Maxime Rovère et Charles Pépin
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De la philosophie antique à la psychologie contemporaine, l'auteur de "Face au mal" (Flammarion) nous aide à répondre à nos questions existentielles, des plus légères au plus profondes : que faire des cons ? comment parler à sa mère ? et surtout, comment aider quelqu'un qui ne va pas bien ?

Avec
  • Maxime Rovere, philosophe, spécialiste de Spinoza, membre de l’Institut Néerlandais d’Etudes Avancées à Amsterdam

L'édito de Charles Pépin

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J’aimerais ce matin vous raconter l’histoire d’une femme, ou plutôt de deux femmes. L’une est sur un lit d’hôpital, et elle dit qu’elle a mal. Ca dépend des jours évidemment, ça dépend surout des instants, mais là, elle a mal. L’autre est à ses côtés, assise sur une chaise. Elle ne trouve pas vraiment les mots, en tout cas pas les bons mots, et d’ailleurs elle ne les cherche même pas. Toutes les deux, elles supportent assez bien le silence. Ce n’est pas non plus une question de gestes, de toute façon, elle a toujours été plutôt maladroite. A plusieurs reprises, en se levant de sa chaise et en se rasseyant, elle a même buté sur un des pieds du lit. Pas la meilleure chose à faire pour prendre soin de cette femme allongée sur le lit, à qui le moindre mouvement fait mal. Même si ça lui a quand même arraché un sourire, la répétition de cette maladresse…

Donc ce ne sont pas vraiment les mots, ce ne sont pas vraiment les gestes non plus. Mais alors qu’est-ce qu’elle fait, qu’est-ce qu’elle sait faire, qui apporte tant de réconfort à son amie ? Que se passe-t-il entre elles ? Pourquoi cette femme qui souffre a-t-elle soudainement moins peur - moins peur de mourir, et même moins peur de souffrir ? Pourquoi se sent-elle mieux ? Comment cette femme assise sur sa chaise, à côté du lit, réussit-elle à prendre soin de son amie ? Est-ce une affaire d’ouverture du cœur, de sensibilité ? Est-ce une affaire d’écoute, de patience ? Est-ce de l’amour ? Le mot n’est-il pas… un peu trop grand ? Est-ce qu’il y faut de l’humilité, ou plutôt comme l’arrogance de celui ou de celle qui prétend, comme dans la chanson de Camille, « prendre la douleur » de l’autre ? Et si c’était, simplement, une affaire de présence – une affaire de pure présence ?

Pour en parler ce matin, ce que c’est qu’avoir mal et de ce que c’est que prendre soin, prendre soin de l’autre, j’ai la joie de recevoir un philosophe différent. Les titres de ses livres parlent pour lui : Que faire des cons ? Pour ne pas en rester un soi-même ; Se vouloir du bien et se faire du mal, philosophie de la dispute ; Le Livre de l’amour infini ;  Vie d’Apollonios, homme et dieu, et plus récemment, le joli succès de librairie sorti chez Flammarion,  Parler avec sa mère. Egalement, excusez du peu, traducteur d’un des plus grands livres de tous les temps, L’Ethique de Spinoza, Maxime Rovere est avec nous ce matin sous le soleil de Platon, qui sera donc aujourd’hui plutôt celui d’Apollonios ou de Spinoza, et en sa compagnie, en partant de son dernier essai paru chez Champs Flammarion, Le mal en face, nous allons nous demander, tout simplement, ce que c’est que prendre soin.

L'éthique de la présence

Le philosophe nous invite à une exploration profonde de ce que signifie "prendre soin". Pour lui, l'essence de l'accompagnement réside dans notre capacité à être traversé par la souffrance de l'autre. Mais cette démarche est loin d'être simple, et le philosophe pointe du doigt les pièges de l'empathie, un concept qu'il juge fragile. Il explique pourquoi : "Si vous vous mettez à la place de l'autre, vous allez projeter vos propres émotions dans une situation fictive. C'est pour ça que le concept d'empathie me paraît fragile".

Il préfère la compassion, qu'il définit comme une écoute attentive de l'expérience d'autrui. Quand une personne est en crise, sa capacité à s'affirmer comme sujet de sa propre expérience est fragilisé, donc la solution n'est pas de tout savoir de son mal, ni de prétendre le résoudre : "Il n'y a rien d'autre à faire que d'être présent, de montrer à cette personne que vous arrivez à accompagner son expérience sans être vous-même en crise et sans avoir la prétention de ressentir ce qu'elle ressent ou encore de vouloir y apporter une solution". Car la souffrance est souvent une expérience partagée d'impuissance. Il s'agit de ne pas altérer l'expérience de l'autre, mais d'y participer : "Il ne faut pas toucher à l'expérience de l'autre parce que c'est la sienne, mais on peut y participer en tant qu'on fait aussi partie de l'expérience".

Le véritable réconfort ne nécessite pas de solutions toutes faites ; une simple présence suffit. L'objectif n'est pas de se libérer de la douleur, mais de l'accueillir pleinement, explique Maxime Rovère, qui articule cette approche à travers son concept d'éthique interactionnelle, rejetant l'idée que le soin viendrait d'une entité extérieure qui apporterait une solution.

Accepter la souffrance d'autrui sans prétendre la résoudre à tout prix

Notre instinct nous pousse à vouloir aider, à faire preuve d'amour au sens platonicien, à comprendre quand l'autre est fragile. Pourtant, c'est précisément là que l'humilité est de mise. Le philosophe met en garde : "C'est là où il faut être humble et apporter ce minimum de subjectivation qui ne force pas l'autre à aller mieux tout de suite. Tenter de consoler à tout prix, de faire en sorte que l'autre se sente mieux immédiatement, peut s'apparenter à une forme de prédation. Cela révèle une volonté de s'approprier l'expérience de l'autre pour la réorienter selon nos propres désirs".

Selon le philosophe, la première étape face à la souffrance est de l'accepter et de lui laisser l'espace nécessaire pour s'exprimer. Écouter une personne exprimer sa détresse est en soi une aide précieuse : "Plus une personne qui va mal vous explique à quel point elle va mal plus, sans avoir rien dit et rien fait, vous êtes en train de l'aider parce que non seulement vous accueillez son expérience, mais vous y participez en restant le plus stable possible, et c'est cette stabilité-là qui va l'aider". L'erreur serait de vouloir diriger le mieux-être de l'autre : "L'essentiel est de ne pas irriter la honte et la peur de celui qui souffre, mais de reconnaître cette situation d'impuissance partagée, tout en signalant la capacité de survivre à l'épreuve".

► Apprenez-en davantage sur la philosophie du soin et mieux accompagner la souffrance, en écoutant l'intégralité de l'émission...

Programmation musicale

  • CAMILLE - Allez allez allez - 2011
  • OTHER LIVES - Mystic - 2025

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