Le 1er février dernier le Syndicat national de l’édition rendait publique une étude économique sur le partage de la valeur entre auteurs et éditeurs. Cette étude était annoncée, attendue par tous ceux qui, depuis des mois, des années, peinent à faire accepter et adopter des mesures capables de stopper la fragilisation des auteurs et d’améliorer leurs conditions de rémunération. Son résultat principal est de poser un chiffre destiné à marquer les esprits : 25. Presque 25 % du chiffre d’affaires de l’édition irait aux auteurs !
Ce chiffre choque évidemment. Mais, dans les limites de l’étude, il n’est pas faux. Il mérite toutefois d’être considéré en gardant la tête très froide. Que nous dit-il ? Que nous cache-t-il ? Il nous dit qu’une maison d’édition – du moins les maisons d’édition qui ont fourni leurs données au cabinet KPMG mandaté par le SNE lui-même – consacre un quart de son chiffre d’affaires aux droits d’auteurs, c’est-à-dire au versement de ce qu’on appelle les "à-valoir" ou "avances" au versement des droits proportionnels générés par les ventes de livres ainsi qu’à la rétribution des directeurs de collection. Mais, premier bémol d’importance, le chiffre masque le fait qu’une bonne part de ce 25 % est versée par l’éditeur non pas à l’auteur mais aux organismes comme l’URSSAF Limousin qui collectent contributions et cotisations sociales. Par ailleurs, qu’est-ce que ce 25 % représente pour un auteur à titre individuel ? N’est-il pas, dans un groupe éditorial important, réparti, fragmenté, pulvérisé entre plusieurs dizaines de milliers d’auteurs, avec parmi eux de rares têtes d’affiches plutôt gourmandes et une masse devant se contenter de miettes ?
Au-delà de ces constats, l’étude souffre d’un biais terrible : les groupes d’édition qui ont fourni l’essentiel des données utilisées disposent d’un outil de diffusion-distribution et réalisent une bonne part de leur chiffre d’affaires grâce cette activité, plus rémunératrice que l’édition proprement dite. Or cet aspect-là est évacué d’emblée : le premier graphique fait apparaître que 49 % des revenus tirés de la vente des livres irait aux éditeurs et auteurs, tandis que 51 % reviendrait aux libraires, diffuseurs et distributeurs. C’est faire comme si, par exemple, Hachette Livre et Hachette distribution (sans parler de l’enseigne Relay, autrefois Relais H) étaient des entités complètement séparées, alors qu’elles appartiennent à une seule et même holding. L’étude laisse donc penser que tous les éditeurs, du plus gros au plus petit, seraient tous logés à la même enseigne. Ce n’est pas la réalité : le modèle économique d’un petit éditeur indépendant, qui contribue à la diversité et la vitalité éditoriale du monde du livre et qui doit passer un contrat avec un distributeur/diffuseur, n’est pas le même que celui d’un groupe éditorial bénéficiant d’un outil de diffusion/distribution.
Alors, qu’ambitionne cette étude ? Il est important de revenir quelques mois en arrière. En septembre 2022, dans le cadre des négociations interprofessionnelles entamées au printemps 2021 sur l’équilibre contractuel entre éditeurs et auteurs, et où la question du partage de la valeur devait être abordée, le SNE avait opposé une fin de non recevoir aux propositions avancées par le Conseil permanent des écrivains, dont la SGDL fait partie. Le SNE rejetait ces propositions avant même de les avoir discutées, et les présentait à la Ministre de la culture comme des instruments de destruction de l’ensemble de la filière du livre. Le coup de semonce était violent. Il ne s’appuyait sur une aucune démonstration. Le directeur général du SNE à l’époque, Pierre Dutilleul, promettait de mettre en chantier une étude économique financée par le SNE et il s’engageait à en faire valider la méthodologie par le ministère de la culture, afin que ses résultats ne puissent être contestés.
On aimerait savoir si la méthodologie de cette étude a été effectivement validée ? On aimerait aussi savoir ce que le ministère de la culture pense de cette étude « maison » promue par le SNE, et de ces résultats. D’autant plus qu’elle vient combler un manque : celui d’une étude économique sur le secteur de la littérature jeunesse, lancée en 2019, financée par les pouvoirs publics, qui devait éclairer la question de la (trop faible) rémunération des auteurs jeunesse. Les auteurs et les libraires avaient répondu aux questions. Mais les éditeurs du SNE n’avaient pas réussi à le faire. L’étude ministérielle avait tourné au fiasco.
Le chiffre aujourd’hui avancé, 25 %, frappe fort. Il est aussi aveuglant que les feux de route d’un véhicule croisé au profond de la nuit. Il surgit donc non pour éclairer ou nourrir le débat, mais l’anesthésier, voire l’éteindre. Sa fonction est stratégique. Il vient contrebalancer une revendication aussi symbolique que pragmatique, le 10 % de taux proportionnel sur le prix de vente public du livre, affiché depuis plusieurs années par les auteurs comme moyen – un parmi d’autres – de pallier leur précarisation économique croissante. Il s’inscrit dans une discussion au long cours que nous allons continuer de réclamer sur le partage de la valeur. Une discussion qui n’a jamais pu être vraiment ouverte de façon transparente, objective, juste et ambitieuse.
Christophe HARDY, Président de la SGDL