Suite du reportage dans les campagnes chlordéconées de Basse-Terre en Guadeloupe où malgré le non-lieu du procès, l’agriculture antillaise est condamnée à changer, pour de nouvelles pratiques agroécologiques. Mais sont-elles aussi nouvelles que ça dans un jardin créole, ce potager des tropiques ?
On a vu dans le précédent épisode comment cet insecticide organochloré (toxique et persistant), utilisé de 1972 à 1993 pour combattre le charançon de la banane, continue d’empoisonner l’eau, la terre et le vivant, 30 ans après la fin de son utilisation. Un “scandale sanitaire” ont reconnu les juges d’instruction du Tribunal de Paris en janvier dernier. Avant de déclarer un non-lieu définitif, invoquant la difficulté de "rapporter la preuve pénale des faits dénoncés, commis 10, 15 ou 30 ans avant le dépôt de plaintes" pour empoisonnement.
Les parties civiles ont fait appel, mais qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Maintenant que 12 500 ha de terres en Guadeloupe (26 000 en Martinique) sont polluées sans doute pour des centaines d’années ; tout comme l’eau des rivières et des nappes phréatiques, jusqu’à la mer (avec 200km2 de littoral où la pêche est interdite), et que 90% de la population a été elle aussi contaminée, principalement par l’alimentation.
On en est aujourd’hui au 4e plan chlordécone (avec un budget 92M€), au point que les autorités préfèrent parler désormais de “stratégie chlordécone”, pour éviter le côté accablant de la succession des plans. Mais il s’agit bel et bien d’impulser une nouvelle hygiène de vie par temps de chlordéconémie. Comme à Gourbeyre, au Sud de Basse-Terre, dans un atelier organisé par l’ARS pour ceux dont les tests ont révélé une forte concentration de chlordécone dans le sang, pour leur apprendre à éviter de se contaminer davantage.
Si d’un côté, on teste les Guadeloupéens, de l'autre, on leur propose aussi de tester leur terre nourricière. C’est le programme JAFA, piloté lui aussi par les instances régionales de santé, et qui a pour objectif de réduire l'exposition à la chlordécone dans les potagers en apprenant à “jardiner en santé”.
Car ici toute une partie de la population a toujours recours à l’auto-consommation et l'agriculture familiale. Et c’est ce modèle que défend Frédéric Bourseau avec ses jardins créoles, car il ne s’agit pas de condamner un sol en le déclarant contaminé, mais d’apprendre à le travailler autrement. C’est-à-dire sans intrants chimiques et en adaptant les cultures à l’état des sols, pour ne pas refaire les mêmes erreurs. C’est même une orientation qui a été appuyée par les pouvoirs publics : lancer l’île dans la transition vers l’agroécologie. Ou plutôt sa version ancestrale ici dans la Caraïbe qu'est le jardin créole.
Cette forme traditionnelle de permaculture est précisément le sujet d’étude de Jean-Marc Blazy, qui avec la micro-ferme-laboratoire Karusmat de l’INRAe au Domaine de Duclos, cherche à prouver scientifiquement la validité des pratiques agroécologiques pour lutter contre le changement climatique, la diminution des surfaces agricoles, la faible autonomie alimentaire et la nécessité de réduire l’usage de pesticides. D’ailleurs, leur parcelle de canne à sucre affiche des rendements deux fois plus importants que l’agriculture traditionnelle, et une distillerie est même en train de transformer en rhum bio le produit de ses expériences !

Mais la conversion risque d’être longue et compliquée. Et on est loin d’être sortis d’affaire confirme son collègue Antoine Richard, qui avant de venir en Guadeloupe étudier la contamination du bassin versant de la rivière Pérou, travaillait dans le Nord sur les terres polluées d’Arcelor Mittal. Car du côté de la décontamination des sols, le chantier est encore vaste. Certains travaillent à la phytoremédiation, c’est-à-dire l’utilisation de plantes pour accumuler les polluants. Sarra Gaspard (du laboratoire Covachim-M2E de l’Université des Antilles) tente elle une autre méthode prometteuse : fixer la chlordécone dans les sols à l’aide de charbons actifs produits (dans un four à pyrolyse solaire micro-ondes !) à partir d’une autre nuisance qui envahit et empoisonne les côtes caribéennes, les algues sargasses. Ou comment tenter de faire de deux maux un bien.
Il n’y aura cependant sans doute pas une solution miracle, les recherches seront encore longues, et on devra apprendre à s’adapter à cette nouvelle réalité, qui est partie pour durer. Car c’est sur le temps long, très long même, plusieurs siècles, que ces paysages seront chlordéconés.
► Reportage avec Jean-Marc Blazy (INRAe Guadeloupe) à la micro-ferme laboratoire Kerusmart à Petit-Bourg Guadeloupe : comment vivre dans un environnement chlordéconé ?
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