Compromis politique : entre une Assemblée nationale divisée, des commissions transpartisanes et des maires bâtisseurs d’accords
Tous les textes construits en commissions passent ensuite devant l'Assemblée nationale lors de séances publiques. Ici, la proposition de loi de simplification normative dans le secteur économique de l'énergie, le 18 juin dernier.
Cet article est paru dans le magazine Le Pèlerin Abonnez-vous
La France aura donc connu trois Premiers ministres en un an : Michel Barnier, François Bayrou et désormais Sébastien Lecornu. Le premier est tombé à la suite du vote d'une motion de censure par l'Assemblée nationale. Le deuxième, lui, a perdu le vote de confiance qu'il avait sollicité. Le troisième devra se montrer créatif pour ne pas subir le même sort, en donnant des gages aux ensembles politiques. La tâche s'annonce ardue.
Car les législatives de 2024 ont morcelé l'Assemblée en trois grands clans antagonistes - la gauche, le bloc présidentiel et l'extrême droite. Le tout sur fond de dette publique élevée - qui restreint les marges de manœuvre - et de proximité avec l'élection présidentielle, laquelle favorise l'attentisme chez les prétendants au poste suprême. Pour retrouver le chemin du compromis, députés et partis pourraient s'inspirer d'autres échelons rompus à cette pratique. Ils prouvent que l'entente est non seulement possible, mais aussi fructueuse.
1. En commissions, au Sénat et à l'Assemblée
Contrairement aux apparences, l'Assemblée nationale et le Sénat sont de hauts lieux de travail transpartisan, car les missions d'information et les commissions d'enquête doivent être dirigées par un président et un rapporteur de groupes politiques opposés. Violette Spillebout, députée macroniste, a mené une mission sur l'éducation aux médias avec un député RN, Philippe Ballard, et une commission d'enquête sur les violences en milieu scolaire avec le député LFI, Paul Vannier. «Cela s'est très bien passé. Philippe était compétent et respectueux, Paul très bosseur et rigoureux.»
Très vite, Paul Vannier et elle ont œuvré dans la même direction parce qu'ils partageaient une même indignation. «Cette commission n'aurait jamais été aussi utile si nous n'avions pas été aussi opposés», assure même Violette Spillebout. Au point qu'elle se demande s'il ne faudrait pas supprimer les questions au gouvernement, théâtre de toutes les vitupérations, parce qu'elles montreraient une fausse image de l'Assemblée. «À cause de leur appétence pour le clash, beaucoup de médias les montrent davantage que nos débats en commission», regrette-t-elle.
Les députés Violette Spillebout (majorité présidentielle) et Paul Vannier (LFI), lors de la présentation du rapport de la commission d'enquête sur les violences en milieu scolaire, le 26 mars.
«Nous ne sommes pas un tribunal»
Les sénateurs Laurent Burgoa (LR) et Alexandre Ouizille (PS) ont aussi vécu une expérience positive au sein de la commission d'enquête sur les eaux en bouteille. Ils se complétaient pendant les auditions. «Lui était le méchant flic, moi, le gentil», sourit Laurent Burgoa.
En homme de droite, le sénateur est davantage enclin à défendre les entreprises. Ce qui ne l'a pas empêché de se fâcher lorsque des dirigeants de Nestlé ont refusé de répondre. Il a accepté que l'un d'eux soit poursuivi pour parjure. Mais il a rejeté d'autres poursuites voulues par son co-rapporteur : «Je ne voulais pas que l'on fasse le buzz pour faire le buzz. La force d'une commission, c'est son sérieux. Nous ne sommes pas un tribunal.» À l'issue des travaux, M. Ouizille a déclaré : «J'ai pensé que la désignation du sénateur Burgoa visait à me placer sous surveillance. Il n'en a rien été. Travailler avec lui fut un véritable plaisir.»
Le sénateur Olivier Rietmann, LR et libéral, s'est, lui aussi, bien entendu avec le sénateur communiste Fabien Gay au sein de la commission d'enquête sur les aides publiques aux entreprises. Car ils partageaient un même but : mieux répartir ces aides dans l'intérêt du pays. Quitte à multiplier les compromis pour que le rapport ne soit pas enterré. Leur texte fut adopté à l'unanimité. Comment expliquer que tous ces élus aient aussi bien collaboré ? La recherche de l'intérêt général.
2. Entre communes, dans l'intercommunalité
Beaucoup de maires ne portent pas les intercommunalités dans leur cœur, puisqu'elles ont souvent été créées sous la pression de l'État. C'est le cas de Mulhouse Alsace Agglomération, l'intercommunalité de la plus grande ville haut-rhinoise, née en 2010. Elle regroupe 39 communes, souvent de droite, parfois de gauche. Son président de centre droit, Fabian Jordan, a dû se montrer créatif pour les faire travailler ensemble, avec des résultats. Son territoire est cité en exemple de gouvernance par l'association Intercommunalités de France. «La clé, c'est de considérer l'autre», estime Fabian Jordan.
Pour prouver aux élus que leur avis compte, il s'est attaché, dit-il, à les faire participer à des commissions ou à des «ateliers projets», dans lesquelles se décide l'avenir de leur territoire. Lui et son équipe ont aussi imaginé des politiques pour qu'aucune commune ne se sente délaissée. Les mairies les plus désargentées reçoivent des aides. L'agglomération a même instauré une sorte de droit de veto : si une municipalité ne veut pas d'un projet qui la toucherait directement, elle peut le rejeter à l'issue d'un vote à la majorité en conseil municipal.
3. Au sein des conseils municipaux
«J'ai poussé un gros coup de gueule à propos du chantier. Puis après, on s'est serré la main et on a travaillé. » Ce jour-là, le ton est monté entre Christian Valentinuzzi - élu «de la minorité, et non de l'opposition » au conseil municipal de Domène (Isère), comme il dit -et «Monsieur le maire», en désaccord sur le plan de rénovation de la piscine municipale. L'objection d'une autre élue a eu plus de succès : une pataugeoire sera bien construite à côté du grand bassin. Premier édile depuis 2017, Chrystel Bayon a tenu à créer des commissions, un moyen d'inclure les cinq élus (sur vingt-huit) de la minorité. La discussion permet d'éviter les loupés.
Christian Valentinuzzi, qui a travaillé quarante-deux ans au sein d'un cabinet d'architectes, a l'œil pour repérer les défauts dans les projets d'urbanisme. Mais faire entendre les voix discordantes demande une bonne volonté mutuelle. «J'ai appris à être plus diplomate», confesse le retraité. Finalement, la rénovation de la piscine a été votée. Certains se sont abstenus, mais n'ont pas voté contre. Inutile de bloquer le projet.
La rénovation de la piscine municipale de Domène, en Isère, a été adoptée après que chaque membre du conseil a pu faire valoir son avis.
Le compromis, une vertu locale introuvable à l’échelle nationale
La culture du compromis est motivée par l'attachement des élus à leur commune, dans laquelle ils sont installés parfois depuis plusieurs décennies. «Un enfant du pays» : c'est ainsi que se décrit Pierre Ducout, ex-maire de Cestas, dans la banlieue bordelaise, de 1972 à mai 2025. L'homme de «mouvance Delors» a usé de cet atout pour rassembler du centre droit aux communistes.
Entre membres du conseil municipal, les débats ont toujours été «constructifs», jusqu'à ce que le départ de l'édile se fasse sentir et que de nouvelles opportunités électorales apparaissent. Mais le «principe de réalité» a continué à primer. Beaucoup de projets sont votés à l'unanimité. Comme l'agrandissement de l'église, approuvé de la droite aux communistes, en hommage à un curé ancien prêtre-ouvrier et pilier de la commune.
Pourquoi cet art du compromis semble-t-il impossible à l'échelle nationale ? Enjeux plus lourds, lignes idéologiques plus tranchées et perspective de la présidentielle. Reste que les Français n'attendent plus des affrontements. Ils réclament des accords capables de sortir le pays de l'impasse.
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