L'impasse belge

Thomas CLUZEL

Ca commence à bien faire ... Ca commence à bien faire toutes ces portières de voiture qui claquent ... comme les portes dans les vaudevilles pour qu'apparaissent subrepticement ... et aussitôt disparaissent des personnages qui se hâtent comme s'il s'agissait de sauver de l'incendie les dossiers multicolores qu'ils pressent contre leurs poitrines ... La politique serait-elle donc comme l'estimait Camus ...* « une machine à désespérer les hommes »* interroge LE SOIR en Belgique ? ... Dans une certaine mesure c'est vrai ... on peut le penser ... tant elle apparaît chez nous le plus souvent comme un jeu à somme nulle ...

Hier ... le premier ministre pressenti pour diriger la Belgique ... Elio Di Rupo a en effet présenté sa démission ... Un coup dur de plus donc pour la Belgique ... sans gouvernement depuis 527 jours ... Et pourtant ... et pourtanton disait Elio Di Rupo fin stratège ... mieux encore ... un véritable magicien confesse ce matin le site d'information en ligne MYEUROP ... Et pour cause .. il avait réussit le tour de force de débrouiller le sac de nœud linguistique que constituait l'arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde ... Après un an et demi de tergiversations ... Di Rupo avait finalement trouvé la clé pour scinder BHV en deux ... une condition sine qua non des partis flamands pour former une coalition avec les partis francophones ... mais aussi ... une manière de convaincre les même flamands de lâcher les nationalistes du N-VA ... Dès-lors l'horizon se dégageait enfin ... Sauf ... sauf que ce tour de magie n'aura pas suffit en réalité à débloquer la situation ... Car à présent ... les six partis principaux restant dans les négociations ne semblent pas davantage capables de s'entendre en vue de la formation d'un gouvernement ... Raison invoquée cette fois-ci ... les mesures budgétaires à prendre pour ramener le déficit public sous la barre des 3% en 2012 ... Les partis libéraux ... tant néerlandophone que francophone d'ailleurs réclament eux davantage de coupes budgétaires et de réformes de fond ... système des retraites ... allocations chômage ... quand les socialistes et les centristes eux font la part belle aux hausses d’impôts ...

Bien évidemment ... il n’y a pour les partis autour de la table ... rien à gagner à trouver un terrain d’entente renchérit LE SOIR ... Il n’y a pour conclure un compromis sur le budget que des raisons négatives ... Crainte que les marchés financiers foncent sur nous … mais surtout la peur du chaos et de l’incommensurable vide qui suivrait un échec ruinant tous les accords engrangés …Un scénario qui rend fout … Et on comprend finalement que chaque parti n’accepte de s’y soumettre qu’en étant assuré que ce soit l’autre qui y laisse son scalp ... Alors que faire de tout ça poursuit le quotidien de Bruxelles ? … Faut-il poursuivre le spectacle de l’impuissance et des petits jeux ? … Attendre lâchement que les spéculateurs attaquent pour prendre ces mesures de force ? … Ce serait une telle honte … une telle lâcheté démocratique écrit l’éditorialiste ... Bien sûr les arbitrages à faire sont difficiles … mais il y a tout de même une raison évidente et positive pour passer à l’acte … quitte à y perdre des électeurs … et sa toute-puissance : la Belgique a besoin d’être gouvernée ... Les circonstances c’est vrai sont terribles … mais elles forcent à affronter des réformes structurelles trop longtemps différées ... Ce n’est pas qu’un cauchemar … c’est aussi une opportunité ... L’affrontement gauche-droite peut être aussi créateur d’équilibres ... Et à ce stade des négociations … cela demande juste cinq minutes de courage ... et de prise de risque.

Alors maintenant que le pays est à nouveau dans l'impasse ... que fait-on ? ... Doit-on tous retourner aux urnes s'interroge Le SOIR ? ... Et si Di Rupo continuait quand même ... lance à l'aveugle son confrère du journal L'ECHO ? ... Quoi qu'il en soit le scénario le plus probable poursuit l'article est que le Roi refuse la démission du formateur ... et lui demande de continuer à chercher un compromis ... La crise d'hier participerait alors à un moment de dramatisation parfois nécessaire pour faire passer des compromis douloureux ... Et puis ... ce serait aussi sans doute la solution la moins aventureuse ... Deuxième scénario possible ... un gouvernement provisoire ... d’urgence ou ... tiens tiens de "techniciens" ? ... Ce scénario gagnerait en effet en consistance s’il apparaît que la pression des marchés sur la Belgique devient trop forte ... Mais ce gouvernement de technocrates serait un désaveu terrible pour le monde politique ... Sa légitimité démocratique serait rapidement mise en question et surtout ... la neutralité des techniciens serait aussi vite sujette à polémiques ... Enfin le retour aux urnes ... c’est bien évidemment la solution naturelle la plus réaliste .... Elle aurait l’avantage de rebattre les cartes ... et de permettre aux citoyens de s’exprimer à la fois sur le volet institutionnel et ... sur le débat budgétaire ... Mais même s’il ne faut jamais présager d’un résultat électoral ... celui-ci risque fort de conforter le rapport de forces actuel ce qui au final ne réglerait absolument rien ...

Alors ironie de l'histoire ... hier matin ... toute la presse belge semblait déplorer que l'Espagne vienne à son tour ajouter son nom à la longue liste des gouvernements emportés par la crise ... Et bien 24 heures plus tard ... les mêmes causes produisant les mêmes effets ... il n'y a pas grand chose à ajouter ... Au-delà des réalités parfois différentes d’un pays à l’autre écrivait déjà LA LIBRE BELGIQUE hier ... la lame de fond de cette crise sans précédent constitue un défi inédit pour les formations politiques traditionnelles ... dont le crédit s’est effondré auprès d’électeurs déboussolés ... Et de conclure ... il est urgent ... urgent que les hommes et les femmes politiques responsables prouvent au citoyen leur capacité à porter un véritable projet collectif ... Sans quoi ... un boulevard s’ouvrira en Europe aux vendeurs d’illusion populistes et autres marchands de nationalisme.