même majeur, et prit en même temps le commandement en chef de l’armée espagnole en Italie. Comme le duc de Savoie, Charles-Emmanuel III, avoit pris de son côté le commandement de l’armée française, et qu’il achevoit rapidement la conquête du Milanez , don Carlos, qui n’étoit plus nécessaire en Lombardie , se dirigea, au commencement de février 1734, avec l’armée espagnole, vers le royaume de Naples, dont il alloit tenter la conquête. Dès-lors, cependant, espérant échanger les deux petits duchés de Parme et de Plaisance contre une monarchie plus puissante, et ne comptant point rentrer dans l’héritage qui lui avoit été si long-temps destiné, il dépouilla les palais des Farnèse de leur plus riche mobilier, pour l’emporter avec lui. Le duc de Montemar, qui dirigeoit ses opérations, battit, près de Bitonto, (1) Muratori Annali d’italia ad ann. l'j'bf, 1732, T. XII p. 17 r. — Galluzzi , Storia (fl Toscana , L. IX , c YII, T. VIII, p. 1 t5. eu.exxv. 314 ÜISTOIRE DES RÉPÜB. ITALIENNES le 27 mai, la petite a-rmée impériale qui seule lui avoit opposé quelque résistance; car, dès le 9 avril, la capitale avoit ouvert ses portes aux Espagnols. Avant la fin delà campagne, les deux royaumes de Naples et de Sicile furent entièrement soumis à don Carlos. (1) Encore que ce jeune prince, en quittant Parme, eût paru renoncer à cette souveraineté, les faciles succès qu’il obtint dans le royaume de Naples rallumèrent son ambition et celle de son père. Ils se flattèrent de recouvrer tout ce que la paix d’Utrecht avoit fait perdre en Italie à la couronne d’Espagne; et le duc de Montemar reprit, en 1735, la route de Lombardie pour y tenter de nouvelles conquêtes. Mais le cardinal de Fleury ne voulut pas servir plus longtemps l’ambition de l’Espagne; il fit signer, le 3 octobre, à Vienne, des préliminaires de paix avec l’empereur, et il donna ordre au duc de Noailles de ne prêter plus aucune assistance au général espagnol; en sorte que le duc de Montemar, pressé tout-à-coup par les Allemands, fut contraint à faire, au travers de la Toscane, une retraite précipitée vers le royaume de Naples. (2) (1) Muratori Annali d'îtalia ad ann. i j 54 , p. 2o5.— Gai- luzzl, Stor. di Toscana, L. IX, c. IX, T. VIII, p. 179- — Will. Coxe, Histoire de la Maison d’Autriche, Ch. XC, T. IV, P- 447 - (2) Muratori Ann. d’Italia ad ann. 1733, T. XII, p. 217.— DU MOYEN AGE. 315 Au mois d’avril de l’année suivante, les gar- C n. cxxv nisons espagnoles qui occupoient Parme et Plaisance évacuèrent ces deux cités, emportant en même temps les bibliothèques et la galerie des Farnèse, tous les tableaux, tous les meubles, et tous les effets précieux des palais dévastés ; en sorte que les peuples joignirent à la douleur de perdre leur indépendance, celle de voir enlever tous les ornemens de leurs cités. Lies ministres espagnols délièrent alors, au nom de don Carlos, les sujets de Parme et de Plaisance de leur serment de fidélité; et ils partirent ensuite, sans consigner ces états aux Autrichiens, Aussitôt qu’ils se furent retirés, le prince de Lobkovvitz en prit possession, le 3 mai 1736, au nom de l’empereur. (1) Parme et Plaisance ne demeurèrent pas longtemps réunis au duché de Milan. A peine cinq ans s’étoient écoulés depuis leur cession à la maison d’Autriche, lorsque cette maison vint à s’éteindre ; et le roi d’Espagne ayant élevé des prétentions à l’héritage de Charles VI, le duc de Montemar débarqua, le 9 décembre 1741, à Orbitello, avec une armée espagnole destinée à tenter de nouvelles conquêtes en Italie. La Galluzzi, Storia di Toscana, L. IX, c. IX, p. 198. — Will. Coxe, Ch. XCI, p. 465 . (1) MuratoriAnnalid’lialia, 1756, T. XII, p. 223 . — Galluzzi Istoria, I.. IX, c-. X, p 2i3, 3 16 niSTOmiî nus répue. italiennes en. exxv. reine d’Espagne, Elisabeth Farnèse, avoit un second fils nommé don Philippe, né le 5 mars 1720. Cette princesse ambitieuse , qui regrettoit toujours l’héritage de sa famille, résolut de faire à ce fils un établissement en Italie : elle le mit à la tête d’une armée espagnole, formée en 174a } sur les frontières de la Provence. Cette armée occupa toute la Savoie; mais elle fut long-temps avant de pouvoir pénétrer en Italie. Le roi de Naples avoit été contraint par l’amiral Matheus à s’engager à la neutralité, le 19 août 174a, pour éviter un bombardement de sa capitale. Le duc de Modène, qui avoit embrassé le parti français, avoit été expulsé de ses états ; les duchés de Parme et de Plaisance étoient occupés par les Allemands ; et ce ne fut pas avant le mois de septembre 1745 que l’infant don Philippe put entrer dans les états auxquels il prétendoit. (1) A peine don Philippe avoit eu quelques succès en Lombardie, que la cour d’Espagne songea à lui faire une souveraineté non plus de Parme et de Plaisance seulement, mais de tout le Mi- lanez. Il entra en effet à Milan le 16 décembre 1745. La seconde défection du roi de Prusse, qui fît sa paix particulière avec Marie-Thérèse, permit à celle-ci de diriger la plus grande partie de ses forces vers l’Italie. Don Philippe fut (1) Muratori Annali d'Itaiia. et seq., p 271,—Will, Coxe, Ch. CVI, T. V, p. i3 7 . DU MOYEN AGE. 3 1 7 forcé d’abandonner Milan le 19 mars; et, avant ch. cxxv. la fin de la campagne de 1746, les Français et les Espagnols furent chassés de toute la Lombardie. (1) Durant la même campagne, don Philippe avoit perdu son principal appui ; son père Philippe Y étoit mort, le c)juillet 1746. Ferdinand VI, fils de Philippe V, du premier lit, qui avoit succédé à la couronne d’Espagne, ne prenoit point un intérêt si vif à l’établissement des enfans de sa belle-mère. Aussi la cour d’Espagne se contenta-t-elle d’obtenir, par le traité d’Aix-la-Chapelle, les deux duchés de Parme et de Plaisance , qui redevinrent ainsi indépendans le 18 octobre 1748, et auxquels seulement le petit duché de Guastalla fut annexé, (a) La guerre de la succession d’Autriche avoit en quelque sorte intéressé toute l’Europe à la transmission de l’héritage des Farnèse à une branche des Bourbons. Mais, après cet événement , les états de Parme et de Plaisance retombèrent dans l’obscurité pendant le règne de (1) Muralori Annali d'Ilalia adann. 17461 T. XII, p. 347 - —OEuvres posthumes de Frédéric II. Histoire de mon temps, Ch. X-XIV, T. II, p. 77.—Will. Coxe, Histoire de la Maison d’Autriche, Ch. CVII, T. V, p. i 53 . (■2 ) Muratari Annali d’Italia ad ann. 1748 , T. XII, p. 445 . — Histoire de la Diplomatie française, sixième période, L. V, T. Y, p 4 1 7 ■ — Will. Coxe, Histoire de la Maison d’Autriche, Ch. CVIII, T. V, p. 177. 3l8 HISTOIRE DES RÉPUIÎ. ITAE1EJVJVES ch, cxxv. l’infant don Philippe, qui mourut le 18 juillet 1765, et pendant celui de son fils et successeur don Ferdinand. Cependant le goût du premier de ces princes pour les lettres et la philosophie, la protection qu’il accorda aux écrivains français, le choix qu’il fît, pour élever son fils, de l’abbé de Condillac, introduisirent en Lombardie des idées nouvelles, avec un sentiment de liberté civile et religieuse, que le gouvernement espagnol en avoit sévèrement banni. Les villes de Parme et de Plaisance, qui avoient bien peu participé dans les siècles précédé ns à la gloire littéraire de l’Italie, parurent animées d’une vie nouvelle ; et l’on y vit fleurir plusieurs hommes distingués. Les duchés de Modène et de Reggio n’éprouvèrent , dans la première moitié du dix-huitième siècle, guère moins de calamités que ceux de Parme et de Plaisance. Renaud d’Estc, qui régnoit à Modène dès l’an 1694, embrassa le parti impérial dans la guerre de la succession d’Espagne. Tous ses états furent en conséquence envahis par les Français ; et le duc se réfugia à Bologne jusqu’en 1707, que la Lombardie fut évacuée par les armées des Bourbons. La paix d’Utrecht le confirma dans les possessions qu’il avoit avant la guerre; il y ajouta, en 1718, le petit duché de La Mirandole, qu’il acheta de l’empereur, après que celui-ci l’eut confisqué DU MO\ EN AGK. 3 iq sur François Pic, dernier prince de cette mai- ch. cxxv son. Fidèle au même parti, Renaud fut pour la seconde fois obligé de s’enfuir à Bologne , dans la guerre de 17^4, tandis que ses états furent occupés par les troupes françaises et espagnoles. Il rentra dans sa capitale le il\ mai 1736; et il y mourut au bout de dix-sept mois, le 26 octobre 1737, âgé de quatre-vingt-deux ans. (1) Le duc Renaud, qui avoit. été cardinal, qui n’avoit déposé l’habit ecclésiastique qu’à l’âge de quarante ans, et qui éloit parvenu à une grande vieillesse au temps de la dernière guerre où il se trouva engagé malgré lui, ne prenoit aucune part à ses opérations. Son fils François III, qui lui succéda , avoit eu au contraire des goûts et une éducation militaires. Avant de monter sur le trône, il avoit fait une campagne contre les Turcs : il rechercha l’alliance de la maison de Bourbon dans la guerre de la succession d’Autriche ; et il fut nommé généralissime des troupes françaises et espagnoles employées en Italie contre Marie-Thérèse. Il donna par-là une occasion aux Autrichiens d’envahir ses états , de les dévaster, de les écraser de contributions , tandis qu’il conduisit son armée dans l’état pontifical, où il se maintint long-temps; puis dans la rivière de Gènes, la Provence et (ti Muratori Andali d'Italia ad arm. 1737, T. XII, p,257, CH« CXXY, 320 HISTOI1U2 DES RÉPUB. ITALIENNES la Savoie, où il courut la même fortune que l’infant don Philippe. Il fut rétabli dans ses états, en 1748, par le traité d’Aix-la-Chapelle; mais ils les trouva ruinés par les déprédations des troupes autrichiennes et piémontaises qui les avoient occupés pendant plusieurs années, et il augmenta encore leur détresse par la pesanteur des impositions auxquelles il les soumit, et le mauvais système de ses finances. Il mourut âgé de quatre-vingt-deux ans, le 25 février 178a. La réputation des deux plus érudits entre les Italiens, de Muratori et de Tiraboschi, tous deux ses sujets et ses pensionnaires, a réfléchi quelque gloire sur son règne. Il étoit dans la destinée des duchés de Mo- dène et Reggio d’être gouvernés par des vieillards. Hercule III, fils de François III, étoit marié depuis quarante ans, quand il succéda à son père. Il avoit épousé, au mois de septembre 1741 , Marie-Thérèse Cybo, fille et unique héritière de don Aldérano Cybo, dernier duc de Massa et Carrara ; et il avoit ainsi fait entrer dans sa famille un quatrième petit duché, outre ceux de Modène, Reggio et La Mirandole. Le duché de Massa et Carrara étoit un des nombreux petits fiefs impériaux, possédés par les marquis Malaspina , entre la Ligurie , la Lombardie et la Toscane. Deux siècles et demi auparavant, il avoit passé, par une femme, sous Dü MOYEN AGE. 3 a I le titre de marquisat, à Franceschetto Cybo, fils ch. cxxy d’innocent VIII j il avoit été érigé en duché en 1664, et de nouveau il passoit, par une femme, à la maison d’Este (1). Hercule III, parvenu à la couronne ducale dans un âge avancé, fut accusé , plus encore que ses deux prédécesseurs, de l’avarice qu’on reproche souvent à la vieillesse. Il amassoit un trésor qui, loin de servir à sa défense au moment du besoin, augmenta son danger, en excitant la cupidité de ses ennemis. 11 maria sa fille unique, le i4 octobre 1771, à l’archiduc Ferdinand d’Autriche, et cette princesse est demeurée le seul représentant des princes d’Este, autrefois souverains de Ferrare, Modène et Reg- gio ; des Malaspina et des Cybo, souverains de Massa et Carrara ; des Pischi, souverains de la Mirandole; et des Pii, souverains de Carpi et Correggio : car toutes les maisons souveraines d’Italie sembloient atteintes par une même fatalité ; et la maison u’Este elle-même étoit prête à s’éteindre, lorsqu’elle perdit ses états par les guerres de la révolution. On avoit vu finir à Naples les maisons de Du- razzo, d’Anjou et d’Aragon, à Milan les Visconti et les Sforza, les Paléologue au Montferrat, les Montefeltro et La Rovère à Urbin, les Gonzague à Mantoue, à Guastalla et à Sabbionetta; les (1) Muratori Annali d’Italia , 1741, T. XII, p. 274. — Viani Storia e monete di Massa, Ch. XIV. p. 5 g. TOME XVI. 21 32 2 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES eu. cxxv. Farnèse à Parme et Plaisance; et l’Italie vit aussi s’éteindre au dix-huitième siècle, avant la maison Cybo et celle d’Este, la maison de Médicis, qui, héritant d’une gloire acquise par des parens fort éloignés, étoit illustre à raison des grands citoyens de Florence qu’elle avoit produits, non à raison de ses grands-ducs. Cosme III régnoit à Florence depuis 1670; et déjà, même en montant sur le trône, sa vie étoit empoisonnée par ses démêlés avec Marguerite d’Orléans, sa femme, à laquelle il étoit devenu insupportable par ses soupçons et sa tyrannie minutieuse ; mais il n’avoit pas eu moins à souffrir, à son tour, des extravagances de cette princesse française, ou du mépris qu’elle lui té- moignoit. Malheureux lui-même dans son intérieur, il sembloit ne pouvoir s’intéresser à un mariage sans le rendre malheureux et infécond. Son fils aîné, Ferdinand, qui mourut avant lui, le 3 o octobre 1713, quoiqu’âgé déjà dé cinquante ans, n’eut point d’enfans de Violante- Béatrix de Bavière, qu’il avoit épousée en 1688. Sa fille Anne-Marie-Louise, n’en eut point non plus de Jean-Guillaume, électeur palatin, qu’elle épousa en 1691. Son second fils, Jean Gaston, n’en eut pas davantage de la princesse de Saxe-Lavembourg, qu’il épousa en 1697 (1). ( 1 ) Galluzai, Storia di Toscana, L. VIII, c. IV, p. ioi, T. VII. Ibid. Cap. V, p. ia5. Ibid. L. IX, cap. I, p. 3o5. T>U MOYEN AGE. 323 Pour éviter l’extinction de sa famille, qui pa- ch. cxxv. roissoit imminente, Cosme III engagea enfin, en 1709, son frère François-Marie âgé de cinquante ans, à renoncer à la pourpre romaine dont il étoit revêtu, et à épouser Éléonore de Gonzague fille du duc de Guastalla. Mais ce mariage ne fut pas plus heureux que les autres. Ferdinand et François-Marie précédèrent Cosme III au tombeau : Jean Gaston, séparé de sa femme, et accablé d’infirmités, ne pouvoit plus conserver aucune espérance d’avoir des enfans, et Cosme voyoit, avec une amère douleur, les plus grandes puissances de l’Europe s’occuper, pendant sa vie et celle de son fils, de disposer de sa succession. Il réclama vainement en faveur des droits de la république florentine, dont ses ancêtres n’étoient que les représentans, et à qui la souveraineté devoit retourner à l’extinction de la ligne des Médicis (1). 11 essaya aussi d’assurer son héritage à sa fille, celui de ses enfans qu’il préféroit ; il voulut au moins décider lui-même entre les prétendans à la couronne de Toscane; mais les diplomates européens, ne tenant pas plus de compte de ses droits que de ceux de son peuple, ne l’écoutèrent pas même, en réglant, le sort de ses états. (1) Galluzzi , Storiadelgran Ducato , L. VTII, c. IX, p. a 4 o. Adann. 1710, T. VII. CH. CXXV. 3î4 HISTOIRE DES RÉPLIJ. ITALIENNES Il mourut enfin le 5 i octobre 1723, après avoir été abreuvé de mortifications, et avoir éprouvé autant de soucis qu’il avoit causé de maux à ses peuples. (1) Jean Gaston, qui succéda à Cosme III, avoit été en butte aux persécutions des hypocrites qui infestoient la cour de son père : il n’avoit jamais trouvé, dans son palais, qu’ennui, que gêne et que tristesse. Dès qu’il fut délivré de la contrainte dans laquelle il avoit vécu jusqu’à l’âge de cinquante - deux ans, il chercha, en s’entourant de bouffons et d’hommes uniquement occupé! de le réjouir, à se distraire, et de ses infirmités qui le retenoient presque constamment au lit, et du partage de sa succession , dont on faisoit retentir l’Europe. Jean Gaston étoit bon homme; mais il ne voyoit^point d’avenir devant lui : il ne songeoit point à la misère des sujets qu’il n’avoit pas sous les yeux, moins encore à celle qui viendrait après lui ; et il ne mettoit aucune borne à ses dissipations, pour que tous ceux qui l’approchoient se retirassent d’auprès de lui avec un visage satisfait. Les finances furent dilapidées ; l’administration tomba entre les mains de valets, et de gens tout- à-fait méprisables. Il mourut enfin, à l’âge de soixante-six ans, le 9 juillet 1737 , laissant à ses (1) Galluzzi Storia, L. IX, c. IV, p. 22, T. VIII. mi MOYEN AGE. 3a 5 successeurs beaucoup à faire pour réparer les 011 cxxv maux de la Toscane, (i) Le duc de Lorraine François, époux de Marie- Thérèse, auquel la Toscane avoit été assignée en partage, vint, a\i mois de janvier 1738, visiter ses nouveaux états; mais il n’y fit qu’une courte demeure. Le prince de Craon, Marc de Beauveau, qui l’avoit élevé, avoit été chargé de recevoir le serment des nouveaux sujets de François; et il gouverna la Toscane avec l’autorité d’un vice-roi. Ce fut de concert avec le comte de Richecourt, le ministre le plus distingué du nouveau grand-duc, qui, en 1745, reçut le titre d’empereur. Tous deux travaillèrent à réformer les lois de la Toscane, à en rétablir les finances, et à rendre l’administration de la justice plus impartiale et plus régulière. La veuve de l’électeur palatiu, sœur de Jean Gaston, qui étoit revenue à la cour de son père en 1717, et qui avoit eu le plus grand crédit sur lui, avoit survécu à son frère, qui ne l’ai— moit point et qui n’en étoit point aimé. Cette princesse consentit, le 5 i octobre 1787, à céder à la maison de Lorraine tout l’héritage mobilier et immobilier de la maison de Médicis, en échange contre une pension viagère de quarante mille écus florentins. Le grand-duc Fran- (i) Galluzzi, Sloriadi Tascana, L, IX, c. X, p. 110. 326 HISTOIRE DES REPUB. ITALIENNES ch. cxxv. çois lui accorda le titre de régente, des gardes au palais, et toute l’apparence d’une cour. Elle mourut enfin, à Florence, le 18 février 1743, à l’âge de soixante-seize ans. En elle ne s’éteignit point la maison de Médicis; il en subsistait et subsiste toujours une branche née d’un des ancêtres de Cosme le père de la patrie ; mais comme elle n’avoit point été comprise dans le décret de Charle^-Quint, il ne fut jamais'ques- tion de l’appeler à la succession. (1) L'empereur François I er , qui, en Toscane, portait le nom de François II, mourut à Vienne, le 18 août 1765. Tandis que son fils aîné Joseph II lui succédoit dans les états d’Autriche , le second, Pierre Léopold, âgé seulement de dix-huit ans, fut déclaré grand-duc de Toscane, et vint prendre possession de sa principauté le 11 septembre i665. Nul état d’Italie n’a jamais dû à aucun souverain autant que la Toscane à Pierre Léopold. Occupé constamment à réformer tous les abus introduits pendant plus de deux cents ans par une administi'a- tion vicieuse, il simplifia les lois civiles, il adou- , cit les lois criminelles, il rendit au commerce la liberté, il retira des provinces entières de dessous les eaux, et il en partagea la propriété entre des cultivateurs industrieux, qu’il ne (1) Galluzzi, Storiadi Toscana, L!b. IX, cap. X etultim., p. a5a. DU MOYEN AGE. 327 chargea que d’un fermage peu onéreux, il doubla ch. cxxv. ainsi les produits de l’agriculture ; il rendit à ses sujets une activité et une industrie qu’ils avoient abandonnées depuis long-temps. 11 essaya aussi de mettre un frein à la corruption des mœurs, et de réprimer les excès de la superstition ; mais il fatigua quelquefois ses sujets par une vigilance trop inquisitive, et il éprouva une violente opposition à ses réformes ecclésiastiques, de la part du concile provincial qu’il assembla le 23 avril 1787- Les préjugés des prêtres et les vices du peuple se liguèrent contre un prince peut-être trop actif dans son désir de faire le bien; et lorsque la mort de Joseph appela Léopold à céder le grand-duché à son second fils pour prendre la couronne impériale, le peuple toscan ne parut point assez se souvenir de tout ce qu’il devoit à ce grand prince. Les deux royaumes de Naples et de Sicile, auxquels la guerre de l’élection de Pologne avoit rendu, en 1738, un monarque indépendant, eurent aussi lieu de s’applaudir de ce qu’il leur apportait les opinions et l’énergie d’une nation étrangère. Les peuples que le despotisme a trop long-temps corrompus, tombent enfin dans un sommeil léthargique dont ils ne peuvent plus se réveiller par leurs seules forces; ils ont besoin alors que de nouvelles idées leur soient apportées du dehors, que des exemples uou- 1 3a8 HISTOIRE UES REPÜB. ITALIENNES ch. cxxv. veaux soient mis sous leurs jeux, qu’un mélangé d’élëmens divers cause dans leur sein une fermentation vivifiante. Trois des fils de Philippe Y, Ferdinand VI en Espagne, Charles Vil à Naples, et Philippe à Parme réveillèrent, par l’introduction d’une cour française, par des livres, des institutions et des pensées françaises, l’activité long-temps endormie des peuples du midi qu’ils gouvernèrent, en Espagne et en Italie. Les trois fils de Philippe V parurent n’avoir rien conservé de la craintive superstition de leur père, ou des intrigues artificieuses de leur mère. Ils montrèrent dans leur administration le désir du bien, de l’indépendance dans l’esprit, et même des idées libérales. Don Carlos, qui se fit appeler Charles VII de Naples, Charles V de Sicile, et qui fut ensuite Charles III d’Espagne, fit beaucoup de bien aux deux premiers royaumes pendant les onze années qu’il les gouverna depuis la paix d’Aix- la-Chapelle. Cependant sa tâche étoit à peine commencée, et il aurait fallu continuer longtemps encore à travailler dans le même esprit, pour produire une réforme durable, dans un pays où tant de choses étoient à refaire. Charles pouvoit à peine se flatter que son successeur fût en état de suivre ses vues : l’état où il voyoit sa famille étoit profondément affligeant; elle pa- roissoit frappée d’un vice héréditaire dans ses DU MOYEN AGE. 329 facultés intellectuelles. Philippe V, son père, ch.cxxv avoit passé la plus grande partie de sa vie, dévoré par une mélancolie soupçonneuse, qui lui faisoit fuir tout commerce avec les hommes, et qui, dans un particulier, auroit reçu les noms de vapeurs ou de folie (1). Ferdinand, son frère, subjugué par sa femme, princesse de Portugal, étoit tombé, à la mort de celle-ci, le 27 août 1 j 58 , dans un état plus déplorable encore ; il passoit tour-à-tour, des accès furieux de frénésie, à des intervalles où il étoit livré au plus sombre désespoir, encore qu’on les appelât lucides. Ce délire dura tout près d’une année : Ferdinand VI mourut enfin le 1 o août 17 5g; et comme il ne laissoit point d’enfans, Charles passa du trône de Naples à celui d’Espagne. Le fils aîné de celui-ci, Philippe - Antoine, alors âgé de douze ans, étoit réduit à un tel état d’imbécillité, qu’il fut nécessaire de l’écarter de la couronne : Charles fit reconnoître le second, âgé de onze ans, pour prince des Asturies; ce fut ensuite Charles IV d’Espagne; et il déclara le troisième, qui n’avoit que neuf ans, roi des Deu»-Siciles ; c’est Ferdinand IV. Pendant la minorité de celui-ci, et long - temps encore après son terme légal, Charles III exerça une (1) Saiut-Simon, Mémoires secrets de la Régence, Liv. IV, ch. I, T. VII, OEuvres, p. 178. 330 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES ca, cxxv . influence décisive sur les conseils des Deux- Siciles. (x) Dans aucun siècle, l’Église romaine n’a porté sur la chaire de Saint-Pierre plus d’hommes distingués par leur moralité, leur bon esprit, quelquefois leur amour pour leurs sujets, et même leurs sentimens libéraux. Toutefois ces papes si dignes de respect et d’estime n’ont pu arrêter la décadence effrayante et toujours plus rapide de l’état de l’Eglise, ni remédier aux vices d’un gouvernement dont le principe est de confier toutes les branches de l’administration à ceux qui entendent le mieux la théologie et le moins les affaires. Clément XI (Jean-François Albani), qui régna du 24 novembre 1700 au 19 mars 1721, fut, presque malgré lui, l’auteur des persécutions dirigées en France contre les Jansénistes. La fameuse constitution Unigenitus lui fut arrachée par l’intrigue : elle compromit son autorité, et fut la grande affaire politique de son règne. La guerre de la succession d’Espagne se faisoit autour de ses frontières ; et tandis qu’il étoit réduit par sa foiblesse à reconnoilre celui des deux concurrens dont il avoit le plus à craindre, cha- cunê des deux puissances rivales lui reprochoit (1) Histoire de la Diplomatie française; septième période, L. II, T. VI, p. 170.. DU MOYEN AGE. 33 1 tout ce qu’il accordoit à l’autre, et en punissoit ch. cxxv. ses sujets, (i) Le cardinal Michel-Ange Conti, qui fut élu pape le 28 mai 1721 sous le nom d’innocent XIII, ne régna point assez long-temps pour laisser un souvenir distinct de son administration : elle n’est presque signalée que par l’obligation qui lui fut imposée de donner le chapeau de cardinal à l’abbé Dubois, et par la réhabilitation du cardinal Albéroni, contre lequel son prédécesseur avoit fait commencer des poursuites juridiques. ( 1 ) Innocent XIII mourut le 7 mars 1724; le cardinal Vincent-Marie Orsini, qui lui fut donné pour successeur, le 29 mai 1724 , prit le nom de Benoît XIII. Déjà afïoibli par son grand âge, il ne fît rien qui répondît à ses intentions pieuses et pacifiques : sa conduite privée fut toujours pleine de douceur, d’humilité, de charité; il voulut sincèrement mettre fin aux persécutions du jansénisme : ses bulles produisirent un effet tout contraire; et son administration à Rome fut signalée par les concussions et l’avarice du cardinal Coscia de Bénévent, à qui il accorda une aveugle confiance ; il en résulta un déficit annuel d’environ cent vingt (1) Muratori Annali d’italia ad ann. 1713, p. 87. Bulle Unigenitus, aun. 1721, p. 126. (2) Muratori Annali, 1721, p. 128. Cil. exxv. 332 HISTOIRE DES RÈPITB. ITALIENNES mille écus romains dans les revenus de la chambre apostolique : il fallut le couvrir par de nouveaux emprunts, et ajouter ainsi à la masse déjà énorme des dettes précédentes. Benoît XIII mourut le 21 février 1730; et à l’instant même un soulèvement éclata à Rome : le peuple vou- 1 lut se faire justice par lui-même du cardinal Coscia et de tous les ministres subalternes qu’il avoit fait venir de Bénévent ; ils étoient accusés d’avoir vendu la justice, les emplois, les grâces ecclésiastiques ; et la clameur publique força le successeur de Benoît XIIÎ à faire le procès du cardinal Coscia, et à l’enfermer au château Saint- Ange. (1) Ce successeur fut Laurent Corsini, Florentin, qui fut élu le 12 juillet 1730, et qui prit le nom de Clément XII. Il étoit âgé de soixante- dix-huit ans lors de son élection, et sa vie se prolongea dix ans encore; car tel est le malheureux sort des états romains, que le pouvoir absolu y est presque toujours confié à un homme qui doit apprendre le métier difficile de souverain à l’âge où il conviendroit au contraire de renoncer à toute affaire. Celles dont Clément XII se trouvoit chargé, présentoient plusieurs difficultés : aucun des monarques de l’Europe, même dans les pays qui paroissoient encore (1) Muratori Annali d'italia ad ann. 1726, p. i 45 ; ann. 1729, p. 159 j 1700, p. 162, T. XII. DU MOYEN AGE. 333 accablés par le joug de la superstition, ne con- «"• cxxv servoit plus avec le Saint-Siège l’esprit de soumission dont leurs prédécesseurs s’étoient fait un devoir. La cour de Portugal s’engageoit avec la cour de Rome dans des disputes d’étiquette qui prenoient un caractère sérieux ; celle de Turin avoit réuni au domaine de la couronne beaucoup de fiefs ecclésiastiques; celle de France faisoit bloquer le comtat d’Avignon, pour des disputes de contrebande ; et les cours de Vienne et de Madrid disposoient des duchés de Parme et de Plaisance, comme s’ils étoient fiefs de l’Empire, tandis que depuis deux cents ans, ils étoient reconnus pour fiefs de l’Église. Quoique Clément XII pût s’apercevoir du changement de l’esprit du siècle, il ne savoit se résoudre à abandonner aucun des droits exercés par ses prédécesseurs ; et son règne entier fut consacré à des disputes pénibles, (i) Après les préliminaires de paix, signés à la fin de l’année 173 5 , entre la France et l’Autriche , sans que l’Espagne eût encore voulu y souscrire, le comte Kevenhuîler poursuivit l’armée espagnole du duc de Montemar, qui se retiroit vers le royaume de Naples : le premier entra avec trente mille Autrichiens dans les trois légations ; il laissa vivre ses troupes à dis— (i) Muratori Annali d’Iialia ad ann. 1733, p. i 83 . 334 HISTOIRE DES REPUE. ITALIENNES cn.cxxv. crétion chez les malheureux habitans du Bolonais, du Ferrarois et de la Romagne; tandis que les Espagnols et les Napolitains ne ménagèrent pas davantage Vellétri et Rome même ; en sorte que l’état de l’Eglise, sans s’être départi de la neutralité, éprouva, sous le pape Clément XII, presque tous les malheurs de la guerre, (i) Dans la dernière année du pontificat de Clément XII, le cardinal Albéroni, qu’il avoit fait légat de Romagne, essaya de réunir au Saint- Siège la petite république de San-Marino, trop foible et trop pauvre pour avoir jusqu’alors tenté l’ambition de personne. Le gouvernement / de cette bourgade avoit dégénéré en oligarchie ; et Albéroni avoit prétendu que les mécontens, qui formoient de beaucoup le plus grand nombre , desiroient se soumettre à la souveraineté du Saint-Siège : il ne fallut au cardinal Albéroni que deux cents soldats, secondés par les sbires de Romagne, pour se rendre maître, au milieu d’octobre 1769, de tout l’état de San- Marino. Mais les réclamations des habitans furent portées au pape; et celui-ci eut l’intégrité de reconnaître qu’il avoit donné trop précipitamment son consentement à son légat : il ordonna que les habitans de San-Marino fussent ( 1 ) Muratori Annali d!Italia, arm. ij55, p. 218 . DTI MOYEN AGE. 335 appelés à émettre librement leur vœu ; et lors- ch, cxxv qu’jl vit que ceux-ci réclamoient unanimement leur indépendance , il lesES RÉPUJ3. ITALIENNES ch. cxxvr. arbitraire ne s’en croyoit pas moins libre, dès que l’acte arbitraire dont il soufïroit étoit l’ouvrage d’un magistrat qu’il pouvoit considérer comme son mandataire. Mais il semble d’abord contraire aux principes mêmes qu’ils avoient adoptés, d’appeler libre le gouvernement où une autorité illimitée étoit exercée par une classe seule de la nation, sans que les autres eussent aucune part à cette souveraineté dont un petit nombre de citoyens s’étoient emparés. On peut concevoir que Florence leur parût libre, lors même que le gonfalonier, les prieurs, les podestats délégués par le peuple, faisoient l’usage le plus violent du pouvoir momentanément déposé entre leurs mains, tandis qu’on ne voit pas en quoi consistoit la liberté de Venise, où un pouvoir tout aussi arbitraire étoit exercé par le conseil des Dix qui ne représentoit que la noblesse. Cette confusion d’idées cependant n’est point particulière aux Italiens : elle se retrouve également dans toutes les républiques et de l’antiquité et des temps modernes. Les aristocraties, les oligarchies grecques, allemandes et italiennes, ont toutes également invoqué le nom de la liberté, ont toutes prétendu la conserver, toutes les fois quelles ne se sont pas soumises au pouvoir d’un seul. En effet, en laissant de côté la liberté civile ou la liberté passive, il étoit DU MOYEN AGE. 361 vrai de dire qu’il existoit toujours de la liberté en. cxrvi dans l’état, toutes les fois qu’une classe tout entière participoit à la souveraineté. Seulement ce n’étoit pas alors la nation qui étoit libre ; c’étoient uniquement ces familles qui étoient propriétaires de la liberté. Chez les anciens, qui avoient conservé des esclaves jusque dans leurs républiques les plus libres, on n’avoit point cherché l’origine des droits de l’homme dans la dignité même de l’espèce humaine ; on n’avoit point reconnu que toute institution publique devoit tendre au bonheur de tous. Les droits humains leur pa- roissoient fondés sur des lois positives, et non sur la loi naturelle. Ils voyoient en tout pays des hommes ingénus et des esclaves; ce fait qu’ils admirent sans observation, ne leur répugnoit pas plus dans leurs cités que dans leurs familles. La liberté devint pour eux un héritage, comme la fortune; cet héritage pouvoit n’avoir été transmis qu’à un très-petit nombre de familles, au milieu d’une population nombreuse, comme à Sparte au temps de la ligue achéenne, et à Lucques au dix-huitième siècle : cependant on continua de nommer libre l’état où les familles propriétaires de la liberté n’étoient devenues elles-mêmes la propriété de personne, où elles conservoient entre elles la souveraineté sur elles-mêmes : si cds mêmes familles avoient en CH. CXXVI. f 362 HISTOIRE OES RÉl'UÏ!. ITALIENNES même temps des sujets dans l’êtat, des esclaves dans leurs maisons, cette sujétion d’une partie de la population, étrangère à la cité, ne chan- geoit point ou ne constituoit point la nature du gouvernement. Ce n’en étoit pas moins une république. Mais l’esclavage domestique n’existoit plus dans les républiques italiennes, et cette différence seule les place à une grande distance au- dessus de celles de l’antiquité ; un plus grand respect pour la dignité de l’homme, plus -de bonheur dans toutes les classes, plus d’industrie, plus d’activité, plus de puissances productives, et en conséquence plus de richesses , eu furent les résultats. Les républiques, lorsqu’elles prenoient encore à peine ce titre, mais qu’elles se con- sidéroient seulement comme des communautés libres sous la protection de l’empereur, prirent l’initiative de l’afl'ranchissement des esclaves; la plus grande masse de leur population étoit composée d’hommes qui avoient tout récemment brisé eux-mêmes leur chaîne : elles ouvrirent presque toujours un asile dans leurs murs aux serfs qui s’échappoient des terres des seigneurs leurs voisins. L’abolition de l’esclavage commença de cette manière; depuis, la religion et la philosophie s’en sont tour-à-tour attribué l’honneur. Cependant l’intérêt personnel seul l’accomplit. DU MOYEN AGE. 363 Cette abolition progressive de l’esclavage, qui ou. cxxvi des villes s’étendit aux campagnes, est un événement trop important dans l’histoire de la liberté italienne, pour ne pas fixer quelques momens notre attention. Pendant le règne des empereurs romains, les cultivateurs libres avoient absolument disparu de la surface de l’Italie; les riches propriétaires qui, dans un seul corps de ferme, réunissoient des provinces dont la république romaine, après plusieurs années de guerre, avoit triomphé dans ses beaux jours, les faisoient cultiver par d’immenses troupeaux d’esclaves. Les champs ne contenoient plus de maisons isolées , de hameaux ou de chaumières ; ils présentoient déjà l’apparence que présente aujourd’hui XAgro romano, également désert, également divisé en fermes de dix ou douze milles d’étendue : seulement les armées de laboureurs qui descendent aujourd’hui des montagnes de la Sabine, étoient alors remplacées par des malheureux que la force seule contraignoit au travail, et qui n’en pouvoient espérer aucune récompense. Les invasions des Bai’bares firent disparoitre en peu de temps toute la population de l’Italie , parce que les esclaves étoient le butin qu’il leur convenoit le mieux d’enlever, qu’ils vendoient avec le plus d’avantage, et qu’ils conduisoient avec le moins d’embarras. Les esclaves, tou- 364 HISTOIRE DES REPCB. ITALIENNES ch. cxxvi. jours empressés de changer de condition , sui- yoient volontiers leurs nouveaux maîtres, dont ils attendoient un traitement plus doux ; cependant ils pe'rissoient dans leurs marches, au travers des forêts de la Germanie et de la Scythie, comme on a vu périr, mille ans plus tard, les esclaves non moins nombreux que les Turcs enlevoient dans toutes les provinces de l’Adriatique, et dont la race ne s’est point conservée. Les propriétaires, comme les nobles Romains d’aujourd’hui , cherchèrent dès-lors, non à multiplier le produit de leurs terres, mais à diminuer leurs propres avances; et ils calculèrent, comme ils le font encore, que, quelque diminution qu’eût subie le produit brut de l’agriculture par la dépopulation, la rente nette de leur terre n’en étoit point diminuée. Enfin les Barbares, au lieu de ravager les provinces de l’Empire, vinrent s’y établir à demeure fixe. Gn sait qu’alors chaque capitaine, chaque soldat du Word, vint se loger chez un propriétaire romain, et le contraignit à partager avec lui ses terres et ses récoltes. Tout ce qui restoit en Italie d’anciens esclaves demeura dans la même condition : mais les cultivateurs libres, obligés à reconnoître un maître dans le Germain ou le Scythe qui se nommoit leur hôte, furent contraints à rapprendre eux-mêmes à travailler. Indépendamment de la partie inculte du terrain DU MOYEN AGE. 365 que celui-ci se fît céder pour y parquer ses ch. cxxvt troupeaux, il voulut encore entrer en partage des récoltes des champs, des oliviers, des vignes : ce fut alors que commença sans doute ce système de culture à moitié fruit, qui subsiste encore dans presque toute l’Italie, et qui a si fort contribué à perfectionner son agriculture, et à améliorer la condition de ses paysans. Lorsque le travail des hommes libres se trouva en concurrence avec celui des esclaves, sa supériorité fut trop frappante pour ne pas engager le maître barbare à lui donner la préférence. Le métayer, descendu presque toujours de quelque ancien propriétaire romain, vivoit avec sa famille sur la moitié des produits de cette terre qui avoit été à ses ancêtres : l’esclave, qu’il fal- loit bien nourrir, encore que sa paresse et sa négligence diminuassent ses pouvoirs productifs , consommoit les deux tiers des fruits qu’il avoit fait naître. Le Barbare commença dès-lors à accorder la liberté, et une partie du désert dont il s’étoit rendu maître, à son esclave, pour qu’il en fît une métairie nouvelle. Chaque jour le seigneur des terres eut lieu de se convaincre davantage, qu’il ne feroit jamais vivre ses esclaves avec aussi peu de chose que ce qui suf- fisoit au métayer, ou qu’il ne pourroit obtenir d’eux autant de travail, parce que l’intérêt actif et industrieux est un meilleur économe que la 3G6 HISTOIRE DES RÉPÜB. ITALIENNES ch. csxvi. force ; et chaque jour, avec les progrès des générations, un plus, grand nombre d’esclaves fut affranchi dans les campagnes. La loi ne se mêla point de l’abolition de l’esclavage, le honteux commerce des hommes ne fut point prohibé ; cependant la servitude ces- soit partout. Dans les siècles civilisés, et jusqu’à la fin du seizième, on vit encore des esclaves dans les maisons des riches; on n’en vit plus dans les champs. Les soldats, abusant de leur victoire, vendirent quelquefois, au plus offrant, tous les habitans d’une ville prise d’assaut : ce fut le sort que l’armée de François Sforza fît subir , en 1447 , à la malheureuse ville de Plaisance; les papes, dans leur ressentiment sans mesure , condamnèrent plus souvent encore tous les sujets d’un état ennemi à être réduits en esclavage ; en autorisant à les vendre quiconque se saisiroit d’eux. Tous les vassaux des Colonna furent condamnés de cette manière par Boniface VIII, tous les Florentins par Sixte IV, tous les Bolonais, en i5o6, tous les Vénitiens, en i5og, par Jules II. Mais ceux qui achetoient ces captifs, trou- voient bientôt plus avantageux de les remettre en liberté pbur quelque argent, que de les nourrir en n’obtenant d’eux que peu de travail. Dans aucune description des villes ou des campagnes à ces diverses époques, on ne voit de traces ' d’esclavage : le fanatisme seul a pu en maintenir DU MOYEN AGE. ^67 les derniers restes en Italie, en dépit de l’intérêt personnel. Les captifs faits sur les Maures et les Turcs sont enchaînés aux galères, en haine de leur religion ; et leur esclavage dure jusqu’à ce jour, quoiqu’ils coûtent à l’état plus que des hommes libres. Le fanatisme a de même, à plusieurs reprises, tenté ailleui’s de faire renaître l’esclavage ; et nous devons aux missionnaires Portugais qui dirigèrent, dès le milieu du quinzième siècle, les premières expéditions sur la côte occidentale d’Afrique, cet esclavage des nègres aux Antilles qui fait notre honte aujourd’hui. Le fanatisme a fait condamner, en Espagne et en Portugal, pendant le seizième et le dix-septième siècle, plusieurs centaines de milliers de Juifs, puis de Maures, à être réduits en esclavage. Cependant l’intérêt personnel, plus puissant que le zèle d’un clergé persécuteur, a remis constamment en liberté ceux que l’Eglise mettait dans les fers. De nos jours, l’esclavage ne se continue dans toute l’Europe orientale, de la Russie jusqu’à la Hongrie, que parce que les propriétaires de terres n’ont pas su mettre à profit le travail des hommes libres, et qu’au lieu de partager avec eux les produits de la terre, ils les ont forcés à leur donner la moitié de leur temps ; en sorte que, dans les jours de chaque semaine qui sont le droit du maître hon- OH. CXXIV 368 HISTOIRE DES RÉPUE. ITALIENNES en. cxxvi. grois ou bohémien, l’homme libre ne travaille pas avec plus de zèle, d’activité ou d’intelligence que n’auroit fait un esclave. Lorsque, dans un temps rapproché de nous, les philosophes ont porté de nouveau leurs regards sur la constitution de la société, ils n’ont point eu sous les yeux des objets semblables à ceux qui frappoient les philosophes de l’ancienne Grèce. D’ une part, le travail manuel n’étoit plus fait par des esclaves : d’autre part , presque tous les pays civilisésétoient gouvernés par des monarques. La nature des institutions actuelles se confond presque toujours pour nous avec la nature même des choses : les anciens n’avoient pu concevoir comment on auroit pu se passer d’esclaves ; les modernes n’ont pu comprendre comment on pour- roit se passer de maîtres. Les politiques du dix- huitième siècle se sont moins occupés de ce qu’étoit la société humaine que de ce qu’elle de- voit être. Us ont eu moins de respect pour les droits établis, parce qu’ils n’en ont vu nulle part d’incontestables; mais ils ont respecté davantage le caractère de l’homme ; toutefois ils ont accommodé en même temps leurs théories à l’intérêt de l’autorité sous laquelle ils vivoient, etils ont établi en principe, que tout gouvernement étoit institué pour le bonheur des peuples qui lui sont soumis, quoique les princes jusqu’alors eussent cru n’avoir d’autre intérêt et d’autre devoir * DU MOYEN ACE. OOQ que leur conservation, ou ce qu’ils nommoient ch. cxxvi. leur gloire. La liberté des anciens étant une propriété du citoyen, il n’étoit point essentiel d’examiner jusqu’à quel point elle contribuoit au bonheur; de même qu’on n’examine pas, pour conserver à chacun son héritage, si les richesses constituent ou non la félicité du sage. Mais la liberté des modernes étant considérée comme le moyen par lequel les gouvernemens arrivent au but pour lequel ils sont institués, le bonheur de tous, il a été nécessaire d’examiner, afin d’établir le droit des peuples à être libres, de quelle manière la liberté constitue le bonheur, ou jusqu’à quel point elle y contribue. L’une et l’autre marche est également logique, mais en partant de principes différens. Celle des anciens est peut-être la première dans l’ordre des idées : ils considérèrent l’origine des sociétés, et ils se demandèrent d’où venoit le pouvoir qu’ils voyoient établi ; cet homme seul alors leur parut libre, qui n’étoit soumis qu’à un pouvoir qu’il avoit formé lui-même, ou qu’il avoit contribué à former. Ainsi, la ligne qui sé- paroit le citoyen du sujet étoit pour eux fortement tracée, et ne pouvoit admettre aucun doute. La liberté des modernes doit être appréciée sur des nuances beaucoup plus délicates. Pour en fixer les limites, il faut examiner jus- 24 TOME XVI. 370 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES en. cxxvi. qu’à quel point il convient aux hommes réunis en société d’être gouvernés, ou à quel prix il leur convient d’acheter la protection de la force publique contre leurs ennemis au-dedans et au- dehors; ensuite jusqu’à quel point chacune des facultés humaines a besoin de contrôle pour l’avantage de tous; dans quel cas, enfin, il vaut mieux diminuer quelque chose de la force de tous, que de restreindre trop le bonheur ou la sécurité de chacun. Cet examen a mené à reconnoître que le but des hommes, en se réunissant, étant d’assurer la protection mutuelle de leurs personnes, de leur honneur, de leurs propriétés, de leurs sen- timens moraux, un gouvernement qui se joue- roit de la vie, de la fortune et de l’honneur des individus , qui offenseroit les sentimens de justice, d’humanité et de décence publique, man- queroit absolument son but, et devrait être considéré comme une tyrannie, lors même qu’il aurait été établi par la volonté de tous. On a reconnu ensuite, que l’homme n’avoit point demandé à son gouvernement de le protéger contre lui-même, mais seulement contre les autres ; d’où l’on a conclu que l’exercice de toute faculté qui n’a point d’action sur les autres n’est pas du ressort du gouvernement. Sur cette règle est fondée la liberté de la pensée et celle de la conscience ; tandis qu’il y a tyrannie toutes OU MOYEN AGE. 371 les fois que le gouvernement se mêle de punir ch. cxxvi. autre chose que les actes extérieurs, ou qu’en eux il cherche les traces du mécontentement et de la malveillance pour se venger de ces sen- timens. Enfin, on a reconnu que le mal qui résulte- roit pour tous, de la répression de certaines actions qui peuvent devenir nuisibles, seroit plus grand encore que le mal que ces actions pourroient produire. Ainsi, l’on a regardé cor^me tyrannique le gouvernement qui empêche de parler, d’écrire, d’imprimer; qui punit, avec une vigilance trop soupçonneuse, certaines fautes, certains vices qu’on ne sauroit réprimer sans une inquisition insupportable pour tous : et l’on a conclu, qu’un gouvernement est d’autant plus libre qu’on sent moins son action; qu’il est libre, non-seulement parce qu’il ne punit que ce que la loi défend, mais encore parce que la loi ne défend pas tout ce qu’elle pourroit défendre. Après avoir défini de cette manière cette liberté purement défensive, cette liberté toute négative, à laquelle tout bon gouvernement de- voit atteindre, on a cherché à lui donner pour garantie les droits politiques des citoyens. Ils ont dès-lors été considérés, non plus comme étant eux-mêmes la cause de la liberté, mais seulement une de ses sauvegardes. Les mo- 372 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES ch. cntTi. dernes ont mis au premier rang, parmi ces droits politiques, la liberté de la presse proprement dite, ou le droit de provoquer l’attention publique sur les affaires d’état, par des écrits publiés sans l’aveu préalable du gouvernement; la liberté de débat dans les assemblées politiques ; enfin, le droit de pétition, ou le recours ouvert à tout opprimé jusqu’à l’autorité souveraine , interpellée par des citoyens associés dans ce but sous les yeux de tout le public. Ces diverses prérogatives ne font point partie de la liberté civile ; ce sont plutôt les armes mises entre les mains du peuple pour la défendre. Après avoir reconnu combien l’idée que nos ancêtres, jusqu’au siècle dernier, se formoient de la liberté, est différente de celle que nous nous en formons de nos jours, on éprouvera moins de surprise en s’assurant que dans toutes les républiques de l’antiquité, dans toutes celles de la Suisse et de l’Allemagne, dans toutes celles enfin de l’Italie qui nous ont si long-temps occupés , les droits divers dont nous venons de développer l’origine, n’étoient nullement garantis. Les républiques italiennes n’avoient point songé à protéger la vie, l’honneur ou la propriété des citoyens, par une législation ou une forme de procédure supérieures à celles qui étoient usitées dans les états les plus despotiques. DU MOYEN AGE. 373 Les magistrats, les tribunaux et les lois auroient ch. cxxvi eu besoin d’une entière réforme, pour assurer la liberté civile, ou le bonheur de ceux qui leur étoient soumis. Aujourd’hui il est reconnu que l’on compromet la liberté, lorsqu’on transforme les administrateurs en juges, et qu’on les arme du pouvoir de punir ceux mêmes qu’ils ont rencontrés comme antagonistes dans les querelles politiques : car le magistrat appelé souvent par sa place à jouer le rôle, et à épouser les passions d’un chef de parti, est investi du droit de juger le parti qui lui est contraire, les hommes qui, dans la cause du peuple, ont voulu arrêter ses usurpations, ou s’opposer à ses injustes mesures. Les républiques italiennes n’é- toient pas entièrement tombées dans cette erreur, commune à presque toutes les autres. Le pouvoir judiciaire y étoit habituellement séparé du pouvoir administratif : la seigneurie, renouvelée tous les deux mois par le sort, et choisie parmi les citoyens actifs, étoit chargée de la direction générale des affaires : quelques juges étrangers, entourés de jurisconsultes également étrangers, se partageoient la justice civile et criminelle. Mais pour que cette division du pouvoir exécutif et judiciaire ne laissât aucune crainte , il auroit fallu quelle fût complète; que les magistrats fussent toujours obligés de renvoyer par-devant les tribunaux ceux qui les 374 HISTOIRE ni;.s répub. italiennes ch. cxxv:. avoient offensés, et que dans aucun cas ils ne siégeassent eux-mêmes en jugement. Au contraire, dans les républiques italiennes, même les mieux ordonnées, on vit à plusieurs reprises la seigneurie ressaisir momentanément le pouvoir du glaive, et envoyer à la torture ou à l’échafaud ceux qui venoient de mettre en danger son autorité. Non-seulement les juges ne disposoient pas seuls de la vie, de l’honneur et de la fortune des citoyens ; ils n’étoient point eux-mêmes constitués de manière à donner une suffisante garantie de leur impartialité ou de leur humanité. La loi exigeoit qu’ils fussent étrangers, pour qu’ils n’épousassent point de parti dans la république, qu’ils ne demeurassent pas plusieurs années en fonctions, de peur qu’ils n’adoptassent les passions des citoyens ; qu’enfin à leur sortie de charge, ils fussent soumis à une en - quête sur leur administration , pour les mettre en garde contre la corruption et les présens. Mais la loi n’avoit point séparé le jugement du droit d’avec celui du fait ; elle n’avoit point appelé les simples citoyens, comme chez les Romains ou les Anglais, à prononcer sur la vie de leurs concitoyens ; elle n’avoit point mis chaque homme sous la garantie de l’intérêt de ses égaux; elle n’avoit point demandé, avant l’exécution d’une sentence capitale, le concours d’un tri- DU MOYEN AGE. 3 7 5 bunal populaire, qui, par son essence, mêlât en. cxxvi. la miséricorde à la rigueur. Il n’existoit aucune loi pénale qui modérât les sentences des juges, ou qui éclairât d’avance les prévenus sur leur sort. On n’interdisoit pas même aux podestats d’écouter, en jugeant, la passion ou la colère; et comme ils siégeoient presque toujours seuls sur leurs tribunaux, ils n’étoient point appelés à exposer dans un rapport les circonstances de la cause à leurs collatéraux, à les débattre à haute voix, et à motiver leuz’s jugemens. Leur décision et les raisons qui l’avoient produite étoient renfermées dans le plus impénétrable de tous les secrets, celui d’un homme avec sa propre conscience. La procédure donnoit moins de garantie encore que la constitution du tribunal : l’instruction étoit secrète; et le prévenu, dépourvu de conseil dans sa prison, et d’avocat pour se défendre, étoit abandonné à toutes les conséquences de sa foiblesse, de ses terreurs, de son ignorance, ou de son incapacité. L’effroyable procédure commençoit par la torture, et aucune borne n’étoit fixée par la loi, aux tour- mens par lesquels on pouvoit presser un prévenu ; de même qu’elle n’avoit point déterminé quels étoient les indices suffisans pour l’exposer à cette cruelle épreuve. Cependant les aveux que des douleurs atroces lui avoient arrachés, en. cxxvi. 376 HISTOIRE DES REPLIE. ITALIENNES étaient regardés comme des preuves suffisantes ou contre lui, ou contre ses prétendus complices. La loi permettait enfin des supplices tout aussi effroyables que dans les monarchies ; et l’humanité était révoltée par les exécutions autant que par les procès. Ainsi donc, même en temps ordinaire, la société était loin de garantir l’honneur, la vie, ou les biens des individus, par ses magistrats, ses juges, ou ses lois. Mais dans les révolutions qui n’e'toient que trop fréquentes, l’abus d’une prétendue justice devenoit plus criant encore. Alors les chefs d’un parti, se faisant investir d’une autorité illimitée, sous le nom de balie, punissoient en masse, sans information, sans procédure , sans jugement, tous les membres du parti contraire, par des exils, des confiscations de biens, et souvent des supplices capitaux. Les Italiens n’avoient jamais pensé que le but même de la formation des sociétés donnoit des limites à l’autorité souveraine : ils n’avoient point vu que les hommes n’ont pu lui soumettre que leurs rapports les uns avec les autres j et ils avoient permis aux gouvernemens de pénétrer dans l’intérieur de leurs pensées, pour diriger leurs opinions , et punir leurs sen- timens. Toutes les républiques italiennes s’étant formées dans le sein de la religion catholique, et cette religion soumettant par la con- OU MOYEN AGE. 3 77 fession la pensée au tribunal des prêtres, les cn.cxxvi esprits s’étoient accoutumés à regarder le secret des consciences, comme étant du ressort de l’autorité. La poursuite et la punition de l’hérésie étoient une suite nécessaire de la soumission des républiques à l’Église. L’instruction contre la magie étoit également requise par les prêtres, et une fois qu’on avoit admis la funeste croyance de l’action des hommes sur les puissances infernales, la magie devoit entrer dans le ressort des tribunaux , puisqu’on la regardoit , comme un moyen par lequel un homme pouvoit nuire à ses semblables. Mais l’on ne pouvoit poursuivre ce crime prétendu, qui se commet sans témoins dans la profondeur des nuits, sans donner lieu aux procédures les plus soupçonneuses, les plus arbitraires et les plus tyranniques. Au reste, ce n’étoit pas seulement loi’squ’ils vouloient poursuivre l’hérésie ou la magie, que les tribunaux italiens croyoient avoir le droit de descendre dans le cœur de l’homme, et de punir ce qui s’y passe sans témoins ; ils s’at- tribuoient le droit de soumettre à la vindicle publique tout sentiment de mécontentement ou de haine contre le gouvernement : ils en cherchèrent souvent l’indication dans une parole, un geste, un soupçon ; et l’on vit, dans les mo- mens de révolution, les républiques adopter les usages et les principes des gouvernemens ab CH. CXXVI. 378 HISTOIRE DES RÉPUE. ITALIENNES solus, et punir par des supplices, non les actes extérieurs, mais la pensée secrète dont ils étoient la manifestation. Si les gouvernemens italiens ne s’étoient pas abstenus de juger les sentimens et les pensées, qui ne sont nullement du ressort de l’autorité publique, à plus forte raison ne s’étoient-ils point fait scrupule d’armer une moitié des citoyens contre l’autre , et d’en encourager un grand nombre à faire l’infâme métier de délateurs , lorsqu’ils purent espérer ainsi de réprimer des habitudes vicieuses ou nuisibles, qu’on voudroit exiler sans doute d’une république bien réglée, mais qu’on ne sauroit punir sans soumettre tous les citoyens à une inquisition insupportable. Le blasphème devint un des premiers objets de la vigilance des magistrats, et fut soumis à toute la sévérité de tribunaux établis pour sa seule répression. Ce n’est qu’en Espagne et en Italie qu’on rencontre cette habitude vicieuse, absolument inconnue aux peuples protestans, et qu’il ne faut point confondre avec les grossiers juremens que le peuple en tout pays mêle à ses discours. Dans tous les accès de colère des peuples du Midi, ils s’attaquent aux objets de leur culte, ils les menacent, et ils accablent de paroles outrageantes la Divinité elle-même, le Rédempteur ou ses saints. On trouve des DU MOYEN AGE. 879 traces de cette habitude scandaleuse dans le langage et les juremens des autres peuples : mais la volonté d’insulter la Divinité par cette espèce d’attaque, ne pouvoit se conserver que dans un pays où la superstition, sans cesse aiix prises avec l’incrédulité, a rapetissé tous les objets du culte, et les a fait descendre au niveau des hommes. La poursuite des blasphémateurs a dans tous les temps occupé les tribunaux de l’Italie. Cependant leur délit ne laisse aucune trace après lui : celui même qui l’a commis, n’en garde le plus souvent aucun souvenir, les témoins sont presque toujours impliqués dans la querelle qui y a donné lieu ; chacun à son tour tombe dans la même faute, et la poursuite du blasphème n’en a point diminué l’habitude, tandis quelle a donné lieu aux procédures les plus iniques et les plus arbitraires. Beaucoup d’autres délits de pures paroles furent considérés comme également punissables ; on vit plus d’une fois les supplices atteindre ceux qui, par leurs propos, avoient cherché à jeter du ridicule ou du blâme sur le gouvernement ; et ceux qui avoient manifesté dans leurs écrits des opinions réprouvées, non-seulement en religion ou en politique, mais même en philosophie. On vit encore, mais seulement par intervalles, d’autres habitudes vicieuses soumises à des peines infiniment sévères, et * CXXVI 38- cussion , sans délibération publique, sans que DU MOYEN AGE. 4^3 la nation soit associée d’aucune manière à ce ch. cxxvii qui va être réglé sur sa destinée. La critique des divers systèmes économiques ou politiques adoptés par le gouvernement, seroit un délit ; l’histoire moderne même est interdite ; elle pourrait induire des sujets en tentation de juger ce qu’ils doivent considérer comme trop haut pour leur entendement. Les gazettes enfin, que l’usage général de l’Europe a forcé de permettre, ne contiennent jamais, à la date d’Italie, que les élans de la joie publique pour le passage d’un prince, son mariage, ou la naissance de ses en fans. La jurisprudence criminelle est la partie de la législation qui affecte le plus immédiatement la liberté du citoyen ; c’est elle aussi qui peut le plus altérer son caractère. Dans les pays où l’instruction des procès est toujours publique, chaque procès criminel est une grande école de morale pour les assistans. L’homme du peuple qui souvent a besoin d’appui contre les tentations violentes dont il est entouré, apprend à l’audience que le crime qui a été commis sous le secret des nuits, loin de tout témoin, avec toutes les précautions que peut suggérer la prudence de la scélératesse, parvient cependant, par une suite de circonstances imprévues , à être découvert; que la conscience troublée du coupable le trahit la première, et qu’aucune jouis- 28 ' TOME XV r. 434 HISTOIRE DES RÉPUB. ITALIENNES ca. exxvn. sance n’a suivi ces forfaits qui sembloient mettre le criminel au comble de ses vœux. Il apprend que l’autorité qui veille sur lui est bienveillante, qu’elle est éclairée, qu’elle ne punit qu’après avoir reconnu le crime. Il s’associe de tout son cœur au jugement; et tandis qu’il lutte en faveur de l’innocence, il abandonne sans regret le coupable à toute la rigueur des lois. Mais lorsque l’instruction est secrète, qu’elle n’est accompagnée d’aucun plaidoyer, d’aucun débat qui associe le public au jugement, la sentence capitale n’offre aucun dédommagement à la société, pour la perte d’un de ses membres. Parmi ceux qui assistent au supplice, les uns sont frappés de terreur, ils accusent le juge d’injustice et de cruauté, et s’intéressent uniquement au malheureux, dont ils ne connois- sent que la souffrance : les autres s’endurcissent dans leurs mauvais sentimens ; ils se persuadent que le condamné n’a succombé que par son imprudence , et qu’à sa place ils seroient plus heureux, parce qu’ils auroîent été plus habiles. Tous s’accordent à ne voir dans la justice criminelle qu’un pouvoir persécuteur, un pouvoir odieux ; ils se liguent pour soustraire tous les prévenus également à son action, et ils font peser une sorte d’infamie sur tous ceux qui ont contribué de quelque manière à ce qu’elle s’accomplisse. DU MOYEN AGE. 435 Cette ligue contre la justice criminelle s’est eu. cxxvh en effet formée dans toute l’Italie, en raison du secret profond dont la procédure s’enveloppe; et le préjugé contre ses ministres est si enraciné que la loi elle-même a dû l’adopter. Les archers des tribunaux, les caporaux et les sbires sont déclarés infâmes ; et l’on comprend que des hommes qui consentent à embrasser un métier couvert du mépris public et de celui de la loi, s’arrangent pour mériter l’infamie de leur condition. C’est dans leurs rangs cependant qu’on choisit le bargello, qui se nomme lui-même leur capitaine, et qui remplit en même temps la fonction d’accusateur public devant les tribunaux, et celle de premier magistrat de police. L’infamie de son premier métier le suit dans cette situation plus relevée. Un honnête homme rougit d’avoir eu aucun rapport avec le bargello, d’avoir reçu de lui aucun service : néanmoins chaque citoyen sent à toute heure que sa réputation, sa liberté, sa -vie, dépendent, des informations secrètes que donnera cet officier. Personne n’est à l’abri d’être arrêté de nuit, dans sa propre maison, garotté, transporté au loin, par la seule autorité de cet homme, qui n’en rend compte qu’au seul ministre de police, ou président du buon governo. L’Italie est probablement le seul pays au monde où l’infamie légale, loin d’être incompatible avec le pouvoir, soit une condi- /|36 HISTOIRE DES REPIJB. ITALIENNES ch. cxxvir. tion requise pour exercer une certaine autorité. Ce seroit une si grande honte de s’exposer à être comparé à un bargello ou à un sbire, qu’un Italien, de quelque rang qu’il soit, s’il n’a pas perdu tout soin de sa réputation, ne contribuera jamais à traduire un malfaiteur entre les mains de la justice. Un vol impudent, un meurtre effroyable, seroient commis au milieu de la place publique, que la foule, au lieu d’arrêter le coupable, s’ouvriroit pour lui laisser un passage, et se refermeroit pour arrêter les sbires qui le poursuivent. Le témoin, interrogé sur un crime commis sous ses yeux, s’offense de ce qu’on veut le faire parler comme un espion. La compassion pour le prévenu est si vive, la défiance de la justice du juge est si universelle, que les tribunaux osent bien rarement braver ce sentiment général, et prononcer une sentence capitale. Les prévenus n’y gagnent rien ; ils languissent quelquefois dans les prisons pendant de longues années, ou bien ils sont condamnés à la relégation dans des pays de mauvais air, où la nature fait lentement et douloureusement ce que le juge n’a pas osé faire; mais l’exemple de la peine qui suit le crime, est perdu pour le public. Dans presque toute l’Italie, le jugement des causes, tant civiles que criminelles , est abandonné à un seul juge. Peut-être s’est-on trompé DU MOYEN AGE. 4^7 dans les autres pays, lorsqu’on a cru multiplier les lumières en multipliant les juges. Plus le nombre des juges est restreint, plus chacun d’eux sent augmenter sa responsabilité, et se fait un devoir d’étudier une cause sur laquelle son seul suffrage peut avoir une si grande influence : mais on dénature un tribunal en le réduisant à un seul homme; on ne laisse plus à celui-ci le moyen de distinguer entre ses affections privées ses passions, ses préjugés, et le opinions qu’il forme en sa qualité d’homme public. On expose les parties à souffrir de son humeur, de son impatience; et on lui ôte le frein salutaire que lui impose la nécessité d’exposer ses motifs à ses collègues, pour les amener à son opinion. 11 y a souvent dans le cœur de l’homme des mouvemens contraires à la justice ou à la morale, qui contribuent à ses déterminations sans qu’il s’en rende compte. Celui même qui les ressent, reconnoîtroit leur turpitude, et rou- giroit de se soumettre à leur influence, s’il étoit forcé de les exprimer. Comment un juge diroit- il à haute voix : « Cet homme a une physiono- » mie qui me déplaît ; cet homme est le même » qui m’a répondu avec insolence, ou qui a » refusé de me saluer ; cet homme est celui dont » j’avois toujours prédit qu’il tourneroit mal ; » cet homme est celui dont j’avois entendu faire » des éloges .si ridicules et si impatientans : je . CXXVïî 438 HISTOIRE DES REPUE. ITALIENNES ch. cxxvn. » suis bien aise qu’il soit tombé en faute » ? Et cependant, cette joie de le voir coupable n’est que trop réelle, et elle dispose à trouver toutes les preuves suffisantes pour le condamner. Toutefois le prévenu doit encore s’estimer heureux lorsque le juge unique devant lequel il doit comparoître, siège régulièrement sur son tribunal : mais toutes les fois que le plaignant jouit de quelque crédit auprès du président du buon governo, ou que celui-ci ne veut pas perdre sans retour le coupable, ou que l’accusation porte sur des fautes qu’aucune loi ne condamne, ou qu’il s’agit de punir des opinions ou des sen- timens ensevelis dans le secret du coeur, ou que le ministère veut seconder l’autorité domestique d’un mari sur sa femme, ou d’un père sur ses enfans ; le ministre de la police transmet au vicaire ou au bargello l’ordre d’instruire le procès per via economica. Dans ces procès désignés par le nom d’economici ou de camareli , l’accusé n’est point admis à se défendre ; la plainte ne lui est point communiquée; il n’a aucune notion des preuves produites contre lui : tout au plus a-t-il occasion de deviner la nature de l’accusation par son interrogatoire, dans les cas seulement où il est interrogé. La sentence même qui est rendue contre lui, non par le juge instructeur, mais par celui de la capitale , n’est pas motivée : ordinairement elle DU MOYEN AGE. 4^9 n’excède pas une prison domestique, ou dans en, cxxvu. un couvent, une relégation ou un exil. Néanmoins plus d’un malheureux a été enfermé au fond d’une tour, par une sentence camérale , ou relégué dans un pays de mauvais air, pour lutter avec la fièvre pestilentielle des Marem- mes; et, dans ün temps de troubles politiques, nous avons vu un grand nombre de supplices infamans, ordonnés par la même forme économique. Ainsi, dans toute l’Italie, l’effet salutaire que la justice devoit produire sur la moralité du peuple, a été complètement perdu ; et tin effet tout contraire a été opéré sur le plus grand nombre. Chaque sujet, tremblant devant une autorité qui n’est point comptable de ses actions , qui n’est soumise à aucune loi, qui, pour une partie du moins de ses ministres, ne l’est pas même aux lois de l’honneur, se croit entouré à toute heure de délateurs et d’espions secrets ; il ne peut jamais s’assurer sur le témoignage de sa conscience, et il est forcé à prendre des habitudes de dissimulation, de flatterie et de bassesse. La punition ne lui paroît jamais la conséquence nécessaire de la faute ; les supplices, tout autant que les maladies, sont à ses yeux des coups d’une fatalité qui pèse sur la nature humaine ; la crainte de les subir ne l’arrête jamais sur le chemin du crime : un as- 44 ° HISTOIRE UES RÉEUB. ITALIENNES en. cxxvrt. sassinat ne lui fera point perdre ou la faveur publique, ou les asiles qu’ont offerts long-temps les églises (i), ou ceux qu’offrent encore les frontières nombreuses des petits états entre lesquels l’Italie est coupée. Et jamais, en effet, aucun pays, à la réserve de la seule Espagne, n’a été souillée par plus de meurtres presque toujours impunis. A toutes ces causes d’immoralité, il faut joindre les habitudes de férocité données presque jusqu’à nos jours par le spectacle de la torture. Ce supplice des prévenus, bien plus cruel que celui des coupables, étoit toujours destiné à l’exemple, encore qu’aucun exemple peut-être ne soit plus funeste que celui des tourmens d’un homme contre lequel aucune preuve n’est acquise, et qui doit toujours être présumé innocent. Le gouvernement pontifical avoit soin, pendant toute la durée du carnaval, de faire donner l’estrapade chaque matin à un certain nombre de prévenus, et de réserver tous les supplices capitaux pour le spectacle des jours gras qui terminent cette saison de fêtes. On motivoit cette effroyable accumulation des supplices, sur le désir de prémunir le peuple contre le danger des passions, au com- (i) Malgré le motu proprio du pape, les églises, dans l’État ecclésiastique, servent encore de refuge aux meurtriers et aux voleurs. 1)U MOYEN AGE. 44 [ mencement de chacune de ces journées consa- C n. cxxvn. crées à la joie; et le peuple, avide d’émotions, n’y cherchoit que le spectacle des douleurs physiques, qu’il alloit ensuite se procurer dans les combats de taureaux, sur le môle du tombeau d’Auguste. 11 n’avoit point alors à porter envie aux combats de gladiateurs de Rome païenne : si l’arène étoit baignée de moins de sang, les souffrances dont cn lui donnoit le spectacle étoient bien plus cruelles et plus prolongées. L’influence morale de la législation civile n’est pas si puissante que celle de la criminelle sur ceux qu’atteint la dernière ; mais elle est plus universelle, aucun individu ne peut y échapper. La totalité de la propriété se distribue entre les sujets d’après les lois civiles; et cette distribution fut changée au moment de la suppression de la liberté. Les princes, en se créant une nouvelle noblesse, voulurent mettre le patrimoine de chaque famille à l’abri de toute révolution : ils encouragèrent en conséquence les pères à fonder, par testament, des substitutions perpétuelles, des primogénitures, des commanderies; leur donnant ainsi, même après leur mort, un droit sur leurs propriétés, dont ils dépouilloient les générations successives, et réduisant celles-ci à ne plus jouir qu’en fidéicommis d’une possession limitée par la vo- 44 2 HISTOIRE DES RFJPÜB. ITALIENNES eu. cxxvn. lonté de leurs ancêtres, et l’expectative de leurs descendans. Les plus fatales conséquences résultèrent bientôt de cette innovation dans la législation, qui déshéritait les vivans, en faveur des morts et des enfans à naître; elles furent si évidentes, que, dans le dix-huitième siècle, les princes les plus sages cherchèrent à abolir les fidéicommis, que leurs prédécesseurs avoient favorisés. Les détenteurs du sol, ne se considérant plus que comme des usufruitiers, semblèrent prendre à tâche de dégrader un fonds qui n’étoit pas à eux ; leur fortune ne se trouvant plus proportionnée avec l’étendue de leurs domaines, ce fut un état de gêne et de misère qui devint héréditaire avec les grandes propriétés, plutôt qu’un état d’aisance; les créanciers, trompés par les rentes considérables dont jouissoit un grand propriétaire, se trou- voient dépouillés à sa mort de l’argent qu’ils lui avoient confié. Cette injustice encourageoit chez les prêteurs l’esprit d’usure, chez les emprunteurs la mauvaise foi ; et elle multiplia et compliqua indéfiniment les procès entre les uns et les autres. Cependant la nation entière avoit pris l’habitude de considérer, avant tout, la conservation des familles ; et il n’y eut plus de père qui, dans son testament, ne sacrifiât toutes ses filles à ses fils, tous les cadets à l’aîné, et sa propre veuve OU MOYEN AGE. 443 à ses enfans. Toutes les relations domestiques ch. cxxvu furent changées par cette fausse distribution de la propriété. Le respect filial des enfans pour leur mère fut détruit, lorsque la mère fut rendue dépendante de son fils pour sa subsistance ; l’amitié entre les frères fut également exilée, car l’amitié a besoin d’égalité, et elle ne peut pas exister entre un maître absolu et des flatteurs à gages. Non-seulement les fils cadets eurent une part fort inférieure à celle des aînés, le père de famille prit surtout à tâche d’éviter un partage de sa propriété : il assura seulement à ses plus jeunes fils leur portion à table dans la maison, ou, comme les Italiens l’appellent, il piatto; et il les condamna, par conséquent, à la fainéantise aussi-bien qu’à la bassesse. Aucune industrie ne peut être poursuivie sans un petit capital; il faut faire une certaine dépense pour le moindre apprentissage ; on ne peut suivre une profession lettrée, sans avoir employé ce capital à une éducation toujours dispendieuse ; on ne peut être agriculteur s#ns avoir des terres, marchand sans avoir des fonds, fabricant sans avoir des outils et des matières premières. La plupart des cadets, exclus en Italie de tous ces emplois par leur pauvreté, vivent dans une constante dépendance et une constante oisiveté. Comme les familles y sont nombreuses, justement en 444 HISTOIRE DES REPUE. ITALIENNES en. cxxvn. raison de ce que le père n’est pas appelé à pourvoir au sort de ses enfans; qu’un seul entre cinq ou six frères se marie, et qu’il laisse autant d’enfans qu’il a eu de frères; les quatre cinquièmes de la nation sont condamnés à n’avoir aucune propriété, aucun intérêt dans la vie, aucune espérance, et à ne contribuer par aucun travail à la prospérité de leurs compatriotes. Une classe aussi nombreuse d’oisifs doit nécessairement influer sur la multiplication des vices. Les habitudes nationales de justice furent encore interverties par la pratique constante du recours à la grâce dans les causes civiles. La loi, sacrifiant la justice réelle à une apparence de droit, avoit déjà rendu la prescription très-difficile à acquérir. Dans beaucoup de causes, elle ne peut être plaidée qu’après un laps de temps centenaire. Mais, même après qu’elle est acquise, on voit en Italie le prince l’anéantir par des lettres de grâce. De même, il faut, en Italie, un plus grand nombre de sentences que nulle part ailleurs, pour donner à une décision la force de chose jugée. Mais, même après l’acquisition de cette présomption définitive, le prince accorde encore des lettres de grâce, pour faire juger de nouveau la chose qui ne devroit plus être en débat. Par toutes ces causes, la totalité des droits DU MOYEN AGE. 445 fut rendue incertaine ; des procès interminables en. cxxvn furent laissés en héritage dans les familles, de générations en générations. A mesure que le temps s’écoule entre la naissance d’un procès et sa décision, les preuves deviennent plus difficiles à obtenir, les présomptions se balancent davantage ; et chacun, en soutenant son intérêt, se croit moins exposé au reproche de mauvaise foi. D’autre part, la longueur des procès les multiplie d’une manière effrayante. Dans une ville où il naît dix procès par année, si chacun est terminé en six mois, comme à Genève, il n’y en a jamais que cinq de pendans à-la-fois; s’ils sont, l’un portant l’autre, terminés en dix ans, comme dans la partie la mieux gouvernée de l’Italie, il y en aura cent de débattus en même temps; s’ils sont terminés à peine en trente ans, comme dans la plupart de ses provinces, il y en aura trois cents, et peut-être plus que la ville ne contient d’habitans. En effet, en Italie, il n’y a presque pas de famille qui n’ait un ou plusieurs procès ; et le caractère de chicaneur ou d’homme processif est devenu trop commun pour que personne le regarde comme une tache. Ainsi, l’on peut dire que, dans la moderne Italie, la religion, loin de servir d’appui à la morale, en a perverti les principes ; que l’éducation, loin de développer les facultés de l’esprit, les a engourdies; que la législation, loin 446 niSTOiKE DES RÉPUB. ITALIENNES en. cxxvn. d’attacher les citoyens à la patrie, et de resserrer entre eux des liens- fraternels, les a remplis de défiance et de crainte, et leur a donné pour prudence l’égoïsme, et pour défense la bassesse. Il reste encore une quatrième cause, qui étend son influence sur toutes les sociétés humaines, et qui, avec une force inférieure aux trois précédentes, quelquefois contrebalance, quelquefois seconde leur action, et répare, quoique bien imparfaitement, le mal produit par des institutions vicieuses : c’est le point d’honneur, dont la puissance, supérieure à la volonté de chaque individu, altère ses notions primitives, affermit ou contredit sa morale, et lui trace une conduite uniforme, au lieu de le livrer à l’empire momentané de ses passions. La législation du point d’honneur a en elle- même quelque chose de libéral ; elle n’est point établie par une autorité supérieure, mais au contraire par le concours d’opinions et de volontés indépendantes : aussi, lorsqu’elle se soutient avec force dans un gouvernement monarchique, elle le modifie, et l’empêche de tourner vers un complet despotisme. D’autre part, cette législation n’est jamais fondée sur les vrais principes de la morale ; et le nombre des sentimens naturels qu’elle corrompt, est plus grand que celui de ceux qu’elle conserve ou qu’elle fortifie. L’empire du point d’honneur se fait à peine DU MOYEN AGE. 447 remarquer dans les républiques ; l’opinion pu- ch. cxxvn blique y exerce une telle puissance, qu’elle modifie sans cesse les préjugés les plus accrédités ; elle y juge les personnes sur l’ensemble de leurs actions, et non d’après des règles abstraites et inflexibles. On ne distingue point, dans une république , un homme vertueux d’un homme d’honneur ; on ne distinguoit point non plus ces deux caractères dans les états de l’antiquité. Les premières notions du point d’honneur furent apportées, dans les états du Midi, par les conquêtes des peuples teutoniques; mais elles se fondirent avec les autres élémens de l’opinion publique, et elles ne formèrent point un caractère proéminent dans l’histoire des républiques italiennes. L’introduction, en Europe, de quelques opinions propres aux Arabes, donua aux Espagnols, qui les reçurent d’eux les premiers , un point d’honneur d’une nature nouvelle; ce point d’honneur fut ensuite adopté dans tous les pays sur lesquels la monarchie espagnole étendit son influence. La législation de l’honneur arabe et castillan fut donc importée en Italie dans le seizième siècle , par ces mêmes armées espagnoles qui détruisirent les républiques dont nous nous sommes occupés si long-temps. Elle y régna avec une grande force, aussi long-temps que Charles- Quint et les trois Philippe , ses successeurs , 448 HISTOIRE UES RÉPUB. ITALIENNES ch, cxxvn. maintinrent les plus belles provinces de l’Italie dans une dépendance presque absolue ; elle s’af- foiblit dans les dernières années du dix-septième siècle, et tomba complètement dans le dix-huitième : l’on peut affirmer qu’elle fut également contraire aux progrès de la lumière et de la raison par sa durée et par sa chute. Le point d’honneur, que les Espagnols te- noient des Arabes, paroit se rapporter à trois principes fondamentaux. Le premier est une délicatesse exagérée sur la chasteté des femmes : dès que cette vertu est atteinte en elles par le plus léger soupçon , elles ne succombent pas seules au déshonneur ; la même honte couvre également leurs pères , leurs frères et leurs maris. Le second est une délicatesse tout aussi exagérée sur la valeur des hommes ; de même elle est mise à la place de toutes les autres vertus , et elle compromet toute la famille en un seul individu. Le troisième est une sorte de religion de vengeance, qui n’admet d’autre réparation pour l’offensé que la mort de celui qui a commis l’offense. L’introduction de ces opinions en Italie changea l’état des femmes; elles perdirent l’honnête liberté dont elles avoient joui au temps des républiques ; leurs pères et leurs maris, au lieu de se confier dans leur vertu et leur prudence, ne se crurent plus assurés que par des grilles DU MOYEN AGE. 449 et des verroux. Ce n’étoit pas leur foiblesse seule GH - cm "- qu’ils avoieut à craindre ; un accident qui les exposoit aux yeux de tous , un mot hasardé, une conjecture imprudente , sursoient pour compromettre l’honneur de la maison, et avec lui la vie et la fortune de tous les individus qui la composoient. La jalousie du sentiment ne veilloit point sur elles, mais la jalousie bien plus soupçonneuse de la vieillesse, qui les gar- doit comme l’avare garde son trésor. Plus on redoubîoit de précautions extérieures, et plus on multiplioit les duègnes qui ne les perdoient pas de vue, les grilles qui fermoient leurs maisons, les voiles qui les cachoient à tous les yeux, plus on négligeoit l’éducation morale, qui au- roit placé leur défense en elles-mêmes. La vigilance soupçonneuse de leurs gardiens avoit délivré leur conscience de toute responsabilité. Autant on s’efforçoit de leur rendre impossible tout commerce avec le dehors, autant elles tournoient toutes leurs pensées, toute l’invention de leur esprit vers la galanterie ; et dans le temps où elles furent soumises à la vigilance la plus sévère, leur conduite ne fut guère plus pure que lorsque le déréglement même devint à la mode. Cependant lorsqu’à la fin du dix-septième siècle, le point d’honneur espagnol se relâcha, aucune autre sauvegarde ne fut donnée à la TOME xvi. 20 'iSo HISTOIRE UES RF.PU1Î. ITALIENNES ch. cxxvu. vertu des femmes ; elles ne furent pas mieux instruites de leurs devoirs, elles ne trouvèrent pas un plus ferme appui dans leurs propres sen- timens ; et le bon goût même de la société ne leur fit point une loi de la décence dans leurs propos ou dans leur conduite. Les jeunes filles élevées dans les couvens y reçoivent un enseignement que sa sévérité même rend inapplicable à la vie. La salle de bal et celle du spectacle leur sont représentées comme le lieu où le démon exerce ses plus redoutables séductions ; le crime de regarder un homme par la fenêtre, leur est peint comme presque aussi odieux que celui de lui ouvrir cette même fenêtre, pour le recevoir de nuit dans leur appartement. Le désir de plaire et les excès de l’amour sont mis sur une même ligne. L’époux qui reçoit une jeune fille au sortir du couvent, est obligé de défaire l’ouvrage de son éducation ; de lui enseigner que tout ce dont on lui a fait peur, n’est point un péché, que tout ce qui est interdit aux religieuses, ne l’est pas aux dames. Tous ses principes sont, ébranlés ; la séduction du monde commence; le ton corrompu de la société lui apporte de nouvelles idées, l’exemple la séduit, l’époux auquel elle a été unie n’est point de son choix ; le plus souvent elle ne l’avoit pas même vu avant de se donner à lui : lorsqu’en- suite la paix domestique, la fidélité conjugale , OU MOYEN AGE. I la douce confiance, sont bannies de tous les me- ch. cxxvii. nages , il ne faut pas accuser, mais plaindre les femmes italiennes ; il faut chercher le désordre en remontant vers sa source, et reconnoître que l’éducation , les lois, les mœurs, et non la nature , les ont faites ce qu elles deviennent. Nous avons vu qu’à l’époque la plus florissante des républiques italiennes, la valeur , loin d’être trop prisée par comparaison avec les autres vertus , n’obtenoit pas même de l’opinion publique l’estime qui lui étoit due. Les hommes de guerre n’étoient alors quev des mercenaires employés à exécuter les ordres d’autres hommes qui, dans une carrière plus élevée, avoient obtenu une plus haute réputation. Le magistrat qui brilloit dans les conseils par son éloquence, par sa prudence, par sa décision , ne se piquoit point d’égaler la bravoure militaire du soldat qu’il prenoitàses gages : il donnoit dans l’occasion des preuves d’un courage civil, souvent plus rare et plus difficile ; mais il déclaroit sans honte qu’il ne se croyoit pas propre au combat. La république florentine souffrit plus qu’une auti’e, pour avoir accordé si peu d’estime à la bravoure , elle apprit par des malheurs répétés qu’aucune vertu ne doit être déshéritée par aucun gouvernement ; et elle fut souvent trahie par les généraux et les soldats qu’elle appeloit 452 HISTOIRE DES RJÎPIÎB. ITALIENNES ch. ûxxvit. du dehors , parce qu’elle avoit négligé d’en former parmi ses propres citoyens. Mais les effroyables guerres du commencement du seizième siècle rappelèrent les Italiens aux armes; et, dès-lors ils suivirent avec d’autant plus d’empressement cette carrière nouvelle, que toutes les autres leur furent bientôt fermées. Ils s’engagèrent en foule, pendant tout le seizième siècle , dans les armées espagnoles , dans le temps même où d’autres régimens italiens étoient levés pour le service de la France, et servaient avec distinction dans les guerres civiles de cette contrée. Pendant toute la seconde moitié du seizième siècle, l’infanterie italienne fut considérée comme pleinement égale à l’espagnole ; et toutes deux occupoient le premier rang entre les troupes des nations les plus guerrières de l’Europe. Toutes deux avoient été formées par les mêmes officiers, et furent soumises aux mêmes préjugés. Le point d’honneur militaire italien ne fut autre que celui de l’Espagne. Les deux nations ressentirent de la même manière les mêmes offenses, les mêmes propos, les mêmes soupçons. La milice espagnole se conserva en plein honneur pendant.tout le dix-septième siècle, malgré la décadence de la monarchie : la milice italienne perdit plus tôt son crédit. Les soldats ne y DU MOYEN ÂGE. 453 s’engageoient qu’à regret dans des armées tou-eu. cxxyu jours mal payées, toujours mal conduites , et qui, malgré leur valeur, éprouvoiént de con- stans revers. Dans les provinces sujettes de l’Italie, que les vice-rois espagnols gouvernoient avec défiance , tout invitoit la noblesse au repos et à la mollesse, qui seule n’excite jamais de soupçons jaloux. Les Italiens avoient montré qu’ils pouvoient être braves, mais ils ne le furent pas long-temps sous des circonstances aussi défavorables ; et quand ils déposèrent les armes, aucune opinion publique ne les appela à défendre encore la réputation de leur valeur. On vit alors , on voit encore aujourd’hui , des hommes distingués par leur naissance, par le rang qu’ils occupent, et par toutes les circonstances qui font supposer une éducation libérale , avouer hautement leur pusillanimité. Ils parlent sans rougir de la grande peur qu’ils ont eue; ils confessent que leurs femmes ont plus de courage qu’eux, et ces paroles ne leur coûtent point à prononcer ; elles ne sont point suivies de la risée, ou du mépris universel. Cependant si le courage est une vertu naturelle à l’homme, la peur est aussi une des passions de sa nature. 11 faut qu’elle soit réprimée, qu’elle soit domptée par la volonté, par l’éducation, par la honte. Quand on lui donne une pleine licence, elle s’empare à son tour de l’ame ; elle 454 HISTOIRE UES RÉPUB. ITALIENNES ch. cxxvii. ] a dégrade ; elle avilit la nation tout entière. On auroit pu craindre que telle ne fut la condition de la nation italienne ; et peut-être, en effet, toute autre, en perdant son point d’honneur, auroit perdu avec lui toute énergie ; mais une expérience inattendue a fait voir récemment que ces Italiens qui avoient si complètement oublié le courage , le rapprenoient plus tôt qu’aucune autre nation, dès qu’on réveilloit en eux le point d’honneur, et qu’on leur faisoit entrevoir une vraie gloire. La sanction de cette législation du point d’honneur, que les Espagnols introduisirent en Italie, au seizième siècle, fut la nécessité imposée à chaque homme d'honneur de venger son offense. Sans doute le besoin de vengeance est jusqu’à un certain point un sentiment naturel à l’homme; il se compose d’un désir de justice, et d’un mouvement de colère ; et dans ces limites , on le retrouve également chez tous les peuples, aussi-bien anciens que modernes. Mais le système de vengeance que les Espagnols ont reçu des Arabes et des Maures, etqu’ilsontensuite communiqué à toute l’Europe , est autre chose que ce sentiment naturel ; il est fondé sur une idée de devoir. Le Maure ne se venge pas parce que sa colère dure encore, mais parce que la vengeance seule peut écarter de sa tête le poids d’infamie dont il est accablé. 11 se venge, parce DI? MO V EN AGE. 455 qu’à ses yeux il n’y a qu’une ame basse qui puisse CI1 pardonner les affronts ; et il nourrit sa rancune, parce que, s’il la sentoit s’éteindre, il croiroit avec elle avoir perdu une vertu. Ce code de vengeance fut présenté aux nations septentrionales, au moment où les combats judiciaires venaient à peine d’être supprimés. 11 entra en quelque sorte à leur place , et le duel lava les offenses de l’honneur, avec une assez grande apparence de raison ; car la plus mortelle offense consistant à mettre en doute le courage d’un homme, la bravoure avec laquelle il se présentoit au combat singulier, étoit le moyen le plus naturel de dissiper ce doute. Aussi l’on vit chez les Français, les Anglais, les Allemands , l’idée primitive de la vengeance s’effacer de l’action elle-même qui étoit représentée comme en étant la conséquence. Un homme d’honneur se battit, non pas pour se venger, mais pour se maintenir en possession de cet honneur qui étoit sa propriété, et qu’il se sentoit le droit de défendre. Ce ne fut point de cette manière que la poursuite des affaires d’honneur fut, au seizième siècle , présentée par les Espagnols aux Italiens : ce ne fut point ainsi que les Italiens eux-mêmes la conçurent, en raison de leurs précédentes communications avec les Maures. Les uns et les autres crurent reconnoitre une grande ame CXXV1I. 456 HISTOIRE DES BEPUB. ITALIENNES ch. c xxvii. à la constance de ses ressentimens. L’offensé leur sembloit avoir montré d’autant plus d’énergie qu’il avoit gardé plus long-temps sa rancune , qu’il l’avoit manifestée par une explosion plus inattendue, et qu’il avoit causé une douleur plus amère à son offenseur. Ce n’étoit pas une preuve de courage qu’on demandoit à celui qui se vengeoit, pour rétablir son honneur , c’étoit seulement une preuve de haine implacable. Aussi l’assassinat lavoit-il à leurs yeux l’honneur aussi-bien que le duel, le poison aussi-bien que le fer, et la perfidie leur paroissoit-elle le triomphe de la vengeance, parce que l’offensé s’y étoit montré plus complètement maître de lui-même. Quelques provinces d’Italie s’étoient fait remarquer dès le moyen âge par l’atrocité de leurs haines et de leurs vengeances héréditaires. On citoit surtout Pistoia en Toscane, la Romagne et tout l’état de l’Eglise, mais bien plus encore les îles de Sicile, de Sardaigne et de Corse, où le mélange avec les Maures, et ensuite avec les Espagnols, avoit donné plus de force à cette législation barbare. Cependant ce ne fut qu’au seizième et au dix-septième siècle qu’on vit régner, dans toute l’Italie la terrible doctrine qui im- posoit à tout homme d’honneur le devoir non de se défendre, mais de se venger. Ce fut alors seulement qu’on vit se multiplier ces braves DU MOYEN AGE. 457 qui iouoient leurs poignards, et qu’on perfec-cH. mvu. tionna la redoutable science des poisons; ce fut alors qu’on vit des hommes éminens dans l’état, dans l’Église, dans les lettres, se vanter publiquement d’avoir accompli leur vengeance ; ce fut alors enfin que le duel n’étant plus regardé comme une satisfaction suffisante, deux ennemis ne consentirent à se battre qu’après que l’offenseur eût demandé pardon à l’offensé. Sans cette réparation préalable , le poison ou le poignard pouvoient seuls laver l’honneur outragé. Grâce au ciel, cette doctrine infernale est complètement mise en oubli aujourd’hui. On ne trou- veroit plus dans toute l’Italie un seul assassin à gages ; et si des crimes horribles sont encore commis, l’opinion publique ne les impose jamais du moins comme un devoir. Peut-être même la sanction du duel est-elle trop négligée, et N montre-t-on trop peu de sévérité envers ceux qui, ne témoignant aucun ressentiment pour les plus graves offenses, laissent supposer, non qu’ils ont pardonné, mais qu’ils n’ont pas osé demander de satisfaction. Cependant le long règne d’un préjugé si subversif de toute morale et de tout vrai honneur a eu l’influence la plus funeste sur les senti- mens nationaux. L’assassinat n’est plus, il est vrai, un devoir, mais il n’est pas non plus une 458 mSTOIJlE DES HÉPUJS. ITALIENNES en. cxxviu honte ; c’est une idée avec laquelle chacun est sans cesse familiarisé. L’Italien le regarde comme une conséquence funeste d’un mouvement impétueux de colère, de jalousie, de vengeance; il ne sent point dans son cœur la certitude inébranlable qu’il ne sera jamais entraîné à donner un coup de couteau, parce qu’il n’a point été accoutumé à considérer cette action avec l’horreur inexprimable qu’inspire la pensée d’un grand crime. Elle est pour lui ce qu’est la pensée du duel pour les hommes scrupuleux des autres nations. C’est un grand péché que sa conscience lui défend de commettre : mais il sent, pour de telles fautes, que tout homme est pécheur; et lorsqu’il voit des meurtriers exilés de leur pays, ou condamnés aux travaux publics pour des assassinats, il ne sent pour eux que la pitié profonde qu’excite un grand maL heur, non l’effroi que doit causer un grand crime. Dans l’état de société auquel l’Italien se trouve réduit, ce sentiment devient juste ; et c’est avec un sentiment analogue que nous devons le juger nous-mêmes. Sans doute on ne trouve point dans l’Italien du dix-huitième siècle, ou le représentant des Manlius et des Gracques, ou celui des Doria et des Albizzi. La vertu antique ne peut naître, ne peut fleurir dans une patrie asservie ; l’esprit ne peut développer sa DU MOYEN AGE. 4% puissance, lorsque son essor est ralenti par mille entraves ; le sentiment ne peut s’exalter vers l’héroïsme , lorsqu’il est étouffé dans son germe. Mais sera-ce l’Italien lui-même que nous accuserons de l’état lamentable où il est tombé? Lorsque nous voyons tant de causes si puissantes concourir à le dégrader, ne pleurerons- nous pas plutôt en lui l’avilissement de la dignité humaine, et ne sentirons-nous pas que le sort qui l’a atteint est le sort qui nous menace , qui menace toute société, toute nation, qui se laisseroit charger des mêmes chaînes que lui ? Bien plutôt admirerons-nous encore tout ce qui reste à cette nation qui sembloit faite pour dépasser toutes les autres : cet esprit si ouvert et si prompt, pour lequel aucune étude n’est trop difficile dès qu’elle est entreprise avec un but fait pour l’enflammer ; cette flexibilité à prendre toutes les formes nouvelles, qui rend l’Italien propre à la politique, à la guerre, à tout ce qu’il entreprend de plus inusité, au moyen de l’éducation la plus rapide; cette imagination créatrice qui lui conserve l’empire des beaux-arts après qu’il a perdu tous les autres ; cette sociabilité, cette douceur dans les manières, qui en d’autres pays est le partage des conditions les plus relevées, mais qui en Italie est commune à toutes les classes ; cette sobriété qui tient l’homme flu . cxxvu. 4Ô0 HISTOIRE DES REPUB. ITALIENNES , etc. en. cxxvu. peuple éloigné des orgies et des débauches crapuleuses au milieu de ses fêtes et de ses plaisirs ; cette supériorité de l’homme de la nature qui se montre d’autant plus digne d’estime qu’il a été moins changé par l’éducation, en sorte que le paysan italien est autant supérieur au citadin que celui-ci l’est au gentilhomme ; enfin, ce pouvoir admirable de la conscience, qui triomphe des plus mauvaises institutions, de l’éducation la plus fausse, de la superstition la plus basse, de 1’ ordre politique le plus dépravé, et qui, soutenant l’homme entre les tentations les plus violentes et les barrières les plus débiles, diminue la fréquence des crimes bien au-delà de ce qu’on auroit pu le calculer d’avance. Sans doute ces Italiens, auxquels nous avons consacré une si longue étude, sont aujourd’hui un peuple malheureux et dégradé : mais qu’on les remette dans des circonstances ordinaires, qu’on leur laisse courir les chances que courent toutes les autres nations, alors l’on verra qu’ils n’ont pas perdu le germe des grandes choses, et qu’ils sont dignes de se mesurer encore dans cette carrière qu’ils ont parcourue deux fois avec tant de gloire. FIN. TABLE CHRONOLOGIQUE DU TOME SEIZIÈME. Chapitre CXXI. Préparatifs îles Florentins pour défendre leur liberté ; ils sont assiégés par le prince d’Orange. Exploits, dans l’état florentin, de François Ferrucci, commissaire-général ; il livre au prince if Orange un combat où tous deux sont tués ; capitulation de Florence. i 5 a 9—i 53 o. p. i La république de Florence résolue à se défendre , tandis que tout le reste de l’Italie se soumet au joug de la maison d’Autriche. d>. Les Florentins, qui jusqu’alors n’avoient point été militaires , prennent eux-mêmes les armes pour la défense de la liberté. 2 An 1527. Décembre. Organisation de trois cents citoyens de la garde du palais. 3 j 528. 6 novembre. Organisation des seize compagnies de la garde urbaine. 4 1527. Juillet. Rappel des bandes de Vordonnance du territoire florentin... ib. i 5 s 8 . Décembre. Hercule d’Este nommé capitaine-général des hommes d’armes. 5 i 5 ac). Avril. Les fortifications de Florence sont complétées . 6 — Mai. Les Dix de la guerre prennent Malatesta Ba- 462 TABLE An glioni à leur solde, avec le titre de gouverneur-général. p. ij i52g. Le gonfalonier Capponi veut réconcilier la république avec le pape. 8 — Capponi appelle aux consultations, ou praticha, plusieurs amis des Médicis. g — Défiance des conseils; ils nomment eux-mêmes la pratica des Dix de la guerre. ib. ■— Correspondance secrète de Capponi avec Clément VII. io — 16 avril. Lettre suspecte adressée à Capponi, trouvée par un des prieurs... ib. — 17 avril. Capponi est déposé; François Carducci lui est donné pour successeur. n — Capponi se justifie de l’accusation de trahison, et est acquitté... 12 — Les Florentins reçoivent coup sur coup les nouvelles les plus alarmantes. i3 — Le gouvernement prend des mesures pour trouver de l’argent. 14 — La seigneurie ordonne aux paysans de porter leurs récoltes dans les lieux-forts. i5 — Septembre. Hercule d’Este, sommé de se rendre à son poste, refuse d’obéir. 16 — Ambassade envoyée par les Florentins à l’empereur à Gènes. 17 — 8 octobre. Mort de N. Capponi au retour de cette ambassade ; fuite des deux autres ambassadeurs. 18 — Le pape charge de ses vengèances contre Florence le même prince d’Orange qui l’avoit fait prisonnier à Rome. lg — Fin de juillet. Le pape accorde aux soldats d’O- CHRONOLOGIQUE. 463 range main-forte pour se faire payer le reste des rançons des citoyens romains. p. 20 Fib d’août. L’armée du prince d’Orange se rassemble à Foligno. .. ib. 1 26 1546. Complot de François Burlamacchi pour remettre en liberté toutes les républiques de Toscane. 127 — Burlamacchi, alors gonfalonier de Lucques, est dénoncé à Cosme I er . 129 —- Il est livré à l’empereur, et puni de mort à Milan, ibid. 1547- 20 octobre. Don Diégo de Mendoza envoyé à Sienne par l’empereur. i3o l548. 4 novembre. Il en réforme le gouvernement, et le réduit à une absolue dépendance. 13 r — Mendoza entreprend de bâtir à Sienne une citadelle . ibid. i55a. Les Siennois implorent les secours de la France. 182 — Insurrection contre les Espagnols dans le territoire siennois. i33 — 26 juillet. Les insurgés sont reçus dans Sienne, et les Espagnols en sont chassés. i34 — 11 août. Le duc de Termes introduit à Sienne avec une garnison française. i35 i553. Janvier. D. P. de Toledo, vice-roi de Naples, vient en Toscane pour soumettre les Siennois, mais il meurt au bout de six semaines. ! 36 — Première guerre de Sienne, terminée par l’apparition de la flotte turque sur les côtes de Naples. 137 — Juin. Traité de paix entre Cosme I er et les Siennois. i38 — Cosme I er déterminé à servir l’empereur à tout TABLE 4 7 2 An prix, par la crainte de Pierre Strozzi, que favorisoit le roi de France . p. i 38 i 554 . 26 janvier. Cosme rassemble ses troupes sous les ordres du marquis de Marignan, àPoggibonzi. i 3 g — 27 janvier. Marignan surprend un bastion à la porte de Sienne. 140 — Marignan, ne pouvant pénétrer dans la ville, entreprend de la réduire par le blocus. 141 — Marignan assiège successivement les châteaux de l’état siennois, et fait pendre les babitans qui s’étoient défendus. 142 — Fin de mars. Déroute d’une division de l’armée de Marignan à Chiusi. 1 43 — Secours que les Florentins établis à Lyon et à Rome, envoient à l’armée de Strozzi qui atta- quoit Cosme de Médicis. 144 — 11 juin. Pierre Strozzi sort de Sienne, passe sur la gauche de l’Arno, et soumet le val de Niévole, puis rentre à Sienne au bout de quinze jours. l 45 — Disette dans Sienne et dans les deux armées... 147 — 2 août. Défaite de P. Strozai devant Luciniano.. 148 — Défense obstinée de Sienne par M. de Montluc. 149 — Froide férocité du marquis de Marignan, cause de la dépopulation actuelle de l’état de Sienne. i 5 o 1 555 . Janvier. Ouvertures de pacification, et promesses splendides faites par Cosme I er aux Siennois.. i 5 i — 2 avril. Capitulation de Sienne , qui maintient la liberté de la république. i 52 — 21 avril. Les émigrés siennois se retirent à Mon- talcino, et s’y maintiennent en république jusqu’au 3 avril i 55 g. ibid. CHRONOLOGIQUE. 473 An i 555 . La capitulation de Sienne est scandaleusement violée. p. 1 53 1557. 19 juillet. Cosme I er prend possession de Sienne, et l’annexe à ses états... ibid. — L’état des présidi, détaché du Siennois .reste à la monarchie espagnole. i 54 Chapitre CXXIII. Révolution des différent états de VItalie depuis la perte de l'indépendance italienne jusqu'à la fin du seizième siècle. i53i-i6oo.. p. i 55 Division de l’histoire du seizième siècle en trois périodes , par les traités de Cambrai et de Cateau-Cam— brésis. Première période. Lutte pour sauver l’indépendance ... ibid. An 5 août i 5 ag. — 3 avril 1 5 Sq. Seconde période entre ces deux traités. Lutte des mêmes rivaux, sans espoir pour les Italiens.. . .. l 56 1559. Au 2 mai i 5 g 8 . Troisième période. Paix au-de- dans de l’Italie. ibid. — Guerre constante étrangère à laquelle la nation étoit indifférente. 187 — Oppression de l’Italie sous le régime militaire espagnol. i 58 1529-1600. Ravages des brigands et des Barbares- ques dans toute l’Italie. i 5 g — Précis des révolutions de chaque gouvernement pendant les deux dernières périodes du seizième siècle. 160 i 535 -i 553 . Charles IIIj duc de Savoie, dépouillé de TABLE 474 An ses états par les Français, et sacrifié par les Impériaux. p. 160 1553-155g. Emmanuel - Philibert son fils demeure privé de ses états. 161 i56a. Charles IX lui rend les villes qu’il occupoit en Piémont. ibid. j 58o-1600. Grandeur croissante de Charles-Emmanuel ; ses conquêtes en Provence et en Dauphiné pendant les guerres civiles de France. . 16a i588-i6oi. Différend sur le marquisat de Saluces, qui reste à la Savoie... ibid. — Les quatre plus grands états d’Italie soumis à la maison d’Autriche, le duché de Milan et les royaumes de Naples, Sicile et Sardaigne. .. . i63 1535. 24 octobre. Mort du duc de Milan, après une nouvelle tentative pour secouer le joug de l’Autriche. ibid. 1535-155g. Défense du Milanez contre les attaques des Français.. 164 — Oppression et ruine des Milanais sous l’administration espagnole... i65 i563. Tentative infructueuse du duc de Sessa pour établir l’inquisition espagnole à Milan. ibid. — Le royaume de Naples défendu contre les armes des Français. ibid. i 5 i 8 -i 546. Règne et puissance du second Barbe- rousse, roi d’Alger, et ses ravages sur les côtes de Naples, de Sicile et de Sardaigne. 166 1546-1600. Suite des ravages des Barbaresques sous Dragut, Piali et Ulucciali. 167 1539-1553. Administration oppressive de D. Pédro de Tolède à Naples. 168 CHRONOLOGIQUE. 4? 5 An ifi47. Il veut établir l’inquisition à Naples, et n’y peut réussir. p. 169 — Oppression des royaumes de Sicile et de Sardaigne. 17° i565. Siège et mémorable défense de Malte, qui sauve la Sicile de l’invasion des Musulmans. ibid. i53o. La puissance temporelle des papes diminue , encore que leurs frontières se fussent étendues. 171 i534- 12 octobre. — i 549- 10 novembre. Règne et ambition d’Alexandre Farnèse , pape sous le nom de Paul III. 172 — Paul III allie la maison Farnèse à celles d’Autriche et de France.•.. 173 — Il sollicite l’investiture du duché de Milan pour son fils Pierre-Louis. 174 i 545. Août. 11 donne à Pierre-Louis, Parme et Plaisance avec titre de duchés. ibid. 1547. 10 septembre. Pierre-Louis assassiné par les nobles de Plaisance, et ses états envahis par les Impériaux.. 175 1549. 10 novembre. Paul III meurt laissant son petit- fils Octave dépouillé de tous ses états. 176 1550. 22 février. Jules III, qui ayoit succédé à Paul III, rend Parme à Octave Farnèse. 177 1551. 27 mai. Le duc de Parme se met sous la protection de la France, et fait la guerre à l’empereur son beau-père. 178 1556. i5 septembre. Plaisance rendue au duc de Parme par Philippe II. ibid. 1586. 18 septembre. — iSga. 2 décembre. Règne d’Alexandre Farnèse, fils et successeur d’Octave au duché de Parme. 179 TABLE 476 An i54g. 9 février. — i555. 29 mars. Règne de Jules III ; son goût pour les plaisirs . p. 179 1555. 20 mai. Jean-Pierre Caraffa, nommé pape sous le nom de Paul IV. 180 — Tout le clergé réuni par les attaques des réformateurs. 181 i 545 -i 563. Concile de Trente, qui change l’esprit de l’Église. 182 — Il réforme la discipline du clergé; mais il ajoute au fanatisme. i83 — Changement complet dans le caractère des papes après le concile de Trente. 184 1 55 5-i 55g. 18 août. Fanatisme persécuteur de Paul IV. Inquisition. 185 1556. Septembre. — 1557- 14 sept. Guerre de Paul IV contre Philippe II et le duc d’Albe. ibid. i56g-i 585. Règnes de Pie IV, Pie V et Grégoire XIII, empreints du même fanatisme. 187 1571. 7 octobre. Victoire de la flotte chrétienne sur les Turcs à Lépante.. 188 1585. 24 avril. — 15go. 20 août. Talens et despotisme de Sixte-Quint. ibid. 1590-1605. Quatre pontifes, régnant jusqu’à la fin du siècle. 189 i563-i6oo. Persécutions des papes contre les protes- tans d’Italie. ibid. — Ils nourrissent les guerres civiles et les complots du reste de l’Europe. 190 — Mauvaise administration des états du pape. Misère , famine, peste, et destruction de la population. 191 CHRONOLOGIQUE. 477 An 1563-1600. Multiplication des brigands, qui forment — Les mœurs nationales perverties par l’habitude du brigandage, chez les seigneurs de fiefs et les paysans de la Sabine. ig3 1534* 3i octobre. Mort d’Âlfonse I er , duc de Ferrare; son fils Hercule II lui succède. i534-i55g. 3 octobre. Règne d’Hercule II; ses efforts pour secouer le joug de l’Espagne.. ibid. r55g-i597. 27 octobre. Règne d’Alfonse II. Extinction de la ligne légitime de la maison d’Este. 195 — Don César, fils d’un fils naturel d’Alfonse I er , successeur désigné d’Alfonse II. 196 1697. Clément VIII déclare Ferrare réunie au Saint- Siège. 197 1598. i3 janvier. Traité par lequel Don César abandonne Ferrare au Saint-Siège, et se retire à Modène et à Reggio. ibid. 1 538. I er octobre. Mort de François—Marie de La Ro- vère, duc d’Urbin. 198 1538-1574. Règne de Guid’ Ubaldo II. Oppression du duché d’Urbin. 199 i 53 i-i 533. 3o avril. Règne de Jean-George, dernier des Paléologue, dans le marquisat de Mont- ferrat. 200 i536. 3 novembre. Frédéric II, duc de Mantoue, mis en possession du Montferrat. Son règne et ses successeurs. ibid. _ Caractère de Cosme de Médicis, duc de Florence . 201 i56o. Cosme I K fonde l’ordre de Saint-Étienne pour détourner les Florentins du commerce. 202 TA BLE 478 An 1562. Meurtre de deux fils de Cosme I er , et mort de 1564. Cosme I er cède l'administration à son fils François I er , mais conserve cependant l’autorité suprême. 2o3 156g. Pie V accorde à Cosme I er le titre de grand-duc de Toscane, que Maximilien II confirme à son fils le 2 novembre 1575. 204 iÔ 74- 21 avril. Mort de Cosme I er . Succession et caractère de François I er . ibid. 1578. François I er fait assassiner ou empoisonner tous ses ennemis en France et en Angleterre.2o5 157g. Mariage honteux de François I er avec Bianca Capello. 206 1 587. 19 octobre. Mort de François I er . Caractère de Ferdinand son successeur. ibid. — Oligarchie lucquoise. I signori del cerchiolino. 207 1531-1532. Soulèvement des classes inférieures, réprimé à Lucques. 208 i556. 9 décembre. Loi martiniana, qui circonscrit l’oligarchie lucquoise. 209 — Mécontentement à Gènes pour l’établissement de l’aristocratie. 210 — Haine de Jean-Louis de Fieschi contre Giannet- tino Doria, neveu d’André. 211 1547. 2 janvier. Conspiration de Jean-Louis de Fieschi , qui périt au moment où son succès étoit assuré. 212 i56o. 25 novembre. Mort d’André Doria, après s’être cruellement vengé des Fieschi. 2i3 1565. Les Génois perdent l’ile de Scio ; et celle de Corse se soulève contre eux. ibid. CHRONOLOGIQUE. 479 An 1548-1571. Deux tentatives des Espagnols pour asservir Gènes. . p- a 14 1576. 17 mars. Acte de médiation qui rétablit la paix entre l’ancienne et la nouvelle noblesse de Gènes. a 1 5 i537-i54o. Guerre des Turcs, qui fait perdre aux Vénitiens l’Archipel et le reste du Péloponnèse.. ai6 1570-1573. Seconde guerre des Turcs, qui leur enlève l’ile de Chypre. ibid. — Le génie littéraire s’éteint en Italie après le milieu du seizième siècle.». • • 217 Chapitre CXXIV. Révolutions des différons états de l'Italie pendant le cours du dix-septième siècle. 1601-1700.. p. 219 L'histoire d’Italie devient plus stérile à mesure qu’elle se rapproche de notre temps.. ibid. Le dix-septième siècle est une époque de mort politique aussi-bien que littéraire. 220 Un siècle peut être très-malheureux, encore que ses malheurs ne soient point historiques, et qu’il n’en reste pas de souvenirs. 221 Atteinte portée au lien du mariage par la mode des sigisbés; cause universelle de malheurs en Italie.. . 222 But politique de cette mode introduite parmi les courtisans au dix-septième siècle. ibid. Habitude du travail en honneur dans les républiques, remplacée par celle d’un noble loisir, ainsi qu’on l’appeloit. 223 Au dix-septième siècle, on fit parade du vice qu’on avoit caché autrefois. 224 Augmentation du faste, tan dis que le commerce diminue. 22 5 480 TABLE Nouveaux titres qui excitent la vanité et aiguisent les mortifications . p. 226 Situation désolante des pères de famille. 227 Les substitutions perpétuelles les dépouilloient de leur propriété. 228 Le malheur universel entraînoit la nation vers la recherche des plaisirs des sens, qui lui préparoient de nouveaux malheurs.229 Le dix-septième siècle présente moins de calamités générales , mais plus d’humiliation que le seizième.... a3o Partage de domination au dix-septième siècle entre Philippe III, du t3 septembre i5q6 au 3i mars 1621 ; Philippe IV, mort le 7 septembre 1665 ; et Charles II, mort le I er novembre 1700. 23x Les princes italiens ne profitent pas de la décadence de la monarchie espagnole pour recouvrer l’indépendance .... ibid. An 1621. 7 novembre i65g. Lutte entre la France et l’Espagne. Caractère des guerres des deux cardinaux Richelieu et Mazarin. 232 1665-1700. Arrogance de Louis XIV, moins sentie en Italie que dans le reste de l’Europe.. 233 — Souffrances du duché de Milan dans le dix- septième siècle, sans événemens marquans. . 234 — Silence de l’histoire sur la Sardaigne. 235 — Pesantes contributions du royaume de Naples,. ibid. — Accroissement des impôts, contraire aux privilèges du royaume. 2 36 1647- 7 juillet. Soulèvement à l’occasion de la gabelle des fruits, dirigé par Mas Aniello.237 — Fermentation simultanée de toyte l’Europe pour la liberté,. 238 CHRONOLOGIQUE. 43 I 1647. Le duc d’Arcos, vice-roi, compromet la noblesse de Naples avec le peuple. p. a 3 g — 16 juillet. Mas Aniello assassiné par ordre du duc d’Arcos... ibid. -— 21 août. Le duc d’Arcos ayant révoqué ses promesses , la sédition recommence. 24° — 5 octobre. Le duc d’Arcos fait canonner la ville après la pacification. 241 — 7 octobre. Les Espagnols, chassés de la ville, se retirent dans les forts. ibid. — Le duc de Guise appelé à Naples, et déclaré généralissime de la république. 242 —■ Le peuple ne songea qu’à déplacer l’autorité arbitraire au lieu de la détruire. ibid. — Les Napolitains trompés par le duc de Guise, et par Gennaro Annèse. 243 1648- 6 avril. Gennar'o Annèse remet Naples à Philippe IV, qui le fait ensuite périr. 244 1647- 20 mai. Soulèvement de Palerme contre le marquis de los Vêlez.... 245 1674. Août. Soulèvement de Messine, cause par la violation de ses privilèges. .. 246 — Secours envoyés par Louis XIV à Messine.... 247 1678. Août. Evacuation précipitée de Messine par les Français... 248 — Sort déplorable de sept mille habitans de Messine, qui s’embarquent avec les Français.. .. 249 — Cruauté des Espagnols à leur rentrées Messine.. ibid. — Les réfugiés de Messine chassés de France et réduits au désespoir.. a5o — Peu de révolutions importantes dans l’état de l’Eglise au dix-septième siècle . 25 i TOME XVI. 3 l TABLE /(Sa An 1605. Démêlés de Paul V avec la république de Venise , pour les immunités ecclésiastiques.. p. 251 1606. 17 avril. La république de Venise excommuniée et interdite.,.».. 25a 1607. 21 avril. Pacification entre Venise et le pape par l’entremise de Henri IV;. 253 1623. 6 août. Élection d’Urbain VIII; sa prodigalité pour les Barbérini, ses neveux. 2&4 1641. Les Barbérini veulent enlever aux Farnèse les duchés de Castro et Ronciglione. ibid. 1644. 3i mai. Paix entre les Farnèse et les Barbérini, après une guerre ridicule. 255 1662. Querelle de Louis XIV avec Alexandre VII, pour les franchises de son ambassadeur.... 256 1664. 12 février. Traité de Fisc, et réparation d’Alexandre VII à Louis XIV. 257 1687. 3o janvier. Nouvelle tentative d’innocent XI pour abolir les franchises. Il est insulté par le marquis de Lavardin... ibid. — La maison de Savoie a peine, dans le dix-septième siècle , à se maintenir au même point de puissance que dans le seizième. a58 1600-26 juillet i63o. Fin du régne de Charles-Emmanuel I" ; son ambition. 269 i 63 o -7 octobre 1637. Règne de Victor-Amédée. Son dévouement à la France. ibid. i638-i2juin 1675. Régence de Christine; guerres civiles, et règne de Charles-Emmanuel II. . . 260 1675 - 1700. Commencemens de Victor-Amédée II. Son habileté et son peu de foi. 261 1600- 1609. 7 février. Fin du règne de Ferdinand I er en Toscane; fondation de Livourne. 262 CHRONOLOGIQUE. 483 An 1609-1621. 28 février. Règne de Cosme II. Son goût pour la marine . p. 262 1621- 1670. Règne de Ferdinand II. Douceur, foi- blesse et apathie du gouvernement... 263 1670—1700. Commencement de Cosme III. Sa défiance, son faste et sa bigoterie. 264 i5g2-Mars 1622. Règne de Ranuce I er à Parme, et sa tyrannie.. • • • ïbid. 1622- 1646. 12 septembre. Règne d’Edouard Farnèse. Sa présomption et ses guerres. 266 1646-1694. 11 décembre. Règne de Ranuce II, gouverné par des favoris. 267 i5g7-i6i8. 11 décembre. Règne de César d’Este à Modène. 268 162g. 24 juillet. Alfonse III, son fils, se fait capucin, ibid. 1629-1658. 14 octobre. Règne et guerres de François I er , d’abord pour les Impériaux, puis pour les Français. 269 1658-1662. Règne d’Alfonse IV. ibid. 1662-1694. 6 septembre. Règne de François II. 270 1600-1627. 26 décembre. Règnes et débauches de quatre Gonzague à Mantoue. ibid. 1627. Succession de Charles Gonzague, duc de Ne- vers. Son fils épouse l’héritière de Montferrat. 271 i 63 o. 18 juillet. Sad de Mantoue par les Impériaux. Malheurs du Montferrat. ibid. 1637-1665. i 5 septembre. Règne de Charles II de Gonzague. 272 1665-1700. Règne, lâcheté et dissolution de Ferdinand-Charles de Gonzague. ibid. 1574-1626. Règne de François-Marie de La Rovère, duc d’Urbin.; .. .. 273 TABLE 484 An i 574 _ * 6 a 6 . La république de Lucques ne présente . aucun événement dans ce siècle. p. 274 1626. Deux factions à Gènes ; celle des familles inscrites et qui gouverrioient ; et celle des familles exclues du gouvernement. ihid. 1628. 3 o mars. Conjuration de Vaéhéro contre l'aristocratie de Gènes. 276 1684. 18 mai. Bombardement de Gènes par Louis XIV. 277 1600-161 5 . Vigueur de la république de Venise. Sa guerre avec les Uscoques, sujets de l’Autriche. 278 1617. Alliance des Vénitiens avec les Hollandais ; ils se rapprochent des protestans. 279 1618. Conjuration du marquis de Bedmar contre Venise . .. ibid. 1619-1637. Les Vénitiens soutiennent les droits des Grisons dans la Valteline. 280 1645. 23 juin. Les Turcs attaquent Candie. Guerre de vingt-cinq ans. 281 1669. 6 septembre. Capitulation de Candie. Paix avec les Turcs. 282 1684-1699. Seconde guerre avec les Turcs; conquête de la Morée ; victoires de François Morosini et de Konigsmark ; paix de Carlowilz. 283 Chapitre CXXV. Dernières révolutions des anciens états de l’Italie, depuis Vouverture de la guerre de la succession d’Espagne jusqu’à Iépoque de la révolution française. 1701 — 1789.. p. 284 Effets de la servitude de l’Italie sur la littérature et les talens.. ibul. Les quatre guerres de la première moitié du dix-hui- CHRONOLOGIQUE. 485 tième siècle rendent une sorte d’indépendance à l’Italie... p. 285 Mais celte indépendance ne peut se maintenir, quand l’esprit de vie est détruit. 286 An 170X-1713. Guerre de la succession d’Espagne. 287 1713. 11 avril. Accroissement de puissance de la maison de Savoie par le traité d’Utrecht. 288 1717-1720. Guerre de la quadruple alliance. 289 1720. 17 février. Paix avec l’Espagne. Succession éventuelle de Parme et Toscane, promise à don Carlos.290 1733-1735. Guerre de l’élection de Pologne. ibid. 1738. 18’novembre. Traité de Vienne. Indépendance du royaume des Deux-Siciles. 291 1741-1748. Guerre de la succession d’Autriche. 2g3 1748. 18 octobre. Traité d’Aix-la-Chapelle. Duché de Parme donné à un Bourbon. ibid. — La Toscane promise au duc de Lorraine. 294 — Foiblesse et nullité de l’Italie, malgré ce que la paix d’Aix-la-Chapelle avoit fait pour son indépendance. ibid. 1675-1730. Règne de Victor-Amédée II de Savoie... 2g5 1703. Juillet. Il quitte les Bourbons pour s’allier à 1 l’Autriche.. %. 296 1706. 7 septembre. Défaite des Français devant Turin par le prince Eugène. 297 — Réunion du Montferrat au Piémont ; le Vigeva- nasco refusé par l’Autriche. 298 1714-1718. Victor-Amédée, roi de Sicile; ses disputes avec le clergé,. ibid. 1718. 18 octobre. Il consent à l’échange de la Sicile contre la Sardaigne.;. 299 TABLE 486 An 1720. Août. Victor -Amédée mis en possession de la Sardaigne ... p. 3oo 1720-1730. Activité et talens de Victor-Amédée dans son administration. ibid. 1730. 3 septembre. Abdication de Victor-Amédée en faveur de Charles-Emmanuel III.. 3oi 1731. 28 sept. Victor-Amédée est arrêté par ordre de son fils. ibid. 1735. 3 octobre. Charles-Emmanuel III acquiert à la paix Novarre et Tortone. 3oa 1742. 1 er février. Traité d’alliance de la Savoie avec l’Autriche, pour la défense du Milanez.3o3 1743. i3 septembre. Traité de Worms entre les mêmes. Plaisance promise à la Savoie.. ibid. — Pendant le même temps, Charles-Emmanuel traite avec la maison de Bourbon. 3o4 1773. 20 janvier. Mort de Charles-Emmanuel III. Victor-Amédée III lui succède... 3o5 X 701 -17 48. Démembrement successif du duché de Milan, ibid. 1765. 18 août 1790. Meilleure administration de la Lombardie sous Joseph II. 3o6 1708. 5 juillet. Mort de Ferdinand-Charles de Gonzague. Le duché de Mantoue confisqué et réuni à la Lombardie autrichienne.. .. 307 1746. i5 août. Mort du dernier Gonzague de Guastalla. Ses états réunis à ceux de Parme. 3o8 1694-1727. 26 février. Règne de François Farnèse à Parme et Plaisance. ibid. 1714. 16 septembre. Mariage d’Élisabeth, sa nièce, avec Philippe V d’Espagne. 309 1720. 17 février. Succession de Parme assurée à un fils d’Élisabeth parla quadruple alliance. ibid. CHRONOLOGIQUE. 4^7 An 1737-1731. 20 janvier. Règne à Parme d’Antoine, dernier des Farnèse.. p. 310 1731. Henriette d’Este, veuve d’Antoine, se dit grosse, et reste à Parme jusqu’en septembre. 3i2 1732. g septembre. Don Carlos, fils aîné d’Élisabeth Farnèse , entre à Parme. ibid. 1733. Don Carlos se déclare majeur à dix-huit ans , et prend le commandement de l’armée espagnole. 313 1734. Février. Il entreprend la conquête du royaume de Naples, sous la direction du duc de Mon- temar. ‘bul. 1734. Les deux royaumes de Naples et de Sicile conquis par don Carlos. 314 1736. 3 mai. Les Autrichiens prennent possession de Parme et de Plaisance, après que les Espagnols en ont emporté tous les effets précieux des Farnèse. 3i5 1742. Don Philippe, second fils d’Élisabelh Farnèse, prétend à l’héritage de Parme. ibid. 1745. Septembre. Don Philippe occupe Parme, et ensuite Milan. 316 1748. 18 octobre. Les duchés de Parme, Plaisance et Guastalla, assurés à D. Philippe. 3i7 1765. 18 juillet. Mort de Philippe. Don Ferdinand lui succède... 3l8 1694-1737. 26 octobre. Règne de Renaud d’Este à Modène et Reggio. ibid. 1718. Il achète le petit duché de la Mirandole, confisqué sur le dernier des Pichi. ibid. 1737-1780. 23 février. Règne de François III, sa part à la guerre de la succession d’Autriche, comme général des Français.. 319 488 TABLE An 1780-1796. Règne d’Hercule III. Réunion des duchés de Massa Carrara à Modène, par son mariage avec Thérèse Cybo. p. 320 — Extinction du plus grand nombre des maisons souveraines d’Italie. 321 1771. 14 octobre. Dernière fille de la maison d’Este, mariée à Ferdinand d’Autriche. ibid. 1670-1723. 3i octob. Règne en Toscane de Cosme III de Médicis..... 322 — Mariages inféconds de trois enfans de Cosme, et de son frère... ibid. 1723-1737. g juillet. Règne de Jean Gaston, dernier des Médicis. 324 1737- 1765. 18 août. Règne en Toscane de François II, duc de Lorraine et empereur. 325 1743. 18 février. Mort de la princesse Palatine, sœur du dernier grand-duc Médicis. ibid. 1765-1790. 20 février. Règne de Pierre-Léopold en Toscane..... 3a6 1738- 1759. 10 août. Règne de D. Carlos, Charles VII et V, à Naples, dans les Deux-Siciles. 327 — Etat déplorable de la famille de D. Carlos, qui passe au trône d’Espagne.. 328 1759-1799. Règne de Ferdinand IV à Naples. 329 1700-1721. 19 mars. Règne du pape Clément XI ( Jean-François Albani ). 33o 1721-1724. 7 mars. Règne d’innocent XI (Michel- Ange Conti).... . 33 i 1 724-173o. 21 février. Règne de Benoît XIII ( Vincent- Marie Orsini ). ibid. 1730-1740. 6 février. Règne de Clément XII ( Laurent- Corsini)... 332 CHRONOLOGIQUE. 48g An 1735. Les états de l’Église ravagés par les Espagnols et les Autrichiens. p. 333 1739. Octob. République de San-Marino surprise par le cardinal Albéroni, et réunie au Saint-Siège, puis remise en liberté par Clément XII..... 334 1740-1758. 3 mai. Règne de Benoit XIV ( Prosper- Lambertini ). 335 1742-1748. L’étal de l’Église dévasté pendant la guerre de v succession d’Autriche.*.. 336 1758-1769. 3 février. Règne de Clément XIII ( Charles Rezzonico ). 337 1769-1774. 22 septembre. Règne de Clément XIV ( Laurent Ganganelli ).. ■..338 1773. 2i juillet. Il supprime l’ordre des Jésuites.... ibid. 1775-1799. 29 août. Règne de Pie VI. ibid. — Travaux infructueux de Pie VI aux marais Pon- tins. 339 1700-1713. La république de Venise ne prend aucune part à la guerre de la succession d’Espagne.. 340 1715-1718. La Morée conquise sur les Vénitiens par Achmet III. 341 1718. 27 juin. Trêve de Passarowilz, qui règle les frontières de Venise avec les Turcs. 34a 1700-1789. L’histoire de la république de Lucques est nulle dans ce siècle. ibid. 1713. La république de Gènes achète de l’empereur le marquisat de Final. 343 1730-1768. Guerres des Génois avec la Corse révoltée, qu’ils cèdent à la France. 344 17/16. 16 juin. Défaite des Bourbons à Plaisance, qui expose Gènes aux vengeances des Autrichiens. 3/|5 1 TABLE /|90 An 1746 . 6 septembre. Capitulation de Gènes avec le marquis Botta, général autrichien. p. 346 — Les Autrichiens violent la capitulation, et réduisent Gènes au désespoir. ibid. — 5 décembre. Soulèvement du peuple de Gènes , qui chasse les Autrichiens de la ville. 347 — 10 décembre. Les Autrichiens repassent la Boc- chetta, et se retirent en Lombardie. 348 1748 . 18 octobre. La république de Gènes comprise dans le traité d'Aix-la-Chapelle. 34g — Le soulèvement de Gènes est le seul événement vraiment italien du siècle... . ■. ibid. — La nation italienne, étrangère à ses monarques, ne prenoit aucun intérêt à leur politique. .. 35o — En détruisant les forces morales d’une nation, on détruit la nation même. 35 1 — L’Italie, à la guerre de la révolution, n’a eu ni la volonté ni la force de défendre son indépendance. 352 Chapitre CXXYI. De la liberté des Italiens pendant la durée de leurs républiques . p. 353 En comparant l’Italie au quinzième et au dix-huitième siècle, on voit la grande influence de sa liberté. ibid. Grandeur des temples existans; pauvreté des fidèles qui s’y rassemblent. 354 Fréquence et magnificence des villes qui tombent en ruines. ibid. Invention d’une culture savante des champs à l’époque où partout ailleurs les paysans étoient esclaves. 355 CHRONOLOGIQUE. 49 1 Capital immense qu’ont demandé les canaux de la Lombardie, et la culture en terrasses de la Toscane. p • 355 L’Italie est la terre des morts ; la génération actuelle n’auroit rien pu faire de ce qu’elle possède. .. 356 La liberté qui donna tant de vie à lTtalie, n’étoit point celle que nous cherchons aujourd’hui. 35y L’ancienne liberté étoit une participation à la souveraineté ; la moderne est une protection du bonheur et de l’indépendance, l’une est active, l’autre passive. ibid. Les Italiens donnoient à tout gouvernement républicain le nom de libre. 359 Dans les oligarchies , les familles propriétaires de la souveraineté jouissoient seules de la liberté active ; la passive n’existoit pour personne. 36o L’existence de l’esclavage, chez les anciens , les avoit empêché de chercher dans la dignité de l’homme l’origine de la liberté. 36 1 L’abolition de l’esclavage domestique rendit les républiques italiennes supérieures à celles de l’antiquité. Comment elle s’opéra. 36a Au temps de l’empire romain, les campagnes désertes étoient cultivées par des troupeaux d’esclaves... . 363 La plupart des esclaves des campagnes furent enlevés par les Barbares. ibid. Les Barbares, en s’établissant en Italie, forcèrent les hommes libres à travailler. Invention de la culture à moitié-fruit en leur faveur. 364 Ils affranchissent bientôt leurs esclaves, parce que le travail du métayer leur profite plus que celui des serfs. 365 La loi n’abolit point l’esclavage , et les papes le renou- /(92 TABLE vêlèrent souvent ; mais l’intérêt personnel l’a toujours détruit . p. 366 Le fanatisme religieux a seul conservé les restes de l’esclavage. 367 Les philosophes ont fondé les théories modernes de liberté sur l’abolition de l’esclavage, et la conservation de la monarchie. 368 La liberté des anciens étant un droit, on n’examinoit pas si elle ctoit essentielle au bonheur. 369 Les modernes ont examiné de quelle manière elle constitue le bonheur, parce que selon eux chaque homme a droit à la félicité. ibid. Si le gouvernement ne protège pas cette félicité dans les personnes, l’honneur, la propriété, les senti- mens moraux , quelle que soit son origine, il est tyrannique. 370 Le gouvernement doit protéger chaque individu contre les autres, mais non contre lui-même : aussi son action ne s’étend ni sur la pensée, ni sur la conscience, ibid. C’est manquer à la liberté que de poursuivre les fautes qu’on ne peut punir sans une inquisition pire pour la société que la faute... 371 La liberté de la presse, celle de débat, celle de pétition, sont les garanties politiques de cette liberté passive, ibid. La liberté des modernes n’étoit point garantie dans les républiques italiennes. 372 La procédure criminelle y avoit les mêmes défauts que dans les états despotiques. 373 Division des pouvoirs exécutif et judiciaire souvent méconnue. ibid. Précautions insuffisantes pour garantir l’impartialité des juges. 374 Instruction secrète, torture et supplices atroces. 370 * CrfRONOLOGIQOK. 49^ Sentences portées par les balies avec une autorité révolutionnaire .. p- 376 Les Italiens permettoient au gouvernement de juger les opinions et les pensées. ibid. L’hérésie, la magie, le mécontentement, soumis au ressort des tribunaux. ^77 La poursuite du blasphème donna lieu à des procédures vexatoires et presque toujours injustes. 378 Autres délits de pures paroles, punis avec une excessive sévérité. 379 Procès pour la conservation des mœurs, souvent plus scandaleux que le désordre même. 38o La liberté de la presse, inconnue aux républiques d’Italie. ibid. Le droit de pétition également inconnu. 381 La liberté du débat dans les conseils n'étoit pas même protégée. 382 La minorité lioit la majorité par une opposition silen - cieuse... 383 La minorité souvent violentée pour obtenir son adhésion . 38iit En quoi consistoit donc la liberté des républiques italiennes. 385 Les Italiens n’étoient pas libres comme gouvernés, mais comme gouvernans. 386 Chez eux toute autorité exercée sur le peuple étoit émanée du peuple.. 387 Après un temps déterminé, l’autorité des mandataires du peuple retournoit au peuple; aucun de ses mandats n’étoit irrévocable... 388 Exception, le doge de Venise. 38g Autres exceptions, les familles qui s’élevoient à la ty- 3go ramne L'existence de pouvoirs irrévocables dans une république, implique contradiction. p. 3gt Tout dépositaire de l’autorité publique étoit responsable envers le peuple. . ibid. Dans les républiques, la responsabilité n’est exercée sur les magistrats qu’à leur sortie de charge.. .. 3g2 Cet inconvénient est nul quand la durée des fonctions est fort courte. ibid. Diviéto, repos forcé auquel les magistrats étoient obligés à leur sortie de charge.. 3g3 Sindicato, enquête juridique et nécessaire sur l’administration de certains magistrats à l’expiration de leurs fonctions. ibid. Supériorité des constitutions italiennes sur celles des autres républiques anciennes. 3g4 La responsabilité assurée par l’amovibilité simultanée de tous les conseils. 3g5 La prospérité nationale tenoit à la responsabilité des magistrats, à la dignité des citoyens et à l’émulation de toutes les classes. 3g6 ♦ Le pouvoir judiciaire contenu par la crainte de la responsabilité. 397 Les magistrats redoutoient ceux qui leur succéde- roient dans les emplois. 3g8 Celui qui avoit fait la loi redevenoit simple citoyen, et un autre étoit chargé de la faire exécuter.... 3gg La liberté italienne contribuoit bien plus à la vertu du citoyen qu’à son bonheur. ibid. Émulation universelle excitée parmi le peuple par l’attente des emplois. 400 Il est juste de tenir compte de l’amusement d’une nation , puisqu’il fait partie de son bonheur. Il étoit constant et de la nature la plus noble. 4 01 CHRONOLOGIQUE. 4^)5 Perfectionnement de l’homme, but principal du gouvernement.. p- 4° 2 Avidité insatiable d’apprendre, qui caractérisoit alors les Florentins.. 4 °^ Censure exercée sur la conduite de chacun par l'opinion publique. 404 La liberté des anciens , comme leur philosophie, avoit pour but la vertu; la liberté des modernes, comme leur philosophie, ne se propose que le bonheur... 4°5 Le but du législateur doit être de concilier les deux libertés, et de les affermir l’une par l’autre. ibid. Chapitre CXXVII. Quelles sont les causes qui ont changé le caractère des Italiens depuis Fasservisse- ment de leurs républiques . p - 4°7 C’est une erreur où l’on tombe aisément, que d’attribuer aux Italiens d’autrefois le caractère des Italiens d’aujourd’hui.. . u .. ibid. Les vices des institutions publiques en Italie, font l’apologie des Italiens. 408 La religion, l’éducation, la législation et le point d’honneur, ont altéré chacun le caractère national.. 409 La Religion , de toutes les forces morales, celle qui peut faire le plus de bien et le plus de mal. ibid. L’influence de la religion catholique n’est point la même dans le Midi que dans le Nord , après comme avant le concile de Trente. .. 4 10 Révolution qui commence dans l’esprit de l’Église avec le pontificat de Paul IV.,. 411 Effrayés par la réforme, les papes abandonnent la cause des peuples pour celle des rois. 41 2 La réformation a corrigé les mœurs et augmenté le zèle, mais aussi le pouv oir du clergé catholique.. ibid. L’Église, eu s’emparant de la morale, a substitué l’étude des easuistes à celle de notre propre conscience. p. 41 3 Entre les mains des easuistes, la morale devient étrangère au cœur comme à la raison.4 >4 Par une fausse classification des péchés, la salutaire horreur que doit inspirer le crime fut considérablement diminuée. ibid. La doctrine de la pénitence et de l’absolution changea la tâche constante de la vie en un compte à régler à la mort. 4 >5 En Italie, la pénitence des suppliciés les change toujours en martyrs aux yeux du peuple. i\i& Trafic des indulgences, corrigé mais non détruit par le concile de Trente. 4 1 ? Les indulgences gratuites ne sont pas moins fatales à la morale. ibid. Le hasard, et non plus la vertu, fut appelé à décider du sort éternel de l’ame du moribond, selon qu’il put ou non se confesser et être absous. ... / t i8 Les commandemens de l’Église furent mis à la place de ceux de Dieu et de la conscience. 4 J 9 Plus le dévot est régulier dans ses pratiques, puis il se croit dispensé des vertus. ibid. L’intérêt sacerdotal a corrompu toutes les vertus qu’il a soumises à la législation des easuistes. ibid. La morale est devenue non-seulement la science, mais le secret des easuistes. 4 2 t L’étude philosophique de la morale est sévèrement interdite... ibid. La religion a enseigné en Italie à ruser avec la conscience , non à lui obéir. 4 22 L’Éducation : son influence intimement liée à celle de la religion. ibid. CHRONOLOGIQUE. 497 Au seizième siècle, l’éducation enlevée aux philologues indépendans, pour l’attribuer aux moines, p- 4^3 Émulation et activité d’esprit des premiers; servile docilité des seconds... ibid. Toute contention d’esprit exclue des écoles par les moines..... 4*4 L’étude de l'antiquité continue dans les écoles, mais elle y est séparée de tout sentiment et de toute pensée. 4 2 ^ Elle devient entre les mains des moines une science de faits et d’autorités... .. ibid. Inertie absolue de l’esprit, résultat de cette éducation. 4 2 f* Les tautologies des prières sont un exercice de distraction; si ce n'est d’hypocrisie... 427 La mémoire seule appelée aux leçons se charge avec répugnance du fardeau qu’on lui impose. 4*8 L’obéissance et la discipline monastique suivent l’écolier dans ses délassemens. ibid. Malheur d’une nation ainsi élevée. 43o Législation : elle est toute fondée en Italie, comme la religion et l’éducation, sur une obéissance aveugle et implicite... 431 Le pouvoir des princes est absolu ; les lois, la justice, les privilèges, lui sont soumis. 432 La loi émane de la volonté du prince, sans discussion ni délibération publique. ibid. L’instruction publique des procès est une grande école de morale pour le peuple. 433 En Italie, où elle est secrète, elle rend odieuse la justice même.. .. 434 Tous les ministres de la justice criminelle, en Italie , sont déclarés infâmes. 435 Leur chef, quoique infâme comme eux, a toute l’autorité d’un magistrat... ibid. tome xvr. 3a 49« TABLE Tout le public se lie de pitié avec le malfaiteur contre la justice. p. 436 Le jugement des causes abandonné à un seul juge, ce qui ôte aux magistrats le frein le plus salutaire, l’obligation de faire connoitre tous leurs motifs.... 4^7 Fréquence des procès economici, dans lesquels le prévenu ne connoît pas l’accusation, et n’est pas admis à se défendre. 438 La mauvaise justice d’Italie fait prendre à chacun des habitudes de dissimulation, de flatterie et de bassesse. 43g Habitudes de férocité données au peuple par le spectacle de la torture. 44r- ,i 4 ï 3 * i?< 4 :W«5 Zentra/bibliothpk 7lîri^U ZM00043251