Le vote populaire est parait-il l’un des enjeux majeurs de l’élection présidentielle. Pour mille raisons complexes, le peuple choisirait souvent Marine Le Pen, apprécierait moins Nicolas Sarkozy qu’en 2007, et aurait pris ses distances avec le parti socialiste. Et voilà qu’en cette semaine de Noël un mouvement social prend le pas sur une actualité consacrée jusque là à la dette, à l’Euro, et aux banques. Est-ce le peuple qui fait parler de lui ? Non. Il s’agit de gens dont le métier est de contrôler les passagers dans les aéroports. Ils ont décidé de se mettre en grève pour des augmentations de salaire, et cet arrêt de travail parait plus menaçant que les agences de notation. C’est comme si, en quelques jours, la France avait changé d’ennemis numéro Un. Les plus hautes autorités de l’état se mobilisent pour faire en sorte que les français du peuple ne soient pas gênés par ces gens qui font grève. Le président de la République est intervenu lui-même à plusieurs reprises, il utilise, comme ses ministres, le mot très lourd de prise d’otage. C’est donc une forme d’état d’urgence. L’un de ces moments décisifs où le sort d’une nation peut basculer dans un sens ou dans l’autre. L’objectif est bien sûr de faire savoir au peuple appelé aux urnes qu’il n’est pas abandonné, et qu’il est protégé. Protégé de qui ? D’un agresseur dont le visage passe à la télévision, au milieu de banderoles. Des gens qui ne peuvent pas faire partie du peuple, puisqu’ils le prennent en otage. Des salariés, employés par des sous-traitants de l’aéroport de Paris, par exemple la Brink’s, ou Securitas. Ils touchent 1100 euros par mois, pour les uns, et 1400 pour les mieux lotis. Ils réclament des augmentations, ce qui est inquiétant. Ils parlent de 200 euros brut par mois, ce qui est vertigineux. Pour gâcher les vacances du peuple, ces gens ignorent à coup sûr la vie des travailleurs, les fins de mois difficiles, les problèmes de transport, tout ce qui fait la dureté de l’existence. Les agents de sécurité évoluent probablement dans un monde à part, à l’abri des aléas de la crise, protégés, inconscients, ils doivent être arraisonnés, c'est-à-dire ramenés à la raison. Et s’ils étaient trop malheureux, s’ils s’estimaient maltraités, ils pourraient toujours aller au stade pour voir jouer un autre salarié qui lui non plus ne fait pas partie du peuple. Il s’appelle David Beckam. Il touche 800 000 euros par mois.
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- Journaliste, écrivain et essayiste (Mediapart)
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