Avec "Monsieur Chouette", David B. signe une épopée onirique et métaphysique qui explore le royaume des morts comme le miroir critique du monde des vivants. Avec "La tête sur mes épaules", Bénédicte Muller signe, elle, une première BD d’une maturité bouleversante.
- Antoine Guillot, journaliste, critique de cinéma et de bandes dessinées, producteur de l'émission "Plan large" sur France Culture
- Lucie Servin, journaliste, spécialiste de littérature et de bande dessinée
Avec Monsieur Chouette, l'auteur de bande dessinée David B. livre une œuvre à la fois poétique et métaphysique, qui prolonge ses explorations oniriques entamées depuis L’Ascension du Haut Mal (1996). Dans cette traversée clandestine du royaume des morts, le dessinateur déploie toute sa virtuosité en noir et blanc : un foisonnement de masques, de métamorphoses et de visions fantastiques. Derrière cette épopée baroque, se dessine une allégorie critique du monde des vivants -ses guerres, ses excès, ses déchets - transfigurée par un imaginaire jubilatoire. Monsieur Chouette s’impose comme un album graphique et métaphysique, où la mort devient matière à célébrer la création.
Les avis des critiques sur "Monsieur Chouette" de David B
Lucie Servin : "David B. dessine l’inquiétude de son personnage principal, une jeune femme effrayée par son ombre. Pour vaincre ses peurs, elle va devoir traverser « l’autre monde », celui des morts. David B. nous plonge dans une épopée d’ombre et de lumière fascinante. Le noir et blanc, dont il est un virtuose absolu, lui permet d’explorer la binarité et les contrastes. À chaque relecture, on redécouvre sans cesse des détails passés à la trappe lors de la première lecture, c’est en cela que réside toute sa force. Monsieur Chouette est comme un manuel de philosophie pratique, à la dimension très ludique, qu’on garderait volontiers près de soi. Une critique fascinante de l’obsolescence, où objets et êtres humains se retrouvent sur le même plan."
Antoine Guillot : " L’album a cette particularité d’être à la fois hermétique, ésotérique, psychanalytique et un véritable polar, dans la veine de ceux des années 1930. Sur le plan esthétique, il est époustouflant : David B. dessine cette accumulation permanente du monde des morts avec un sens du détail incroyable. Son trait vibratile, toujours un peu tremblé, finement ondulé, donne vie à ses personnages. Il représente les morts en mêlant plusieurs références, de l’art précolombien aux masques africains, en passant par les fantômes japonais. Chaque case réinvente un bestiaire hallucinant, mais la lecture reste toujours d’une clarté totale : on ne s’y perd jamais. Et malgré sa longue carrière et son statut de vieux routard de la bande dessinée, David B. parvient encore à se réinventer, pour notre plus grand plaisir ! "

Les avis des critiques sur "La tête sur mes épaules" de Bénédicte Muller
Avec La tête sur mes épaules, Bénédicte Muller signe une première bande dessinée d’une rare justesse. Par un dessin épuré, métaphorique, elle aborde le traumatisme à hauteur d’enfant, à travers le motif récurrent de la tête, symbole du jeu et de la perte de repères. Dans cette maison peuplée d’enfants qui s’amusent à "décrocher leur tête", l’autrice met en scène avec finesse la tension entre l’insouciance du jeu et la menace du monde adulte, figures d’autorité aux "grosses têtes" écrasantes. La narration quasiment muette déploie une poésie visuelle et sous son apparente légèreté, le récit bascule dans la tragédie. Une œuvre d’une grande maturité qui fait du dessin un langage de réparation.
Antoine Guillot : " L’expérience est à la fois déroutante, saisissante et terrifiante. En le feuilletant, je ne savais pas de quoi il s’agissait et j'ai pensé à un livre de jeunesse pouvant être destiné aux adultes avec un graphisme un peu convenu. Le fait que la tête des gens soit amovible et qu'ils l'utilisent pour jouer au bowling ou à la pétanque est assez déroutant, même drôle. Puis, d'un coup, le creux qui se forme dans le corps de cet enfant est le même qui se crée chez le lecteur. Le titre prend alors tout son sens et raconte le poids que peut avoir le traumatisme subi. L'autrice exprime très profondément le malaise, la culpabilité... Cet album se termine sur une phrase : "tant mieux si j'ai réveillé tout le monde", et je pense que ce livre m'a effectivement bien réveillé ! "
Lucie Servin : "La tête sur mes épaules commence à hauteur d’enfant. Bénédicte Muller joue sur les différentes significations de la perte de la tête. Elle nous prouve que la bande dessinée parvient à exprimer des choses que les mots n’arrivent plus à formuler. Et c’est très beau. On est face à un livre où le blanc prédomine : l’utilisation du vide et le rapport à l’espace y sont particulièrement intéressants. Cet univers est très ouvert, elle utilise peu de cases, mais pour refléter finalement un enfermement. Le monde de l’enfant se limite à l’espace de la maison devenant un espace de plus en plus clos. D’un point de vue graphique, c’est magistral ! "

Plus d'informations
- Monsieur Chouette de David B. parue aux éditions L'Association le 12 septembre 2025
- Le festival Gribouillis consacre une exposition au travail de David B jusqu’au 31 octobre à la bibliothèque Mériadeck de Bordeaux
- La tête sur mes épaules de Bénédicte Muller parue aux éditions Atrabile le 12 septembre 2025
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