Après l'assassinat de Charlie Kirk, on a beaucoup parlé du fond — son idéologie — mais assez peu de la forme, c'est-à-dire celle des débats que l'influenceur trumpiste organisait sur les campus. Mais peut-on vraiment appeler débat d'idées ce genre de clash ?
Et si on s’était trompé sur Charlie Kirk, en ne parlant que du fond et pas assez de la forme ? Depuis l’assassinat de l'influenceur trumpiste, on a beaucoup salué les débats qu’il organisait sur les campus, ses qualités de contradicteur et sa capacité à se confronter à des points de vue différents, mais il y a quelque chose d’un peu gênant là-dedans. Attention, personne ne devrait être assassiné pour ses idées, cela va de soi, mais est-ce qu’on peut vraiment appeler "débat d’idées” ce genre de clash ? Sébastien Mort, maître de conférences en histoire, culture et société à l'Université Paris Nanterre explique :"Quand on regarde le dispositif de ces "débats", on voit bien que l'avantage était du côté de Kirk. Ses détracteurs étaient censés passer devant lui, entouré de la foule de ses soutiens, donc il y avait une espèce d'asymétrie, de déséquilibre dans le statut qui font que c'était plus une parodie de débat qu'autre chose."
À lire aussi
De Tucker Carlson à Charlie Kirk : cartographier l’influence de l'extrême droite en réseaux
La Fabrique de l'information
59 min
"Kirk se filmait en dialogue avec des figures détestées de l'extrême droite, c'est-à-dire des espèces de woke aux cheveux roses", analyse pour sa part Lauric Henneton, maître de conférences à l’université de Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines. "Il les ridiculisait en direct, et ensuite, sur YouTube, c'était toujours présenté de manière extrêmement violente, avec des titre's comme “Charlie Kirk descend untel...” ou “Charlie Kirk ridiculise unetelle”."
Un simulacre de débat
Avec ce genre de joutes où priment l’agressivité et la volonté de discréditer son opposant, on n’est plus vraiment dans du débat : on est dans du catch. Bref, dans un spectacle où l'on ne retient pas le fond des arguments, mais des punchlines. Dans ce type de confrontation, c’est moins la recherche d’un consensus ou la vérité qui compte, mais l’expression d’opinions polarisées. Des moments qu’on cherche à viraliser sur les réseaux sociaux et qui sont ensuite poussés par les algorithmes. Dans l'Ère du Clash en 2019, l'écrivain Christian Salmon écrivait déjà : "Ces médias qui tournent en boucle dans les cafés ou les salons ont besoin de saillies", explique l'écrivain. "Et ces pics d'attention, comment on les produit ? Eh bien par le clash, c'est-à-dire en produisant du scandale. On prend une thèse et son antithèse, on les met ensemble et on se hurle dessus. Alors les gens prêtent l'oreille en disant : "Tiens, là, quelque chose dépasse la rumeur ambiante'."
À lire aussi
Dès les années 1980, le philosophe Michel Foucault annonçait ce mécanisme de dégradation du débat, en remettant au goût du jour la notion de parrêsia qui signifie en grec ancien le parler-vrai, la recherche de la vérité. Pour Foucault, il y a la bonne parrêsia qui désigne le courage de prendre la parole pour dire ce qu'on sait être vrai. Et la mauvaise parrêsia, celle qui s’installe dans la cité au Vᵉ siècle. "Premièrement, la mauvaise parrêsia est marquée par l'absence de règles de débat, il n'y a pas d'ordre de prise de parole par exemple. Deuxièmement, celui qui s'exprime fait campagne, il cherche à convaincre de sa vérité à lui. Il n'a pas pour but qu'une sorte de vérité habermassienne — c'est-à-dire rationnelle, objective — surgisse de sa prise de parole. Enfin, la mauvaise parrêsia, se caractérise par cette espèce de chaos et d'opportunisme, de quête de l'audience" décrypte encore Christian Salmon.
Le relativisme des opinions
Sans même parler du fond, la forme de ce type de débat profite davantage aux opinions radicales. Les faits scientifiques, qui sont censés faire consensus, sont mis sur un pied d’égalité avec des opinions plus subjectives, des ressentis, des raisonnements sophistes, voire des croyances religieuses. C’est le principe de la fenêtre d’Overton, du nom de Joseph Overton, un politologue américain des années 1990. Overton avait théorisé que les idées radicales, à force d’être évoquées dans le débat public, sont progressivement acceptées.
À lire aussi
La disputatio comme modèle du débat ?
Au Moyen Âge, le débat était un rituel universitaire sacré : c’était la disputatio et cela fonctionnait car c’est très codifié, même si c’était réservé à une élite savante. Pourrait-on s'en inspirer et remettre en vigueur quelques-une de ses règles pour un débat intellectuellement honnête ? Par exemple, laisser du temps : du temps de préparation où chacun s’informe sur le sujet, du temps pour une discussion suffisamment longue, pour laisser à chacun le temps d’étayer sa pensée. Et du temps long ensuite, pour organiser d’autres rendez-vous afin que le débat s’inscrive dans la durée.
Ensuite, ne pas chercher un avis pour et un avis contre, mais rechercher au contraire la complémentarité dans les disciplines pour atteindre la nuance et la complexité, plutôt que la confrontation. Éviter les "toutologues" et les experts autoproclamés des plateaux de télévision, mais interroger au contraire des personnes légitimes par leurs travaux de recherche ou leur propre expérience, sur un sujet donné. Enfin, un bon débat, c’est un débat modéré, encadré, dans lequel les interlocuteurs se respectent et évitent les punchlines.
À écouter
Références




