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La chronique des arts et de la curiosité — 1870

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Nr. 26 (26 Juin)
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9e Année.

— N° 26

26 Juin 1870.

LA CH RO NI QU

TOLITIQJJE

DES ARTS ET DE LA CURIOSITÉ

Paraissant tous les Dimanches
ABONNEMENTS :

Paris , un an. 15 fr.

— six mois. 8 fr.

UN NUMÉRO : 2 0 CENT.

RÉDACTION : Rue Vïvienne} 55j Paris

Comptes rendus & annonces de ventes publiques de tableaux
dessins, estampes^ bronzes, ivoires, médailles, livres rares, autographes
émaux, porcelaines, armes, objets de curiosité^ &c., &c.

Nouvelles des galeries publiques, des -ateliers. — Correspondances étrangères
Bibliographie des livres, articles de revues & estampes
publiées en France & à l’Etranger. — Revue des arts industriels
Expositions de Province & de l’Etranger-

Paraissant tous les Dimanches

ABONNEMENTS :

Départements, un an.. 18 fr.

— six mois. 10 fr.

Etranger, le port en sus.

ADMINISTRATION : Rue Vivienne} 55 j Paris

JULES DE CONCOURT.

Il y a quelques jours, je recevais la
dernière livraison de Y Art du xvni® siè-
cle} les Vignettistes Eisen et Moreau. Pour
la première fois, depuis dix ans, l’envoi
de cette plaquette de mes chers amis les
frères de Concourt n’était signé que de T un
d’eux, Edmond. Je savais que depuis un an
unemaladienerveusequinepardonnepoint
avait touché de son doigt fatal le cerveau
de Jules. Je le voyais aussi souvent que la
discrétion le tolérait. Cette moitié d’envoi,
si je puis dire, me troubla profondément;
cependant Je lendemain un ami commun
me dit qu’on le croyait, au contraire,
mieux portant.

Lundi soir, un billet d’Edmond m’ap-
prenait qu’une lésion à la base du cerveau
avait déterminé une phthisie galopante, et
que, sans secousse, du reste, et sans qu’il
ait visiblement repris sa connaissance,
Jules de Goncourt s’était endormi, comme
un enfant, dans l’insondable nuit.

Je l’ai vu, à Àuteuil, sur son lit de
mort, ce pauvre être qui a tant travaillé,
qui a tant aimé son frère, qui a tant eu
foi dans son art. Son front s’était plissé,
ses yeux s’étaient rouverts, et son regard
vitreux semblait plein d’un regret ef-
frayant, d’un étonnement indicible, d’une
indignation navrée contre ce sort qui bri-
sait ses chères espérances de succès, et
les enlacements d’une amitié fraternelle
sans exemple.

Il n’avait pas quarante ans, étant né le
17 décembre 1830. Il était Parisien, tout
à fait Parisien. Quand je le vois passer
dans mes souvenirs d’il y a dix ans, svelte
et gai, blond comme un chérubin, l’œil
bleu sombre tout plein de vifs éclairs et de
méditation absorbée, la bouche ironique
sans fiel, la main tendue aux amis, l’es-
prit bourré à mitraille de saillies et de
mots gouailleurs, incisifs, originaux, je
ne sais quoi 4e « casseur » mitigé par une
exquise politesse, il me semble voir un
Parisien de la seconde moitié du dernier
siècle, ressuscité tout exprès pour faire
visite à Gavarni, et si bien accueilli de
tous, qu’il se serait pour un temps fixé à
Paris.

Il perdit son père jeune, sa mère en
18Û8. Depuis ce jour-là, me disait
Edmond, les deux frères ne se sont sépa-
rés qu’une seule fois pendant vingt-quatre
heures ! Edmond veilla sur lui comme
une mère, comme un ami, comme une

femme. Une fusion s’opéra entre ces deux
esprits et ces deux cœurs comme la fusion
de deux lingots dans un creuset. Toutes
leurs études, leurs livres, leurs pièces,
furent conçus, discutés, écrits, corrigés
en commun. Je leur écrivais : « A mon
ami Edmond et Jules de Goncourt. »

Leur première publication sur les Arts
fut un Salon de 1852. Jules avait tra-
vaillé dans un atelier de peintre, — je
ne sais plus chez qui, mais cela importe
peu, car son vrai, son seul maître fut
Gavarni. Il dessinait très-juste, de senti-
ment. Les eaux-fortes dont il illustrait
les livraisons de Y Art du xvme siècle
sont exquises J. La verve, la couleur, l’a-
mabilité dans le croquis, la pénétration
de l’intention du maître, y sont marquées
à un point unique. Jules était comme le
petit-fils de ce Gabriel de Saint-Aubin
qu’il sentait si finement.

Ses travaux littéraires ne m’appar-
tiennent point ; d’ailleurs, qui saurait les
dissocier de ceux de son frère? J’ai dit
un jour l’intérêt qu’y prenait Sainte-
Beuve. C’est ce juge qu’il faut relire. Je
ne veux qu’affirmer que Jules de Gon-
court est un des derniers et des plus sin-
cères hommes de lettres de notre temps,
et c’est une race qui se fait aussi rare
que celle des faucons.

Il y a six mois, il pouvait travailler en-
core. Vers cette époque, en février,
Edmond m’a lu quelques chapitres d’un
volume sur Gavarni qu’ils venaient de
terminer. Jules assistait à cette lecture
et, bien que sa voix fût déjà traînante,
il rappelait par instants des traits carac-
téristiques à propos d’une” nuit qu’ils
passèrent auprès de Gavarni quand celui-
ci perdit son fils.

Le dernier travail auquel il ait colla-
boré est, je crois, un catalogue raisonné
de leur superbe collection de dessins
français, surtout du xvnie siècle. C’est
Edmond qui a plus particulièrement l’a-
mour de la collection. Mais Jules était
un conseiller d’une mémoire sûre et d’un
tact sans égal.

O11 ne pense pas sans effroi à la vie
qui attend son cher frère. « Animæ di-
midium meæ, » gémissait le poète ! Je
me rappelle avoir remarqué dans le parc
du Petit-Trianon deux peupliers qui ont
poussé si près l’un de l’autre qu’ils se
sont soudés l’un à l’autre et que les
cimes seules sont isolées. Imaginez-vous

E MM. de Goncourl ont publié dans la Gazelle
trois Éludes sur Prud’hon, sur Greuze et sur
Chardin.

la foudre frappant, anéantissant un seul
de ces deux arbres!

Ph. Bcjrty.

DISTRIBUTION DES RÉCOMPENSES

AUX ARTISTES EXPOSANTS DU SALON DE 1870.

Mardi 21 juin, à dix heures du matin, a
eu lieu au palais des Champs-Elysées la dis-
tribution des récompenses accordées aux
artistes, à la suite de l’exposition annuelle
de 1870.

M. Maurice Richard, ministre des lettres,
sciences et beaux-arts, présidait la cérémo-
nie; il était accompagné de MM. J.-J. Weiss,
conseiller d’État, secrétaire général du mi-
nistère, et Gerspach, chef de son cabinet.

A son arrivée au palais des Champs-Ely-
sées, le ministre a été reçu par Alfred Arago,
chef de la division des beaux-arts, assisté
des inspecteurs généraux des beaux-arts, et
de M. Buon , inspecteur des beaux-arts,
chargé du service de l’exposition.

MM. les membres du jury, ainsi que les
chefs de service et les fonctionnaires supé-
rieurs du ministère, étaient placés à droite
et à gauche, sur l’estrade d’honneur élevée
dans le grand salon d’entrée qui avait été
disposé pour cette solennité.

M. le secrétaire général ayant déclaré la
séance ouverte, le ministre a prononcé le
discours suivant :

Messieurs, en me présentant pour la première fois
devant vous, au nom de l’Empereur et de son Gou-
vernement, je suis heureux d’avoir des félicitations à
vous adresser. L’exposition des beaux-arts de cette
année soutient la comparaison avec les plus brillantes
que notre pays ait vues depuis 1855. L’honneur
d’être admis au Salon a été brigué par les jeunes ar-
tistes avec un redoublement d’ardeur et d’ambition,
et s’il a été largement accordé, ce n’est point parce
que la règle moyenne des jugements de nos jurys
s’est relâchée, c’est parce que le niveau moyen du
talent n’a cessé de s’élever. Rien n’indique mieux,
messieurs, l’importance et l’éclat maintenus à nos
expositions françaises que le zèle constant avec le-
quel les étrangers viennent vous disputer les récom-
penses dont nous disposons pour vous. Cette année
encore, les noms des Académies de Dusseldorf et de
Cracovie ont mérité d’être inscrits dans les fastes de
nos concours. Vous n’avez point à prendre ombrage
de ces triomphes de vos hôtes, devenus vos émules.

N ous devez plutôt en tirer un juste sujet d’orgueil,
car il semble qu’il n’y ait pour eux de victoire com-
plètement enviable que celle qu’ils viennent rempor-
ter chez vous, à côté de vous et sur vous.

Mais avant de songer aux vainqueurs et aux fêtes
de la victoire, nous devons, messieurs, suivant un
usage pieux, que vous ne me pardonneriez pas d’ou-
blier, donner un dernier regret et un dernier adieu
à ceux des nôtres que la mort nous a enlevés cette
année.

Nos pertes ont été cruelles : Schnetz, Dantan
jeune, Jules André, sont morts.

Né en 1787, Schnetz était l’un des derniers pein-
tres, survivants parmi nous, qui eussent reçu l’en-
seignement direct de David. Tour à tour élève de
David, de Régnault, de Gros et de Gérard, ce n’est
qu’à trente-deux ans qu’il débuta, au Salon fameux
de 1819. Ses longs séjours en Italie, d’abord comme

élève, ensuite comme directeur de l’Académie de
France à Rome, déterminèrent le genre, très-spécial
à cette époque, dans lequel il conquit sa grande
réputation. 11 se fit le peintre des mœurs pittoresques
de l’Italie populaire. C’est lui qui, l’un des premiers,
nous a familiarisés avec les types, depuis si souvent
reproduits, de bandits, de moines, de paysans et de
femmes de la Campagne romaine. Peu d’artistes ont
eu de nos jours le pinceau à la fois plus spirituel et
plus sévère, plus élevé et plus souple. C’est ainsi
qu’il a pu écrire, d’un style toujours également juste,
des pages aussi diverses que la Bohémienne prédisant
l’avenir à Sixte-Quint, et Sainte Geneviève distri-
buant des vivres aux assiégés de Paris, Mazarin à son
lit de mort, du Conseil d’Etat, et le Jeune Soldat
français plumant une oie au Capitole, pour venger
les Gaulois ses ancêtres. Cette variété, unie à la ri-
gueur de ces principes, le désignait entre tous pour
l’enseignement. Aussi eut-il l’honneur d’être deux
fois directeur de l’Académie de France à Rome, de
1840 à 1847, et de 1852 à 1866. Sa double direction
n’a été ni moins heureuse, ni moins féconde que sa
carrière d’artiste. Il pouvait apprendre par son exem-
ple à une jeunesse impatiente que c’est seulement
par une longue et docile pratique sous les maîtres
que i on devient maître soi-même.

Dantan jeune, lui aussi, s’était donné un premier
fonds solide de connaissances sérieuses. Lui aussi
était allé demander à l’Italie des préceptes et des
inspirations. Le beau buste de Rose Chéri et la sta-
tue de Boïeldieu sont les dignes témoignages de ses
premières études. Le public cependant connaît Dan-
tan jeune surtout par ces figurines ingénieuses de
contemporains où la satire restant bienveillante et
la parodie sympathique, — ce qui n’est guère l’habi-
tude de la parodie et de la satire, — provoquent chez
nous un sourire sans offense : œuvres légères sans
doute, mais, en leur légèreté, si originales qu’il a bien
fallu que notre langue créât pour elles un mot nou-
veau, et qu’au lieu de dire comme autrefois la satire
et la parodie, elle se résignât à dire la charge. Le
temps ne respectera peut-être pas ces fragiles ima-
ges, dont le mérite particulier consiste dans une dis-
proportion habile et calculée de la copie avec le
modèle; mais le nom de Dantan, qui a créé le genre,
survivra longtemps encore à ses œuvres.

C’est un hommage d’un tout autre ordre qu’il faut
rendre à la mémoire du paysagiste Jules André. Sa
vie modeste est une leçon que je voudrais voir mé-
diter par tous les jeunes artistes. Heureux et dignes
d’éloges sont ceux qui, comme lui, contents des pu-
res jouissances que donne le culte de l’art, capables
d’en goûter les plus hautes fiertés, ne dédaignent
pourtant pas de tourner leur talent vers les applica-
tions utiles! Après avo'ir été l’un des vaillants athlè-
tes du paysage romantique, Jules André alla travail-
ler à la manufacture de Sèvres. Il mena de front,
pendant dix ans, l’art pur et l’art appliqué. On le
trouve à la fois à tous les Salons et à toutes les
expositions de l’industrie, remportant ici et là les
mêmes récompenses et ne jugeant pas qu’elles fus-
sent moins glorieuses pour lui d’un côté que de
l’autre. Bel exemple, et qu’on regrette de ne pas voir
plus souvent imité! Le mariage étroit de l’art et de
l’industrie est une loi impérieuse de notre état so-
cial. Gardons-nous de croire, messieurs, que ce soit
une loi humiliante, surtout dans notre pays. Il n’y a
pas de métier que le goût français ne puisse élever
jusqu’à l’art; et l’art qui descend vers le métier pour
lui tendre la main et l’aider à monter n’en reste pas
moins l’art. Est-ce qu’on déroge à suivre la même
route qu’un Cellini et un Palissy?

Je reviens, messieurs, à notre temps, à l’exposi-
tion de cette année, et j’y reviens avec un grand sen-
timent de confiance dans l’avenir de l’école française.
Vous me taxeriez à bon droit de complaisance et de
flatterie si je disais que le Salon de 1870, bien ob-
servé, ne doit nous donner aucun sujet de souci. La
critique ne remarque pas sans inquiétudes que les
efforts de la génération actuelle dans le sens du grand
art semblent s’alanguir et que le genre devient plus
que jamais envahissant. D’une part, on accuse l’école
académique d’être savante sans flamme et conscien-
cieuse sans vie; de l’autre, on reproche à l’école na-
turaliste de ne saisir que les superficies de l’homme,
au lieu de pénétrer l’homme lui-même.
 
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