9e Année.
— N° 23 —
5 Juin 1870.
LA CHRONIQUE
TOLITIQJUE
DES ARTS ET DE LA CURIOSITÉ
Paraissant tous les Dimanches
ABONNEMENTS :
Paris, un an. . 15 fr.
-— six mois. 8 fr.
UN NUMÉRO : 2 0 CENT.
RED AC T LO N : Rue Vivienne } 55 } Paris
Comptes rendus & annonces de ventes publiques de tableaux
dessins, estampes, bronzes, ivoires, médailles, livres rares, autographes
émaux, porcelaines, armes, objets de curiosité, &c., &c.
Nouvelles des galeries publiques, des ateliers. —- Correspondances étrangères
Bibliographie des livres, articles de revues & estampes
publiées en France & à l’Etranger. — Revue des arts industriels
Expositions de Province & de l’Etranger-.
Paraissant tous les Dimanches
ABONNEMENTS :
Departements, un an. 18 fr.
— six mois. 10 fr.
Etranger, le port en sus.
ADMINISTRATION : Rue Vivienne: 55, Paris
UN INVENTAIRE UNIVERSEL
DES BEAUX-ARTS.
Londres, le 18 mai.
Cher Monsieur,
Permettez-moi d’appeler votre attention
et celle de vos lecteurs sur une entreprise
qui comblera, j’en suis convaincu, un de
vos vœux les plus chers, et qui promet de
rendre des services non-seulement aux ar-
tistes et aux amateurs, mais encore au grand
public des différentes contrées de l’Europe.
Je veux parler du projet formé par le
musée de South-Kensington de dresser un
inventaire général et complet de toutes les
œuvres d’art de l’Angleterre et du continent,
un Universal Art Invenlory.
A peine le travail colossal du Catalogue
universel des livres d’Arts avec ses soixante-
dix mille notices bibliographiques, est-il
terminé, que l’infatigable directeur du mu-
sée, M. H. Cole, nous annonce cette nou-
velle publication bien autrement vaste et
intéressante Jugez-en! Tous les objets d’art
existants doivent y être mentionnés, décrits,
analysés, quelle que soit leur nature, quelle
que soit leur nationalité ou leur situation
actuelle : les peintures monumentales et les
sculptures, aussi bien que les mosaïques,
les émaux et les travaux en fer ; les monu-
ments de l’Algérie et de la Turquie, aussi bien
que ceux de l’Espagne ou de la Suède ; les
trésors de nos églises de village aussi bien
que les trésors des grandes cathédrales ou
des palais royaux. En même temps les sa-
vants de tous pays doivent prendre part à
la composition de ce livre d’or de l’art:
pour en mettre la rédaction au niveau du
sujet, la direction a adressé des appels mul-
tiples et pressants aux représentants les plus
distingués de l’érudition indigène et étran-
gère; elle n’a rien négligé pour assurer
un succès de bon aloi à cette grande œuvre
qui doit voir le jour sous les auspices
de l’Angleterre : ni l’argent, ni l’autorité
gouvernementale, ni la publicité. Enfin,
avec un sentiment profond des exigences de
la science, elle s’est décidée à livrer d’abord
au public son travail sous forme d’épreu-
ves, sollicitant ainsi de tous les amis de la
vérité les additions et rectifications néces-
saires pour amener l’œuvre aussi près que
possible de la perfection.
A l’heure qu’il est, les’ deux premières
parties de l’inventaire ont paru à titre d’es-
sai, et « under révision», comme le déclare
expressément le titre L Elles sont consacrées
1. Le voici textuellement : Universal Art inven-
tory, consisting of brief notes of works of fine and
ornamental Art executed before A. D. 1800, chiefly to
be found in Europe, especially in connexion vvitli ar-
chitecture and for the most part existing in ecclesias-
tical buildings... edited by Henry Cole... London...
1870, xxiv-151 p.
aux mosaïques et à la peinture sur verre, et
elles nous donnent la liste alphabétique des
villes qui contiennent des échantillons de ces
deux arts, la description sommaire des prin-
cipaux d’entre eux, et la bibliographie com-
plète des livres dans lesquels ils sont analy-
sés ou reproduits. Je traduis deux de ces
descriptions que je prends au hasard. « Au-
« tun. France. Mosaïque romaine avec oi-
« seaux. — Mosaïque romaine représentant
« Bellérophon et la Chimère. Dessinées dans
« la collection Wollaston. Catalogue 1867. »
— u Augne , dép. de la Haute-Vienne,
« France. Église : deux rosaces avec vitraux
« peints représentant l’Annonciation et l’A-
« doration des Mages. Date xve s. V. l’abbé
(t Texier. Peinture sur verre en Limousin,
« 1847. » Ces notices ne sont que provisoi-
res et ne reposent en général que sur l’étude
des ouvrages d’ensemble ou des monogra-
phies, plus rarement sur l’autopsie ou les
communications manuscrites ( parmi ces
dernières nous signalerons celles dues au sa-
vant bibliothécaire de l’École des Beaux-
Arts, M. Vinet). Mais semblables aux com-
munications utilisées par Y Annuaire de la
Gazette des Beaux-Arts (que la direction de
l’Inventaire aurait souvent pu consulter avec
fruit), elles s’augmenteront et se complé-
teront successivement, jusqu’à ce que les
erreurs et les lacunes, assez nombreuses,
aient disparu et que la direction puisse en
toute confiance procéder à l’édition défini-
tive.
Est-il nécessaire d’insister sur les avanta-
ges si variés que présente cette publication ?
Pour l’Angleterre d’abord, puisque c’est à
elle qu’elle s’adresse spécialement, ces avan-
tages sont considérables; ses musées, ses
écoles sauront désormais où chercher les
originaux ou les copies des modèles les plus
parfaits; ses artistes, ses industriels sauront
où aller admirer les productions les plus in-
téressantes des arts décoratifs. La France,
de son côté, trouvera dans Y Universal Art
Inventory une précieuse nomenclature de
ses principales richesses, et aussi une sauve-
garde contre l’aliénation furtive des objets
jusqu’ici non inventoriés. A cette dernière
occasion, je ferai remarquer que la direction
de YInventaire se préoccupe tout particu-
lièrement de l’étude des églises, des monas-
tères et des édifices civils peu connus ren-
fermant des œuvres d’un certain intérêt
artistique. Il est permis d’espérer aussi que
le musée de South-Kensington , qui a déjà
tant fait pour la vulgarisation des trésors
d’art du continent (France, Espagne, Portu-
gal, Italie, Roumanie, etc.), profitera de la
découverte de cette foule de chefs-d’œuvre
enfouis dans nos collections locales, au fond
de nos bourgades ignorées, pour étendre à
nos provinces le système de reproduction
qu’il a déjà appliqué à Paris sur une si vaste
échelle (rien que pour les émaux de Limo-
ges du Louvre, il a publié une cinquantaine
de photographies), et qu’il contribuera à les
sauver de l’oubli et à en répandre la con-
naissance.
Enfin, à la science de tous les pays il ren-
dra le service de condenser en un livre
si facilement abordable à tous une vraie
encyclopédie des arts industriels et des
beaux-arts proprement dits, et de lui don-
ner d’un coup pour toute l’Europe ce qu’elle
n’avait pas même obtenu jusqu’ici pour une
contrée isolée.
Comment donc ne pas admirer l’esprit si
large dans lequel est conçu cet ouvrage?
Comment, en face d’un plan aussi grandiose,
ne pas mettre de côté toute susceptibilité,
tout amour-propre national? Accordons
notre concours sans réserves aucunes. Trop
longtemps les limites étroites des écoles
locales ont tenu captive l’étude de l’art
et l’ont empêchée de prendre l’essor de
l’archéologie classique, par exemple, de
la philologie, de tant d’autres sciences qui
sont aujourd’hui internationales dans toute
la force du terme. Partout on commence
à se lasser de cette contrainte. Déjà la France
a pris une part active à YUniversal Catalo-
gue of books on Art (sur 14,794 notices adres-
sées au comité central par ses 400 corres-
pondants, 7,935 lui ont été envoyées en
français, 2,575 seulement en anglais, 1,348
seulement en allemand); déjà elle a fourni
nombre d’excellents collaborateurs à une
entreprise non moins intéressante, à la nou-
velle édition du Dictionnaire général des Ar-
tistes, de Nagler... Encore quelques efforts,
et ces barrières ridicules tomberont pour ne
plus se relever. Nos sociétés de province,
notamment, pourront contribuer à cimenter
cette alliance avec nos voisins d’outre-Man-
che; elles pourront fournir à YInventaire
général les renseignements les plus précieux
sur tous les monuments placés dans leur
ressort. Peut-être même pourront-elles y
rattacher dans une certaine mesure cet In-
ventaire artistique local dont la Chronique a
si longtemps prêché la nécessité, et dont
plusieurs d’entre elles ont commencé la ré-
daction ; il ne faut jamais repousser le pro-
grès et le bien, quelle que soit la main qui
nous le donne, fût-ce celle des Anglais.
Eug. M.
——
DOCUMENTS
POUR
L’HISTOIRE DES ARTS EN TOURAINE.
PAR M. CH.-L. GRANDMAISON L
M. Ch.-L. Grandmaison vient de publier
en un volume une série des plus importan-
1. Paris, Dumoulin, 1870. 1 vol. in-8 de 368 pages.
tes de Documents inédits pour servir à l’his-
toire des Arts en Touraine.
M. Grandmaison, président de la Société
archéologique de Touraine, archiviste d’In-
dre-et-Loire , correspondant du ministère
de l’Instruction publique, est un chercheur
patient, un érudit consommé, un écrivain
modeste et consciencieux. Le livre qu’il
met au jour fournit la preuve d’un esprit
que rien ne détourne de son but.
Nous nous hâtons de le signaler à ceux
de nos lecteurs que préoccupent les études
spéciales sur les arts français depuis le
Moyen-Age jusqu’à la chute de la monarchie,
parce qu’il n’est tiré qu’à 100 exemplaires,
dont 75 seulement sont livrés au commerce.
Ces recueils de documents deviennent —
on l’a vu parles publications de Léon de La
Borde —- rapidement introuvables.
Je n’ai point à insister sur les mérites de
cette récente école d’archivistes, — sortis
presque sans exception de l’École des
chartes, — qui depuis quelques années ont
mis au jour tant de documents nouveaux.
L’histoire de nos arts nationaux leur doit
déjà beaucoup, et le prestige national, dont
on a fait si longtemps litière au profit des
étrangers, en est singulièrement accru. La
tâche qu’ils poursuivent est pleine de sur-
prises. « Les éléments de ce travail, écrit
M. Grandmaison, sont épars de tous côtés:
on les trouve dans les diplômes des rois et
dans les bulles des papes, comme dans les
minutes des notaires. Il faut tout lire , tout
déchiffrer, et s’estimer heureux quand, à la
fin d’une journée de travail, on peut enri-
chir son catalogue d’une note jusqu’ici in-
connue et d’un renseignement nouveau. »
M. Grandmaison a enrichi de plusieurs
centaines de noms les catalogues déjà pu-
bliés dans les Arts à la cour de France, de
Léon de La Borde, les Archives de l'art fran-
çais, de M. Anatole de Montaiglon, les pa-
piers de André Salmon et Lambron de Li-
gnim, enfin dans les monographies publiées
depuis quelques années par des sociétés
ou des particuliers. C’est le fruit de dix an-
nées de recherches poursuivies avec persé-
vérance dans les archives départementales
et municipales de la Touraine. Les comptes
de la ville de Tours, qui remontent au '
xiv9 siècle, ont fourni la plus grande partie
de ces documents.
Le plus souvent, hélas! le résultat de ces
patientes recherches se borne à des noms et
à des indications de travaux. Le temps a
noyé la biographie de ces artistes et de ces
ouvriers, comme il a balayé leurs œuvres.
Cependant, à l’aide de ces mentions sèches
et décousues, on arrivera quelque jour à
reconstruire des individualités, ainsi que
Cuvier faisait des os de mastodontes et de
plésiosaures.Ainsi la grande figure de Jehan
Fouquet se profile déjà d’une façon moins
indistincte.
— N° 23 —
5 Juin 1870.
LA CHRONIQUE
TOLITIQJUE
DES ARTS ET DE LA CURIOSITÉ
Paraissant tous les Dimanches
ABONNEMENTS :
Paris, un an. . 15 fr.
-— six mois. 8 fr.
UN NUMÉRO : 2 0 CENT.
RED AC T LO N : Rue Vivienne } 55 } Paris
Comptes rendus & annonces de ventes publiques de tableaux
dessins, estampes, bronzes, ivoires, médailles, livres rares, autographes
émaux, porcelaines, armes, objets de curiosité, &c., &c.
Nouvelles des galeries publiques, des ateliers. —- Correspondances étrangères
Bibliographie des livres, articles de revues & estampes
publiées en France & à l’Etranger. — Revue des arts industriels
Expositions de Province & de l’Etranger-.
Paraissant tous les Dimanches
ABONNEMENTS :
Departements, un an. 18 fr.
— six mois. 10 fr.
Etranger, le port en sus.
ADMINISTRATION : Rue Vivienne: 55, Paris
UN INVENTAIRE UNIVERSEL
DES BEAUX-ARTS.
Londres, le 18 mai.
Cher Monsieur,
Permettez-moi d’appeler votre attention
et celle de vos lecteurs sur une entreprise
qui comblera, j’en suis convaincu, un de
vos vœux les plus chers, et qui promet de
rendre des services non-seulement aux ar-
tistes et aux amateurs, mais encore au grand
public des différentes contrées de l’Europe.
Je veux parler du projet formé par le
musée de South-Kensington de dresser un
inventaire général et complet de toutes les
œuvres d’art de l’Angleterre et du continent,
un Universal Art Invenlory.
A peine le travail colossal du Catalogue
universel des livres d’Arts avec ses soixante-
dix mille notices bibliographiques, est-il
terminé, que l’infatigable directeur du mu-
sée, M. H. Cole, nous annonce cette nou-
velle publication bien autrement vaste et
intéressante Jugez-en! Tous les objets d’art
existants doivent y être mentionnés, décrits,
analysés, quelle que soit leur nature, quelle
que soit leur nationalité ou leur situation
actuelle : les peintures monumentales et les
sculptures, aussi bien que les mosaïques,
les émaux et les travaux en fer ; les monu-
ments de l’Algérie et de la Turquie, aussi bien
que ceux de l’Espagne ou de la Suède ; les
trésors de nos églises de village aussi bien
que les trésors des grandes cathédrales ou
des palais royaux. En même temps les sa-
vants de tous pays doivent prendre part à
la composition de ce livre d’or de l’art:
pour en mettre la rédaction au niveau du
sujet, la direction a adressé des appels mul-
tiples et pressants aux représentants les plus
distingués de l’érudition indigène et étran-
gère; elle n’a rien négligé pour assurer
un succès de bon aloi à cette grande œuvre
qui doit voir le jour sous les auspices
de l’Angleterre : ni l’argent, ni l’autorité
gouvernementale, ni la publicité. Enfin,
avec un sentiment profond des exigences de
la science, elle s’est décidée à livrer d’abord
au public son travail sous forme d’épreu-
ves, sollicitant ainsi de tous les amis de la
vérité les additions et rectifications néces-
saires pour amener l’œuvre aussi près que
possible de la perfection.
A l’heure qu’il est, les’ deux premières
parties de l’inventaire ont paru à titre d’es-
sai, et « under révision», comme le déclare
expressément le titre L Elles sont consacrées
1. Le voici textuellement : Universal Art inven-
tory, consisting of brief notes of works of fine and
ornamental Art executed before A. D. 1800, chiefly to
be found in Europe, especially in connexion vvitli ar-
chitecture and for the most part existing in ecclesias-
tical buildings... edited by Henry Cole... London...
1870, xxiv-151 p.
aux mosaïques et à la peinture sur verre, et
elles nous donnent la liste alphabétique des
villes qui contiennent des échantillons de ces
deux arts, la description sommaire des prin-
cipaux d’entre eux, et la bibliographie com-
plète des livres dans lesquels ils sont analy-
sés ou reproduits. Je traduis deux de ces
descriptions que je prends au hasard. « Au-
« tun. France. Mosaïque romaine avec oi-
« seaux. — Mosaïque romaine représentant
« Bellérophon et la Chimère. Dessinées dans
« la collection Wollaston. Catalogue 1867. »
— u Augne , dép. de la Haute-Vienne,
« France. Église : deux rosaces avec vitraux
« peints représentant l’Annonciation et l’A-
« doration des Mages. Date xve s. V. l’abbé
(t Texier. Peinture sur verre en Limousin,
« 1847. » Ces notices ne sont que provisoi-
res et ne reposent en général que sur l’étude
des ouvrages d’ensemble ou des monogra-
phies, plus rarement sur l’autopsie ou les
communications manuscrites ( parmi ces
dernières nous signalerons celles dues au sa-
vant bibliothécaire de l’École des Beaux-
Arts, M. Vinet). Mais semblables aux com-
munications utilisées par Y Annuaire de la
Gazette des Beaux-Arts (que la direction de
l’Inventaire aurait souvent pu consulter avec
fruit), elles s’augmenteront et se complé-
teront successivement, jusqu’à ce que les
erreurs et les lacunes, assez nombreuses,
aient disparu et que la direction puisse en
toute confiance procéder à l’édition défini-
tive.
Est-il nécessaire d’insister sur les avanta-
ges si variés que présente cette publication ?
Pour l’Angleterre d’abord, puisque c’est à
elle qu’elle s’adresse spécialement, ces avan-
tages sont considérables; ses musées, ses
écoles sauront désormais où chercher les
originaux ou les copies des modèles les plus
parfaits; ses artistes, ses industriels sauront
où aller admirer les productions les plus in-
téressantes des arts décoratifs. La France,
de son côté, trouvera dans Y Universal Art
Inventory une précieuse nomenclature de
ses principales richesses, et aussi une sauve-
garde contre l’aliénation furtive des objets
jusqu’ici non inventoriés. A cette dernière
occasion, je ferai remarquer que la direction
de YInventaire se préoccupe tout particu-
lièrement de l’étude des églises, des monas-
tères et des édifices civils peu connus ren-
fermant des œuvres d’un certain intérêt
artistique. Il est permis d’espérer aussi que
le musée de South-Kensington , qui a déjà
tant fait pour la vulgarisation des trésors
d’art du continent (France, Espagne, Portu-
gal, Italie, Roumanie, etc.), profitera de la
découverte de cette foule de chefs-d’œuvre
enfouis dans nos collections locales, au fond
de nos bourgades ignorées, pour étendre à
nos provinces le système de reproduction
qu’il a déjà appliqué à Paris sur une si vaste
échelle (rien que pour les émaux de Limo-
ges du Louvre, il a publié une cinquantaine
de photographies), et qu’il contribuera à les
sauver de l’oubli et à en répandre la con-
naissance.
Enfin, à la science de tous les pays il ren-
dra le service de condenser en un livre
si facilement abordable à tous une vraie
encyclopédie des arts industriels et des
beaux-arts proprement dits, et de lui don-
ner d’un coup pour toute l’Europe ce qu’elle
n’avait pas même obtenu jusqu’ici pour une
contrée isolée.
Comment donc ne pas admirer l’esprit si
large dans lequel est conçu cet ouvrage?
Comment, en face d’un plan aussi grandiose,
ne pas mettre de côté toute susceptibilité,
tout amour-propre national? Accordons
notre concours sans réserves aucunes. Trop
longtemps les limites étroites des écoles
locales ont tenu captive l’étude de l’art
et l’ont empêchée de prendre l’essor de
l’archéologie classique, par exemple, de
la philologie, de tant d’autres sciences qui
sont aujourd’hui internationales dans toute
la force du terme. Partout on commence
à se lasser de cette contrainte. Déjà la France
a pris une part active à YUniversal Catalo-
gue of books on Art (sur 14,794 notices adres-
sées au comité central par ses 400 corres-
pondants, 7,935 lui ont été envoyées en
français, 2,575 seulement en anglais, 1,348
seulement en allemand); déjà elle a fourni
nombre d’excellents collaborateurs à une
entreprise non moins intéressante, à la nou-
velle édition du Dictionnaire général des Ar-
tistes, de Nagler... Encore quelques efforts,
et ces barrières ridicules tomberont pour ne
plus se relever. Nos sociétés de province,
notamment, pourront contribuer à cimenter
cette alliance avec nos voisins d’outre-Man-
che; elles pourront fournir à YInventaire
général les renseignements les plus précieux
sur tous les monuments placés dans leur
ressort. Peut-être même pourront-elles y
rattacher dans une certaine mesure cet In-
ventaire artistique local dont la Chronique a
si longtemps prêché la nécessité, et dont
plusieurs d’entre elles ont commencé la ré-
daction ; il ne faut jamais repousser le pro-
grès et le bien, quelle que soit la main qui
nous le donne, fût-ce celle des Anglais.
Eug. M.
——
DOCUMENTS
POUR
L’HISTOIRE DES ARTS EN TOURAINE.
PAR M. CH.-L. GRANDMAISON L
M. Ch.-L. Grandmaison vient de publier
en un volume une série des plus importan-
1. Paris, Dumoulin, 1870. 1 vol. in-8 de 368 pages.
tes de Documents inédits pour servir à l’his-
toire des Arts en Touraine.
M. Grandmaison, président de la Société
archéologique de Touraine, archiviste d’In-
dre-et-Loire , correspondant du ministère
de l’Instruction publique, est un chercheur
patient, un érudit consommé, un écrivain
modeste et consciencieux. Le livre qu’il
met au jour fournit la preuve d’un esprit
que rien ne détourne de son but.
Nous nous hâtons de le signaler à ceux
de nos lecteurs que préoccupent les études
spéciales sur les arts français depuis le
Moyen-Age jusqu’à la chute de la monarchie,
parce qu’il n’est tiré qu’à 100 exemplaires,
dont 75 seulement sont livrés au commerce.
Ces recueils de documents deviennent —
on l’a vu parles publications de Léon de La
Borde —- rapidement introuvables.
Je n’ai point à insister sur les mérites de
cette récente école d’archivistes, — sortis
presque sans exception de l’École des
chartes, — qui depuis quelques années ont
mis au jour tant de documents nouveaux.
L’histoire de nos arts nationaux leur doit
déjà beaucoup, et le prestige national, dont
on a fait si longtemps litière au profit des
étrangers, en est singulièrement accru. La
tâche qu’ils poursuivent est pleine de sur-
prises. « Les éléments de ce travail, écrit
M. Grandmaison, sont épars de tous côtés:
on les trouve dans les diplômes des rois et
dans les bulles des papes, comme dans les
minutes des notaires. Il faut tout lire , tout
déchiffrer, et s’estimer heureux quand, à la
fin d’une journée de travail, on peut enri-
chir son catalogue d’une note jusqu’ici in-
connue et d’un renseignement nouveau. »
M. Grandmaison a enrichi de plusieurs
centaines de noms les catalogues déjà pu-
bliés dans les Arts à la cour de France, de
Léon de La Borde, les Archives de l'art fran-
çais, de M. Anatole de Montaiglon, les pa-
piers de André Salmon et Lambron de Li-
gnim, enfin dans les monographies publiées
depuis quelques années par des sociétés
ou des particuliers. C’est le fruit de dix an-
nées de recherches poursuivies avec persé-
vérance dans les archives départementales
et municipales de la Touraine. Les comptes
de la ville de Tours, qui remontent au '
xiv9 siècle, ont fourni la plus grande partie
de ces documents.
Le plus souvent, hélas! le résultat de ces
patientes recherches se borne à des noms et
à des indications de travaux. Le temps a
noyé la biographie de ces artistes et de ces
ouvriers, comme il a balayé leurs œuvres.
Cependant, à l’aide de ces mentions sèches
et décousues, on arrivera quelque jour à
reconstruire des individualités, ainsi que
Cuvier faisait des os de mastodontes et de
plésiosaures.Ainsi la grande figure de Jehan
Fouquet se profile déjà d’une façon moins
indistincte.



