9e Année.
— N° 12 —
20 Mars 1870.
LA CHRONIQUE
TOLITIQJJE
DES ARTS ET DE LA CURIOSITÉ
Paraissant tous les Dimanches
ABONNEMENTS :
P a ris un an. . . . . 15 fr.
— six mois. 8 fr.
UN NUMÉRO : 2 0 CENT.
RED AC T10 N : Rue Vivienne} 55} Paris
Comptes rendus & annonces de ventes publiques de tableaux
dessins, estampes,, bronzes, ivoires, médailles, livres rares, autographes
'émaux, porcelaines, armes, objets de curiosité^ &c., &c.
Nouvelles des galeries publiques, des ateliers. — Correspondances étrangères
Bibliographie des livres, articles de revues & estampes
publiées en France & à l’Étranger. — Revue des arts industriels
Expositions de Province & de l’Étranger-
Paraissant tous les Dimanches
ABONNEMENTS :
Départements, un an. 18 fr.
— six mois. 10 fr.
Étranger, le port en sus.
ADMINISTRATION : Rue Vivienne; 55, Paris
LA COLLECTION LA CAZE.
Depuis mardi la collection des tableaux
anciens de diverses écoles, libéralement lé-
guée à la France parM. Louis La Caze, est
livrée au public.
Elle est installée — et disons-Ie dès l’a-
bord — avec un luxe sévère dans la grande
salle consacrée autrefois aux terres cuites
exquises et aux tombeaux ridicules de la
collection Campana.
Elle faitbonne figure, non pas seulement par
le détail des toiles, dont un grand nombre
sont de réels chefs-d’œuvre, mais encore
par l’aspect général. Et ce point est curieux
à constater, car il n’était guère probable,
avant l’événement, qu’une réunion de ta-
bleaux logée dans sa maison par un parti-
culier pût atteindre à un ensemble aussi
imposant. On pouvait et Ton devait craindre
que les grandes toiles fissent défaut pour
couvrir les hautes et vastes parois d’une
salle d’honneur dans un musée.
Il n’en a rien été. Les grandes toiles sont
en nombre suffisant. Celles de dimensions
moyennes sont de telle qualité qu’elles em-
pruntent à leur valeur intime des dimen-
sions qu’agrandissent l’imagination et le
jugement. Enfin — et cette question prati-
que est de très-haute importance — le clas-
sement général et la juxtaposition de ces
275 tableaux nous semblent avoir été faits
par M. Reiset avec un soin intelligent.
Une observation cependant. Une centaine
de toiles a été retirée peu après la récep-
tion du legs La Caze. Le tiers, je crois, est
destiné aux musées de province. Les deux
autres tiers resteront en magasin.
Certes, je ne suspecte ni la compétence,
ni la bonne foi des personnes qui ont pré-
sidé à cette épuration et qui l’ont approu-
vée. Je pense bien qu’on n’a mis de côté
que des morceaux médiocres, peu dignes
d’enrichir le musée du Louvre ; que nulle
influence personnelle n’est venue peser dans
la balance, et que M. La Caze avait pu com-
mettre dans ses acquisitions quelques-unes
de ces erreurs qui sont,l’inévitable lot de
la nature humaine.
Mais enfin, conservateur au Louvre, je
n’aurais pas osé endosser cette responsa-
bilité d’une épuration opérée dans le silence
et l’ombre des bureaux.
Je me serais dit : est-ce bien à cette abs-
traction qui s’appelle la Liste civile et
dont nous sommes les représentants sala-
riés, ou est-ce à la France dont nous sommes
les fonctionnaires que ce legs a été fait? En
recevant, en acceptant ce legs que M. La
Caze — par suite de circonstances sur î’ori-
gine desquelles il n’y a point à revenir —
ne pouvait logiquement faire à aucune
institution plus spécialement nationale,
n’avons-nous pas pris moralement l’en-
gagement de nous rapprocher du plus près
possible du public? Ne serait-il pas de bon
goût d’appeler l’opinion publique à dire
son mot, et de saisir cette occasion de rom-
pre avec un passé dont les agissements auto-
cratiques n’ont pasQoujours été heureux?
Ne devrions-nous pas, par exemple, ouvrir
la salle telle que nous croyons qu’elle doit
être composée, et mettre dans une salle
voisine, pendant quelques semaines, ce qui
nous a semblé de qualité inférieure? Là le
gros du public et la presse artiste pourront
peut-être repêcher quelque morceau intéres-
sant par un côté qui a pu nous échapper.
On a quatre jours pour maudire son juge,
pourquoi ne pas offrir à la critique huit
jours pour discuter les conservateurs du
Louvre ?
Cette idée, dans ce milieu aristocratique
et ombrageux, n’est venue à personne. Je le
regrette. Car, même au Louvre, je crois que
quelqu’un a plus d’esprit que Voltaire : c’est
« Tout le monde. »
En somme, nous ignorons et nous ignore-
rons toujours ce que M. Louis La Caze avait
jugé digne d’offrir à la France, et ce qu’un
des services de la Liste civile a jugé bon
d’éliminer sans contrôle.
La conséquence politique est facile à tirer.
Ces petits coups d’État ne pourraient être
tentés si les musées appartenaient à l’État.
Beaucoup de nos lecteurs doivent con-
naître les tableaux du legs La Caze. La mai-
son de cet homme aimable et sincère était
libéralement ouverte aux curieux qui vou-
laient voir, aux critiques qui voulaient s’in-
struire, aux artistes qui voulaient copier.
En 1860, il prêta à l’exposition du boule-
vard des Italiens les morceaux- capitaux de
sa collection, surtout de l’École française.
Nous en avons dressé le catalogue1, en y
joignant tous les renseignements qu’avaient
pu nous fournir le dépouillement des livrets
d’exposition, des critiques et des catalogues
de vente du temps, et nos patientes recher-
ches dans l’œuvre des graveurs du xvme
siècle. La Gazette des Beaux-Arts consacra
plusieurs articles à cette exhibition.
M. Reiset vient de publier également une
Notice de l’ensemble de ces tableaux. C’est
un bon précédent que cet empressement à
se mettre aussitôt en rapports imprimés avec
ce bon public, qu’il est si facile de contenter.
-Cela marque une activité effective dans les
bureaux des conservateurs, et nous en au-
gurons bien pour l’avenir de nos collec-
tions.
Je remarque, dans cette Notice, un grand
respect des attributions de M. La Caze, qui,
1. Catalogue de tableaux et dessins de l’École fran-
çaise, principalement du xviiV siècle. Tirés de col-
lections d’amateurs et exposés au boulevard des Ita-
liens. Paris, 1800, 1 vol. in-S°. Aux bureaux de la
Gazette et chez Liepmannshonn.
du reste, était un fin connaisseur et dont le
sentiment surpassait T érudition. Si le Roland
delà Porte (n° 238, la Cruche) est rendu à ce
maître et retiré à Chardin, c’est en toute
raison, et j’avais proposé cette mutation à
M. La Caze, qui me répondit par ce mot sin-
gulier : « Mon cher ami, un tableau [est
comme la femme de César : il ne doit pas
même être soupçonné. »
Mais où j’aurais hésité, c’est à enlever à
Chardin ce délicieux portrait de femme as-
sise, tenant une brochure (n° 271). Le placer
aux « inconnus », c’est certainement le faire
descendre. Que ce ne soit pas le portrait de
Mme Lenoir, cela est possible. Mais que cette
peinture, dont les fonds sont si aériens, l’ex-
pression si franche et si affable, l’exécution
si large et si souple, ne soit pas de Chardin,
qu’elle appartienne à un inconnu qui n’au-
rait guère fait que ce chef-d’œuvre, car rien
dans l’École française ne se rattache à cette
conception et à ce faire, c’est ce qui me
semble singulièrement discutable. « Plu-
sieurs années avant sa mort, dit le livret,
M. La Caze avait rayé le nom de Chardin. »
Eh bien, je m’inscris contre M. La Caze, et
je crois que M. Reiset eût pu le faire sans
soulever la moindre réclamation. Jamais le
sens intime de la bourgeoisie n’a été aussi
profondément ressenti et exprimé que dans
les intérieurs de Chardin et dans ce doux et
intelligent portrait de femme.
Le legs La Caze se compose avant tout de
maîtres français. Il n’y a que 26 tableaux
italiens, dont le plus important est un por-
trait de Tintoret. Douze espagnols, dont
huit Vélasquez et un étonnant Pied bot, par
Ribeira. Cent vingt allemands, flamands et
hollandais, Brauwer, Ostade, Téniers, Ru-
bens, Philippe de Champaigne, Fyt, Nicolas
Maës, Rembrandt (entre autres une Bethsabée
repoussante, mais d’un étonnant caractère),
Terburg, etc. Enfin, cent quinze tableaux fran-
çais, tous choisis parmi les meilleurs maîtres
et dans le meilleur de l’œuvre de ceux-ci.
Je ne veux point entrer dans le détail ; je
puis dire seulement que Watteau, Boucher,
Greuze , Chardin, Lemoine , Fragonard ,
Largillière, Nattier, Lenain , etc., y sont
représentés par des morceaux d’élite, qui
les vengent des pièces de second ordre ou
radicalement fausses que les ventes met-
tent journellement en circulation.
L’École française, si peu connue et si in-
juriée depuis la réaction davidienne,va donc
enfin être représentée selon ses mérites
dans nos musées du Louvre. Je n’entends
pas dire qu’on n’y vît pasMéjà des toiles de
haut mérite, mais grâce à la libéralité d’un
citoyen qui eût pu facilement vendre deux
millions sa collection, nos musées nationaux
se renforcent singulièrement et opposent à
une critique plus transalpine que nationale
des arguments qui ne laisseront pas que de
la troubler un peu dans ses tranchantes af-
fimations de supériorité universelle. La
grande peinture des belles époques ne reçoit
aucune atteinte) de ce voisinage, mais les
aptitudes propres à telle ou [telle race s’y
affirment avec une éloquence indiscu-
table.
Ph. Burty.
CORRESPONDANCE.
Limoges, le 15 mars 1870.
Très-cher directeur,
Depuis longtemps, je devais vous écrire,
mais, quand on écrit, c’est pour dire quelque
chose, et les aubaines sont rares en pro-
vince. Malgré vos coups d’éperon, quoique
nous partions souvent en guerre, l’art est
bien endormi chez nous ; le musée, cepen-
dant, a reçu deux tableaux, dons de l’Em
pereur: l’un, la Marée montante, de Gus-
tave Noël, grande toile monotone et un
peu blafarde, le temps aura fort à faire pour
la réchauffer; l’autre, une Sainte Famille,
de Balze, mosaïque sur lave, pour laquelle
mon admiration est muette. — Vraiment,
nos efforts méritent des encouragements
plus sérieux, et j’ai l’espoir que le nouveau
ministre nous traitera, dans l’avenir, non
plus comme une sous-préfecture qui a bien
voté, mais comme une ville de 70,000
âmes, d’un commerce considérable, et d’une
industrie artistique digne de modèles d’un
art plus élevé.
Notre événement, vous le savez, est une
exposition de tableaux que nous faisons au
mois de mai : nous avons la certitude de la
voir brillante. Les artistes nous ont habitués
à leur sympathie, et leurs promesses nous
montrent que leur bienveillance n’a pas
cessé. Aux tableaux, nous joindrons des pro-
duits d’art: porcelaines, émaux, faïences,
bijoux, reliures, etc..., objets d’un rensei-
gnement précieux pour former le goût des
jeunes élèves de nos écoles.
Le musée céramique marche; il est notre
triomphe. Jules Michelin, notre correspon-
dant, en dirige les achats à Paris avec un
dévouement parfait ; Albert et Jules Jacque-
mart, Riocreux, Gasnault, Burty et Davilliers
sont nos bienfaiteurs et nos patrons, j’aime
mieux dire nos amis.
Solon vient de nous donner quatre de ses
chefs-d'œuvre, des sujets charmants, peints
à la barbotine, sous couverte au grand feu
de four. M. Gille nous avait offert, l’an der-
nier, son Bernard Palissy, statue en porce-
laine, grande comme nature; elle occupe
une place d’honneur. Ses successeurs,
MM. Poyart et Ce, suivent ce bon exemple :
leur don est une Nymphe d’une ravissante
beauté . Thabard notre compatriote s’est sou-
venu de sa ville natale; son Berger à l’ème-
— N° 12 —
20 Mars 1870.
LA CHRONIQUE
TOLITIQJJE
DES ARTS ET DE LA CURIOSITÉ
Paraissant tous les Dimanches
ABONNEMENTS :
P a ris un an. . . . . 15 fr.
— six mois. 8 fr.
UN NUMÉRO : 2 0 CENT.
RED AC T10 N : Rue Vivienne} 55} Paris
Comptes rendus & annonces de ventes publiques de tableaux
dessins, estampes,, bronzes, ivoires, médailles, livres rares, autographes
'émaux, porcelaines, armes, objets de curiosité^ &c., &c.
Nouvelles des galeries publiques, des ateliers. — Correspondances étrangères
Bibliographie des livres, articles de revues & estampes
publiées en France & à l’Étranger. — Revue des arts industriels
Expositions de Province & de l’Étranger-
Paraissant tous les Dimanches
ABONNEMENTS :
Départements, un an. 18 fr.
— six mois. 10 fr.
Étranger, le port en sus.
ADMINISTRATION : Rue Vivienne; 55, Paris
LA COLLECTION LA CAZE.
Depuis mardi la collection des tableaux
anciens de diverses écoles, libéralement lé-
guée à la France parM. Louis La Caze, est
livrée au public.
Elle est installée — et disons-Ie dès l’a-
bord — avec un luxe sévère dans la grande
salle consacrée autrefois aux terres cuites
exquises et aux tombeaux ridicules de la
collection Campana.
Elle faitbonne figure, non pas seulement par
le détail des toiles, dont un grand nombre
sont de réels chefs-d’œuvre, mais encore
par l’aspect général. Et ce point est curieux
à constater, car il n’était guère probable,
avant l’événement, qu’une réunion de ta-
bleaux logée dans sa maison par un parti-
culier pût atteindre à un ensemble aussi
imposant. On pouvait et Ton devait craindre
que les grandes toiles fissent défaut pour
couvrir les hautes et vastes parois d’une
salle d’honneur dans un musée.
Il n’en a rien été. Les grandes toiles sont
en nombre suffisant. Celles de dimensions
moyennes sont de telle qualité qu’elles em-
pruntent à leur valeur intime des dimen-
sions qu’agrandissent l’imagination et le
jugement. Enfin — et cette question prati-
que est de très-haute importance — le clas-
sement général et la juxtaposition de ces
275 tableaux nous semblent avoir été faits
par M. Reiset avec un soin intelligent.
Une observation cependant. Une centaine
de toiles a été retirée peu après la récep-
tion du legs La Caze. Le tiers, je crois, est
destiné aux musées de province. Les deux
autres tiers resteront en magasin.
Certes, je ne suspecte ni la compétence,
ni la bonne foi des personnes qui ont pré-
sidé à cette épuration et qui l’ont approu-
vée. Je pense bien qu’on n’a mis de côté
que des morceaux médiocres, peu dignes
d’enrichir le musée du Louvre ; que nulle
influence personnelle n’est venue peser dans
la balance, et que M. La Caze avait pu com-
mettre dans ses acquisitions quelques-unes
de ces erreurs qui sont,l’inévitable lot de
la nature humaine.
Mais enfin, conservateur au Louvre, je
n’aurais pas osé endosser cette responsa-
bilité d’une épuration opérée dans le silence
et l’ombre des bureaux.
Je me serais dit : est-ce bien à cette abs-
traction qui s’appelle la Liste civile et
dont nous sommes les représentants sala-
riés, ou est-ce à la France dont nous sommes
les fonctionnaires que ce legs a été fait? En
recevant, en acceptant ce legs que M. La
Caze — par suite de circonstances sur î’ori-
gine desquelles il n’y a point à revenir —
ne pouvait logiquement faire à aucune
institution plus spécialement nationale,
n’avons-nous pas pris moralement l’en-
gagement de nous rapprocher du plus près
possible du public? Ne serait-il pas de bon
goût d’appeler l’opinion publique à dire
son mot, et de saisir cette occasion de rom-
pre avec un passé dont les agissements auto-
cratiques n’ont pasQoujours été heureux?
Ne devrions-nous pas, par exemple, ouvrir
la salle telle que nous croyons qu’elle doit
être composée, et mettre dans une salle
voisine, pendant quelques semaines, ce qui
nous a semblé de qualité inférieure? Là le
gros du public et la presse artiste pourront
peut-être repêcher quelque morceau intéres-
sant par un côté qui a pu nous échapper.
On a quatre jours pour maudire son juge,
pourquoi ne pas offrir à la critique huit
jours pour discuter les conservateurs du
Louvre ?
Cette idée, dans ce milieu aristocratique
et ombrageux, n’est venue à personne. Je le
regrette. Car, même au Louvre, je crois que
quelqu’un a plus d’esprit que Voltaire : c’est
« Tout le monde. »
En somme, nous ignorons et nous ignore-
rons toujours ce que M. Louis La Caze avait
jugé digne d’offrir à la France, et ce qu’un
des services de la Liste civile a jugé bon
d’éliminer sans contrôle.
La conséquence politique est facile à tirer.
Ces petits coups d’État ne pourraient être
tentés si les musées appartenaient à l’État.
Beaucoup de nos lecteurs doivent con-
naître les tableaux du legs La Caze. La mai-
son de cet homme aimable et sincère était
libéralement ouverte aux curieux qui vou-
laient voir, aux critiques qui voulaient s’in-
struire, aux artistes qui voulaient copier.
En 1860, il prêta à l’exposition du boule-
vard des Italiens les morceaux- capitaux de
sa collection, surtout de l’École française.
Nous en avons dressé le catalogue1, en y
joignant tous les renseignements qu’avaient
pu nous fournir le dépouillement des livrets
d’exposition, des critiques et des catalogues
de vente du temps, et nos patientes recher-
ches dans l’œuvre des graveurs du xvme
siècle. La Gazette des Beaux-Arts consacra
plusieurs articles à cette exhibition.
M. Reiset vient de publier également une
Notice de l’ensemble de ces tableaux. C’est
un bon précédent que cet empressement à
se mettre aussitôt en rapports imprimés avec
ce bon public, qu’il est si facile de contenter.
-Cela marque une activité effective dans les
bureaux des conservateurs, et nous en au-
gurons bien pour l’avenir de nos collec-
tions.
Je remarque, dans cette Notice, un grand
respect des attributions de M. La Caze, qui,
1. Catalogue de tableaux et dessins de l’École fran-
çaise, principalement du xviiV siècle. Tirés de col-
lections d’amateurs et exposés au boulevard des Ita-
liens. Paris, 1800, 1 vol. in-S°. Aux bureaux de la
Gazette et chez Liepmannshonn.
du reste, était un fin connaisseur et dont le
sentiment surpassait T érudition. Si le Roland
delà Porte (n° 238, la Cruche) est rendu à ce
maître et retiré à Chardin, c’est en toute
raison, et j’avais proposé cette mutation à
M. La Caze, qui me répondit par ce mot sin-
gulier : « Mon cher ami, un tableau [est
comme la femme de César : il ne doit pas
même être soupçonné. »
Mais où j’aurais hésité, c’est à enlever à
Chardin ce délicieux portrait de femme as-
sise, tenant une brochure (n° 271). Le placer
aux « inconnus », c’est certainement le faire
descendre. Que ce ne soit pas le portrait de
Mme Lenoir, cela est possible. Mais que cette
peinture, dont les fonds sont si aériens, l’ex-
pression si franche et si affable, l’exécution
si large et si souple, ne soit pas de Chardin,
qu’elle appartienne à un inconnu qui n’au-
rait guère fait que ce chef-d’œuvre, car rien
dans l’École française ne se rattache à cette
conception et à ce faire, c’est ce qui me
semble singulièrement discutable. « Plu-
sieurs années avant sa mort, dit le livret,
M. La Caze avait rayé le nom de Chardin. »
Eh bien, je m’inscris contre M. La Caze, et
je crois que M. Reiset eût pu le faire sans
soulever la moindre réclamation. Jamais le
sens intime de la bourgeoisie n’a été aussi
profondément ressenti et exprimé que dans
les intérieurs de Chardin et dans ce doux et
intelligent portrait de femme.
Le legs La Caze se compose avant tout de
maîtres français. Il n’y a que 26 tableaux
italiens, dont le plus important est un por-
trait de Tintoret. Douze espagnols, dont
huit Vélasquez et un étonnant Pied bot, par
Ribeira. Cent vingt allemands, flamands et
hollandais, Brauwer, Ostade, Téniers, Ru-
bens, Philippe de Champaigne, Fyt, Nicolas
Maës, Rembrandt (entre autres une Bethsabée
repoussante, mais d’un étonnant caractère),
Terburg, etc. Enfin, cent quinze tableaux fran-
çais, tous choisis parmi les meilleurs maîtres
et dans le meilleur de l’œuvre de ceux-ci.
Je ne veux point entrer dans le détail ; je
puis dire seulement que Watteau, Boucher,
Greuze , Chardin, Lemoine , Fragonard ,
Largillière, Nattier, Lenain , etc., y sont
représentés par des morceaux d’élite, qui
les vengent des pièces de second ordre ou
radicalement fausses que les ventes met-
tent journellement en circulation.
L’École française, si peu connue et si in-
juriée depuis la réaction davidienne,va donc
enfin être représentée selon ses mérites
dans nos musées du Louvre. Je n’entends
pas dire qu’on n’y vît pasMéjà des toiles de
haut mérite, mais grâce à la libéralité d’un
citoyen qui eût pu facilement vendre deux
millions sa collection, nos musées nationaux
se renforcent singulièrement et opposent à
une critique plus transalpine que nationale
des arguments qui ne laisseront pas que de
la troubler un peu dans ses tranchantes af-
fimations de supériorité universelle. La
grande peinture des belles époques ne reçoit
aucune atteinte) de ce voisinage, mais les
aptitudes propres à telle ou [telle race s’y
affirment avec une éloquence indiscu-
table.
Ph. Burty.
CORRESPONDANCE.
Limoges, le 15 mars 1870.
Très-cher directeur,
Depuis longtemps, je devais vous écrire,
mais, quand on écrit, c’est pour dire quelque
chose, et les aubaines sont rares en pro-
vince. Malgré vos coups d’éperon, quoique
nous partions souvent en guerre, l’art est
bien endormi chez nous ; le musée, cepen-
dant, a reçu deux tableaux, dons de l’Em
pereur: l’un, la Marée montante, de Gus-
tave Noël, grande toile monotone et un
peu blafarde, le temps aura fort à faire pour
la réchauffer; l’autre, une Sainte Famille,
de Balze, mosaïque sur lave, pour laquelle
mon admiration est muette. — Vraiment,
nos efforts méritent des encouragements
plus sérieux, et j’ai l’espoir que le nouveau
ministre nous traitera, dans l’avenir, non
plus comme une sous-préfecture qui a bien
voté, mais comme une ville de 70,000
âmes, d’un commerce considérable, et d’une
industrie artistique digne de modèles d’un
art plus élevé.
Notre événement, vous le savez, est une
exposition de tableaux que nous faisons au
mois de mai : nous avons la certitude de la
voir brillante. Les artistes nous ont habitués
à leur sympathie, et leurs promesses nous
montrent que leur bienveillance n’a pas
cessé. Aux tableaux, nous joindrons des pro-
duits d’art: porcelaines, émaux, faïences,
bijoux, reliures, etc..., objets d’un rensei-
gnement précieux pour former le goût des
jeunes élèves de nos écoles.
Le musée céramique marche; il est notre
triomphe. Jules Michelin, notre correspon-
dant, en dirige les achats à Paris avec un
dévouement parfait ; Albert et Jules Jacque-
mart, Riocreux, Gasnault, Burty et Davilliers
sont nos bienfaiteurs et nos patrons, j’aime
mieux dire nos amis.
Solon vient de nous donner quatre de ses
chefs-d'œuvre, des sujets charmants, peints
à la barbotine, sous couverte au grand feu
de four. M. Gille nous avait offert, l’an der-
nier, son Bernard Palissy, statue en porce-
laine, grande comme nature; elle occupe
une place d’honneur. Ses successeurs,
MM. Poyart et Ce, suivent ce bon exemple :
leur don est une Nymphe d’une ravissante
beauté . Thabard notre compatriote s’est sou-
venu de sa ville natale; son Berger à l’ème-



