Quelle est l’histoire de la découverte, de l’exploration, et de la mise en tourisme des sites d’art préhistorique de Dordogne ? En quoi ces sites sont-ils étroitement liés à la naissance de la préhistoire comme discipline ?
- Nathalie Fourment, conservatrice générale du patrimoine, directrice du Musée national de Préhistoire
- Patrick Paillet, archéologue, préhistorien, maître de conférences du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN)
- Stéphane Petrognani, préhistorien, membre de la Direction Scientifique et Technique de l'INRAP, chercheur du laboratoire Histoire naturelle de l'Homme préhistorique
Direction la Dordogne et le Périgord : destination préhistoire ! Voici la grotte de la Mouthe et celle de Font-de-Gaume ; voici les Eyzies et le Musée national de Préhistoire. La Dordogne, ce sont également les grottes de Rouffignac et des Combarelles, avec l’abri de la Madeleine et l'incontournable grotte de Lascaux. Un voyage dans le passé où nous croisons des mammouths, des rennes, des cerfs, des chevaux, des aurochs : bons bisons de Dordogne !
Qu'est-ce que l'art préhistorique ?
L’art préhistorique évoque immédiatement l’art pariétal, les peintures et gravures qui ornent les parois de grottes, et qui, quand elles sont polychromes, éblouissent le visiteur de leurs tons rouges, jaunes, orangés, ocres, bruns et noirs. Pourtant, l’art préhistorique ne se limite pas à ces inscriptions murales, il irrigue aussi les objets du quotidien. Lampes, armes, baguettes de bois de renne ou de cerf, bâtons percés, propulseurs, outils, parures peuvent être gravés, sculptés, ornés de signes, de symboles, ou de représentations animales. L’art préhistorique inclut également des blocs ornés, qui sont généralement décorés de silhouettes d’animaux en bas-relief.
Les préhistoriens sont encore aujourd'hui divisés sur les raisons qui ont pu pousser les hommes et les femmes préhistoriques à dessiner sur les parois des grottes, ou à transformer les objets de leur quotidien en œuvres d’art. Certains considèrent qu’une pensée symbolique, religieuse, cosmogonique s’exprime à travers cet art, même si l’on en ignore à peu près tout. D’autres imaginent que ces représentations sont des récits, qui servent de support à des mythes fondateurs. "Il faut avoir conscience que cet art ne nous est pas destiné, il n'a pas été créé pour nous, hommes et femmes du XXe ou XXIe siècle. Il a été créé pour d'autres, dans d'autres circonstances, il y a des dizaines de milliers d'années. Il serait vain, illusoire, et arrogant de vouloir essayer de le comprendre dans toute sa finesse et dans toute sa diversité.", insiste Patrick Paillet.
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Les richesses préhistoriques de la Dordogne
La Dordogne, et en particulier la vallée de la Vézère, est l’un des territoires les plus riches en art pariétal, en art mobilier, et en art rupestre de la préhistoire. Le département ne compte pas moins de cinquante-huit grottes ornées, de taille et d’importance variables. La Dordogne a ainsi joué un rôle essentiel dans la découverte des grottes ornées et dans la progressive certitude de l’existence et de l’authenticité de l’art préhistorique. Dès la fin du XIXe siècle, des grottes sont découvertes dans ce territoire du sud-ouest, comme la grotte de la Mouthe en 1894, d’autres un peu plus tard, au début du XXe siècle, comme la grotte de Font-de-Gaume ou celle de Combarelles, toutes deux "inventées" en 1901 par Denis Peyrony, Louis Capitan et Henri Breuil.
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Certaines grottes ont été préservées depuis le temps de leur première occupation, si leur entrée est devenue inaccessible du fait d’un effondrement ou d’un éboulement. Elles sont donc généralement dans un état de conservation exceptionnel, à l'instar de la célèbre grotte de Lascaux, découverte en 1940. D’autres, au contraire, n’ont jamais cessé d’être fréquentées et parcourues par des visiteurs, qui remarquent parfois, mais pas toujours, les décorations présentes sur les parois, sans se douter du trésor qu’ils ont sous les yeux. "Souvent, en particulier en Périgord, les grottes ont été utilisées à des périodes très anciennes, voire un peu plus récentes. Par exemple, la grotte de la Mouthe a servi de bergerie pendant la guerre. On parle de découvertes, et même d'inventeurs, lorsqu'on met à jour des gravures ou des objets préhistoriques. La grotte en elle-même ou le réseau sont déjà dans le panorama géographique local.", indique Stéphane Petrognani.
La préhistoire, naissance d'une discipline scientifique
À la fin du XIXe siècle, la science préhistorique en est à ses débuts. Dans une société imprégnée par la religion catholique, postuler l’existence d’hommes et de femmes préhistoriques, qui auraient vécu avant Adam et Ève, ne va pas de soi. Quand les premières œuvres d’art sont découvertes, leur authenticité et leur ancienneté sont fortement remises en doute. Pour beaucoup de chercheurs, il serait impossible que des œuvres aussi anciennes soient parvenues jusqu’à nous, les humains préhistoriques, s’ils ont existé, auraient été incapables d’une telle production artistique…. Peu à peu, les préhistoriens, au fil des fouilles et des trouvailles, parviennent à prouver la contemporanéité d'êtres humains et d’espèces animales disparues, comme le mammouth, ce qui étaye la thèse d’un homme antédiluvien.
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La reconnaissance officielle de l’art préhistorique suit peu à peu, tandis que l’engouement du public pour ces formes artistiques exceptionnelles grandit. Le tourisme préhistorique est né et, avec lui, un ensemble de questionnements et de dangers, car les grottes sont des environnements fragiles, dont la préservation et la conservation sont à la fois délicates et nécessaires.
Nathalie Fourment, directrice du Musée national de Préhistoire aux Eyzies, rappelle les intentions de Denis Peyrony, figure fondatrice du musée, quand il fait racheter les ruines du château des Eyzies à l’État en 1913 : "Il veut tout d’abord limiter la dispersion des vestiges préhistoriques qui sont abondamment fouillés depuis la fin du XIXe siècle et, en choisissant de les laisser sur place dans un musée, (il veut) en favoriser la compréhension et l'étude." La préhistorienne ajoute que l'autre mission du musée est de "favoriser la connaissance par tous de ces données, qui sont sans cesse en train de se construire".
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Bibliographie
- Denis Peyrony, Journal d’un Préhistorien, commenté par Aude Chevallier, Catherine Cretin, Nathalie Fourment, Brad Gravina et Elena Paillet, coédition Musée national de Préhistoire-MKF, 2023
- Patrick Paillet, Qu’est-ce que l’art préhistorique ? L’homme et l’image au Paléolithique, CNRS Éditions, 2018, réédité 2021
- Jacques Jaubert, Valérie Féruglio, Nathalie Fourment (dir.), Grotte de Cussac -30 000, Éditions Confluences, 2020
- Stéphane Petrognani, De Chauvet à Lascaux : l'art des cavernes reflet de sociétés préhistoriques en mutations, Éditions Errance, 2013
Références sonores
- Archive sur la Dordogne, JT Aquitaine, 15 septembre 1973
- Archive de Jean Guichard, conservateur des Eyzies, JT Aquitaine, 8 août 1970
- Lecture de La grotte qui pleure, poème de René Farabet, Atelier de création radiophonique, France Culture, 5 mars 1989
- Extrait de Les Cartographes du son de Benjamin Bondonneau, Radio Dordogne, 2014
- Générique de l'émission : Origami de Rone
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