Pascal Affi N’Guessan : « Le président sortant a choisi ses adversaires »

ENTRETIEN. Invalidé par le Conseil constitutionnel, l’ex-Premier ministre dénonce un verrouillage du jeu électoral par le président Ouattara, accusé d’écarter ses principaux rivaux.

Propos recueillis par notre correspondant à Abidjan, Hadrien Degiorgi

Dans sa résidence d’Abidjan, Pascal Affi N’Guessan fulmine contre un scrutin verrouillé, où le président sortant aurait « choisi ses adversaires ».
Dans sa résidence d’Abidjan, Pascal Affi N’Guessan fulmine contre un scrutin verrouillé, où le président sortant aurait « choisi ses adversaires ». © DR

Temps de lecture : 8 min

Le 8 septembre dernier, le Conseil constitutionnel ivoirien se prononçait sur les soixante candidatures reçues dans le cadre de l'élection présidentielle d'octobre 2025. Face à Alassane Ouattara, quatre candidats ont ainsi passé le filtre du conseil des sages : Ahoua Don Mello, Henriette Lagou, Jean-Louis Billon et Simone Ehivet Gbagbo.

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Parmi les déçus de ce verdict figure le président du Front populaire ivoirien (FPI), Pascal Affi N'Guessan, pourtant candidat aux élections de 2015 et de 2020. Ministre du Tourisme et de l'Industrie lors du bref passage de Robert Gueï à la tête de l'État (1999-2000), puis Premier ministre (2000-2003) sous la présidence de Laurent Gbagbo ; l'homme politique condamne fermement cette décision.

Son parti affirme avoir relevé une incohérence entre le nombre de parrainages déposés auprès de la Commission électorale indépendante (CEI, 44 382) et celui mentionné par le Conseil constitutionnel (46 546). Sur cette base, la plus haute juridiction de Côte d'Ivoire avait invalidé plus de 21 000 signatures, au motif de numéros de cartes de nationalité erronés. Pascal Affi N'Guessan entend depuis mener une action en justice.

Depuis sa résidence abidjanaise, l'ancien Premier ministre a accepté de répondre aux questions du Point Afrique sur les enjeux du scrutin d'octobre prochain.

Le Point Afrique : L'invalidation de votre dossier de candidature fut l'une des surprises du verdict rendu par le Conseil constitutionnel ; comment expliquez-vous cette décision ?

Pascal Affi N'Guessan : Nous sommes ahuris par cette décision, aucun de nos militants ne s'attendait à une telle issue. D'autant que j'ai été candidat en 2015, puis en 2020 (scrutin lors duquel le système de parrainages avait été introduit, NDLR). 90 % de ceux qui nous avaient parrainés lors du précédent scrutin ont renouvelé leur engagement en 2025. Nous sommes convaincus que la présidente du Conseil constitutionnel a statué sur un dossier qui n'était pas le nôtre. L'écart entre ce que nous avions déposé et ce qu'elle a rapporté est trop important. Tous nos parrains figurent sur la liste électorale. Quand vous déposez votre dossier, la première opération de la CEI consiste d'ailleurs à vérifier ces informations. Aujourd'hui, on ne peut pas venir nous dire qu'il s'agit de parrainages frauduleux, ces personnes disposent toutes d'un numéro d'électeur.

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Suite à cette décision, vous avez dénoncé un « crime presque parfait », où en est votre action en justice ?

La procédure est entre les mains de nos avocats, qui sont en train de prendre les dispositions relatives à la plainte. Le procureur de la République devrait être saisi tout prochainement.

Le pouvoir en place ne semble pas vraiment enclin à revenir sur le calendrier électoral fixé par la CEI. En l'état, quel regard portez-vous sur les quatre opposants retenus pour concourir face à Alassane Ouattara en octobre ?

Le président sortant a choisi ses adversaires. Cela est très clair. Ceux qui ont été retenus ne bénéficient pas d'un parti suffisamment costaud pour les épauler. Quand on regarde cette configuration, il est évident que le président de la République a tout fait pour éliminer les menaces politiques sérieuses.

À ce stade, si rien ne bouge, lequel de ces quatre candidats vous parait le ou la mieux placé(e) pour fédérer l'opposition ?

Cette question ne se pose pas pour le moment. L'opposition cherche à se fédérer pour la bataille contre un quatrième mandat de M. Ouattara ; pas derrière un candidat.

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Vous mentionniez récemment « l'unité absolue de l'opposition » comme pilier de la victoire. Mais les tergiversations du PPA-CI de Laurent Gbagbo et du PDCI-RDA de Tidjane Thiam pour désigner des plans B crédibles n'ont-elles pas tué cette dynamique dans l'œuf ?

Pas du tout. Il y a un temps pour tergiverser et un temps pour se rassembler. Lorsque les conditions sont réunies, le rassemblement transcende les clivages. Depuis le verdict du Conseil constitutionnel, le PPA-CI, le PDCI-RDA ou le FPI ont tous intérêt à se donner la main. Et notre première bataille consiste à créer un cadre électoral transparent et inclusif. Que vous soyez de gauche ou de droite, si vous ne déverrouillez pas le processus électoral, vous n'aurez aucune chance de faire valoir vos idées. Si vous vous conformez aux choix arbitraires, vous ne faites qu'accompagner une dictature.

Après l'avis rendu par le Conseil constitutionnel, l'ancien président Laurent Gbagbo – lui aussi écarté du scrutin – a entamé une série de consultations. Vous avez pris part à une rencontre privée, que vous êtes-vous dit ? Pour rappel, votre histoire commune avait débouché sur une scission politique, quel est aujourd'hui l'état de vos relations ?

Il s'agit là de notre première rencontre depuis le retour de M. Gbagbo en Côte d'Ivoire. Cette entrevue est davantage symbolique pour envoyer un message clair à l'opinion : nous sommes sortis d'une logique de face-à-face. Il faut parfois opérer certains déplacements stratégiques lorsque l'intérêt national est en jeu. Nos deux partis partagent désormais le même combat, sans se regarder en chiens de faïence. De plus, nos sensibilités ne sont pas si éloignées. Son parti, le PPA-CI, et le FPI se réclament tous deux de gauche. Les nuances de nos sensibilités respectives ne peuvent être qu'un enrichissement.

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Il y a quelques jours, des cadres du PDCI-RDA réfutaient l'idée d'un boycott des élections à venir, partagez-vous ce point de vue ?

Il faut bien comprendre le sens de ce mot. Un boycott suppose que vous soyez autorisé à concourir et que vous refusiez après coup de participer. Or, nos candidatures n'ont même pas été acceptées. Le boycott est donc hors de propos. Je crois que c'est ce que le PDCI-RDA veut dire. Nous restons dans une perspective de participation au scrutin, sans la candidature d'Alassane Ouattara.

Le plus ancien parti de Côte d'Ivoire, le PDCI-RDA, ne dispose d'aucun candidat retenu pour l'élection d'octobre. Cela doit-il, selon vous, être perçu comme un marqueur fort ?

Oui, c'est le symbole même du caractère inacceptable de ce scrutin. Sur le plan institutionnel, le PDCI-RDA demeure le plus grand parti d'opposition ivoirien. Au-delà de son passé, il conserve un grand nombre de députés et de maires dans tout le pays. Comment donc légitimer une élection dont il serait exclu ? Il en va de même pour le PPA-CI et le FPI qui possèdent des élus au Parlement.

Lors des élections régionales de 2023, vous aviez scellé une alliance avec le RHDP pour espérer l'emporter ; sans succès. Désormais, la critique que vous formulez à l'encontre d'Alassane Ouattara peut sembler dissonante auprès de certains Ivoiriens. Que leur répondez-vous ?

Je ne comprends pas leur critique. Ces jeux d'alliance sont communs en Côte d'Ivoire. En 2010, le PDCI-RDA avait par exemple gouverné au côté du RDR (ancien parti d'Alassane Ouattara au fondement de l'actuel RHDP, NDLR). Avec ce partenariat, nous souhaitions la réconciliation nationale. Mais le parti au pouvoir n'avait pas respecté ses engagements. On ne peut pas nous faire grief d'avoir tenté cette expérience. Nous en avons tiré les leçons.

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Dans son manifeste publié à l'approche du scrutin, Amnesty International estime que « les autorités ivoiriennes ont continué à utiliser des dispositions légales pour arrêter et détenir arbitrairement les voix critiques ». Faites-vous état de pressions similaires ?

Cela correspond à une réalité vécue par tous les Ivoiriens. Nous sommes tous des prisonniers en sursis exposés au risque d'arrestation arbitraire. La nuit, des hommes encagoulés peuvent débarquer sans qu'aucune procédure judiciaire n'ait été engagée, sans aucun mandat d'arrêt. L'une de nos vice-présidentes a récemment fait l'objet d'une fouille illégale à son domicile. Nous vivons sous un régime arbitraire. Je n'ai pas peur, mais je sais que cela peut arriver.

147 maires pour 201 communes, 166 députés pour 255 sièges à l'Assemblée nationale ; le parti présidentiel RHDP conserve une assise confortable sur toute l'étendue du territoire. Même coalisée autour d'un candidat fort, l'opposition ivoirienne peut-elle vraiment l'emporter ?

Quand on voit les entraves qu'ils déploient pour empêcher les opposants, on se dit que ce ne sont que des chiffres. Correspondent-ils vraiment à la réalité sociologique et politique du pays ? Ces résultats sont le fruit de scrutins pour lesquels le taux de participation au niveau local a rarement dépassé 25 %. Pour l'élection d'octobre, le pouvoir a senti que la mobilisation pouvait être forte en cas de scrutin ouvert. Mais M. Ouattara fonctionne par verrouillage, de sorte à ne laisser aucun espace pour l'expression de voix discordantes.

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Selon vous, Alassane Ouattara souhaitait-il sincèrement passer la main en 2020 ? Si oui, comment expliqueriez-vous le revirement qui l'aurait conduit à se représenter en octobre 2025 ?

Le président n'a jamais envisagé de passer le flambeau. Malgré le décès d'Amadou Gon Coulibaly – paix à son âme – il aurait pu le faire en 2020. Un Premier ministre ou un président de l'Assemblée nationale sont, me semble-t-il, des individus capables de gouverner. Preuve supplémentaire : cinq ans plus tard, le président n'a toujours pas trouvé de dauphin.

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À Découvrir Le Kangourou du jour Répondre Le contexte sécuritaire et politique sous-régional avancé par le chef de l'État ne vous parait-il pas être un motif valable ?

C'est au contraire un motif en faveur de son retrait. Car M. Ouattara est une source d'insécurité. Le premier bouclier d'un État est sa cohésion nationale, or, les Ivoiriens demeurent divisés. Au niveau sous-régional, le président est au fondement de la naissance de l'Alliance des États du Sahel (AES), dont les membres sont mobilisés contre la diplomatie ivoirienne. Nous avons besoin de reconstruire nos relations avec le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Nous sommes condamnés à partager les mêmes frontières et le même cadre économique de l'UEMOA. Avec Alassane Ouattara, cela reste impossible.

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Commentaire (1)

  • Watys

    Pour l'information des lecteurs du Point, la Côte d'Ivoire était en 2023 le pays ayant reçu le plus gros montant d'aide publique française au développement, avec 541, 44 millions d'euros.
    Source https : //data. Aide-developpement. Gouv. Fr/pages/chiffres_cles/ ? Flg=fr

    Quand on voit à quel point la démocratie y reste très insuffisante, on peut s'interroger sur le bien-fondé de cette aide française.