Dans Le Souvenir d’un avenir (2001), Yannick Bellon entreprend de resituer la trajectoire de sa mère Denise (1902-1999), figure majeure du reportage photographique des années 1930 à 1970, proche des surréalistes et témoin des bouleversements sociaux et politiques de son siècle. Le film, co-réalisé avec Chris Marker, montre son travail photographique et ses archives personnelles, entre moments historiques et visages aimés : autant d’images qui sont devenues mémoire, intime ou collective. Par ce montage, le film suscite une réflexion sur la photographie comme art de l’attention (saisir un regard, une posture, une présence) mais aussi comme interrogation critique : la photographe de presse regarde le présent mais son œuvre participe à l’écriture de l’Histoire.
Avec Histoire d’un regard (2019) Mariana Otero s'attache presque vingt ans plus tard, à une autre figure importante du photojournalisme, Gilles Caron, mort à l’âge de trente ans en 1970 lors d’un reportage au Cambodge. À partir de milliers de ses clichés, la cinéaste construit une enquête qui situe la singularité de son regard : frontal mais empathique, attentif autant aux visages anonymes qu’aux grandes secousses de l’Histoire.
Ses images des manifestations de Mai 68, de la guerre du Biafra au Nigeria ou de la guerre des Six-Jours à Jérusalem revêtent une intensité singulière : elles captent la tension des événements à hauteur de regard. Le film se fait alors double mouvement : hommage à une œuvre interrompue trop tôt et réactualisation d’un regard qui continue d’interpeller notre présent.
Les deux films semblent dialoguer : d’un côté, la photoreporter qui traverse le siècle, relie surréalisme et reportage, art et engagement ; de l’autre, le photoreporter happé par l’urgence de l’Histoire, dont la disparition prématurée confère à son œuvre une aura fragmentaire. Ce qui les réunit, c’est la conviction qu’une photographie n’est jamais une simple illustration, mais au contraire un pur instant qui fait acte de mémoire.
Les images résistent à la disparition de leurs auteurs et se transmettent à la génération suivante. Denise est racontée par sa fille Yannick ; Mariana Otero rencontre la femme et les deux filles de Gilles Caron afin d’explorer avec elles ses planches contact. Les photographies se chargent alors de souvenirs et montrent le choix difficile que font ces photoreporters, s’éloignant longtemps, travaillant face au danger, parfois au péril de leur vie.
En écho à l’exposition du mahJ, Le Souvenir d’un avenir et Histoire d’un regard rappellent combien la photographie de presse dépasse la simple trace : elle nous confronte, aujourd’hui encore, à la puissance d’un regard. Deux films à découvrir sur Les yeux doc, pour prolonger la visite de l’exposition et découvrir combien ces images continuent d’éclairer notre manière de voir le monde.
Lire l’article La photographie comme pièce à conviction sur Balises, le magazine de la Bpi.
Découvrir le programme de l’exposition Denise Bellon. Un regard vagabond au mahJ et regarder la bande-annonce :