Jacqueline Jacob a été mise en examen dans l'Affaire Grégory. Selon un expert suisse en stylométrie, l'octogénaire a très probablement rédigé la lettre de revendication du crime. Florian Cafiero, spécialiste de la stylométrie, explique ce qu'est cette nouvelle technique.
"La stylométrie, c'est une étude statistique des régularités dans la langue. Quels sont les choix de vocabulaire qu'on fait ? Les longueurs de phrases, les structures grammaticales, etc, tout ce qui va trahir qui a écrit ou à quel moment dans l'histoire cela a été écrit", explique Florian Cafiero, enseignant chercheur à l’université Paris sciences et lettres, spécialiste de la stylométrie. "Donc on s'intéresse, disons, au mot choisi, à la langue choisie, plus qu'au geste de l'écriture, ce que fait l'analyse en comparaison d'écriture, où on se demande est-ce que la boucle du L, c'est vraiment typique de l'écriture manuscrite d'untel ?"
Cette technique est utilisée depuis longtemps en littérature, notamment pour repérer les plagiats, mais c'est une première dans le domaine judiciaire. "C'est une première en France, puisqu'il y a une histoire de l'usage de la linguistique forensique, comme l'appellent les Américains, depuis des décennies, il y a des histoires en Angleterre, en Italie, etc." En France, c'est donc la première fois que la stylométrie est utilisée dans un tel cas qui est "particulièrement difficile et particulièrement médiatique, donc je pense qu'il y a malheureusement à la fois des controverses sur le cas et sur la méthode, mais par contre la méthode, elle-même, a une longue histoire depuis les années 60 et la création du département statistique d'Harvard, et disons dans les tribunaux" en dehors de France.
Un texte long est-il nécessaire ?
La taille de texte nécessaire à l'analyse va dépendre du cas. Plus ils sont difficiles, plus il faut de texte, plus ils sont simples, moins il en faut. "Vous n'avez pas besoin de beaucoup de texte pour distinguer mon langage de celui de Molière, en une seule phrase, vous allez voir que je ne suis pas Molière." C'est un peu la même chose dans l'affaire Grégory. "Tout dépend du nombre de suspects et tout dépend des variations dans leur style. C'est quelque chose que seuls les experts et les personnes qui ont le dossier en main savent." Florian Cafiero fait une comparaison avec les recherches d'ADN. "On est content d'avoir l'ADN entier, pas des petits fragments, et pour nous, les textes, c'est pareil, plus on en a plus on est content."
Une technique très critiquée
La défense de Jacqueline Jacob a parlé "d'expertise lunaire", elle a beaucoup critiqué la stylométrie. Une réaction normale, pour Florian Cafiero, car les avocats "font leur travail. Maintenant, sur le champ lui-même, il est relativement bien établi, il est publié dans les plus grandes revues, enseigné dans d'excellentes écoles à travers le monde, son caractère scientifique n'a été remis en cause, à ma connaissance, par personne."
En matière d'expertise, "s'il y a des critiques particulières", comme celles formulées par les avocats, il y aura sûrement des contre-expertises. Pour Florian Cafiero, "on peut identifier, à partir de la langue employée, qui parle, c'est quelque chose qu'intuitivement on sait faire, évidemment pas avec la même régularité. La stylométrie ne fait que systématiser ce type d'analyse avec de l'intelligence artificielle, des calculs statistiques, une connaissance de l'analyse linguistique." Contrairement à ce que dit la défense de Jacqueline Jacob, "il n'y a rien d'extraordinairement ésotérique dedans, il y a uniquement des calculs établis depuis des décennies."
La langue écrite et la langue parlée sont complémentaires, même si c'est différent, parce qu'on perd un petit peu d'informations et qu'on ne s'exprime pas de la même manière. Par exemple, dans l'affaire Grégory, "il y a beaucoup de variations orthographiques par exemple, l'orthographe du corbeau n'est pas parfaite, par contre à l'oral, je ne peux pas savoir comment la personne aurait épelé ce qu'elle a dit." D'où une perte d'informations. Par contre, que ce soit à l'écrit ou à l'oral, les tics de langage, eux, vont rester, ainsi que la longueur des phrases.
Un entretien édité par Laetitia de Germon.