« Le Locataire » : le dernier chef-d’œuvre de Polanski avant la chute

VIDÉOCLUB. Boudé à Cannes, échec en salle, ce diamant noir sur la folie d'un homme sort enfin en Blu-ray/4K. Un an après son tournage, le cinéaste était éclaboussé par l'affaire Samantha Gailey.

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Roman Polanski et Isabelle Adjani dans « Le Locataire ».
Roman Polanski et Isabelle Adjani dans « Le Locataire ». © © 1976 Marianne Productions S.A. Tous droits réservés © 2025 Paramount Pictures. Tous droits réservés. Sous licence de Paramount Home Entertainment INC.

Temps de lecture : 5 min

En 1974, Roman Polanski est au sommet de sa carrière à Hollywood. Il a obtenu un grand succès critique et commercial, mais aussi un oscar (celui du Meilleur scénario original) pour Chinatown, son chef-d'œuvre du film noir avec Jack Nicholson et Faye Dunaway. Le veuf de Sharon Tate, sauvagement assassinée cinq ans plus tôt par des disciples de la secte de Charles Manson, a repris goût à la vie et tente d'oublier ce terrible drame en se plongeant dans le travail. Tout le monde se demande quel sera son prochain long-métrage.

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Le réalisateur annonce qu'il planche sur un projet qui lui tient à cœur depuis des années. L'adaptation d'un roman du dessinateur Roland Topor publié en 1964, Le Locataire chimérique. Un ouvrage dont la Paramount a acquis les droits. Le patron du studio américain, Barry Diller, a d'ailleurs donné carte blanche à l'auteur de Rosemary's Baby. Cinéaste cosmopolite, Polanski a déjà tourné en Pologne, en Grande-Bretagne, aux États-Unis, en Italie. Mais jamais en France. Pour la première fois, il pose ses caméras dans son pays natal et planifie le tournage du Locataire de novembre 1975 à mars 1976 à Paris.

Je sais ce qui se passe quand on vous rappelle dix fois par jour que vous n’êtes pas français.Roman Polanski

Déjà second rôle dans ses films Le Bal des vampires (1967) et Chinatown (1974), Polanski décide cette fois d'occuper le haut de l'affiche dans Le Locataire. À l'écran, il incarne Trelkovsky, un employé de bureau timide, nouveau locataire dans un appartement parisien dont la précédente occupante s'est défenestrée. Le réalisateur fait une performance incroyable dans la peau de cet immigré d'origine polonaise, célibataire, silencieux et discret mais victime de la méfiance de sa concierge (Shelley Winters), qui semble toujours le surveiller. Très vite, tous les voisins se liguent contre l'immigré et lui reprochent de faire du bruit. Il sombre bientôt dans la folie et la paranoïa.

Parabole sur le rejet de « l'étranger », Le Locataire montre la solitude et l'isolement d'un homme perdu dans l'anonymat d'une grande ville. Dans le livre Polanski par Polanski paru en 1986 aux Éditions du Chêne, le réalisateur compatit avec son personnage : « Je sais ce qui se passe quand on vous rappelle dix fois par jour que vous n'êtes pas français. Je sais ce qu'il en coûte d'être considéré comme un citoyen de deuxième catégorie. […] J'ai demandé à être naturalisé français, puisque j'étais né en France, à Paris. Et il était logique que je choisisse cette ville pour ce film. » Il y a donc une dimension autobiographique pour Polanski dans ce kafkaïen Locataire.

Le bide malgré Isabelle Adjani 

 

Le Locataire
©  © 1976 Marianne Productions S.A. Tous droits réservés.
© 2025 Paramount Pictures. Tous droits réservés. Sous licence de Paramount Home Entertainment INC.
Le Locataire © © 1976 Marianne Productions S.A. Tous droits réservés. © 2025 Paramount Pictures. Tous droits réservés. Sous licence de Paramount Home Entertainment INC.

Dernier volet de la « Trilogie des appartements » de Polanski après Répulsion (1965) et Rosemary's Baby (1968), Le Locataire est un drame étouffant, angoissant et donne l'occasion au cinéaste d'exprimer sa passion pour le huis clos : « Très tôt dans ma jeunesse, j'avais déjà ce goût pour les films qui se passent dans un intérieur, où l'on sent les murs autour de nous », explique-t-il. « J'aime cette sensation qu'on peut avoir au cinéma d'être transporté dans un autre monde, un autre espace, et c'est pour cela que j'aime le grand écran. Tout ce qui donne l'impression d'être vraiment “dedans” et non devant. » 

Sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes en mai 1976, ce cauchemar ultra-dérangeant fut mal reçu par la critique et le public, malgré la présence d'Isabelle Adjani au générique. Personne ne comprend le goût du bizarre de Polanski, son humour noir et cruel venu d'Europe centrale. Trop personnel et intimiste, Le Locataire sera un échec au box-office. 

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Trelkovsky/Polanski, deux locataires

Près de dix mois après la sortie du film, Polanski est arrêté le 11 mars 1977 aux États-Unis. Il fait l'objet d'une plainte pour viol sur mineure. Un jeune mannequin, Samantha Gailey, alors âgée de 13 ans, accuse le réalisateur d'avoir abusé d'elle après l'avoir droguée, au cours d'une séance photo pour Vogue Hommes qui se déroulait dans la villa de son ami Jack Nicholson (alors absent) sur Mulholland Drive, à Beverly Hills. Scandale. Déchaînement médiatique. Polanski affirme que la jeune fille était consentante, mais il plaide coupable. Il est incarcéré, pour une expertise psychiatrique, à la prison de Chino, en Californie. Il y restera 42 jours.

Alors qu'un juge déterminé a juré de l'envoyer sous les verrous pour de nombreuses années, Polanski panique, fuit les États-Unis et trouve refuge en Europe. Il ne reviendra jamais en Amérique, où il est toujours interdit de séjour depuis cette sordide affaire. En quittant le territoire américain, le réalisateur est privé du système de production pour lequel il était le mieux taillé : Le Locataire marque la fin d'une époque et de sa collaboration avec les studios hollywoodiens (à l'exception de Frantic, avec Harrison Ford, en 1988, qui sera coproduit et distribué par la Warner, mais tourné à Paris avec une équipe française).

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Un cinéaste devenu paria

Le scandale de 1977 aura des conséquences sur la suite de la carrière du metteur en scène, qui accouchera ses films suivants dans la douleur, à l'image de Tess (1979), le successeur du Locataire, produit dans l'Hexagone par Claude Berri. Quarante ans après l'affaire Gailey, l'ère post-#MeToo achèvera de faire de Polanski un pestiféré. Malgré l'opprobre, il affirme se sentir chez lui à Paris, où il vit depuis près de cinquante ans, désormais en reclus… mais il n'est pas étonnant qu'il se soit identifié à Trelkovsky dans Le Locataire. Il a joué lui-même ce rôle, car il savait que personne ne comprendrait le personnage aussi intimement que lui. Polanski, l'étranger, le petit Polack, restera pour toujours un locataire, un éternel apatride.

À Découvrir Le Kangourou du jour Répondre Jusqu'à présent uniquement disponible en DVD en France, Le Locataire bénéficie enfin d'une édition vidéo à la hauteur de sa réputation. Le film est proposé dans une nouvelle restauration effectuée en 4K à partir du négatif original. Le master est splendide en UHD comme en Blu-ray. Ce classique est accompagné de nombreux suppléments parmi lesquels une interview récente de Roman Polanski réalisée en 2024, où il revient sur la genèse de son œuvre (23 minutes). On trouve aussi un bonus français produit par Carlotta : une brillante analyse du film par notre confrère Samuel Blumenfeld (Le Monde). Enfin, un module intitulé Visite des lieux de tournage revient sur les décors parisiens insolites du film.

Le Locataire. Édition prestige limitée à 2 000 exemplaires. Inclus : un disque 4K Ultra-HD et un disque Blu-ray. 35 €. Disponible aussi en édition single 4K Ultra-HD. 25 €. Ou en édition single Blu-ray. 20 €. Editeur : Carlotta. 

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Commentaires (13)

  • Pèpèl 38

    Un grand cinéaste avec une vie épouvantable. L'histoire du cinéma retiendra l'artiste.

  • lynn

    Encore une louche sur cette affaire réglée... L’auteur de l’article ressasse encore et encore !... Polanski est un immense artiste... Sa vie est un cauchemar !

  • INTERSTELLAR

    « Le bal des vampires «  (1967) Le must have. Entendez-vous le doux tintement des clochettes du traîneau glissant sur la neige fraîche ? Mieux vaut avoir la foi plutôt que l’effroi ( les froids, les fois ). Vous reprendrez bien une petite gousse d’ail dans votre soupe à l’oignon ( « y croûtons »). Miam, Miam, Miam. Le film « Entretien avec un vampire » avec Tom Cruise et Brad Pitt est + trash, + glauque et nettement moins drôle. La vérité est entre les deux. Signe NOSFERATU.