Un homme lève les bras au ciel ©Getty - RUNSTUDIO
Publicité

Le développement personnel répond par l’affirmative à cette question et trace un chemin illusoire pour tenter d’y parvenir, en niant les expériences négatives inhérentes à l’existence humaine et en responsabilisant l’individu dans ses choix de vie. Une vie réussie est faite de pensées ou d’actions ?

Avec
  • Thierry Jobard, responsable Sciences Humaines à la librairie Kléber
  • Marianne Chaillan, professeure de philosophie et écrivaine

En 2016, répondant à une enquête de l’IFOP, les Français considéraient comme élément central d’une vie réussie, celle d’avoir une vie heureuse, pour 75 % d’entre eux. Venait ensuite : avoir du temps libre pour profiter (45%) et avoir de vrais amis (39%). Qu’est-ce qu’une vie réussie ? Vaste sujet, débat éternel, qui soulève de nombreuses questions : Accorde-t-on trop de place à la réussite individuelle et à la performance, au détriment d’un épanouissement collectif ? Une vie réussie est-elle nécessairement heureuse, ou est-ce une vie au cours de laquelle on a éprouvé des émotions et expériences multiples ?

Publicité

Il y a dans la société actuelle, et le développement personnel est loin d’y être étranger, une “injonction à réussir sa vie” qui est pour Marianne Chaillan une injonction “maltraitante” et une “illusion vaine”. Pour la professeure de philosophie, il est probable que le “meilleur moyen de ne pas rater sa vie serait de ne pas se perdre” dans la recherche “d’une vie réussie” car peut-être que “nous n'atteindrons jamais la complétude”, ne vaincrons “jamais l’absurde”. Il apparaît difficile aux yeux de Thierry Jobard, que “toute une existence soit marquée par l’échec”. C’est la “notion de réussite” qui lui pose problème puisqu’elle sous-tend l’idée “qu'il faudrait réussir, comme on réussit une recette de cuisine ou le décapage d'un meuble” alors que l’existence est traversée “par des épreuves, par des manques, par des pertes” qui peuvent en changer le sens.

Derrière cette question, l’injonction au bonheur n’est également jamais loin. À supposer que celui-ci existe dit Marianne Chaillan, “on le représente comme une sorte de plénitude, de ciel bleu sans nuage, alors qu’il n'y a pas de plénitude sans qu'il n'y ait aussi des manques et des creux”. Thierry Jobard complète son propos en expliquant que le bonheur, “c’est la bonne heure, c’est-à-dire, un moment fugace de l’existence” et ajoute que l’”on n’est pas forcément malheureux si l’on n'est pas heureux”.

“Comment réussir à vivre ?”

Marianne Chaillan se demande si ce n’est pas ça “la vraie question à se poser”. Pour elle, “on ne réussit pas sa vie, mais on réussit à vivre quand on a accepté les lois indépassables de l'existence” et donc à la fois des regrets, des tristesses et des réussites, des moments de joie. D’après Thierry Jobard, ne pas s’interroger sur la vie et sur son sens peut être source de quiétude puisque la “réflexivité” est parfois inconfortable et cause de malheurs. Pour lui, “des gens se satisfont du confort, d'autres de l'activité permanente, du besoin d'optimiser toutes leurs facultés”. Il ne fait aucun doute à ses yeux qu'il n’y a pas qu’un seul modèle de vie. “Penser, amène à s'ouvrir sur l'altérité, sur l'étranger, et à partir du moment où l’on considère que nous faisons partie d'une commune humanité, cela devient très difficile d'envisager d'être heureux, sachant que nous ne le sommes pas tous et que nous ne risquons pas de l'être”.

Pour Marianne Chaillan, vivre et exister sont deux concepts très différents. “On peut se contenter de vivre, mais exister, c'est autre chose, c'est s'emparer de sa vie pour tâcher de l'habiter de la façon la plus authentique possible. Se poser des questions qui vont bousculer nos certitudes” peut être le moyen “de mieux se trouver à la fin”. Pour en revenir à l’idée “peut-on réussir sa vie”, la question miroir est “peut-on rater sa vie”, qui est pour la professeure de philosophie, une interrogation tout aussi “peu pertinente”. Reprenant la thèse de Sarthre, elle déclare que “l'histoire d'une vie, quelle qu'elle soit, est l'histoire d'un échec.” Il est d’après elle, illusoire de croire que l’on peut être “l'auteur de sa vie”. Néanmoins, “certains philosophes comme Spinoza, sans nier notre servitude, nous disent qu'on peut essayer d'œuvrer pour diminuer notre part de passivité et augmenter notre part d'activité”.

À écouter

Peut-on perdre notre humanité ?

Questions du soir : le débat

37 min

L'équipe