Prijace 
Ce livre a son lieu d6 naissance daM un Wû d6 Borges. Da,.. 
le rire qui .ecoue Il .0. lecture toutu lu familiarités de la penlH 
- de la nôtn : d. celle qui a notre 4ge et notre géographie-. 
ibranlant toules le3 8urrlWBll oràonnéM et tous les plans qui oe,a­gissent 
pour noUl le foisonnement de, êtres, faisane vaciller et 
inquiétant pour IongtBmp, no'rs pratiqua millénaire du M21718 
~ d6 l'AutnJ. Ce te3;lfJ cite • une certaine encyclopédie chinoi,u 
où il ese écrit que c les animaw: ,e dipissnt sn : a) appartenant 
fi l'Empereur, b) smbaumU, c) apprivoisés, d) cochons ds lait, 
e) sirènes, f) fabulew:, g) ChieM en libertB, h) inclus daM la 
présente classification, i) qui ,'agitent comme de8 fO/l8, j) innom­brables, 
k) dessink allec un pinoeau très fin en poils de chameau, 
1) et coetera, m) qui viennent ds CQ8ser la cruchs, D) qui d8 loin 
,emblent des mouches •• Dans l'émerveillement de cette tD.1;inomie, 
ce qu'on rejoint d'un bond, ce qui, fi la fapeur de Z'apologU/l, 
1IOUS est indiqué comme le charme 1JX0tique d'une autre peTUléB, C'"' la limite de la n6tre : "impossibilité nue de penssr cela. 
Qu'est-il donc impoB8i~ de peMer, et ds qlUJZls Impossibilité 
,'agit-ilP A chacuTIB d6 ce, ,inguLières rubriqua, on peut donner 
8ens précis et contenu oesignable;quelques-une, enveloppent. bien 
des êtres fantastiquu - ammaus fabulew: ou .irèna; mais juso 
tsment en lsur faisant place li pare, l'encyclopAdie chinois, en 
localise les poul/oir, de contagion; elle distingU/l avec 80in 188 
animaw: bien réel. (qui .'agitent comme du foUB ou qui 
piennent de cauer la cruche) et cew: qui n'ont leur .its qua 
dans l'imaginaire. Le, dangmus mélanga BOnt conjurés, lu 
blaso", et le. fabla ont njoint leur haut lku; pas d'amphibie 
inconcel/able, pas d'aile griffus, pas d'immonde peau. .quamelJ8e, 
nulle de cu faces polymorphes et tUmoniaquu, pas d'haleine de 
flammu. La mDTUltruo.ité ici n'altère aucun corpa réel, ne modifie 
en rkn le bestiaire de l'imagination; sUe ne IS cache dans la 
profondeur d'aucun poupoir étrange. Elle ne .erait même nuU.
8 
pMI prHtnte en ce'" ciallifiCGtion ,i eUe ne .e glill.ait dan. tout 
""pace yid8, do,.. lout le blanc inrer.tiliel qui lépare te. ètl'fl' 
les uns de. autre •• Ce ne ,ont poilu animaw: • (abulew:» qu, 
,ont imposdbllJs, pUl.qu"la ,ont dé~,grW' comme tell, mai, 
l'étroite dÜltance 'Illon laqueUe ila .ont juztaposé, au.z chiens Bn 
libené ou à ceuz yui de loin aemblent de, mouc1,e,. Ce qui traM­gr,." 
toute imagmation, toute pensée pOBBibk, c'est ,impkment 
la série alphabétique (a, b, c, d) qui lie li loulu ks awu chUCURB 
de ce, catégorie •• 
Encore ne ,'agit-il pas de la bi:a"erie de, rencontre. insolite •• 
On ,ait ce qu'il 11 a de dkoncertant dam la prozimité du e:&tr8mca 
ou tout bon1lllment daM le yoiainage .oudain dei dw,u ,am 
rapport; l'énumération qui lu entrechoque pollBède à elle .eulB 
un pOUf/oir d'enchantement: ,J. lIB .uÏl plUII à jelÂn, dit EUII­chènu. 
Pour tout ce jourd'hui, 'eront en ,/lreU de ma .aliflB : 
,A 'pic" Amphisbè,,", Anerudwe., AbedeB8imom, AiarümD, 
Amnwbates, Apinaos, Alatmbam, Aracte8, Alterions, Aleha­rata, 
Ar811s, Araines, A,calabu, Attelabe" A.calabotu, Aemo,.. 
rorde' ••• » Mais toUII ce, fier. et "rpe"", WUII cel 8tru de pourri­' 
ure et de fll.oositi groui&nt, comme k, syllabu qui 18, nomment, 
dan. la ,alifle d'EustMne, : c'ut là que toUII ont leur lieu commun, 
tomme sur la table d'opération 18 pMapluie et la machine ci 
coudl'fl; .i l'étrangeté de leur rencontre éclate~ c'est .ur (ond da 
cel et, de ce en, de ce sur dont la .olidiu et l'évidence garantis,ent 
la poa.ibilité d'une ju.ztapo~ition. Il était cene. improbable que 
lu }~morroidu, lsa araignée, et lu CJl1II1Wbatu Yu:n1lllnt Un jour 
.fI miler 80UII les tkntl ,r EUBtl&ènes, mais, aprù tout, jln ceue 
bouclre accueiUanU et fIOrace, lla allaient bien. de quoi .e loger el 
'roulier 18 palaiB de lsur couistenoe. 
La mOnBlruosÎlé que Borgu fait circuler doM .on énumératio" 
conaiste au contraire en ceci que "upace commun dtls rencontre, 
8'y trouve lui-même ruinA. Ce qui. ut imp08.ible, ce n'ut pal le 
vol.inage des cho8u. c'ut le .ite lui-m8me où eUs. pourrai"nt 
90isiMr. Lu animaw:« i) qui ,'agitent comme des (OUI, j) innom­brables, 
k) d68.iruiB al'ec un très fin pinceau de poit. de cham6au J, 
- où pourraient-ila jamai. .. rencontrlJl', .auf dans la yoi:& 
immatérielle qui. prononoe lsur tnumAratwn, ,auf .ur la pag" 
qui. la transcrit? Où p'UfI6nt-ila .e jw:tapour ,inon daM 18 non­lieu 
du langage? MaÏl celui· ci. en lu déployant, n'oUf/re jamaÎl 
qu'un espace impemable. La catégorie centrals des animaw: 
«inclUII daM la prujlnte cla"ificoeion J indique (INez, par l'ezpli­ci~ 
référence ci tk. paradoee. conn"" qu'on ne parlliendra 
jamais à dtfin,r entre chacun de cu .",emblu '" celui qui. lu 
riur,it tous un rapport ,,,,ble de contenu à conUnant : Bi tous les 
animauz répal1i • • e logent .arll ezception dana une des cases de
Préfat'A 9 
la di.tr&bution, ut-ce qU4J tOiMe' lu Gutra ne IOn! pCJI en celU-cii' 
Eteelle-ci ci .on tour, en qU4Jl apat:e ruÏtlB-t-ellû L'ab,urde ru.lM 
la et de Z'énumiral.;'on en frappant d';,mp088ibiliU le en olheréparli­raient 
lu clunu énuméré". Borgu n'ajouü aucune figure ci 
l'atlas de l'impossible; il ne (aù jai.Ui.r nulle p'-'t& l'éclair de Id 
rencontre p08tique; il eaqu;,pe .eulement la pZ"" discrète mau la 
pius iMistante de, nku,Îlés; il ,0Uleralt l'emplacemenl, 16 .01 
muet où le, &rer peullenl 8e ju:&taposer. Duparition masquée ou 
plutôt dérisoirement indiquée par la ,érie abécédaire de noIrs 
alphabet, qui el' cenau ,er"ir de fil d;,recteur (le seulpuihle) au.s 
énumératLQna d'une encyclopédie c1Linoise ... Ce qui ut retiré,en un 
mot, c'est la célêbre 1 table d'opération 1; et rendant à Roussel 
une faible part de ce qui lui ed 'oujourll dû, j'empwie ce mot 
• table 1 en d.6u:z; "ns 8uperposé, : table nicheik, caoutchouteuse, 
enpeloppée d.6 blancheur, éei,7IC8lanü 80US le soleiZ de verrtJ qui 
dévore le8 ombre8, - là où pour un iMtant, pour toujours peut­être, 
le parapluie rencontre la machine à coudre; et, tableau qui 
permet à la pensée d'op4rer ,ur lsII 8eru U718 mue en ordre, un 
partage en classe., un groupement nominal par quoi .ont dési­gnée, 
leu" ,imüitudel et leur. diRéreneu, - là où, depuu le 
fond des 'emp', le langage .'entrecroile avec l'"pace. 
Ce te%te tU Borg" m'a fait rire longtemps, non ,a718 un malaise 
certain Bt difPcila ci painere. Peut-2tre paru qU4J dans .on .illage 
nai88ait le loupçon qu'il y CI pire désordre qU4J celui de l'incongrl1 
fi du rapproch6ment de cs qu, M co1wient paB; ce serait le tUsordrB 
qui (ait 8cintiUer leB (raf'MntI d'un grand nombre ,tordra 
polSible, dana la dimemion, .. ans loi. ni. géomitrÎB, de "hl:téro­clitej 
et il fam enündre ce mot au pl"" prè, de Bon étymoZogie : 
lea choses y BOnt • couchée, 1, «po'Bea l, «disposéu 1 da718 deB 
,iter ci ce point diRérentl qu'il eBt impo88ibls de trouper pour 
eu:z; un upace d'aceueü, de définir au-dea8oUl des U718 et du 
autru un lieu commUD. Le. utopies C07l8olent : c'ut qU4J,i elle. 
n'ont paB de lieu réel, elleB ,'épanouÎ"ent pourtant dans un "PfJC8 
merpeiUcu:z; et IÎSle; ellu ouprent Ja citél aWl paste8 111'671"", 
des jardina bi.en planli., des 1!ay. facile., même ,i leur acoM el& 
chimiriqU4J. Le8 hétérotopies Inquiètent, 8/IIV doute parcs qu'eUM 
mineR! .ecrètement la langage, parce qu'eUe. Ilmpichent de no,,,,­mer 
ceci et cela, paru qu'elle. bmBnt le, nomB communa ou lai 
Bncluwêtrent, parce qu'ellu ruinent d'oponce la •• ynlaU " " 
pal .eulament cella qui construit lu plltfJ868, - celle moi1l3 mani­fute 
qui (ai.t • tenir ,nsemble 1 (à côté IIIt e", fat:e lu U718 des 
autru) le, motl et lea choeB8. C'B8t pourquoi lu utopi68 per­mettent 
le. fabler et lu discout. : eUe. IOn! dana la droit fil du 
langage, daM la dimBnBion fOn4anrentale de la fabula; lsII hlCl­rotopies 
(comme on en trou". ,i frlfrumment cM, BO'8611)
10 Les mot3 et lM ChOSM 
de .. kMnt k propos, arrêtent l88 mots Bur SUZ-nWl1UlS, cont6.~l6"j. 
dès S/I raci1l8, toute possibilité de grammaire; elles dérwuent lu 
mythes et frappent de st8rilité le lyrisme des phrasM. 
Il partât que ctlrtaÎ.n8 aphasiqurlS n'arrivent pas à classer de 
façon cohér6nta les écheveaw: de laines multicolores qu'on leur 
présente ,ur la ,urface d'U1l8 table; comms si cs rectangLe uni ne 
poupait pa3 servir d'tJ8pacs homogèT/8 et neutre où les CIwS63 
viendraient à la foi! mani(e8fer l'ordre continu de leurs identitéll 
ou de lsura différeT1U8 et le champ 8éma1/Jiqw~ de leur dérwmi­nation. 
Ils forment, en cet espace uni où les choses normalement 
u distribuent et 86 nomment, une multiplicitti de petit3 domaina 
grumeleux et (ragmentaireB où des ressemblances Bans nom agglu­tinent 
lu choses en îloI3 dillcontinu$; dans un coin, illl placent 
les tiche~aw; les plUIJ clairs, dans un autre le., rouges, aiUeurs 
c~mz qui ont une consistance plu..s laineuse, ailleurs encore les 
plwlongs, ou cew; quftirent sur le piolet ou ceuz qui ont été noués 
en boule. Mais à peine esquissés, taus ~s gro!&pement3 Be défont, 
car la plage d'identité qui les soutient, aussi étroite qu'eUe soit, 
est encore trop ~tendU8 pour n'êtra pM illstable; et à L'infini, 18 
malade rassemble et sépare, entasse lu similitudes divers63, ruine 
les plu..s é"idenles, disperse lu identités, &uperp08e 18s critère, 
différentB, .'agite, recommence, ,'inquiète et arrive fUllÙ8ment au 
bord de l'angoisse. 
La gêne qui fait rire quand on lit Borgu est apparentée saFU 
doute au profond malaise de ceuz dont le langage est ruinA : 
avoir perdu le * commun _ du lieu ~ du nom. Atopie, apha.,ie. 
PoUl"tant le t6:l;le de Borges pa dans WI6 autr~ direction; cet.t6 
distor,ion du classement qui nous empkhe de le penser, ce tabl6au 
,ans upllCe cohérent, Borges lsur donne pour p/Jlrie mythique 
une région précise dont le nom seul constitue pour "Occident une 
grande rheTPe d'utopiu. La Chine, dans notra rêve, n'est-eUe 
1!GS justement le lieu privilégié de l'espace? Pour notre sy81atne 
amaginaire, la culture chinoise est la plUl méticuleUlte, la plia 
hiérarchisée, la plus lourde aw: ,wtinetne11t8 du temps, la plru 
atWchi8 au pur déroulement de l'étuuluej nous BongsoM ci eUe 
comFM ci une cipilillation de digue8 et de barrages sou..s la face 
éterneUa du cielj nou, la l'oyons répandue et figée Bur foute la 
8uperficie d'un continent cernl de muraiUes. Son écriture mime rI8 
reproduit palt en ZignM hori:umtales le pol fuyant de la POÎ3;; eUe 
dresBe en colonnes l'image immobile et encore reconnaÎ88able du 
choS88 ellu-mêmu. Si bien que l'encyclopédie chinoise citée par 
BorgM 8t la toeinomie qu'elle propose conduisent ci une pensée 
801'13 espace, ci du mot. et ci du caUgones "am feu ni lieu, mais 
qui reposent au (OM sur un upace BOleMBl, tout surchargé de 
figuree complexeB, de chemins enclievltru. de ,ieu étrangee. da
Préface il 
s~cret. pa.3,ages et ds commumca&WnI imprivuu; il 11 ourtlic 
ainsi, à L'autre utrimité ds la. te"e que 7IOUS habltoM, une cul­' 
ure POrde tout entière à Z'ordonnanu da "dlendue, mai. qui IN 
distri.buerait la prulifération du ~tr8JJ daM aucun ,u, upacu 0' 
il nuus est pos8ible de 7IOm1R6r, de parler, tÜ penaer. 
Quand MUS i1l8tau.r01l8 un cla8.am.ent réfléchi, quand 7IOUS 
dÏBoM que le chat et le chisn ,e res.emblent moins que dew: UII,iBl'8, 
même ,'ils .ont "un et l'a"'re tlppr",oisé. ou embaumés, même 
.'ils courent toUl dA!1J,IJ; comme du fous, et meme ,'ils viennent 
de casser la t:r/.I.CÙ, qui' ut donc le 801 ci partir da quoi MUS 
pou~'01l8 rétablir en toute csrtitudeP Sur quelle «table», selon 
quel espace d'identiUs, de .imilitcules, d'analogiu, fJ4I01&l-nous 
pris Z' habitude de J,i"'ribuer tant de choi61 diRérentu ct pareülca P 
QI~lk ut cette cohirenc8 - dont on lIoit bien to'" de suite qu'elle 
n'est ni tUterminAe par un enchaînement a priori et nB088,aire. 
ni imposée par des contenus immédiatement se1&8i.bluP Car il 
nA! s'agit pas de lier du conséquenC81, mais da ,approoher et 
d'isoler, d'aruJlyser, d'ajust8r et d'emboUer d6I contenus concrets; 
rien de plus tdtonnant, rien de plus empirique (au moina 8n 
apparence) que "instauration d'un ordre parmi 161 chosu; rien 
qui n'ui.ge un oei.l plus ouvert, un langage plw fidèle eC miew: 
modulé; rien qui M demandB allec plus d'i."",isCance qu'on 8e 
laisse porter par la p'roli(ération dM qualité. et du forme.. Et 
pourtant un regard qui 1&8 .erait pa.3 armé pou"ai' bi.n rapprocher 
qlUlques figuru BemblabZea et en distinguer d'autres d railon cù 
telle ou telk diRérenu : en fait, il n'y a, même pour l' upér~ 
la plus natllB, aucune /J~militlUÙ, auculUl distinction qui 1&8 résulte 
d'une opération précise et de l'application d'un criHre préalable. 
Un «système dS/J éléments 1-une tUfini.l.ion de. 8egments BUI' 
kaqu.eZs pourront apparaître Zea r6lBIJmbiaTUJU et lu diRérence., 
lu types de IIariation dont cu .egments pourront Blre aRec", le 
/Jeuil enfin au-da.us duqu.el il 11 aura diRérlJnce et au-dessous 
duquel il y aura similicutÜ- est indispensable pour l'établi,,­BBrnent 
de l'ordre le plus 8imple. L'ordre, c'ut ci la fois ce qui 8. 
donne dans le. chos8/J COm1R6 18ur loi intérieure, le ré.eau Becrel 
/Jelon lequel eUe/J 8e regardent en quelque Borte Zea unes lBB a"',. 
et ce qui n'uÏ8te qu'à trtwer, la grille d'un regard, d'une attention, 
d'un langage j et c'uc seulement da"", les ca868 blanchu de ce 
qrUJdriliage qu'il B8 manifeste en profondeur comme déjà là, 
attendant 8n .ilence le moment d' Itre énond. 
Les codes fondamentCJu:r; d'une culture - ceu:!: qui rigi"enC 
.on langage, S61 ,ckémas perceptif., 861 échangu, S8I techniqUBI, 
au PaleurB, la hi.érarc1lie de 881 pratiquu - fount d'entrée cù 
jeu pour chaque homme lu ordres empirique. aU%1JuelB il aura 
aRatre tC dan. le.quels il " ,.,tro,,"era. A l'autre .rémité d.
Les mots et les C1wIl~1I 
la pensée, du 'Mories 8cientifiquu ou du interprétations de 
philosophes expliquent pourquoi iZ y a en général un ordre, ci 
qualls loi générale il obéit, quel principe peut en rendre compte. 
pour queUe raison C'Mt pluMt cet ordre-ci qui elt établi et non plJl 
f8Z autre. Mais entre ces deu:e régwnui distant8ll, rÎlgntJ un domaine 
~ui, pOUl' {WoÎ.r surtout un rôle d'intermédiaire, n'en ut pas mom. 
fondamental: i.l 63t plus confus, plus olncur, moina facile SaM 
doul6 à analyser. C'cst là qu'uns culture, se décalant insensible­ment 
des ordr6B empiriques qui lui sont prescrits par S8S codu 
primaires, instaurant une première dista1lC8 par rappor& à eu:e, 
leur fait pmire leur tranaparenoe initial8, cesse de se lais8#Jl' 
"fIISsÎ.l'ml6nt trfJC1ener par euz, 88 déprend. dB leurs poupoir. 
immédiats et irwisibw, se libère asse~ pour consta!u que cu 
ordru ne sont peut-Btre plJl 188 seuls pos,ibles ni les meilleurs; 
de som qu'eUe se trouve tÙlyant le fait brut qu'il y a, au.-dtfflsous 
de 88B ordm 8P0ntanis, de, choses qui 80nt en ell8l-mBmeB ordon­nables, 
qUI- appartiennent à un certain ordre muet, bref qu'il y a 
dB rordre. Comme si, s'affranchissant pour uns part dB MU grilla 
linguistiques, perceptipes, pratique8, la culture appliquait lur 
ceUes-ci une 8riUe seconde qui les neutralise, qui, en les doublant. 
lu font apparattre et les excluent en même temps, et 8e trouvait 
du mime coup devant Z'Btre brut de "ordre. C'est au.nol!' de cd 
ordra que tes code. du langage, de la perception, de la pratique 
.ont critiqués st rendus partiellement i,walides. C'est ,ur fo114 
da est ordre, tenu pOUl' 80l positif, qlJ6 88 bâtiront le. théonu 
générales de "ordonnance du choses et les interprétati01~ qu'eUs 
appelle. Ainsi entrels regard déjà codé et la connaissance réflexillB, 
il y a une région médiane qui délivre rordra en son lire mhne : 
c' e..~t là qu'il apparaît, selon les cultures et selon les époquu, contin" 
at gradué ou morcela et diacontinu, lié li l'upace ou conafitué ci 
chaque instant par la pOU8sée du temps, apparenté à un tableau 
de variables ou définI- par de. sys:èmu séparé. da cohérencu, 
compod de reuemblancu qui se suivent de prochs en procha 
ou 88 répandent en miroir, organisé autour de différences crois- 
14ntU, etc. S~ bÜJn que ceUs régi.on c m8clwnB l, dans la ","UI'B 
o~ elle manifes~ les modes d' ~tre de "ordre, peue S8 don1UR' comme 
la plus fondamenlal8 : anUrieurB aw; mots, aw: percepti01~ el 
aw; gute, qui ,ont C8més alors la traduire aveo plus ou mam. 
d'exactitude ou da bonheur (c'est pourquoi. ceUs expérienoe 
da "ordre, en 80n être ma.ssif et premier, joue toujoUrB un 
76le critiqlMl); plus .olide, plU8 archarque, moins doul6U8e, tou~ 
jours plus c vraie 1 que les théorie, qui 88,aÜJnt de leur donner 
une forma explici18, une application exhau8tiJla, ou un fonds. 
msnt philoaoph.i.qua. Ainsi dam toute cultlJl'8 entre "usa,e de Cf 
qu'an pourr~ie appder les codu ordinateurs 0' '" ré~wM .u,
Prlfaoe 13 
ziorilre. il Y a l'e:l:périenCit R!J8 ds "~ordre " ds ,u modu tJ:itre. 
Dam l'élude q!J8 poici, o'e&t ceUe e:l:pbwnoe qu'a" poudrai, 
analyser. Il .'agit de montrer ce qu'elle a pu devenir, depui, le 
XVIe siècle, au mÙÛJu d'une cl.J.ture comme la nôtre: de q!J811e 
manière, en remonUmt, comme ~ contre-coura"', le langage tel 
q,,'il étai.t parlé, les êtru naturel. tel$ qu'il. étaient perçU$ ee 
rassemblés, le. échange. tels qu'ifs étaient pratiquâ, notre cul­t" 
T8 li manifesté qu'il y al'ait de l'ordre, et qu'aut: modalités de 
cet ordre les échanges dsvaÏ8nt lsur. 10;", le. être. vÎl'antB leur 
régularité, te. mots teur 8nchatnement et leur valeur représen­tatiye; 
qusUss modalitâ de l'ordre ont été reconnues, posée" 
nouées avec l'espace et le temps, pour former ls .ocls positif .18. 
connais,ancu tellfl, qu'elle8 " déploient dam lagr/Jln11'l.aÎre ee 
dans la philologÏ6, NM18 l'h~toire naturelle et dans la biologie, 
tL,ns l'étude des riches8e. 6t dans l'économÙJ politiqus. Une telle 
uRlllyse, on le poit, ne relèl'e pas de l'hiBtoÎTe des idées ou du 
sciencu:c'est plutiJt unB étud8 qui .'elforC6 ds rtltroufl6r à panu. 
de quoi connais,ance8 et thioriu ont été pouibw; .elon que' 
Il'pace d'ordre 8'est constitué le 'iWoir; .ur (aM de quel a priori 
historique et dans l'élément de quslle p08itipité du idbut ont pu 
apparlÛtre, dss .ctences 86 constitU8J', ds8 ezpirÎencu .e réfléchi.r 
dans du philosophies, des mtionalités 88 former, pour, peut­être, 
se déoo!J8r et 8'éllanouir bient6t. Il ne sera donc pal question 
de conna;",ances décrites dans leur progrù peril une objectil'ÏU 
dans laquelle notrB science d'aujourd'hui. pourrait enfin 88 rBcon­nlÛtre; 
ce qu'on poudrait meUre au jour, e'es' le champ épiBté­mologique, 
l'êpistémè où lu connais.wa1&C8l, 8n,,;"agées hors de 
tout critèr" BB référant à ùur l'aleur rationnelle ou ~ leurs forme. 
objectil'6l, enfoncent leur po.itiviU el manifestent aiRl' uns 
histoire q'" n'eBt pal celle de ùur perfection croissants, mai. 
plu"'t oeUe de leur. conditionB de poS!ibüité; en ce récit, ce '1'" 
croit apparaître, ce .ont, dans Z' espace du. savoir, les configuratioM 
qui ont donnA lieu aru forme, dil'Brsu de la conna;"rance empi­rique. 
Plutôt que d'une h.i.~toire au ,sens traditionnel du mot, il 
s'agit d'une c archéologie 1:1. 
Or, ceUe enquête archéologique a montré deuz grandu dis­conti. 
nuités dans "épistémè de la culture occidentale: celle qui 
inaugure l'âge cla.uique (fI8r8le milÙJu du XVIIe siècle) et CIJUe 
qui, au début du XIXe marquels B6uil de notr. modemité.L'ordrlJ 
814" fond duquel no"" pemonB n'a pal le mèmtJ mode cl'ëtre qUIJ 
celui de. clasBiq!J88. Nous al'OnB beau iWQtr "impruiion d'u" 
moul'ement presque ini~rrompu de la ratio 8u.ropéBnne depuÎ8 
1. Les problèmes de méthode poaél par une &eUe c arch6ologfe a .. ron' 
examinés dana un procbaù1 ouvrage.
la Renai8'tlnce jusqu'à nos jour., noUB avons beau pel18er que la 
cw..ificatWn tk Linné, plua ou moins aménoegée, peul en 8ro, 
continuer à avoir une sorte tk yalidit6, que la théorie tk la yaleur 
chez CQndWac st retrouve pour une part dans le marginalisme 
du XIXe siècle, que Keyna a bitm Benti l'affinité de ses propres 
anoelyaes "Pee celle, de Camillon, qtuJ le propo, de la Grammaire 
générale (l8l qu'on le troupe CMZ les auteura de Port-Royal ou 
chez Baruû) n'est pas .i éloigné de notre oclw!lle linguistiqu6, 
- toute cetù quasi-continuité au niveau de.t idks et. des thèm611 
n'est 8ans doute qu'un en6t de surface; au nweau archéologiqtuJ, 
on POît que le système du posÏliyith a changé d'une façon 11IlJ8- 
8iY8 au tournant du XV Ille et du XIXe .iècle. Non pas que 
la raison ait fait du progrès; mais o'e" qtuJ le mode d'être de. 
chosfJII et de fordrs qui en les répartis,ant les offre au s(Woir a 
été profondbnent altéré. Si "hUtoire noetureUe de Tournefort., da 
Linné e& de Buffon a rapport à autre chose qu'à eUe-m2rne, ce 
n'ut pas à la biologie, à l'anatomie comparie de CuvlSr ou à "éyo­lutionnisme 
de Darwin, c'est à la grammaire ginérale de BaU1k, 
c'ut à l'annl.ys6 da la 1nOnnoeie et de la richesse telle qu'on la 
trorwe cher. Law, chez Véron ch Fortbonnais ou chez Turgot. Le. 
'!()nnnissalICM parviennent peut-être à ,'engendrer, les idks à Be 
.ra1l!former et à agir les unes 8ur 188 autr611 (mais comment1 
les hr.storiens juqu'à pruent 718 noUB ,'ont pas dit); U1I8 choslJ 
en tout cas 6IIt certaLnS : C'Mt que l'archiologie, ,'adressant il 
l'upace général du s(Woir, à 86S oonfigumtwns et a" mode d'2t.rtJ 
des chos6ll qui. y apparaissent, définit d6IIsyltèmes de simultanAité, 
ainsi que la 8érie des mutations n6ces8aire8 et 8uffi8an1e8 pour 
circonscrirs le seuil d'u1l8 positivité noUYtlle. 
Ail18i l'arwlY8e a pl' montrer la cohérence qui a uisté, fout 
Ilt, long de l'dge cWssiqtuJ entre la théorie de la représentation 6& 
ceUes du langage, des ordres naturels, de la richs8se et de la yaleur. 
C'est cette configuration qui, à partir du X/xe siècle, change 
entièrement; la théorie de la représentation disparaU comme fon­dement 
gén~ral de tous les ordr88 possibles; le langage comms 
tableau 8pontanA et quadrillage premier d6II choses, comme relais 
indispensable entre la r8prMentatwn e& le8 être8, s'efface à son 
tour; une historioité proforule pénètre au coeur des choses, les 
isole et lfJII définit dans leur cohérence propre, leur impose de, 
formes d'ordre qui 80nt impliqué68 par la continuiti du I6mps; 
"analyse lÙ8 échangM et de la monnaie fait place à l'étude de la 
production, celle d6l'organisme pmulle pCJ8 sur la r6cherche dss 
coracûr6s lazinomiquuj et surtout le langage r.erd 8a place pri· 
vilégik et devient à son lour U1I8 figure de l histoire cohérente 
a,'ee l'épaÎ3seur de son pCJ88é. Mais à mesure que les choses s'8n­roulent 
Bltr elles-mêmes, 118 demandant qu'à Ifur d,yenir le prin·
Préfaoe 15 
cipe de lAIur inklligibiliU et abandonnant l'upaoe de la représen­taricln, 
l'homme à .on wu,. e~ et poUr' la pnmiAre fois, dan .. 
Z, champ du SlJfIoÏl' occidenlal. ~'wngemtJnt, "/aomme - dont la 
connaissance ptJlfH Il rk& yeu naif, pour la plu. vieille recherche 
depuï. Soera1.6 - n'ut 8anl douta rian ~ pl"" qU'UM certaiM 
déchirure dans l'ordre du cho.ru, UM configuration, en tout CM, 
deB,inée par la diapo,ieion nou,""lle qu'il a priaeriClrnmentdansle 
.avoir. De là ,ont nUs to~, lu cllim8rtJ8 dtJB nouveaw; huma­nÏ811UJB, 
to~ le, facilités d'UM «anthropologie J, ent6ndU8 
comme réflaion génArale, mi-positive, mi-philOsophiqU8, sur 
l'homme. Réconfort cependant, et profond apaisement de penser 
que l'homme n'68t qu'lJ.1I8 invention récenf8, une figure qui n'a 
pas dew: sièclu, un .. imple pli. dans notre .avoir, et qu'il dispa­redira 
dû qU8 celui-ci aura trouvé une forme nouvelle. 
On voit que cette recherche répond un peu, COI1lln6 lin écho, au 
proje~ d'écrire UM histoire de la folie ci "tSge cloesique; elle a dana 
le temps les mêmu articulati.ons, prenant 801' départ ci la fin da 
la Renats8ance et trouPant, elle aussi, au tournant du XIXesidcl", 
le nuil d'une modernité dont no"" ne sommu toujour. pas 807Û8. 
AIor8 que dans ,'hlaeoire de la (aliB, on interroglloet la manU,. 
donE UM culture peut po,er 80US UM fOrmB maBsiVII et génArals la 
diffirence qui la limite, il .'agit d'ob'lITger ici la manière dont 
dll! éprouge la proeimité dtJB cha8M, dont elle établit le 2ableau 
de leur. parenlis et "ordre 811wn legU8' il faut les parcourir. n 
.'agit en .tomme d'une histoire de la l'S8smnblance : ci queUe, 
conditions la pensée claIsique a-t-elle pu ,.lllichi.,., entP'e le, chosea, 
du rapporC8 de ,imilariU ou d'iquivalencIJ qui fondent etiusti~nt 
les mors, lu classifications, les khangeû A panir de 91MJZ a priori 
m,torUjue ~t-il été possibk da rUfinir le graM damIR dtJB iden­tiUs 
distinctes 'lui ,'établit 'Ur' le fond brouilU, i.ndéfini, 8ans 
9isage et COI1lln6 indifférent, du différencesP L'histoire de la folie 
8erait l'hiBtoire de Z'Autrs, - de ce 'lui, pour UM CultUT6, 68' à 
la fois intérieur et étranger, donc à ~clure (pour Bn conjurer ,. 
péril inMrieur) mais Bn l'enfermant (pour 81' réduire l'aUlrité); 
"hiatoire do l'om,.s da. ChOBU Berait l'histoire du MamtJ, - dl ce 
qui pour une culture ed ci la foi.& disper8é et .apparsnté, donc ci 
distmgue,. par dM marqw4 et à recueiUi,. dGns dtJB idenritis. 
Et 8i on songe que 14 maladie tJ8t à la fots le dé,ordre, la ptrü­' 
euse altérité dans le corps humain et jusqu'au coeur de la PÛI, mais 
aussi un pl,énomènB de nalure qui a 8tJ8 régularités, 88' rusem­blances 
et 868 typ6S, - on POit queUe place pourrait avoi,. UM 
archéologie du. regard médical. De l'e:&périence-limite de l'Autre 
au fOP'm1l8 constitutives du savoi,. mAdical, et de celle,..ci à l'ordre 
da. choses et à la. penséB du Mime, ce qui ,'offre ci l'analY88 
archéologique, c'ur tout le 8avoir clauique, ou plutôt ce aeuil gui
16 
1JQ," .épa.re de la pmi" clo.,~ " conriÎtua not .... 11lOIUmÏU. 
S14T' ce .euil uL appanu: pour la pram~rtl fo" cette étrangtl figurs 
du BaVOL,. qu'on ap~lk l'lwm"",, Ilt qui a ouvert un u~ propr. 
UI./oZ Bciencell humainu. En ",ayant de 7emeUre au iour ceUe 
profond.s dinivtlUoJ.wn ck la culture occûLmlal6. e'ut à notrs BOl 
.ilencÏtlWJ et naEvement immobile que no," 7t1ndoru ;e, T'upturu, 
.Ion instabiliU, 86' fai.lù'i ~t'C'Il,t lui qui ,'inquiète ci noUI'BaU 
80'" no, pal.
1
CHAPITRE 1 
Les suivantes 
1 
Le peintre est lêgèl'ement eu retrait du tableau. TI jette Un 
coup d'oeil sur le modèle; peut-être s'agit-il d'ajouter une der­nière 
touche, mais il se peut aussi que le premier trait encore 
n'ait pas été posé. Le bras qui tient le pinceau est replié sur la 
gauche, dans la direction de la palette; il est, pour un instant, 
immobile entre la toilt' et les oouleurs. Cette main habile est 
suspendue au regard; et le regard, en retour, repose sur le geste 
arrêté. Entre la fine pointe du pinceau et l'acier du regard, le 
spectacle va libérer son volume. 
Non sans un système subtil d'esquives. En prenant un peu 
de distance, le peintre s'est placé à cÔté de l'ouvrage auquel 
il travaille. C'est-à-dire que pour le spectateur qui actuellement 
le regarde, il est à droite de son tableau qui, lui, occupe toute 
l'extrême gauche. A ce même spectateur, ]e tableau tourne le 
dos: On ne peut en percevoir que l'envers, avec l'immense 
châssis qui le soutient. Le peintre, en revanche, est parfaite­ment 
visible dans toute sa stature; en tout cas, il n'est pas 
~8qué par la haute toile ·qui, peut-Atre, va l'absorber tout à 
l'heure, lorsque, faisant un pas vers elle, il se remettra à son 
travail; sans doute vient-il, à l'instant même, d'apparattre 
aux yeux du spectateur, surgissant de cette sorte de grande 
cage virtuelle que projette vers l'arrière la Burface qu'il est en 
train de peindre •. On peut le voir maintenant, en un instant 
d'arrêt, au centre neutre de cette oscillation. Sa taille sombre, 
IOn 'Yisage clair sont mitoyens du visible et de l'invisible : sortant 
de cette toile qui nous flchappe, il émerge à nos yeux; mais 
lorsque bientÔt il fera un pas vers la droite, en se dérobant à nos 
regards, il lie trou'Ye1'8 placé juste en face de la toile qu'il est en 
train de peindre; il entrera dana cette réfitÏon où. son tableau,
20 
négligé un illlitant, va, pour lui, redevenir vi~it>ie sons ombre 
ni réticence. Comme IIi le peintre ne pouvait à la fois être YU sur 
le tablcllu où il ellt représenté et voir celui où il s'emploie il 
repréllent.er quelque chose. Il r~gne au seuil de ces deux visi­hilités 
incolllputibles. 
Le }leintre rr.gonle, lB visage légèrement tOUTllé et 11 tête 
penchée vers l'éllauJe. Il fixe un point invisible, niais qllC nous. 
les spectuteurs, nou:'! pouvons lIi~ément assigner puillque :0 
Jloint, c'est nous-mêmes: notre corps, notre visage, nos yeux. 
Le spectacle qu'il observe est donc deux fois invisible: puis'lu'il 
n'cst pas représenté dans l'espace du tableau, et puislIU'il Ile 
lIitue prér.i~ément en ce point aveugle, en cette cache e5sentitllle 
où se dérobe pour nous-mêmes Ilotre regard au moment où 
nous regardons. Et pourtant, cette invisibilité, comment pour­rions- 
nous éYiter de la voir, là BOUII nos yeux, Plùsqu'elle a 
dans le tablelu lui-mArne Bon sensible é1luivalent, SB figure 
Icellée? On pourrait en ellet deviner ce que le peintre regRrde, 
l'il était possible de jeter les yeux sur la toile à laquelle il 
l'applique; mais de ctille-ci on n'a{lCl'Çoit que la trame, ]e8 
montantB à l'horizontale, et, il la vertICille, l'obliquedu chevalet. 
Le haut rectangle monotone qui occupe toute la partie ~uche 
du tRbleau réel, et qui figure J'envers de la toile représentée, 
restitue sous les espèces d'une surface l'invisibilité en profon­dcur 
de ce que l'arll"tc contemple: cet ellpflce où nous .Olumes, 
que nous sommes. Des ycux du peintre à ce qu'il regarde, ulle 
ligne impériculle est tracée que nous ne saurions éviter, nouli 
qui regardons: elle travertle le tableau réel et rejoint en avant 
de sa surface ce lieu d'où nous voyons le peiutre qui noUB 
observe; ce pointillé noui atteint immanquablement lit nOUS 
lie à la repré$entation du tableau. 
En apparence, ce lieu est. simple; il est de pure réciprooité : 
nous regard uns un tableau d'où un peiutre à son tour nous 
contemple. Rien dti plus qu'un face à face, que des yeux qui 
sc surprennent, que des rllgards droits qui en BC croi~8nt se 
superposent. Et pourtant cette mince ligne de visibilité en 
ret.our enveloppe tout un ré~au complexe d'incertitudes, 
d'échanges et d'esquives. Le peintre ne dirige les yeux vers 
nous que dans la mesure où llOUS nous trouvons il la place de 
son motif. Nous autres, spectateurs, nous sommes en sus. Accueil­Ii!! 
sous ce regard, nous sommes cha!l!és par lui, remplacés pltr 
ce qui de tout temps s'est trouvé là avant nous: par le modèle 
lui-même. Mais inversement. le regard du peintre adressé hors 
du tableau a.u vide qui lui fait face a.ccepte autant de modèles 
qu'il lui vjeut de spectateurs; en ce lieu précis, majs iudifréreut, 
le l'egardant et le regardé l'écha.ngent !jlU1S cesse. Nul rtlg'drd
21 
D'est stable, ou plutit, dam ]e sillon neutre du regard qui 
transperce la toUe ~ ln perpendiculaire, le sujet d l'objet, le 
spectateur et le modèle inversent leur rôle à l'infini. Et la 
granùe toile retoumée à l'extrême gauche du tableau exerce 
là sa seconde fonction : obstinément invisible, elle empêche 
que soit. jamais repérable ni définitivement établi le rapport 
des regards. La fixité Opaque qu'elle lait régner d'uu côté 
rend pour toujours instable le jeu des métamorphoses qui au 
centre s'établit. eutre le spectateur et le modèle. Parce quenoul 
ne voyous que cet euvers, nous n6 savons qui nous sommes, 
ni ce que nouil faisons. Vus ou voyut? Le peintre fixe aotuel­lement 
un lieu qui d'instant en instant ne cellse de changer de 
contenu, de forme, de visage, d'identité. Mais l'immobilité 
attentive de aes yeux renvoio li uno llutre direction qu'ils ont 
suivie souvent dêjfl, et que bientôt, li n'on pas douter, ils vont 
reprendre : celle de la toile immobile sur laquelle se trace .. 
est tracé pent-être depuis longtemps et pour toujours, un por­~ 
ait qui ne s'eRacera jamais plus. Si bien que le re~al'd souve­rain 
du peintre commande un triangle virtuel, qui définit en 
Ion parcours ce tableau d'un tableau : au sommet - seul 
point visible -les yeux de l'artiste; à la base, d'un côté, 
l'empla.cement invisible du modèle, de l'autre la figure proba­bl" 
mtmt esquissée aur la toile retournée. 
Au moment oil il. pla.cent le spectateur dans le champ de 
leur regard, les yeux du peintre le saisissent, le contraignent à 
entrer dans le tableau, lui assignent un lieu lIa fois privilêgié 
et. obligatoire, prélèvent sur lui sa lumineuse et. visible eapèce, 
et. la projott..eJl~ ~~ ~a surface ~c.colIsjble de la t~ile retournée. 
li VOlt Ilon IDVJslblhté rendue villible pour lè pemtre et traIlll­posée 
en une image définitivement invisible pour lui-même. 
Surprise qui est multipliéo et rendue plus inévitable encore 
pal' un piège marginal. A l'extrême droite, le tllbl8llu reooit 
sa lumière d'une fen~tre représentée selon une perspective très 
coune; on n'en voit guère que l'embrasure; si bien que le 
flux de lumière qu'elle l'épand largement baigne à la fois, 
d'une m~me générosité, deux e~paecs voisins, entrecroisés, mais 
irréductibles : la. surface de la toile, avec le volume qu'elle 
:représente (c'est-t-dire l'atelier du peintre, ou le salon dana 
lequel il a installé Ion chevalet), et en avant de cette surface 1«: 
volume réel qu.'occupe le spectateur (ou encore le site irréel du 
modèle). Et parcourant la pièce de droite à gauche, la vaste 
lu.mière dorée elllporte lIa lois le spectateuT vers le peintre, et 
le modèle vers la toile; c'est "Ile .uasi qui, en éclairant le peintre. 
le rend ,·isible au spectateur et fait briller comme autant de 
lignell d'or aux. yeux du modèle le cadre de la toile énigmatique
22 
où !Ion image, trnnllportée, va sc trouver enclose. Cette (enôtre 
extrême, partielle, à peine indiquée, libère un jour entier et 
mixte qui sert de lieu commun b ln représentation. Elle équi­libre, 
à l'autre bout du tableau, ln toile invisible: tout comme 
celle-ci, en tournaot le dos aux spectateurs, se replie contre le 
tableau qui la représente et formo, par la superpo~ition de son 
envers visible sur la SUnlCe du tableau porteur, le lieu, pOUl' nous 
inaccessible, où scintille l'Image par excellence, de même la 
fenêtre, pure ouverture, inlltaure un espace aussi maniEe8te 
que l'autre est celé; aussi commun au peintre, aux personnages, 
aux modèles, aux spectateurs, que l'autre est solitaire (CQr nul 
ne le regarde, pas même le peintre). De la droite, a'épanche 
pllr une feoêtre iovisible le pur volume d'une lumière qui rend 
visihlo toute représentation; à gauche a'étend la lurface qui 
esquive, de l'autre côté de sa trop viBible trame, la représenta­tion 
qu'elle porte. La lumière, en inondant la scène (je veux dire 
aURsi bien ln pièce que la toile, la pièce représ8nt6e sur la toile, 
et ]a pièce où la toile est pIncée), enveloppe les personnages et 
lea spectateurs et les emporte, sous le regard du peintre, vors le 
lieu O"l son pinceau va les repréllenter. Mais ce lieu oous est 
dérobé. Nous nous regardons regardés pnr le peintre, et rendus 
nsibles à sei! yeux par la mème lumière qui noOB le fait voir. 
Et au moment où nous allons nOU8 saisir transcrits por &Il 
main comme daus un miroir n01111 oe pourrons surprendre de 
celui-ci que l'envers morne. L'autre côté d'une psyché. 
Or, exactement en face des spectateurs - de nous-mêmes -, 
sur le mur qui constitue le fond de la pièce, l'auteur a représenté 
une série de tableaux; et voilà que parmi toutes ces toiles suspen­dues, 
l'une d'entre eUes brille d'un éclat singulier. Son cadre eat 
plus large, plus sombre que celui des autres; cependant UDe fine 
ligne blanche le double vers l'intérieur, dilIusant sur toute 8& 
BUnaee un jour mulllisé li. assifPler; car il ne vient de llulle part, 
sinon d'un espnce qui lui serait intérieur. Dans ce jour étrange 
apparaissent deux silhouettos et au-de96UB d'eUes, un peu vers 
l'arrière, un lourd rideau de pOUl'pro. Les autres tableaux ne 
donnent; guère à voir que quelques taches plus pâles b la limite 
d'une nuit sans profondeur. Celui-ci au contraire s'ouvre Bur 
un espace en recul où des formes reconnaissables s'étagent dans 
une clarté qui n'appartient qu'à lui. Parmi tous ces éléments 
qui sont destinés à offrir des représentations, mais les contes­tent, 
les dérobent, les esquivent par leur position ou leur di, .. 
tance, celui-ci est le seul qtÙ fonctÎoooe en toute hoooêtet6 et 
qui donne à voir ce qu'il doit montrer. En dépit de 8011 éloi­gnement, 
en dépit de l'ombre qui l'entoure. Mais ce n'ellt pail 
un tableau: c'est un miroir. Il offre enfin ce~ enchantement
23 
du douhle que refusaient aussi bicn les peintures éloignées que 
la lumière du premier plan avce la toile ironique. 
De toutes les représentations que représente le tahleau, il 
cl>1.1a lIcule visible; mais nul ne le regarde. Debout à côté de sa 
tuile, et l'attention toute tirée vers son modèle, le peintre ne 
peut voir cette glace qui hrille doucement derrière lui. Les 
autres personnages du tableau liant pour la plupart tournés 
eux aU5si verl ce qui doit se passer en avant, - vers la claire 
inviDi~ilit{, qui borde la toile, vers ce balcon de lumière où ]eUl'S 
regards out à voir ceux qui les voient, et non vers ce creux 
sombre par quoi se furme 111 chambre où ils sont représentés. fi 
y a bien quelques têtes qui s'offrent de profil : mais aucune 
n'cst sulIisammeut détournée pour regarder, au fond de la 
pièce, ce miroir désolé, petit rectangle luisant, qui n'est rien 
d'autre que visibilité, mais sans aucun regard qui puilse s'en 
emparer, la rendre actuelle, et jouir du fruit, mQ.r tout à coup, 
de 80n spectacle. 
Il faut reeonnattre que cette indifférence n'a d'égale que la 
lIienne. Il ne reflète rien, en effet, de ce qui se trouve dans le 
même espace que lui : ni le peintre qui lui tourne le d08, ni 
lei personnages au centre de la. pièce. En sa claire profondeur, 
ce n'eat pas le visible qu'il mire. Dans la. peinture hollandaille, 
il était de tradition que les miroirs jouent un rôle de redouble­nient: 
il!> répétaient ce qui était donné une première fois dans 
le tableau, mail à l'intérieur d'un espace irréel, modifié, rétréci, 
recourbé. On y voyait la même chose que dans la première ins­tance 
du tableau, maia décomposée et recomposée selon une 
autre loi. Ici le miroir ne dit rien de ce qui a ét6 déjà dit. Sa 
l,osition pourtant est à peu près centrale: Ion bord supérieur 
est exactement sur la ligne qui partage en deux 1" hauteur du 
tableau1 il occupe aur le mur du fond (ou du moins sur la part 
de celUI-ci qui est visible) une position médiane; il devnit 
donc Ôtre truversé par les mOrnes lignes pel'5pectives que le 
tableau lui-même; on pourrait s'attendre qu'un même atelier, 
un même peintre, une même toile se cl.ù!posent en lui lielon uu 
espace identique; il pourrait être le double parfait.. 
Or, il ne fait rien voir de ce que le tableau lui-mêwe repré­~ 
entc. Son regard immobile va 'lai sir au-devant ùu t.ableau. 
dan8 cette région nécessairement invisible qui en furme la (ace 
extérieure, les personnages qui y sont disposés. Au lieu de 
tourner autour des objet. visibles, ce miroir traverse tout le 
champ de la représentation, négligeant ce qu'il pourrait y cap­ter, 
et restitue la visibilité à ce qui demeure hors de tout regard. 
~ai. cette invisibilité qu'il surmonte n'est pas celle du caché: 
Il ne contourue pas un obstacle, il nc détour:le pa.s une perspec·
live, ils'adreasc il ce qui cst. invisible à 111 fois par la structU1'e 
du tableau et 1!ar son existence comme peinture. Ce qui S6 
reflète en bli, c est ce quo tous les personnage." de la toile sont 
en train de fixer, le regnrd droit. devant eux; c'est donc ce 
qu'on pourrait voir si ln toile se prolongeftit vers l'avant, des­cendant 
plus bos, jl1Squ'il envelopper les per!onnages qui ser.­vent. 
de modèles nu peintre. Mais c'est aussi, puisque )a t.oile 
Il'arr~te là, donnant à voir le peintre et son at.elier, ce qui eaf. 
extérieur ou tableau, dans la mesure où il est tableau, c'e5t­à- 
dire fragment. rectangulaire de lignes et de couleurs charg6 
de représenter quelque chose aux yeux de tout spectateur pOlt­sible. 
Au fond de la pièce, ignoré de tous, le miroir inattendu 
fait luire les figures que regarde le peintre (le peintre en su r6a­lité 
représent.ée, objective, de peint.re au travail); mais aussi 
bien les figures qui regardent le peintre (eu cette réalit.é maté­rielle 
que les lignes et les couleurs ont déposée sur 10 toile). Ces 
deux figures sont aussi inacoessibles l'une que l'autre, mais de 
façon dilIérente : la première par un effet de composition qui 
cst propre au tableau; la seconde pOl' la loi qui préside à l'exis­tence 
Blême de tout tableau en général. Ici, le jeu de la repré­sentation 
consiste à amener l'une à la place de l'autre, dans 
une superposition instable, ces deux formes de l'invisibilité, 
- ct de les rendre aussitÔt 11. l'autre extrémité du tableau - à 
ce pÔle qui est le plus hautement représenté: celui d'une pro­fondeur 
de :reflet au creux d'une profondeur de tableau. Le 
miroir 8Smt'O une métathèse de la visibilit.é qui entame à la 
fois l'espace représenté dans le tableau et sa nature de repré­sentation; 
il fait voir, au ceDtre de la toile, ce qui du tablcou 
est deux fois nécessairement invisible. 
Étrange façon d'appliquer au pied de la lettre, mais en 10 
retournant, le conseil que le vieux Pachero avait donn6, paratt­il, 
li. son élève, lorsqu'il travaillait dana l'atelier de Séville : 
«L'image doit sortir du cadre. 1 
Il 
Mais peut-Mre est-il temps de nommer enfin celle image 
qui apparatt au fond du miroir, et que le peintre contemple 
en avant du tableau. Peut-être vaut-il mieux fixer ulle ballll6 
fois l'identité des personnages présents ou indiqués. pour ne 
pas nous embrouiller à l'infini dans ces dé5i~atioD5 Bottantes, 
un peu abstraites, toujours susceptibles d'équivoques et de
2S 
détlouLlements : Ile Jleintre JI,.lcs persollnugp.9 n, IL le! modèles_, 
alt:s sI'cctateurs Il, • les images Il. Au lieu de poursuivre sans 
terme Wl langage fatalement inadéquat au visible, il suInrait 
de dire que Vélasquez Il composé un tableau; qu'cn ce tableau 
ils'e!;t rcpré5enté lui-même, dans son atelier, ou dalUl un salon 
de l'Escurial, en train de peindre deux personIl8ges que l'infante 
Morbrucrite vient contempler, entourée de duèbrnes, do sui­vantes, 
ùe courtisans et de nains; qu'à ce groupe on pout très 
pl'l!r,Ïsélllent attribuer des Doms: la tradition reconnalt ici doüa 
Marin AglL';tlna Sarmiento, là-bas Niélo, au premier plan Nico­! 
aso Pertusato, houfTon italien. n suffirait d'ajouter que les deux 
perllonnages qui servent de modll1es au peintre na sont pas 
visibles, au moins directement; mois qu'on peut les apercevoir 
dans une glace; qu'il s'agit' li. n'en pas douter du roi Philippe IV 
et de son épouse Marianna. 
Ces noms propres formeraient d'utiles repères, éviteraIent des 
déliignations ambiguës; ils nous dira.ient en tout cas ce que 
regarde le peintre, et avec lui la plupart des personJi.oges du 
tableau. Mais le rapport du langage à la peinture est un rap­Jlort 
infini. Non pas que la parole soit imparfaite, et en face 
du visible dans un déficit qu'eUe s'efforcerait en vain de z:attra- 
1ler. Ils SOllt irréductibles l'un à l'autre : on Il beau dire ce 
qu'olt voit, ce qu'on voit ne Joge jamais dans ce qu'on dit, et 
on u houu taire voir, pur des images, des métaphores, des com­pamisl) 
ns, cc qu'on est en train de dire, le lieu où elles 1'6s-· 
plcndisscHt n'est pas celui que déploient les yeux, mais celui 
que définissent les sucl:essions de la syntaxe. Or le nom propre, 
dans ce jeu, n'61,1; qu'un artifice : il permet de montrer du 
doigt, c'est-à-dire de faire passer subrepticement de l'espace où 
l'on parle à l'espace où l'on regarde, c'cst-à-dire du lenefermer 
commodément l'un sur l'Ilutre comme s'ils étaient adéquats. 
Mais si on veut maintenir ouvert le rapport du langage ct du 
visible, si on veut parler non pas à l'encontre mais à partir dB 
leur incompatibilité, de manière à rester au plus proche ùe l'un 
et de l'autre, alors il faut effacer les noms propres et se main­tenir 
daas l'infini ùe la tâche. C'est pellt-êtrcparl'intermédiaire 
de ce langabre gris, auonyme, toujours méticuleu. '.I C et répétitif 
parce que trop large, que la peinture, petit à petit, allumera 
ses clartés. 
Il faut donc feindre de ne pas savoir qui se reflétera au lond 
de la glace, et interroger ce reUe!. au ras de son exisltmce. 
D'aburd il est l'envers de la grande toile représentée à gauche. 
L'envers ou plutôt l'endroit, pUÙiqu'il montre de {ace ce qu'die 
~ache pur so position. Dc plus, il s'oppose à la ftmêtre et. la 
renrorce. Comme ellc, 11 est un lieu COIDIDIUl au tableau et à ce
26 
qui lui est extérieur. Mais la fenêtre opère pllr le mouvement 
ClOntinu d'une effusion qui, de droite à gauche, réunit. nID: per­sonnages 
aUenti(s, au peintre, au tableau, le spectacle qu'ils 
ClOntellIpleuti 10 miroir, lui, par Wl mouvement violent. ins­tantané, 
et. de pure surprise, va chercher en avant .lu taLleau 
ce qui est rtlgardé, Blais nou villiblo, pour le rendre, au bout de 
la prolondtSllr fictive, visible mail! indilléreut à tous les regards. 
Le point.illCt impérieux qui est tracé eatrtS le rellet et ce qu'il 
reUète coupe à la perpelldiculaire le flux la.térltl de III lumière. 
Enfin - et. o'sst. la troisième fonction de ce miroir - il jouxte 
Wle porte qu.i s'ouvre comme lui dans le mur du loud. Ello 
découpe clltS aUBtii Wl rect.angle clair dont. la lumière IUllte ne 
rayonne pail daua lu pillee. Co ne seruit qu'un apluL doré, s'il 
n'était crew;é vlll'IIl'extéritlUl', (!ar un batt.ant Bculpté, la oourllo 
d'Wl rideou ct J'ombre de pluBunus marcboll. Là commeuce Wl. 
corridor, mais I1U lieu de se perdre carmi l'ohscurité, il se 
dissipe dans un éclotement jaune où a lumière, Bilnll eutrer, 
tourbillonne 8ur ellc·loème et repose. Sur ce fond, à l~ fuis 
proche et se.DS limit.e, un homme détaclle sa haut.e silhouettu; 
il est vu de profil; d'une main, il retient le poids d'une tenturll; 
ses pieds sont posés Slll' deux marches différentes; il a le genou 
fléchi. Peut-être va·t-il entrer dans la pièee; peut-être se home­t- 
jl à épier ce qui se passe à l'intérieur, content de surprendre 
sauli être observé. Comme le miroir, il fixe l'envers de la scène: 
pas plUli qu'au miroir, oune prête attentionUui. Onne sait d'où 
il vieut; ou peut lIupposer qu'en Buivlint d'meerLlÙlls curridors, il 
a contourné la pièce où les perllolwageli :sont riuuls et où tra­vaille 
le peintre; peul-être était-il lui aUIIl!i, tout à l'heure, sur 
le devant dam scène da us la. ré~iou invillible que contempleut 
'tous les youx du taLleau. Couune 1118 images 'l;u'ou a}Jerçuit 
au fond du miroir, il Sil peut qu'Il soit Wl 6lWslI!Üre de cet 
espace évident et caché. Il y a cependant une ditItirlll1ce : il 
est là en choir et en 08; il surgit du dehors, 8U seuil de l'aire 
représentée; il est indubitable - non pas reUet probllble mais 
irruption. Le miroir, en faisant voir, au-delà même des mW's de 
l'atelier, ce qtÜ se passe en avant du tableau, fait osciller, dans 
sa dimension sagittale, l'intérieur et J'extérieur. Un pied SUI' la 
marche, et le corp~ entièrement de profil, le visiteur ambigu 
entre et sort à la fois, daus un balaucement immobile. Il répèt.e 
8W' place, mais daus la réalité sOlllbre de sou corps, le mouve­ment 
instantaoé des uuages qui travel'lltmt la pièce, péllètrent 
le mÎruÎl:, s'y J'êlléuhislieut et eu rejaillincuL COUWIC des espècell 
vÜiibles, uouvellet; et. ideutiques. Pâleli. uliuuscwcs, ces tiiJ· 
houettes daDIIIIl glace BOllt récUt;ée~ par la hau~ est lioliùesl,a­' 
ure de l'hullllDe qui surgit dallti l'elllbr.lImre de la l'0rte.
'J.7 
Mais il raut redesoendre du fond du tableau vers le devaut de 
la scùne; il raut quitter C6 pourtolU" dont. on vient de parcourir 
la volute. En partant du regard du peint.re. qui, à gaucbe, 
constitue comme un centre décalé, on BIJerçoit d'abord l'envers 
de la tuile, puis les tableaux exposés, avec au ceutn le miroir, 
puis la pone ouverte, de nouveaux tableaux, mais dont ulLe 
perspective très aiguë ne laisse Il voir quo les cadres dans leur 
épaisseur, enfin à l'extrAme droite la fenêtre, ou plutôt.l'éehan­CMU' 
6 par où se déverse la lumière. Cette coquille on hélice 
oiTre tout le cycle de la représentation: le regard, la palette 
et le pinceau, la toile innocente de signes (ce sont les inst.ru­menta 
ma1.êriels de la représentation), les tableaux, les reflets, 
l'homme réel (la représentation achevée, mais colOnie allrancbie 
de ses contenus illusoil'8S ou véritables qui lui sont juxtaposés); 
puis la reprêsentation Ile dénoue : on n'en voit plus que lea 
cadres, et cette lumière qui baigne de l'extérieu .. les tableaux, 
mais que ceux-ci en retour doivent reconstituer en leur espèce 
propre tout comme si elle venait d'ailleurs, traversant leurs 
cadres de hois sombre. Et cette lumière, on la voit en eRet sur 
le tableau qui semble sourdre dans l'interstice du cadre; et 
de là elle rejoint le front, les pommettes, les yeux, le regard 
du peintre qui tient d'une main la palette, de l'autre le fin 
pinceau... Ainsi se femae III volute, ou plutôt. par cette 
lumière, elle s'ouvre. 
CeUe ouverture, ce n'est plus comme dlUlllle fond, une porte 
q,,'OD a tirée; c'est la largeur même du tableau, et les regards 
qui y passllnt ne sont pas d'un visiteur lointain. La irise qui 
occupe le premier et le second pllln du tableau représente, 
- si on y comprend le peintre - huit personnag8ll. Cinq d'entre 
eux, la tÔte plus ou moins inclinée, tournée ou penchée, regardent 
Il la perpendiculaire d" tableau. Le centre du groupe caf. occupé­par 
la petite infante, avec Ion ample robe griso et rose. La prin­cesse 
tourne la tète ver. la droite du tableau, alors que 1011 
buste et. les grands volants de la robe fuient légèrement. vers la 
gaucho; mllis le reçard se dirige bien d'aplomb dans la diruction 
du spectateur quI 8e trouve cn face du tableau. UDe ligne 
médiane pllrtageant la toile en deux volet. égaux passel'ait 
entre les deux yeux de l'enfant. Son visage est au tiers de la 
bautclU" totale du tableau. Si bien que là, à n'en pas douter, 
réside le thème principal de la composition; Il, l'objet même 
de cette peinture. Comme pour le prouver et le souligner mieux 
cncore, l'a11te11l' El eu recours à wae 6gure traditionnelle: Il 
CÔté du personnage cent1'8l, il en a placé un autre, agenouillé 
et qui le regarde. Comme le donatour en prii:re, comme l'Ange 
saluant le. Vierge, une gouvernante il genollX tend les mains
28 Lu mots et llls chuses 
vers la princesae. Son visage se découpe solon un profil parfait. 
n est à la hauteur de ~elui de l'enlant. La duogne reb'8J'de )a 
princesse et ne regarde qu'elle. Un peu plus sur la droite, une 
autre suivante, tournée elle aussi vers l'infante, lébtèrement 
inclinée au-dessus d'eUe, mais les yeux clairement dirig6s von 
l'avant, là ou regardent déjà le peintre et ]a prinooSBo. Enfin 
deux groupes de deux personnages: l'un est en retrait, l'autro 
composé de nains, ellt au tout premier plan. Dans chaquo couJ1Ic, 
un personnage regarde en Iace, l'autre à droite ou à gaucho. 
Por lour position et. par leur taille, ces deux groupes se répondent 
et forment doublet: derrière, les courtisans (la femme, à gfluchc. 
regarde vers )a droite); devant, les nains (le garçon qui est li. 
l'extrême droite regardo li. l'intérieur du tableau). Cet ensemble 
de personnages, ainsi dispos6s, peut constituer, selon l'attention 
qu'on porte au tableau ou le centre do référence que l'on choisit, 
deux figures. L'une serait un grand X; nu {'oint supêrieul'gauche, 
il y aurait ]e J'egard du peintre, et à drolto celui du court.isau; 
à la pointe inférieure, du c6t6 gnuohe, il y a )e coin de la toile 
représentée à l'envers (plus exactement le pied du ohevaJet); 
du côté droit, le nain (sa chaussure pos6e Bur le dos du chien). 
Au croisement de ccs deux lignes, au centre de l'X, le regard 
de l'jnfante. L'au tre figure serait plut6t celle d'une vuste courbe; 
ses deux homes lIer"ient déterminées pal' le peintre li gllucbe ot le 
courtisan de droite - extrémités hautes et reculêes; ]e croux, 
beaucoup plui rapproché, coincider~t avec ]e visage de la 
princesse, et avec le regard que la duègne dirige vers lui. 
Cette ligne souple deslline une vasque, qui tout à ]a fois enserre 
et dégage, au milieu du tableau, l'emplacement du miroir. 
Il y Il donc doux centres qui peuvent organiser ]e tableau, 
selon que l'attention du spectateur pupiUote et s'attache ici 
ou là. La princesse se tient. debout. au milieu d'une croix de 
Sa.int-André qui tourne autour d'elle, avec le tourbillon des 
courtisans, des sWTIlntcs,. dos animaux et des boulions. Mais 
ce pivotement est ng6. Figé par un speot"cIe qui serclit absolu­ment 
invisible si ces mômes rCI'SonDag6B, 80uduin immobiles, 
n'ofJraient comme au creux d une coupe la pOllsibiliLéde regar­der 
au fond d'un miroir le double imprévu de leur contemplation. 
Dans le sens de ]a pro rondeur, la princesse se sul,erpose au 
miroir; dans celui de la hauteur, c'est le reflet qui se superpose 
au visage. Mais la perspective les rend très voisins l'un de l'autre. 
Or, de chacWl d'eux jaillit une ligne inévitable; l'une issuo du 
miroir !ranchit toute l'épaisseur repr6.'Ientée (et même davlln­tage 
puisque le miroir troue le mur du fond et rait nattre der­rière 
lui lU1 autre espace); l'autre est plus courte; elle vient du 
regard de l'enfant et ne traverse que le premier plan. Ces deu
29 
lignes sagittales sont convergnntell, selon un angle très aigu et 
le point de leur rencontre, jaillissant de la toile, se fixe à.l'!I."8Dt 
du tableau, là à peu près d'où nous le regardons. PoinL douteux 
puisque noull ne le vorons pas; point inévitable et par{l.Litement 
défini cependant pwqu'i1 est pl'flKCl'Ît par ces deux ligures 
mait.re~ses, et confirmé de plus par d'Bntres pointillés adjacents 
qui JiaiAsent du tablt'.8u ct. eux aussi s'ou échapl"mt.. 
Qu'y a-t-il enfin en ce lieu parfaitement inacefl5sillic puisqu'a 
ost 8xtéricur au tableau, mais prescrit par toutes IClIlignes de sa 
compusition? Quel est ce spectacle, qui sont ces visages qui se 
ruflèt.t:llt d'abord au fond des pnmellcs de l'inmnte, puis des 
courtisans et. du peintre, et finalement dans la clarté lQintaine 
du miroir? .Mltillla question aUllsittt se dédoublc : le visugo que 
réfléchit le miroir, c'cst également celui qui le contemple; ce 
CJUB rugardent tous les penonnages du tableau, ce sont aussi 
Dien lus persounages aux yeux de qui ils sont offerts comme une 
lIellne à contempler. Le tableau en Ion entier regarde une scène 
pour qui il est il son tour WJ6 scène. Pure réciprocité que mani­fc~ 
tc 10 miroir regardant et :regardé, et dont les deux moments 
sont d~nouêB aux deux angles du tableau : à gauche la. t.oile 
retoumée, par laquelle le point extérieur devient pur spectacle; 
à drolte le chien 8Uongé, seul6161D8nt du tableau qui ne regarde 
ni ne bouge, pal'ce qu'il n'e8't fait, avec Bes gros reliefs et la. 
lumière qui joue dans ses poils Boyeux, que pour être un objet 
à regarder. 
Ce spectllcle-en-regard, Je premier coup d'oeil sur le tableau 
noull a appris de quoi il est fait. Ce sont les souverains. On les 
devine déjà dans le regard respectueux de l'assistance, dans 
l'étonnement de l'enfant et des nains. On les reconwût, au 
bout du tableau, dans lcs deux petites silhouet.tes que fait 
miroiter la gla.ce. Au milieu de tous ces visages .ttentifs, d. 
tous ces corps parés, ils 50nt la plus pâle, la plus irréelle, la 
plus compr:ouüse de toutes les images : tDl mouvement, Wl 
peu de lumière sulliraient à les fam s'évanouir. De tous ces 
penunnages en représentation, ils sont 8,uSlli les plus négligea., 
car nul ne prBte attention à ce reOet qui se glisse derrière tout 
le monde et s'introduit silencieusement par un espace insoul" 
çunnê; dans la mesure où ils sont visibles, ils sont la forme la 
plus frêle et. la plus éloignée de toute réalité_ Inversement, dans 
la IDetiurc UlI, résidant à l'extérieur du tableau, ils soniretirés 
en une invisibilité essentielle, ils ordonnent autour d'eux toute 
la l'Cl'résentHtion; c'est la eux qu'on fait race, vers eux qu·on 
8e toume, il leurs veux qu·on pIisente la princesse dans sa 
l'obe de fêle; de 1. toile retoum6e la l'infute et de cene-ci au 
nain jouant à l'extr!me droite, une courbe se dessine (ou
30 
encore, la Lranche inférieure de l'X s'ouvre) pour ordonner ~ 
leur regard toute la disposition du tableau, et. faire apparaltre 
ainli le vérit.abl. centre de la composition auquel le regard de 
l'inranle et l'image dans le miroir lont finalement soumis. 
Ce ceutre est lIymboliquemeut souverain dans l'anecdote, 
l,uiNqu'il est occupé par le roi Philippe IV et son épou.'!e. Mais 
liurtollt, il l'ost par 1.11 triple l«mction qu'il occupe par rapport 
au tableau. En lui vieouent 8e luperposer exactement le regard 
du modble au moment où 011 le peint, celui du spectateur 
qui contempl6 la scène, et celui du peintre au moment où il 
compose Bon tableau (non paB celui qui est ."présent6, mais 
celui qui est. devant nous et dont nous parlons). Ce!! trois {onc­tions 
1 regardantes» BO confondent en un powt ext.êrieur au 
tableau: c'est-à-dire idéal par rapport li C6 qui est représenté, 
mais parlB.itement rêel puisque c'est. à partir d61ui que devient 
possible la représelltation. Dans cette réalité même, il ne J!eut 
pas no pas être invisible. Et cependant, cette réalité est projetée 
à l'intérieur du tableau, - projetêe et diffractée en troi& figures 
qui correspondent aux trois fonctions do ce point idéal et réeL 
Ce sont: à gauche le peintre avec sa palette 1t. la main (auto­portrait 
de l'auteur du tableau); Il droite le visiteur, un pied 
.ur la marche prllt 1t. entrer dans la piècei il prend à revers toute 
)a scène, wais vuit de face le couple royal, qui est le spectacle 
Jnêmoj au centre eDfw, le reRet du roi et de la reine, parés, 
iUJluobile6, dal1lS l'Iltt.itwle des modèles fatients. 
ReReL qui montre naïvement, et daus 1 ombre, ce que tout le 
Dlonde regarde au premillr plan. 11 rasti tue comme par.enchante­mont 
co qui manque à chaque regard : Il celui du peintre, le 
modèle que recopi6 là·bas sur le tableau son double représenté; 
Il cclui du l'oi, lion llorlrait qui s'achève Bur ce VIlr~nt de la 
toile qu'il ne peut percevoir d'où il esL; à celui du spectaLeur, 
le centre r6el de la soone, dont il a pri5 la. place comme pitt' 
etTraction. Mais peut-être, cette générosité du miroir est·elle 
feinte; peut·être cache·t·it autant et plu!! qu'il ne manifeste. 
La place où trône le roi avec son épouse est aUIlli bilW celle de 
l'arListe et celle du spectateur: ail fond dl1 miroir pou.rra.iellt 
apparaitre - devraient apparaître - le visage anonyme du 
pusant et celui de Vëlas'luezo Cal' la fOllction de ce reUet IlIIt 
d'attirer à l'intérieur du tableau ce qui lui est intimement 
iitrauger : le regard qui l'a. organisé et celui pour lequel il S8 
déploie. Mais parce qu'ils sont I-résents dans le tableau, ~ 
droite et à W'uche,l'artiste et le visiteur ne peuvent être logés 
dausie uairuir : tout comUle le roi appaTSlt au fond de la glace 
dalla la mOSUloe mllme où il u'appartient pel!! au tableau. 
DaDa la grande volute ql.l.i parcourait le Ilérjmètre de l'atelier,
31 
depuis Je regard du peintre. III l'MIelle et sa 1IIitin en arrêt 
iu~qu'aux tableaux achevés. la repr~sentatioD Dai5~aiL, ,'accom­plissnit 
pour se défaire à nouveau dans la lumière; le c)'cle était 
parfait. En revanche. les librnell qui traversent III prorondeur 
du tableau t'ont incomplètes; îlleur manque li toutes uue partie 
de leur trajet. Cette lacune est due il l'abselloo du roi,­absence 
qui est un artifice du peintl"e. Mais cel. art.ifice recouvre 
et désigne Will Tacance qui, elle, est illunédillLo : ceUe du 
peintre et du spectateur quand ils l'tIgardent ou composent le 
tableau. C'est que peut-être, eu ce tableau, comme en toute 
représentation dont il est pour ainsi dire l'e!l~el1ce manifestée, 
l'invisibilité profonde de ce qu'on voit est solidaire de l'invi­sibilité 
de celui qui voit, - malgré les miroirs, les reflets, les 
imitations, les portrcits. Tout autour de la scène sont déposés 
les signes et les formes 8uccessives de la. représentation; mais 
le double rapport de ]a repré~entation à son moùèle et à son 
souverain, à 80n auteur comme à celui à qui on en fait offrande, 
ce rapport est néce!l8airement interrompu. Jamais ill1e peut 
être présent BallS reste, fdt-ce dans une repré!lenta.tiou qui 10 
donnerait elle-même en apectacle. Dllns la profondeur qui tra­verse 
la toile, la creuse fict.ivement, et. III projette en a.vant 
d'elle-même, il n'est pali possible qUI! le pur bonheur de l'image 
oare jum,~i!; co pleine lumière le uudt.re qui représent.e et. le 
souverain qu'ou représente. 
Peut-être y a-t-il, daDa ce tableau de Vélasquez, comme la 
représentatioll de la représentation classiquo, et la définition 
de l'espace qu'elle OUV1"6. Elle entreprend en effet do s'y reprâ­Menter 
en tous ses élôments, avec ses Jmnges, les regards auxquels 
eUe s'offre, les visagp.5 qu'elle rend visibles, les geste:; qui la font 
naitre. Mais là, dans cette dispersion qu'elle recueil1e et étale 
tout. ensemble, un vide essentiel est impérieu.'emtmt indiqué de 
tOllt6S parts: ]a disparition néce.'1!Bire de ce q'lÙ la fonde, - de 
celui à qui elle ressemble et de celui /lUX yeux de qui elle n'est 
que re~semblance. Ce sujet même - qui est le même - ft été 
élidé. Et libre enfin de ce rapport qui l'eucbolnait.. lu représen­tation 
peut se donner comme pure repréllcnttl,l.ion.
CDAPITRB Il 
La prose du monds 
1. I.ES (lUATnE ~JMILITUDBII 
JU!lqll' h la fin du XVIe si~e1e, la rellscmbJanC6 a jou6 un rOle 
bâtisseur dans le lavoir de la culture occidentale. C'cst eUe qui 
a conduit pour une grande part l'exégèse et l'interprétation 
dts textll!i; c'est eUe qui a organisé le jeu des symbolos, fermil 
la connaissance des chailles visibles et invisibles, guidé 1 arL de 
les représenter. Le monde s'enroulait sur lui-même: la terre 
répétant le ciel, les vjsages Ile mirant clanliles étoiles, et l'herbe 
enveloppant dans ses tiges les secrets qui servaient à l'homme. 
La peinture imitait l'e~llace. Et la représentation - qu'elle fllt 
fête ou savoir - sc donnait comme répétition : théâtre de la 
vie ou miroir du mon do, c'était là le titre de tout langage, 
lia manière de s'annoncer et de formuler son droit à parler. 
Il faut nous arrltcr un peu en ce moment du temps où la 
ressemblance va dénouer son appartenance au savoir et dispa­rnltre, 
au moills pour une part, de l'horizon de la connaissance. 
A la fin du XTIB siècle, au début enco1'6 du X"'llB, comment la 
similitude litait-elle pensée? Comment pouvait-elle organiser les 
:figures du savoir? Et s'il est vrai que les choses qui se ressem.­blaient 
étllient en nombre infini, peut-on, du moinll, établir leI 
formes selon lesquelles il pouvait leul' arriver d'ètro semblables 
les unes aux autres? 
Le. trame s6muntique de la re!I!lembJance au XVIe siècle est 
lort riche: Amiaitia, Aequalitas (contraatw, C01l88I'1BUS, mahi­momum., 
lIociew, paz et 8imilia), COMonanna, Concenu., Comi­naum, 
Paritas,Proporl.w, SimiLiluclo, ConjunctilJ, Copulai. Et il 
y a encore bien d'autres notions qui, à la surfaee de la pens6e, 
.'entrecroisent, se chevauchent, se renforcent ou se limitent. 
1. P. Gregoire. SgnffUJtAJn GIf" mlrall"ia (CoIDSlle, 16101, p. 28.
33 
Qu'il suffise pour l'ÏJ~stant.d'indiquer 1~9 principales figures qui 
prescrivent leurs articulatlonl au savotr de la res!lemblanee. fi 
yen a quatre qui. 60nt, à coup a6r, essentielle. ... 
D'abord ]a con9tlnientia. A vrai dire le voisinage des lieux se 
trouve, par ce mot, plus fortement désigné que" la similitllde. 
SOllt • convenantes .lcs clloses qui, approchant l'une de l'autre, 
viennent à se jouxter; elles 80 touchent du bord, leurs franges 
sc mêlent, l'o:lrtmmit6 de l'une désigne le début de l'autre. 
Par là, le mouvement sc communique, les iuOuences et les 
passionl, les propriétés aussi. Do sorte qu'en cetto charnière 
des choses une ressemblance apparatt. Double dès qu'on eSliaie 
de la dém~ler : ressemblance du lieu, du site où la nature .. 
pIncé les deux choses, donc similitude des propriétés; car en ce 
contenant naturel qu'est 10 monde, le voisinage n'est pal une 
relation extérieure entre les ehoSCB, mais le signo d'une parenUt 
au moins obscure. Et puis de ee eontnet naissent par échange 
d~ nouvelles ressemblances; un régime commun s'imposo; à la 
similitude comme raison sourde du voisinnge, se superpose une 
re.'Isemblaneo qui es' l'ellet visible de la proximit6. L'Ame et 
le corps, par exemple, sont deux fois convenants: il a fallu que 
Je péché nit rendu l'âme 'paisse, lourde et tene.'Itre, pour que 
Dieu la placc au plus creux de la matière. Mais par ce vOlsinage, 
l'âme reçoit les mouvements du corp., et s'assimile à lui, tondis 
que« ]e COl'flS s'nIt ère ct se corrompt par les passions de l'âme 1 •• 
Dans la vaste syntaxe du monde, les êtrcs diJlérents s'ajustent 
les uns aux autres; la plante communique avec la bête, la 
terre a,vec la mer, l'homme avec tout ce qui l'entoure. La res­semblance 
impose des voisinages qui assurent à. leur tour des 
ressemblances. Le lieu et la similitude s'enchevêtrent: on voit 
pousser des mousses sur le dos des coquillages, des plantes daM 
la ramée des eerfs, des lIones d'herbes sur le visage dcs hommes; 
et l'étrange zoophyte juxtapose en les môlant les propriétés qui 
le rendent semblahle aussi bien à III plante qu'à l'animal •• 
Autant. de signes de convenance. 
La com'enientia est une ressemblance liée à J'espIlce dans la 
forme du c proche ou proche Il. Elle est de l'ordre de la conjono­lion 
et de l'ajustement. C'est pourquoi clIc Bppartient moins 
aux choses cUes-mAmos qu'au monde dans lerr.ue1 cnes 68 
trouvont. 1.0 monde, c'est la c convenance lt umve1'5elle dos 
choses; il y 8 autant de poissons dans l'eau qn~ sur la terre 
d'animnl1x ou d'objets produits par la nature ou les hommes 
(n'y a-t-il pas des poissons qui s'appellent Epi&copru, d'~utres 
J. G" POI'l:l, 1.a Ph!l.inRflmi~ humlJine (trad. françaIse, J6!;ti), p. 1. 
2. U. Aldru"Ulldl, MOll,r~um hi.roria rrJonolllo8, 1617), p. 663.
34 
CatlJna, d'aut.res PriapluP)j dans J'eau et Bur ]a Rurffll:e de la. 
terre, autaut d'êtres qu'il y en a dans le ciel, et auxquels ils 
répondent; enfin dans tout ce qui ellt créé. il '1 en a autant 
qu'on pourrait en trouver éminemment contenuB en Dieu, 
1 Semeur de l'Existence, du Pouvoir, de la Connai~~ance et de 
l'Amour 1 J. Ainsi par l'enchalnement de la ressemblance et de 
l'esJlace, par la force de cette convenance qui avoisine le 
semblable dt assimile les ,Proches, le monde forme chaîne avec 
lui-mème. En chaque pomt de contaçt oommence et finit un 
anneau qui ressemble au précêdent et ressemble au luivInt. 
et de cercles en ceroles los similitudes 8e poursuivent retenant 
les extrêmes dans leur distanco (Dieu et ia matière), les rappro­chant 
de manière que ]a volontô du Tout-Puissunt pénètril 
jusqu'aux ooinsles plus endormis. C'Ctit cette chaloe immense, 
tendue et vibrante, cette corde de la convenance qu'évoque 
Porta en un texte de fla M(Jgia naturerk : 1 Quant à l'égard de 
8& végétation, la plante convient avec la hète brute, et par 
aentimtlnt l'animal hruts.1 avec J'homme qui se conforme au 
reste des 1I.8tres par Bon intelligence; cette liaison procède tant 
proprement qu'elle aemble une corde tendue depuis la première 
cause jusqu'aux choses hasses et infimes, par une liaison réci­proque 
et continue; de sorte que la vertu IUpérieure épandant 
8es rayons viendra à ce point que ai on touche une extrémité 
d'icelle, elle tremblera et fer. mouvoir le reste 1 ». 
Ln seoonde forme de lIimilitude, C'61It l'aemulcJtio : une lIorte 
de convenance, mais qui lierait .tTranchie de la loi du lieu, et 
jouerait, immobile, dans la distance. Un peu comme si ]a 
connivence spatiale avait été rompue et que les anneaux de la 
chaîne, détachés, reproduisaient leurs cercleB, loin les uns des 
autres, selon une ressemblance sans contact. li y a dllDS l'ému· 
lation quelque chose du reflet et du miroir: par elle les choses 
dispersées à travers le monde se donnent réponse. De loin le 
-vÎ!;age est l'émule du ciel, et tout comme l'intelleat de l'homme 
reflète. imparfaitement, ]a sage.'1ge de Dieu, de même les deux 
yeux, avec leur elartfl bornée, réfléchissent la grande illumina· 
"tion que répandent, dans le ciel, le soleil et III lune; la bouche elll 
Véuus, pui~que par elle passentles baisers et]es paroles d'amour; 
le nez donne la minuscule image du sceptre de Jupiter et du 
caducée de :Mercure '. Par ce rapport d'émulation, les choses 
peuvent s'imiter d'un hout à l'autre de l'wûvera sans encha!­nement 
ni proximité: par sa réduplication r.n miroir, le monde 
abolit la dista.nce qui lui est propre; il triomphe par l!l.dulieu 
1. T. Gamponella, R~Qt!. phtlo.opflla (Francfort, 1623), p. 98. 
2. G. Porto, Magie flalure/ld (trad. trançaJie, ROUilll, 1650), p. 22. 
3. U. Aldl'QYlIudJ. Mo,,,lrorum hutoria, p. 3.
La pros6 du TnOIiM 35 
qui est donné à chaque chose. De ces reflets qui parcourent 
l'e9paoo, quels sont les premiers? Où ut ]a réalité, où est 
l'image projetée? Souvent il ~'est .pAS possible de le dire, cal' 
l'ému]atirlll est une sorte de gemelhté naturene des cho~esi elle 
Dait d'une pliure de l'être dont les deux côtéll, immédiatement, 
se font face. Paracelse compare ce redoublement fondamental 
du monde à l'image de deux jumeaux Il qui se ressemblent 
parfaitement, saD& qu'il soil possible l personne de dire lequel 
a apporté à l'autre sa similitude 1 •• 
Pourtant l'émulation ne laisse pas inertes, l'une en face de 
l'autre, les deux figures réfléchies qu'elle oppose. Il arrive que 
l'une soit ]a plus faible, et accueille la forte influence de celle qui 
vient. se refléter dans son miroir passif. Les étoiles De l'em­portent- 
elles pus sur les herbes de la terre, dont elles sont le 
modèle sons changement, la lorme inaltérable, et sur lesquelles 
il leur est donné de secrètement déverser toute la dynastie de 
leurs inf1uence~? La tel'l'e sombre est le miroir du eielsemé, mais 
en cette joute les deux rivaux ne sont ni de valeur ni de dignité 
éga.les. Les clnrtb de l'herbai 8ans violence, reproduisent la. 
fonne pure du ciel : Il Les étoiles, dit Crollius, 80nt la matrice 
de toutes les herbes et chaque étoile du oiel n'est qU6 la spiri­tuelle 
préfiguration d'une herbe, telle qu'elle la rer.résente, et 
tout ainsi que cllRque herbe ou plante est une étOIle terrestre 
regardant le ciel, de môme aussi chaque étoile est une plante 
céleste en forme spirituelle, laquelle n'est ditTérente des ter­restres 
que pal' la seule matière. .. , les plantes et les herbes 
célestes sont tournées du côté de la terre et regardent directe­ment 
les herbes qu'elles ont procréées, leur influant quelque 
vertu particulière 1 •. 
MalS il arrive aussi que la joute demeure ouverte, et que le 
calme miroir ne réfléchisse plus que l'image des « deux soldats 
irrités.. La ,-iroilitude devient alors le combat d'une forme 
c0!1tre une Rutre - ou plutôt d'wle même forme séparée de 
801 pal' le poids de]a matière ou la di&tanc6 des lieux. L'homme 
de Paracelse est, COlUlD6 le firmament, «coostellé d'ast.res •• 
mais il ne lui est pas lié comme Il le voleur aux gal(,rel5, le 
meurtrier à la roue, le poi85on au pêcheur, le gibier à celui qui 
le. chasse li •• n appartient ou firmament de l'homme d'être 
• h~re et pUISsant Il, de Il n'oMir fi. aucun ordre 1, de «n'être 
régi pOl' aucune des aut1'68 créatures •• SOIl ciel intérieur peut 
êt1'6 autonome et Ile reposer qu'en soi-même, mais à condition 
que par sa sagesse, qui est aussi savoir, il devienne semblable li. 
!. Pa1"1lC1!l186. Lllltr Prrramirum [lmd. Gril")l rie Givry, Pari~, 1!l13!, p. 3. 
~ Crllllhu:, Trailt d,. 6lgl/Qlllru (trad. Jr;uII;OIiee, Lyon, 1624), p. 18.
36 
l'ordre du monde, le reprenne on lui et fasse ainsi basculer dana 
Ion nrmament intemo celui où scintillent lOI visibles 6toiles. 
Alors, cette sagesse du miroir enveloppera en retour le monde 
où elle était pIncée; son grnnd annMU toW'llem jusqu'au fond 
du cie], et au-delà; l'homme décollvrira qu'il contient 1: los 
étoiles à l'intérieur de soi-mime ... , et qu'il porte ainsi 10 flmul .. 
ment avec toutes ses influences 1 1. 
L'êmIl1~tion se donne d'abord sous la forme d'un simple 
refiet, furtif, lointain; eUe parcourt en silence les espaces du 
Inonde. Mais la distance qu'elle franchit n'est pas annulée par 
sa subtile métaphore; elle demeure ouverte Jlour la. visibihté. 
Et dans ce duel, les deux figures affrontées s'emIl81'Cnt l'une 
de l'autre. Le sembllble enveloppe le semblable, qui li. Bon 
tour Je cerno, ~t peut-èlre sera-t-il à nouveau enveloppé, par 
un redoublement qui a le pouvoir de se poursuivre à l'infini. 
Los nnnellux de 1'6mulat,ion Deforment pas une chaine comme 
les éléments de la COJlVlmlUlCe : mais plut.ôt deI cercles concen­triques, 
réfléchis et rivaux. 
Trois.tème forme de similitude, l'analogie. Vieux concept 
familier dejb. à la science grecque et l la pensée médiévale, 
mais dont l'u!l8ge ost devenu probablement ditIérent. En celte 
analogie se superposent ooll96nienlÏB et aamulatw. Comme 
ceUe-ci, eUe assure le merveilleux affrontement des ressem­blances 
à tra.vers l'espace; mais ello parle, comme celle-là, 
d'ajustement.s, de liens et de jointure. Son pouvoir est immense, 
car les similitudes qu'elle traito ne sont pas celles, visibles, 
massives, des choses elles-mêmesj il suffit que ce soient les l'es" 
semLI~lIces plus subtiles des 1'8.pports. Ainsi a.llégée, elle Jleut 
tendre, il partir d'un même point, un nombre indMim do 
parentés. Le rapport, pal' exemple, des astres au ciel oia ils 
scintillent, on le retrouve aussi bien: de l'herbe à ]8 terre, des 
vivallts au globe qu'ils habitent, des minéraux et des diQmants 
aux roobers où ils sont enrouis, des organes des sens a.u visage 
qu'ils animent, des t.aches de 1. peau au corps qu'elles 
mOTq1lcnt Bocretemsnt. Une analogie peut aussi se retourner 
Bur elle-même sans litre pour autant contestée. La vieille ana­logie 
de ]a plante à l'animal (le végétal est UDS bête qui se tient 
]a têto en bas, la bouobe - ou les racmes - enfoncée daoa 1. 
terre), Césalpin ne la critique ni ne l'efface; il la reoforce au 
contraire, il la multiplie pal' eUe-même, lorsqu'il découvre que 
la plante, c'cst un animal debout, dont les principes nutritifs 
montent du bas vers le sommet, tout au long d'une tige qui 
.'étend comme un corps et s'a.chève par une tate, - bou'!uet, 
J. Paraoelac. loc. cU.
La pro., du monde 37 
Beurs, feuilles : .!appo~ inverlte, mais .non contradi.ct?Ïre, .avec 
l'analogie prema~re, qUI pla~e .la r~C1ne il la partae IDf~neure 
de la plante, 1/ tige hla partIe aUpél'leure. car chez les amma.ux, 
le r~eau veineux commence aWllli à la partie inférieure da 
ventre ot la veine principale monte vora le coeur et. la tête 1 .. 
CeLte rêversibilité, comme cette polyvalence, donne Ill· ...... 
logie Wl cbaDl~ universel d'application. Par elle, toutes los 
figures du mondo peuvent se rapprocher. n elÛste cependant, 
dans co~ ospace sillonné en toutes les direotiont, UD. point pri­vilégié 
: il est saturé d'analogies (chaeune peut y trouver l'un 
de ses points d'apInü) et, en paSl!ant par lui, les rapporta 
.'inversent SaDS s'alLérer. Ce point, o'est l'homme; il ost en 
proportion avec le ciel, comme aveo les animaux el. los plantes, 
commo Ilvec la terre, les métaux, les stalaotites ou los orages. 
Dressé entre les faces du monde, il a rapport au firmament (SOll 
visage ost. à 80n corps ce que la face du ciel est à l'éther; Ion 
pouls bat dans ses veine.'!, oomme les astres circulent selon 
leurs voies I,ropres; les sept ouvertures formcnt dans son visage 
ce quo lIont les sept planètes du ciel); mais tous ces rapporls, 
il les fllit basculer, et on les retrouve, similairlls. dans l'analogie 
de l'animal humain avec la terre qu'il habite: la ehair est ulle 
globe, ses os des rochers, ses veines de grllndsfleuves; sa ...· 6S:!ie. 
o'ost. la mer, et ses sept membres principaux, les sept métaux 
qui sc cac}leot au Iond des nüoes a. Le corps de l'homme est 
toujours la moitié possible d'lUl atlas universel. On" sait com­ment 
Pierre Belon a tracé. et. jusque dans le détail, la première 
plauche comparée du squelette hwnain et de celui des oiseaux: 
on y vôit • l'aileron nommé apptmwx qui est on proportion en 
l'aile, au lieu du }Jouce en la maiu; l'extrémité de l'aileron qui 
Cl!t comme les doigts en nous ... ; l'os dODIlé pour jambes aux 
OIseaux correspondant à notre talon; tout ainlii qu'avoDs ([uatre 
orteils es pieds, ainsi les oiseaux ont quatre doigts desquels 
celui de derrière est donné en proportion comme le gros orteil 
en DOUS 1 •• Tant de proeillion n'6IIt anatomitt comparée que 
pour un reganl armé des connaissances du XIX! siècle. li se 
trouve que la grille à travers laquelle nous laissons venir 
jUS(lU:à notre savoir les figl1l'es de la ressemblance. recoupe eD 
ce pomt (et. presque en ce seul point) celle qu'avait disposée 
sur les ChOS6S le savoir du XVIe siècle 
1t!~ili. J~ d~cr!pt.ion de Belon ne relève li vrai dire que de la 
POSltiVJ~ qUl 1 a rendue, à son époque possible. Elle n'cs't ni 
plus rationnolle, ni plus scientüique que telle observation d'Al- 
I. C~~lpin, De pl/Jn/ï. lillri XVI ()583). 
2. CloWus. TI'aitt du "gllaluru, p. 88. 
3. P. Belon, m,loi,.. de III 1I/IItU'I du olleaUII (PUll, 1555), p. 37.
38 LM mot. et le. chOlltlll 
drovandi, lorsqu'il compare le!! parties basses de l'homme aux 
lieux infeota du monde," l'Enfer, à ses ténèbres, aux damn6s 
qui lIont. commo les excréments de l'Univers 1; elle appartient Il 
la même cosmographio analogique que]. comparaison, classique 
à l'époque de Crollius, entre l'apoplexie et la tempête: l'orage 
commonce quand l'air s'alourdit et s'agite, la crise au moment 
où lcs pensées deviennent lourdel, inquiète6; puis les nuages 
s'amonccUent, le ventre sc goufle, le tonnol'l'O éclate et la vessie 
se rompt; les éclairs fulIUÎnent tandis que los yeux brillent 
d'un éclat terrible, la pluie tombe, )a boucho écume, la loudre 
se déchaîne tandis que les esprits font éclater la peau; mais 
voilà que le temps redeviont clair ct que la raison se rétablit 
chez le malade 1. L'espace des analogies est au fond un espace 
de ra)'onnemwt. Do toutes parts, l'homme ert concerné par 
lui; mais ce même hornmo, inversement, transmet les ressem­blances 
qu'il reçoit du monde. n est le grand foyer des pro­portions, 
-la centre où les rapporta viennent s'appuyer et 
d'où ile sont rllfléchis Il nouveau. 
Enfin la quatrième fonne de ressemblance est assurée par 
le jeu dcsll1Jmpalhiu. Là nul chemin n'est déterminé à l'avance, 
nullo distance n'est 8upposée, nul enchalnement prescrit. La 
sympathie joue à l'~tat libre dans leli profondeurs dLL monde. 
Elle parcourt en un instant les espaces les plus vastes : de la 
planète à l'homme qu'elle régit, la sympathie tomba de loin 
comme la foudre; eUe pCLLt naltre au contraÏro d'un seul contact, 
- comme ces l' roses de deuil et d6Squtlllcs on S8 sera servi 
aux obsèques JI, qui, par 10 seul voisinage de Jn mort, rendront 
toute personne qui en respire le parfume triste etmourante a •• 
:Mail tel est son pouvoir qu'elle ne 80 contente pas de jaillir 
d'un unique contact et de parcourir les espaces; elle suscite 
le mouvement des choses dans le monde et provoqne Je rappro­chement 
des plua diatantes. Elle est principe de mobilité: eUe 
.ttire los lourds vers ln lourdeur du sol, et les légers V01'S l'éther 
sana poids; elle pousse les racines vers 1'eau, et eUe fait virer avec 
la courbe du soleil )a grande fleur ja.une du tourneso). Bion plus, 
en attirant les choses les unes vers les autres par un mouve­ment 
extérieur ct viSlole, elle suscite en secret un mouvemont 
intérieur, - un déplacement des qualités qui prennent la relève 
]es unes des autres: ]e feu parce qu'il elt chaud et léger s'élève 
dans l'air, vers lequel ses flammes inlassablement se dressent; 
mais il perd sa propre sécheresse (qui l'apparentait à la terre) 
et acquiert ainsi uue humidité (qui le li. Il l'eau et 11 l'air); il 
1. Aldrovanùi, MonllrOf'um "',(orla, p. 4. 
2. Crolllui. l'ralf~ du ,ignolUrll. p. 87. 
3. G. PorLa, Magie nl1lunJlt. p. 72.
dirlpurllit. alors en 16g~re vap-:ur. en fum~e bleue, en nuage: i! 
est duvellu air. La sympat.lllll ~t. une mstance du M,J.".. Il 
forte eL !.Ii pressante qu'dle nB le content.e pas ~'~l~ u~e ~'I 
fnrmcs du semblable; tille a le dangereux pouvOIr d asa,m,"', 
de rendre les cho!1C5 idunt.iques letI.ulI~l!.aux ~ut.rell,delesm6Ier, 
do lill faire di:!paraitre. elL leur. llldlVldualité, --:- donc de lea 
rendre ét.rangè~ à cc qu c1~. ..'1. 1 éL~lent. L~ sympathie transforme. 
Ellc ultère, IDIIIS, dal,ls Iii tbrecLIQIL de Ildentlque,. de .so~le que 
si sun Jlouvoir n éta1t pus bnlnnc6, le monde tie redwralt • un 
poinl, li une m~ssc h01:nogèn~, li la morue fi~e ~u MAIne: 
toutes fies parties se tllmdraJont et. cOIlUnumqucr&J8nt. entre 
elles I!iUlS rupture ni dist.ance, «:omBle ces chl1tncs de métal 
sUSl1tlodues par sympa t. h·l e a" l"a t.ttrance d'u n seu lR'i man1t . 
C'Clit pourquoi la sympathie est compens6e pal' sa figure 
jwoclle, l'ant.ipathie. Celle-ci maintient. les choses en leur isole· 
Illimt et. empêche l'assimilation; Illle enferme chaque espèce 
daos 8a dilIérence obstiDéc et Sil propension li. persévérer en C6 
qu't:lle t:st : c Il e!lt assez connu que les plantt'.5 ont haine entl'e 
ellt!s ... on dit que l'olive et]a vigne baient le chou; le concombre 
fuit l'olive ... Entendu qu'elles croiueot par III ch.Ieurduaoleil 
et l'humeur de la terre, il est. nécessaire que tout arbre opaque 
et. épais soit. pernicieux aux autres et aWisi celui qui a plulieun 
racines l ». Ainsi li. l'infini, à travers le temps, les êtres dUlDonde 
Ile )uw-ont. et cont.re toute sympathie DUlintit!ndront leur féroce 
appétit. f[ Le rat. d'Iude est pernicieux au crocodile cm: Nature 
le lui a donné pour ennemi; de sorle que lorsque ce violent. 
s'égaie au solt:il, il lui drelille embûche et flness8 mortelle; 
apercevaut que le crocodile, endormi en ses délices dort la 
gueule bée, il entre par là et se coule par le large gosier dans 
le venue d'icelui, duquel rongtlUllt Ills entrailles, il sort eafin 
par le venue de la bête occitie. , Maill li son tour les ennemis 
du rat le guettent car il est en discord avec l'araignée, et 
! comb~t.tant. souventes lois avec l'aspic, il meurt J. Par ce 
leu de l'antipathie qui lCII dispCl"sc, mais tout autant les attire 
nu co,!,bal, les rend Inllurtrières et. les expose li. leur tour li. la 
mort, il se trouve que les choses et les Mtcs et toutes les figures 
du monde dt:meurtmt ce qu'elles sont. 
L'identité des choses, le fait qu'elles peuvent ressembler aux 
autres et Il' a pprocher d'elles, mais sans s'y engloutir et en prieer­vunt. 
leursingularitê,-c'cstle ba.lancementconstantdelaaym­pnt~ 
le et de l'antipathie qui en répond. n explique que le. cho/lel 
crOissent, se d6veloppent, le mélanpnt, dispara.illient, meure ... t 
~. G. PorLa, /I1l'lflit narurotlle, p. 72 
2. J. Cardan, De la "'II/Ili/. (&rad. frBDGlllHo PuIs, 166ti), p. 164.
40 
mais indMiniment se retrouvent; bref, qu'il y ait un espace 
(qui pourtant n'est JM'S sans repère ni répétition, sans havre 
.le similitude) et un temps (qui pourtant laisse r6aPPfrallre 
ind6finiment les mi!rnes figures, les mêmes espèces, les mllmcs 
éléments). c Conlbien que d'cux-mêmes lell quatre corps (etlu, 
.ir, feu, terre) soient simples ct ayant leurs qualités distinctes, 
toutefois d'autant que le Créateur Il ordulUlé que des éléments 
Dlêlés aeront composés les corps élémentaires, voilà pourquoi 
leun convenances et discordances lont remarquables, ce qui 
ae conna.U par leurs qualités. L'élément du feu est chaud et see; 
il a donc antipathie aveo ceux de l'eltu qui est froide et humide. 
L'air chaud est hwnide,la terre lroide esL sèc:hc, c'est antipathie. 
Pour les Ilccorder,l'air a été mis entre le feu et l'eau, l'eau entre 
la terre et l'air. En tant que l'air cat chaud, il voisine bien avec 
le feu et son llllmiùiLé s'accommode avec celle de l'eau. Derechef, 
pour ce que son humidité est tomJlérlic, elle modère la chaleur 
du feu et on reçoit aide aussi, comme d'autre part par sa chaleur 
mMiocre, il attiMit la froidure humide de l'cau. L'humidité 
de l'cau C!lt chauffée par la chaleur de l'air et soulage la froide 
aécherc!ise de la terre 1 •• La souveraineté du couple sympathie­antipathie, 
le mouvement et la dispersion qu'il prescrit donnent 
liou à toutes les formes .de ressemblaDce. Ainsi se trouvent 
reprises et expliquées les trois premières similitudes. Tout le 
volume du monde, tous les voisinages de la convenaQce, tuus 
les échos de l'émulation, tous Ills encha.tnements de l'analogie 
sont supportés, maintenus et doublés par cet espace de la 
sympa.tbie et de l'antipathie qui ne ceue de rapprocher les 
choses et de les tenir à distance. l)ar ce jeu, le monde demeure 
identique; les ressemblances continuent à être ce qu'elles sont, 
et. k Ile ressembler. Le même relile le mtime, et verrouillé SUI' 
lOI. 
IL LBS SIGIU.TURBS 
Et pourtant le système n'est pus clos. Une ouvorture 
demeure : par elle, tout le jeu des ftlSsomblances risquerait 
de s'échapper il lui·m~me, ou de domeurer dans la nuit, IIi 
une figure nouvelle de la similitude ne venait achever le cercle, 
-le l'Cndre à la fois parfait ct manireste. 
COnlll!Runtia, tu1mulnlio, analogie et 81JmpalAr.e noU!! disent 
1. S. G. 5., Annolaflon. GII Grrllld l.firoir du MOI/III! d, Ducll,.n" p. 498.
La pr088 du moRd. 
comment le monde doit se replier BtU' lui-mOrne, 80 redoubler, se 
réOécJ!ir ou s'enchaîner pour que les ohoses puissent 8C ressem­bler. 
Elles nous disent les chemins de III similitude et par où 
ils passcut; non là où clic est, ni comment on la voit, Di il quelle 
marque un la recollnaît. Or, peut-être DOUS arrivernÎt-ii do 
traveI'licr tout ce loi:lonnement merveilleux des ressemblances, 
snn!l même nous douter qu'il est préparé depuis longtemps par 
l'ordre du monde, et pour notre plus ~and bienfait. Pour 
savoir que l'aconit guérit D08 maladies d'yeux ou que ]a noix 
pilée uvce de l't:sprit de vin so.igne les maux ~e tête, il faut. bic!l 
qu'unc.marque nous en ~vertlsse : sans .quol.ce se~!et rest.c~R1t 
indëfimmllut en sommeil. Sauralt-on lamaIS qu il y a d un 
hommc à sa plauèlo un rapport de gémellité ou de joute, s'il 
D'Y avait sur son corps et parmi les rides de son visage, le signe 
qu'il est rival de Mars ou apparenté li. S.tW'ne? n faut que les 
similitudus eillouies soient signlliéeli à la 8W'face des choses; il 
est bc!;oin d'Wle marque visible des analogies invisible!. 'l'uute 
ressembluIlce n'est-elle pas, d'un même cuup, ce qui Cllt. le 
plus manifeste ct cc qui est. le mi"ux caché? Elle n'est. pas eOI1lVo­s6e 
en etTet dc morceaux juxtaposés, -les UllS identiques, IIlI 
autres difJércnts : elle est. d'un 8eul ttlnant une similitude qu'oD 
voit ou qu'on ne voit. pas. Elle serait dono sans oriLère, s'il 
n'y avait en eUe - ou au-dessus ou li. 0616 - un blêment d. 
dëci:;ion qui transforme son scintillement douteux cn claire 
certitllde. 
TI n'y a pas de ressemblance sllns signature. Le monde du 
similaire ne peut être qu'un monde marqu6. c Ce n'est pas la 
volonté de Dieu, dit. Paracelse, que ce qu'il crée pour le bénéfice 
de l'homme et ce qu'il lui a donné demeure caché •.• Et même 
s'il a caché certaines choses, il n'a rien laissé sans signes exté­rieurs 
et visibles avec des marques spéciales - tout comme un 
homme qui Il enterré un trésor en marque l'endroit aûn qu'il 
puisse ]e retrouver 1 li. Le savoir des liimilitudes se fonde SUl' 
le relevé de CCI signatures et sur leur déchiffrement. Inutile 
~e s'arrêter à l'écorce des plantes pour connaître leur nature; 
li .faut a~er droit à leW'8 marques, - c li. l'ombre et image de 
Dlcu qu ellt:s portent 011 à la vertu inteme, laquelle leW' Il 
été donnée du ciel comme par dot naturel, ••• vertu, dia-je, 
Inque~le se reconnult plutOt par la signature S Il. Le syst.ème 
des SIgnatures renverse le rapport du visible à l'invisible. La 
ressemblance l:tait la forme invisible de ce qui, du fond du 
monde, rtmùait 165 choses visibles; mais pour que cet.te forme 
t. 1 •• Paraet<I>e, Die " Bû~l/~r d~r Na!uflJ Ruum (CEuuru, 6<1. SuhdorlJ. 
IX, p. 313). 
2. CrulliuJI, TruiU de • • ignQluru, p. 4.
à Bon tour vienne jusqu'à la lumlère, il faut une figure visible 
qui la tire de sa profonde invisibilité. C'est pourquoi le visage 
du monde est couvert de bla~ons, de caractères, de chiUre8, 
de mots obscurs, - de c hiéroglyphes Il, doeait Turner. Et l'es­pace 
des immédiates ressemblances devient. comme Wl grand 
livre ouvert; il est hérissé do graphismes; on voit tout au long 
de la page des figures étrangea qui s'entrecroisent et. parfoia 
8e répètent. li n'est plus que de les déchitrrer : c N'est-il pas 
vrai que loutes Jes herbes, plantes, arbres et autres, provenant 
deI entrailles de la terre 80nt autant de livres et de signes 
magiques 11. Le grand miroir calme au fond duquel les choses 
Be miraient et se renvoyaient, l'une l'autre, leurs images, cst 
en réalité tout bruissant de paroles. Les reflets muets sont 
doublés par dos mots qui les indiquent. Et pal' la grâce d'une 
demièrc fOl'IDe de ressemblance qUI enveloppe toutes ies autres 
et les enferme en un cercle unique, le monde peut se comparer 
l un homme qui parle: « de même que les secrets mouvements 
de lion entendement sont manilestés par la voix, de même ne 
semble-t-i! pas que le.' herbes parlent au curieux médecin par 
leur signat.ure, lui découvrant .•• leurs vertus intérieures cacllées 
80US le voile du silence de la nature 1 1. 
Mais il faut s'attarder un peu sur ce langage lui-môme. Sur 
les signes dont il est formé. Sur la manière dont ces !;igncs ren­voient 
à ce qu'ils indiquent. 
li y a sympathie entre l'aconit et les yeux. Celte alflnité 
imprévue resterait dans l'ombre, B'il n'y avait sur la plante 
une Biguature, une marque et comrue un mot dislmt qu'elle 
est bonne pour les Jnüllldies des yeux. Ce signe, il est parlai­tement. 
lisib]e dans ses graines: ce sont de ~etits globes sombres 
onchAssés duns dos pel1ioules blanche!!, qUI figurent il peu près 
ce que )09 paupières sont aux yeux 1. De même pour l'affinité 
de la noix et de ]a tête; ce qui guérit • les plaies du pMi­crAne 
J, o'est l'épaisse écorce verte qui repose sur les 09 - sur 
]a coquille - du fmit : mais les maux intérieurs de la tête lIont 
prêvilnus par le noysu lui-même 1 qui montre tout à fait le 
cerveau 4. Il. Le signe de l'affmité, et ce qui la rend visible, c'est 
tout simplement l'analogie; le chiffre de la sympathie réside 
dans la proportion. 
Maia la proportion elle-même, quelle signature portera-t-elle 
pour qu'il soit possible de la recollIlsU.re? Comment pourrait-on 
1. Crolllus, Traité du BignolurU, p. 6. 
2. Id., ibid., p. 6. 
S. Id., ibid., p. 3:'!. 
4. Id., Il/id., p. 33-34.
lA. pro" du monde 
savoir que les pli. de la main ou )81 rides du front de8Binea.t 
sur le corps dos hommea ce que sont los penchants, les accidente 
ou les traverses dans le grand tissu de la vie? Sinon parce que 
la sympathie fait communiquer le corps et le ciel, et transmet 
10 mouvement des elanêtes aux aventul'eS des hommes. Sinon 
aussi parce que la ~l'Ièveté d'une ligne~flètel'image sim~led'une 
vie courte, le croisement de deux plis, )a rencontre d UD ob .. 
taclo, le mouvement ascendut d'une ride, la montée d'un 
homme vors le succès. La largeur est signe de richesse et d'im­portance; 
la continuité marque la fortune, la. dillcontinuit6 
l'infortune 1. La. grande analogie du corps et du dftstÏD est 
signée par tout le Iystème des miroirs et des attirances. Ce 
sont les sympathies et les émuiatioDS qui sigoaJllnt)es analo­gies. 
Quont lI.1'6mulat.ion, on peut la recoIlllattre li. l'analogie.: lOI 
yeux sont dos étoiles parce qu'ill répandent la Inmière sor le8 
vi9ages comme les ast.res dans l'obscurité, et parce que lea 
aveugles sont dana 10 monde comme les olainroynnts au pIns 
sombre de la nuit. On pout la reoonnattre aussi à la convenance: 
on finit, depuis les Grecs, que les animaux forts et courageux 
ont l'extrémité des nlembres large et bien développéo comme 
ai leur vigueur s'était communiquée aux parties les plus loin­roines 
de leur corps. De la même façon, 10 visage et ln main de 
l'homme porteront la l'OSSomblaneo de l'lÎmo li. laquelle ils lont 
joints. La reconnllissanco des similitudes les plus visibles se fait 
donc sur fond d'une découverte qui est celle de la conTenance deI 
choses entre elles. Et si l'on songe maÎnteoant que la conveoance 
n'est (l8S toujours définie par une localisation actuelle, mais 
q11C bien des êtres se conviennent qui Bont séparéa (comme il 
arrive entre la maladie et BOU remède, entre l'homme et Bea 
astres, entre la pIaule et le sol dont elle a besoin), il va falloir 
à Jlouveau Wl Bigne de la convenance. Or, quelle autre marque 
y n-t-il que deux choses sont. rune à. l'autre encbafnées, sinoll 
qu'elles s'attirent réciproquement, comme le soleil la Deur du 
tounle!!ol ou comme l'eau la pOUIlle du concombre " sinon qu'il 
y a entre eUes affinité eL comme sympathie? 
Ailllli le cercle se ferme. On voit cependant pal' quel système 
de redoublements. Les ressemblances exigent une signature, car 
~upe d'entre elles ne pourrait être remarquée ai elle n'était 
lislhlement marquée. Mois quels sont ces signes? A quoi recOn­na! 
t·on parmi tous les aspects du monde, et tant de 6gures 
qui s'entrecroisent, qu'il y a ici un caractère auquel il convient. 
1. J. CardYD, Mj/opolCupr,l (6d. de 1858), p. 111-.111. 
2. Ilacon, HI.lolr. IItI/urdle (!.rad. Inncalu J881), p. 221
de 8'8~ter, parce qu'il indique une secrète et essentielle rel­semblunce? 
Quclle forme constitue le Bigne dans sa singulière 
valeur de signe? - C'est la ressemblance. n signifie dans la 
mesure où il a ressemblance avec ce qu'il indique (e'est-li·dire 
l1. une similitude). Mais il n'est pas cependant l'homologie qu'il 
signale; car son être distinct dc signature s'etJllcerait dans le 
visuge dont il cst Bigne; il ut une autre re9semblance, une 
similitude voisine et d'un autre type qui sert à reconnettre la pre­mière, 
maia qui est décelée à son tour par une troisième. Toute 
resl:ieolLlllIlce reçoit uoe signa.ture; mll,is cette signature n'est 
qu'wie forme mitoyellDe de ]a même ressemblance. Si bien que 
l'ensemble des ruarques fait glisser, sur le cercle de:5 similitudes. 
un second cercle qui redouhlel1lit exactement et point par point 
le premier, n'était ce petit décalage qui lait que le signe de III 
sympathie réside dans l'analogie, celui del'ana.logie dalls l'ému­lation, 
celui de l'émulation dans la convenance, qui requiert 
à son tour pour être reconnue ]a marque de la sympathie .•• 
Ln signature et ce qu'elle dlisigne sont exactement de même 
nature; ils n'obéissent qu'à une loi de wllt.riliution dilIérent.e; 
le découpage est le même. 
Forme lIignante et forme signlle sont dos ressemblances, maÎII 
d'à cÔté. Et c'est en cela Mns doute que ]a ressemhhlDce dana 
Je savoir du XVIe .iècle est ce qu'il y a de plus universel; k 
la (ois ce qu'il y a de pIns visible, mais qu'on doit cependant 
chercher li. découvrir, car c'est le plus cacM; ce qui détermine 
la .forme de I~ connaissance (car on ne connatt qu'en suivant 
Jes cbeIuins de la similitude), et ce qui lui garantit ]a richesse 
du son contenu (ClU', dès· qu'on soulève ]el signes et qu'on 
regarde ce qu'illl indiquent, on laisse venir au jour et étinceler 
duns lI8 propre IUIlIièl'e la Ressemblance elle-même). 
Apvelons herméneutique l'ensemble des counaissance! et des 
techniquetl qui permettt:Jlt de faire parler les signes et de décou­vrir 
leur sellS; appeloD8 séuliologie l'eu~emble des connais­sances 
et des teclmiques qui permettent de di:stillguer où sont 
les signcs, de d6finir ce qui les institue cUlwue Bigues. de con· 
naître leurs liens et les lois de leur enchaInement: le XVII! siècle 
Il lIuperposé sémiologie et herméneutique dans la furme de la 
similitude. Chercher le senll, c'est mettre au jour ce qui se res­semble. 
Chercher la loi des sigues, c'est découvrir les cboses 
qui sont semblables. La grawmaire de~ êtres, c'est leur exégèse. 
Et le langage qu'ils parlent nll raconte l'jeu d'autre que la syo­taxe 
qui le!! lie, La. nnture des choses, leur coexÏi!tence, l'en­chaiuement 
qui les attache et par quoi elletl communiquent, 
n'est pas différente de leur resseinblllulle. Et celle-ci n'aIlparai 
que dam le rëseau de. signes qui, d'Ull bout à l'autre, parcourt
45 
le monde. La c nature J est prise dans la mince ép&i5scur qui 
tient, l'uue au-deBSu! de l'autre, semiologie et herméneutique; 
elle u'e5t mystérieuse et voilée. eUe ne s'offre à la connaissance. 
CI."'eUe déroute parfois, que dans la mesure où cette luperpo!ii­tlOn 
ne va pas sans un léger décalage des ressemblances. Du coup, 
)a grille u'est pas claire; la transparence se trouve brouillée 
dès lu pnmuère donne. Un espace sombre apparlÙt qu'il va 
falloir progresHivemeut éclairer. C'est Il qu'est. la c nature J et 
c'est cela qu'il faut. ,'employer li. connaît.re. Tout. serait.immudiat 
et évidlmt si l'herm~ueu tique de la rell!ieuaLlauce et la sémiologie 
des signat.ures çoÜlcidaient Slins la. luoilldre oscillation. Mais 
parce qu'il '1 a Wl c crau J ent.re lfi similitudei qui forment 
graphisme et ceUes qui forment. discours, le savoir et lion labour 
infini reçoivtmt là l'elipace qui leur est propre: ils auront li 
.illonner cetta dillt.uuce en allant. par un z.l~a~ indélini, du 
8emblable il co qui lui est semùlable. 
Ilf. LES LUUTIl8 DU MONDB 
Telle est, dllns son esquisse la plus générale, l"pütémè du 
XVIe siècle. Cette configuration emporte avec soi un certain 
nombre de conséquences. 
Et d'abord le caractère li la. fois plét.horique et absolument 
pauvre de ce savoir. Pléthorique puisqu'il est illimité. La res­semblance 
ne reste jllllUlÎs stable en elle-même; eDe n'est fixée 
que si elle renvoie Il une autre similitude, qui en app"lle à 8011 
tour de nouvelles; de sorte que chll.que rell~UÙJlance n8 vaut 
que par l'accwnulation de toutes lei autr!:I, et que 10 monde 
entier doit être parcouru pour que la plus uUnc8 des analogies 
soit justifiée, et apparaisse enfiu çomllle certaine. C'est douo 
un savoir qui pourra, qui devra procéder par entassement 
infini de coumwations s'appelant lCII un8li les autres. Et pal' 
lA, dè.'1 ses fondations, ce savoir sera lIabluJmeux. La soulo forme 
de liaison poti~ible entre les éléments du savoir, c'ost l'addition. 
De là ces immenses çoloones, de là Illur monotonie. En posant 
comme lien entre le Bigne et ce qu'il indique la ressemblance 
(il la fois tierce puiiisance et pouvOIr unique puisqu'elle habite de 
la même façon la marque et le contenu), le savoir du XVIe siècle 
l'e~t condamn6 la. ne connattl"6 wujours que la même chose, 
malS la. ne III connnttre qu'an terme jamais atteint d'un parcoun 
indéfini.
46 Le. moLt et les eh06ll' 
Et c'est III que fonctionne la catligorie, trop illustre, du 
miorocosme. Cette vieille Dotion a IaIlS doute été ranimée, II 
traveN le Moyen Age et dès le début de la Renaissnnce, pIlr 
une certaine tradition néo-platonicienne. Mais eUe a fini par 
jouer au XVIe siècle un l'Ôle fondamental dans le savoir. Peu 
importe qu'elle soit, ou Don, commo on disait jadis, vision du 
monde ou Weltanschauung. En fait, elle a une ou plutôt deux: 
fonctions très precises dans la conflgurationépistémologique de 
cette époque. Comme catAgori8 de pens/Je, elle applique à tous 
les domaines de la nature le jeu dos rC88emblancos redoublécs; 
elle garantit à l'investigat.ion quo chaque chose trouvera sur 
wle plus grande échelle son miroi,. et 60n assurallce macrocos­mique; 
eUe affirme en retour que l'ordre visible des sphères les 
plu8 hautes vieudra se mirer dans la profondeur plus sombre 
de la terre. Mais entendue comme t!(Jnfiguration glnémlo de la 
nature, elle pose des limites réelles, ct pour ainsi diretangiblc8, 
au chtllnincment inlassable des similitudes qui se relaient. Elle 
indique qu'il existe un grand monde et que lion périmètre trace 
la limite de toutes les choses créées; qu'à l'autre extrémité, il 
existe unn créature de privilège qui reproduit, dans ses dimen­sions 
restreintes, l'ordre immense du ciel, des astres, des mon­tagncs, 
des rivières et des orllbreSj et que c'est eutre les limites 
efTectives de cetto analogie constitutive que se déploie le jeu 
des ressemblances. Par ce fait. même, la distance du microcosme 
a.u macrocosme ft beau être immense, elle n'est pas infinie; le. 
etres qui y séjournent ont beau êt.re nombreux, ou pourrait à. 
la limite les compterj et par consliquent 18s similitudes qui, 
par le jeu des signes qu'e11cs exigent, s'appuient toujours les 
unes sur les autres, ne risquent plus de s'enfuir indéfiniment. 
Elles ont, pour s'appuyer et se renforcer, un domaine parfaite­ment 
cl08. La. nature, comme jeu des signes et des r6ssem­blucos, 
se referme sur elle'Blême selon la figure redoublée du 
cosmos. 
Il faut douc se garder d'inverser les rapports. Sans aucun 
doute, l'idée dll microcosme est, comme on dit,lIimportantea 
au XVIe siècle; parmi tOlltes les formulations qu'une enqu~te 
pourrait recenser, eUe serait probablement l'une des plus fré­quentes. 
Mais il ne s'agit pas ici d'uue 6tude d'opinions, que 
seule une analyse statistique du matériau éel'it permett.rait de 
mener. Si en revanche, 011 iutorroge le Bavoir dll xv.' siècle à 
Ion niveau srchéologique - c'est-à-dire daDs ce qui l'a rendu 
possible -, les rapports du macrocosme et du. microcosme 
apparaissent comme un "imp1e elIet de surface. Ce n'est pas 
parce qu'on croyait li. de tels rapporLli '{"'on s'est mis à rech61'­cher 
toutes les analogies du monde. MalS il y aTHit au coeur dll
47 
I!avoir une nécessité: illalJait ajuster l'infinie richesse d'une 
ressemblance introduite en tiers entre les signes et leur sen!!, et 
la monotonie qui imposait le même découpage de la rcssem­hlance 
nu signifiant et à ce qu'il désignait. Duns une épüU"" 
où signes et similitudes l'enroulaient réciproquement selo11 UDe 
volute qui n'avait pas de term." il rallait bieu qU'OD pensât 
dans Je rapport. du microcosme au macrocollme la garantie de 
co savoir et 10 terme de sou épanchement. 
Par la même néoossité, ce savoir devait accueillir Il la fois et 
sur le même plan magie ot érudition. Il nous semble que les 
connaissances du XVIII siècle étaillnt const.ituées d'Wl mélange 
instable de savoir rationnel, de notions dérivées des pratiques 
de la magie, et de tout un héritage culturel dont la redécouverte 
des textes anciens avait multiplié les pouvoirs d'autorité. Ainsi 
conçue, la science de cette époque apparatt dotéo d'uoe struc­ture 
faible; elle De serait que le lieu 1ibêral d'un affrontement 
entre la fid6lité aux Anciens, le gotlt pour le mel'Veilltlux, et 
une attention déjà éveillée sur cette !louvcraine rationalité en 
laquelle nOU5 nous reconnaissons. Et cette époque trilobéo le 
réfl6chirait au miroir de chaque oeuvre et de chaque esprit 
partagé ... En fait ce n'est pas d'une insuffisance de structure 
que loutlre le savoir du XVI- siècle. Nous avons vu, au contraire, 
combien sont mêticuleUlles les coniigurations qui défmissent 
80n espace. C'cst cette rigueur qui impose le rapport à ]a magie 
et à l'érudition - non pas contenus acceptés, mais formes 
requises. Le monde est couvert de signes qu'il faut déch~firerJ 
et ces signes, qui révèlent des rc8l!lemblances et dei affinités, 
ne Bont eux-mêmes que des fonnes de la similitude. Connaître 
sers donc intcrpréter : aller de la marque visihle l ce qui se dit 
il travers elle, et demeurerait, !!ans eUe, parole muette, ensom­meillée 
dans les choacs. 1 Nou!! autres hommos nous découvrons 
tout ce qui est caché dans les montagnes par des signes et des 
correspondances extérieure,; et c'cst ainsi que nous trouvons 
tOhtcs les propriétés des herbes et tout ce qui est dans lei 
pierre.~. n n'y a rien dans la profondeur des mers, rien dans 1" 
hauteurl du firmament que l'homme ne loit eapllhle de découvrir. 
n n'y a pas de montagne qui loit assez ... aste pour cacher au 
l"!g&rd de l'homme ce qu'il y .. en ene; cela lui est :r6v61ê par des 
81gnes correspondants 1 _. La divination n'est pas UDe forme 
concurrente de la connaissance; elle fait corps avec Ja connais­sance 
elle-même. Or, ces signes qu'on interprète ne dé!ignent le 
caché qne dans la mesure ort ils lui r8uemblent; et on n'agira 
pas !Ul" les marques saDS op&er en m8me temps !IUt ce qui est, 
1. PUBcel!e • .Arclaidod. DHlgicG (lrad. franÇ8ll1ft. 11109), p. 21-23.
par eUes, secrètement indiqué. C'est pourquoi les JJhtut.es qui 
représClnteut.la tête, ou les yeux, ou le coeur, ou le foie auront 
ellicllcit.6 sur un organe; c'est pourquoi les bôt.es ellermêm". 
lierunL BCnliibles aux marqueR qui lC8 désignent. « Dis-moi dlmo, 
demande Paracelse, pourquoi Je serpent en Helvét.ie, Algorie, 
Suédie comprend les mots grecs Osy, 08ya, Oay ... Duus quelles 
açadémies lUIi out-ils appris pour qUEl, )e mot à peine eutllndu, 
ils retournent. aussitôt. leur queue, afin de ne pas l'ent.endre d. 
Douveau? A peine ont-il. ouï le mot, Donobstan leur Dat.ure et 
leur esprit, ils relltent immobiles, et n'empoisonnent perlionne 
de leur blessure venimeulle 1. Et qu'on nt disc pliS que C'CIlt. l~ 
eeulement. relIef. du bruit. des mots prononcés : 1 Si tu écris, 
en temps favorable, ces seules paroles sur du vélin, du parc:he­min, 
du papier, et que tu les imposes au serpent, celui-ci ne 
restera pas moins immobile que ai tu les avais articulées Il 
haute voix 1. Le projet. des «Magies naturelles., qui occupe 
une large placo ilIa fin du xv.' siècle et s'avance tard encore 
en plein milieu du XVlle, n'ea;t. pas un efTet résiduel dans la 
conscience européenne; il a été ressuscité - comme le dit 
expresllément campanella 1 - et. pOUl' des raisons contempo­l'sines 
: pa,rce que Ja configurat.ion fondamentale du savoir ren­voyait 
les unes aux autres Jea marques et les .ùoilitudes. La. 
forme magique était inhérente ilIa manière de conDaUre. 
Et par le fait môme l'érudition: car, dans le trésor que DOUS 
• transmis l'Antiquité, Je Jangage vaut comlUe le Bigne des 
cboses. Il D'y a pas de différence entre ces marques visibles Il.ue 
Dieu a déposées Bur la surface de 111 terre, pOUl' noua en 11tU'fJ 
coDDait.re les secrets intérieurs, et lesmot8 lisiblcs que l'Écriture, 
ou los sageli de· l'Antiquité, qui on~ été éclairés par une divine 
lumière, ODt dépolié!> en ces livres que la tradition ft sauvés. Le 
rapport. aux textes eIIt de même nature que le rapport aux 
cholles; ici eL là, ce BODt dea signes qu'on relève.l(ais Dieu pour 
exercor notre sagesae n'a semé la nature que de figures lA 
déchifTrer (et c'est en ce BeDS que la connai~S8nce doit être 
di",natio), tandis que los Anciens ont donné déjà des interpréta­t. 
ions que nous n'llVOnll plus qu'à recueillir_ Que nous devrions 
BCulement recueillir, s'il ne fallait apprendre leur langue, lire 
leurs textes, comprendre ce qu'ila 01! dit.. L'héritage de l'Anti­quité 
est comme la naturo ~l1e-luGme, un va61.e espace à inter­préter; 
ici et là il faut relever des signes et peu li peu lei faire 
parler. En d'autres termes, Divinatw et Eruaitio sont. Wle même 
herméneutique. Mais elle 90 développe, Belon des figures sem­blables, 
à deux niveaux différents : l'unu VIl de la marque 
1. T. Camanellll, D.,1I/J8U mu", d ma,ia (Fl'lnc:rorL, 1620J.
49 
muette lA la OhOM el1e-mêmc (et elle fnit pnrler la natu1'e); 
l'autre va du grapbismeimmohile à la claire parole (elle redonne 
vie nux. langages CD sommeil). Mais tout comme les signes 
naturels sont liés li. ce qu'ils indiquent par le profond rapport 
de ressemblance, de même le di!!cours des Anciens est à l'image 
de ce qu'il énonce; s'il a pour nous la valeur d'un signe pré­cieux, 
c'est purce que, du Cond de SOn être, et par la lumière qui 
n'a cessé de le traverser depuis sa naissance, il est ajusté aux 
cboscs m~mes, il en {orme le miroir et l'émulation; il cst lA la 
vérité étemelle ce que les signes sont aux secrets de la nature 
(il est. de cette parole la marque à déchilIrcr); il a, avec les choses 
qu'il dévoile, une aflinité sa us âge. Inutile, dODC, de lui deman­der 
~on titre d'uutorité; il est UD trésor de signes liés par simi­litude 
à ce qu'ils peuvent désigner. La seule différence, c'est 
qu'il s'agit d'un trésor au second degré, renvoyant aux Dotll­tiODS 
de la nature, qui, ellcs, indiquent obscurément l'or fin des 
choses elIe!l-mêmes. Ln vérité do toutes ces marques - qu'elles 
traversent la nature, ou qu'elles s'alignent SUl' les parchomins et 
dans ]u bihliothèques - est panout ln même: aussi a1'Chnique 
que l'institution de Dieu. 
Entre les mArques et les mots, il n'y a pal! ]a différence de 
l'observation à l'autorité acc~ptée, ou du vérifiable à la tradi­tion. 
n D'y a partout qu'un même jeu, celui du signe et du simi­laire, 
et c'est. pourquoi la nature et le yerhe peuvent s'ennecroi­sel' 
à l'infini, formant pour qui sait lire comme un grand texte 
unique. 
IV. L'tCRITURB DES cnOSBS 
. Au XVIe siècle, le langage réel n'est pas un ensemble de 5Ïgnes 
1ndêllend8nts, uniforme et lisse 011 les choses 'viendraient se 
refl~tep comme dans un miroir pour y énoncer une à une leUJ' 
vérIté singulière. n est plutôt chose opaque, mystérieuse, 
re~e1'Dléc sur elle-même, masse fragmentée et de point en point 
éwgrnatique, qui se mèle ici ou là aux figures du monde, et 
l'enchevêtre à elles : tant et si bien que, toutes ensembles, 
~Ues fonnent un réseau de marques où chacune peut jouer, et 
Joue en ~fTet, par rapport à toulesles autres, le rÔle de contenu 
o~ de Slgne, de secret ou d'imlicatÎolI. Dans son être brut et. 
hlS~oriqlle du XVIe silcle, le langage D'cst pas un système arbi­traIre; 
JI est déposé dans le monde et il en {ait. partie à la fois
50 
parce que les choses elles-mêmes cachent et manifestent leur 
6nigmo comme un langage, et parce que les mots se proposent 
aux hommes comme des choses à déchiffrer_ La grande méta­phore 
du livre qu'on ouvre, qu'on épeUe et qu'on li~ pour 
connnttre la nature, n'est que l'envers visible d'un autre trana­fert, 
beaucoup plus profond, qui contraint le langage à rêsider 
du cô~~ du monde, parmi les plantes. les herbes. les pierres e 
lei anunaux. 
Le langage fait partie de la grande distribution de. simili­tudes 
et des signatures. Par conséquent il doit être étudié lui­nlême 
comme une chose de nature. Ses éléments ont, comme les 
animaux, les plantes ou les étoiles, leurs lois d'affinité et de 
convenance, leurs analogies obli~ées. Ramus divisait sa gram­maire 
en deux parties. La prcJDlère était consacrée à l'étymo­logie, 
ce qui ne vout pas dire qu'on y cherchait le sens origi­naire 
des mou, maia bien les c propriétés» intrinsèques des 
Ict.treR, des syllabell, enfin dell mots entiers. La scconde partio 
tl'aitait de la f!YDt8xe : son propos était d'enseigner c le bâti­ment 
des mots entre eux par leurs propriétés l, et elle consistait 
c presque leulement en convenance et mutuelle communion des 
propriétés, comme du nom a~e le nom ou avec le verbe, de 
l'adverbe avec tOUI mots auxquels il est adjoint, dela conjonc­tion 
en l'ordre des choses conjointes 1 li. Le langage n'est pas ce 
qu'il est parce qu'il a uo sens; BOO contenu représentatif, qui 
aura tant d'importance pour les grammairiens du xvue et du 
xvm8 siècle qu'il servira de fil directeur il leurs anal)'lle8,n'a 
pas ici de rOle là jouer. Les mots groupent des syllabes, et les 
syllabes des lettres puree qu'il y 8, déJH!5êes en celles-ci, des 
vortus qui les ropprocbcn1j e1; 10a dll!joigneol, exactement 
commo dans le monde les marques s'opposent ou s'attirent les 
unes les autres. L'étude de la grammaire repose, au XVIe sièole, 
sur la même disposition épistémologique IJUB la soience de la 
nature ou les disciplines ésotériques. Seules diJTêrences : il y a 
une nature et plusieurs langues; et dans l'és~térisme les pro­priétés 
des mots, des syllabes et des lettres sont découvertes 
par un autre discours, qui, lui, demeure secret, alors que daDs 
la grammaire, ce sont les mots et les phrases de tous les jours 
qui énoncent d'eux-mêmes leurs propriétés. Le langage est à 
mi-chemin entre leI figures visibles de la nature et les conve­DIUlC8S 
secrètes des discours ésotéciques. C'est une nature mor­celée, 
divisée con~re elle-même et altérée qui a perdu sa traDB­puence 
première; c'est un secret qui porte Bn lui, mais II 1& 
surface, les marques déohillrabl611 de ce qu'il veut dire. n est 
1. P. namui. Grummain (paril, lin). p. 3 et p. 125-1'28.
51 
lA la loisl-évélltioll enrouie et révélation qui peu à peu se l'e~titl1e 
daJls une clart6 montante. 
Sous sa forme première, quand il fut donné aux hommee 
par Diou lui-même, le langage ét.ait un signe des cllOse! abaolu­ment 
certain et tran~paront, parce qll'il leur restiemblait. Les 
Iloms etuient déposés sur ce qu'ils désignaient, comme la force 
est écrite dans le corps du lion,]a royauté dllDs le regard de 
l'aigle, cooune l'influence des planètes est marquée sur le front 
des hommes: par la forme de la similitude. Cette transparence 
Iut détruite il Babel pour la punition de8 hommes. Lei langues 
ne furent séparées les unes des autres et ne devinrent. incompa­tibles 
que dans la mesure 01'1 fut efTacOe d'abord cette l'eII­semblance 
aux choses qui avait été ]a première raison d'ûtre du 
langage. TouLesleti langues que nous connaissons, DOUS De Ica 
parlons maintenant que sur fond de r,ettc similitude perdue, et 
dans l'espace qu'eUe a laissé vide. Il D'y a qu'une langue qui 
en garde la m6moire, parce qu'elle dérive tout droit de ce 
premier vocabulaire maintenant oublié; parce que Dieu n'a 
pas voulu que le ohâtiment de Babel échappe au souvenir des 
hommes; parce que cette langue a dllaervÎr à raconter la vieille 
Alliance de Diell avec Bon peuple; parce qu'enfin c'est dan a 
cette langue que Dieu s'es1 adressé à ceux qui l'écoutaient. 
L'hébreu porte dono, comme des débris, leI> marques de la 
nomination première. Et ceB mots qu'Adam avait prononcés 
en les imposant aux animaux, ils sont demeurés, au mows en 
partie, emportant avec eux daDs leur 6.1?Rislleur, comme un 
fragment de silvoir silencieux, les proprIétés immobiles des 
êtres: 1 Ainsi la cigogne tant louée à çause de la cbarité envers 
ses pères et mères est appelée en hébreu Chaaida, c'est-à-dire 
débonnaire, charitable, douée de pitié ... Le cheval nommé Su.. 
est estimé du verbe Hastu, si plutôt ce verbe n'en est dérivE, 
qui signifie s'élever, car entre tous les animaux li quatre pieds, 
cestui-Ià. elt fier et brave, comme Job]e décrit au chapitre 391 •• 
Mais ce ne 1I0nt plWl là que des monwnents fragmentaires; les 
Butres langues ont perdu ccs lIimilitudes radicales, que seul 
l'hébreu conserve pour montrer qu'il a été jadis ]a langue 
commune à Dieu, à Adam, et aux animaux de la première terre. 
Mais ai le langage ne ressemble plus immédiatement aux 
choses.qu'il Dommo, il n'est pas pour autut. séparé du monde; 
il CQnt~ue, sous une autre forme, à être Je lieu des révélatioDs 
et à Iaue partie de l'espRce où la vérjté, à la fois, se maoifeste 
d~ I:é~onee. Certes, il n'est plll!~ ]a nature dans sa visibilité 
OrIgme, mais il n'est pas non plus un wstrument. mystéritlux 
J. Couda Durel, Trûor d, rlllllolre da '.nllllU (Cologne, 1613), p. 40.
62 
dont quetques-uo8 seutement, privilégiés, connatt1'llient les pou· 
voirs. n e~t'plutôt la figure d'un monde en train de se racheter 
et !le mettant enfm à l'écoute de la vraie parole. C'est pourquoi 
Dieu a voulu que le latill, langage de son église, se répande sur 
tout le globe terrestre. C'est pourquoi tous les langages du 
monùe tels qu'on a pu les commUre grâce à celte conquête 
forment ensemble l'image de la vél'ité.L'e5paco oùilssed6ploient 
et leur enchevêtrement libèrent le signe du. monde sauvé, tout 
comDle la dillposition des premiers noms ressemblllicnt aux: 
cboses que Dieu avait. mises au service d'Adam. Claude Duret. 
fait remarquer que les Hébreux, les Cananéens, los Samaritains, 
les Chaldéens, les Syriens, les Égypt.ien!!, lcs Puniques, les 
Carthagilloi~, les Arabes, 1f'.!I Sarrasins, les 'furcs, les Mores, les 
Persans, les 1'01'101'05 écrivlmt de droite à gauche, suivant ainsi 
c le cours ct mouvement journal du premier ciel, qui est très 
parfuit, suivnnt l'opinion du grand Aristote, approchnnt de 
l'unité.; Ics Grecs, les Georgioniens, les :Maronites, les Jaco­bites, 
les Cophtitcs, les Tzervinns, les P01.TlonienR, et bien sar 
les LntÎJl8 ct tous les Européens, écrivent de gauche à droite, 
suivant c le eou1'9 et mouvement du deuxième ciel, ensemble 
des sept planètes Il; les Indiens, Cathaios, Chinois, Japonais, 
écrivent de haut en ha!!, conformément à 4C l'ordr~ de la nature, 
laquelle a donné aux hommes la tête baute et les pieds bas 1; 
c au rebours des susdits Il, les Mexicains écrivent $oit de bas en 
baut,soit en c lignes spirales, telles que le soleil les fait panon 
cours anuuel sllr le Zodiaque •• Et ainsi ft pa.r ces cinq diverse. 
aortes d'écrire les secreh et mystères de la croisée du monde et 
de la forme de la croix, emiemble de la rotondité du ciel et de 
la terre, 5011l proprement. dénotées et exprimées 1 JI. Les langue. 
lont avec le monde dans un rapport d'analolZie plus lJ.Ue de 
lignificatioo; ou plut.ôt. leur valeur ùe signe et reur fonctIon de 
redoublement se superposent; elles ùisent.le ciel et la terre dont 
ellcs sont l'imogcj eUes reproduisent dans leur architecture la 
plus matérielle la croix dont elles almonccnt l'avènement, - 
cet av~ncment qui il Bon tour s'établit par l'~criture et la 
Parole. Il y ft une fonction symbolique daos le langage: mais 
depuis te dé.'1llstre de Babel il ne faut plus ]a chercher - à de 
rares exceptions près t - dans les mots eux· mêmes mai!! bien 
dans l'existence même du langage, dans son l'apport total à la 
totalité du monde, dan!! l'entrecroisement de son espace avec 
les lieux ct les figures du cosmos. 
J. D,m't, loc. cil. 
2. G~II~r, daUII Mi'''rlda',,,, clt. évidemment, mals 6. tt1'9 d'oxcepLioD 
lei Dnomalopl:cs (2° éd. Tlgurt, 1610. p. 3·t).
lA prOB' du monda 53 
De là la forme du projet oncyolop6dique, toI qu'il appnratt 
à la fm du XVIe siècle ou dans les premières ann~es rIu siècle 
suivant: Don pu refléter ce qu'on sait dans l'élément neutre du 
langnge -l'U!l~ge de J'alph?het co~me ordre encyclopédique 
arbitraire, ruaIs elTIcuce, .n npparultra que dans la seconde 
lnoitié du XVllU siècle 1_, mlli!l reconstituer par l'encbainement 
des mots et par leur disposition dans l'espace l'ordre même du 
lOonde. C'est ce projet qu'on trouve chez Grégoire dans son 
SyrltnToeon artis mimbÏlü (1610), chez Alstedius avec son 
EnC1jcJopfwilia (1630); ou encore ehez ce Christophe de Savigny 
(Tabr.P.a" da 101U lBs am lwtfraux) qui parvient à 8pati~Liser ICI 
connai!SnnCtlS à la fois lelon la forme cosmique, immobile et 
pal'faitc du cercle, et ceUe, sublunaire, périssable, multiple, et 
dÏ.j~ée de l'arbre; on le retrouve al1ssi chez La Croix riu Maine 
qui imagine un csrHlce à 111 fooe d'Encyclopédie et de Biblio­thèrtue 
qlli permettrait do disposer 16s textes écrits !lelon les 
figures du voisinage, dels parenté, de l'analogie et de la Bubor­dina. 
tion fIlle prescrit le monde lui-môme 1. De toute façon un 
tel entrela.cement du langage et des choses, dans un espace qui 
leur serait commun, suppose lm privilège absolu de l'écriture. 
Ce privilège a dominé toute la Renaissance, et sllns doute 
a-t-il été un des grands événements de la eulture occidentale. 
L'imprimerie, l'arrivée en Europe des manuscrits orientaux, 
l'apparition d'une littérature qui n'était plus faite pour la voix 
ou la rcpré~entation ni commandée par ellel', le pal' donné à 
l'interprétation des textes religieux sur la tradition et le magis­tère 
de l'Église - tout cela témoigne, sans qu'on puisse faire 
la part des effets et des causes, do la place fondamentale prise, 
en Occident, par l'Écrit.ure. Lelanbrage a désormais poUl' nature 
première d'être écrit. Les 50ns de la vuix n'en forment que la 
traduction trausitoire et précaire. Ce que Dieu a déposé danl 
le monde, oe sont. des mots écrits; Adam, lorsqu'il a imposé 
leurs prenùers Doms aux bêtes, D'U fait que lire ces marquel 
vÏ!lihles et silencicusn.'l; la Loi a été confiée à des Tables, non 
pas à la m6moire des hommes; et la vraie Parole, c'est. flans un 
livre qu'il faut la retrouver. Yigenère et Duret 1 disaient. l'un 
et l:autrc - et en termes à peu près identicptes - quI' récrit 
aVlut toujours précëdé le parlé, certainement dans la nature, 
1. Sml' pour 11's InngllP1l, plll~'1"e l 'alphllhrL CS~ le matériau du langage. 
cr. le chaplLro Il du Mil/lriclcrlt'3 de G1!~neJ'. I.A première Ilnr.yr:l0llédie alpha­bHltlue 
e~l le Gmnd D(cllollflulra hÜl!H'iqlle do Moreri (16701). 
2. 1.8 Croix du Mo.lnc, Lei c~lIIs BufTas puur dmlU' une blbllol"~qu. 
porfnile (1583). 
D 3. Blul", de Vigl'n~re, TraiM deI chifT"'" (PAri!, 1587), p. 1 et ? Claude 
urel, TrtMI' de j'AiRoire du (u/lgur., p. 19 et 20.
54 
peut·être même dans le savoir des hommès. Car il se pourrait 
bien qu'avant Babel, qu'avant le Déluge, il y ait Cil une f!c1'Ïture 
composée des marques mêmes de la. na.ture, si bien que ces 
cnractères auraient eu pouvoir d'agir directement sur lea 
ohoses, de les attirer 011 de les repousse!', de figurer ItmN prfr 
priétés, leurs vertus et leurs sccret.'1. Ecriture primitivement 
naturelle, dont peut·êt.re (!erL~ins savoil's ésotériques, et la 
cabale BU premier chd, ont conservé la mémoire dispersée et 
tentent do ressaisir les Jlouvoirs depuis longtemps eudormis. 
L'êsotérifime QU XVIe siècle est un phénomène J.'{n:rit.ure, non 
de parole. En tout cas, celle-ci est dépouillée de ses pouvoirs; 
elle n'est, disent Vigenère et Duret, quela l'urt [emelle du lan­gage, 
comme son inellcct pas~i{; l'ECriture llle, O'eiit l'intelleot 
agent, le c principe môlo» du langage. Elle seule déLient la 
vérité. 
Cette primauté de l'éCl'it explique ]a présence jumelle de 
deux formes qui sont indis.'1ociobles dnnsle savoir du XV~ siècle, 
malgré leur opposition Apparente. TI s'agit d'abord de ]a non­distinction 
entre ce qu'on voit ct ce qu'on lit. entre l'obsct'V6 
et le rapporté, donc de la constitution d'une nappe uniC'(Ue et 
li85e où le l'egard et ]e lanp:age s'entrecroisent li. l'infini; et il 
s'agit auslii, à l'inverse, de la dis!lociation immédiate de tout 
langage que dédouble, sans jamais aucun terme allsignable, le 
ressal1semeut du commentaire. 
Bufioll, un jour, s'étonnera qu'on puisse trouver chez un 
naturaliste comme Aldrovandi un mélange inext.ricable de des­criptions 
exaotes. de citatiolls rapportées, de fables sans cri­tique, 
de remllrques portant iodiJIéremment lIur l'anatomie, les 
blasons, l'habitat, les valeurs mythologiques d'un animal, sur 
les usages qu'on peut en faire dans la médecine 011 dans III 
magie. Et en effet, 100"Squ'on se reporte à l'Historia 86rpemam 
et drlJCOnum, on voit le chapitre, DI1 Serpent en général. se 
déployer selon les rubriques suivantes: équivoque (c'est-à-dire 
les différent.'1 sens du mot ilerpent.), synonymes et étymologies, 
différence!!, forme et description, anatomie, nature et moeurs, 
tempérament, coït et génération, voix, mouvements, lieux, 
nourriture, physionomie, antipa.thie, sympathie, modes rie CRp· 
ture, mort et blessures par le serpent, modes et signes de l'em­poisonuernent, 
remèdes, épithètes, dénominations, prodi"'es et 
présages, Jllonstres, mythologie, dieux auxquels il est cor:;acré, 
apologues, allégories et mystères, hiéroglyphes, emblèmes et 
symboles, adages, monuaies, miracles, énigmes, devises, signes 
héraldiques, faits historiques, songes, simulacres et IItatues, 
usages dans la nourriture, usages daus la médecine, UlSgeS 
divers. Et Buffon de dite: cqu'on juge après cela quelle pOl"-
55 
tion d'histoire naturelle on peut trouver danll tout ce fatras 
d'écriture. Tout cela n'est pal description. maie légende ». 
En effet, pour Aldrovandi et ses contemporains, tout cela est 
~genda - cho~ei li. lire. M.is 1. raison n'en est pas qu'on pré­fèr8l'a~ 
torjté des hommes li. l'exactitude d'un regard non pré­venu 
mais c'est que la nature, en elle-même, est un t.issu ioin­terru: 
Opu de mots et de marques, de récits et de caractml, de 
discourlô et. de formes. Qwmd on a à faire l'hutoir~ d'un animal, 
inutile et impossible de choisir entre le métier de naturaliste 
et celui de compilattlur : il faut recueillir danl une seule et 
mêwe lorme du !lavoir tout ce qui a ,té PU et entendu, tout 
cc qui B été rar.ontA par la nature ou les hommes, par le langage 
du monde, des traditione ou des poètes. COnDailre une bête, 
ou UDe plante, ou une chose quelconque de la terre, c'est recueil­lir 
toute l'épaisse couche des signes qui ont pu être dépollés en 
eUes ou lur ellesi c'est retrouver BWlSi toutBS les coustellationl 
de formes où ils prennent valeur do blason. AldrovBndÎ n"tait 
ni meilleur ni pire obsenateul' que Buffon; il n'était pas plua 
crédule que lui, ni moins attaohé ilIa fid61it6 du regard ou li. la 
rationalité ùes choses. Simplement BOn regard n'était. {Jas lié 
aux cbosea par le même système, ni la même dispositIOn de 
l'~pûUmi. Aldrovandi, lui, contemplait méticuleusement une 
nature qui élait, de fond en comble, écrite. 
Savoir CODliite donc à rapporter du langage Il du langage. 
A restituer la grande plaine uniforme des mots et des cbolBs. A. 
tout faire parler. C'~lt-lI.-d.ire à faire naltre au-de!1Sus de toutes 
les marques le ditlcours second du commentaire. Le propre du 
tiBvoir u'est ni de voq. ni de démontrer, mais d'interpréter. 
Commentuire de l',Éçrjture, conunentaUe des Anciens, commen­taire 
ce qu'ont rapporté les voyageurs, commentaire des légendes 
et d8li fables: 00 ne demande pas à. chacun de ces discours qu'on 
interprète son droit à énoncer une vérité; on ne requiert de lui 
que la possibilité de parler sor lui. Le langage. en lui-même 
~OD principe intérieur de :pro1il6ration. c Il y • plus à faire l 
lIlterpriter lca interprétations qu'à interpréter la chosee; et 
p1?-B de livres SUI' les livres ~e Bor tout autre sujet; DOW! ne 
fa~8,!ns Cl}'e nous entregloser ». Ce n'eet point Ill. le comtat de 
fall~te d une culture ensevelie sous ses propres monuments; 
lllalS l!l définition d~ rapport inévitable que le langage du 
XVI" Siècle entretenait avec lui-même. D'un côté. ce rapport 
permet un moutonnement fi l'infini du langage qui ne cessI! de 
se déve!opper, de se reprendre, et de faire chevaucher ses formel! 
sUCCeSS1VCs. Pour la première fois peut-atre dane 1. culture 
1. Montaigne, B,ICIÛ, Uv. III, chlp Xlii.
56 
occidentale se découvre cette dimension absolument ouverte 
d'un. langage qui ne peut plus s'arrêter, parce que, jamais 
enclos dans UIle parole définitive, il n'énonoora 6a vérité que 
dans un discours futur, tout entier COJlSDCré à dire ce qu'i! 
Bum dit; mais ce discours lui-même ne détient pas le pouvoir 
de s'arrêter sur soi, et ce qu'il dit, il l'enferme COlnme une 
promosse, léguée encore à un autre discours... La tAche du 
commontaire, par définition, ne peut jamais èl.re acbevée. 
Et pourtant le cODUlaenlaire est tout entier tourné vers la 
part énigmatique, murmurée, qui se caohe dans le langage 
commenté : il fait uatt.re au· dessous du discours existant, un 
autrc discours, plus fondamental et comme «plus JIl'tnniot'» 
qu'il se donne pour tâche de restituer. Il n'y a commentaire 
que si, au-dessous du langage qu'on lit et déchilTre, court la 
souveraineté d'un Texte primitif. Et c'est ce texte qui, en 
fondant le commentaire, lui promet comme récompense sa 
découverte finale. Si bien que la prolifération nécessaire de 
l'exégèse est mesurée, idéalement limitée, et pourtant sons 
cesse animée par ce règne silencieux. Le IllDgage du XVIe siècle 
- entendu non pas comme un épisode dans l'histoire de la 
langue, mais comme une expérience cultureUe globale - s'est 
trouvé pris sans doute dans ce jeu, dant; cet int.erstice entre le 
Texte premier et l'infini de l'Interprétation. On parle sur loud 
d'une écriture qui fait corps avec le monde; on parle à l'infini 
sur eUe, et cbacun de ses signes devient à son tour écriture pour 
de nouveaux discours; mais chaque discours s'adresse il celte 
prime êcritW'8 dont il promet et décale en même temps le 
retour. 
On voit que l'expérience du langage 8pportiont au même 
J'éSClau archéologique que la connaissance des obosils de III 
nature. Connattre c~s choses, c'était déceler le système des 
J'ellsemblnnces qui les rendaient proches et solidaires les uneti 
des Butres; mais on ne pouvait relever les similitudes que dans 
la mesure où un ensemble de signes, à leur surface, formait. le 
texte d'une indication. péremptoire. Or, ces signes eux-mêmes 
n'étaient qu"un jeu de ressemblances, et ils renvoya.ient il la 
tâche infime, nécessairement macbevée de cooosÎtre le simila ire. 
Le langage, de In même façon, mais il un renversement près, 
se donne pour tâche de restituer un discours absolument pre­mier, 
mais il ne peut. l'énoncer qu'en.l'approcLant, en essayant 
de dire à Ion propos des choses semblables à lui, et en faisant 
Dallre ainsi à l'infini les fidélités voismes et similaires de l'in­terprétation. 
Le commentaire ressemble indéfiniment. il ce qu'il 
commente et qu'il ne peut jamais énoncer; tout cUWJoe Je 
IiavQir de la nature trou~e toujOur8 de nouveaux liigooe à la
La prOIe du monde 57 
ressemblance Jlarc~ que la n:ssemblau08 ne peut ~tre connue 
par elle-même, mms que lOB sagous De peuvent être autre choSI! 
que des similitudes. Et de même que 08 jeu infini de la nature 
trouV(: SOIl lien, SB forme et sa limitation dans le rapport du 
JnÎcrocoslI1e au macrocosme, de la mOrne façon la tAohe infinie 
du commeutuire 9C rassure par la promesse d'un texte eiTec­tivement 
bcrit. que l'interprétation un jour riv61cra 8n Bon 
entier. 
v. L'ATRB DU LA.I'IG.AGB 
Depuis le stoïcisme, le système des signes dans Je monde 
occidental avait lité ternaire, pUÏlSqU'Oll y reconnais!lait le 
signifiant, le signifi6 et la te conjoncture Il (le WnOE'VQ'I). A 
partir du xvne siècle, en revancbe, la disposition des signes 
deviendra. binaire, puisqu'on la définira, avec Port-Royal, par 
la liaison d'un signifiant et d'un signifié. A la Renaissance, 
l'organisation est différento, et. beaucoup plus complexej elle 
est ternlire, puisqu'clic fait appel au domaine formel des 
marques, au contenu qui se trouve signalé par elles, et aux 
similitudes qui lient les marques aux. choses déllignêes; mais 
comme la ressemblance est aussi bien la forme des signOl que 
leur contenu, les trois é16ments distincts de cotte diatribut.ioJ1 
Ile résolvent en une figure unique. 
Cette disposition, avec le jeu qu'elle autorise, 8eretrouve, mais 
inversée, da.ns l'expérience du langage. En elIet, celui-oi existe 
d'abord, eu. Ion être brut et primitif, sous ]a forme silDple, 
matérielle, d'une écriture, d'un stigmate sur ]08 ohoses, d'une 
!Darquo répandue par le monde et qui fait panie de 80S plus 
lndIaçables figures. En un sens, cette couche du langage est 
unique et ablOlue. Mais elle fait nattre aussitôt deux autres 
formes de discours qui se trouvent l'encadrer: au-dessus d'elle, 
le commentaire, qui reprend les signes donnés dans un nou­veau 
propos, et au-dessous, le texte dont le commentaire sup­pOse 
la primauté cl1cMe au-dessous des marques visibles à tous. 
De là, trois niveaux. de langage, à partir de l'être unique de 
l'écriture. C'est ce jeu oomplexe qui va disparaître avec ]a 
6n de la Renaissance. Et ceai de deux· façons : parce que les 
figures qui oscillaient indé6niment entre un et trois termes vont 
être fixées dans une forme binaire qui les rendra stables; et 
parce que 10 langage, au lieu d'exister comme l'écriture IIUlté-
58 Lu mots et ka c/wS48 
rioUe des cllOS8S, ne t.rouvera plus son espace que daDsle r~gime 
général deB lignes repr6selltatifs. 
C~Ùe nouvelle dÎtil'usit.ion entraine l'apparit.ion d'un nou­veau 
prublème, jusque·là inconnu: en effet on s'était demandé 
comwent reconllu1Lrll qu'un signe désignait bien ce qu'ilsigxü­jjuit. 
j li. partir du xvue liièele on se demandera comment un 
signo peut être lié li. ce qu'il signifie. Question à laquelle l'âge 
clas~iqul) ropondra plU" ramdy:ie de la reprélScntation; et à 
laquelle la pensée moderne répondra PlU l'~lIalyse du lIeUIi ct de 
la signification. Milis du fait même, le langage ne liera. rien de 
plus 'l.u'un cas particulier de la représent.ution (pour ItHI clas­siques) 
ou de la l:iignificat.ion (pour nous). La profonde appar­tenance 
du langage et du monde se trouve défaite. Le primat. 
de l'écriture est suspendu. Digparatt.IlIOl·s cet.te couche uniforme 
où s'entrcct'Oi~8ieJt indelinirncnt. le PU eL le lu, le villible et 
l'énonçable. Les choses et les mots vont IHl s6parer. L'oeil 
.era destiné à voir, et li voir seulement; l'oreille li. seulement 
entendre. Le discours aura bien pour tAobe de dire ce qui est, 
mais il ne sera l'ien de plus que ce qu'il dit. 
Immense réorganisat10n de la culture dont l'âge classilJUe a 
ét.é la première étape, la plus importunte peut-être, pUIsque 
Cl'est eUe qui est responsable de la nouvelle disposition dans 
laquelle DOUS sommes encore pris - puisque c'est elle qui 
nous sépare d'une cult.ure où la signification des signes n'exia­tait 
Fas, car elle était résorbée dans la souyeraÏneté du Sem­hlable; 
mais où leur être énigmatique, monotone, obstiné, 
primitif, sciutiJlllit dans une dispersion à l'inûni. 
Cet ôtre, il"Il'y a plus rien dans notre savoir, ni dans notre 
rl:flexion pour DOUS en rappeler maintenant le lIouverur. PlU! 
rien, sauf peut-être la littérature - et encore d'une manière 
plus allusive et diagonale que directe. On peut dire en un sens 
que )a "littérature l, 1.Il1iu qu'elle s'est constituée et s'est 
désignée comme telle au seuil de l'âge m(lderne, mllJlÜest.e 
la réapparition, là où on De l'attendait ].las, de l'être yif du 
langage. Au XVI~ et au xvme siècle, 1 existence propre du 
langage, sa vieille solidité de cholle inscrite dans le monde 
étaient dissoutes dans le fonctionnement de ]8 représen­tation; 
tout langage vala.it comme discoUl'S. L'art du lan­gage 
était une manière de 1 faire signe lt, - à la (oia de 
lignifier quelque chose et de disposer, autour de cette chose, 
dl:s lignes : un art donc de nommer et puis, par un redou­bltllnenl 
li. la fois démonstratif et décoratif, de capter ce nom, 
de l'enfermer et de le celer, de le désigner à son tour par 
d'autres noms qui en étaient la présence difIérée, le sigue second, 
la figure, l'apparat rhétorique. Or, tout au long ÙU XIX. liiècle
La pr03e du mondft 59 
, lUtiqu'lt nous encore - de Holderlin il Mallarmé, A Antorun 
Arwud -, la littérature D'a exisu, dans son autonomie, elle 
ne s'est détachée de tout autre langage par une coupure pro­fonde 
qu'en formant une sorte de 1 contre-discows " et en 
rcmonl~nt ainsi de la fonct.ion représentative ou signi6ante du 
lanbragll à cet être brut oublié depuis le XVIe siècle. 
Ou croit avoir atteint l'essence même de la littérature 
en Ile l'interrogeant plus au niveau do cc qu'elle dit, ruais 
dans sa fOrIDe signifillnte : ce faisant, on en reste au statut 
cillssique du langage. A l'âge modeme, ]a littérature, c'est ce 
lJ.UÏ com~ense (et non ce qui confirme) le fonctionnement 
slgliificatIf du langage. A trnvers elle, l'être du langage 
brille à nouveau aux limites de la culture occidentale - et 
en tion coeur - car il est, depuis]e XYle sièc1e, ce qui lui elt 
le plua étranger; mais depUlI ce même XVI- 8iècle, il est au 
centre de ce qu'elle a recouvert. C'est pourquoi de plus en plus 
la littérature apparatt comme ce qui doit être peusé; maia 
iussi bien, et pour la même raison, comme ce qui ne pourra en 
aucun cas être pensh à partir d'une théorie de la Bignificatiou. 
Qu'on l'analyse du côté du signifié (de ce qu'elle veut. dire, de 
Be8 • idées :J, de ce qu'elle promet ou de ce li. quoi elle engage) 
ou du côté du signifiant (k l'aide de schémas empruntés à la 
linguistique ou à la psychanalyse), peu importa: ce n'est là 
qu'épisode. Dam un cu comme dauB l'tlutre, on la cherche 
liors du lieu où, pour notre culture, elle n'a cesBê, depuis un 
siècle et dllIlli, de Dattre et de B'imprimer. De tels modes de 
déchiffrement relèvent d'une situation classique du langage - 
celle qui a régné au XVlle sillcle lorsque ]e régime des signea 
devint Linaire et lorsque la signification fut réOéchie dans 1. 
forme de la représentation; alors la littérature était bien faite 
d'un sigrùfiant et d'un signifié et méritait d'être analysée 
comme telle. A partir du XIX' siècle, la littérature remet au 
jour le langage en son être: mais non pli! tel qu'il apparaissait 
encore li la nn de ]a Renaissance. Car maintenant il D'y a plua 
cette parole première, absolument initiale par quoi se trouvait 
fondé et limit~ le mouvement infini du dillcours; désormai. le 
langage va croltre saDS départ, uns terme et. Bau. promesse. 
~'e~t le plll'cours de cet espace vain et fondamental qui trace 
e JOur en jour le texte de la liUérature.
CIIAI'ITRB III 
Représenler 
1. DON QUICHOTTB 
Aveo leurs tours et leurs détoul'S, les aventures de Don Qui­chotte 
tracent la limite : en elles Jin.ill8ent les jeux ande ... 
de la :ressemblance et des signes; là se nouent déjà de llouvea,WI: 
raPJHlrtB. Don Quichotte n'est pu l'homme de l'extravagance, 
mais plutÔt 10 pèlerin méticuleux qui fait étape devant toules 
les marques de la similitude. li est le héros du Même. Pas plu 
quo de son étroito provmce, il ne parvient à. s'é1oigoer do la 
p'loÎno familière qui s'étalo autour del'Anulogue. Indélùûment 
11 la parcourt, Bans franchir jamuis les frontières nettes de la 
difTèrence, ni rejoindre le coeur de l'identité. Or, il est lui-même à. 
ln ressemblance des signes. Long graphisme maigre comme une 
lettre, i1vicnt d'échapper tout droit duhAilIementdeslivres.l'out 
80n être n'est quolangage, texte, feuillets imprimés, histoÏl'e déjà. 
transcrite. n est fait de mots entrecroisés; ç'est de l'écrit.ure 
errant. daDsle mondo parmi ]n ressemblaRce des chosos. Pus t.out 
à. fait cependant: car en lia réalité de pauvre hidalgo, il ne peut 
devenir le chev.wer ({U'en écoutant de lom l'épopée s6culaire 
qui formule la Loi. Le livre est moins son existence que Bon 
devoir. Sans cesse il doit le consulter ~fin de sQvoir que faire ct 
que dire, et quels signes donner à lui-même et aux autres ].l0ur 
:montrer qu'il est bien de même nature que le texte dont il est 
illsu. Lus romans de chevalerie ont écrit une fois pour toutes la 
prescription de lion aventure. Et chaque épisode, chaque d';ci­siou, 
ohaque exploit. lieront sigues que Don Quichotte est en 
effet semblahle à tous ces ognes qu'il a décalqués. 
Mais s'il veut leur être semblable, c'est qu'il doit les prou­ver, 
c'est que déjà les signes (lisibles) no sont plus à. la rossem­b11lDC8 
des êtres (visibles). Tous ccs textes écri18. tous ces romanI 
extravagants sont justement sans pareila : nI&l dans le mODdene
Repri84RÜr 61 
leur a jamais ressembl6; leur langage infini reste en suspens, sans 
'aucune similitude vienne jamais le remplir; ils peuvent brtl­Wr 
tout et tout entiers,]a figure du monde n'en sera pas changée. 
En ressemblant aux textes dont il est le témoin, le repré~entant, 
le réel analogue, Don Quichotte doit fournir la démOllstration 
et apporter la marquc indubitable qu'ils disent vrai, qu'ils sont 
bien le langage du monde. n lui incombe de remplir la promesse 
dea livres. A lui de refa.ire l'épopée, mais en sens inverse: celle· 
ci racontait (prétendait raconter) des exploits réels. promis à 
la mémoire; Don Quichotte, lui, doit combler de réalité les 
signes sans contenu du récit. Son aventure sera un déi:hilIre· 
ment du monde: un parcours minutieux pour rolover sur toute 
la surface de la terre les figures qui montl'ent que les livrel 
disent vrai. L'exploit doit être preuve: il confliste non pas à 
triompher rêellement - c'est pourquoi la victoire n'importe 
pal> au fond -, mnis à. transCormer la réalité en signe. Ensigne 
que les signes du langage sout bien conformes aux choses elles­mêmes. 
Don Quichotte lit le monde pour démontrer les livres. 
Et il ne se donne d'autres preuves que le miroitement des rCII­semblances. 
Tout son chemin est une quête aux similitudes: les moindres 
analogies sont sollicitées comme des signes assoupis qu'on doit 
réveiller pour qu'ils se mettont de nouveau à parler. Les trou­peaux, 
les servantes, les auberges redevienn~nt le langage des 
livres dans la mesure imperceptible où ils ressemblent aux 
châ.teaux, aux dames ct aux armées. Ressemblauce toujours 
déçue qui transforme )a preuve c1lerchée en dérillion et laisse. 
indMiniment crellse la parole des livres. Mais la non-similitude 
elle-même a son modèle qu'elle imite servilement: clle le trouve 
dans la métamorphose des enchanteurs. Si bien que tous les 
indices de la non-ressemblance. tous les signes qui montrent que 
les text.es écrits ne disent pas wai, 1'e!!semblent à ce jeu de 
l'cn~orcellemeut qui introduit par ruse ]a différence dflns l'in­dubl~~ 
le de la similitude. Et puisque cette magie a été prévue 
et decnte dans les livres, la dilIérence illusoire qu'clle introduit 
ne sera ja,mais qu'une similitude enchantée. Donc un !ligne BUP­plêmental1' 
6 que les signes ressemblent bien à la vérité. 
I.P,?R Quiclwllll de~sine le négatif du monde de ]a Renai3sance; 
ecrlt~ a. cessé d'être la pl'Ose du monde; les res~emblances 
et I,:~ signes ont déuou6 leur vieille entente; les similitudes 
d~ço!vel1t, tournent à la vision et audélirej les choses demeurent 
o stmément dans leur idcntitlt ironique : elles ne sont plus 
que ce qu'clles sonti lcs mots errent li. l'aventure, sans contenu, 
IIhns res~emLlanee pour les remplir; ils ne marquent plus les 
c osesj ils dorment entl'e les feuillets des livres au nülieu de
62 
la poussière. La magie, qui permettait le déchiffrement du 
monde en découvrant Jes ressemblances secrètes suus les signes. 
ne sort plus qu' .. expliquer SUl' le mode déliraut fOlUquoi 186 
analogies sont toujours d6çues. L'érudition qui b~uiL oonune 
un texte unique 1. nature et les livres est renvoy68 à 61lS chi~ 
mères: déposés aur les pages jaunies des volumes, les signes du 
langage n'ont plua pour valeur que la mince fictiou de CfJ qu'ils 
représentent. L'écriture et les choses ne se ressemblent plus. 
Eutre elles, Don Quichotte erre à. l'aventure. 
Le langage pourtant n'est pu devenu tout à. fait impuis8ant. n détient désormais de nouveaux pouvoirs, et qui lui sont 
propres. Dans la seconde partie du roman, Don Quichotte 
rencontl'e des pe1'llonnages qui ont lu I~ premiàre partie du 
t8xte et qui le reconnaÎIIllent, lui, hOlDDle rêel, pour le héros du 
livre.. Le texte de Cervantes Ile replie Bur lui-même, s'enfonce 
dans sa propre épaÏStieur, et devient pour soi objet de IOn 
propre récit. La promière partie dei aventures joue dans 1. 
seconde le raIe qu'assumaient au début les l'Omans de chevale­rie. 
Don Quichotte doit être 6dèle à ce livre qu'il e.t riellement 
devenu; il a àleproté~erdeserreul"S,d41S contrefaçoIlIi,denuites 
apocryphes; il doit ajouter les détails omis; U doit maiutenir 
sa vérité. Mais ce livre, Don Quichotte lui-même ne l'a pai lu, 
et n'a pas à le lire, puisqu'il l'est en ohair ot en os. Lui qui, à 
force de lire de. livres, était devenu un signe 8frlUlt daua un 
monde qui ne le reconnaissait pas, le voüà devonu, malgré lui 
et 88DS le a.voir, un livre qui détient sa vérit6, relève exacte­ment 
tout ce qu'U a fait et dit et vu et pensé, et qui pormet 
enfin qU'OIl le recunnaisse tant il ressemble à tous cos signes 
dont il. laissé derrière lui le sillage inelfaçable. Entre la pre­mière 
et la seconde parLie du roDUUl, dans l'interstice de cas 
deux volumes, et par leur suul pouvoir. Don Quichotte Il pria 
aa réalit6. Réalité qu'Une doit qu'au lallbrage, et qui reste entiê­rement 
int6rieuro aux mots. La vérit.é de DOIl Quichotte, eU. 
n'est pas dans le rapport des mola IU1 muude, mais daus cette 
mince et constante relation que lell marques verbales tissent 
d'ellea-mêmes à elIes-mêmtlS. La. fiction déçue des épopées est 
devenue le pouvoir representlltif du langage. Les moLli viennent 
de se refermer sur leur nature de signes. 
Don Quichotte est la premiôre des wuvres modernes puisqu'oD 
y voit la raison cruelJe des identités et des difIérences lie jouer 
à l'infini de. signes et des similitudes; puisque 18 langage '1 
rompt 8. vieille parenté avec les choses, pour entrer dana cette 
souve~ineté 8oliuw-e d'où il ne rénpparaJtra, en son êt.re abrupt, 
que devenu littérature; pui~que la ressemblance 8ntre là dans 
un âge llui etlt pour elle celui de la déraison et de l'imagination-
63 
La similitude et les signos Wle foia dénouêa, dewt expériences 
peuvent se constituer et deux penoDJlagea apparaître faceâ face. 
Le fou entendu non pas oomme malade, mais CODWle déviance 
coullc.i~ée et. entretenue, comme fonct.ioD oulturelle indi8JIeo­sable 
est devenu, dans l'expérienCB occidentale, l'homme dea 
rcs"e:nblances lauvages. Ce p01'8onnage, tel qu'il eat dOllllin6 
daJ~s les romans ou le théAtre do 1'6poquo baroque, et. tel 
qu'il s'est illititutionnnlisê J'lBU à peu jusqu'à ]a psychiotrie 
du xrx8 siècle, c'est celui qui s'est. alUnA dans l'lIMlogiIJ. n 
esL )e joueur déréglé du M~rne et de l'Autre. Il prend ]es 
choses Jlour ce qu'ellcs ne sont pas, et les gens les uns pour 
les autres; il ignore scs amis, reconnatL les étrangers; il eroit 
démasquor, et. il impose un masque. Il inverse toutes les 
valeurs et toutes les proportions, Ilarce qu'il croit Il eltacru6 
iilstant déehiflrer des lignes: pOUl' lui les oripeaux font un roi. 
Dans la perception culturelle qu'on a eu du fou jusqu'à la fin 
du xvm8 siècle, il n'est le Di1!éreDt que dans la mesure où il De 
connait pas la DitTérence; il De voit partout que ressemblances 
et signes de la :ressemblanCB; toua les signes pour lui se res­semblent, 
et toutes 16s ressemblances valent cOlome des IÛgnes. 
A l'autre extrêmité de l'espace culturel, mais tout proche 
par S8 symétrie, 10 poète est celui qui, au-dessous des di1!6-0 
rences nommêes et quotidiennement prévues, retrouve les 
parentés enfouies des choses, leurs similitudes dispersées. Sous 
les signes établis, et malgré eux, il entend un nutre discours, 
plus profond, qui J'Ilppelle le temps 01 les mots scintillaient 
dan~ la ressemblance universelle des choses : la Souveraineté 
du M~me, si difficiie à énoncer, effaee dans son langage la dis­tinction 
des signes. 
De là sans doute, dallS la culture occidentale modeme, le 
face à face de ]a poésie et de la folie. Mais ce n'est plus le 
vieux thème platonicien du délire inspiré. C'est ]a maTqUe 
d'une nouvelle expérience du langage et des choses. Dans les 
marges d'un savoir qui sépare les êtres, les signes et les simili­t? 
dcs. et comme pour limiter IOn pouvoir le fou assure la fonc­tion 
de l'homoelmalIIislIIII : il rasaemble tous les signell, et les 
comble d'uut! ressemblance qui ne cesse de proliférer. Le poète 
assure la fonction mverse; il tient le rôle alligori''"i sous 
le, langage ~es sigues et BOU8 le jeu de leurs distinctions bien 
decoup~es,. il lie ruet. à l'écoute de l'c autre langage I, celui, sans 
~OI.8. ru ditlcours, de la ressemblance. Le poète fuit venir ]a 
ti~IllIhtude jWiqu'aux Bignes qui la disent, le fou charge tous les 
tilgnes d'une re8semblance qui finit por]88 etTacur. Ainsi ont-ils 
tous lea deux, au bord extérieur de notre culture et au plus 
proche de 8es partagea esaentie1a. cette situation 1 à la limite _
- posture mllrginale et silhouette profondément archatque - 
oà leurs paroles trouvent sans cesse leur pouvoir d'étrangeté 
et. ]n ressource de leur ccmtcliLation. Entre eult s'ost. ouvert. 
l'espace d'un savoir où, par une rupture cssent.ielle dans le 
monde occidental, il ne sora plus quest.ion des sjmilitl1de~, maia 
des identités et des différences. 
n. L'OHOR. 
Le sotut des discontinuités n'est pas facile li. établir pour 
l'histoire en général. Moins encore sans doute pour l'histoire 
de la pensée. Veut-()n tracer un partage? Toute ]imite n'est. 
peut-titre qu'une coupure arbitraire dans un ensemble indéfini­ment 
mobile. Veut-on découper une période? Mais a-t-on le droit 
d'établir, en deux points du temps, des ruptures symétrique9, 
pour faire apparattre entre elles un système continu et unitaire? 
D'où viendrait alors qu'il se constitue, d'où viendrait ensuite 
qu'il s'efface et bascule? A quel régime pourraient bien obéir à 
la foill son existence et sa disparition? S'il a on lui son principe 
de cohérence, d'où peut venir l'élément étranger qui peut le 
récuser? Comment. une pensée peut-cllo s'esquiver devant autre 
chose qu'elle-m8me? Que veut dira d'une 'açon générale: ne 
plus pouvoir peuller une peuslle? Et inaugurer une pensée nou­velle? 
Le discontinu -le fait qu'ou quelqur.s années parfois une 
culture cesse de penser comme elle l'avait fait jusque-là, et lie 
met à peuser nutre chose et autrement - ouvre sana doule sur 
une érosion du dehors, sur cet espace qui est, pour la pensée, de 
l'autre cOt6, mais où pourtant elle n'. cessé de penl!er dès l'on­gmo. 
A ]a limite, le problème qui se pose c'est celui des rapports 
de la pensée h ]a culture: comment se fait-il que ]a pen~6e ait 
un lieu dans l'espace du monde, qu'elle Y ait comme une ori­. 
gine, et qu'clle.ne cesse, ici et là, de commencer toujours à 
nouveau? Mais peut-être n'est-il pa! temps encore de poser le 
prob]j>.mej il n-ut probablement attendre que l'arch601ogie de 
la pensée se soit davantage assurée, qu'elle ait mieu pris la 
me-'I1Jre de ce qu'elle peut décrire directement et positivement, 
qu'eUe ait défini les systèmes singuliers et les enchatnement8 
internes auxquels elle s'adresse, pour entreprendre de faire le 
tour de la pensée et de l'interroger dans la direction par où elle 
.'échappe à eUe-même. Qu'il BuffiBC donc pour l'inetant d'ao-
Rtp'ü"" 
cueillir ces dillconlinuités dans }tordre empirique, ilia fois ~vi­dent 
et obscur, où elles se donnent. 
ÂU début. du. xvne siècle, en celte période qu'à tort ou li. rai- 
80n 00 ft appelée baroque, la pensée cesse de se mouvoir dans 
l'élément de la re&liembl~Dce. ~a simi~itude n'est plus la foJ'tne 
du savoir, mais I,lutôt 1 occasion de 1 erreur, le danger auquel 
on s'expose quand on n'examine p8S le lieu mnl éclairé des 
conlu!lion~. 1 C'est une habitude fréquente Il, dit. Descartes aux 
premil:res lignes des Regulae, dOrsqU'OD découvre quelques l'eS­lem},] 
ance.'I entre deux choses que ii'att.ribuer à J'une comme li. 
l'autre, même SUI' lBS points où elles Bont. en réalité différentes, 
ce que l'on a reconnu vrai de l'une seulement des deux 1 •• L'ige 
du semblable est on train do se refermer sur loi-même. Derrière 
lui il ne laisse que des jeux. Des jeux dont les pouvoira d'en­eb~ 
ntement croissent de cette parenté nouvelle de la resllem­blaoce 
et de l'illusion; partout. sc dessinent les chimères de la 
similitude, mais on sait que ce sont des chlmères; c'est le temps 
privilP.gié du trompe-l'reil, de l'illusion comique, du tlléâtre qui 
le dédouble et représente un théâtre, du qtÜproquo, dès songes 
et visions; c'est le temps des sens trompeun; c'est le temps 
où les métaphore!!, les comparaisons et les allégories définis­sent 
l'espace poétique du langage. Et par le fait mGme le 
lIavoir du XVIII siècle laisse le souvenir déforme d'ODe connais­! 
lance mêlée et sans règle où toutes les choses du monde pou­wient 
se rapprocher au hasard des expériences, des tradi­tions 
ou dei crédulités. Désormais leI belles figU1'68 rigOUl'euses 
et contraignantes de ]a similitude vont Gtre oubliées. Et on 
tiendra les signes qui les marquaient pour rêveries et charmes 
d'un lavoir qui n'ét.ait pu encore devenu raisonnable. 
On trouve déjà, chez Bacon, une critique do la ressemblance. 
Critique empirique, qui De concerDe pas les relations d'ordre et 
d'égolité entre les chosea, mais les types d'esprit et les fonnee 
d'illusion auxquelles ils peuvent atre BOjets. n s'agit d'une 
doctrine du quiproquo. Les similitudes, Bacon nc les dissipe 
pas par l'évidence et ses règles. n les montre qui scintilleot 
devant les yeux, s'évonouissent quand on approche, mais 
~e recomposent il l'instant, un peu plus loin. Ce sont des 
idolBB. Lès ÎfÙJles de III ClJ96I'M et celles du théâtre nous foot 
croire que}e5 choses ressemblent l ce que nous avons appria et 
aux théoDes que nous nous sommes formées; d'autres idoles 
nous font croire que les choses se ressemblent. entre elles. 
c~'esprit humain est naturellement porté à suppoller dans les 
e oses plus d'ordre et de renemblauce qu'il n'yen trouvei et 
1. Descartes, oetlllm philoropllilluu (Purls, 1M3], " l, p.77.
66 
tandis que Ja nature est pleine d'exceptions et de ditJ6rencel, 
l'esprit voit partout harmonie, accoM et similitude. De là 
cette fiction que tOUB les corps céJestes décrivent en se mouvant 
des cercles parfaits» : telles sont les idoùlI de la. tribu, fictions 
spontanées de l'esprit. Auxquelles s'ajoutent - effets et pur­fois 
causes - Jes confusions du langage: un seul et même nom 
l'applique indifféremment à des choses qui ne Bont pas de 
même nature. Ce sont les idow du forum 1. Seule la prudenoe 
de l'esprit. peut lea diSsiper, s'il renonce à sa hâte et à sa légè­ret. 
é naturelle pour devenir 1 pénétrant Il et percevoir entin Je' 
dilTérenees propres à la nature. 
La critique cartésienne de la ressemblance est d'un autre 
type. Ce n'esL plv" la pensée du XVIe siècle !l'inquiétant. devant 
elle-même et commençant à se déprendre de SilS ligures les plus 
familièros; c'est la pensée classique excluant Ja ressemblance 
enmme expérience fondamentale et lorme première du BIlVOir, 
dénonçnnt en olle un mixte confus qu'il faut analyser en ter­mes 
d'identité et de dillérencos, de mesure et d'ordre. Si 
Descartes r6cose la ressemblance, ce Q' est pas en excluant de ]a 
pensée rationnelle racle de comparaison, ni en cherchant à ]e 
limiter, mais ou contraire 8ul'universalisant et en lui donnant 
p-.r là sa forme la plus pure. C'8St eo. effet par la compamison 
que nous retrouvons. la n".,. .. re, l'étendue, le mouvement et 
autres semblables» - c'est-à-dire les Datures simples - dans 
toua les sujets où elles peuvent être présentes. Et d'autre part, 
dans une déduction do type • tout A eit. B, tout B est C, donc 
tout A est C », il est clair que l'esprit Il compare entre eux le 
terme cherché et le terme donné, savoir A et C, BOUS ce rapport 
que l'un et. l'autre sont B •• Pal' conséquent, si on met à parti 
l'intuition d'une chose isolée, on peut dire que toute CODDaiS- 
8ance • s'obtient pal' la comparaison de deux ou plUllieurs choses 
entre elles 1 D. Or, il n'y a de connaissance vraIe que p-.r l'in­tuition, 
c'ost-l-dire par un acte singulier de l'intelligence pure 
et attentive, et par la déduction, qui lie entre elles los 6vidences. 
Comment ]a comparaison, qui est requise pour pl'Osque toutes 
les connaissanoes et qui par définition n'est pas une évidence 
isolée ni unB déduction, peut-elle autoriser une pensée wnie? 
«Presque tout le travail de la l'Bison humaine consiste Sllns 
doute à rendre cette opération possible S 1. n existe deux formes de comparaison, et il n'en existe que 
J. F. Bacon, NODUtIJ 'l'fallum (Uad., Parts, 184'1), UY'. l, p. III e 119, 
145 el 55. 
2. D~arles, Re,ulae, XlV, p. 168. 
3. IlIid., XIV, p. 168..
RflprûenIM 
deux: la comparaiHon de la mesure et celle de l'omre. On peut 
mel!urer des grAndeurs 011 de. multiplicités, c'est-à-dire des 
grundeurs continues ou discontinues; mais, dans un cas comme 
daml l'aul.re, l'opération de mesure suppose qll'à la dit!érence 
du compte qui va dc.c; éléments vers la totalité. OD considère 
d'abord le tout, ct qu'on le divise en parLies. Cette division 
abou~it il des unités, dont los unes sont de convention ou 
• d'emprunt» (pour Ie.q grandeurs cont.iuull5). et dont les autres 
(pour los multiplicités ou grandellrs .lisûontinue.) sont. la unités 
de l'urithmétique_ Comparer deux gmndeura ou deux l1lulti­plicités 
exige de toute façon qu'on applique lI.l'anlllylie de l'une 
et du l'autre une unité commune. AÏnsiJa comparaisonetIectuéo 
par la mesure se ramène, dans tous les CIlS, aux relat.iou 
arithmét.iques de l'égalité et de l'inégalit.é. La mesure permet 
d'analyser le semblable selon la forme calcu1able del'identit6 
et de lu différence 1. 
Quant à l'ordre, il s'établit sans référence lune unité exté­rieure: 
1 Je reconllais en ellet quel est l'ordre entJ:8 A ct.B sau 
rien considérer d'autre que ces deux termes extrêmes li on ne 
peut connaitre l'ordre des choses «en leur nature isolélDcnt_, 
mais cn découvrant culle qui eat la plus simple, puis celle qui an 
est Ja plus proche pour qu'on .puilille accéder néces.'Iairemont il 
partir de là jusqu'aux cllOses les plui complexes. Alurs que la 
comparai!lOn par mesure exigeait d'abord une division, puil 
l'application d'une unité commuoe, ici comparer et ordonner 
ne font qu'une seule et même chose: la comparaison par l'ordre 
est un acte simple qui permet. de patiser d'un terme à l"autre 
puis li. un troisième, etc .• par un mouvement « absolument inin­terrompu 
a ». Ainsi ."êtablisscmt des séries, où le terme premier 
eal une nature dont on peut avoir l"intuition indépendamment 
de toule autre; et. où les autres termes sont éabli. selon des 
différences croilli8ntes. 
Tels sont. donc les deux types de comparaison: l'une analyse 
en uni Lés pour établir des rapports d'égalité et d'inégalité; 
l'autre 6tablit des éléments, les plus simples qu'on puisse trou· 
"er, et dispose les ditIérences selon les degréa le plus faibles 
possible. Or, on peut ramcner la mesure des grandeurs et. des 
mult.iplicités, li. l'établill8cwent. d'uo ordre; les valeU1'S de 
l'arithmétique sont toujours ordoonables selon une série : la 
multiplicité des unités peut donc «se disposer selon un ordre 
tul que la difficulté, qui appartenait li. la coJUtaÏssallce de la 
mesure. finisae par dépendre de la aeule considération de 
1. Ibid., fi. l~. 
2. Ibid, VJ, p. 102; VII, p. 109.
68 
l'ordre 1 •• Et c'est en coci j11stement que conl'istent la môthodo 
et 80n • progrès. : rnmener toute mesure (I.oule détermination 
par l'égalité et )'égalit6) à une mise en lIérie qui, partant du 
simple, lait Rpp81'8itre les ditTérllnces comme .les degré.' de 
complexité. Le sembJ8blll, nprès s'âtre analysé selon l'unité et 
les. rapports d'égnlité 011 d'iruignJit6, s'unalyse selon l'idenlitë 
évidente et les difrérences : diflërll1&CBIt qui peuvent êt.re pen­aées 
dans l'ordre des inférenoe. •. Copendnnt. cet ordre ou com­paraison 
gênéralisée ne s'étnblit qun d'après l'enchaînement 
dans la connaissance; le caractère ab!oll1 qu'on reconnatt 
Il co qui est simple ne concerne pas l'être des chosos mais 
bien la Inonière dont elles peu 'ent "tre COnnllr.lI. Si hien qu'li no 
chose peut être absolue I;OUII lUt certain rappnrt et relutive 80UB 
d'autl'es 8; l'ordre peut être li. la [ois néccssairo ct naturel (pnr 
ropport à la pens6c) et arbitraire (par rapport aux choseR), 
pl1i!lqu'uoe mArne chose solou la mallière dont on la considère 
peut être placée en un point ou en un autre cIe l'ordre. 
Tout ceci a été de grtlndo cOllsélluonc8 pour la pens~ 
occidentllle. Le semblable qui avait ét.é longtemps catégnne 
fondament.ale du SAvoir - à ]A foill formo et contenu de la 
connaissance - se trouve dissocié ~an8 une Ilnalyse faite en 
termes d'identité et dn ditTérence; do plus. ut soit indirecte­ment 
par l"intermédiaire de la ntfl!llll"C, soit directement et 
comme de plain-pied, la comparaison est ropporLée à l'ordre; 
enfin la comparaieon n'a plus pour rôle de révéler l'ordonnance 
du monde; elle se fait selon l'orrlre de la pens6e et en allant 
naturellement dl! simple au complexe .. Pal' là, touto l'épisttfmi 
de la culture occidentale se trouve modinr.e dans ses dispo­sitions 
fondamentales. Et en particulier le domaine empi­rique 
où l'homme du XV18 &iècle voyait encore sc nouer les 
parenté!!, les resscmblances et les affinités et où s'entrecroi­aient 
sans fin·]a Jang-dge et les choses - tout. ce champ 
immenso va prendre unD conOgurdlion nouvelle. On peut bien, 
si on ."eut, la d~signerdu nomdeuot.ionalismu; on peut bien, 
si 00 n'a rien dons ln tête quo des cOllcept& tout faits, dire que 
]exTnesièclernarque la dispnrit.iondes vieilles croyance.'1 supers­titieuses 
ou magique!I. et l'entrée, enfin, de la nalure dans l'ordre 
scientifique. Mais ce (['Itil faut soisir ct eSl'Rye." de rest.ituer, ce 
lonl. les modifications qui ont altéré 10 savoir lui-même, à ce 
niveauarchaique qui rendpossiblesJes connaissances et le modo 
d'être de ce qui est à savoir. 
Ces modifications peuvent se résumer de la manière suivante. 
1. negll/tu, XIV, 11. 182. 
Il. Ibid., V J. p. lOa.
ReprbenUr 69 
D'abord. substitution del'analysoll. lahiërarchieanalogique: au 
xVIe siècle, on admettait d'abord le syst.ème globul des cor­respondances 
(1a terre et le ciel, ICB planètes 010 le visage, la 
microcosme et le macrocosme), et ohaque similitude singulière 
venAit S6 loger à l'intérieur de ce rapport d'ensemblo; déKormnis 
toute Tc~semblance sera soumise li. l'épreuve de la com{lRraizon, 
c'est-à-dire qu'elle ne sern admi.'1e qu'une fois trouvée, par la 
mesure, l'unité commune, ou plus radicalement par l'ordre, 
l'identitê et. la série des différences De plus le jeu des simi­] 
itudes êtait autrefois infini; il était toujours p()~sibI8 d'en 
dêcouvrir de nouvelles, et la setùe limitation vennit d8 l'or­donnance 
des choses, de la finitude d'un monde l'Ilflsp.rrê 
cntre le macroOO!mlC et le microscome. Maintenant une éou­m6ration 
complète va devenir possible: soit IOUS le forrne 
d'un recensement exhausLÏf de tous les éléments qui cons­titue 
l'ensemhle envillOg6; soit sous la forme d'une mi~e en 
cntégories qui articule dons sa totalit6 10 domaine étudip.; 
soit enfin sous la forme d'une analyse ù'un certain nombre 
de points, en nombre suffisont, pris tout au long de la série. 
La comparaison peut donc attemdre une certitude parfaite : 
jamais achevé, et toujours ouvert sur de nouvelles éV6J1tlla­lit6l!, 
10 vieux système des similitudes pouvait bien. par 
voie de confirmations succeSllivu, devenir de plus 81 plus 
probable; il n'était jamais certain. L'énumération complète et 
la pos~ibjlité d'assigner en chaque point le passage nêcetlsairo 
au suivant permet une connaissance absolument certaine des 
identités et des différences: «l'énumération l'cule peut nous 
permettre, quelle que lIoit la question à laquelle noui nous 
appliquons, de porter toujours sur eUe un jugement Yl'Qi et 
certain 1. •• L'activité de l'esprit - et c'est le quatrième poiot 
- ne consistera dono plus à rapprocher les choses entre elles, li. 
partir on quOte do tout ce qui peut déwler eu eUes comme une 
parenté, une attiranco, ou une nature secrètement partagée, 
mais au contraire li. discerne,.: c'est-à-dire à établir les identités. 
puis la nécessité du passage li. tous les degrés qui s'en éloi­gnent. 
En ce sens, le discernemnnt impose à la. comparaison 1. 
:recb6J'che première et fondamentale de la différence ~ se don­ne; 
.par l'intuition une représentation distincte des choses, et 
SalSll' clairement le passage nécessaire d'un élément de 1. série 
à. celui qui lui succède immédiatement. Enfin, dernière consé­quence, 
puisque connaitre, c'est discerner, l'histoire et la ecieuce 
vont ~e trouver sépuêes l'une de J'autre. D'un ·côté, il y aurt. 
l'érudition, la lecture des auteurs, le jeu de leurs opinions; 
1. Regulae, VII, p. 110.
70 
celui-cl peut bien, parfois, avoir valeur d'indication, moins 
par raccord qui s'y forme que par la mésentente : c lorsqu'il 
.'agit d'une IJUIIIlt.ion diflicile, il est plus vraisemblable qu'il 
s'en soit trouvA peu et DOD beaucoup, pour découvrir la vérité 
li. son sujet 1. En face de cette histoire, et sans commune mesure 
avec elle, se dressent 1611 jugements 89surés que nous pouvonl 
faire par lcs intuitioDs et leur eDchalnement~ Ceux·là et eux 
seul. conlltituent la science, et quand bien même JlOUS aurions 
Ilu tous ICA raisonnements de Platon et d'Aristote, ••• ce ne 
lont point des sciences que nous aorione apprises, semble-t-iI, 
mail de l'histoire 1 1. Dès lors, le texte cesse de faire partie des 
.iguell et des 'ormes de la vérité; le langage n'est plus une des 
figures du monde, ni la si~nature imposée aux choses depuia 
le fond dei temps. La vérIté trouve sa manifestation et son 
aigne dUlll la pereeption évidente et distincte. II appartient aux. 
mota de la traduire s'ils le peuvent; ils n'ont plus droit à en 
être la marque. Le langage se retire du milieu des êtres pour 
entrer dans son âge de transparonce et de neutralité. 
C'est là un phénomène général dans la culture du mIS siècle, 
- plU8 g6néral que la 'ortune singulière du cartésianisme. 
Il 'aut en elfet distinguer trois ohoses. Il ya eu d'un 06t6 
le mécanisme qui pour une période en somme assez brllve 
(1a seconde moitié du :ltTJ1e sièole à peine) a propos6 nn 
Inodèle théorique à certains domaines du savoir comme la 
xnédecinc ou la physiologie. Il y Il eu aussi un effort, assez 
divers en ses formes, de mathémaÏsation de l'empirique; cons­tant 
et continu pour l'a6tronomie et nne part do la physi­que, 
il fut spol'fldique dans les autres domaines, - parfois 
tenté réellement (comme chez Condorcet), pariois proposé 
comme idéal universel et horizon de la recherche (comme chez 
Condillac ou DORutt), parfois aussi récusé dans sa possibilité 
même (chez ButTon, par oxemple). Mais ni cet effort ni les essais 
du mécanisme ne doivent être confondus avec le rappurt que 
tout Je Bavoir classique, en sa forme la plus générale, entret.ient 
avec la mathe.tÏ8, entendue comme science universelle de la 
mesure et de l'ordre. Sous les mots vides, obscnrémentmagiquelf, 
d' 1 inOuence cartésienne :. ou de 1 modèle newtonien a, les 
historiens des idées ont l'habitude de mêler CC8 trois oho~, 
et de dll6nir le rationalisme classique par la tcntation de rendre 
la nature mécanique et calculable. Les autrcs -les demi­habiles 
- s'eJJorcent de découvrir SOUI ce rationalisme le jeu 
de 1 foroos contraires. : celles d'une nature et d'one vie qui ne 
le laisllent réduire ni à l'algèbre ni ilIa physique du mouvement 
1. Relu/al. ur, p. 88.
Reprutmw 71 
et qui maintiennent ainsi, au fond du classicisme, la ressource 
du non rationalisElble. Ces deux formes d'analyse sont aussi 
iJl~u1Iisantes rune que l'autrtl. Car le fondamental, pour l'épis­témè 
classique, cc n'ost ni ]e succès ou l'échec du mbcanismc, ni 
le droit ou l'jmpo~sibilité de mathématiser la nature, mais biell 
un. rapport à la malhe8i,., qui jusqu'à la fin du xvme siôc]e 
demeure constant et inaltéré. Ce l'apport present.e deux carnc· 
tères c~nieJ1tiels. Le premier c'est que le~ relations entre les 
êtl'es seront. bien pen~ées sou!lla forme de l'ordre et de la mesure, 
mais avec Cil déséq uilibre fonda mental qu'on peut t on jours rame­ner 
les problèmes de la mesure à. ceux de l'ordre. De sorte que le 
rapport. de toule connaissance il la mathesis se donne comme la 
pos~ibilité d'établir entre les choses, m~me non mesurables,·une 
aur.r.e~sion ordonnée. En ce sens l'analys8 va prendre très vite 
valeur de mél.hode univer!lt:llc; et le }lrojet leibniticn d'établir 
une mathématique des ordres qualitatifs se trouve au coeur 
même de la p~nsél! clntisiquc; c'est autour de lui que tout entière 
elle gravite. Mais d'aut.re part ce rapport à la mal1l&is comme 
science générale de l'ordre ne signifie pas une absorption du 
savoir dans leB mllthématiquell, ni le fondement eu elle. de 
toute connaissance possible; au contraire, cn corrélation .ne 
la recherche d'une rntIÙlMi." on voit apparatt.re un certain 
nombre de domaines empiriques qui jusqu'à pr6sent n'avaient 
été n.i lormés ni définis. En aucun de ces domaines, ou peu 
s'en faut, ilu'est possible de trouver trace d'un mécanisme ou 
d'une mathématisation; et pourt.ant, ils se lIont tous consti· 
~u~s sur (ond d'une science possible de l'ordre. S'ils relevaient 
bien de l'Analyse en général, leur instrument particulier n'était 
paa la mulJllxu algébrique maia le ~slèm.e du aign68. Ainsi sont 
apparues la grammaire générale, l'histoire naturelle, l'analyse 
des richesses, sciences d~ l'ordre dans le domaine des mots, 
des êtres et des besoins; et toutes ces empiricitf:s, neuves à. 
l'6poque classique et coextemives à Sa durée (elles ont pour 
pumts de repères chrollologiques Lancelot et Bopp, Rayet 
Cuvier, Pctty et Ricardo, les premiers écrivant autour de 1660, 
les seconds autoul' des ann6es 1800-1810), n'ont pu se cooati­tuer 
sans le rapport que toute l'BPLstbnè de la culture o·coiden­tale 
0 entretenu alors avec une science univC1'Selle de l'ordre. 
Ce rapport. il l'Ordre est aussi essentiel pour l'Age clall8Ïque 
que le fut pour la Renaissance le rapport à 1'1 ntm'pr&oewn. 
Et tout comme l'interprétation du XVIe siècle, superposaDt 
une sémiologie à une herméneutique,6tait essentiellement uno 
connaissance de la similitude, de m~me, la muo on ordre pat' 10 
moyen des signes constitue tous les savoirs empiriques comme 
savoirs de l'identité et de la ditIérence. Le monde à la fois indé6ni
'12 
et fermê, plein et tautologique, de la ressemblllnce se trouve 
diasociê et comme ouvert en IIOU milieu; lUI' 1W bOI'd, on trou­vera 
les signes devenus wtrwnents de l'anltlyle, luarques de 
l'identité et de la difrércnce, principes de III uUl!e en ordre. 
clefs pour une taxinomie; et sur l'autre, la ressemblance eznpi­riqu. 
et. murmurante des ohoses, cette similit.ude sourde qui 
au-dessous de la pensée foumit. la matière infinio des putagea 
eL des distributions. D'un CÔté, III théorie g6n6ra1e dea signes, 
des di"iaionl et des classements; de l'autre le problème des 
l'Cssemhlances immédiates, du mouvement spontané de l'ima­gination, 
des répétitions de la nature. Entre les deux, les savoirs 
nouveaux qui t.rouvent leur espace en cette dist.ance ouverte. 
III. 1.. RBPRÉSBI'ITATIOI'I DU SlGI'IB 
Qu'clll-ce qu'un signe à l'âge classique? Car ce qui Il cbangê 
dans ]a première moitié du XVIIe siècle, et pour longtemps - 
peul-être jusqu'à nous -, c'est le régime entier des signes, les 
conditiuu5 IOUl lesquelles ils exercent leur étrange fonction; 
c'est ce qui, parmi tant d'autres choses qu'on sait ou qu'on 
voit, lt,S drellie soudain comme signes; c'est leur être même. 
Au seuil de l'Age classique, le signe cesse d'être une figure du 
monde, et il cesse d'être lié à ce qu'il marque pal' les liens soli­des 
et secrets dll la l'eltiemhllUlce ou de l'nffinitê. 
Le classicisme le définit selon trois variables 1. L'orIgine de 
la liaiRon : un sib'lle peut être naturel (comme le reflet dans 
Ull miroir désigne co qu'il reOète) ou de convent.ion (comme un 
mot, pour un groupe d'hoDlIneli, peul signifier nlle idée). Le 
type de la liaison: un signe peut apparleJùr à l'ensemble ~u'il 
détlibrne (comme la bonne mine qui fait partie de la santé qu elle 
manifeste) ou en ~tre sép"ré (comme lei> fibrures de l'Ancien 
'l'estamcnt. sont les signes lointu.ins de l'lucar'laLion et du 
Rachat). La certitude de ]0 liaison : uu signe peut être si 
constaut qu'on est s4r de sa fid6lité (c'est aillllL que la respira­tion 
désigne la vie); mais il peut être Sioll'lclIlent. probable 
(comme la pâleur pour la grossesse). Aucune de ces fONnes de 
liaison n'implique nécessairement la similitude; le signe naturel 
lui-même ne J'exige pu : lea cris sont les signul:! spont.an6s, oillis 
Don analogues, de la peur; ou encore, comme le dit Berkeley, les 
senlalions visuellllll Bont des signes du touchor inst.aurés par 
1. Lp,rqu, '" Port-Roya', l'· parUe, cbup. IV.
ReprktnMr 73 
Dieu, el pourtanl elles ne lui ressemblent. eD aucune manière1• 
Ces trois variables ae sub,tit.uent l la ressemblance pour 
définir l'efficace du sigue daDl Je domame des cODllaissancos 
empiriques. 
i. Le sicne, puisqu'il est toujours ou certain ou prob.ble, 
doit trouver Ion espace ~ l'intérieur de la connaissance. Au 
:UI' siècle, on considêl'llit bien que le. signes avaient été déposés 
sur les choses pour que les hommes puissent mettre au jour 
leurs secrets, leur nature ou leurs vertus; mais cette découverte 
n'était rien de plus que la fin dernièro dcs signes, la justificat.ion 
de leur pré~enee; c'était leur utilisation possible, et. la moilleure 
SIUl5 dou.tei mais ils n'avaient. pas besoin d'6tre connus pour 
exister: même s'ils restaient silencieux et si jamais pe1'6onDe 
ne les apercevait, ils ne perdaient rien de leur consistanoe. 
Ce n'était. pas 1 .. connaissance, mais le langage m~me des OhOS68 
qui les instaurait dans leur fonction signifiante. A partir du 
:xvue siècle, tout le domaine du signe se distribue entre 1. 
certain et )e probable: ç'clit-l-dire qu'il ne saurait plus y avoir 
de signe inconnu, powl de marque muette. Non pas que les 
hommes soiont en posse1lsion de tous le!! signes possibles. Mais 
c'cst. qu'il n'y a dll signe qu'à. partir du moment. où se trouve 
COMI.Ul la posaibilit.ê d'un rapport do substitution entre deux 
éléments déjil connus. Lu signe n'aUend pas silencieusement 
la venue de celui qui peut le reconDait.re : il ne lie constit.ue 
jamais que par un acte de connaissance. 
C'est là que le savoir rompt sa vieillo parent6 avec la dÎvi­nntio. 
Celle-ci supposait toujours des signes qui lui étaient 
antérieurs: de sorte que la connaissance se logeait. tout. ent.ière 
daM la bélUlcc d'un signe découvert ou affirmé ou secrètement 
transmis. Elle avait pour tlche de relever un langage prb­lable 
réparti par Dieu dans le monde; c'est en cc sens que pal' 
UDe implicatioD. essentielle elle devinait, et elle devinait du 
divin. DéaonDIIÎs c'est ll'ÏDtérieur de la connaissancc que le 
signe commencera il signi&er : c'est Il elle qu'il empruntera. 
certitude ou III. probabilité. Et si Dieu utilise encore des aignes 
pour noUl parler il travers )11. nature, il se sert de notre connai .. 
sance et des liens qui l'établissent. entre les impressions pour 
inaaurer dans notre esprit UD rapport designification. Tel est le 
rôle du sentiment chez Malebranche Oll da la lensation chez 
!Jerkeley: duale jugement naturel, dans le sentiment, dausles 
l~preastons vi8UeUes, dans la perception de la troisième dimcn­BIon, 
ce sont des connaissances hâtives, confuses, maia pl'6ll- 
1. Berkeley. B.roi d'une lIDuudl. ffllOl'ie de la l1i,ion (OEulII'U elloufu# 
'rlld. Leroy, Paril, 1944, L J, p. 163·UH).
7' Lu mots et la Ch08t.8 
sant.es, inévitables ot contraignantes, qui servent de signes li. 
des connaissances discursives, que nous aulres, parce quo 110US 
DO sommes pa!! de purs esprits, nous n'avous plus le loisir ou la 
permi!l.'1ion d'atteindre nOlis-mômes et par Ja seule force de 
Dotre csprit. Chez Malebranche et Berkeley, le signe ménagé 
par Dieu, c'cst la superposition rusée et prévenante de deux 
eonnaissanr.c!l. Il n'y a pills là de dipinatio, - d'iJlscrtion 
de la connaissance dans l"cRpne6 6nigmatiquc, ouvert et 
ancré des signes; mais une connaissance brève et. ramassée 
sur elle-même ]0 repli d'UDO longue suito de jugements 
dans la figure rapide du signe. On voit aussi comment, par 
un mouvement en retour, la connaissance, qui a emermé lcs 
BignOB dans 80n espace propre, va pouvoir mnintenant .,'ouvrir 
à J. prob[1bilité : d'wle impression il une autre le rar,port.llera de 
signe à siguifié, c'est.-à-dire un rapport qui, il la manière de 
oolui do suocess~on, B6 dél)loiera de la plus 'Ilible Pl'Obabilit6 à 
la plllS grande certitude. « La connexion des idées implique 
Don pas la relation de cause à effet, muis seulement celle d'lm 
indice ct d'un signe li. la chose signifiée. Le leu que l'on voit 
n'est pas la CRll!l6 de la douleur dont je souffre si j'en approche: 
il en est l'indice qui me prévient de cette douleur 1,. A la 
eonnaissan«le qui devinait, au hal/Ard, des signes absolus 'et plus 
anciens qu'elle, s'est substitué un réseau du signes bâti pas à 
pas par la connaissance du probable. Uwne CIIt devenu pos­sible. 
2. Seconde variable du Rigne: la forme de sa liaisoD avec ce 
qu'il signifie. Par le jeu de ]n conVCDWlce, de l'émulation, et 
de l~ sympatbie surtout, la similitude au XVIO siècle triomphait 
de l'espace et du temps : CBI' il appartenait au signe de rame­ner 
et de réUllir. Avec le clRs!IÏelsrnc, au contraire, le signe se 
caractérise par son essentielle dispersion. Le monde circulaire 
des signes convergents est remplac6 pal' un déploiement à. 
l'infini. En oet espace, Je signe peut avoir doux positions : 
ou bien il fait partie, à titre d'élément, de ce qu'il sert à 
désigner; ou hien il en est réellement et actuellement sll.paré. 
A vrai dire cette alternative D'est l'II!! 1'8.dicalej car le Signe, 
pour fonctionner, doit être à la fois inséré dans ce qu'il signifie 
et distinct de lui. POUl' que le signe, en effet, soit ce qu'il est 
il a. rallu qu'il soit donné à la connaissance en même temps 
que ce qu'il signifie. Comme le fait remarquer Condillac, 
un son ne deviendrait jamais pour un enfant le signe ... erbal 
d'une chose s'il n'avait été entendu, pour le moins, une foia 
1. Berkole) .. , Prlndpu de la c:ormaûllUlu lIumain. (Qi'1IlII'CI choral." t. r, 
p.2671·
Reprl.enter 75 
au momllnt où cette cholle est perçue 1. Mais pour qu'un 
élément d'une perception en prusse devenir le signe, il ne suffit 
pas qu'il en fasse partie; il faut qu'il lioil distingué il litre 
d'élément et dêgagé do l'impression globale à laquelle il était 
Clon[usément liê; il faut donc que celle-ci soit divisée, que l'atten­tion 
tie !loit port6e sur l'une de CliS régions enchevêtrées qui la 
composent et qu'elle l'en ait isolée. Ln constitution du sir"rne est 
donc inséparable de l'analyse. n cn est le résultat puisque, SIlIlB 
elle, il ne saurait apparaître. Il en est aussi l'instrument puis" 
qu'une fois défini et isolé, il peut être reporté sur de nouvelles 
im11l'essions; et là, il joue pa1'rappol't il elles comme le rôle d'une 
grille. Parce que l'e~prit analyse, ]e signe apparaît. Parce que 
l'esprit di~posc de signes, l'ana.lyse ne cesse de se poursuivre. 
On comprend pourquoi de Condillac il Destutt de Tra.cy et il 
Geraodo, la doctrine générale des signes et ]a définition du 
'Pouvoir d'analyse de la pensée se sont très exactement mper­posées 
dans Wle seule et rn!hne théorie de la connaissance. 
Lo1'!lrpto la Logique de Port-Iloyal disait qu'un signe pouvait 
être inhéront li. 00 qu'il désigne ou séparé de lui, elle montrait 
que le signe, à l'âge classique, n'est plus chargé de rendre ]e 
monde proche de soi et inhêrent li S65 propres forme!!, mais au 
contraire de l'étaler, de 10 jmttaposer selon une surface indéfmi­ment 
ouverte, et de poursuivre Il partir de lui le déploiement BanS 
terme dlls suhstituts dans lesquels On le pense. Et o'est ~ar là 
qu'on l'ofTre à la fois à l'analysa ct il la combinatoire, qu on le 
rend, de bout en bout, ordonnable. Le signe dans la pcnlloo clas­sique 
n'efface pas les distances, et n'abolit }las ]e temps: an 
contraire, i] permet de les déroulcr ct de les parcourir pas li. pas. 
Par lui les choses deviennent distinctes, sc conservent en leur 
identité, se dénouent et se lient. La raison occidentale entre 
dans J'âge du jugement. 
3. fi l'elite une troisième variable: celle qui pP.Ut prendre les 
deux valeurs de la oature et de la convention. On sa.vait depuis 
longtemps - ct bien avant Je Cralyle - que les signes peuveot 
être donnés par la nature ou constitués par l'homme. Le 
XTle siècle ne l'ignorait pas lui non plus, et recolUlai!lsait. dans 
les langues bumaines les signes d'institution_ Mais ]~s signel 
artiliciels ne dtlvaient leur pouvoir qu'à leur fidélité auxsiglles 
na.lurt:ls. Ceu.'(·ci, de loin, fondaient tous les autres. A partir 
du XVIIe siêclo, on donne Wle valeur inverse à la nature et ~ 
la convention: naturel, le signe n'est rien de plus qu'un 61ê­ment 
prélevé sur les chosoo, ct. constitué comme liigno par 
1. Condillnc, Es!oÎ "Ir rorigine du conlltli_nee6 numaÎna (OEullrea, l'lIrÏ!, 
17<Jb, t. l, p. 1~2()S).
16 
la connaissance. Il est donc presc1'Ït, rigide, incommode, et 
l'e!lpl'Ït ne peu.t s'en rendre mnhre. Au contraire lorsqu'on 
établit un signe de convention, on peut toujours (ct il Cnut 
en elIet) le choisir de telle 50rte qu'il soit simple, facile il 
rappeler, applicable à un nombre indéfini d'éléments, RUS­ceptible 
de se diviser lui-même et de se eOmpMCrj le signe 
d'institution, c'est le signe dans la plénitude de son fonction­nelllent. 
C'ts!. lui qui trace le partage entre l'homme et 
l'''lÙmlll; lui qui tral~8Iorme l'imagination p.n mémoire volon­taire, 
l'attention spontanét cn réflexion, l'ÎlL'itinct en connai,­slUlce 
ruisonnable 1. C'est. lui encore dont Itard a. découvert 
le dtifau~ chez le te Sauvage de.l'Anyrou 1. De ces signes de 
conventiou, les sib'lleS lUlt.urelli ne !:jont que l'esquisse rudi­IDontaire, 
10 dtlssiu lointain qui ne sera achllvé que pur l'ilL:!­tallration 
de l' arbi trllire. 
Mais cet arbitraire est mesuré par sa (onction, et ses règles 
très exactement dMinios par elle. Un système arbitraire de 
signes doit permettre l'analyse des chuses daWi leurs éléments 
les plus simplesj il doit décomposer jusqu'à l'ori:;iDe; mais il 
doit ausiO montrer comment sont possibles les combinuisulls 
de ccs élilffient!l, et permettre la genèse idéale de III complon.6 
des choses ... Arbitraire:t ne S'OPPOllC à .. naturel 1 quc si on 
veut dé~igner la manière dont les signes ont été éta.blis. Mais 
l'arbitraire, c'est aussi la grille d'analyse et l'espace combina­toire 
à. travers lesquels la nature va se donner en ce qu'ellc 
cat, - "U ras des impressions originaires et dans tout cs les 
formes possibles de leur combinaison. En sa perfection, le sys­tème 
des sib'tUlS, c'est cette langue simple, absolument trans­parente 
qui est capable de nommer l'élémentaire; c'est aussi 
cet oUMcmLle d'opératiollll qui définît toutes les conjonctions 
)lossibles. A llUS regards, cette recherche de l'origine ct ce c!llcul 
des groupomonts paraissent incumpatible!!, et 110US les déchif­frons 
volontiers comme UDe arubigu',té dlWti la peusée du. xy,,!! 
et du xvme sillcle. De même, 10 jeu eutre le Itystème el la 
nature. En fait, il n'y Il pour elle aucune cuntradiction. Plus 
précis~ment, il existo une disposiLion nécessaire et unique 
qui traverse toute l'épÏ3t8mè clasllique : c'e.<;t l'appartenance 
d'un calcul universel et d'une rechllrche de l'ülémunLaire dans 
un système qui est a.rtificiol, ct qui, par là-même, plluL faire 
appara.Ître la nature depuis ses éléments d'origino jusqu'à la 
simultanéité de toutes leur8 combinaisons possibles. A l'âgo clas­Bique 
se servir des signes, cc n'est pas, comme aux siècles pre­cédcnt&, 
essayer de retrouver nu·dessous d'eux le texte primitiC 
1. Con~l1Il1c, BIMt" 6U" rurtglnc dt. comlldnanct. humalnn, p. '75.
Repmentfr 77 
d'un di!lcours tenu, et retenu, pour toujours; c'est tenter de 
découvrir le langage arbit.raire qui autorisera le déploiemeot 
de la Jlature en son espace, les termes derniers de son ana­lyse 
et. Jes lois de sa composition • .Le sa.voir o'a plus il désen­sabler 
la vieille Parole duos les lieux incoDDus où elle peuL se 
c[lcher; il lui faut fabriCJ1:ler une langue, et qu'elle Boit bieo 
faite - c'est-à-dire quc, analysante el. combinanle, eUe lIoit 
réelldmont la langue des calculs. 
On peut dëfuùr maintenant Ics inst.ruments que prescrit à Ja 
pensée classique le système des signes. C'est lui qui. int.roduit 
dans la connaissance la probabilité, l'analyse et la combinatoire, 
l'arbitraire justifié du système. C'cst lui qui donne lieu il la fois à 
la recherche de l'origine et à la c.lculabilitéj Il la constil.u&ion de 
tableaux fixantles compositions possibles ct à.]a restitut.ion d'une 
genèse Il partir des éléments les plus simples; c'est lui qui rap­proche 
tout savoir d'un lugage, et cherche Il substituer il toutes 
les langues un système de symboles artificiels ct d'opérations do 
llature logique. Au niveau d'une histoire des optnions, tou 
ceci appnraltrait sans doute comme un enchevêt.rement. d'in­fluences, 
où illaudrait. bien 58DS doute faire apparaître la part 
iodividuelle qui revient. à Hobbes, Berkeley, Leibniz, Cqndillac, 
al,pt Idéologues. Mais si on interroge la pensée classique au niveau 
de ce qui archéologiquement.l'a rendue po~sible, on s'aperçoit 
que la dissocintion du signe ct de la ressemblance au début du 
XVll' 5iècle a fait appa1'llitre cos figures nouvelles que BOOt. la 
probaLililé, l'analyse, la combinat.oire, le système et la langue 
universelle, non pas comme des t.hèmes succeSlliCli, s'engendrant 
ou se chastiant les uns les autres, mais comme un réseau unique 
de nécessités. Et. c'est lui qui a rendu possibles ces individua­lités 
que nous appelons Hobbes, ou Berkeley, ou Hwne, ou 
Condillac. 
IV. LA REPRÉSENTATION RBDOUBLÉE 
Ccpr.ndant 1ft propriét.é des signes la plus fondamontale 
pour l'épÏ81émè classique n'a pas été énoncée jusqu'à présent. 
En effet, que le signe puisse être plus ou moins probable, plus 
ou moins éloigné de ce qu'il si:;?Ùfie, qu'il puisse être Dat.urel 
ou arbitraire, sans que sa nat.ure ou sa valeur de signe cn soit 
affectée, - tout cela montre bien que le rapport du signe il BOil 
contenu n'est pas assuré dana l'ordm des choses elles-m&mel.
78 Le. mot. el lu eh08t. 
Le rapport du liigniliant .u .;gnifiê se loge maintenant danl 
un eB)la~ où nulle figure intermédiaire n'assure plu. leur 
rencontre : il est, li l'intérieur de la connai,~ance, le lieD 
ét.abli cntre l'idk d".&nB chaRs et.l'idé8 d'uM aulrs. La Logiql~ 
de Po,'-Rnynl 10 dit : c le signe enferme deux idées, l'une 
de la r,hORC qui repréRcnte, l'autre de la chose représentée; 
et sa nature consiste à excit,er la première pur la lIeconde 1 1. 
Théorie ducne du signe, qui s'oppose Bans équivoque li l'or­ganisation 
plus complexe do la Renaissance; alors, la théo­rie 
du !li~ne impliquait trois éléments parraitement distincts: 
ce qui était marqué, ce qui était marquant, et 00 qui permettait 
de voir en ceci la mArque de cela; or ce dernier élément, c'était 
la ressemblance le signe marquait dans la me!IUre où il 
était 1 presque la même chose 1 que ce qu'il désignait. C'est 
ce système U:lIitaire et triple qui disparait en même temps quo 
la 1 pensée par ressemblance l, et qui est remplacé par Wle 
organisation strictement binaire. 
Mais il y a une condition pour que le signe aoit bien celte pure 
duolit6. En son être simple d'idée, ou d'image, ou de percep· 
tion, associéo ou substituée il une autre, l'élément signifiant n'est. 
pas signe. Il no ]e devient qu'à la condition de manifester, en 
outre, le rllpport qui ]0 lio li. co qu'il signifie. Il faut qu'il repré­l'lente, 
mais quo cette repmscntotion, à Bon tour, se trouve 
repr~sentée en lui. Condition indispensable il l'organiaation 
binaire du signe, et que ]u LogiqU8 de Pore-ROt/al énonce avant 
m~me de dire ce que c'ost qu'un signe: 1 Quând on ne regarde 
un certain objet que comme en représentant un autre, l'idée 
qu'on en Il est une idée de signo, et ce premier objet s"appelle 
si~rne 1. Il L'idée signifiante se dédouhle, pui!lque li l'idée qui en 
remplace une autre, se superpose l'idée de SOD pouvoir repré­sentatif. 
N'aurait-on pas trois termes: l'idée signifiée, l'idée 
signifiante et, à l'intérieur de celle-ci, l'idée de son rôle de repré­sentation? 
Il ne s'agit pas cependant d'un retour subreptice li. 
un système ternaire_ Mais plutôt d'un décalage inévitable de la 
figure il deux termes, qui recule par rapport à elle-même et 
vient. se loger tout entière ft l'intérieur de 1'61ément. signi­fiant.. 
En fait 10 lIignifiant n'a pour tout contenu, tout.e (onc­tion 
ct toute détermination que ce qu'il représente: il lui est 
ent.ièrement ordonné et transpllrent; mais ce contonu n'est 
indiqué que dlln~ une représentation qui se donne comme telle, 
et le signifié se loge saDS -résidu ni opacité lA l'intérieur de la 
représentation du signe. Il est caractéristique que l'exemple 
1. Logique dt Porl-Rogal. lM parU", oh.p. lV. 
2. Ibid.
ReprMenler 79 
premier d'un signe que donne la Logique de Port'Royal, ce ne 
lioit 11i le mot, ni 10 cri, ni )e symbole, mais la repr(:senlation 
spatiale et graphique, - le d08sin : corto ou tableau. C'est. 
qu'en elTet le tnblenu n'a pour contenu que cc qu'il repr6sante, 
cl pourtant cc contenu n'lIpparaÎt que représent.é pnr une repré­sentation. 
La dispo~ition binaire du signe, telle qu'elle apparatt 
au XVIIIl 3ièclt~, se 9ub!ltitue li. une organiSAtion qui, sur des 
modes différents, avait. toujours été terri aire depuis les stoïciens 
et même depuis les premiers grammairiens grecs; or, cette 
dj~p05itjon suppose que le signe est une repré.,entlllion dédou­hlée 
et redoublée sur elle-même. Une idée peut être !liJrllc 
d'uilc aut.re non seulement parce qu'entre. elles peut !l'établir 
un lien de représentation, mais parce que celte représentation 
pul1t toujOUf$ se représenler à l'intérieur de l'idée qui repré­scute. 
Ou encore porço que, en son essence propre, la repré- 
8cntul.ion est. toujours perlJtlDdiculaire la elle-même: elle est à. 
lu fois indiculion. et apparattre; rapport la un objet el manifes­tation 
de soi. A partir de l'üge classique, 10 signe c'est. la repri· 
lumlati"Ïld de III représentation en tant. qu'elle est repré$8,llab~. 
Ceci a des conséquences d'un gr-.lDd poids. D'abord l'impor­tance 
des signes dans la pen9ée classique. Ils êLaient autrefois 
moyens de connaitre et clefs pour un savoir; ils sont maintenant 
coextensifs à 10 représentation, c'est dire li la pouée tout entière, 
ils sont logés en eUe, mais ils ]0 parcourent selon t.ouLe son 
étendue : d~ qu'une rcpré~eDtat.ion est 1iéo la une autre et 
représente en elle-même ce lien, il y 8 signe: J'idée abstraite 
llilmi6e lR perception concrète d'où elle a lité formée (Condillac); 
l'idêe générale n'est qu'une idée singulière servant de signes aux: 
autres (Berkeley); les imaginations sont signes des perceptions 
dont elles sont issues (Hume, Condillac); If'_'1 sensations sont 
"ignes les unes des aulres (Berkeley, Condillac) et il se peut 
finalement que les sen5atiollS soient elles-mêmf'-s (comme chez 
Berkeley) les signes de ce que Dieu veut nous dire, ce qui ferait 
d'elles comme les signes d'UD ensemble de signes. L'analyMl 
de la représentation et la théorie des signes Be pénètrent 
ab~olument l'Wle l'autre: et )e jour oiL l'Idéologie, à. )a fin du 
xvme siècle, s'interrogera IIlll' le primat qu'il faut donner à 
l'idée ouau signe, le jour où Destutt reprochera à Gerando d'avoir 
fait une théorie des signes avant d'avoir défini l'idée l, c'est 
que déjà leur immédiate appartenance commencera à se brouil­ler 
et que l'idée et le signe cesBeront d'être parfaitement trans­parents 
l'un li l'autre. 
Seconde conséquence. Cette extension universelle du sigue 
1. Deatutl de Traey, Bilmenli tl'I/Uologir (Perl., ln XII, 1. Il, P. 1.
80 Les mots et ~ Cl1OS6S 
dans le champ de la représrntation, exclut ju~qu'à la possi­bilité 
d'une théorie de la signification. En elIet s'interroger 
sur ce qlle c'est que ]a signification suppose que celle-ci soit 
une figure déterminée dans ]a conscience. Mais si les phéno­mènes 
ne sont jamais donnés que dans une reprélentation qui, 
en elle-même, et. par sa représentabililé propre, est tout enlière 
signe, ln signification ne peut faire probl~me. Dien plus, elle 
n'apparaît même pas. Toute1J les représentations 60nt liées 
entre elles comme des signes; à elles toutes, elles forment 
comme un immense réseau; chacune en sa transparence se 
donne pour le signe de ce qu'elle représente; et cependant - ou 
plutôt par le fait même - nullo activité spéoifique de la 
conscience ne peut jamais constituer une signification. C'cst 
88ns doute parce que la pensée classique de la représcntation 
exclut l'aualyse de la signification, que nous outres, qui ne 
pensons Jes signes qu'à partir de celle-ci, nous avons tnnt de 
mal, en dépit de l'évidence, à reconnnttro que ln philosophie 
classique, de Malebranche à l'Idéologie, n été de rond en 
comble une philosophie du signe. 
Pas de sens extérieur ou antérieur au signe; nulle présence 
imJllicite d'un discoul'!! préalable qu'il raudrait restituer pour 
mettrc au jour le sens autochtone des choses. Mai!! non plus, 
pail d'acte consLit.uant do Ja signification ni de genè~e intérieure 
à la conscience. C'est qu'cntre le signe et son contenu, il n'y a 
aucun élément intermédiaire, ct aucune opacité. Les signes n'ont 
donc pas d'autre!! lois que celles qui peuvent régir leur contenu: 
toute analyse de signes est en même temps, et de plein droit, 
déchiffrement de ce qu'ils veulent dire. Inversement, la mise au 
jour du signifié ne sera rien de plus que la réflexion sur les signes 
qui l'indiquent. Comme au XVIe siècle, 4( sémiologie" et Il her­méneutiquc 
li sc superposent. Mais dans une Corme différente. A 
l'âge classique, elles ne se rejoignent plus dans le tiers élément 
de ln ressemblance; elles se lient en ce pou"oir propre de la 
représentation de se représenter elle-même. fi n'y aura dono 
pas une théorje des signes dilIérenle d'une analyse du sens. Pour­tant 
le système accorde un cerLain privilège à la premillrc sur 
la seconde; puisqu'elle ne donne pas à ce qui est. signifié une 
nature différente de celle qu'elle accorde au signe, le sens ne 
pourra être plus que la totalité des signes déployée dans leur 
enchaînement; il se donnera dans le tableau. complet des signes_ 
Mais d'autre, part le réseau complet des signes se lie et s'arti­cule 
selon les découpes propres au sons. Le tableau des signes 
sera l'imagB des choses. Si l'êtoo du sens est tout entier du 
côté du l'igne, le fonctionnement est. tout entier du côté du 
signifié. C'est pourquoi l'analyse du langage, de Lancelot â
81 
Destutt. de Tracy, le lail à partir d'une lhéorie ah5traÎte de. 
!li~es verbaux et. dallS la forme d'une grammaire générale: 
m~is elle prend touJours pour fil direct.eur le sens des mots; 
c'e5t pourquQi aussi l'histoire nat.urelle se prltsenle comme 
annly!le dm; caraatèrcs des êtres vivants, mais que, même ani· 
fiddles, les taxinomies ont toujours le projtlt de J'Cjoindre 
l'Qrdrc nnturel ou tIe le disflocier le moins possible; c'e.o;t pour­quoi 
l'analyse des nt:hesscs st' fait n partir de la monnaie et de 
l'échange, Ulais que ln valeur est toujours fond6e sur le besoin. 
A l'âge" oln~Riqlle, la sr.ience pure des signes vaut comme le 
disr.ollr!l immédiat du signifié. 
Enfin, dl~rnir.re cOTl!Céqucnec qui s'étend sans doute jusqu'à 
nous : la tllt~oric binaire du signe, c-'!l1e qui fonde, depuis Je 
XVII~ siècle, toute ]a science générale du signe, est liée, selon un 
rapport fondamental, à une théorie générale de la représen­tation. 
Si le signe, c'est ]a pure et simple liaison d'un signifiant 
et. d'un signifié (liai~on qui est arbitraire ou non, volontaire 
ou imposéc, individuelle ou collect.ive), de toute façon le rap· 
port ne peut être établi que dans l'élément général de la représen· 
tation : le signifiant. et. le signifié nc sont liés que dans la mesure 
où l'un et l'autre Bonl (ou ont étu ou peuvent être) représentés, 
et où l'UIl repré~onte act.uellemcnt l'autre. n était. donc néces­! 
iaire que la théorie classique du signe se dODDe pour Conde­m" 
cnt ct jus.ification philosophique une. id6010gie~, c'est· à-dire 
"une analyse générale de toutes les Cormes de la rcpl'6sontation, 
depuis la sensation élémentaire jUllqu'à l'idée abstraite et 
complexe. Il" était hien nécessaire également que l'etrouvant le 
projet d'une sémiologie générale, SausruJ'C ait donnê du siee 
une définition qui ft pu parattre c psychologiste ~ (liaison d un 
concllpt ct d'une image): c'est qu'en fait il redécoUTl'llit là la 
condition cla~sique pour penser la nature binaire du signe. 
v. L'IMAGINATION DE LA. RESSBMBLANCB 
Voilà donc les signes affranchis de tout ce fourmillement du 
moude où la Rcnaj~!l8Jlce les avait autrefois répartis. ns sont 
logés dê~ormnis à l'intérieur de la représentation, dans l'in­terstice 
dc l'idée, en ce mince espace où elle joue avec eUe-mê~e, 
50 décomposant et se recompo5ant.. Quant. à la similitude, elle 
n'a plus de~ormajs qu'à retomber hors du domaine de la connais­sance. 
C'cstl'eml)jrique sous lia forme la pluli fruste; on ne peut
82 
pluil C 1- regarder comme faisant partie de la p)lilollopltie 1 IJ il 
moins qu'elle ne soit elTacéo duJlS Bun inexactitude de res­semblance 
et transformée par le savoir en Wltl relation d'6ga­l. 
ité ou d'ordre. Et cependant pour la culUlltissance, la simlli­tude 
elt une indispensable bordure. Cllr une égùité ou UDe 
relation d'ordre ne peut être étahlie 8I1re dllux choses que 
si leur ressemblance a été au moins l"occasion de lei comparer: 
Hume plaçait la relation d"idclltit6 parmi celles, c philo8&' 
pbique&! 1, qui lupposent la réllexion; alurs que la resaem­hl; 
mce appartenait pour lui aux relations naturelles, ~ celles qui 
contraignent not.re esprit selon une 1 force calme 1 mais inévi­table 
1. 1 Que le phiiOtiophe se pique de précision autant. qu"ille 
voudra ••• j'ose pDurtaut le défier de fau'e un seul pal dBJlS sa 
carrière IBns l'aide de la relsemblance. Qu'on jette un coup 
d'oeil Bur la face métaphyaique dei sciences, mAmé lcs muÏDs 
abstraites; et qu'on me dUe si les inductions générales qu'on 
tire des faits particUliers, ou plutôt si les genres mêmeti, les 
espèces et toutes les notioDS abstraites peuvent Sil formerauLre­ment 
que par le moyen de la ressemblance:l 1. A l'ourlct ext~ 
rieur du savoir, la similitude, c"e5. clllte forme à peine dtlSsinée, 
ce rudiment de relation que la counaill5ance doit recouvrir dans 
toute la largeur, mois qui, indéfwiment, demeure au-dessous 
d'eUe, à la lDanière d'une n6ce5~i1.6 muette et ineffaçable. 
CoDuue 8U XVIe siècle, ressemblance et signe s"appellent fata.­lement. 
Mais sur un mode nouveau. Au lieu que la similitude 
ait belluin d'une mllrque pour que lIoit levé IfUn lecret, eUe est 
maÏD.tenant lu fond indiil'érencié, mouvaut, ÎIllItable sur quoi 
la connaissance peut établir ses. relations, &es melurea et 1169 
identités. Double renversement por conBé~uellt : puisque c'eat 
le signe et avec lui toute la connaissance discursive qui exigent 
un fond de sjmilitude, et puisqu'il ne s"agit plus de manifester 
un contenu prialable à la connaissance, muis de donner un 
contenu qui puisse olIrir un lieu d'application aux forme!! de 
la connaissance. Alors qu'au XVIIl sièele, la l'Casemblance était 
le rapport fondamental de l'être à lui-même, et la pliure du 
monde, e]Je est ill"age claasique la forme la plus aimple BOUS 
laquelle Apparaît ce qui est à connaitre et qui est. le plus 
éll>Îgné de la connaissance eUe-même. C'est par elle que la 
représentation peut 6tre connue, c'eat-li-dire comparée avee 
celles qui peuvent être Similain:I, aualyaée en éléments. (en 
1. Hobbes, LOflqu (trad. Destutt de TraCT, IlUmlll" Il' ltUologl" PlIne. 
1806, 1.. Ill, p. 699J. 
2. Hum", E"ai ...,. la MIIIN '''illw/n, (trad. Leroy, Parill. 1946), L r. 
p.75·80. a. Keriaa, RI/faio". pltil_phifUu .ur ,. '''_'''llnel (1767), P. 3 el 40
RtJprhBnUr 83 
êl6ments qui lui lont communa avec d'autres représentations), 
combinée avec celles qui peuvent présenter des identités par­titllles 
ct dirtribu60 61Ullement en un tableau ordonné. La 
similitude daDs ln philoliophie classique (o'ost-Il·dire dans une 
J1hilo~ophie de l'analyse) joue un l'Ôle symétrique d~ celui 
qu'assurera le divers dans la penlée critique et daules phi­losophies 
du jugement. 
En cette position de limite et de condition (ce Bans quoi et' 
en deçà de quoi on ne peut conna1tre), la ressemblance 88 
situe du côté de l'imagination ou, plui exactement, eUe n'ap­pUI'ait 
que par la vertu de l'imagination et l'imagination en 
retour ne s'exerce qu'en prenant appui sur elle. En efTel, si 
on liuppose dans la chatne jninterromputJ de la représenta· 
tion, des impressions, leB plus simples qui soient, et qui n'au­raient 
~s entre elles le moindre degr6 de ressemblance, il 
n'y aurait aucune possibilité pour que III seconde rappene 
la première, la fasse réapparaltre et BuLoriae ainsi 8a re·pré· 
scntlltion dans l'imaginaire; les jmpressions Be luccéderaient 
dnnB la ditTérence la plus totale, - si totale qu'eUe ne 
pourrait même pas être perçue pui!MJUe jamais une représenta­tion 
n'aurait l'occasion de se figer sur place, d'en rcasusciter 
une plul ancienne et de se juxtaposer II elle ~UI' donner lieu 
II une comparaison; la mince identité nécessau." à toute difI6- 
renoiation ne serait même pal donn6e. Le ohangement perp6- 
tuel Ile déroulerait SBDS repère dans la perpétuelle monotonie. 
Maia s'il n'y avait pas dans III représentation l'obscur pou­voir 
de ae rendre présente li. nouveau une mpression palsée, 
aucune iamaïa n'apparattrait comme semblable .. une prêcé­dente 
ou dissemblable d'eUe. Ce pouvoir de rappeler implique 
au moinl la possibilité de faire appualtre comme quasI sem­blables 
(comme voisines et contemporaines, comme existant 
presque de la même façon) deux impressions dont l'une pour­tant 
est présente alors que l'autre, depuis longtemps peut-être, 
a cess6 d'exister. Sanll'imagination, il n'y aurait pas de ressem­blance 
entre leB choses. 
Oll voit le double réquillit. Il faut qu'il y ait, dans leI 
ehoses représentées, le murmure insistant de la reaaem­bl~ 
ce; il faut qu'il y ait, dans la reprillentation, le repli 
touJours possible de l'imugination. Et ni l'Wl ni l'autre de 
ces. ~équisits ne peut Ile dispenser de celui qui le complète 
et !Ul fait face. De là, deux directions d'BIUlIyae qui .e lont 
mamtenues tout au long de l'âge classique et n'ont ceBI' de d rapprooher pour 6noncer finalement dans la dernière moiti' 
u XTIl18 siècle leur vérité comm1D1e d8D8 l'Idéologie. D'Wl 
CÔté, OD trouve l'analyse qui reDd compte du renversement de
Lu ma" et lu cf,osu 
]. série dos rcpréllentntions en un tablllau inactuel mois simu1- 
"ané de comparaisons : analY80 de l'impression, de la rémi­nisconce, 
de l'imagination, de la mémoire, de tout ce fond 
in,,'olontaira qui est comme la mécanique de l'image dana le 
temps. De l'autre, il y fi l'analyse qui rend compte de la rell­semblnneo 
des choses, - de leur rellScmblonce avant leur mise 
en ordre, lour décomposition en éléments identiques et dif[é­rents, 
la répartition en tableau de Jeun similitudes désordon­nées: 
pourquoi donc les choses se donnent-eUes dans un ~he-· 
Tauchement, dans un mélange, dans un entrecroisement où 
leur ordre essentiel est hrouillé, mais assez visible encore pour 
qu'il transparaisse sous forme de ressemblances, de similitud08 
VRbrues, d'oocasÎons allusives pour UDe mémoire en werte? La 
première série de problèmes correllpond tin gros à l'analytique ds 
l'imagiMti.on, comme pouvoir positif de trcinsronner le temps 
linéaire de la représentation en espace simultané d'éléments 
virtuels; la seconde correspond en gros à l'analyse de la 
nalure, avec les laClmes, les désordres qui brouillent le tableau 
des êtres et l'éparpiUent en une suite de représentations qui, 
vaguement, et de loin, se res~emhlent. 
Or, ces deux. moments opposés (l'un, négatif, du désordre de 
la nflture dans Jes impressions, l'autre, positit, du pouvoir 
de reconstituer l'ordre à partir de ces impressions) trouvent 
leur unité dans l'idée d'une « genèse ». Et ceci de deux façons 
possibicli. Ou bien le moment négatif (celui du désordre, 
de la vague ressemblance) est mis au compte de l'imaginutioD 
eUe-m~me, qui exerce alors à elle seule une double fOllctioD : 
si elle peut, par le seul redoublement de la représentation, res­tituer 
l'ordre, c'est dans la mesure justement où ~lle empê­cherait 
de percevoir directement, ct. duns leur vérité analy­tique, 
les identités ct les diiI6rcnees des choses. Le pouvoir de 
l'imagination n'est que l'envers, ou l'autre fnce, de son dêfnut. 
Elle est dans l'homme, li. la couture de l'âme et du corps. C'est 
là que DeSCArtes, Malehranche, Spinoza l'ont en effet 8naly­sée, 
à la fois comme lieu de l'erreur et pouvoir d'accéder à Ja 
vérité même mathématique; ils ont reconnu en elle le stig­mate 
de la finitude, que ce soit le signe d'une chute hors de 
.l'étén:due intelligible ou la marque d'une nature limitée. Au 
contraire, le moment positif de l'imagination peut-être mis 
au compte de la ressemLlance trouble, du murmure vague des 
similitudes. C'est le désordre de la nature dO. à sa propre his­toire, 
li. lieS catastrophes, ou peut-être simplement il sa plu­ralit~ 
enchevêtr6e, qui n'est plus oapable d'otTrir à la repré­sentation 
que des cholles qui se l'68Somblent. Si bien que la 
l'8proeentation, toujours 8nohatnée à des contenus tout proches
Rep,kem., 85 
les uns des autres, BO H:~te, Be rappelle, se replie naturelle­ment 
Bur Boi, fait renattre des impressions presque identiques 
et engenùre l'imagination. C~e9t dans ce moutonnement d'une 
nature multiple, mais obscuH:ment et 8ans raison recommencée, 
dans le fait énigmatique d'une Dature qui avant tont ordre se 
re8l!emhle lA elle-même. que Condillac et que Hume Ont cherché 
le lien de la ressemblance et de l'imagination. Solutions stnc­tement 
opposées, mais qui répondent au même problème. On 
comprend on tout cas que le second. type d'anal~5e se soit 
facilement déIlloyé dans la forme mythique du premIer homme 
(Rousseau) ou do la conscience qui s'éveille (Condillac), ou du 
spectateur ét.ranger jeté dans le monde (Hume) : celle genèse­III 
fonctionnait 8Xllctement aux lieu ut place de la Genèse elle­même. 
Une remarque encore. Si les notions de nature et de nature 
humaine ont lA l'Age olassique une certaine importance, ~ 
n'est pllS parce qu'on a d6couvert brusquement CODlme champ d" 
nlcherclle5 empiriques, cette puisslWce Bourde inépuisablement. 
riche qu'on appelle la nature; ce n'est pUB non plus pareo 
qu'on a isolé Il l'intérieur de cette vaste nature une petit.e 
région singulière et complexe qui serait la nature hUDlaine. 
En fait ces deux concepts fonctionnent pour assurer l'appar­tenance, 
le lien réciproque de l'imagination et do la ressem­blance. 
Sans doute l'imagination n'est-e1le en apparence qu'une 
des propriétés de la nature humaine, et la ressemblance un 
des effets de la nature. Mais à suivre le résenu nrchêologique 
qui donne ses lois à la pensée classique, on voit bien que 
la nature humaine 8e loge dans ce mince débordement de 
la représentation qui lui permet de se re-présenter (toute la. 
nature hUIllaine OlSt là : juste assez à l'extérieur de )a repré­sentation 
pour qu'eUe Be présente à nouveau, dans l'espace 
blanc qui sê.l'are la présence dela représentationet le • re- - de 
S8 répétition); et que la nature n'est que Pinsaisillsablebrouil­lage 
de la représentation qui fait que la ressemblance y est 
sensible avant que l'ordre des identités ne loit visible. Nature 
et nature humaine permettent, dans la configuration générale 
de ~'épisI6m8, J'ajustement de la ressemblant.'9 et de l'imagi­n. 
ahon, qui fonde et rend postiililes toutes les sciences empi­l" 
lques do l'ordre • 
. Au XYle siècle, la ressemblance était liée à un système de 
Sls,.neSj et c'était Jeurinterprêtation qui ouvraitle champ dus con­n8Jlisances 
coner~teg. A partir du XYUe siècle, la ressemblance 
est repoussêe aux confins dn savoir, du cOté do ses frontim-es 
les plus bRsses et les plus humbles. LlI, elle se lie li l'imaginlltion, 
aux répétitions incertaine8, aux analogies embuées. Et au lieu
86 
d'ouvrir sllr une science du l'interprétation, elle impliclue unu 
geni'lse qui remonte de ces lonnes frustes du Même aux grandI 
tableaux dl! savoir développés selon les lormes de l'identité, 
de lu dilTêrence el. de l'ordre. Le projet d'un~ science de l'ordre, 
tel qu'il fut fondé au XVIIe siècle imIlliquait qu'il soit douL16 
d'une genèse de la connaissance, comme il le fut effect.ivement. 
et sons interruption de Locke Il l'Idéologie. 
VI. IlllA.TREilS. ET • T"XI1'tOMU 1 
PI'Ojet d'wle science généralu de l'orare; th6orio des siemes 
analysunt III représlmtMtiuD; dispullitiuD lm tableaux ol'do~nés 
dUI ideut.ités et des difI6reucIl8 : ainsi Il'etiL const.itué Il l'âge 
clussique Ull "tipac" d'eJnpirieit6 qui n'avait. IIUS existé jUllqu'è. 
la nu de la Renllilllluee et qui Bera vou6 à dispnrattre dès le 
début du XIX' liiècle. n est pour DOUS mllintenant si difficile lA. 
restit.uer, et. si profondément recouvert pal' 16 . .système de 
positivités auquel appartient notre savoir, que longtemps il 
est palillé inaperçu. On ID déCorme, on le Dl0sque-A travers 
des oet,6gorius ou un d600upage qui sont les nÔtres. On veut.· 
reconstituer, paraIt-il, ce qu'ont. 6té BU X'Yue et au x'Yltle' siècle 
les c sciences de la vie l, de la c nature. ou de l', homme J. 
Oubliant simplement que ni l'homme, ni la vie, ni la nat.ure 
ne sont des dornainuB qui s~ollrent spont.anément et passivemcmt 
à la curiosité du savoir. 
Ce qui rend possible l'ensemble de l'~pi8thnè' classique, c'est 
d'aboM le rapport à une connaissance de l'ordre. Lortl'lu'.ils'agit. 
d'ordonner les natures simples, on ft recours à une malhuï. 
dont la métbode tmiverselle est l'Algèbre. Lorsqu'il l'agit de 
mettre en ordre de! natures complexes (les l'eprésentatioDil en 
général, telles qu'elles sont données dan. l'expérieuce), il faut. 
commuer une t.oeinomia et pour ce faire msaurer un système 
de signes. Les signes sont à. l'ordre des naures composées ce 
qu'est l'algèbre à l'ordre des natures .imples. Mais dans la 
mesure où les représentations empiriques doivent :pouvoir s'ana­lyller 
en nat.ureli simples, on vuit quD la taa;inumw. Be 1'8pporte 
tout entière à la malh"~i en revanche, puisque la perception 
des 6viden~ea u'elt qu'un cas particulier de la représentation 
8U général, on peut dire Ilwsi bien que ]a mathe.Ï8 n'est qu'~ 
cas particulier de la toeinomia. De mflme, les signes que la 
peDl!ée établit elle-même coDiltituent comme UQfI algèbre deI 
repr6sentations complexes; et l'algèbre inveraement est uno
87 
méthode pour donner des .igues aux natures .imples et pour 
opérer ,ur ce •• ignes. On a dong la dillpolition suivante: 
Science général!! de l'ordre 
Natures simples 04 Représentations complexes 
.J. • ". ."- • ltI aUwsu " oz mom&a 
t . t 
Algèbre +~---------+) Slgues 
Mais ce )l'est pas tout. La ta:z:ûwmEa implique en outre un 
certain COlltwUWll des choses (une non-di1icontinuité, une 
plônilude de l'être) et une certaine puis~auce de l'imagina­tion 
qui rait appnrattre ce qui n'est pas, mais permet, par 
là-môme, de mettre au jolll' le continu. La p05liwilité d'une 
SciCUC6 d"t; ordres empmques l'Clquiert dono une analyse de 
la cOIWaissance, - analyse qui devra ulUntl'tlf OODlWtlnt la 
continuité cachée (et comme brouillée) de l'être peut S6 recoos­tituer 
à trv.vel'& le lien temporel de représentations disconti- 
11ues. De là la nécessité, toujours manlCcst6e au long de l'âge 
classique, d'interroger l'origine des connaissances. En fait, ces 
analyses empiriques De s'opposent pal au projet d'une mathesia 
universclle. comme un scepticisme à un rationalisme; elle8 
étaient ennlolJpées daUIi les réquisits d'un savoir qui ne se donne 
plus cowwe expérience du Même, mais comme établissement de 
l'Ordrt:. Aux ù~ux Ilxtr6witéa de l'éputimè clas1Iique, on a dono 
une mathlUlU comwe science de l'ordre calculable et une genùa 
comwe analyse de la COWiLitutioD des ordres à partir des suites 
empiriques. D'un côt.é OII. lI.liliso les symboles des opérations 
pUliliiblcti SUI' dcs identn6s et des différences; de l'autre, on ana­lyse 
1611 marques progressivement défOsées par la ressemblance 
des oho~es et les retours de l'imagmation. Entre la mathu;' 
et la glJllèBe, s'ëtend la Jjgion des signes, - des Signll8 qui tra­vere 
eut tout ]e domaine de la représentat.ion empirique, mais 
DU la débordent jamais. Bordé par le calcul et la genèse, c'est 
l'e~pace du tableau. En ce savoir, il s'agit d'affecter d'UD sigue 
tout ce que peut nous offrir notre représentation: perceptions, 
~D8éeS, _ désirsi ces signes doivent valoir comme caractères, 
ç .t:II~-à.-dire articuler l'ensemble de la représentation en plages 
~ILm6le.II, séparées les UDes des autres par des traits assignables; 
1Is aut.oriSent ainai l'établissement d'un système simultané selon 
]equelJes représentations énoncent leur proximité et Jeur éloi­r~ 
ent., JeUl' ,!oisiaage et leurs écarta. - donc I.e réseau qui, 
on; cluulIologlc. mauiCclte lcur parenté et rc!:!tltuc dans uo
88 
espace permanent Jeun relations d'ordre. Sur ce mode peut se 
dessiner le ta.bleau des identités ct des différences. 
C'est dans cette région qu'on rencontre l'lr.ütoire naturelte,_ 
science dl'ls caractères qui a.rticulent la continuité de )a nature 
et. son enr.hevêtrement. Dans cette région aussi qu'on rencontre 
la tlléor; .. de la monnaie et de la valeur, - science des siJp1es 
qui autorisent l'échange et permettent d'établir des équlva~ 
lences enlre les besoins ou les désirs des hommes. Là onfin 
que se loge la Gmmm"ire ginérale, 5cillIlce des signes par quoi 
los howroes rtlgroupent la sillb'Ularité de leurs perceptions et 
découpent le mouvemeut continu de leurs pensées. Malgré leuTS 
ditrércnoo~, ces trois domaines n'ont oxitit6 à l'âge classique 
quo duns la mesure où l'espace fondamental du tableau s'est 
instauré entre le calcul des égalités et la genèse des représen­tations. 
On voit que ces trois notions - math6.!Ï8, tlJ3:inomÙJ, gerW6t 
- no désignent pas tellement des domame.q séparés, qu'uu 
réseau solide d'appartenances qui définit la configuration géné­rale 
du savoir à l'époque classique. La ta:J:inomia ne s'oppole 
pas à la mathUÎ6 : elle se loge en elle et s'en distingue; car eUe 
aussi est une science de l'ordre, - une malllesu qualitative. 
Mais entendue au sens strict, )a mathesis est seience des égalités, 
donc des attributions et des jugements; c'est la science de 
la YiriUj la toeinomia, elle, traite des identités et des diffé­rences; 
c'est la science des articulations et des classes; elle est 
le savoir des êtres. De même la genèse se loge à l'intérieur de la 
tazinomia, ou du moins trouve en eUe sa possibilité première. 
Mail! la ta:ûnomia établit le tableau des dilI'6rences visibles; 
la genllso 8uppose uno série successive; l'une traita les 
signes dans leur simultanéité spatiale, comme une syn­taxe; 
l'autre les répartit dans un analogon du temps comme 
une chronologie. Par rapport à la mathesis, la taxinomia rone­tionne 
comme une ontologie en face d'uno apophantique; 
en face de la genèse, elle fonctionne comme une sémiolo­gie 
en face d'une histoire. Elle définit donc ]a loi générale 
des êtres, et en même temps, les conditions sous lesquelles 
on peut les connaître. De là, le fait que la théorie des signes à 
l'époque clauique ait pu porter à la fois une science d'allure 
dogmatique, qui se dowlait. pour la connais5auce de la nature 
elle-wême, et une philosophie de la représentation qui, au cours 
du temps, est dovenue de plus en plus nominalÏlite et de pluR 
en plus sceptique. De là aussi le fait qu'une pareille disposition 
aiL disparu au poiut que les âges ultérieurs ont perdu jusqu'l 
la mémoire de Bon existence: c'est qu'après la critique kan­tienne, 
et tout ce qui est paesé dans la culture occidentale à J.
89 
L! du XTtIai' siècle, un partage d'un nouveau type s'est l•i ns ta..... • d'un côté la mat14t1a"" s'est regroupee conllt•l tuant 
ID ~~. l' , 11 . • , une apophantique ct une onto ogle; c est e e qUi JUsqu il nous 
a régné sur les disciplines formelles; d'un autre côté, l'histoire 
et )a 8~miologie (celle-ci o~s~rb.~ d'aille,1:'l's par cel!e-Ià) s~ 
sont rejointes dans ces dlllCJphnes de 1 mterprétatlon qUl 
ontdérou16 lour pouvoir de Schleiermacherà N iet:r:sclleetàFreud. 
En tout cas, l'ipistlmè clossique peut se défmir, en sa disp.r 
silion )a plus gbnéra,le, par ]e systèm~ articule: d:une malhesÏ$, 
d'Wle taxinnmia et. d une analyse géndt'que. Les sCiences portent 
toujours avec clle8 ]~ proje1.l1}ême loin~ d'une mise en ordre 
exhaustive: elles pOJOtent touJours ~~ISSl vers la ~éoouverte des 
éléments simples et de leur composition progressIVe; ct en leur 
milieu elles Ront tableau, étalement des oonnaiRsancos dans un 
systèn:e contemporain de lui-même. Le centl'e du 8Ilvoir, au 
xvu& et au nUle siècle, c'est le tableau. Quant aux grands 
débats qui ont occupé l'opinion, ils se logent tout naturellfl­meut 
dlln~ les pliures de cette organisation. 
On peut bien écrire une histoire de la pensée à l'époque 
claesique, en prenant ces dl:bats pour points de départ ou 
pour thèmes. Mois on ne fera alors que l'histoire des opi­nions, 
c'est-à-dire des choix opérés selon les individus, les 
JDilieux, les groupes sociau."'(; et c'cst toute une méthode d'en­quête 
qui est impliquée. Si on veut entreprendre une analyse 
archéologique du savoir Ini-même, alOI'5 ce ne sont pas ces débats 
célèbres qui doivent servir de fil directeur et articuler le propos. n faut reconstituer le' système général de pensée dont le 
rt8eau, en sa positivité, rend Jlossible un jeu d'opinions simul­tan~ 
s et apparemment contrudictoires. C'cst ce réseau qui 
définit les conditiOn! de possibilité d'un débat ou d'un pro­hlème, 
c'est lui qtü est porteur de l'historicité du sovoir. Si le 
:monde occidental s'est battu pour savoir si la vie n'était que 
D?IlVemellt ou si la nature était assez ordonnée pOUl' prouver 
Dieu, ce n'est pas parce qu'un problème a été ouvert; c'est 
Jlltrcequeaprès avoir dispersé le cercle indéfini des signes et des 
l'e!isemblauces, et avant d'organiser les séries de la causalité 
ct de l'hi5tOire, l'épÏ$thn~ de la culture occidentale a ouvert 
un espace en tableau qu'elle n'a cessé de parcourir depuis 
les Io~es calculables de l'ordre jusqu'à l'aualyse des repré­~ 
tatloDS les plus complexes. Et ce parcours, on ca perçoit le 
bjllnge à la surface historique des thèmes, des débats, des pro-èmes 
.et des préférences de l'opinion. Les connaissances ont 
t~ave~e de bout en bout un « espace de savoir J qui avait lIt6 
diSpos: d't,!ll coup, nu xvne siècle, et qui ne devait être referm6 
que cent cmquante ans plus tard.
90 Lu mo'" et la choIe, 
De cet espace en tableau, il faut entreprmldre mailltenallt 
l'analyse, là oil il appurait. sous sa forme )11 plus eillirü, c'e.~t­à- 
dire dan8 la théorie du langage, de la ela!1sification et de la 
monnaie. 
On objectera peut-être que le seul fait de vouloir aJlRl)'sel' 
à la foil!l et d'un scul tenant, la grammaire bréllémle, l'hist.oire 
naturelle et l'économie, en les ral'portant à une théorie géné­rale 
des signes et de la représontation, SUIJJ,ose une question qui 
ne peut venir que de notre siècle. SaD5 doule l'ilge classique, 
pas plus qu'aucune autre culture, nia pu circonscrire ou norn­mer 
le système général de son savoir. Mais ce système a été 
assez contraignant pour que ]es formes visibles dts cOlwais­Bances 
y esquistlent d'elles-m~mes leurs parentés, comme Iii ltlti 
méthodes, les concepts, les types "d'onalyse, les expériences 
acquises, les esprits et finalement les hommes eux-mêmes 
l'étaient déplacés au gré d'un réseau fondamental qui d6fini .. - 
sait l'unité implicite maia inévitable du savoir. De ces d6pla­cements, 
l'histoire a montré mille exemples. Trajet tant 
de fois parcouru entre la théorje de la connnissllnce, colle 
des signes et celle de la grammaire : Port-Royal a donné 
.a Grammaire en complêment et comme suite naturelle de 
88 Logique à laquelle elle .e :rattache par une commune 
analyse des signes; Condillac, Destutt de Tracy, Gerando 
ont articulé l'une sur l'autre )a décomposition de ln connais­sance 
en ses conditions ou Il éléments lt et la réflexion sur 
ces signes dont le langage ne forme que l'applicatiun et l'usage 
l8S plus 'YÏsibles. Trajet aussi entre l'analyse de la représen­tation 
et de. signes et celle de la riobesse; Quesnay le Physio­crate 
a éerit un article «Évidence 1 Jlour l'EncyclupAdie; Condll· 
lac et Destutt ont l,lacé dans la ligne de Jour théorie de la 
connaissance et du langage celle du commerce et de l'écunomie, 
qui avait pour eux valeur de politiTle et aussi de morale; on 
lait que Turgot a écrit l'article 1 Etymologie li de l'Encyclo­pédie 
et le premier parallèle lIystématique entre la monnaie et 
lei mota; qu'Adam Smith a écrit, outre Ion grand ouvrage 
f:conomique, un cssai sur l'origine des langues. Trojet entre la 
théorie des classifications naturelles et. celles du longage : 
Adanson n'a pas voulu 8eulBment créer une nomendatpre li. la 
fois mificiene et cohérente dans le domaine de la botanique; 
il visait (et il a en partie appliqué) toute uneréorgaoillRtioude 
l'6criture en fonction des données phonétiques du langage; 
Rousseau a JaisBé panni Iles oeuvres posthumes dBS éléments de 
hotani'Jue et un trail~ sur l'origine des langues. 
Ainsi se dessinait comme en pointill6 le grand réseau 
du savoir empirique : celui des ordres non quantitatifs. Et
Reprl.se~r 91 
peUI.être l'unité l'Coulée mais jn!listnnte d'une Ta:r:inomia 
UlIijJ6r.rralü apparalt·clle en toute clarté choz Linné. quand il 
projette de retrouver on tous les domaines concrets de lu nature 
ou de ]a 6ociêté, les mêmes dIStributions et Ir. môme ordre 1. 
La limite du savoir, ce serait la transparence parfaite dC1l rcpJ'ê. 
sontatioM aux signes qui los ordonnent. 
J. LiDné, Phifo8(1phl. botaniqrlt, § Hi5 ~l 256.
CHAPITRB l'Y 
Parler 
1. CR1TIQ":B :BT COJUIBl'CTAIRB 
L'existence du langage il l'ûge classique eat à ]a loia souve­raine 
et discrète. 
Souveraine, liuisque Jes mots ont reçu la tâche et Je pouvoir 
de «représenter la pensée.». Mais représenter De veut pas dire 
ici traduire, domler une version visible, fabriquer Wl double 
matériel qui puisse, sur]e 'Yersant externe du corps, reproduire 
la .pensée en son exact.itude. Représenter est à entendre au Buna 
stnet : le langago rcpr6sente la pensée, comme la pemée 56 
l'tlprésente elle-même. II n'y ft pas, pour constituer le langage, 
ou I!0ur l'animer de l'intérieur, un aote essentiel et primitif 
de SIgnification, mais seulement, au coeur de ln repré~entatioD, 
ce pouvoir qu'elle détient de sc représenter elle-même, e'est­à 
·dire de s'analyser en se juxtaposant, partie par partie, sous 
le regard de la réflexion, et de se déléguer elle-même dans un 
substitut qui ]a prolonge. A l'âge classique, rien n'est donn6 
qui lie soit donné à la représentation; mais par le fait même, 
nul signe ne surgit, nulle parole ne s'énonce, aucun mot ou 
aucune propositioll ne vise jamais aucun contenu si ce n'cst 
par le jeu d'une représentation qui se met à distance de soi, 80 
dédouble et se réOéclüt en une autre représentation qui lui 
est éCluivaJente. Les représentations ne s'enracinent pas d,an." un 
monde auquel eUes emprunteraient leur sens; elles Il'ouyren 
d'eUes-mêmes sur un espace qui leur est propre, et dont la. 
nervure interno donno lieu au sens. Et. le langage est. là, eu ce 
écart que la représentation établit à aoi·même. Les mols n6 
forment donc pas ]0 mince pellicule qui double la ,onsée du 
côté de )0 façade; ils la rappellent, ils l'indiquent, malS d'abord 
vers l'intérieur, parmi toutes ces représentations qui ell repré­sentent 
d'antres. Le langage classique est b68ucoup plu8 proche
Ptlrkr 93 
, 0- croit de la pensée qu'il est chargé de manifester; mais 
q')u onlu i ..e. st pas paroUe•le; .1 o•st p.rl5 daos 50n ér seau e't tlSS c~ d ans i Dt~lDe môme qu'eUe dÔroule. Non pas effot extérieur de. la 
sensée mais pens6e elle·mêmo. 
P Et, par là. il so lait invisible ou pl'C~que. Il est en tout cas 
devenu si transparent à la repr6senta~lOn qu.ft son 6tre ce~e 
do {aire problème. La Renaissance a Brr&talt devant le fait 
brut qu'il y avait du languge : dans l'épaisseur du monde, un 
graphisme mêlé aux chosca ou courant au-dessous d'elles; dei 
sigles déposés 8ur les ~a,!uscrits ou sur ~es feuillets des livres. 
Et toutes ces marques mSI!tantes appelaient un langage Bocond 
_ celui du commentaire, de l'exégèse, de l'érudition -, pour 
laire parler et rendre enfin mobile ]e langage qui lommeillait 
eu elles; l'être du langrt~ précédait, comme d'un entêtement 
muet, ce qu'on pouvait llJ'e en lui et les paroles dont on le lai­IIIlÎt 
résonner. A partir du xvu· siècle, c'cst cette existence 
massive et intrigante du langage qui le trouve élidée. Elle 
n'apparaît plus celée dans l'énigme do la marquo : elle n'appa­l'IÛt 
~s encore déployée dans la théorie de la signification. A 
la limite, on pourrait dire que le langage classique n'existe 
pas. Mais qu'il fonctionne : toute son existence prcnd place 
dans .son rôle représentatif, s'y limite avec exnctitude et finit 
pal' s'y épuiser. Le langage n'a plu8 d'autre lieu que ]a repré­sentation, 
ni d'autre valeur qu'en elle: en ce creux qu'eUe a 
pouvoir d'aménager. 
Par Il, le IllDgêlgc classique découvre un certain rapport à 
ltii·m&ne qui jUliqu'a}ors n'avait ét.é ni possible ni même conee­vablo. 
A l'égard de soi. le langage du XVIe siècle était dan. une 
posture de petpétuel commentaire: or, celui-ci ne peut s'exer­cer 
que s'il y a du langage, - du langage qui préexiste silen­cieusement 
au discours par lequel on essaie de le faire parler; 
pour commenter, il laut le préalable absolu dll texte; et inver­sement, 
si le monde est un entrelacs de marques et de mots, 
comment en parler sinon sous la forme du commentaire? A 
purtir de l'~ge classique, le langage se déploie il l'intérieur d!, la 
représentatIon ct. dans ce dédoublement d'eUe-mllme Tli la 
creuse. p~or~ai6, le Texte premiel' s'effaeo, et nv~c lu!, tout 
Je fond lnepUlliablo des mots dont l'être mu ct était msemdans 
~es c~oses; lioulo demeure la rcpréllentation se déroulant danl 
e:, Blgnes verbaux qui la manifestent, ct devenant par ]à 
rfiscour!_ A l'énigme d'une parole qu'un second langage doit 
IQterp!eter s'est substituée Ja Wscllrsivit6 essentielle de ]8. repré- 
8en~tlon : possibilité ouverte, encore neutre et indifférente, OUB que III discours aura 'pour tâche d'accomplir et de fixer. 
/:'. quand ce discours deVIent à lion tour objet de langage, OA
9' lAs mof3 ee lu chose. 
no l'interroge pas comme s'il disait quelque chose sons le dire, 
commo s'il était un langage retenu sur lui-môme et une parole 
close; on ne cherohe plus Il faire lever le grand propos ênigma. 
tique qui est caché sous ses signes; on lui demande comment il 
fonctionne: quelles représentations il désigne, quela éléments il 
découpe et prélève, comment il anal)'Se et compose, quel jeu 
de substit.utions lui permet d'assurer son rltle de représenta. 
tion. Le commentaird ft fRit place Il la crit.iqlM. 
Ce rapport nouveau que le langAge instaure Il l'égard de lui­m~ 
me n'est ni simple ID unilatéral. Apparemment, la critique 
s'oppose au commentaire comme l'analyse d'une forme visible 
Il la découverte d'ml contenu caché. Mais puisque cette forme est 
ceUe d'une représentation, la critique ne peut analyser le 11111· 
gage qu'en termes de vérit6, d'exacti.tude, de propriété ou de 
valeur expressive. De là, le l'Ole mixte de la critique et l'ambi­guIté 
dont jamais eUe n'a pu se défaire. Elle mterrobre le llWgap 
GOmme s'il était pure fonction, ensemble de mécanismes, grand 
jeu autonome des signes; mais elle ne peut manquer en même 
temps de lui poser la question do sa vérit.6oudesonmensonge, 
de 8a transparence ou do 90n opacit6, donc du modo de 
présence de co qu'il dit dans les mots ~Rr lesquels illoreprésllnte. 
C'est Il partir de cette double nécosslté fondamentale que l'op· 
position du fond ct de la forme s'est peu à peu fait jour et 
a occupé finolement la place que l'on sait. Mais cette oppo­sition 
sans doute ne s'est cOllllOlidée que tardivement, lors­qu'au 
XIXe siècle le rapport critique s'est à son tour fragilisê. 
A l'époque classique, la critique s'exerce, SBns dissociation et 
comme d'un bloc, sur le rôle représentatif du langage. Elle 
prend alon quatre formes distinctes quoique solidaires et arti­culées 
l'une aur l'autre. EUe se déploie d'abord, dans l'ordre 
riOexif, comme une critique des moU : impossibilité de bâtir 
une scienoe ou ODe philosophie avec le vocabulaire l'8ÇUj dénon­ciation 
des termes ç6n6raux qui confondent ce qui est dictinct 
daD.8 la représentatIon et dB8 termes abstraits qui séparent ce 
qui doit rester solidaire; nécessité de constituer le trésor d'une 
langue parfaitement analytique. Elle 89 manifeste aussi dans 
l'ordre grammatical comme une analyse des valeu1'8 re{'résen­tatives 
de la syntaxe, de l'ordre des mots, de la constructlon des 
pm8!eS : est-ce qu'une langue est plus perfectio~née lorsqu'dIe 
a des déclinaisons ou un système de prépositions? est-il pre. 
férable que l'ordre des mots soit libre ou rigoureusement déter­miné? 
quel est le régime des temps qui exprime le mieux let 
rapports de succelsion? La critique S8 donne aussi son espaoe 
dans l'examen des fOnDU de la rhétorique: analyse des figuJ'Ù, 
c'elt·à·dire des typel de diacoun avec la valeul' expressive de
Porter 90 
chaCUD, 81l81y!!6 des Iropes, c'e.,t-t-dire des clifléreuta rappol'ts 
ur. It's mot.lI pcu,:ent entl'cteUll'. avec un mê"!6 cont~nu re~l'(r. 
~nr.ntif (désignation par la pa~le ou le tout,l essenLlel ou lac­ces! 
lOirc l'événement ou la CircOnstance, la chose eUe-même 
ou ·&CS ~n!llo~tJ~s). Enfin la critique, en f~ce ~Il langage elt~­tant 
ct déjil é~rJt., 96 d,,?nne pOUl' tache ,de definar le rapp~rt qu 11 
entTtlLicnt avec ce qu t1 représent.e : c est de colLe mawè1'8 que 
l'exligè~e d~s text.ell religioux: s'etit chargée à partirdllxvu6 sièole 
de mél.h(ldes critique9 : il na s'agissait. plus· on elret de redire ce 
qui avait été déjh dit en eux, muis de définir à travers quelles 
figures et images, en suivant qoel ordre, li quelles fins exproe­lIIives 
et pour dire quelle v6ri1.6, tel discours avait été tenu pBl" 
DitlU ou par les Pl'ophèt.e.'1 sous ln fonne qui nous a été transmIse. 
Telle e!!t dRn!! !ID diversité, la dimension critique qui s'ins­taure 
nllcessairement IO!MJUe le IBngage s'interroge lui-même 
li partir de sa fonction. Depuis l'Age classique, commentaire et 
critique s'opposent profondément. Parlant do langage eu 
tennes de représentations et de vérité, la critique le juge et le 
profane. Maintenant )e langage dans l'j1'l'Uption de son être et 
Je questionnlUlt en direction de 80n secret, le commentaire 
s'arrêle devant )'e!'earpement du texte préalable, et il se donne 
la tâche imJWIssible, toujours renoovelée, d'en répétel' en aoi 
la naissance : il Je sacralise. Ces deux façons pour le langage de 
fondel' un rapport à lui-même vont entrer dbormaiB dans une 
rivalité dont nous Ile sommes point sortis. Et qui peul-être se 
renforce de jour en joUI'. C'est que la littérature, objet privilégié 
de la critique, n'a ceBBé depuis Mallarmé de Be rapprocher de 
ce qu'est le lallgage en Bon 6tre même, et par là elle soUicite UD 
langtlge second qui ne soit plus en forme de critique maïa de 
comm~ntaire. Et en effet toua les langages critiques depwsle 
XlXe SIècle ae Bont oharg6ll d'exégàse, un peu comme les ex6- 
~e!J ll'époque classique s'étaient cbargoos de méthodes cri­tIques. 
Cependant, tant que l'appartenance do langage ,. la 
reJl~!lr.ntation ne sera pas dénouée dans notre eolture 00 du 
mOiDS contournée, tous les langages seconds seront pris dans 
l'altemative de la critique ou du commentaire. EtiJsprolifêre­l'ont 
à l'inrmi ùans leul' indécision. 
Il. LA. an .... "M.Ul. GBNi.AL. 
ti L'existence du langage one lois êüdêe,seulsuhsiste sou fonCo 
OllDcment dans ]a représentation: sa nature et ses vertus d.
96 Lu muu et lilS C'IO!lU 
dUcoun. Celui-ci n'est rien de plus que la reprê5entation die­m6me 
représentC:e por des signes verbaux. Mais '{.,clle C5t dOllg 
la particularité de ces lignes, ct cet otrange pouvoir qui Jour 
permet, mieux que tous les autres, de notor la représentation, 
de l'analyser et. de la recoJllposer? !'arnù toules sysLèlllos de 
signes, quel est le propre du laugage? 
Au premier examen, il est. possible de d6Hnir les mots par 
leur arbitraire olllellr earaeL~rc collectif. En sa racine première. 
le langage est fait, comme dit Hobbes, d'un Bystème de notes 
que les illdividus ont. cboisies d'abord pOUl' eux-mêmes : par 
oes marques, ils peuvent rappeler les représentations, les lier, 
les dissocier et opérer sur cllos. Cc sont ccs notes q'.l'une conven­tion 
011 une violence ont imposées à la collectivité 1; mais d6 
toute façon le Bens des mots n'appartient qu'à la représentatiou 
de cbacun~ et il a heau être accept6 par tous, il n'a d'autre exis­tence 
que dans la pensée des individus pris un il un : c C'est 
des idées de celui qui parle, dit Locke, que les mots sont les 
signes, et personne ne peut les appliquer immédiatement comm. 
aignes à autre chose qu'aux idëes qu'il a lui-même dans 1".­prit 
1 ». Ce qui distingue le langnge de tous les autres signos et 
lui permet. de jouer dans la représentation un rôle décisif, ce 
n'est donc pas tellement qu'il soit individu.el ou ~ol1eetjf, Jl3.tu­rel 
ou arbitl'llire. Mais qu'.il analyse la représentation Belon un 
ordre nécessairement successif: les sons, en eiret, no peuvent 
être articul~s qu'un à un; le lllllgage ne peut pas représenter la 
peusée, d'emblée~ en sa totalité; il faut. qu'il la disposo partie 
par partie selon un ordre lilléaire. Or, celui-ci est étmngor à la 
l'8présentation. Certes, les pensées se succèdont dans ]e temps, 
:lI1ai8 chacuno forme une unité, soit qu'on admotte aven Condil­lao 
a quo tous lea élémenta d'une représentation sont donnés 
en un instant ct que seule lu réllexion peut les dérouler un il un, 
Boit qu'on admette avec Destutt do Tracy qu'ils se succèdent. 
avec une rapidité si grande qu'il n'est pratiquement pas pos­Blnle 
d'en observer ni d'en retenir l'ordre t. Ce sont ces repré· 
sentations, ainsi resserrées sur elles-mr:mes, qu'il taut dérouler 
dans les propositions: pour mon regard, c l'éclat e!lt intérieur li. 
la J'Ose Ij dans mon discours, je ne peux évitcr qu'il la précède 
ou la suive 6. Si l'esprit avait pou"oir de prolloIlcer les jùéea 
1. Hot.lJes. 1.1)111'111', "Je. cU., p. Il07-6OS. 
2. Loçko, ESlIllf ,"r '·En/llle/.mini humain (lr:ad. Coste, 2" ,..d •• Amslerrllm, 
l'nll) , p. 321)·321. 
3. Comlill:tc, Grammaire (oellrr~ .• , l. ..... p. 39-10). 
4. Deslult ù" Trac)', J111n1t111, rl'1Uiolu!Ji" l. 1 (l':orli, lUI IX). 
5. U. J)omerguD, Grammaire g~ntral' ulllllytique (l':lrls, BR VII), (. r, 
p. 10-11.
Parler 97 
« cOIIIOle il lClI a}Jcl'çoi, -, il ne lait aucun duute qu', U lei pro­noncerait. 
toutes Il la foie 1 -. Alai. O'lIst cela justement qui n'e&t 
pas possible, car, si .la pen. est une opérat.ion .imple -, « son 
énollcintiQu est une opération succeSliivo 1 _. Lk réside le propre 
du languge, Ce qui le distingue Il la fois de la reprêsentat.lun 
(dvnt iln'ellt pourtant" son tour que la représentation), ct. dOR 
8igrll~s (uuxquels il appartient sans autre privilège singulier). Il 
ne s'0)lpuso pas à la pemée comme l'extérieur Il l'intérieur, ou 
l'expl'tJ~siun à la réflexionj il ne .'oppose pas aux autres signes 
_ gestes, pantomimes, versions, peintures, emblèmes a - 
commc l'arbitraire ou le collectif 8U naturel et au singulier. 
Mais à tout cela comme le successif au contemporain. n est 
ù la pensée ct aux sigues ce qu'est l'algèbre à la géométrie: 
il liubstitue Il la cOlnparaisun simultanée de!! parties (ou des 
grandeurs) un ordre don.t on doit parcourir les degrb les un. 
apri:1I les autres. C'est en ce sens Itrict que le langage est 
arllllyse de la pensée: uon pas simple découpage, mais instaura­tion 
prufonde de l'ordre dans l'espace. 
C'est là que se situe ce domaine épistémologique nouveau 
qUI! l'âge classj'Iue a oppelé 10 , grammaire générale J. Ce serait 
CUlltn:seJlS d'y voir seulement l'opplicalion pure et simple d'une 
logique il la 1.héorie du langage. Mais contreseus êgalemeut 
de vuuloir y déchifIrer comme la p1'éliguration d'unu linbruÎs­lique. 
La Grammaire gé,urak. c'es' l'éluds dB L'ordre parbal daM 
srm rappurt ri la $itUldtIJrJéi~é qu'.Jla li polJ1' charge da représente,.. 
Pour ubjet. propre, elle D'a donc ni la pensée ni la langue : 
wais le dillcuurs eulendu comIRe suite de signes verbau."C. Cetta 
suite Ilst artificielle par rapport à la simultanêité des représen­t. 
atioHs, et dao. cette mesure le langage s'oppose ft la pcnsée 
comDlllle réfléchi à l'inuuédiat. Et pourtant cette suite u"est pas 
la mêmu dans toutes les langues: certaines placent l'action au 
nù1ieu de la phrase; d'autres à la finj certaines nomment 
d'abord l'objet principal de la reprêllelltatioD, d'autres lei cir­cOllstancos 
accessoires; comme le [ait remarquer l'Ellcyclopéd,~, 
ce qui rend les langues 6traugères opaque» les UIleS aux autre. 
et. si dilliciles à traduire, plus que la dillérellce des Illotsl c·ellt 
l'weowllatibilité de leur succtssiOIl c. Par rapl,ort. à l'ordre évi­dent, 
nécessaire, universel, que la sciencel at sw.,,"Ulièremeüt 
l'algèbre, introduisent dans la représentat.ioll, le lauguge eIIt 
'pon.tané, il'1'éfléchij il est comme Dl1tureL U est aussi bien, et 
1. Condillac, Grammaire (OEulR'u, L V, p. 3!~G). 
2. Abbé Slel1rd, eitmenl, de I"lmmlJlre /lln/Nlle (So ~d., Pllrl~, 1809), 1. U, 
p. 113. 
3. G.r. Destutt. de Trally, Ellmenl. d'Jdlologic, L 1 p. ~GI·2G!). 
4. I!.nc!;clupldit, llr~ll:hI • Lunilui o.
98 Lu mots ,r les chose 
selon le point de vue sous lequel on l'envi9age, une représenta­tion 
déjà analysée qu'une r6tlexion li l'étl1t souvage. A vrai 
dire, il est le lien concret de la représentation à la réflexion. Il 
n'est pas tant l'inst.rument de communication des hommes 
entre eux, que le chemin par lequel, nécessairement, la repré­sentation 
communique nvec la réflexion. C'est pourquoi la 
Grammaire générale a pris tant d'importance pour 10 philosophie 
au cours du xvm8 siècle: elle était, d'un seul tenant, la (orme 
IIponlanée de la science, comme une Jogique incontrôlée. de 
l'espri1.1 et la première décomposition réfléchie de la pensée: une 
det; plus primitives ruptures avec l'immédiat. Elle constituait 
comme une philosophie inhérente à l'esprit - «quelle méta­physique, 
dit Adam Smith, n'a pas été indispensable pour for­mer 
le moindre des adject.ifs 2 JI. - et ce que toute philosophie 
devait reprendre pour retrouver, à travers tant de choix divers, 
l'ordre nécessaire et évident de lu représentation. Forme init.iale 
de toute réflexion, thème premier de toute critique: tel est le 
langage. C'e!11; cette choso ambiguë, aussi large que la connais­sance, 
IDIlis toujours intérieure li. la représentation, que la 
Gramrnai.ra générale prend pOUl' objet. 
Mais il faut tout de suite tirer un certain nombre de consé· 
quences 1. La première, c'est qu'on voit. bien comment se par­tagP. 
nt à l'époque classique les sciences du langage: d'un eût#: 
la Rhét.orique, qui traite dcs figures et des tropes, c'est-à-dire 
de la manière dont le langage se spatialise dans les signes ver­baux; 
de l'autre la grammaire, qui traite de l'articulation et de 
l'ordre, c'est-à-dire de la manière dont l'analyse de]a représen­tation 
se dispose selon une série successive. La Rhétorique 
définit la spatialité de la représentation, telle qu'elle IlaU avec 
le langage; la Grammaire définit pour chaque langue l'ordre qui 
répartit daos le temps cette spatialité. C'est pourquoi, comme 
onle verra plus loin, la Grammaire suppose la nature rhétorique 
des langages, même des plus primitifs et des plus spontanés. 
2. D'autre part, la Grammaire, comme réflexion sur le lan­gage 
en général, manifeste ]e rapport que celui-ci entretient 
avec l'universalité. Ce rapport peut. recevoir deux formes selon 
qu'on prend en consid6ration la possibilité d'une Langus uni­~ 
ar8elle ou d'un Discours universel. A l'époque classique ce qu'on 
désigne par la langue universcllc, ce n'est pas le parler primitif, 
inentamé et pur, qui pou1Tait restaurer, Bi on le retrouvait 
par-delà ]es châtiments de l'oubli, l'entente d'avant Babel. TI 
s'agit d'une langue qui serait susceptible de donner à chaque 
1. ConniJIac, Grammaire (OEuvru, t. V, p. 4-5 et 67-73). 
2. Adam SmiUl, C6Midirolion. lIur l'originr dia formation du lllngue.. 
(trad. lrançab., 1860), p. ·HO.
Parler 99 
représentation et à chaque élément do chaque représentation 
le signe par lequel Hs peuvent être marqués d'une façon uni­voque; 
oUe serait capable aussi d'indiquer de quelle manière 
les éléments se composent dans une représentation et comment 
ils sont Iiéll les uus aux autres; possédant les instruments qui 
permetteut d'iudiquer toutes les relations éventuelles entre les 
Icgment.s de la représentation, eUe aurait par le fait même le 
pouvoir de parcourir tou le6 ordres possibles. A la fois Caraco 
téristique et Combinatoire, la Langue universelle ne rétablit pas 
l'ordre des anoiens jours: elle invente des signel, une syntaxe, 
Ulle grnmmoiro où tout. ordre concevable doit trouver Ion lieu. 
Quant au Discours unive1'8el, il n'est pas non plus le Texte 
uuique qui conserve dans le chilIro de SOD seoret la clef dénouant 
tout savoir; il est plutôt la pussibilité de définir la marche 
nat.urel1e ct nécessoU'e de l'esprit depuis les rop,6t1entations le8 
plus simples jusqu'aux analyses les plus fines ou aux combinai 
SOp.s les plus complexes : ce discours, c'est le savoir mis dana 
l'ordre unique que lui prescrit son origine. Il parcourt tout le 
chalnp des connaissances, mais d'une manière en quelque sorte 
souterraine, pour en faire surgir la possibilité Il partir de la 
représentation, pour en montrer la naissance et en mettre à vif 
le lien naturel, liuéaire et universel. Ce dénominateuJ' commun, 
ce fondement de toutes les connaissances, cette origine mani­festée 
en un discours continu, c'est l'Idéologie, un langage '{Di 
redouble sur toute 8a longtaeur le fil spontané de la connats­sance 
: 1 L'homme par 88 nature tend toujours au résultat le 
plus 'prochain et le plus pnHisant. Il pense d'abord à ses besoins, 
enswt.o à ses plaisirs. n s'occupe d'agriculture, de médecine, de 
guerre, de politique pratique, puis de poésie e~ d'arts, avant 
quo de songer à la philosophie; et. lorsqu'il fait retour sur lui­mÔme 
et qu'il commence à réfléchir, il prescrit des règles li. son 
jugement, c'est la logique, à ses discours, c'est la grammaire, 
.. ses d69Ïrs, etest la morale. Il 80 croit alors au sommet de la 
tMorie Il; mais il s'aperçoit que toutes CBS opérations op.t c une 
Bouree commune _ et que 1 ce cent.re unique de toutes le. 
vérités est la connaissance de ses facultés intellcct.uelles 1,. 
La Caractéristiqueunivcrscllc et l'Idéologie s'opposent comme 
l'uni.vcrsalité de la !angue e~ général (elle déploie tous les ordres 
possibles dans la sIDlUltanéitè d'un seul tableau fondamental) 
et l'universalité d'un discours exhaustif (il reconstitue la genèse 
Unique et valable pour chacun de toutes les connaissancea pos­sibles 
en leur enchalnement). Mais leur projet et leur commune 
tl0ssibilité résident. dans un pouvoir que l'âge classique prête au 
1. Dest.utt. de Trac" SlémIJrI" d'/d'al0l_, préface, L J, p. '"
100 Lell mots et les c1uMe, 
langago : celui de donner des signes adéquats à toules les repr'" 
Bcntations quelles quOelles soitlnt. et dOéta'blir entre elles tous 
les liuns possibles. Dans la mesure ot! le Jangage peut repré. 
sonter toutes les représentations, illl!it de plein droit l'élément 
de l'universel. Il doit y avoir un langage au moins polisible 
qui l'ecucillc entre ses mots ln totalité du monde et mven .. 
ment, lc monde, comme totalité du représentable, doit pou­voir 
devenir, en son ensemble, une Encyolopédie. Et le grand 
rève de CLaries Bonnet rejoint là ce qu'est 10 langage dants son 
lieu et SOli appartenance à la représcntat.ion : c Je me plais à 
envisager la multitude innombrable des Mondes comme autant 
de livres dont la colltlclioll compose l'immense Bibliothèquc de 
l' Univers ou la vraie Encyclopédie universelle. Je conçois que 
la grndat.iun mervuilleuse qui est entre ces diJTérents mondes 
fac.:i1ite aux intelligences supérieures à qui il a été donn6 de 
les parcourir ou plutôt de los lire, l'acquisition des vérités de 
tout genre quOil ren(erale et met dan» leur connaissance cet 
ordre eL cct tlUllhatnoOlent qui en foot la principale beauté. Mais 
ces Encyclopédistes célestes oe possèdent pas toua au Dl~me 
degré l'Encyclopédie de l'Univers; les WlB o'eo possèdent que 
quelques branches j d'alltres en possèdent un plus grand nombre, 
d'autres en saisissent davantage oncore; mail! tous ont l'éter­nit6 
pour accroître et perfectionner leurs counaissançes et déve­lopper 
toutes leurs facultés 1 •• Sur ce fond d'WleEncyclopédie 
absolue, les humains constituent des fonncsinterlllédiaires d'uui­' 
V'crsalité composée et limitée·: Encyclopedies alphabétiques qui 
logent la plus graode quantité possible de connaissances dana 
l'ordre arbitraire des lettres; pasigraphics qui permettent de 
transcrire selon un seul et même système de figures toutes les 
langues du monde 1, lexiques polyvalents qui établissent les 
Il)'llonymies entre un Donilire plus ou Dloins considérable de 
languelii enfin les encyclopédies raisonnées qui prétendent 
• exposer autant qu'il est possible l'ordre et l'enchatDemcnt des 
l:unnaissl1nees h1.UDilines:t en examinant .Ieur généalogic et; 
leur filiation, les causel qui ont dû les faire naître et les carac­tères 
qui les dist.inguent a :t. Quel qu'ait été )e caractère partiel 
de tous cet; projou, quelles qu'aient J)U êl1-e les circonstAnces 
empiriques de Jeur entr6yrise, 10 fundemeut de leur p05sibi­liLê 
dans l'6pia&émè claSSique, c·etit. que, Iii l'être du langage 
était. tout entier ramoné à Bon !oucLionl'1Clllent daus la repré- 
1. Ch. BIIWlet, Conlempluliun. de la nalure (lEullr" coml'l;Ju, . IV, 
p. 136, not.e). 
2. cr. DefLuU. de TrllCf, Mbnofru de ""'cudllmie d" Sclrtl'" ffllJralt' cl 
poli/iq"t., l. III, p. !i35. 
3. V'AlIUILed, bUI:Il11n prélimi,."irc de l'Encyclopédie.
Parkr 101 
Icntat.ion. celle-ci n'avait. en revanche de rapIlor, <l a'uluver­sel 
que par l'intermédiaire du langage. 
3_ COlwaissance et. lan~age lont. strictement elltrecroÜiés. Ils 
ont, dans la représentBtlOn, même origims et mÙllle J)rincil'c 
de {ullct.ionuement; ils s'appuient. l'un l'uutre, se complètllut 
eL se critiquent incessamment. En lour Lorme la plllll g{mérule. 
connRttro et parler consistent d'ubord h analyser le silllultaué 
de la rcprétitmtation. à cn distinguer les éléments, à établir les 
relations qui los combineut. les successions possibles selon les­quelles 
on peut les déruuler : c'ellt dans le même mOUVllwellt 
que l·c~prit. pUI-Ie et conuait, c c'est l'ur les nH~mf'.s procédos 
qu'oll apprend à parh:r et qu'ou découvre ou les principes dll 
Iyst.èmc du monde ou ceux des opérations de l'esprit humain, 
c'est-à-dire tout ce qu'il y a de iublime dans nos connais­Bances 
1,. M'ais le langage Il'elit cowlaissance que sous une 
forme irréfléchie; il s'impose de l'extérieur aux individus, 'Ju'il 
guide hon gré mal gré vers des uotious concrètes ou abstraites, 
exactes ou peu fondées; III connais:.ance. ell revanche, est 
comme un langage dont cbuIJUIs mot aUl'llit été examiné et 
chaque relation vérifiée. SavoU', c'est parler CUlwne il Caut et 
comwe le prescrit la démarche certaiue du l'esprit; parler, 
c'erst lIavoir comme on {leut et sur le mudèle qu'imposent. ceux 
dont on partage la naISsance. Les scienoos sout des laugues 
bieu Iaiteli, dans]a mesure même où les langues son~ de:; scielll':es 
ell friche. Tout.e lawgue est donc à reluire: c'est-à.-ilire à expli­quer 
et à juger ell partant de cet ordre analytique que nulle 
d'untre eUu5 ne suit exactement; et à réajuster ovuut.uellemel1t 
pour que la chalue des coDIlaissllnces puisse apparaltre en toute 
clarté, saIlli ombre Ili lacune. Ainsi, il appartient à la nature 
Dlome de la grammaire d'être prescriptivc, non pas du tout 
pan"e qu'elle voudrait imposer les Ilormes d'un beau langage, 
fidèle aux règltlli du gollt, mais paree qu'eUe réfère la possibi 
lit.é radicale de parler à la ID.Û;C en ordre de la représentation. 
De~tutt de Tracy devait Wl juur remarquer que les meilleurs 
tt'alLés do Logique, au xvm8 siècle, avaient. été écrits par des 
~~uUlHirjens : c'est que lCI:i presCl'Ïptiouli de la grammaire 
etaleut d'ordre analytique, 11011 ~thétiquç. 
Et cct~e appartenunce do la langue au savoir ljbère tout. un 
champ }lIstonque qui n'avait pas ~xhMl aux él'0quc~ précé­deu~ 
eB. Quelque chose COUlme une histoire de la coullaillSnnce 
deVient possible. C'est que Bi la langue est une science .pon­taIlée, 
obscure à elle-même et malhabile, - elle eat en retour 
perfectionnée par leI connaissances qui Ile peuvent lie dépo!'er 
1. De5tull di! Traçy, ItCëmCIll' fl' lJMogic, l. J, II. 24.
102 
dans ltml'5 J1'Jots san!! y laissor JOlll' trace, et comme l'empla. 
cement vide de leur contenu. Les langues, &avoir imparfait, sont 
la mêmoire fidèJe de son perfectionnement. Elles induisent Ch 
erreur, mais eUes enrew!ltrent co qu'on a appris. Daus Jeur 
ordre d6sordollllê, elles ront nnttre de fausses idées; mais les 
idées vraies déposent en elles Ja marque inclTaçable d'Wl ordre 
Clue )e husal'd n'aurait pu il lui senl disposer. Ce que nOllll 
laissent 118 civilisations et les peuples comme monum6ots de 
leur peusée, ce ne SOlit pas tellement les textes, que les voca­bulaÏ1' 
cs et ]es synt.axes, les son!!! de Icurs lunguos plutÔt quo 
les paroles ~U'jj5 ont prononcée!!!, moins Jeurs discours que ce 
Clui Jes rendit possibles: la discul'!'ivilé de Jeur langage. 1 La 
langue d'un peuple donne son vocabulaire, ct Bon vocabulaire 
est une bible uStiez fldèle de toutes les connaissances de ce pcu. 
pIc; snI' ]n seule comparaisou du vocabulaire d'unc nation en 
dillércnf,8 tem(ts, on se formerait uue idée de ses progrès. Chaque 
science fi Bon nom, c]Jaque notion dans la science 8 le sien, 
tout ce qui cst connu dans ]a Dature est désigné, ainsi que 
tout ce qu'on invente dans les arta, et les phénom~nC8, ct les 
manoeuvre!l, et les instrumental/l. De là, la possibilité de faire 
une histoire de la liberté et do l'esclavage à partir des langues', 
ou encore une histoire des opinions, des préjugés, des super­Itilions, 
des croyances de tout ordre dont les écrits témoignen' 
toujours moins bien que les mots eux-même5 1• De là aussi le 
projet de Caire une encyclopédie Il des sciences et des arts 1 
qui ne suivra pas l'enchll!nement des connaissancos elles-mêmes, 
mais se Jogera dans la forme du langage, h l'intérieur de l'es­pace 
ouvert dans Jes mota; c'est là que les telllos à venir cher­cheront 
nécessairement ce que nous avons su ou pensé, car los 
mots, en leur déeoupage mute, sont répartis sur cette ligne 
mitoyenne JlOT quoi la science jouxte ]8 perception, et la 
l'éRexion lcs images. En eux ce qu'on imagine devient ce qu'on 
sait, et cn revanche, ce qu'on sait devient ce qu'on se repré­sente 
tous Ics jOlll'B. Le vieux rapport au tt.r:te pal' quoi ]a 
Renaissance définisBait l'érudition s'est maintenant. trans­formé 
: il est devenu à l'Age classique le rapport au pur 
61ément de la kmgus. 
On voit ainsi s'éclairer 1'61ément lumineux dans lequel Çom- 
J. Diderot, Article. Encyclopédie, IÙ rEn~rlopUl., l. V, p. G:l7. U 
2. nOU1scau, Huai,ur foriginc dt' langue, (OEuvres, Paris, JS26, l. XI , 
p. 220-221). 
3. cr. ltlichaelis, De l'jnfluuae. dei oplnlom ,ur le langagfJ (1159; trad. 
française, P:lrls, 1762) : OD snit pal' le seul mot de ao;oe que IllS Grecs IdeDtI­Rent 
Ja glolro et l'oplnloJl; eL pa, l'expre.'I3ion da Clsbs OeIt·ilItr que lai 
Germains cro:yeient. !lUX Tllrtu8 fbndllltei de l'orngfl (p. 24 et. 40).
Parler 103 
. lIont de plein droit langage et connaissance, discours 
~unl~it ut savoir, langue universelle et analyse de la pensée, 
!~~ ire des hommes et sciences du langage. Même lorsqu'il 
~15.~ destiné li la publication, le savoir de la ReIUlillBance s,e 
d~~l o!luit selon un espace clos. L' Il Académie - êtait. un cercle f;;!;lê qui PT?jctait à la surface des c0!1fi~ratious sadules l!l 
f rme osseutlellemellt secrète du laVOir. C est que ce savoll' 
8~lIit our tâche première de faire parler d.es sigles muets : 
il lui fullait en r,econnattre les fo~mes, les lDterpr6t~r et. les 
retranRcrire en d autres traces qUI k leur tour deVluent. êt.re 
déchilfrêt'Si de sorte que même la déeouverte du secret n'échap-oit 
pHS li cette disposition en chicane qui l'avait rendue k 1. 
fuis si dillicile et IIi précieuse. A l'Age classique, connattre e 
parler s'enchevêtrent dan. la même trame : il s'agit pour le 
savoir et pour le langage, de donner li. la représentation des 
lignes par le~quels on puisse la dérouler selon un ordre néces­laire 
et visible. Quand il était énoncé, le savoir du xvt8 siècle 
6t.ait un secret mais partagé. Quand il est caché, celui du XVIlO 
et du XVIIIe siècle ost un discours au-dessus duquel on a ménag6 
un voile. C'est qu'il est de la nature la plus originaire de la 
soience d'entTer dans le syatème des communications verbales 1, 
et de celle du langage d'être connaissance dès son premier mot. 
Parler, éclairer et savoir sont, au sens strict du t~rme, du m_ 
ordre. L'intérêt que l'Age classique porte à la science, la publi­cité 
de ses débats, Bon caract.ère fortement exotérique, son 
ouverture au profane, l'astronomie fontenellisée, Newton lu 
par Voltaire, tout ceci n'est sailli doute rien do plus qu'un phi­Dowme 
sociologique. n n'a pas provoqué la plus petite alté­ration 
dans l'bistoire de la peusée, pas modifié d'un pouce le 
devenir du savoir. n n'~li~e rien, sauf bien sllr au niveau 
doxographique où en effet il faut le situer; mai. sa condition 
de possibilité, elle est Ill, dan. cette appartenance réciproque 
du .sav~i.r et. du langag~. Le xrxfl siècle, plus tard, la dénouera, 
et il lm aravera de laisser l'ml en face de l'autre un savoir 
refermé lur lui-même, et un pur langage, devenu, en son être 
et sa. fonction, énigmatique, - quelque ohose qu'on appelle, 
deP!l1s c!ltte époque Littérature. Entre lOB doux S8 déploieront 
~ l'Infini les langages intel'lDédiaircs, dérivés ou ai l'on veut 
échus, du savoir aussi bien que des oeUVl'9s. 
qUI. ~n coo!ildilre (Cf. par exemple Warburwn, B.1fi ml' lu "llroglgp~$. 
• ti&voll des Anciens et lI1II'Out dllll ~t.iens n'I pRI éU d'allurcl 
:~~~fUbIiC/. mals que d·abord bU! encommun.l1tu~ell,ulte eonllaqu6 
du .avo~ ~YesU par Illa plit~ L'êIotéri!me, Jolnd"1oIIl la forme premi~ftl 
Ir, n eu. eaL qUI la perversion.
104 Lt!-I muu et lu chUllu 
4. Paree llU.'ilc:it devenu all81yse et ordre, le Ir.tngagu hOUe 
aVeG lu temps dus rappurta jus'Iue-Ià. inédits. Le XVIii siècl .. 
admettait que 1l1li langues 118 .u.ccwaient. dans l'histoire et. 
pouvaiont s'y engendrer l'wie l'aut.re. LeI plu. anciennes 6tnitlt 
les langues mères. De tout.es la plus archaïllue puisquu c'étaiL 
la longue de rÉtllmel qUllnd il s'lldreSlilJit (mx hommeti, l'hé­breu 
plissait pour livoir dOJlIlê uaisHaUle au syriaqullI et li rarabe. 
puis venait ]e grec dont lu copte êtait issu ainsi que l'ébryptiell~ 
le lotin aV8i~ dans 50 filiation rit.aliefl, l'espagnol et le françai~: 
enfin du « teutonique - d6rivaiont l'llUewaud, l'anglais et. I~ 
Damand 1. A panir du xvue siècle, le rapport du langage au 
temps s'inverse: celui-oi no dépose plus lus parlers à tout' do 
rôle daIllll'histoire du monde; ce sont les langages qui déroulent 
les représentations et les mots selon une succession dont. eux­l11~ 
U1eS définissent la loi. C'est par cet ordre interne et l'empla~ 
WUl81lL qu'elle réserve aux mots que chaque langue dêfinit 
88 spécific:ité. Et Don plus pauaplace dans uncsériehistoriquc. 
Le telUpli ~t pour le langage 80n mode intéricur d'analysci 
116 n'el:!t pu IiUU lieu de naissance. De là le peu d'intérêt que 
l'üge c1aSlii'lue a porté à la filiation chronologique, nu point tlil 
Dier, coutre toute« évidence - - c'est de ln nÔtre ~l1'il s'agit - 
la {'BrllULu de l'italien ou du français avec le latin • A de tellf'.S 
sénes qui exilStaieut au xne siècle et réapparaîtront au X.IX", 
on substitue des typologies. Et ce sont celles ùe l'ordre. Il y 
a le groupe des langues qui placeut ù'abord ]e 9uje~ dont on 
parle; pma l'action 'lui est entreprise ou subie par lui; enlin 
l'agent sur lequol il l'exeroe : témoios, le rran~ais, l'anglais, 
l'espagnol. En faoe, lit groupe des langues qui font 1 précéder 
tantôt l'action, tant.6t. l'objet, tant6t. la modification 011 la 
circonstance»: le latin par exemple ou r «elil:lavon. dans lea­quels 
la fonction du mot n'est. pail indiquée par sa place mois 
8a Jlexion. Enfin, le troisième groupe est. Carmé par les langues 
mixtes (comme le gree ou le teut.onique), 1 qui tiennent des 
deux autres ayant un article et dea oas Il _. Mail:! il faut bieD 
çOlIJpren~e que ce n'est pas la presence oul'~sence desJlexi~ns 
qui défiuit pour chaque langue l"ordre possible 01 néce3SUll't) 
de »88 mots. C'est l'ordre comme analyse et alignewent su~· 
ceasif de. représentationa qui forme le préalable et presel'It 
J. E. Guiehard, l1armonie ~lgmo/ogifl1t: (1606). Cf. des e11WlnC8U~nB. dl 
memo t.ypo dans Sçaligllr (Diatribe de Europaeorum Iingul8) ou Wilkins, 
..4/1 _fi .toll'Gl'd6 ,etJi dr/JNelu (Lundre!i, 16118), p. 3 Jq. . 
2. Le Dilln, Thb1rie nouueiMJ al la plU'IIlfl (ParhI, .750). Le latin n'aurait. 
&nDliUUS t .'1t.alleu, à l"e8papol et au fran!;llÎa qu", c J'hériLage do qutllqUei 
PlOU.. , 
3. Abb6 Girard, lM Yroll PrIRl:i~. d.'a langue /,lInW611t. (Paria. 1741" 
L 1. p. 2'l--2!i.
Parler 105 
d'utiliser des déçli~ailo.ns ou des a~~icJes. Les lang,ues q~iluiveDt 
l'ordre 1 de l'imagmation et de IlDt~rêt » n~ detenmnent pas 
de place constante poUt' les mots : ellos dOivent !e~ marque~ 
l' des flexions (ce .ont lei langues 1 tranlposlt.lves .). S. 
:: reVAnche elles 8uivent J'ordre uniforme de la réflexion, il 
leur suffit. d'indiquer par un article le nombre et le genre des 
8ubstanifs' ]a place dans l'ordonnance analytique a en elle­m6me 
une 'valeur fonctionnelle : ce sont les langages 1 ana­logues 
1 •• Les langues s~apparentent et ~ distinguent s~r le 
81,loou des types possIbles de SUCcesSIOn. Tableau qw est 
einmlLaué, mais qui I!uggère queUes ont été les lllngues los plus 
anciennes: on pout admettre eu elTet que l'ordre le plus 81,on­tané 
(c~lui d~s images et des passions) a dft précéder 10 plus 
réfléchi (celui de ln logique) : la datation externe est eommand6e 
par les formes internes de l'analyse et de l'ordre. Le temps est 
devenu intérieur au langage. 
Quant à l'histoire mÔme des langues, eUe n'est plus qu'éro­sion 
ou accident, introduction, rencontre, et m6langes d'él~ 
ments divers; elle n'a ni loi, ni mouvement, ni nécessité propres. 
Comment la langue grecquc, par exemple, 8!;t-elle formée? Il Co 
BOnt des marchands de Phénicie, des aventuriers de Phrygie, 
de Macédoine et d'Illyrie, des Galates, d66 Scythes, des bandes 
d'exilés ou de fugitifs ~i chargèrent. le premier fond de la 
langue grecque de tant d espèces de particules innombrable~ et 
de tant de dialectes 1 Il. Quant nu français, il est fait. de Doms 
latins et gothiques, de tournures et de constructiolls gauloises, 
d'articles et de chiffres arabes, dc mots emprunt.és aux anglais 
et aux italiens, à l'occasion des voyages, des guerres ou des 
conventions de commerce -. C"est que les longues évoluent J,ar 
l'elTet des migrations, des victoires et des défaites, dl1s modos, 
des échanges; mais Don point par la lol'CC d'une historicité 
qu'clics détiendraient d'eUes-mêmes. Elles n'obéisstmt li aoeun 
princi~e int~mc de déroulement; ce sont elles qui déroulent Jo 
long d IIne ligne les repré5entations ct lcu1"5 élément!!. S'il y Q J'ïur .Ic!'l l;'ln~e5 llll temps qui o~t positif, ilue faut pa!! le du:r-d 
Ç mr a l'extérieur, du côté de l'histoire, mais dans l'ordOlllHlJlCC 
es mots, au creu.~ du discours. 
1 On peut c!rcoDScrüc maintenant. le champ épistémologique de 
a Gramnu.nre gén6rala, qui est apparu dans la seconde moitié 
m~i~su; ce problèll!e el tes discussions qu'il a I01IlllYles, cr. D!I'IZM. Gram­l'int. 
tr~o"U: (Pans, 1767); abbé BaUeux, NOWH:lcmmen du prijugt de 
(paris, 1;71)~ris, 1767li abb6 d'Olive', BtlJflZlTlU" ,ur la ltmgue/ran,ai .. 
~.• t:b~o,I !'...J ac.l,U Chpe., 2L3a. Aféaznil[tlc fi" lDngu" (ritld. de 1811), p. 16.
106 
du XVIIe siècle et s'est effacé dans les dernières années du siècle 
suivant. Grammaire générul~n'elt point grammaire comparée: 
les rapprochements entre los langues, elle nc les prend pas pour 
objet, olle ne les utilise pas comme méthode. C'est que sa- géné­ralité 
ne consiste pas à trouver des lois proprement grammati­cales 
~i seraient communes à tous les domainlls linguistiques, 
et forolOnt apparaître, en une unjt.é idéale et contraignante, la 
st.ructure de toute langue po~sible; ai elle est générale, c'est 
dana la mesure où elle entend faire apparattre, au-destious des 
règles de la grammaire, mais au niveau de leur fondement, la 
fonct.ion représentat.ive du discours, - que ce soit la fonction 
verticale qui désigne un représent.é ou celle, horizontale, qui le 
lie sur le môme mode que la pensée. Puisqu'elle fait apparultre 
le langage comme une J."eprésentation qui en articule uno autre, 
elle est de plein droit c générale 1 : ce dont elle traite, c'est du 
dédoublement intérieur de la représentation. Mais pui."'que cette 
articulation peut 86 faire de bien des manières différentes, il y 
aurll, paradoxalement, diverses grammaires générales : cene 
du français, de l'anglais, du latin, de l'allemand, etc. 1. La 
grammaire générale ne vise pas à définir les lois de toutes les 
langues, mais à traiter, il tour de rôle, choque langue particu­lière, 
comme un mode d'articulation de la pensée sur eUe·même. 
En tout.6 langue prise isolément la représentation se donne 
de! • caractères -. La gramlllllire générale définira le systèmo 
d'identités et de diflérenccs que supposent et f!.U'utilisont ces 
caractères spontanés. Elle établira la ta:r:inom&6 de chaque 
langue. C'est-à-dire ce qui fonde cn chacune d'elle la possibilité 
de tenir un discou1'5. 
De là ]es deux directions qu'olle prend nécessairement. 
Puisque le discours lie ses parti cs comllle la représentation ses 
éléments, la grammaire générale devra étudier le fonctioIUlI'I­meut 
représentatif des mots les uns par rapport aux auucs : 
çe qui suppose d'abord une analyse du lien qui noue 101i 
naots ensemble (théorio de la proposition et singulièrement du 
verbe), puis une analyse des divers types de mots et de la 
Inanière dont ils déoolll,ent la représentation et IiC -distinguent 
ent.re eux (théorie de l'art.iculaLion)_ Mais puisque le discours 
n'est pas liiwplement un eDllemble représentatif, mais une repré­sentation 
redoublée qui en d6signe une autre - celle-là même 
qu'elle reJIlêsente -la gralDluaire générale doit étudier la 
1. cr_, par exemple, Bumor, G1'IlIIllPlain frvJ,,~ist (porla, 1723, nouVIlUe 
Mition). C'IlIi!. pourquoi, 61a Bn du :II:YUI·, on prerërer& 1·BXPreuiun.~3m­maire 
philllsophiqul! 1 fi celle do grnmmllire génénl .. , qui l5emlL clllie dl 
toutes les )lIJIgUC8 a; D. Thlébault., G1'Ilmmllll't philOIIOphi'luC (l'ariS, 1802J. 
L. J, p. 6 et 7.
Parler i07 
manillre dont les mots délignent ce qu'jls disent, d'abord dans 
leur voleur primitive (théorie de l'origine et do la racine), puis 
dans leur capacit6 permanent.e de glissemont, d'extension, de 
réorgllnill8tion (théorie de l'espace rhétori'lue ct de la déri­vation). 
ur. LA TBt01UB DU vBnas 
La proposition est au langage ce que la reprêsent.ation elt l 
la pensée: sa forme à la foisla plus générale et la plus élémen­taire, 
puisquo, dès qu'on la décompose, on ne rencont.re plua 
le düicoul'9, mais lies éléments comme autant de mlltérulla 
dillperses. Au-dessous de la proposit.ion, on trouve bien des 
mots, mais ce n'est pas eu eux ~e le lauga~ s'accomplit. Il 
est vrai qu'à l'origine, l'homme n ft poussé que de simples cris, 
mais ceux-ci n'ont commencé à ~tre du langage que du jour 
où i1s ont enlermé - ne tilt-ce qu'à l'in1.6l'ieur de leur mono­syllabe 
- un rapport lJui était de l'ordre de la proposition. 
Le hurlement du primltif qui se débat no se fait mot véri­table 
quo s'il n'est plus l'expression laté1'81e de sa liouffrance, 
et s'il vaut pour un jugement ou une déclaration du type : 
c j'étouffe 1.. Ce qui érigo le mot comme mot et le dresse 
debout au-dessus des cris et des bruits, c'est la proposit.ioD 
cachée en lui. Le sauvage de l'Aveyron, s'il n'est pns parvenu 
à parler, c'est que les mots sont restés pour lm comme les 
lDarquc5 sonores des choses et des impressions qu'cne." fai­saient 
en son esprit; ils n'avaient pomtl'eçu valeur de propo­sition. 
n pouvait bien prononcer le mot .: lait. devant le bol 
qu'on lui offrait; cc n'était là que 1 l'expression confuse de ce 
liquide alimentaire, du vase qui le contenait et du désir qui 
en était l'objet 1.; jalnais le mot n'ost devenu Bigne repré­sentatif 
de la chose car jamais il n'a VOulll dire que le lait 
était chaud, ou prêt, ou attendu. C'cst la proposit.ion en elfet 
qui dôtaelae 10 signe sonore do sea immédiates valeurs d'expres­Bion, 
et l'instaure souvel'llÏnement dans sa possibilité linguis­tique. 
Pour la. peDSée clossi,ue, le langage commence là où 
il y 8, non pas expression, malS discours. Quand on dit. non " 
on ne traduit pas son refus par UD. cri; on resserre en un mot 
1. DelltllU de Trocy, SUmm& d'llUolQ,ie, 1. n, p. 87. 
2. J. Hard, Rapport ~ur /" ftQUt'«llfU dtNlOppemenll d. Y;dor de r ANyrora 
(1806). Réédition ln L. MaIson, Lu EII/urll •• aulHJllt' (Paria;, 1964), Po 208.
108 LM mot. et Ils Ch08fJI 
Ir une proposition tout entière: ... je ne sens pas cela, ou je ne 
croie l'OB cela 1 1. 
e Allons droit à la proposition, objet e9sentiel de la gram. 
maire 1 1. Là, tontes les fonctions du langage sl)nt reconduites 
aux trois senls élémonts qui sont fndi!Jpensnbles pour former 
une proposition : le sujet, l'attribut et leur lien. Encore le 
sujet et l'attribut sont·Hs de même nature ruisquo la propo- 
5ition affirme que l'un est identique ou appnrtient li l'autre: 
îlleur est donc possrble sous certaines conditions d'éc}lnnger 
leurs lonctions. Ln seule dj([érenee, mais eUe est décisive, c'est 
eelle que manifeste l'irréductibilité du verbe : 1 dans toute 
proposition ,I, dit Hobbes', c il y a trois choses li. considérer: 
SQYOlr les deux noms, sujet et prBdicat et le lien ou la copule. Lès 
deu.'C. noms excitent dans l'esprit l'idée d'une seule ct même 
ChOBO, mois la copule fait nottro l'idée de la cause par laquelle 
ces noms ont été imposés li. cette chosDs JI. Le verbe est la condi­tion 
indispensable li. tout discours: et là o~ il n'existe pas, au 
moins de façon virtuelle, il n'ost l'as possible de dire qu'il y ft 
du langage. Les propositions nominales recèlent toutes la pré­sence 
invisible d'un verbe, et Adam Smith 1 pense que, SOUIl sa 
fonne primitive, Je langage n'était compos6 que de verbes 
impersonnels (du type: «il pleut », ou c il tonne .), et qu'à par­tir 
de ce noyau verbal toutes les autres parti cs du discours se 
sont détachées, comme autant de précisions dérivélls et secondes. 
Le seuil du langage, il est là où le verbe surgit. li faut donc 
traiter ce verbe comme un être mixte, à la fois mo~ parmi les 
mots, pTis dans les mêmes règles, obéissant comme oux aux 
lois de régime et de concordance; et puis en retrait d'eux tous, 
dam uue région qui n'est pas creUe du parlé, mais colle d'où 
on parle. Il est au bord du discours, à la couture de ce qui est 
dit et de ce qui se dit, là exactement. où les signes sont eu 
train de devenir langage. 
C'est. eu cette fonction qu'il faut. l'interroger - en le dépouil­lant 
de ce qui n'a cessé de le sureharger et de l'ob~eurcir. Ne 
pas s'arrêter avec Aristote BU fait que le verbe signifie Jus 
temps (bien d'autres mots, adverbes, adjectifs, noms, peuvent 
porter dos significations temporelles). Ne pas s'arrêter non plus, 
comme la faisait Scaliger, BU fait qu'il exprime des actions ou 
des passions, tandis que les noms d6signent des choses, et 
permanentes (car. il y a justement ce nom même d' «action .). 
1. Del!lult de Tracy. ~/tmenl. d'Idlologl" t. U, p. 00. 
2. U. Domergue, Gra/llmaire gûltrale tmlJllItlClue, p. 34. 
3. Hobbes, LogIl[ll1, lut. cll., p. 61!0. 
4. Adam Smit.b, Con.ltlll'fllillM .ur fgrigine el la lormalion du langues, 
Po 4~1.
Parvr 109 
Ne pn~ oUReller d'jmlwrtouce, comme I~ Faisait Buxtorf, a~ 
dirTi:rentes personnes du verbe, car certains pronOIllS eux aussI 
oat ]0 Tlropriété de les d.ésigner. ~ais fairo venir t.out de suite 
on plr.inc Ilirniè~e ce qUI le c0l!stIt.uc : ~e verbo nflirms, c'est­à. 
dire qu'il indique c que le dl~cours ou ~e mot c.Ü employ6 
est. le diHcours d'un homme qUI oc conçoit pas seulement les 
noms mnil! qui le!! juge 1 Il. Il Y a proposition - et discours - 
lon~'on uliirJOc.entre deux ~ho~es un ~ien d'attribution, lors­qu'on 
dit que cecI f1st celn 1. L e~pèce entière du verbe se mmène 
au seul qui signifie : ëtre. Tous les autres se servent secrète­Dlllnt 
dr. cette fonction unique, mais ils l'ont recouverte de 
déterminations qui la cachent : on y a ajouté des attributs, et 
nu lieu de dire k je suis ohantont Il, on dit. • je chante ltj on y a 
ajouté des inùication~ de. temps, e~ au lieu de di~e: autrefois, je 
suis chAntant, on a dit. : le chantol!>; enfin cenames langues ont 
int.q"rré aux verb:s le sujet lui-mArno, ct c'est. alllsi que les 
Latins ne disent pas: ego vivit, mois yiyo. 'l'out ceci n'8IIt que 
d~pùt et sédimentation autour et au-dessus d'uns fonction 
verhale ohsolumellt mince mAis e.'lsenticlle, c il n'y a que le 
verbe être ... qui soit demeuré dans cette simplicité Il J. L'essence 
entière du langage se recueille en ce mot singlliier. Sans lui, 
tout sernit demeuré silencieux, et les Jlommes, comme certains 
animaux, aU1'aient bien pu faire usage de )eul' voix, aucun de 
ccs cris lancés dllns la forêt. n'aurait jamais tioué la grande 
chaîne du langage. 
A l'épo'TuC èla!1Sique, l'iUre brut du langage - cette masse 
de s~1'Ile~ déposés dans le monde pour y exercer notre interroga­tion- 
s'est effacé, mais 10 langage a noué avec l'être de non· 
veau.""( rapports, plus difficiles à saisir puisque c'est pal' on 
mot que ]e langage l'énonco et le rejoint; de l'intérieur de 
lui·mi!me, il l'atlilmcj et pourtaut il ne pourrait pas exister 
comme langage si ce mot, il lui tout seul, ne soutenait par 
avance tOll1 discours possible. Snns une manière de désigner 
l'être, point de langage; mais sans langage, point de veroeêtre, 
qui n'eu est qu'une partie. Ce simple mot, o'est l'être repré­senté 
dans le langage; mais c'est Bussi bifln l'âtre représentatif 
du langa~e, - ce qui, en lui permettant d'an1nner ce qu'il dit, 
le rend susceptible de vérité ou d'erreur. En quoi il estdilIérent 
de tous les signes qui puuvent être conformes, fidèles, ajustés 
1. Logique de Port-ROI/al. p. 106-107. 
'l. Cow1illllc, Gmmmaire, p. lUi. 
3. LO!liqu~ d" Porl·n"yal, p. 107. - Cf. Gond1l1ac, Grammaire p. 132- 
la4. Jhn~ J.'Origine da Clmnuinancl&, l'histoire du verbe esl onalys* de 
ra~on 1111 pell olllTérenlc, mali non 53 '"uellon. - D. Tbi.lbaull, Grammair" 
pJ,jtosup~iqul! j.Pll1i~, I~U'.!), l. 1, p. 216.
HO 
ou non li. ce qu'ilB désignent, mail oe 800t jamais vraiB ou fauz. 
Le laQga~e est, de fond en comble, diaco",,,. par ce singulier 
Jlouvoir d'WI mot qui enjambe le système d. signes vers l'ttre 
de ce qui est signifié. . 
Mais d'où vient ce pouvoir? Et quel cst ce liens qui en débor­dant 
les motl, londe la proposition? Les grammairiens do Port. 
Rorfl disailmt que le sen." du verbe être était d'aHirmer. Ce 
qUI indiquait. bien en quelle région du langage était son privilège 
absolu, mais non point en quoi il consistait. Il ne faut pas 
comprendre que le verbe être contient l'idée de l'amrmation, 
car ce mot même d'atflrmation, et le vocable oui. la oontiennent 
aussi bien lj (l'est donc plutôt l'affirmation de l'idée, qui S8 
trouve assurée par lui. Mais affirmer une idée, est-ce énonC'.er 
Bon existence? - C'est bien ce que pense Bauzée qui tl'OUVe l~ 
ime raison pour que le verbe ait. recueilli en Ba fonne les varia­tions 
du temps: car l'essence des choses ne change pas, seule 
leur existence apparatt et disparait, seule elle a un y'8Saé et un 
futur 1. A quoi Condillac peut faire remarquer que 1. l'existence 
peut êt.re retirêe aux cboses, o'est. qu'eUe n'est rien de plu 
qu'un attribut, et que le verbe peut atlirmer la mort aUllli bien 
que l'existence. La seule chose qu'aIHrme le verbe c'est la 
aowsteoce de deux l'eprêsentatioDs : celle par exemple de la 
verdeur et de l'arbre, de l'homme et do l'existence ou de la 
mortj c'est pourquoi le temps des verbes n'indique pas celui 
ota los choses ont existé dans l'absolu, mais un système relatif 
d"antériorité ou de simultanéité des choses entre elles'. La 
coexistence, en eITet, n'est pas un attribut de ]a chose eUe­même, 
mais elle n'est rien de plus qu'une forme de la représen­tation 
: dire que le vert eL l'arbre coexistent, c"est dire qu'ill 
lont liés dans tout.es, ou dans ]a plupart des impressions que 
je reçois. 
Si bien que le verbe titre aurait essentiellement pour 'Imctioll 
de rapporter tout langage à la repré.entation qu'il désigne. 
L'être vel'! lequel il deborde les Bignell, ce o'est ni plus ni moins 
que l'être de la pensée. Comparant le langage à un tableau, un 
grammairien de la tin du XVllle siècle définit les noms comme 
des forme., les adjectirs comme des couleurs, et le verbe comme 
]a toile eUe-même 8ur laquelle e)] .. ,s apparaissent. Toile invisible, 
entiàremeDt recouverte par I"éclat et le dessin des mots, mail 
qui dOlme au laugage le lielt où faire valoir sa peinture; ce 
que le verbe désign~, c'est finalement le caractère représentatif 
J. Cf. Loglqur '" Pori.Rogal, p. 107 et Abb6 Gtrard, Lu Yrak PrlncfpiJJ 
de la Jangue /ran,ai,t, p. 56. 
2. IlBuzé"" Gmmmairc gtn"rale, l, p ... ~ el "1. 
3. CondIllac, Grummaire, p. 181J-1S6.
Parkr tu 
du langage, le fait qu'il ait 80n lieu dan. la pensêe, et qu'e le 
eeu1 mot qui pUÎ!!se franchir la limite dei .igues et les fonder en 
.,ériw n'atteigne jamais que la représentation elle-même. Si 
bien que la Ionction du verbe se trouve identifiée avec le mode 
d'existence du langage, qu'elle parcourt en tou.te sa longueur : 
parler o'est tout à la fois repr6senter par des slgnes,et. donner 
à des ~ignes une forme synthétique commandée par le verbe. 
Comme le dit Destutt, le verbe, o'est l'at.tribution : le support. 
et la forlne de tous les attributs: 1 le verbe être se trouve dana 
toutes les propositions, parce qu'on ne peut. paa dire qu'une 
chose est de telle manière sans dire pour autant qu'elle est. ••• 
Mais ce mot est qui est dans toutes les propositions y fait tou­jours 
partie de l'attribut, il en est toujours le début et la base, 
il est l'attribut général et commun 1 J. 
On voit conunent, parvenue à ce point de généralité, la lono­tion 
du verbe n'aura plus qu'à se dissocier, dès que disparaîtra 
Je domaine unitaire de la grammaire générale. Lorsque la dimen­sion 
du grammatical pur sera libérée, la proposition ne sera plus 
qu'uno unit.is de syntaxe. Le verbe y 6gurera parmi les autres 
mots aveo Bon système propre de concordance, de flexions 
et de régime. Et à l'autre extrtlme, le pouvoir de manifesta­tion 
du langage réapparalt.ra dans une question autonome, plus 
archaique que la grammaire. Et pendant tout le XIX!! siècle, 
le langage Bera interrogé dans sa nature énigmatique de Y6riHI : 
là où il est le plus proche de l'être, le plus capable de le nommer, 
de transmettre ou de faire lIointiller son sens londamental, de 
le rendre absolument manifeste. De Hegel li. Mallarmé, cet 
étonnement devant les rapports de l'être et du langage, balan­cera 
la réintroduction du verbe dans l'ordre homogène des 
fonctions grammaticale .. 
IV. L' 4BTICU L4TIOl'C 
Le .verbe être, mixte d'attribution et d'affirmation, croisement. 
d~ ~8COUrs sur la possibilitA première et radicale de parler, 
delinit le premier invariant de la Rroposition, et le plus fonda­rnen~ 
L A côté de lui, de part et d autre, des éléments: partiea 
du discours, ou de }', oraison J. Ces plages sont inditTérentes 
~coro et ~ëterminées seulement par la figure mince, presque 
ImperceptIble et centrale, qui désigne l'être; eUes fonctionnent, 
1. Ue.luU de Trac)', Elimen" d'Idio/n!/I., t. Il, p. eL
112 
autour de ce 1 judiealeur Il, comme la chose li juger - le jr.t.dL­candit, 
et. la chose jugée -le jutliClll.l. Coounent. ce pur dessin 
de la ProlJoliiLion peut-il se transformer eo phraBlls dist.inotes? 
Comment. le discours peut-il énoncer tout le contenu d'une 
reprlisontaLion? 
Parce qu'il elôt Cail de mots qui nom"uml, partie par partie, 
ce qui est nonn6 li. ]a ~eprésentation_ 
Le moL désigne, o'est-li-dire qu'en sa nature il est nom. Nom 
propre puisqu'il est pointé vers teUe représentation, et vers 
nulle autre encore_ Si bien qu'en face de l'unirormité du verbe 
- qui n'e!lt jamais quo l'ûnoncé universel de l'at.tribution­les 
noms fourmillent, ot. li l'infini. Il devrait y cn avoir autant 
que de choses à nommer. Mais ohaque nom serait alors si rorte­moot 
at.taché à ]a seule représentat.ion qu.'il désigne, «111'on ne 
pourrait pas même formuler ln moindre attribution; et le lan­gage 
retomberait au-dessous de lui-même: 1 si nous n'avions 
pOUf Ilubstant.ifs que des noms propres, il les faudrait multiplier 
sans fin. Ces mots, dont la multitude surchargerait. la mémoire, 
ne met.traient aucun ordre dans les objets de nos connaissances 
ni par conséquent. dans nos idées, et tous nos disOOUfS seraient 
dans la plus grande contusion 1 1. Les noms De peuvent. (ooc­tionner 
dans la phrase et pennettre l'attribution que si l'un des 
deux (l'attribut nu moins) désigne quelque élément conunun à 
plusieurs représentations. La généralité du nom est nussinéces­lIaire 
aux parties du discours que la désignation de l'être à la 
forme de la proposition. 
CeUe généralité l'eut être acquise de deux manières. Ou hieu 
par une articulation horizontale, groupant les individus qui 
ont ontre eux certaines identit.és, séparant ceux qui sont cliJTé­rents; 
elle forme alors une généralisat.ion successive des groupes 
de plus Cil plus larges (ct de moins en moins nombreux); ella 
peut aussi les subdiviser presque li l'infini par des distinctions 
nouvelles et rejoindre ainsi le nom propre dont elle est partie 3; 
tout l'ordre des coordinations et. des subordinations se trouvo 
recouvert; par 10 langage et chacun de ces points y figure avec 
Bon nom: de l'individu à l'espèce, puis de celle-ci au genre ct à 
la classe, le langage s'articule exactement sur ]e domaine des 
généralit~s croissantes; cette fonction taxinomique, ce 1I0nt les 
substantifs qui la manifestent danl1e langage: on dit uo ani­mal, 
un quadrupède, un chien, un barbet. •• Ou bien par une 
1. U. Domergue, Grammair, pn/raltana/gliglU, p. 11. 
2. Condillllc, Gramtrlllln, p. 1~2. 
3. Id., ibid., p. 105 . 
.J. Id., ibldo, p. lü3. cr. éj;alemen~ A. SmiLb, C~r.$irlérfllioRA IUt' L'tN'igillf 
ct la lormalion du la1llUA. p. 408-410.
Parkr 113 
articulation verticale -liée lIa première, car elles sont india­pen!! 
ablcs l'une à l'autre; cette seconde articulation dist.iugue 
les choses qui subsistent par elles-mêmes et ceUes - modifica­tions 
traits, accidents, ou caractères - qu'on ne peut jamais 
rcnc~ntrer à l'êtat indépendant: eD profondeur, les substances; 
il la superficie, les qualités; ceUe coupure - ceUe m6taphy­sique, 
comme disait Adam Smith 1_, elle est manifestée dans 
le disoours par ]a présence d'adjectifs qui désignent dans la 
représentation tou L ce qui ne peut pas subsister par soi. L'arti­culation 
prcmi~re du Inn gage (si on met il part le verbe être 
qui cst condition aut.ant que partie du dillcOUl'S) se fait donc 
selon delL'c: axes orthogonaux: l'un qui va de l'individu singulier 
au générnlj l'autre qui va de ]a lIubstance il la qualité. A leur 
croi~ement réside le nom commun; Il une extrémité le nom 
propre, à l'autre l'adjectif. 
Mais ces dcmc types de représentation ne distinguent les mots 
entre eux que dans la me~ure exacte où ]a représentation est 
analysée sur ce même modèle. Comme le disent les auteurs de 
Port-Royal: le!t mots Il qui signifient les chosess'appellenl noms 
.",bstlJnti{s, comme tll"e, soleil. Ceux qui signi6ent les manières, 
en marquant en même temps le sujet auquel eUes conviennent, 
s'appdlellt nowa adjectifs, comme bon, just", rond a It. Entre 
l'articulat.ion du langage et ceUe de la repmentation, il y a 
cepenùant. un jeu. Quand on parle de • blancheur J, c'est hion 
une qualité qu'on désigne, mais on la dés~ne par un substantif: 
quallù on parle des • humuios J, on utilise un adjectif pour 
désigner des individus qui subsistent pal' eux-mêmes. Ce dêca­lage 
n'indique pas que le langage obéit li d'autres lois que ]a 
représentation: maIs au contraire qu'il n, avec lui-même, et 
dans son épaisseur propre, des rapports qui sont identiques à 
ceux de la représentat.ion. N'est-il pas en effet one représenta­tion 
dédoublée, et n'a-t-il pas pouvoir de combiner, avec les 
éléments de ]a représcntation, une repré!lentation distincte de 
la première, bien qu'elle n'ait pour fonction eL sens que de la 
représenter? Si le discours s'empare de l'adjectif qui désigne 
une modification, et le fait valoir à l'intérieur de la phrase 
co~me la 8ubslance même de la proposition, alors l'adjectif 
deVIent suhslantü; le nom au contraire qui se comporte dans 
la p~sc comme un accident devient. li 8011 tour adjectif, tout 
en tleslgnant, COllUlle par le passé,- des substances. c Parce que 
la substance est ce qui subsiste {Jar Boi-même, on Il appelé 
substantifs tous les mol! qui 8ub~lstent par eux-mêmes dans 
1. À. ï;milb, ID(. cir., p. -410. 
2. Lor;i'l1Jf de l>ort-Iltlgul, p. 101_
114 Les mots et IfJ8 C/'08C3 
le WSCOU1'S, encore mème qu'ils signifient de!! aecidents. Et au 
cont.raire. on a appelé adjectifs ceux qui signifient des sub. 
stances. lUl'8que. en leur manière de sigllifier. üs doivent êt.re 
joinl.s à d'autres noms dans 10 discours 1 1. Les éléments de 1. 
proposition ont. entre eux des rapports idenLiques à ceux de la 
reproselllaLionj nIai, cette idenUt6 n'est pas assurée point par 
point de aort.e que toute substance serait désignee par un 
substantif et. tout. accident par un adjectif. Il Il'agit d'wu, 
identité globale et de nature: ln proposition flst une repr(:scnlll" 
tioni elle s'arLicule sur les mêmes modes qu'elle; maill il lui 
appartient de pouvoir articuler d'une façon ou d'une autre la 
représentation qu'tille transforme Cil discours. Elle est. en tille­même, 
une représelltat.ion qui en articule une ouLre. avec une 
possibilité de décalage qui consûtue à la fois la liber Lé ùu 
discours et la diITérence des langues. 
Telle est la première couche d'articulation: la plus super· 
ficielle, en tout cas la plus apparente. Dès maintenant. tout 
peut devenir discours. l'tlais dans un langage CUC01'O peu dilIé· 
1'8uoié : pour relier les noms. OD ne dispose encore que de la 
monotonie du verbe être et de sa fonct.ion attributive. Or, les 
él~mllnt8 de la représentation s'articulent selon tout un réseau 
de l"Ilpports complexes (succession, subordinatioD, consé­quence) 
qu'ü faut faire passer dans le Illng-olge pour que celui-ci 
devienne réellement. représentatif. De lk tous les mots, syllabes, 
lettres même qui, circulant entre les noms et les verbes, 
doivent désigner cel idées que Port-Royat appelait c acces­loires 
1 '; il faut des prépositions et des conjonctions; il faut deI 
lignes de syntaxe qui indiquent les rapports ù'ident.ité ou de 
concordance, et ceux de dépendance ou de régime 1 : marques 
de pluriel et de genre, cas des déclinaisom; ü faut enfin des 
mots qui rapportent leti nom! communs aux individus qu'ils 
désignent, - ces 81'ticlos ou ces démonstratifs que Lemercier 
appelait • concrétiseura 1 ou • dés abstracteurs & 1. Une telle 
poussière de mots constitue une articulation inférieure li. l'unité 
du nom (substantif ou adJeotif) teUe qu'elle était requise par la 
forme nue de la pro~sitlon : nul d'entre eux ne détient. par­devers 
lui et à l'état Isolé, un contenu représentatif qui soit. fixe 
et dét.erlninéi ils ne recouvrent une idée - même acoessoire - 
qu'une lois liél il. d'autres motl; alors que le! Doms et los verbes 
1. Lngfqut dt PM-RQII"r, p. 59-60. 
2. Ibid., p. JOI. 
3. Du~lU1i. Commenl,lÏre ct ra Grommalr. de Port-no)'al (Parli, 1754), 
p. 213- 
... J.-B. Lemercier, Lelin 6U" III poulll"iU de Iain d, ,. grClmmaire "If 
ArI-S,jemc (Paria, UIOS), p. 63-65.
Parkr us 
IOnt. des c signifioat.if. absolus " ils n'ont, eux, de signl6cation 
que Bur un mode relatif 1. San, doute "lIdresseDt.-il. ilIa reprê­. 
entation· ils D'exist.ent que dau la mesure où ceUo-ci, en 
"analY51i~tJ laisse voir le rélellu int.érieur de CBII relo.tioDB; maïa 
cUX-lnêmes n'ont de valeur que par l'ensemble grammatical 
dont ils font partie. Da ét.ablisllent daJJsle langage une articula­tion 
nouvelle d de nature mixte, à la {ois reprétlcntative et 
graluDiaLicale, sans qu'auollD de !lei deux ordres puisse le 
rabattre exactement sur l'autre. 
Voilà que ]a phrase se peuple d'éléments I)'ntaxiquea qui 
sont d'Wle découpe plus fine que les figures larges de la pro­positiou. 
Ce nouveau découpage met la grammaire générale 
devant. la nécessité d'llD choix: ou hien poursuivre l'analyse 
au-de~8oUS de l'unité nominale, et faire apparattre, avant la 
signillcllLion, les éléments insignifiants dOl~t elle est bâtie, ou 
bien réduire par une démarche régrellsive cette unité nominale, 
lui recoJUlIÛLl'e des mesures plus restreintes et en retrouve!' 
l'eflicacité représentative au-dessoui des mots pleins, dau lei 
particules, dausles syllahes, et jusque dans les lettres mêmes. 
Ces pot;sibilités sont oUertes - plus: lout prescrites - dès 
le moment où la théorie des langues 8e dOWle pour objet le 
dk~ouJ"lj et l'aualyse de sea nleurs représentatives. Elles défi­nillHent 
le pUillt d'lidrui. qui partage la grammaire du x'nu8 
siècle. 
c Supposerons-nous, dit Harris, que toute significatioD est, 
COIllRle le corps, divÏtiible en llDe infiuité d'Qutreli signitications, 
divisibles eUBIi-mêmes la l'iofuü? Ce serait. une absurdité; il 
faut doue nécessaÏl-ement. admettre qu'il y a des sons signifi­catifs 
dont aUCUDe partie ne peut par elle-m~me avoir de signi­fication 
S J. La signilication disporatt dès que sont dissociées 
ou 8uspeDdues leli valeurs représentatives des mots : appa­raissent, 
en leur .indépendance, des matériaux qui ne s'articulent 
pas sur la pensée, et dont les liens ne peuvent se ramener à ceux 
du discours. Il y a une 1 mécanique 1 propre au.': concordances, 
aux ré~imes, aux flexions, aux syllabes et aux BOllS, et, de ceUe 
m~caruque! aucune valeur repréientative ne peut rendre compt.e. n faut ~ralter la langue comme ces machines qui. peu à peu, 88 
perfectionnent a : en 80 forme la pluli simple, la phrase n'est 
CO~P?!ée que· d'un sujet, d'lJJ. verbe, d'un attribut; et tout8 
addllion de sens exige une nouvelle et entièrtl proposition; 
"f~; rH1 arr, ls. Hamù. p. 3()'31 (ct. au&91 A. Smltb, COlllidtNtiOIU IUt" ror;- 
• e. fln,un. p. ~OS.-i09l. 
2. ld., Ihld., p. 57. 
~. A. ::iU1llb, CQlI8idéralloru lur rorigi/Je du lunfjuu. p. 430-4.31.
fi6 
aillsi les plus rudimentaires dos machines supposent des prin­cipes 
du mouvement qui dinèrent pour chacuIl de leurs organes. 
Mais lo~qu'elles se perfectionnent, elles 80umettellt li un seul 
et même principe tOUII leurs organos, qui n'en sont plus al01'8 
quo les intormédiaires, les moyens de transformat.ion, les 
points d':IPplication; de m~mc, cn S8 perfectionnant, les langues 
font pusser le seus d'une proposition l'lor des organes grammati­caux 
«ui n'ont pas en eux-mêmes de valeW' reprêsentat.ive, 
mois ont. pour rOle de la prêciser, d'cn relier los éléments, d'en 
indiquer les déterminations actuelles. En une phrase, et. d'un 
seul tenant, on peut marquer des rapports de temps, de consé­quence, 
de possession, de localisation, qui entrent bien dons la 
sl!rie sujet-verbe-attribut, mais ne peuvent êtM comés par une 
distinction aussi vDste. De là l'importance prise dcpuisBouzéc 1 
par les tMorics du complément, de la subordination. De là aus~i 
le rôle eroillllont dc la syntaxe; à l'époque de Port-Royal, celle-ci 
était identifice avec la const.ruction et l'ordre des mots, dono 
avec le déroulement intérieur de Ja propo!:iilion 2; avec Sicard 
elle est. ùevenue mdépendnnte : o'est. elle 1 qui commande à 
chaque mot sa lorme propre a •. Et ainsi l'autonomie du gram­maLical 
s'esquissc, telle ~'c1lc sera définie, tout li fait l)a fm 
du siècle, par Sylvestre de SacÏ, lorsque, le premier avec Sicard, 
il distingue l'analyse logique de la proposition, et ceDe, gram­mnt. 
icalc, de la phrase 1. 
On comprend pourquoi des analyses de cc genre sont demeu­rées 
en susJlcns tant que le discours fllt "objet de la gram­maire; 
dès qu'on atteignait. une coucbe de l'articulation où. 
les valeurs rcprllsentat.ives tombaient en pOU9sière, on pas­sait 
de l'autre côté de la granunaÏre, là où elle n'avait plus prise, 
dans un domainA qui était. oelui de l'usage et de l"bistoÏl'o, 
-la syntaxe, au xvme siècle, était. considérée comme le lieu 
de ]'urhiLraire où se déployaiooL en leur fautaÎliie les habitudos 
de chaque peuple 1- 
En tout cas, elles ne pouvaient être, au xvme siècle, rien de 
plus C{ue des possibilités abstl'aites, non pas préfigurations de 
ce q1ll allait être la philologie, mais branohe non privilégiée 
d"un choix. En Iace, à partir du même point d'hérêsie, on voit 
1. Doude (Grammaire gtnéralc) emploie pour III prew1l1r. Ms le lermodD 
.c:omJlI~ment '. 
2. l.ogiql/t de Part-Royal, p. 117 el ~q. 
3. Abbé Slcard, E.ltrntRIlI de la gramnull" gitrlrale, l. H, p. 2. 
4. S)'lvestr. de SlIcI, Printipu di! grammaire gln;ral, (ti!l9). cr. IIUssi 
U. Domergue, Gl'Omnralrll gint/tlte analyli']"" p. 29-30. 
D. cr. pal' exemple abbé Gll'IU'd, Les Vruil Prj,.,;ipu de la langue frGn,ai'll 
(Pllrl!i, 1747), p. 82-83.
Parkr i17 
ae d~'elopper une r6flexionl qui, pour nous et la science du 
langage qU8 nouS «yollll ~Iltie dep~!lle xne 8iècl~, est~6pour. 
vue de valeur, mSls qUi p61'metlalt alors de maintenIr toute 
l'analyse de~ signes verbaux à l'intérieur du discours. Et qui 
par ce recouvrement exact faisait partie des figllres positives 
CIu savoir. On recherchait l'obscure fonction nominale qu'on 
peRSnit invesLie et cachéo dans ces mots, dana ces syllabes, dans 
ces flexions, Jans caq lettres que l'analyse trop liche de la 
proposition laissait passer li. travers sa grille. C'est qu'après tout, 
comme le remarquaient. les auteurs de Port-Royal, toutes les 
particula'l de liaison ont bien un certain contenu puisqu"ellcs 
représentent la manière dont les objets sont liés et celle dont 
ils .'encbntnent dallll nos représentatioIlsl.. Ne peut-on pas 
supposer qu'ils ont été des noms comme tous lei aut.res? Mais 
au lieu de so substituer aux objets, ils auraient pris la place 
des gestes pat' quoi lea hommes les indiquaient ou simulaient 
leul'lliiens et leur 8uccession '. Ce sont ces mota quioubien ont 
perdu peu à peu leur sens propre (celui-ci, en e1Jet, n'ét.ait. pas 
toujours visible, puisqu'il était lié aux gestes, au corps et à la 
situation du locuteur) ou bien se sont incorporés aux autres 
mots en qui ils trouvaient un support stable, et à qui ils four­nillllllient 
en retour tout un système de modifications '. Si. 
hitm que tous les mots, quell qu'ils loient, sont des noms endor­mis 
: les verbes ont joint des noms adjectifs au verbe êtrej les 
conjonctions et les prépositions IOnt les noms de gestes désor­mais 
immobiles; les déclinaisoIlS et les conjugaisons ne sont 
rien de plus que des noms absorbés. Les mots, mnintenant, 
peuvent s'ouvrir ct liMrer le vol de tous les noms qui s'étaient 
déposés en eux. Comme le diaait Le Bel à titre de principe 
fondamental cle l"analyse, 1 il n'y a pas d"assemblagc dont 188 
parties n'aient existé s~porément avant d'être assemblées 4 " 
ce qui lui permettait de réduire tous les mots à des élé­ments 
syllabiques où réapparaissaient enfin les vieux Doms 
oubliés, -les seuls vocables qui eurent la possibilité d'exister 
à cOlé du verbe être: Rornulu8, pal' exemple s, vient de RofJUJ 
et moliri (bâtir); et Roma vient do Ra qui désignait la force 
(Robur) et de Ma qui indiquait la grandeur (maglius). De la 
mam.e façon Thiébaull déc;ouvre dans 1 ~~andonnel'» troÏl signi- 
5cabons latentes: a qUl. présente lldée de la ttludaace ou 
de la destinatioIl d'une chose vers quelque autre chose li; ban 
1. Logique dt Port-Rollal, p. 59. 
2. BIlLleux, NOII~l e:r:amt!n du P"'/fl91 de rlnlJUJiOR, p. 23-2{. 
3. III., ibid_, p. 2<1-28. 
:. Le nel, Analomle dt la "'RtI- lafine (Paria, 1784), p. 24 • 
• Id., i6id., p. 8.
us 
qui c donne l'idée de la totalité du corps lociall, et do qui 
indique. l'acte par lequel on 8e dessaisit d'une choie 1 1. 
Et ,'il faut eu arriver, ou-dessous de syllabes. jusqu'aux 
leUres JUêU1CS, on y recueillera eneom les valeurs d'une nooû­Dat. 
ion ruùimelliaire. A quoi s'est employE. merveilleusement 
Court do Gébeliu, pour sa plus grande gloire, et la plus péris­sablo; 
« la t.ouche labiale, la plus aisée à meUre en jeu, la plus 
douce, la plus gracieuse servait à désigner les premiers-êtres quo 
l'hommo COlwatt., coux qui l'environnent et à qui il doit tout 1 
(papa, maman, baisor). En revanche, • les denta sont aussi 
fermes que los lèvres sont mobil. et .o.exibles; les intonatiollB 
qui en proviennent sont lorles, sonores, bruyante!! •.• C'cst par 
la touche dentale qu'on tonna, qu'on relBntit, qu'on dtunnBj 
par elle, on désigne les tambOW'6, les timbalu, les trompetw8 1. 
Isolées, les voyelles à leur tour peuvent déployer le secret. des 
noms millénaires sur quoi l'usage les a reformées : A pour la 
posseSliioIl (avoir), E pour l'existence, 1 pour la pUiStlBnCe,O pour 
l'HoDDeme11t (les yeux qui s'arrondissent), U poUl' l'humidité, 
dODO pour l'humeur '. Et peut-être, au creux le plus ancien do 
notre hilltoire, consonnes et voyelles, distinguées seulement 
selon doux groupes encore confus, Cormaient-elles comme les 
deux seuls Dowa qui aient articulé le langage humain : les 
voyellos chantantes disaient les passions; les rudes consonnes, 
les besoins a. On peut encore disûnguer les parlers rocailleux 
du Nord - lorÔI. des gutturales, de le faim et du froid - ou 
les langues méridionales, toutes de voyelles, néeaJela matinale 
rencontre des hergors, quand Il sortaient dll pur cri.tal des 
fontaines, les premiers feux de l'amour 1. 
Dans toute son épaisseur, et jusqu'aux sons les plus archaTquee 
qui pour la première fois l'ont arraché au cri,le lan~age conserve 
118 fonction représentative; en chaonne da ses artIculations, du 
fond du tel"ops, il a toujours nommL Il n'est en lui-même qu'UIl 
immense brwssement de dénominations qui S6 couvrent, se res­serrent, 
se cachent, se maintiennent cependant pOUl' permettre 
d'analyser ou de composer les représentations les plus complexes. 
A l'intérieur des phrales, là même où la signifiea tion para it pren­dre 
un appuimuet BUl' des syllabes insignifiantes, ü y a toujours 
une nomino tion en BOIDDleil, une forme qui tient enclol entre Se8 
parois sonores le reflet d'une représentation invisible et pour­tant 
ineffaçable. Pour la philologie du XlXe siècle, de paieillea 
1. D. Tblllbault, GraRl/llllln phllo.ophlque (Parfll, 18(2), p. 1'l20178. 
'2. CourL tic GC:belln, HtltoiN nolure/{, de la purel. ('11. 1816). p. 98-10.&. 
3. Ruul!lIeilu. EltIllli ,ur foriglnt du ItInguetl (<8ullrllll, ~ lM'ai, L. XlJJ, 
p.HH51 e~ 188-192).
119 
analyses sont restées, au sens strict du terme, 1 lettre morte •• 
Mais non point pour toute une expêrience du langage - d'abord 
ésot6rique et mystique li. l'époque de Saint-Maro, de Reveroni, 
de Fabre d'Olivet, d'OEgger, puis littéraire lorsque l'énigme du 
mot resurgit en son être massif, avec ~faUarmê, Roussel, Leiris 
ou Ponge. L'idée qu'en détruisant les mots, ce ne sont ni des 
hruits ni de purs éléments arbitraires qu'on retrouve, mais 
d'autres mots qui, à leur tour pulvérisés, en libèrent d'autres,­cette 
idée est à la fois le négatif de toute la science moderne des 
langues, et le mythe dans lequel nous transcrivons les plus 
obscurs pouvoirs du langage, et les plus réels. C'est sans doute 
parce qu'il est arbitraire et qu'on peut définir à queUe condi­tion 
il est signifiant, que le langage peul devenir objet de science. 
Mais c'est parce qu'il n'a pas cessé de parJer en deçà de lui-même, 
parce que rIes valeurs iuépuil!ables le pénètrent aussi loin qu'on 
peut l'atteindre, que nous pouvons parler en lui tians ce mur­mure 
à l'infini où se noue la litt6rature. Mais à l'époque clas­sique, 
le rapport n'était point le mômu; les deux figW'es se 
recouvraient exactement : pour que le langagu soit compris 
tout entier dans la forme générale de la proposition, il rallait 
que chaque mot en la moindre de ses parcelles soit une nomi­nation 
méticuleuse. 
.... LÂ DÉSIGNÂTI0N 
Et pourtant, la théorie de la 1 nomination généralisée:t 
découvre au bout du langage UI1 certain rapport aux choses 
qui est d'une tout autre nature que la Iorme propositionnelle. 
Si, au fond de lui-même, le langage a pour fonction de nommer, 
c'est-à-dire de faire lever une représentation Ou de ]a montrer 
COmme du doigt, il est indication et DOD pas jugement. Il se lie 
aux choses par une marque, une note, une figure associée, un 
g~ste.qui désigne: rien qui soit réductible à un rapport do pré­dIcatIon. 
Le principe de la nomination première et de l'origine 
des mots. fait équilibre à la primauté formelle du jugement. 
Comm~ 81, de part et d'autré du langage déployé dans toutes 
s? artIculations, il y avait l'être dans son rôle verbal d'aUriliu.­tlon, 
et l'origine dans son rôle de désignation première. Celle-ci 
~rmet de substituer un signe il ce qui est indiqué, cclui-l!t de 
her uu contenu à un autre. Et on retrouve ainsi, dans leur 
OPposition, mais aussi dans leur appartenance mutuelle, les 
deux COllctions de lien et de substitution qui ont été données au
120 
ligne en g~néral avec son pouvoir d'analyser la repréllentatioQ. 
Remettre au jour l'origine du langage, a'est retrouver le 
moment primitif où il était pure désipmtiollo Et par là on doit 
li. la fois expliquer Bon arbitraire (puisque co qui déllÎgou peut 
être aussi ditIérent de ce qui montre qu'un ge&te de l'objet 
vers quoi il tend), et ion rapport profond avec OB qu'ii 
nonuu8 (puisque telle syUabe ou tel mot ont toujours ôté choisis 
pour désigner telle chose). A la première exigenoo rejJoud l'aoa­lyse 
du langage d'action, à la seconde l'étude des racinea. 
Mais eUes ne s'opposent pas comme dalllie Cratyle l'explicaLiou 
pur la Il nature]t, et celle par la 1 loi 1; eUes sont. au contruire 
absohunent indispensables rune à l'autre, puisque la premiùre 
rend compte de la substitution du signe au désigné et quo la 
seconde justiiie le pouvoir permanent de désignation de ce 
signe. 
Le langage d'action, c'est le eorps qui )e parle; et pounant, 
il n'est pas donné d'entrée de jeu. Ce que la nature permet, 
c'est sowemt'nt que, dans les diverses situations où il se trouve, 
l'homme ÎOflse des gestes; son visage est agité de DlouVemen1.sj 
il pousse des cris inarticulés, - c'est-il-dire qui DC sont 1 frappés 
ni avec la langue ni avec les lèvres 1,. Tout ceci n'est encore ni 
langage ni mème signe, mais effet et suite de notre animalité. 
CoLte luaniresle agitation a cependant pour elle d'Iltre univer­sclle, 
puisqu'elle ne dépend que de la conCormation de nos 
organes. D'où la possibilité pour l'homme d'en 1'8IIl8l'quer 
l'iJenLité cbez lui·même et ties compagnons. Il pout donc 
associer ail cri qu'il entend chez l'autre, Il la grimace qu'il 
perçoit sur son visage, les mêmes représentations qui ont, 
plusieurs fois. doublé ses propres cris et ses mouvement.s à lui. 
n peut recevoir cette mimique comme la marque et le substitut 
de ]0 IJlmsée de l'autre. Commo un signe. La compréhension 
commonce. Il peut en retour utiliser cette mimique dovenue 
!!i~ne pour susciter chez ses partenaires. l'idée qu'il éprouve 
I"j.mêmo,lcs ticnsations, les besoins, les peines qui sont associés 
d'ordinairo à de loIs gestes et à de tels lions: cri jeté à desscill 
en {ace J'outrui et. en Jirection d'un objet, pure int.erjeotion :1 • 
.Avec cet lL..C8ge concerté du signe (expression déjà), quelque 
cbose comme un langage est en. train de naître. 
On voit, par ces analy5es communes à Condillac et à Destutt, 
ql.le le langage d'actioD relie bien par une genèse le langage li. la 
nature. Mais pour l'en détacher plus que pour l'y elU'lIcincr. 
1. Condillac. Grammaire. p. 8. 
2. TouLea Jes parLies du di5cour. DO ~raien~ alors qUI les lragm~nta 
d~comJlotiés et combinés de ceUe IDlerJeclion initiale (Destutt. de Tr'l.cy. 
6/émenl. d·ld~f}lol1le. L U, p. 'iS).
Parler 1.21 
pour marquer sa différence ineffaçable avec le cri el ronder ce 
qui constitue Ion arti6ce. Tant qu'elle elt le simple prolonge­ment. 
du corps, raction nia aucun pouvoir pour parler: elle n'est 
paB langage. Elle le devient, mais au terme d'operations d6finies 
el complexes : notation d'une analogie de rapporta (le cri de 
l'autre ell li ce qu"il Aprouvo-l'incoDnue-cequele mien est 
l mon appetit ou Il ma frayeur); inversion du tem.ps e&. usage 
volontaire du aigne avant la représentation qu'il déSIgne (avant. 
d'éprouver lIDe lIensation de faim assez forle pour me faire 
crier, je pousse le cri qui lui est 81900i6); en6n dessein de faire 
uartre chez l'autre la représentation col1'e!lpondant au cri ou au 
geste (mals aveo ceci de particulier qu'en poussant un ori, je ne 
fais pa8 nattre et n'eolends pas faire naiue la sen!Ultion de la 
faim, mais la reprêseolation du rapport entre ce signe et mon 
propre désir de manger). Le langage n'est possible que sur fond 
Cie cet enohev6trement. 11 ne repolie pas lur un mouvement 
naturel de compréhensioo ou d'expression. mais sur les rap­ports 
réversibles et analysables des sigoes et des repr~enta­tions. 
Il n'y a pas langage lorsque la représentation s'extério­rise 
mais lorsque, d'uue raçoo concertée, eUe détache de soi 
un signe et se fait représenter par lui. Ce n'est donc pas à titre 
de sujet parlant, ni de l'intérieur d'un langage déjà. lait, que 
l'homme découvre tout autour de lui des signel qui lieraient 
comme autant de paroles muettes Il déchiffrer et. à l'ondre 
audibles de nouveau; c'est parce que la représentation se donue 
des signes, que des mots peuvent naltre et avec eux tout un 
langage qui n'est que l' orgamsation ultérieure de signes sonores. 
Malgré son nom. le • langage d'aetion:l fait surgir l'irréductible 
réseau de signes qui sépare le langage de l'action. 
Et par là, il fonde en nature son artifice. C'est que les élé­m~ 
nts dont ce langage d'action est composé (sons, gcstos, 
grImaces) sont proposés successivement par]a nature, et cep en­? 
ant, ils n'ont. pouda plupart, avec ce qu'ils désignent,aucune 
ldentité de coutenu, mais surtout des rapports de simultanéité 
ou de succession. Le cri ne ressemble pas à la peur, ni la main 
tondue à la sensation de faim. Devenus concertés, ces signes 
restero~t saDS • fantaisie et 8anli caprice 1 _, pWs'lu'ils ont été 
UDe fOIS pour toutes instaurés par la nature; rouis ils n'expri­meron: 
pas la I;lIture de ce qu'iL; d6ligneot, car ils ne 80nt point 
k 80n Image. Et à parti!' de là, les hommes pourront établir un 
l~gage conventionnel : üs disposent maintenant d'allsez de 
Ilgnes marquant les choses poUl' 80 fixer de nouveaux qui 
analysent et combinent les premiers. DansleDiscour6 .url'ori· 
1. Conc11l1ac, GramIRalr., p. 10.
122 Le, mots et lt!8 choses 
Slne de l'inigalité 1, Rousseau laisait valoir qu'aucune langue 
ne peut reposer lIur un accord entre les homme~, puisque celui-ci 
Buppose déjà unlangage établi, reconnu et pratiqué; il faut dono 
l'imaginer reçu et non bâti par les hommes. En fait le Jungage 
d'action confirme cette nécessité et rend inutile cette hypo­thèse. 
L'homme reçoit de la nature de quoi faire des signes, et 
ces signes lui servent d'abord à s'entendre avec les autres 
hommes poUl' choisir ceux qui vont être retenus, les valeurs 
qu'on leur reoonnaltra, les règles de leur usage; et ils sorvent 
ensuite à formel' de nOUVe8L~ signes sur la modèlo des premier~. 
La première forme d'aocord consiste li ohoisir les signes sonores 
(plus faciles li. reconnaître de loin et seuls utilisables la nuit), la 
seconde à composer, pour désigner des repre~entntions non 
encore mal'qUées, des sons proches de celL't qui indiquent des 
reprillentations voisines. Ainsi se constitue le langage proprement 
dit, parWle série d'analogies qui prolongent latéralement le lan­gage 
d'action ou du moins BQ partie sonore: il lui ressemble et 
• c'est cette ressemblance qui en facilitera l'intelligence. On la 
nomme analogie .•• Vous voyez que l'analogie qui nous fait la 
loi ne nOU8 permet pas de choisir les signes au haliard ou 
arbitrairement Il ». 
Ln gen~se du langage à partir du langage d'action échappe 
entièrement à l'alternative entre l'imitation naturelle et la 
convention orbitraire. Là où il y a nature - dans les signes 
qui nai.Qgent !!pontanément à travers notre corps - il n'y a 
nulle ressemblance; et là où fi y a utilisation desl'Cssemblnnces, 
c'est une fois êtab1i l'accord volontaire ent1"e Jes hommes. La 
nature juxtapose les différences et les lie de lorce; ln réflexion 
découvre les ressembJaDce.'1, les analyse et Jes développe. Le 
premier temps permet l'artifice, mais avec un matériel imposé 
d'une façon identique à tous les hommes; le second exclut 
l'arbitraire mais ouvre à l'analyse des voies qui ne seront pas 
exactement superposables chez tous les hommes et dans tous 
les peuples. La loi de nature, c'est la différence des mots et des 
choses -le partage vertical entre le langage et ce qu'au-des- 
80US de lui il en chargé de désigner; la règle des convention~, 
c'est la ressemblance des mots entre eux, le grand réseau hon­. 
zontal qui forme les mots les uns li partir des autres et les 
propage à l'infini. 
On comprend alors pourquoi la tMorie des mcines ne contre­dit 
en aucune manière l'aoelyse du langage d'action, mais YÏent 
]. Rousseau, DilC(Jor. aar forfgine d4 rl1l6galilt (cf. ConrllUac, Grammoire, 
p. 27, n. ]l. 
2. Cond11lac, GNlmmaire, p. 11-]2.
Parler 123 
très eXACtement se loger en elle. Les Moines, ce sont des mots 
rudimentaires qu'on trouve, identiques, dons un grand nombre 
de langues - dans toutes peut-être; elles ont été imposées par 
la natUre comme cris involontaires et utilisées spontanément 
pur le langage d'action. C'est là que les hommes sont .nés les 
chercher pour les faire figurer dans leurs langues convention­nclle~. 
Et ~i, t.ous les peuples, dans tous les climats, ont choisi, 
pamli le m8tr.~au du .Iungag~ d'act.i,!n, ~es sODor~tés élémen­tnirt-' 
ll, e'c5t qUIIII y decouvralent,mals dune maruère seconde 
et réfléchie, une re~!lllmblance uvee l'objet qu'ils désignaient, 
ou la possibilité de l'appliquer à un objet analogue. La ressem­blance 
de la l'8cine à ce qu'olle nomme ne prend sa valeur de 
IIÎ!!ne verbal que par ]0 convention qui a uni les hommes et 
ré'gl~ en une langue Jeur langage d'action. C'est. ainsi que, de 
l'intérieur de ]11 reprÎl~entntion, les signes rejoignent la nature 
même de ~ qu'ils Maignent, et que s'impose, de façon identique, 
à toutes les langues, ]e tré!lOl' primitif des vocables. 
Les racines peuvent !le fonner de plu~ieurs façons. Pal' l'ono­matopée, 
hien silr, qui n'est pas exp~~ion spontanée, mais 
articulation volontaire d'un siWle l'e9!1emblant : c faire avec BIl 
voile Je mllme bmit que rait l'objet qu'on veut nommer 1 •• Par 
l'utilisation d'une ressernhlance éprouvée dans les sensations: 
c l'impression de ]a couleur rouge, qui est vive, rapide, dure 
à.la vue, sera très hien rendue par le son R qui fait une impres- 
810n anaJogue 5ur l'ouie S JI. En imposant aux organes de la 
voix des mouvements analogues à ceux qu'on a le dessein de 
signifier: c de sorte que le son qui résulte de la forme et du 
mouvement nat.urel do l'organe mis en cet état devient le nom 
de l'objet" : ]a gorge racle pour désigner le frottement d'un 
corps contre un autre, elle S8 CreU!l8 intérieurement pour indi­quer 
une surfulle conl'.ave a. Enfin en utilisant.pour désigner un 
organe los sons qu'il prodUlt naturellement : l'articulation 
ghen a donné son nom à )a gorge d'où elle provient, et on se 
8er~ des .dentales (d et t) poUl' désigner les dents 4. Avec ces 
artlculutlClDs conventionnelles de la ressemblance, chnquelangue 
pe,;,t S8 donner son jeu de raemes primitives. Jeu restreint, 
pu!Squ'elJes sont presque toutes monosyllabiques et qu'eUes 
e~lsteMnt en très petit nombre - d~ux cents pour la langue 
hebralque selon les estimatioDS de Bergier 1; encore plus res- 
17!5)De Brosses, Traité dt! la farmalion mttanique dl:8 langua (Parla, 
, p, 9. 
j 2, Abbé Cllpinp.ntl, R""li .ynlhllique .lIr rOl'igine t:I la f/lrmation du 
c"'gu~ (Parlll, 1774), p. 3<1.35. 
~. rd ~!lMSJ TNlirt de la fllrmlJliort mkarti'llle dl!S langueiI, p. 16-18. 
• "Ibid., t. l, p. loi. 
. Eergier, Lea EMmellU primitif. dl!5 langua (PariB. 17641. p_ 7-8.
121 
treint si l'on songo qu'ollci sont (il cause de ces rapports de 
ressemblance qu'elles instituent) communes à la plupnrt des 
langnes : de Rro!lse& ponse que, pour tous les dialectes d'Europe 
et d'Orient, 0llc9 ne romplissent pas à ellell toutes c une pogo de 
papier de lettl'e8l. Mois c'est à partir d'elles quo chaIJuelang1.l8 
en 88 particularité vient à se former: c leur développement ost 
prodigieux. Telle une grrtine d'orme produit 11n grand arbre qui 
poussant de nouveaux jets do chaque racine produit li. la longue 
une véritable forêt 1 •• 
Le langage l'eut se déployer mainlenant daus sa généalogie. 
C'csstollc que deBro9s6svolllllit étnlurdansIIJlesf18cede filirtti()ns 
continues qu'il oppelait r cArchéologuo univer.;el! J. En haut de 
cct esplice, Oll écrirait 1eR racines - hien l'CU nombl'euses­qu'utilisellL 
JeB langues d'Europe et d'Orient; au·dessous de 
ohaouno on placerait les mots l'lus compliqués qui en dérivent, 
mais on Jlrennnt. ~ojll demeUre d'abord ceux qui en sont les plus 
proche:!. et. do suivre un ordre assez serré pour qu'il y ait eutre 
les mot.s sucoo8Bifs la l'lus petite distance p()~8ible. Ou coUSû­t. 
uerait ainsi des séries parfaites et. exhaustives, des cbaines 
absolument continues où les ruptures, si elles existaieut, indi­queraient 
incidemment. la place d'un mot, d'un dialecte ou 
d'une langue aujourd'hui di=:;jlarus 3. Cette grande nappe sans 
couture une Fois constituAe, 011 aurait un espace il deux dimon­. 
ions qu'on pourrait J1ureourir ell absçisses. ou en ordonni-.es : 
à la verticale on Rurllit)o filiation complète de chaque racine, à 
l'horizontale le.~ mots qui sont utilises pur une langue donnée; 
plus OIl s'éloignerait des mcinos primit.ives, plus compliquées, et, 
sans doute, plus récentes seraient 1ll&langues délluies par une 
ligne transversale, mais en même temps, plus les mols auraient 
d'llUicaoiLé et de fiuesse pour l'nnnlysedes rcpr~entation5. Ainsi 
l'espace historique et le quadrillage de ln pensétl seraient exac­tement 
superllOséIJ. 
Cette recherche des .. acines peut bien lIppnraitre llomme un 
retout' il l'histoire et à la tbéorie des langues-mères que le 
classieisme, un instant, avait paru tenir en suspens. En réalité, 
l'analyse des rlloines ne rellJace paIS le langllge dans une histoire 
qui serrtit comme son milieu de naissance et de traJl5rormntion. 
EUe rait plutôt de l'histoire le parcours, par étapes successives, 
du découpage simultoné do la représentation et des mots. Le 
langage, à l'époque classique, 00 n'tlst pas un Iral,!lIlent d'his­toire 
qui autorise à tel ou tel momeut. un mode défmi de pensée 
J. ne 131'05SeI, Trait. de la '''rmlllion mlcanllfUll·d~ lfl"Qu~,. t. 1. p. 18. 
2. 111., 'Md., p. Il, p. 49O-t99. 
3. Id., ibid., &. 1, 11"irace, p ...
Parler 125 
eL de ré!1cxion; c'es .. un espace d'analyse sur lequel le tenlp. 
eL le savoir des hommes déroulent. leur parcoun. Et que le 
langage ne Boit. pas devenu - ou redevenu -, par la t.béo­rie 
de!! racines, un 6tre bist.orique, on en t.rouverait. bien aisé­ment. 
)a preuve dans la manière dont, au XVlIIe siècle, on a 
recherché los étymologies. On ne prenait pas oomme fil dire"" 
teur J'étudo des transformations matérielles du mot, mai» la 
COliS tance des significations. 
Cette recherche avait. deux aspects : définition de la racine, 
jj;olement des désinences et des préfIXe!. Définir III racine, c'est 
{aire une étymologie. Art qui a Iles règles codifiées 1; il faut 
dépouiller )e mot do toutes les traces qu'ont pu déposer sur lui 
Jes combinaisons et los Owons; arriver à un élément monOllyl· 
Ji/bique; suivre cet élément dans tout le passé de la langue, à 
travers les anciennes 1 chartes et glossaires 'i remonter à 
d'autres langues plus primitives. Et tout au long de cette filière 
il Iaut bien admettre que ]e mOllosyllabe se transforme: t.outes 
los voyelles peuvent sc substituer les 1UleB aux autres dans 
l'histoire d'une racine, CBr les voyeUes, o'est la voix elle-môme, 
qui est sans discont.inuité ni ru~tUl'O; les CODSOnnes en revanche 
se modifient. selon des voies pnvilégiées : gutturales, linguales, 
palatales, dentales, labiales, nasnles forment des Camilles de 
consonnes homophones à l'intérieUl' desiuelles le font, de 
préférence mais saDS aucune obligntion, cs changements de 
prononciation 1. La seule constante ineffaçable qui alsure la 
continuitk de la racine tout au long de son histoire, c'est l'unité 
de sens: la plage représentative qui persiste ind6finiment.. C'est 
que 1 rien pcut-être ne peut borner les inductions et. tout peut 
leur servir de fondement depuis]a res!lemblnnce totale jUllqu'aux 
re.·;jiemblnnces]es plus légères.: le sens des mots es 1 la lumière 
]a plus sare qu'on puisse c()Jl5ulter 3 Il. 
VI. LA DtSlVAT101'l 
Comment !le fait-il que les mots quj, en leur essence première 
lont DOIlll et désignations et quj s'articulent comme s'analyse 
1. cr •• urtoul Turgot, arUcie • ~tymOIOgl8' de l'Enrgdopldit. 
2. Ce sont, avec quelques varumU!a acceMOires, lei IeUlCB lois de variaUoDs 
pbunéUques reconnues por d. BIO!!IieI (De 1. formaliOll mécanlqu. dulan", .. , 
p. 108-123), Hergllll' (EIIPlltn16 primfllf' du l/Ulguu, p. "fJ.8:1), COu,", da 
Géhelln (Billoire nalureU. de la ptII'OIe, p. 69-64), TW'(Io& (Adiele • et1TllG­logle 
.). 
a. l·urgot, nrUela • ~~ymolocle • clIl'Encycloptdic. cr. de Br06IIi, p. "20.
126 
la t'eprésenlation elle-même, puissent s'éloigner irrésistible­ment 
de leur signification d'orJgine, acquérir un sens voisin, 
ou plus large, ou plus limité? Changer non seulement de forme, 
mais d'extension? Ac~érir de nouvellos sonorités, et aussi de 
nouveaux contenus, SI bien qu'h partir d'un èqwpement pro­bablement 
identique de raeines, les diverses langues ont form6 
des sonont6s différentes, et en outre des mols dont le sens ne se 
recouvre pail? 
Les modifications de forme sont snns règle, lA peu pris indé­finies, 
et jamais sta1!les. Toutes leurs causes sont externes : 
facilité de prononciation, modes, habitudes, climat -le froid 
favorit18 1 le sill1ement labial,., la chaleur Ilos aspirations gut­tumlos 
1 1. En revanche, les altérations de sens, pUIsqu'elles 80nt 
limitllos au point d'autoriser une !Icience étymologiquo, sinon 
absolument certaine, du moins «prohable» 1 - obéissent h des 
principes qu'on peut assibrner. Ces principes qui fomentent 
l'histoire intérieure des langues sont tous d'ordre &patial. Les 
uns concernent la ressemblance visible ou le voisinage des ohoses 
entre elles; les autre9 ooncernentlelieuoüsedérosentlelangage 
et la forme selon laquolle il 6e conserve. Les figures et l'éori­ture. 
On connait deux grands types d'écriture : ceUe qui retrace 
le sens des mots; celle qui analyse et restit.ue les SODS. Entre 
elles, il y a un parlnge rigoureux, soit qu'on admette que la 
seconde a pris chez certains reuplesla relève de la première à la 
Buite d'un véritable «coup de génie 3 », soit qu'on admette, 
tant eUes sont différentes l'une de l'autre, qu'oUes sont apparues 
à puu prês simultanément, la rremière chez les peuples dessi­nateurs, 
la seconde chez les peuples chantours t. Représenter 
graphiquement 1" sens des mots, o'est b.l'origino faire le dessin 
exaot do ]a chose qu'il désigne: à vrai dire, c'est à. peine une 
écrituro, tout. au plus une reproduction pie1.urale grâce à quoi 
on ne pellt guèt'e transcrire que les récits ICI! plus cOllcrets. Selon 
Warbllrton, les Mexicains ne connaissaient gll~l'O que C8 pro­cédé 
Il. L'écriture véritable a commencé lorsqu'on s'ost mis à 
représenter non plu8 ]a chose eUe-même, mais un dos élément!! 
qui la constituent, ou bien une des circonstances habituelles qui 
la marquent, ou bien enCGre une autre chose à quoi elle res­semble. 
De là trois techniques l'écriture euriologique des 
1. DII BrolS@8, Trailé dt ln fOl'malion m'-t:an''1ulI/Û' langutl, t. l, p. 66-67. 
2. Turr:o, orLicle • g~ymoltlgie • de I·Bncyrloptttie. 
3. Duclo!!, Remarque,'1ur la grammaire ginérulfl, p. 43-44. 
4. De~Lul~ de Tr.Icy, ËMmmr. d'ldl(llogill, Il,'p. 307-312. 
5. Warburlon, Essai sur le. hih'fJIIUpllu de. Ewplien. [traduction fran­caise, 
'Pam, 1744), p. 15.
Parkr 127 
tgyptiens, la plus grossière, qui utilise c la principale circons­taoce 
d'uo aujet pour tenir lieu de tout. (un ore pOUl' une 
bR Laille, une écbelle J10ur le liège. des ~ités) i p,!i~ les hiéroglyphes 
c tropiqur.s • un peu pl!lS per(e~tlonnes. qUl u~lblent ~ne ~lrcons­Utllce 
remRrquable (pU1sque Dlell est tout-pUissant, 11 sRlt tout, 
cl. il peut flurveiller les ~ommes.: on le représentera par un oeil); 
cnfin l'écriture symboh'{!le '1w se sert de ressemblances plus 
ou moins cachées (le soleil qw se lève est figuré par la Ute d'un 
crocodile dont. les yeux ronds affieurellt juste à la surface de 
l'eau) 1. On reconnait là les trois grandes figures de la rhéto­rique 
: synecdoque, métonymio, cal.achrèae. Et c'est en sui­vant 
la DC"Ure qu'elles presorivent '.lue ces langages doublés 
d'uue écriture symbolique vont pOUVOll' évoluer. :ua se chargent 
peu à peu de.pouvoirs poétiques; les premières nominatiOIlll 
deviennent 18 point de départ de longues métaphores: ceUea-ci 
S8 compliquent progressivement et sont bientôt ai loin de leur 
point d'origine qll'il devient difficile de le retrouver. Ainsi 
noiijsent les suporsLitiollK qui laissent croire que le soleil est un 
crocodile ou Dieu un grand oeil qui survcille le monde; ainsi 
na~sent également les &avoirs ésotérique. chez ceux (les prêtres) 
qui se tran."mettcnt de génération en génération des métaphores; 
aiDlli naissent les allégories du discou.rs (si fréqucntes dans les 
littérature' les plus arcllaiqlles), et aussi cette illusion que le 
savoir consiste à connalue les ressemblance •• 
Mais l'histoire du langage doté d'une écriture 6gul'ée est vite 
arrêtée. C'est qu'il n'estgu~re possible d'y accomplir des progrès. 
Les signes ne S8 multiplient pas avec l'analyse méticuleuse des 
reprélsentations, mais avec les analogies los pllll lointaines : 
de sorte que c'cst l'imagination des peuples qw est favorisée 
plus que leu!, rénexion. La crMulité, non la science. De plus la 
conJlajs~allce n.écessite deux apprentissages • celw des mot. 
d'abord (comme pour tous les langages), celui des sigles enswte qw n'ont pas de rapport avec la prononciation des mota; une 
vie humaine n'est pos trop longue pour cette double éducation.; 
el si on a eu, de surcroît, le loisir de raire quelque découverte, 
on ne dispose pas de signes pour la transmettre. Inversement, 
un signe transmis, puis,(U'jl n'entretient pas de rapport intrin­sèque 
aveu le mot qll'il figure, demeure toujours douteux : 
d'âge en Ago OD DO peut jamais être sill' que le même son habite 
la même figure. Les nouveautés sont donc impossibles et les 
tradiLions compromises. Si bien que le seul souci des savants 
est de garder c un respect. 8upenlitieux _ pOUl' les lumières 
reçues des ancêt.res, et pour les institutions qui en gardentl'M- 
1. WnrburLnn. /?ssai .ur Ics hiirfJglyphu du Sgyp/tms. p. 9-23.
128 
l'ltage : c ils sentent que tout chang/!ment dans lell moeul':l en 
apporte dans la langue et que tout changement dans la langue 
conCond et anéantit toute leur science 1 •• Quand un peuple 
ne PQss~de qu'une écriture figurée, sa politique doit exolure 
l'histoire, ou du moins touto histoire qui ne serait pas pure et 
simple col15ervation. C'est là, dans ce rapport de l'espace au 
langage, que sc situe, selon Volney s, l'essentielle différence 
entre l'Oriellt et l'Occident. Comme li la disposition spatiale 
du langage prulicrinit la loi du temps; comme .i Jeur langue 
ne venait pas aux hommes li. travers l'hiatoire, mais qu'inver­. 
ement ils n'aBcédaient à l'histoire qu'à. travers le sY!ltèmè de 
leurs signes. C'&,jt dans ce noeud de ]a représentation, des mota, 
et de l'espace (les mots repré!entant l'espace de la repréMlnu­tion, 
et se représentant lIeur tour dans le templi) que se forme. 
ailenciewement, le dest.in des peuples. 
Aveu l'écriture alphabétique, en efTet, l'histoire des hommes 
cbange entièrement. Ils transcrivent dansl'espaoe non pas leurs 
idées mais Jessons, et de ceux-ci ils extmient les éléments COm· 
muns pour former un petit nombre de signes uniques donUa com­hinaillon 
permettra do former toutes les syllabes et tous les motl 
possibles. Alors que l'écriture symbolique, en voulant spatiali.'4ef 
les repnisentations elles·mêmes, suit la loi confuse des simili­tud& 
ï,et CaitgIisser lelnngagehors des Cormes de Ja pensée rifle;· 
chie, l'écriture alphabétique, ellrenonçant à dp.ssincr la représen. 
tation, transpose dans l'ana lyse des roBS les règles qui valent pOUf 
la mison elle-même. Si bien que les lettres ont beau ne pas repré­senter 
dos idées, eUes se combinent entre eUes comme Jes idées, 
et les idées se nouent et se dénouent comme les lettres de l'al­phabet. 
s. La rupture du parallélisme exact entre repr6sentation 
et paphisme permet de Joger la totalité du langage, m~lDe 
écrit, dans le domaine général de l'analyse, et d'appuyer l'un 
lur l'autre 10 1)1'ogrès de J'écrituro et oelui de Ja pensée '. 
r .. es mêmes signes graphiqUe! pourront décomposer tous les 
mot.'I nouveaux, et transmettre, saRS crainte d'oubli, chaque 
découverte, dès qu'eIlts aura été laite; on pourra le servir du 
mame alphabet pOUl' transcrire difTérentes langues, et laire 
pllssël' ainsi Il un peuple les idées d'un nutre. L'apprentissage 
de CIII; alphabet étnnt très laciIe à. cause du tout petit nombre 
de ses éléments, chacun pourra consacrer Il la réOexion et " 
l'analyse des idées Je temps que les autres peuples gaspillont 
1. DUIlLuLt de Tracy. Elr.lmllf6 d'Iddorr;g", t.. H, p.284-300. 
2. VOlllllY, Lu Ruina (Paris 1791). ohsp. XlV. 
3. Cnnrllllnc, Gramm"ir., chap. 2. 
~. Adilm Smith. Co",id~ralion. "zr rorlginc " fa larmallon du '"npuu, 
p. C4.
Parur 129 
• apprendre leBleltres. Et c'est ainsi qu'II.l'int6rieur du langage, 
très exactement cn celte pliure de·. mot.s où l'analyse et l'ClIpace 
.e rejoignent, nalt 1 .. possibilit.41 première mail indéfinie du pro-rès 
En Ba racloe, le progrês, tel qu'il elt défini au :Evm- siècle, 
:'est plIS un mouvement. intérieur à l'histoire, il est le résultat 
d'un rapport fondamental de l'etlpace et du langage: 1 Les signes 
arbitraires du Inngog8 et de l'écriture, donnent aux hommes le 
lDo)'en de s'assurer la possession de leurs idées et de les commu­niquer 
aUX autres ainsi qu'UJ1 héritage toujourl augmoulê dei 
découvertes d.e. chaque sièole; et le ~enre ~UDl8in comidéré 
del'uis lion orJgule paratt aUlt yeux d UD. philosophe UIl tout 
immense qui lui-m~me a, comme ohoque individu, son eneaDCe 
et 8es progrèa 1. » Le langage dOIlIl8 à la perp6t.uelle rupt.ure 
du temps la continuitê de l'espac:e, et c'est daus la mesure où 
il aDalyse, arlicule et d~coupe la représentation, qu'il a le POil­' 
t'oÏr de lier h travers le tempa la connaissance des choses. 
Âvec le langage, la monotonie eonfusede l'espace 8C fragmente,. 
tandis que s'uoifie la diversité des SUCCCSS1ons. 
Il rest8 cependant un dernier 'problème. Caf l'êcriture est 
hien le suppurt et le gardien toUJours é"eill~ de ces analyses 
progressiV8went pluli fines. EUe n'en est pas le principe. Ni 
le mouvement. premier. Celui·ci, c'est un glissement. commun 
.. l'attention, aux signu .t aUlt motl. Dans une repl'ésenta­lion, 
l'esprit pllut s'attaeh.r, et attacher un signe verbal, il un 
élément qui cn {ait. partie, li. Olle circonatance qui l'accompagne, 
li. une autre chose, absente, qui lui ed semblable et revient à 
cause d'elle lia ml:moire l • C'est. bien ainai que le langage s'est 
dheloppé et, petit li. petit, a ,P!JUJ'Suivi 118 dérll-e li. partir des 
désignations premières. A l'orJgme, tout. avait un num - nom 
propre ou singulier. Puis le nom s'est attach6 li. Wlseul élément 
de cette chose, et s'est appliqué Il tous les autres individus qui 
le contenaient également: ce n'est plustel chêne qu'on a nommé 
arbre, mois tout ce qui contenait au moins tronc eL branches. 
Le nom Il'eRt aussi attaché li. une circonstance marquant.e : 
la nuit a désignê non pa!! 1. fin de ce jour-ci, mais la trancha 
d'obscurité qui sépan tous les couchers de soleil de toutes los 
aurores. Il s'est attaché enfin à des analogics: on 8 appelé fBUill. 
tout ce qui était mince et Iislle comme une feuille d'arbre 1. 
L'l!Wl.lyse progressive et l'articulation plus pouss~e du langage 
qw pennettent de donner un seul nom à plusieurs chosea se 
IOnt faites cn suivant 18 fil de cell figures fondamentales que 
LaI. Turgot, Tabftall du progrü 6u,cu~r/' de fupril humaIn, 1'150 (OEUII,., 
~. SebeUe, p_ 215)_ 
:- COndillIlC, Er.cd .ur rllrlglne d. connaluunrll (OEuvra, t. 1), Po '5-87 • 
... Du ~11ln;:Wi, l'mllt tltllropea ((!dllloQ dll 1B1l), P 1ü()'151.
f30 
la rhétorique connait bien : lIyneodoque, métonymie et cata­ohrèse 
(ou métaphore 8i l'analogie est moins immédiatement 
sensible). C'est qu'eUes ne 80nt point refret d'uu raffinement 
de style; clles trahissent, au contl'oiro, )a mobilitê propre li. tout 
langage dès qu'il cst Bpontan~ : Il il se fait plus de figures un 
jour de marché à la Halle qu'il ne s"cn fait en plusieurs jours 
d'assemblées académiques J. ». Il est bien probable quo cette 
mobilité était même beaucoup plus grandc à l'origine que main­tenant: 
de DOS jours, l'analYlle est li fine, le quadri1lage si 8crré, 
les rapports de coordination et de subordination si bien établis, 
que les motll n"ont gul!rc l'occasion de bouger de Jeur place. 
Mais aux commencements de l'humanité, quand les mots étaient 
rares, que les représentntions étaient encore confuses et mal ana­lysées, 
que les palsions les modifiaient ou lesfondaient en8emble, 
lcs mots avaient un grand pouvoir de dêplacement. On peut 
mÔme dire que les mots ont été figurés avant d'être propres : 
c'es-à-dire qu'ils avaient Il peine leur statut de noms singulie1'8 
qu'ils s'étaient déjl répandus sur le8 représentations pa.r la 
force d'une rhétorique Bpontllnêe. Comme le dit Rousseau. on 
8 Bans doute parlé de géants avant de d6signer des hommes 1. 
On Il d'abord désigné les bateaux par leun voiles, et l'âme, 
la «Psyché I, reçut primi.tivement la figure d'un papillon '. 
Si bien qu'au fond du langage parlé ClOmme de l'écriture, ce 
qu'on découvre, c'est l'espace rhétorique des mota : cette liberté 
du ligne de venir se poser, selon l'analyse de ]a représentation, 
lur un élément interne, sur un point de IOn voisinage, Bur une 
figure analogue. Et si lcs langues ont la diversité que nous 
constatons, si Il partir de désignations primitives, qui ont sans 
doute été communes Il cause de l'universalité de la nature 
humRine, elles n'ont OO8sé de se déployer selon des formes diffé­rentes, 
si eUes ont eu chacune leur histoire, leu1'8 modes, leurs 
habitudes, leurs oublis, c'est parce que les mots ont Jeur üeu, 
Don dans le temJV, mais dans un Blpace où ils peuvent trouver 
leur site onginai'te, se déplacer, se retourner lur eux-mêmes, 
et. déployer lentement tout.e une courbe: un espace tropolo­gique. 
Et on rejoint ainsi cela même qui avait servi de point 
de départ à la réOexion sur le langage. Parmi tous les signes, 
le langage avait 1& propriété d'être suooessif : non parce qu'il 
aurait appartenu fui-même Il une chronologie, mais parce qu'il 
étalait en sonorités successives le simultané de la repmentation. 
Mais cette 8ucçelsion qui analyse, et 'ait apparattre les uns 
aproe les aut.rea des éléments discontinus, parcourt rapace que 
1. Du ~fan;als, Tram dell Iropta, p. 2- 
2. Rouesenu, Bual ,~,. ra"l/ine du ltJnguu, p. 15?-153. 
3. De BroSi!I!8, TraiU de ,. "rollOnclaUlln mtcllIIiqu" p. 267.
Parkr 131 
la repré!lcntation oOEre au regard de l'esJl!Ït. ~i bien Tl8 le !an­gage 
ne fait que mettre dans un ordre hnéalre les dispersions 
roprésenLécs. La propositi.on déroule e fait entendre la 6gure 
que la rhétorique rend i:le~llble ou regard. Sans cet espace tropolo-ique 
le langage ne serait pas formls de tous CM noms communs 
~ui p~rmettent d'établir un rappo~ d'attribution. Et sa'!scette 
analyse des mots, lei figures seraient restées muettes, luatan­tauées 
et, aperçues daua l'incandescence de l'instant, elles 
seraient tombées aUl8it6t daDl Ull8 nuit oil il n'y a même pu 
de temps.. .• • , ell d 1 d • 
Depuis ]a tMorle de. la proP'!B1tiOU JUSqu à cee a én: 
vation, toute ]a réflCloon classique du langage - tout ce qUI 
s'est appelé la 41 grammaire génlsrale IJ u'est que le CODUnen­taire 
serré de cette simple phrüsa : 1 le langage analyse IJ. C'est 
là qu'a bascull:, au XVIIe siècle, toute l'expérience occidentale 
du langage, - eUe qui avait toujours cru jusqu'alors que la 
langage parlait • 
.,JI. LB QU,A,DRII.,A,TSRB DU I.,A,"OACB 
Quelques remarques pour terminer. Les quatre théories­de 
la proposition, de l'articulation, de la désiguation et de la 
dérivation - forment comme les segments d'uu quadrilatère. 
EUes s'opposent deux à deux .t deux à deux le prêtent 
appui. L'articulation, c'est ce qui dODUe contenu à la pure 
fonne verbale, vide encore, de la proposition; elle la remplit, 
mais s'oppose à elle comma une Domination qui ditTérencie 
les choses s'opPOlie il l'attribution qui les relie. La théorie de 
la d~signatioD manifeste le pomt d'attache de toutes les formes 
n?mlDales quel'8I'ticulation découpe; mais elle s'oppose à celle­Clt 
CODUDe la désignation instantanée, gestuelle, perpendicu- 
181r~ s'oppose au découpage des généralités. La théorie de ]a 
ténvat}O;U mont~e le m~l1Vement continu des mots à pnrtir de 
~Ul' ongme. UlalS le ghllSement à la surface de la représenta­tion 
s'oppose au lien unique et stable qui attache une raciue 
à U!,~ 1'8prés.entation. Enfin la dérivation fait retour à la pro­P08rt1(~ 
n, pwsque saDS elle la désignation demeurerait repliée 
B~I' 801 e.t no pourrait pal acquérir cette généralité qui auto­l'ISe 
un lien d'8ttn"bution; pourtan.t la dérivation Ile (ait selon 
une figure spatiale, alors que la proposition lie déroule lelon 
un ordre successif. 
n faut Doter qu'entre les sommets oppos6a de ce rectangle,
132 
il existe comme des rapports diagonaux. D'abord entre articu­I. 
tion et dérivation: s'il peut y avoir un langage articulé, avec 
des mots qui se juxtaposent, ou .'emboUent, ou s'ordonnent 
les UDS aux autres, c'est dans la mesure où, à partir de leur 
valeur d'origine et. de l'acte simple de désignat.ion qui les a 
fondés, les DlOtll n'out cessé de dériver, acquérant Will uxten. 
sion variable; de là un axe qui traverse tout le quadrilatère 
du langage; c'est le long de cette libme que se fixo l'état d'une 
langue : sos CEl'pocités d'articulation 60n prescrites par 10 
point de dérivatlon auquel elle est parvenue; là sc définissent .. 
la fois 81l posture historique et Bon POll·oir de discrimination. 
L'autre diagonale va de la proposition Il l'origine, 'c'est·/l·dire 
de l'aIIirmation enveloppée en tout acte de juger Il la d~igna. 
tion impliquée por tOlltoote de nommer; o'est le long de cet 
axe que s'établit le rapport des mots li. ce qu'ils rcprusentent : 
il apparatt là que les mots ne disent jamais que l'ètre de la 
représentation, mais qu'ils nomment toujours quelque chose de' 
représenté. La première diagoDale marque le progrès du lan­gage 
dans 80n pouvoir de spécification; la seconde, l'enroule­ment 
indéfini du langage et de ]a représentation, -le dédou­blement 
qui fait que le signe verbal représente. toujours une 
représentation. Sur cette dernière ligne, le mot fonctionne 
comme substitut (avec son pouvoir de représenwr); sur la pre­mière, 
comme élément (avec son pouvoir de composer et de 
décomposer). 
Au point de croisement de ces deux diagonales, au centre 
du quadrilatère, là où le dédoublement de la représentation le 
découvre comme aualyse, et où le ~ubstitut a pouvoir de répar­tir, 
là où se logent par conséquent la possibilité et le principe 
d'une taxinomie générale de la représentat.ion, il y a Je mm. 
Nommer, o'est, tout Il la fois, dODIler la repré:leutotion ver­bale 
d'une représentation, et la placer dans un tableau géné­ral. 
Toute la théorie classique du langage s'organise autour de 
cet être privilégié et central. En lui se croisent toutes les fonc­tions 
du lan~age, puisque c'est par lui. que les représcntation~ 
peuvent venar figurer dans une proposltlOn. C'cst dono par lUI 
aussi que le discours s'articule sur la connaissance. Bien entendu, 
seul le jugement peut être vrai ou faux. Mais si tous les noms 
étaient exacts, si l'analyse SUI" laquelle ils reposent avait été 
parfaitement réfléchie, si la langue était c bien faite Il, il n'y 
aurait aucune difficulté à. prononcer des jugements vrais, 8t 
l'erreur, danl le cal où. elle se produirait. serait IlU99i facile !t 
déceler et aUlSi évidente que dans un calcul algébrique. Ma~1J 
l'imperfection de l'analyse, et tous les gwsements de la déri­vation. 
out. impo5é des nODl6 è. des analyses, il des abstraction.
Parle,. 133 
ou à des combinaisons illégitimes. Ce qui serait sans inconvé­nient 
(comme de prêter un Dom aux monstres da la fable) ai 
le mot ne ~e do~ait comme représentation d'une r~pré6ent.a­tion 
: .i bIen qu on ne peut penser un O1Ot- aUIISI abstrlUt, 
général et vide qu'illioit - sans affirmer la possibilité de ce 
qu'il repré~eDte. C'est pourquoi, au'milieu du quadrilatère du 
langage, le nom appOl'Illt il Ja fois colDDle le point vers lequel 
oonvergent toutes 1011 structures de la langue (iJ est sa figure 
la plus intime, ]0 mieux protégêe, le pur résultat. intérieUl' de 
toutes ses conventions, de toutes ses règles, de toute Bon his­toire), 
et comme le point il pnrtir duquel tout le langage 
peut entrer dans un rapJlort il la vérité d'où il sera jugé. 
Là 118 noue toute l'expérience classique du langage: le enraa­tère 
révet;'ible de l'analrse. grammaticale qui est, d'on seul 
tenant, JClence et prescnptJon, étude des mots et règle pour 
les bâtir, les utiliser, les rérormer dans leur fonction représen­tative; 
le nominalisme fondamental de ]a philosophie depuis 
Hobbes jusqu'à l'Idéologie, nominalisme qui n'est. pas sépara­ble 
d'w18 critique du langage et de toute cette méfiance à 
l'égard des mots généraux et abstraits qu'on trouve chez Male­branche, 
chei: Berkeley, cllez Coudillac et chez Hume; la grande 
utopie d'un langage parfaitement transparent où les c1105eS 
elles-nlême1l seraieut nommées saUlI brouillage, soit par Wl sys­tème 
totalement arbitraire, mais exactement réUéc}ù (langue 
artificielle), soit par uu langage IIi naturel qu'il traduirait la 
pensée comme Je visage quand il exprime ulle passion (c'est 
de ce langage fait de signes immédiats que Rousseau a rêvé 
au premier de Iles DiaIoglJ88). On peut dire que c'est le Nom 
qui organise tout le discours classique; parler ou écrire, ce n'est 
pas dire les choses ou s'exprimer, ce n'est pas jouer avec le 
langage, c'est s'acheminer vers l'acte souverll1n de nomination. 
nller, à travers le langage, jusque vers le lieu où les choses et 
les mots se nouent en l~ur essence commune, et qui permet 
de leur donner un nom. Mais ce nom, une fois énoncé, tout le 
Ja~gage qui a conduit jusqu'à lui ou qu'on ft traversé pour l'at­teindre, 
Be résorbe en lui et s'efTace. De sorte qu'enson essence 
pro.r0!lde le discours classique tend toujours à cette limite; 
mais il ne subsiste que de la reculer. li chemine dans le l!llspens 
8~ns cesse II}uintenu du Nom. C'est pourquoi, tIans sa possibi­lité 
même! Il y est lié il la rhétorique, c'est-à-dire à tout cet 
espace qw en~oure le nom, le fait osciller aulour de ce qu'jl 
iprésente! 1!U8l1e apparaître les éléments ou le voisinage ou 
~s analogieS de ce qu'iJ Domme. Les figures que traverse le 
1 SCOIU"8 assurent le retard du nom qui vient au dernier moment 
ea combler et les abolir. Le Dom, c'nt le terme du discours.
t3' 
Et peut-êtTe toute la Iitt~rnttD'8 ola!lsi~e se loge-t-eUe en cet 
espaçe, dana ce mouvement pour at.lewdre un Dom toujolU'l 
redoutable parce qu'il tue, en l'épuisant, la possibilité de pu- 
1er. C'sst. ce mOllvement qui a emporté l'exp6rieoce du lauHage 
depuis l'aveu si retenu de la PrinCUIIB da ClAp" jusqu.'à 1 ill'l­mMiate 
violence de Juliett6. Ici, ]a nomination so donlle enfin 
dans BD nudité la plua .imple, et les figures de la rhétorique, 
qui jusqu'olorl la tenaient en suspens, basculent 9 deviennent 
)ea figures indéfinies dll déBir que les mêmes noms toujours 
répétés s'épuisent iii parcourir .ana qu'il leur sOR jamais donné 
d'en atteindre la limite. 
Toute la littérature clauique se loge dans le mouvemen' 
qui va de ]a figure dll nom 811 Dom lui-même, passant de la 
Uche de nommer encore la même chose par de nouvellBS 
figures (c'est la préciosité) Il celle de nommer pllr des mata eni .. 
jUltes, ce qui ne l'a jamall été ou elt demeuré en lJommeil dana 
)es plis de mots lointains : tels ces seorets de rime, cea impre.s­. 
ioDi nées ~.la limite des choses et du corps pour lesquels le 
langage de la CinquièmB PromflTllltÙJ 8'est rendu spontanément 
limpide. Le romantisme croira avoir rompu aveo l'âge précédent 
parçequ'il aura appris à nommer los choses parleur nom. A dire 
'Ynli tout le classicisme y tendait: Hugo accomplit la prome8Se 
de Voiture. Mais du fait même, le nom cesse d'lUre la récom­pense 
du langage'; il en devient l'énigmatique matière. Le B8Ul 
moment - intolérable et longtemps enfoui dans le secret - oà 
le nom rut ilIa lois accomplissement et substance du langage, 
promesse et matière brute, ce fut lorsque, avec Sade, il fut t1'8- 
vel'Ré dans toute Ion étendue par ]e désir, dont il était le lieu 
d'apparition, l'a8BOUvitillement et l'indéfini reoommUDcement. 
De là le fRit que l'oeuvre de Sade joue dans notre culture le 
rôle d'un incessant murmure primordial. Avec oette viulence 
du nom enfin prononc6 pour lui-même,le 18nga~e émerge danB 
Ba brutalité de chose; les autres. parties de l'oraIson 1 prennent 
li leur tour leur autonomie, elles échappent li la souveraineté 
du nom, ce!lsent de former autour de lui une ronde acoessoire 
d'ornements. Et puisqu'il n'y a plus de beauté singulière l 
• ,retenir 1 ]e langage autour et au hord du nom, il lui fa~e 
Dlontrer ce qu'il ne dit pas, il y aura un diacoun non discursif 
dOllt le rOle sera de manifc!lter le lanioage eu Ion êt.re brut. Cet 
être propre du langage, c'est oc qua e XlXe liècle appellera le 
Verbe (pal' opposition au c verbe. des classiques dont la fonC'" 
tion est d'épingler, discrètement mais continllment, le langage 
• l'être de Ja représentation). Et le discou1'II qui déûcDt cet 
"re et. le libère pour lui-même, c'est la littêrature. 
Autour de ce privilège clauique du nom, 16s aegmenta thêo-
Porlelr 135 
• e9 (propotlltlon, articulation, désignation et dérivation) 
d:ltnïlSent la bordure de ce qui fu~ alorl, l'~~rien~ du 
langage. En. .lel.analysant pa- ~ pliS, 11 no 1 a~18l8lt pomt d. 
f ' Il une histOire de" llonceptaflO5 grammatlcalel du xyue 
~Irdu xVIIIe siècle, ni d'ét'lblir le profil général de ce que lei 
heomm~es .aVlil ent pu penser ~ propos d u 1a ngage. li. »' agt.l ll8~. t 
de détermintlr à quelles tOndltlons le langage }louvait. deveOll' 
objet d'un Bavoir et entre quoUelllimitell B! dépl,oyait. ce dowaine 
épistémologique, ~on pa~ çalcule~ le deno~a~e~ CO~lO 
des opiniOll8. maiS définir à partir de quoI il etcnt. posllible 
qu'il eQ.t. des opinions - telles ou tel1~ - sur le langage. C'est 
pourquoi ce rectangle dcssine une périphéri" plus qu'uue figure 
intérieu1'6, et. il montre comment le langage s'enchevêtre aveu 
ce qui lui 6:it extérieur et indispensable. Ou a vu qu'il n'y avait 
langoge que par la vertu de la proposition: Bans la J.'résenoe, au 
moins implicite, du verbe êtrtt et du rapport d'attribution qu'il 
autori~e, ce n'est pas à du langage qu'on aurait affaira, maia 
il des signes comme les autres. La forma propositionnelle pose 
comme condition du langage l'affirmation d'un rapport d'iden­tité 
ou de dilléreuco : on ne parle que dans la mesure où ce 
rapport est po~sible. Mais les trois autres segments théoriques 
enveloppent une tout autre exigence: pour qu'il y ait dériva­tion 
dlltl mota à partir de leur origine, pour qu'il y ait déjà 
appart.enance uriginaire d'une racine à sa signification, pour 
qu'il y ait. enfin Wl découpage' articulê des représentat.ions, il 
fllut qu'il y ait, dèlll'expérience la plus immédiate, une rumeur 
alUllogique des cho~e5, detl ressemblances qui se donnent. d'en­trée 
de jeu. Si tout. était. absolue diversité, la pewsée serait 
vouée à la singularité, et comme la st.atue de Condillac avant 
qu'elle ait cOlIWlencé à 80 souvouir et il comparer, eUe Berait 
vouée à la dispersion absolue et. li l'ab~olue monotonie. Il n'y 
aurait ni mémoire ni imagination po~sable. ni réflexion, plU' 
conséquent.. Et il serait·impossible de comparer les choses e.Dtre 
elles, d'en. définir les traits identiques, et de fouder un nom 
commun. li n''1 aurait pas de langage. Si le langage exillte, c'est 
qu'a~·d~sHOUS detl identités et des dillérences, il y ft le fond des 
contmultéli, des ressemblances, des répétitions, de8 entrecroi­Beme! 
lh naturels. La ress6mblaDce, qui est exclue du savoir 
d,epuli le début du XV1l8 siècle, constitue toujours le bord exté­rieur 
du langage: l'anneau qui entoure le domaine de ce qu'on 
peut aoalytler, mettre en ordre et coonaltre. C'est le murmure 
que le dÎticour,s dissipe, mais sans lequel il ne pourrait. parler. 
On peut 81usir maintenant queUe est l'unité Bolide et ras­ief! 
ée dd~ langage dansl'expérieuce classique. C'est lui qui, 'par 
e leu uoe désignation .rtiçulée fttit entrer la f'ell8emblanoo
186 
dans le rapport propositionnel. C'est-à-dire dans un système 
d'identitês et de différences, tel qu'il est fondé pilf le verbe 
~tre et manifesté par le réseau des 7IOm8. La tâcbe fondamentale 
du «discours Il classique, c'est cfaUribU8r un nam auz chosB8,et 
,n te nom. th Mmmer leur être. Pendant deux siècles, le discours 
occidental fut le lieu de l'ontologie. Quand il nommait l'être de 
toute représentation en général, il était philosophie: théorie de 
la connaissanoe et analyse des idées. Quand il attribuait il 
chaque chose représentée le nom qui convenait et que, sur tout 
le champ de la représentation, il disposait lerêsenud'unelaDgUe 
bien laite, il élait science - nomenclature et taxinomie.
CB.PITBB V 
Classer 
J. CE QUB DISBNT LBS BISTOJUBNS 
Los histoires des idêes ou des sciences - eUes ne 80nt dési­gnées 
ici que sous leur profil moyen - font crédit au XVII' sièc.le, 
et uu xVIIIe 8urtout, d'une curiosité nouvelle: celle qui leur 
fit, sinon découvrir, du moins donner une ampleur et une 
précision jusque-là insoupçonnées aux sciences de la vie. A 
00 phénomène, on prête traditionnellement un certain nombre 
de causes et plusieurs manifestations essentielles. 
Du côté des origines ou des motifs, on place les privilèges 
nouveaux de l'observation: les pouvoirs qui lui set'Qient attri­bués 
depuis Bacon, at.les perfectionnements techniques que lui 
aurait apportés l'invention du microscope. On y range égaIe­ment 
le prestige alors récent dus sciences physiques, qui fournis­saient 
un modèle de rationalité; puisqu'on avait pu, par l'expéri­mentation 
ct la théoria, analyser le8 lois du mouvement ou 
ceUes de la réUexion du rayon lumineux, n'était-il pas normal 
d6 chercher, par des expériences, des observations ou des calculs, 
lcs.1~is qui pourraient organiser le domaine plus complexe, mais 
VOl!!ln, dcs 6tl'es vivants? Le mécanirnle cartésien, CJUi fut par 
la suite un obstacln, aurait été d'abord comme l'mstrument 
d'u.n tr~n~f6rt, ct. il aurait conduit, un peu malgré lui, ~e la 
r!ll;ioD,-!lite mécanIque à la d~couverte de cette autre ratlOnll­I1te. 
qw est celle du vivant. Du côté des causes encore, les bis­t~ 
Mens des idées mettent, un peu pêle-mêle, des attentions 
d.lverses : intérêt économique pour l'agriculture; la Physiocra­tie 
en fu~ un témoignage, mais aussi les premiers efforts d'une 
a~nomlc; à mi-chemiu de l'économie et de la théorie, curio­sl, 
te ~IUJ' les plantes et les animaux exotiques, qu'on essaie 
d acchmater, el donl le8 grands voyages d'enquAte ou d'explo-
ration - eeluide TOUl'neFort au Moyen-Oriont, celui d'AdaoBon 
au Sénégal - rapportent descriptions, gravures eL spêcimeDII; 
et puis surtout la valorisation hhilJue de la nntu1'8, avec tout. 
cemouvement, ambigu en son princ:lpe, par lequel on 1 investit .. 
- qu'on soit aristocrate ou bourgeois - argent et sontiment 
dans une terre que longtemps les époques prér.édentes avaient 
dêlai8ll6e. Au coeur du X"·lIIe siècle, ROWUllBlI herborise. 
Au registre des manifestlltions, les historiens marquent ensuite 
les fonnes variées qu'onL prises ces sciences nouvelles de la 
vie, et 1'. 8.'1prit J, comme on dit, qui les a dirigée!!. Elles auraient 
été mécanistes d'abord, BOUS l'influence de Descartes, et jus­qu'à 
la fin du XYlIC siflole; les premiers efforts d'une chimie à 
peine ~qlli~sée les 8urllÎent alors marqu~es, mais tout au long 
du XVllle siècle, les thèmes vitalistes auraient pris ou repris 
leur privilège pour se fonnuler enfin duns une doctrine unitaire 
- ce 1 vitalisme. que >lOUS des tonnes un peu dilléreutes 
Bonleu et Barthez profe!!~ent à Montpllllier, Blumenbach en 
Allemagne, Diderot puis Biehat à Paris. S011S ces dillérenls 
régimeti théoriques, des questlons, pre.lqne toujours les mêmes, 
auraient été poséell, recevant chllqne fois des l'tolutiolls difTé­rentes 
: possibilité de clallser les vivants, - 1eR uns, comme 
Linné, tenant que toute la nature peut entrer dans une taxi­nomie; 
les autres, comme Buffon, qu'elle e!!t tl'Op diverse et 
trop riohe pour s'ajuster à un cadre aussi rigicie; processus de la 
génération, avec ceux, plus mécAnistes, qui sont pltrtis9ns de la 
prMonnotion, et les autrell qui croient l un développement 
spécifique des germes; analyse des fonctionnements (la circu­lation 
après Harvey, la sensation, la motricité et, vers la 6.n 
du siècle, la respiration). 
A travers ces Jlroblèmes et les discussions qu'ils font nnître, 
c'est un jeu )lOur les historiens de reconstituer lel' grands débats 
dont il est dit qu'ils ont pnrtagé l'opinion et les passions des 
hommes, leul' raisonnement aussi. On croit ainsi retrouver trace 
d'uo conflit majeur entre une tlloologie qui loge, BOUS cha quo 
forme et dans tous les mouvements, la providence de Dieu, la 
Bimplicité, le mystère et)o soli ici tude de ses voies, et. une science 
qui cherche déjà à définir l'autonomie de la nature. On retrouve 
aussi la contradiction entre une science trop attacb6e à la 
vieille préséance de l'astronomie, de la mécanique et de l'op­tiPIe, 
et une autre qui soupçonne déjà ce qu'il peut y avoir 
d'IrrMuctible et de sp6cifique dus les domaines de la vie. Enfin 
les ht'ltoriens voient se dessiner, comme BOUilleurs regards, J'op­position 
entre ceux qui croient à l'immobilité de la nature-lia 
manière de Tournefort et de Linn6 surtout - et ceux qui, avec 
Bonnet, Benott de Maillet et Diderot, pressentent déjà la grande
139 
uissonce créatrice de la vie, son inépuisable pouvoir de traDS· 
fonnution, sa plasti~ité et cette dérive J'laI' InCJ!lelle elle enveloppe 
toutes scs productIon!',' nous-mêmes .camP:ls, dRns un temps 
dont nul n'cst maitre. Blfln avant Dal'Wln et bien avant Lamarck, 
]e grand déhut de J'évolutionnisme aurRit été ouvert par le 
T"Uiamr41 Ja Pulin,giné.,ie et le, Rêge ~ lf Akmbm. Le méca­nisme 
et la théologte, appuyés 1 un SUI' 1 autre ou se contestant 
S8~S ce~se, maint.iendraient l'Agit classique au plus près de IOn 
origine - du cÔté de Descartes et de Malebranche; en faoe, 
l'irréligion, et toute une intuition confuse de la vi.e,. à leur to~ 
en conflit (comme chez Bonnet) ou en complicIté (comme 
chez Diderot) l'attireraient vers son plus proche avenir: vers 
ce Xlx.e si~cle dont OD suppose qu'il a donn6 aux tentatives, 
encore obscures et enchatnées du XVI ne, leur accomplissement 
positif et rationnel en une science do la vie qui D'a pal eu besoin 
de sacrifier la rationalité pour maintenir au plus vif de sa 
con9cience la spécificité du vivant, et cette ohaleur uo peu IOU­terraine 
qui oircule entre lui - objet de notre connaissance - 
et nous autres qui 80mmes là pour le coDnattre. 
Inutile de revonir Bur les présupposés d'une telle méthode. 
Qu'il suffise d'en montrer ici les conséquences: la düliculté à 
lai sir le réseau qui peut relier les unes aux autres des recherches 
aussi diverses que les tentatives de taxinomie et los observa· 
tions microscopiques; la nécellsité d'enregist1'er comme faita 
d'obsel'Vation les conflita entre les fixistes et ceux qui ne le sont 
pal, ou entre les méthodilltes et les partisans du système; 
l'obligation de partager le savoir en deux trames qui s'enohe­vêtrent 
bien qu'elles soient étrangères l'une la l'autre: la pre­mière 
étant définie par ce qu'on lIavait déjà et par ailleurB ~'hé­ritage 
aristotélicien ou scola.tique, le poids du cartésiamsme, 
le prestige de Newton), la seconde par ce qu'on ne Bavait pas 
enco1'e (l'évolution, la spêoificit.ê de la vie, la Dotion d'organisme); 
et surtout l'application de catégories qui Boot rigoureu8~ 
ment anachroniques par l'apport à ce saY'oir. De toute! la 
plus importante, c'est évidemment celle de vie. 00 veut faire 
des histoires de la biologie 8U XVIIIe 8iOOle; mais on ne se rend 
pas compte que la biologie n'existait pas et que ]a découpe du 
sovoir, qui nous est familière depuis plus de cent cinquante 8W1, 
n? peut pas valoir pour UDe période antél'ÏeUl'6. Et que si la 
bJologie était inconnue, il y avait à cela une raison bien simple : d'est que la Vie elle-même n'e:z:ist,ait pas. Il existait seulement 
es ~tres vivants, et qui apparaissaient à travera une gcille du 
saVOir constitu6e par l'hUtoir. narur8lla.
1'0 
II. L'BUTO! RB 1'( 4TURBLLB 
Comment 1'4ge Qlassique a-t-il pu définir ce domaine de 
l' «histoire natureUe _, dont l'êvidonce maintonant et l'unitA 
même nous paraissent IIi lointaines et comme déjà brouillées? 
Quel est ce champ ob. la nature est apparue assez rapprochée 
d'eUe-même pOUl' que les individus qu'eUe enveloppe puissent 
être classés et assez éloignée d'ene-même pOUl' qu'ils doivent 
l'être par l'analyse et la reHexion? 
On a l'impreSsion - et on le dit bien souvent - que l'his­toire 
de la nature a dO. apparatt1'e sur la retombée du mécanisme 
cartésien. Quand il se fut révélé finalement impossible de faire 
entrer le monde entier dans les lois du mouvement rectiligne, 
quand la complexité du végétal et de l'animal eurent assez 
rbisté aux formes simples de la substance étendue, alors il a 
bien Callu que la nature se manifeste en sa richesse étrange; et 
la minutieuse observation des êtres vivants serait née Bur cette 
plage d'où le cartésiauisme à peine venait de le retirer. Malheu­l'eU8OmBnt, 
l8S chose. ne se passent pal avec cette limplicit6. n le peut bien - et encore ce lerait à examiner - qu'uoe 
aciencenaissed'uneautrejmais jamaisunescienconepeutnaitre 
de l'absence d'une autre, ni de l'échec, ni même de l'obstacle 
rencontré par une autre. En fait la possibilité de l'histoire 
natureUe, avec Ray, Jouaton, Christophe Knaut, est contem­pOl'aine 
du cart6sianisme et non de 80n éohec. La même dpi.­iémè 
a autoris6 ot la m6canique depuis Descartes jusqu'à d'Alem­bert 
et l'histoire naturello de Tournefort à Daubonton. 
Pour que l'histoire natll1'611e appa1'8Îsse, il n'a pas fallu que 
la nature s'êr.aississe, et B'obscul'oiss8, et multiplie ses méca­nismes 
jusqu ft acquérir le poids opaque d'une histoire qu'on 
peut seulement retracer et décrire, sans pouvoir la mesu1'6l', 
la calculer, ni l'expliquerjil a fallu, -et c'cattout le contraire­que 
l'Histoire dëvienne Naturelle. Cc qui existait au XVIe siècle, 
et jusqu'au milieu du xvn8 , c'était des histoires: Belon avait 
écrit une Histoire de la nature de.' OisBaU3:; Duret, une Histoire 
admirable du Plantes; Aldrovandi, une Histoire des Serpents oe 
des Dragons. En 1657, Jonaton publie une Histoire naturelle 
du Quadrupèdu. Bien 8111' cette date de naissance n'est pas 
l'Îgou~w;e 1; elle n'est 1. que pour symboliser un repère, et 
1 • .J. Ray, en 1686, écrit encore une HIs'oria planlGram ,Mn/r..
141 
signaler, de loin, l'énigme apparente d'un 6v6nement. Cet bé­nement, 
c'est la soudaine décan~ati~n, dans le dom~ine de 
l' HÎ$loria, de deux ordres, dllsortnals différents, de connaiSsance. 
Jusqu'à Aldrovandi, l'Histoire, c'était le tÎlllu inextricable, 
et. parraitement unitaire, de ce qu'on voit des choses et de tous 
les signe!! qui ont été découverts en elles ou déposés sur elles : 
fnire l'histoire d'une plante ou d'un animal, c'était tout· autant 
dire quels sont !l1'.9 éléments ou ses organes, que les ressemblances 
qu'on peut lui trouver, les vertus qu'on lui prête, les légendes 
cl. les histoires auxquelles il a été mêM, les blasons où il figure, 
les médicaments qu'on fabrique avec sa substance, les ali­ments 
qu'il lournit, ce que les anciens en rapportent, ce que le. 
"oyageurs peuvent en dire. L'histoire d'un être vivant, c'était 
cet. être même, à l'intérieur de tout le réseau sémantique qui 
le reliait au monde. Le partage, l'our nous évident, entre ce que 
nous voyons, ce que les autres ont observé et traW!mis, ce 
quo d'aulres enlin imaginent ou croient naïvement, la grande 
trillHrtition, I!i simple en apparence, et tellement immédiate, 
do l'Obs8r1'aliQn, du DfHmment et de la Fable, n'existait pas. Et 
ce n'cst pos parce que la science hé6itait entre une vocation 
rationnelle et tout un poids de tradition nnTve, mais pour 
une raison bien plus precise, et bien plus contl'oignante : 
c'est que les signes faisaient partie des choses, tandiS qu'au 
xvue siècle, ils deviennent des modes de la représentation. 
Quand Jonston écrit son His'oiJ'6 naturelle dU QrurdrupèM., 
en sait-il plu!! qu'Aldl'Ovandi, un demi-siècle plus tôt? Pas beau­coup, 
affirment les historiens. Mais là n'est pas la question, ou 
si on veut la poser en ces termes, il faut répondre que JODllton 
en sait beaucoup moms qu'Aldrovandi. Celui-ci, à propos de 
tout animal étudié, déployait, et au même niveau, la descrip­tion 
de son anatomie, et les manières de 10 capturer; Bon utili­aation 
allégorique et Bon mode de génération; Ion habitat et les 
palais de S8S légendes; sa nourriture et la meilleure façon de le 
mettre en 118UC6. Jouston subdivise Bon chapitre du cheval en 
douze rubriques : nom, parties anatomiques, habitation, Ages, 
générat.ion, voix, mouvements, sympathie et antipatbie, uti­lisat. 
ions, usages médicinaux 1. Rien de tout cela ne manquait 
chez Aldrovnndi, mais il 'Y avait beaucoup .plus. Et la diffé­' 
renee essentielle réside dans ce manque. Toute la sémantique 
animalo est tombée, comme une partie morte et inutile. Le. 
Inots qui étaient entl'elacés à la Mte ont été dénoués et BOUI­traits: 
et l'être vif, en son anatomie, en sa fonne, en ses moeurs, 
en lia naissance et en la mort, apparaît comme" DU. L'histoire 
1. JODiton, BlIrarfllntJfareUllfeflllJ/lrlpflllftla (AmBterclam, 16&7). p. 1.lL
142 lA. mou et lu cholli!s 
naturelle trouve Ion lieu dans cette di. tance maintenant ouverte 
entre 1. cboses et les mots - di.tance silencieuse,.pure de toute 
sédimentatiolL verbale et pourtant articulée selon les élément. 
de la représentation, ceux-là même qui pourront de plein droit 
être nommé •• Les choses abordent jusqu'aux. rives du discours 
parce qu'elles apparaissent au creux. de la raprétientation. Ce 
n'cst dono pas au moment 011 on renonce il calculer qu'on se 
met enfin li observer. La constitution de l'histoire naturelle, 
avec le climat empirique où elle le développe, il ne faut pas y 
voir l'expérience forçant, bon gré, mal gré, l'accès d'une connais­sance 
qui guettait ailleurs la vérité de la nature; l'hi:rtoire natu­relle 
- et c'est pourquoi elle est apparue précisément li ce 
moment-là-, o'est l'espace ouvert dans la représentation l'Ill' 
une analyse qui anticipe Bur la possibilité de nommer; o'est la 
pOBBibilil.é de poil ce '(u'on pourra dire, mais qu'on ne pourrait 
pas dire par la suite Dl voir li distance .i leI chosel et le. motll, 
distinots les unI des autres, ne communiquaient d'entrée de 
jeuenunereprésentation.L'ordredescriptifqueLinné,bienaprèa 
JonBton, proposera à l'histoire naturelle, OBt très oaraetéris­tl, 
ue. Selon lui, tout chapitre coneernant un animal queloonque 
dOit suivre la démarche suivante: nom, théorie, genre, espèee,· 
attributs, usage et, pour terminer, LiItBral'Ï4. Tout le langage 
déposé pal' le temps sur les choses est repoussé Il la dernière 
limite, comme un supplément olt le discours se raconterait 
lui.même et rapporterait les découvertes, les traditions, les 
croyances, les figures po~tiques_ Avant ce langage du langage, 
c'est. la chORe elle-même qui apparatt. dans ses caractères propres 
maia à l'intérieur do oet.te réalité qui a été. d'entrée de jeu 
découpée par le nom. L'instauration li l'âge classique d'une 
soience naturelle n'est pas l'eRet,dil'cct ou indirect du transfert. 
d'uue rationalité fonnêe ailleurs (li. propoadela géom6tr!eoude 
la mécanique). Elle eltune formationdistinote, ayant sonal'ch éo­logie 
propre, bien que liée (mais sur le mode de la comlation 
et de la simultanéité) il la théorie générale des signes et 8" 
projet de ~Ï$ universelle. 
Le vieux mot d'histoire change .101'8 de valeur, et peut· 
Am retrouve-t-il une de ses significations areharques. En tout 
caB, s'il est vrai que l'historien, dans ]a pensée grecque, ft bien 
I:tê celui CJUi voit et qui raconte à partir de son regard, il n'en 
a pal touJours ét.6 awsi dllDII notre culture. C'est même Basez 
tard, au seuil de l'Age eIaasique, qu'ü a pria ou repris ce rôle. 
Jusqu'au milieu du xvue sièole, l'historien avait pour tâohe 
d'établir le grand l'e6Ueü des documents et des signes, - de 'ou~ 
ce qui, à travers Je monde, pouvait former comme une marque. 
C'était lui qui était charg6 de redolUl8l' langage Il toulles mots
143 
enfouis. Son existence ne 8e défioil8ait pas tant par le regard 
ue par la redite, par une parole seconde qui prononçait li nou­~ 
eau tant de paroles Balourdies. L'Age classique donne à l'hi8- 
toire un tout autre seDII : celui de pOler pour la première fois 
un regard minutieux sur lell choses ellea·mêmes, et de mos­crire 
en~uite ce qu'il rtlCueilJo dllDI deI mota lisses, neutralisêa 
et fidèles. On comprend que, dilua cette • purification ,,. la 
première forme d'histoire qui 110 loit oolUltitu~e ait été l'bistoire 
de la nature. Car elle n'a besom pour Ile bâtir que de moU 
appliqués sans intermédiaire aux chollet! mêmes. LeB.doeumenti 
de cette hiatoire neuve ne sont pas d'autre8 woh, des textes 
ou des archives, mais des espaces clairll où les choses Ile iuxta­poReot 
: des herbie1'!, des collections, des jardins; 10 lieu de 
cette hi~toiro, c'est un rectangle intemporel, où, dépouillés de 
tout commentaire, de tout. langage d'alentour. les êtres se 
pfésenwnt lils uua à. côté de" autres, avec leurs surfacel visiblel, 
rapprocMs selon leurs traits communs, et par lh déjll virt.uel­lement 
ana!yséB, et porteurs de leur seul nom. On dit. Bouvent 
que la constit.ution des jardins botaniques et des collectiolUl 
zoologiques traduisait une nouvelle curiosité pour les plantes 
et les bêtes exotiques. En fait. depuis bien longtemps déjà, 
celle9·ci avaient sollicité l'intérêt. Ce qui a changé, c'est. l'es­pace 
o~ on peut les voir et. d'où on peut. les décrire. A la Renais­sance, 
l'étrangeté animale était un spectacle; elle figurait dans 
des fêtes, dans dos joutes, dallB de. combats fictifs ou réels, dans 
des reconlrtitutioDs légendaires, où le bestiaire déroulait ses 
fables sons Age. Le cabinet d'hÎllt.oire naturelle et le iardin. 
tels qu'on les aménage à l'époque classique, substituent au 
défilé circulaire de la c montre J l'étalement dei ohoses en 
1 tableau J. Ce qui a'est gliMê entre ces tbéât.r88 et. ce catalogue, 
ce n'est pas le d6sil' de savoir, mals une nouvelle façon de nouer 
le9 choses il la fois au regard et au discours. Une nouvellomanière 
de faire l'histoire. 
Et on Mit. l'importance méthodologique qu'ont prise cel 
espaces et ces distn'butionl c naturelles • pour le classement, 
à la fin du XYlltl! !liècle, des mots, deI langues, des racinet!, dei 
dl:!c!1IDents. des archives, bref pour la conrtitution de tout un 
milieu d'histoire <au sellll maintenant familier du mot) où. le 
XIXe ~i~cle retrouvera, après ce pur tableau des cboses, la 
possiblhté renouvelée de parler sur deI mots. Et d'en parler 
nqoun, plus • dans le style du commentaire, mais sur un mode 
. ou estimera aussi positif, auslli objectif que celui de l'bis­totte 
naturelle. 
La ~onservat1on de plu! OD plus complète de l'écrit, rios­' 
tauratlon d'archives, leur classement., la réorganisation. des
144 
bibJioth~'lllCS, rétablissement de catalogues, de répertoires, 
d'inventaires représentent, lia fin de l'Ige cla8l!ique, plus qu'une 
sensibililii nouvelle au temps, à son pallsé, la l'épaisseur de l'his­toire, 
une manière d'inLroduire dana le langage déjà déposé el; 
dans les traccs 'lu'il a laissées un ordre qui est. du 1Il6me type 
que ceJui qu'on établit entre les vivants. Et o'est. dans ce tempa 
classé, dan!! ce devenir quadrillé et spat.ialisé l{ue les historiens 
du XIX! siècle entreprendront. d'écrire une histOIre enfin c vrAio. 
- c'est-à-dire libérée de la rationalité classique, de !Ion ordon­nance 
et. de sa théodlc6e, une histoire restituée à la violence 
irruplive du temps. 
UI. LA STRUCTURE 
Ainsi dispol'r.e et entend ne, l'histoire naturelle a pour condi­tion 
de possibilité l'appartenance commune des choses el. du 
langage li Ja représentation; mais elle n'existe comme tAohe 
que dons la mesure où choses et Jangage se trouvent séparés. 
Elle devra donc réduire cette distance pour awener le tangage 
nu plus près du regard et les choses regardées au pl." près d~ 
mots. L'histoire naturelle, ce n'est rien d'autre que la nomina­tion 
du visible. De là son apparente simplieité, et cette aUuro 
qui de loin parait naive tant eUe est simple et imposée par 
l'évidence des choses. On a l'impression qu'aveo Tournefort, 
avec Linné ou Bulron, on s'est enfin mis Il dire ce qui de tout 
temps avait été visible, mais 6tait demeum muet devant une 
lort.e de distraction invinoible des regards. En fnit, ce n'est pas 
Ulle inattenLion miUénnire qui s'flllt soudain dissipée, mais un 
champ nouveau de visibilité qui s'est constitué dans toute son 
épaiaseUl'. 
L'histoiro natll'Ml1e n'eRt pas devenue possible parce qu'on 
a regardé mieux et de plus près. Au sens strict, on peut dire 
que l'âge cJosRiqllc s'est ingénié, sinon à voir le moins possible, 
du moins li re!ltreindre volontairement Je champ de son exp~' 
rience. L'ob:lcrvation, à partir du XVIIe siècle, eat une connais­sanCle 
sensible assortie de eGnditions systématiquement néga­tives. 
Exclusion, bien sdr, du oui-dire; mais exelusion aussi du 
goQt et de la saveur, parce qu'avec leur incertitude, avec Jeur 
variabilité, ils ne permettent pas une analyse en éléments dis­tincts 
qui soit universellement acceptable. Limitation très 
étroite du toucher lA la désignation de quelquos oppositions 
assez évidenteB (comme celles du lies. et du rugueux)j privilège
i45 
sque exclusif de la vue, qui est le Bens de l'évidence et de 
f.~e!ldue et par conséqueot d'une analyse parle, utm plll'tU 
dmise p~r tout le monde: l'anugle du xvme siècle peut bien 
:tre géomètre, il ne sera p~s naturalillte l, Et eocore, tout n'est-il 
pas utilisable dans ce qUl Il'Offre au regard : leI ~ouleurs! en 
particulier ne peuvent guère fonder de compar.usons utiles. 
Le chomp de visibilit6 où l'observation va prendroBespouvoin 
n'est que le. résidu de ces exclusions: une visibilité délivrée d. 
tout.c autre charge sensible ct passée de plus la la grisaille, C. 
champ, beaucoup plus que l:o~cuetl enfin ~t~~ntif au.~ ~bo~ 
ellcs-mêmes, défimt la conditIon de poSSibilité de 1 histOlre 
naturelle, et de l'apparition de scs objets filtrés : lignes, sur­faces, 
formes, relief!, 
On dira peut-être que l'usage du microscope compense cee 
restTiction8; et que si l'expérience sensible Be restreignait du 
côté de SIlS marges les plus douteuses, elle s'étendait vers les 
objets nouveaux d'une observation techniquement contl"Ôlée, 
En {ait, C'f,;st le même ensemble de conditions négative!' qui 
a limité le domaine de l'expérience et rendu possible l'utilisa­tion 
des instruments d'optique. Pour entreprendre de mieux 
observer à travers une lentille, il faut renoncer à connaître 
par les autres sens ou par le out-dire, Un changement d'échelle 
au niveau du regard doit. avoir plus de valeur que les conéla­tions 
entre les divers témoign.ages que peuTent apporter les 
impressions, les lectures ou lei leçons, Si l'embottement indé­fin. 
du visible dans sa propre étendue s'offre mieux au regard 
par le microscope, il o'en est pas aUranchi. Et la meilleure 
preuve en est sans doute qu8 les instrument.s d'optique ont 
8!ll'tout été utilisés pour résoudre les probillmos de la généra­tlO~ 
: c'est-à-dire pour découvrir comment les formes, les dis­POSltloJ18, 
les proportions caraotéristiques des individus adultes 
et de leur espèce peuvent S8 transmett1"6 à travers les âges, 
en, comervant lour rigoureuse identité, Le microsoope n'a pas 
~te ~p'p~l~ pour ,dépasser les limites du domaine fondamental 
e v1Sibd~té,. malS poUl' résoudre un des problèmes qu'il posait, 
~ le malQtle~ au fil des générations des formes visibles. 
L usage du IWcro~cope s'e~t fondé sur un rapport non instru­rn~ 
ntal entre les choses et les yeux. Rapport qui définit l'his­tOire 
?~lurelle, Linné, ne disait-il pas que les No.turaUIJ, pal' 
OpPOSItIon aux Coerestia et aux Elem"ntIJ, étaient destinés à 
nQ~sDlderot, ull".1U' Ita al.'~ug/~. Cf. Linnlt: • On doiL rejeter,_ toutes 
laçL • 1l(~:.~lIt~1I~5 qui ,!'exislent dilD5 la Piaule ni pour )'oeil, ni pour le 
""'''p'He b()/an"l'u:. p. :!5~l,
1.46 
Il'Oftri .. directement aux sens l? Et Tournefort. pel1llait que pOUl' 
connattre les plantas, 1 plutôt que de scruter chacune de leura 
'Variations avec un scrupule reügioux », il vuluit. mieux les ana­] 
y~e .. c telles qu'elles tombent 80U8 lcs yeux 1 ». 
Observer, c'est donc se cont.enter de voir. Do voir systéma­tiquement 
peu de choses. De voir ce qui, daD8 la richesse Ull 
peu confuse de la rcpr~entation, peut s'analyser, être reconnu 
par tous, et recevoir ainsi un nom que chacun pourra entenùre : 
c Toutes les similitudes obscures, dit Linné, ne sont introduitea 
qu'à III honle de l'art a. » Déployées elles·mêmes, évidées de 
toutes ressemblances, nettoyées même de leurs couleurs, les 
représentatiou8 visuelles vont enfin donner 11 l'hi!ltoire natu­relle 
ce qui conditue 1100 ol,jet propre: cela même qu'elle fera 
passer dUIlB cet.te langUI! bien faite qu'elle entend bâtir. Cet 
objet, c'est l'étendue dont sont constitués le, êtres de la nature, 
- étendue qui peut être alfectée de quatre variables. Et de 
qUAtre variables seulement: Corme de!! êlémenb, quantité de 
ces éléments, maniôre dont ils se distribuent dans l'espace les 
uns par rapport aux autres, grandeur relative de chacun. 
Comme le disait Linné, dons un texte capital, _ toute note 
doit être tirée du nombre, de la figure, de la proportioD, de la 
situation ~ •. Par exemple, quand on étudiera 108 organes BlIXu"l, 
de la plante, il sera sulJisant, maia indispensable de dénolDbrer 
étamines et pistil (ou éventuellement de constater leur absence), 
de définir la forme qu'ils affectent, aelon quelle figure géomé­trique 
ils 80nt répartis dans la fleur (cercle, hexagone, triangle), 
quelle est leur taiUe par rapport aux autres organes. Ces quatre 
variables, qu'on peut appliquer de la même manière aux cinq 
parties de la plante - racines, tiges, feumes, fleurs, fruita­spécifient 
assez l'étendue qui ,'olire à la représentation pour 
qu'on pUÏllS8 l'articuler en une descripûon acceptable pour 
toua: devant le Dl~me individu, chacun poorra faire la même 
description; et invorsewent, à partir d'une telle description, 
chacun pourra reconnnttre les individus qui y correspondent. 
En cette artioulation fondamentale du visible, le premier affron· 
tement du langage et des cboses pourra s'établir d'une manière 
qui exclut toute incertitude. 
1. Linné, Sysftma IIIlturae, p. 214. Sur l'ullllt.ê llmfL6e du mlcro.cope, cr. 
ibid., p. 22!J..221. 
2. TourntrurL, II1fJ!l()(If ln nm h,.,.barlam (l71g), traducttnn ln Becker­TourneforL 
(pariS, IUb6), p. 295. BuJluo reproche à la mHhode linnéenne de 
l'eIHlller ~ur de~ CBT'1icUJrea ai ténos qu'olle oblige" uWiMlr le micru,;eO~ 
D'un n~turlili.Le ll'.um, le reprocbe de lie servir d'un InstrumOlIL d·ujJ~ique 
• VBli!ur d'okljecLlon tb60rlque. 
3. Unn6, PhIiOlop"/c bo/tmlqu .. 1 299- 
0&. Id., ibid., li 167, cr. BUset 327.
Chllque partie, vi.iblement distincte, d'une plante ou d'un 
nimal est donc desoriptible danllie mesure où elle peut prendre 
a too suries de valeurs. Ces quatre valeurs qui aJieotent un 
=ane ou éltment quelconque et le déterminent, c'est ce que 
les Botanistes appellent sa structure. c Par la structure des par­ties 
des plantes, on entend la composition et l'a~S6mblage ~eB 
pièces qui en forme le corps 1. » .Elle per;met aussltô.t de dêo~ 
ce qu'on voit, .et de deux maDlères qut ne 80nt ru oontr~dlc­toires 
ni exclusives. 1.0 nOll)bre et la grandeur peuvent touJours 
être assignés par un compte o~ p~r une mesure; on peut donc 
les exprimer cn tennes quontltntlfs. En revanobe, les formes 
et les dispositions doivent être décrites par d'autres procédés: 
soit par l'identification à des formes géométriques, soit par 
des analo(l'ies qui toutes doivent être c de la plus grande évi­dence 
1 •. C'est ainsi qu'on peut décrire certaines formes assez 
complexes à partir dit leur très visible ressemblance avec le 
corps humain, qui sert comme de réserve aux modèles de la 
visibilité, ::t fait spontanément charnière entre ce qu'on peut 
"oir et ce qu'on peut dire a. 
La struct.ure, en limitant et en 6lt.rant le visible, lui permet 
de 86 transcrire dans le langage. Par elle, la visibilité de l'ani­mal 
ou de la plante passe tout entière dans le discours qui la 
l'tlcueillo. Et peut-êt.re, à la limite, lui arrive-t-il de se restituer 
elle-même au regard à travers les mots, comme daJ18 ces calli­grammes 
botaniques dont rêvait Linné '. Il voulait que l'ordre 
de la description, sa répartition en paragraphes, et jusqu'à ses 
modules tyt!Ographiqucs reproduisent la figure de la plante 
elle-même. Que le texte, daus Bes variables de fonne, de dis­posit. 
ion et de quantité, ait une structure végétale. c TI est beau 
de suivre la nature: de paBser de la Racine aux Tiges, aux 
Pétioles, aux Feuilles, aux Pédoncules, aux Flems.» Il fau­drait. 
qu'on sépare la description en autant d'alinéas qu'il existe 
de parties duns la plante, qu'on imprime en gros caractères 
ce qui concerne leB plll'ties principales, en petites lettres, l'ana­lyse 
des « parties de parties D. On ajoutera ce que par ailleurs 
on connatt de la plante, à la manière d'un dessinateur qui com­tlèt~ 
Ion esquisse par des jeux d'ombre et de lumière:« l'Adom-ratIon 
contiendra exactement toute l'histoire de la plante 
J. T?urner!!rt, Slbrrenl, de bolaniqut, p. 558. 
2. LlOné, Phlla.ophie bolanique 1 299. 
h 3. Unu6 (Pfliloeuphie bulunJqu;, § 331) 61lll1l1ènJ les par~(es du corps 
t.U:lQ(D qul peuvent servir d'aroh6types, 1I0it pour les dimensions, MIL !lUI'­Il~ 
m:~ur es formllll : cheveux, ongles, pouces, palmee, oeil, ort!iIIe, doigt, 
n, pénis, vlIlve, mamollo. 
4. JIl, ibid., 3~29.
148 
comme Bell noms, sa structurei son ensemble ext&ieur, sa 
uture, SOD usage. Il Transposée dans le langage, la plaote vient 
,'y graver, et, 80U8 les yeux du looteur, eUe recompoae .8 pure 
forme. Le livre devient l'herbier des structurea. Et qU'OD ne 
dise pas que o'est là rêverie d'un aystématicien qui De repré­sente 
pas l'histoire naturelle en toute 800 extension. Chez 
Buffon, qui fut advel'!laire constant de Liuu6; la mOrne strue­tU1' 
e existe, et elle joue le même rôle : c La méthode d'inspec­tion 
se portera sur la forme, sur la grandeur, sur les dilTérentel 
parties, 8ur leur nombre, sur leur position, 8ur la 8ubstance 
même de la chOie '. Il BufIon et Liollê pOBent la mOrne grille; 
leur regard occupe 1lU' les choses la même 8urface de contact; 
les mêmes cases noires Jn61logent l'invisible; les mêmes plages, 
claires et distillctes, s'ollrent aux mots. 
Par la structure, ce que la représentation donne confus6- 
ment et dana la forme de la simultanéité, se trouve analysé 
et olIert par III au déroulement linéaire du langage. La des­cription, 
en eiTet, est il l'objet qu'on regarde ce que la proposi­tion 
est Il la représentation CJ.u'cllc exprime: sa mise en sllri., 
éléments après êlêments. MalS on se souvient que le langage 
sous 8a rorme empirique impliquait une théode de la proposi­tion 
ot une autre de l'articulation. En eUe-même, la propOIIÏ­tion 
demeurait vide; quant li. l'articulat.ion, eUe ne formait 
véritablement discours qu'à. la conditioD d'i!tre li6e par la fono­tion 
apparente ou 8ecrète du verbe ê're. L'hist.oire naturelle 
est une science, c'elt-l-dire une langue, mais fondée et bien 
faite : 80n déroulement. propollitionnel est d. plein droit une 
articulat.ion; la mise en liérie linéaire des éléments découpe la 
représentat.ion sur un mode qui est évident et univel'lel. Alol'l 
qu'une même représelltat.ion peut dOlUler lieu à un nombre 
considérable de propositions, car les noms qui la remplissent 
l'articulent sur des modes différents, un soul et même animal, 
uno seule et même plante, seront déerita de la même façon, 
dans la meSUl'e où de ]a représentation au langage règne la 
structure. La tMorie de la .'rllctüre qui parcourt, dans toute 
80n étendue, l'histoire naturelle li. l'âge classique, superpose, 
dans une seule et m~me fonction, les rôles que jouent dans le 
langage la proposition et l'areû:,dation. 
Et c'cst par là qu'elle lie la possibilité d'une histoire natu­relle 
à la m.athesi.. Elle l'amène, en elIet, tout le champ du 
visible à un système de variables, dont toutes Ica valeurs 
peuvent être assignées, sinon par une quautit6, du moin8 par 
1. BuitOD, Manr", de 'f'fJfi"l'll"'ofrc lIDfurtlic (OEalll"U compUta, t. l, 
p. 21).
Clauer 149 
une description parfaitement claire et toujOU1'8 finie. On peut 
donc entre les êtres naturels, établir le système des iden­tit. 
és 'et l'ordre dei diJJérences. Adanson estimait qu'un jour 
on pourrait traiter la Botanique comme une science l'igou­reUBement 
matbématitlUe, et qu'il serait loisible d'y poser des 
problèmes comme on fait en algèbre ou en géométrie: • trouver 
le point )~ plus sensible qui ét.ablit I~ ligne de séparation ou 
de diSCUSSIOn entre la famille des sCllbleuses et ceUe du chèvre­feuilles 
_; ou encore trouver un gOIlnl de plantes connu (natu­rel 
ou artificiel, n'importe) qui tient le jusLe mili6U entre la 
famille des Apocws et celle des BuurrucLlls 1. Lu grande pro­lifération 
des êtres li. la surCace du globe peut entrer, par la 
vertu de la structure, il la fois dous lu Bucc~sion d'un langage 
descriptif, et dans le champ d'une mathesÏ3 qui serait science 
générale de l'ordre. Et ce rapport constitutif, 8i complexe, 
l'instaure dans la simplioité apparente d'un vi8ible dicrit. 
Tout ceci est d'une grande importance pour la définition de 
l'histoire naturelle dans son objet. Celui-ci est donné par des 
surfaces et des lignes, non par des fonctionnements ou d'in­visibles 
tis!us. La plante et l'animal se voient moins en leur 
unité organique que par la découpe visible de leurs organes. Ils 
soot pattes et sabots, fleurs et fruits, avant d'être respiration 
ou liquides internes. L'histoire naturelle parcourt un espace de 
variables villibles, simultanées, concomitantes, saua rapport 
interne de 8ubordÏnation ou. d'organisation. L'anatoIJÛe, au 
XnIl! et au XYlUU siècle, a perdu. le rôl., recteur qu.'elle avait 
à la Renaissaoce et qu'eUe retrouvera à l'époque de Cuvier; 
ce n'est pas que la curiosiLé ait diminué entre-temps, ni le 
savoir régressé, mais la disposition fondamentale du vWble 
et de l'énonçable Ile passe pIul! par l'épaU!s8U.r du corps. De 
1/l la préséance épistémologique de la botanique : o'eet que 
l'espace commun aux mots et aux chosos constituait. pour 
les plantes Ulle grille beaucoup plus accueilllll1te, beaucoup 
lIloins 1: noire. que pour les animaux; dans la mesure où beau­coup 
d'orboanes constitutifs sont visibles SUI' la plante qui ne le 
sont pllS cLez les animaux, la connaissance taxinomique Il 
partir de variables immédiatement perceptibles a été plus riche 
e~ plus cohérente dans l'ordre botanique que dans l'ordre zoolo­gique. 
Il faut donc retourner ce qu'on dit d'ordinaire: ce n'est Cs p~rce qu'au XVIII! et au xvme siècle on s'est intére!lé à 1 • 
. tawque, qu'on a porté l'examen sur lell méthodes de cl .. - 
allication. Mais paroe qu·OD. ne pouvait savoir et dil'O que dana 
1. Ad81150n, Famille du pllllllet, l, pr6tace, p. CCI.
150 Les moLs et 1. chosea 
un espace taxinomique de visibilité, la connaissance des plantel 
devait bien l'emporter IOl celle des animaux. 
J ardiIUI botaniques et cabinets d'histoire naturelle .étaient, 
au niveau des institutions, les corrélatils néces!aires de ce 
découpllge. Et leur importance, pour la culture clauique, 
ne tient pas essentiellement il ce qu'ils permettent de voir, 
mais il ce qu'ils cachent. et à ce que, par cette oblitération, ils 
laissent surgir: ils dérobent l'anatomie et le fonctionnement, 
ils occultent l'organisme, pour susciter devant des yeux qui en 
attendent la vérité, le visible relief des {ormes, aveo leurs élé­monts, 
leur mode de dispersion et leurs mesuros. Ils sont. le 
livre aménagé des structures, l'espace où S6 combinent los 
caractères, et où se déploient les classements. Un jour, à la 
fin du XYllle siècle, Cuvier fera main basse sur]es bocaux du 
Muséum, il le! cassera et disséquera toute la grande conserve 
classique de la visibilité animale. Ce geste iconoclaste, auquel 
Lamarck, jamais, ne se résoudra, ne traduit pas une curiosité 
nouvelle pourunsecret qu'on D'aul'Bit eunile souci, ni le courage, 
ni la possibilité de connattre. C'est, bien plus gravement, une 
mutation dans l'espace naturel de la culture occidentale: la 
fin de l'histoire, au sens de Tournefort, de Linné, de Buffon, 
d'Adanson, au sens également où Boissier de Sauvages l'en­tendait 
quand il opposait la connaissance hü!orique du visible 
à celle philosophique de l'invisible, du caché et. des causes 1; 
et ce sera aussi le début de ce qui permet, en substituant l'ana­tomie 
au classement, l'organisme à la struct.ure, la subordi­nation 
interne au caractère visible, la séria au tableau, de pré­cipiter 
dans ]e vieux monde plat, et gravé noir sur blanc, des 
animaux et des plantes toute une masse profonde de temps il 
laquelle on donnera le nom rcnouvelê d'h&8toire. 
IV. LB C.t..lACTÈRB 
La structure, c'est cette d~signation du viaible qui, par une 
sorte de tri prélinguistique, lui permet de le transcrire dans le 
langage. Mais la description ainsi obteuue n'est rien de plos 
qu'une manière de nom propre: elle laisse il chaque être 80n 
individualité stricte et n'énouce ni le tableau auquel il appar­tient; 
ni le voisinage qui l'entoure, ni la place qu'il OCCUpll. Elle 
1. Doissirr de Sa uvegr-I, NtJlOlogl, m6thodlqul! (trlld. fr8n~8Ise, Lyon, 1712), 
,. l, p. 91-92.
t5t 
e!t pure et simple d~.signation. Et pour que l'billtoire oaturelle 
d~Vllnne langage, il faut quo )a detlcription devienne c nom 
commun J. On a vu comment, dans le langage spontané, les 
premières dêsignRtions qui ne concernaient que dell reprégeo­tationH 
singulières, après avoir pris lel.ll' origine dans le lao­gage 
d'action et oans les racines primitives, avaient acquis peu 
à peu, pilr la force de la dérivation, des valeurs plus généralell. 
Mais l'histoire naturelle est une langue bien faite: elle ne duit 
pas accepter la contrainte de la dérivation et de sa figure; elle 
ne doit prèter crédit à aucune étymologie 1. Il faut qu'elle 
rêuni~~e en une seule et marne opération ce que le langage de 
tous les jours tient séparé : elle doit il la fois désigner très pré­cisément 
tous les êtres naturels, et les situer en même temps 
dans le système d'iùentités et de difIérences qui les rapproche 
el les di~tingue des aulres. L'histoire Daturelle doit assurer, 
d'un seul tenant, une dbignation certaine et une dérivation 
maîtrisée. Et comme la théorie de la structure rabattait l'une 
sur l'a~tre l'articulntion et la proposition, de la mame façon, 
la théorie du clmv.têre doit identifier leti valeurs qui désignent 
et )'esp!l.ce daM lequel elles d6rivent. 1 Connaltre les plantes, 
dit Tournefort, C'Mt savoir précisément les noms qu'on leur 
a donnés JlRr rapport Il la structure de quelqu8(o!-unes de leurs 
parties ... L'idée du ca1'&et!re qui distingue essentiellement les 
plantes les unes des autréa, doit ~tre invariablement unie au 
nom de chaque plante ' .• 
L'étRbliSliement du caractère est Il la fois aiHé et difficile. 
Aisé, puisque l'histoire naturelle n'a pas Il établir un système 
de DOIDS à partir de représentations ditliciles Il analyser, maia 
à 1.: fonder sur un langage qui ,'est déjà déroulé dans la des­cription. 
On nommera, non pal il partir de ce qu'on voit, mais 
à partir des éléments que la structure a déjà fait passer ~ l'in­térieur 
du discours. 11 s'agit de bâtir un langage second à 
parl~r de ce langage premier, mais certain et universel. Mais 
a!ls5ltôt apparatt une dilliculté majeure. Pour établir les iden· 
tlté;! et les diJTérenccs entre tous 1811 êtres naturels, il faudrait 
temr .compte ùe chaque trait qui Il pu être mentionné dans une 
de~crlption. Tâche infinie qui reculerait l'avènement de l'his­tOire 
naturelle dans un lointain inaccttSSible, s'il n'existait des 
techniques pour tourner la dilliculté, et limiter le travail de 
Compar-dison. Ces techni'tles, on peut, il priori, cODlllaterqu'elle!l 
Son~ de ~ellx types. Ou bien faire des comparaisons totales, mais 
.lit l'Iutérleur de groupes empiriquement coDlltit.ués où le nombre 
~. Ltnnè, Phi/o'''phie botanique, § ~s. 
2. Iouru~rurt., EUmell/e dt! l/I!laniqri', p. 1-2.
i52 
dei reesemblances est manifestement si êlev6 que l'énumération 
des diBérence& ne liera pas longue il parachever; et ainsi d. 
proohe eu proche, l'ütablissement des identit.6s et des distinc­tions 
pourra 6tre assurü. Ou bien choisir un ensemble fini, et 
relativement limitü, de tralts dont on étudiera, chez tous ]os 
individus qui se J1~eutent, les constances et les variation.'1. Ce 
demier procédé, c'est ce Q1l'OD a appelé le Système. L'antre, 
Ja Méthode. On les oppose, comme on oppose Linné il BuITon. 
il Andonson, il Antoine-Laurent de Jussieu. Comme on oppose 
une conception rigide et claire de la nature, à J. perception 
fine et immédiate de ses parent~. Comme on oppose l'idée 
d'une nature immobile. il celle d'uue cuntinuité fou.rmillante 
des êtres qui communil{1lent entl'8 ew::. se confondent et peut­etre 
se transforment les uns dBnaloli autres ••• Pourtant, l'esseo.­tieln'est 
pas dans ce conflit dm! grund8l! intuitions de la nature. 
D est plutôt dans 1. réseau de n6cessit6 qui en ce pow.t a rendu 
pOlllible et iudispenll8ble le choix entre dew:: manières de coua­tituer 
l'histoire naturene comme une langue. Tout 10 reste 
D'est que conséquence logique et inévitable. 
Le Sy.tème délimite, parmi les t:léments que SB desori,Ptioll 
juxtapose avec minutie, tels ou tels d'ent.re eux. 118 d6linis8eo.t 
la slruolure privilégiée et à vrai dire exclusive, à ;p'rop08 de 
laquolle on étudiera J'ensemble des identités ou des ditférenoes. 
Toute dilIérenoe qui ne portera pas sur un de ces éléments sera 
réputée imli1Jérento. Si, comme Linné, on choisit pour .note 
caractéristique. tout.es les parties différentes de la fructifica­tion 
1 If, liDO dilIérence de fouille, ou de tige ou de racine ou do 
~tiole, devra être systématiquement négligée. De même toute 
Identité qui ne sera pas celle de l'un de ces élément.s n'aura pas 
de valeur pour la définiLion du caractère. En revanche lors quo, 
chez deux individus, eus éléments sont semblables, ils reçoi­vent 
une dénomination commune. La struoture choisie pour 
être ]e lieu dos identités et des difIérences ptlrtio.entes, c'est 
ce qu'on appelle 10 CtII'act61't1. Solon Linné, le caractère 110 
composera dec la descril.tion la plulIl!oigniie de la fructification 
de la première espèce. Tout.csles autres ospèces du genre sont 
comparées à la première, en bannitl!lont tout.es lus notes dis­cordant6ll; 
enfin, après ce travail, le oaractère S8 produit 1 •• 
Le système est arbitraire en son point de départ puisqu'il 
Déglige. d'Wlo façGn cODcertéa toute différence et toute idoD:' 
titi qui De porte pas sur la structure privilégiée. Maiarion n'em­pêche 
OD droit qu'ou puillO UD jour. à travers cette technique, 
1. LlnnA. Phillltflllh'c ""'onrque., 1 192. 
2. Liune. l'hil~lOphic enlunique. 1193.
CItuH,. 153 
découyrir un .yst~me qui serait ~aturel; ll ~outes ]es différences 
dolUl le caractère correspondraient. les différences de même 
Y81eur dans la .tructure générale de la pla~lte; et invel'lemeut 
toue les individue 011 toutos 188 espèce, réunas .0111 UA caractère 
conUJIun auraient bien en chacune de leun partieslemême rap-rt 
de ressemblance. Mais on ne pellt. aceéder au eyltême 
raturel qu'oprèl avoir êtabli avec certitude un système arti­ficiel 
au moiDleu certains domaines du monde végétal ou animal. 
C'est' pourquoi Lirmé ne cherche pa.1 dana ~'iDlD16diat Il établir 
un système naturel c aV8nt que SOlt parfaitement 4lOnnu tout 
ce qui e.',t pertinent 1 • pour son système. Certes, la méthode 
naturelle constitue c le premier et le dernier voeu des botanistes-, 
et tous ses c fragments doivent être recherchés avec le plus grand 
laiD 1., comme Linné l'a fait lui-m~me dana ses Claue. Plan­Ial'um 
· mais il défaut de cette méthode naturelle encore Il venir 
danl ~8 forme certaine et aehevée, c les systèmes artificiel • 
• ont absolument nécesiaires ' •. 
De plus le système est relatif : il peut fonctionner avec la 
précision qu'on désire. Si le caractère choisi est formé d'une 
structure large, avec un nombre de variables élevées, les 
différences apparattront trèl tOt, dès quO on passe d'un individu 
è un autre, même s'Hlui est tout l rait voisin: le caractère est 
alol'1 tout proche de la pure et limple description '. Si au 
contraire la stn1eture privilêgiêe est étroite, et comporte peu 
de variables, les difl'érences Berout rares et les individua Beront 
woupês en masscs compactes. On ohoisira le caractère en fonc­tion 
de la finesse du clasaement qu'on veut obtenir. Pour fonder 
les genres, Tournefort a choisi comme caractère la combinaison 
de la fleur et du fruit. Non p'RS comme Césalpin, parce que 
c'étaient les parties les plus ullies de la plonte,muÏBparcequ'ils 
ptlnnettaÎent une combinatoire qui était numériquement satis­faisante: 
les éléments empruntés aux trois outres parties (racines, 
tiges et feuilles) étaient en effet ou trop nombreux ai on les 
tTaitait ensemble ou trop peu nombreux si on les envisageait 
lI~parément 1. Linné a calculé que les 38.organes de la généra­tIon, 
comportant chacun les quatre v8rJablc8 du nombre, de 
la figure, de la situlltion et de )a proposition, autorisaient 
5776 configurations qui suffisent à définir les genres '. Si on 
1. Linné, Sg.r,ma nalurat, ! 12- 
2. LllWé, PllilOM/plaie bollU/ique, § 77. 
3. Linné, Sg"~ma lIu'urat, § 12. 
"II· • Le C111'Reüre naturel de l'IIpke est la description. (Llnnf, Philo­. 
op It bota";qu" § 193). 
6. T?umerort. &tlnenr. de &erllJÛ4UI, p. 17. 
ç. LmD6, PllilulOphie bolanilJUt, 1 167.
154 U6 mo" et les ChOIM 
veut obtenir des groupes plus nombreux que les genres, il 
faut. faire appel li. des caraotères plus restreints (c caraotères 
factices convenus entre les botanistes JI), comme par exemple 
les seules étamines ou le seul piliLil : on pourra aÏOaii diatinguer 
les classes 011 les ordres 1. 
Ainsi le domaine entier du rllgne vég6tal ou animal poul'1'a 
être quadrillé. Chaque groupe pourra recevoir un nom. Si 
bien qu'une e!lpèce, sans aVOir li. être d6crite, pourra être dési­gnée 
avec la plus grande précision par les noms des dilT6rents 
ensembles daJls lesquels elle est emhoitée. Son nom complet 
t.raverse tout le réseau des caractères qu'on étahlit jusqu'aux 
classes les .plus élevées. Mais, comme le fait remarquer I.inné, 
ce nom, pour la commodité, doit rester en partie c silencieux Il 
(on ne nomme pas la c1as6e et l'ordre), mais l'autre part doi~ 
être 1 sonore 1): il faut nommer le genre,l'espèce, el la variétés. 
La plante ainsi reconnue dOIls lion carclctère essent.iel el désignée 
à partir de lui énoncera en même templl que oe qui la désigne 
précisément, la parenté qui la lie li. celles qui lui ressemblent et 
appartiennent au même genre (donc li. la même lamille et au 
même ordre). Elle aura reçu Il la fois son nOnt propre, et toute 
la série (manifeste ou cacbée) des noms eOmtDWlS dans lesquels 
eUe se loge. c Le nom générique e!lt pour ainsi dire la monnaie 
de bon aloi de nom république botanique 1. » L'histoire natl}1 
relie aura accompli la tâche fondamentale qui est 1 ]a dispo­sition 
et la dénomination' 1. 
La Méthod. est une autre technique pour résoudre le même 
problème. Au lieu de découper dans la totalitp. décrite, les élé­ments 
- rares ou nombreux - qui serviront de caractères, )a 
mêthode consiste klell déduire progressivement. Déduire est 
ici à prendre au sens de soustraire. On part - c'ellt oe qu'a fait 
Adanson dans l'examen des plantes du Sénégal 6 - d'Wle 
espèce al'bitraÏ1'emont choisie ou donnée d'abord par le hasat'd 
de la rencontl'e. On]a d6crit entièrement selon toutes ses par Lies 
et en fixant toutes les valeurs que les variables ont prillos en 
elle. Travail qu'on recommence pour l'espèce suivante, elle aussi 
donnée par l'arbitraire de la reprêsentation; la description doit 
être aussi totale que la première fois, li. ceci près cependllnt que 
rien de ce qui a été mentionné daDII la description première Jle 
1. Lbmê, S/1stelM 6f!I:!Jll d~ vlI'-'nllz, p. 21. 
2. Linné, Phiio/1O[Jhle botalliqut, • 212. 
3. Id., ibid., § 284. 
4. Id., iOid., § 101. - Ces d.u~ 1000&lon8, QIlI Bont garanUoI par le 
C8l'11dènl, Wlrt!llllOndent exactement. aux foncLions de d6eignaLioR eL d~ 
dériva Lion qui ionl aslurée., dUIII la langage, par le nom commun. 
ft. AdaDBon, Rillaire nllfurrUe d" Sbllgal (Pmi, 115i).
Classer i55 
doit être rép~t6. dans la sec.o~de. Seules sont mentionnées les 
différences. AII~Sl pour l~ tT?ISlem~ par rapport aux deux autres, 
et ceci indéfimment. SI bien qu au bout du compte tous les 
traits difTé~nts. de tous ,les vég.étaux ont été mentionnés une 
fois mais lamaiS plus d une fOIS. Et en groupant autour des 
pre:nières descript.ions celles qui ont été faites par la suite et 
qui L'l'allègent Il mesure qu'on progresse, on voit se dessiner Il 
travers le chaos primitif le tableau général des parentés. Le 
caractère qui distingue chaque espèce ou chaque genre est le 
lIeul trait mentionné sur le fond des identités silencieuses. En 
fait une pareille technique serait sans doute la flus sQre, mais 
le nombre des espèces existantes est tel qu'i ne serait pas 
poosible d'en venir li. bout. Cependant l'examen des espèces 
rencontrees révèle J'existence de grandes 1 familles., c'cst-à­dire 
de trèl! larges groupes ,dans lesquels les espèces et les genres 
ont un nombre considérable d'identités. Et si considérable, 
qu'ils 8e signalent par des traits fort nombreux, même au regard 
le moins analytique; la ressemblance entre toutes les espèces 
de Renoncules, ou celle entre toutes les espèces d'Aconit tombe 
immlldiatement IIOUS le sens. A ce point, il faut, pOUl' que la 
tAohe ne soit pas infinie, renverser la démarche. On admet les 
grande9 familles qui BOnt évidemment reconnues, et dont les 
premières doscriptions ont, comme à l'aveugle, défini les grands 
mits. Co 80nt ces traits commull! qu'on établit. maintenant 
d'une façon positive; puis chaque fois qu'on rencontrera un 
genre ou une espèce qui en relève manifestement, il suffira 
d'indiquer pal' quelle différence ils 6e distinguent de8 autres 
qui leur servent comme d'un entourage naturel. La connais­sance 
de chaque esp~ce pourra être acquise facilement à partir 
de cette caractérisation générale: 1 Nous diviserons chacun des 
trois l'ègncs en plusieurs familles qui rassembleront tous les 
êtres qui ont entre eux des rapports frappnnnr, nous passerons 
en revue tous les caractères généraux et particuliers aux êtres 
contenus dans ces familles ,; de cette manière c on Jlourrs être 
assurê de l'apporter tous ces êtres à leurs familles naturelles; 
c'ellt ainsi qu'en commençant par la fouine et le loup, le chien 
et. .l'ours, on connaltra suffisamment le lion, le tigre, l'hyène 
qUi sont de!! animaux de la même famille 1 l, 
On voit tout. de suite ce qui oppose méthode et système. 
Il ne peut y avoir qu'une méthode; on peut inventer et appli· 
quel' un nombre oonsidérable de systèmes: Adanllon en a 
dl:üni soi:tante-ciuq 1. Le système est. arbitraire dans tout son 
~' Adllrt~ ... Courll d'1!is/o!re nafureUe, 1712 (édit.iOD de Is(5), p. 17. 
AdanSlln, .f'umilll'JJ du pllJnlu (l'ans, 1783).
i56 
déroulement, mais une fois que le Bf.stAme des variables -1. 
caractèro - Il été défini nu déport, il n'est plus possible de 1. 
modifier, d'" ajouter ou d'en retrancher mêlne un élément. La 
méthode ~lIt imposée du dehors, par 16s l'8ssemblances globales 
qui 0ppRrentent les choses; elle t1'8D.Scrit immédiatement la 
perception dans le discours; elle demeure, en BOil point de 
départ., au plus près de la description; maia il lui esL toujours 
possible d'apporler au caractère g~nérnl qu'elle a d6fini emli­riquement 
lea modilications qui s'imposent : un trait qu 00 
croyait enentiel à un groupe de plantes ou d'animaux l!eut tria 
bien n'être qu'une }lorLicuhlrilé de 'l."elques-uI18 sion en 
découvre qui, BaDIl le posséder, appartiennent d'une manière 
évidente li. la même famille; la méthode doit touj ours être prête 
A se rectifier elle-mAme. COlrune le dit Adanson, le système eat 
comme 1 10 règle de fOU8se position daus le calcul. : il résulte 
d'une d6cision, mais il doit être absolument cohérent; la méthode 
au eontraire est 1 un arrangement quelconque d'objets ou de 
faÎta rapprochés par des convenances ou dea ressemblances 
quelconques, que l'on exprime par une Dotion générale et appli­cable 
à toU!! ces objets, Bons 6el'enrfant regarder cette notion 
fondamentale ou ee principc comme absolu ni invariable, ni ai 
général qu'il ne pui!4!'lo souffrir d'exception. •• La méthode ne 
dillère du système que par l'idée que l'auteur attache à sea 
principes, en les regardant comme variables dans la méthode, 
et comme abliolus daDB le système 1 ». 
De plu8, le système ne peut reconnaître entre le!! lItruotures 
de l'animal ou du végétal que des_ rapports de coordination: 
puisque le caractère 8lit choisi, non pas à raison de son imIJ:Or­tance 
foncLiofiDolle, WIlÎII à ra.i~oI1 de $OD e1Iicacité combinatoi1'8, 
rien ne prouve que daus la hiérarchie intérieure de l'individu, 
telle forme de pistil, telle disposition des étamines entraîne telle 
struetnre:-si le germe de l'Adoxa est entre le calice et la corolle, 
si dana l'arum, les ét..'lmines sont disIJOsées entre les pistila, ce 
ne sont là ni plus ni moins CJue des 1 struotures singulières s» : 
leur peu d'importance ne Vlcnt que de leur rareté, alors que 
l'égale division du calice et de ]a corolle n'a d'autre valeur que 
sa fréquence *. En revanche la méthode, parce qu'elle va de. 
identités et des clifIêrences les plus générales il celles qui le IIOJ1t 
moins, est susceptible de faire Rppal'aitre des l'apports verticaux 
de subordiuaLion. Elle penuet, en effet, de vOir quels soot les 
oaractèreB aSliez importants pour n'être jamais démentis dam 
1. Adan60n, Famlll" do. plrm'u, t. l, pr6fllC:e. 
2. J.lnn6, Philosophie lIo/aRifJ/ll, § 100. 
3. Id., ibid., 1 9-'.
Classer 157 
ne Iamille donnée. Par rapport ail système, le renversement 
~t très important: les caractères Jes plus eSBentiela permettent 
de distinguer lei familles les plus larges et les plus vÏlliblemeot 
distinctes, alors que pour Tournefort ou LÙUlé, le caractère 
essentiel définÏIIsaÎt Je gen.'e; et il sum~ait à la 1 convention. 
de naturaIistrni de choisir un caractère factice llour distinguer 
les classes ou les ordres, Duns la méthode, l'orgallll!8tion générale 
et. ses dépendances internes l'emportent sur la translation laté­rale 
d'un équipement constant de variables. 
Malgré ccs difTérunces, système et mbthode reposent sur 
le ml1l1le socle épistémologique. On peut le définir d'un mot, en 
dÎllunt que dans le savoir clas&Ïque, la connaissAnce des indi­vidU!! 
empiriques ne peut être acquise que sur le tableau continu, 
ordowlê et universel de toutes les difIérences l'0s~ibles. Au 
XVI' siècle, l'identité des plantes et Jes animaux était assurée 
par la marf{ue positive (souvent visible mais cachée parfois) 
dont ils étlllent porteurs: oe ~ui, par exemple, distinguait les 
diverses espèces d'oisenux, ce Il étalent point les difIérences qui 
étaient entre elles, mais le fait que celle-CI chassait la nuit, que 
celle·HI. vivait sur l'eau, que toile autre se 110urrÎsssit de chair 
vivante 1. Tout être portait une marque eL l'elpèce le mesunit 
lll'étendue d'un blason commun. Si bien que chaque espèce S8 
.ignalait par elle·même, énonçait !Ion individualité, indépen· 
damment de toute. .. les autres: celle..,-ci auraient très bien pll ne 
pas exister, les critères de dêfinition n'oo auraient pas ét6 
modifiés pour les seules qui seraient demeU1'ées visibles. Maia 
à partir du XVIIe siècle, il ne peut plus y avoir de signes que daua 
l'analyse des' représentations selon les identiMs et lcs diffé­rences. 
C'est-à-dire que toute désignation doit se faire par un 
certain rapport à toutes les autres désignations possibles_ 
Connnitre ce qui appartient en propre à un individu, c est avoir 
par devers soi le classement ou la possibilité de c18s~er l'en­semble 
des autrell. L'identité et ce qui la marque se dé6ni!lsent 
par le ,~êsi~u des différences. Un animal ou une plante n'est pas 
~c q!llDdJque - 011 trahit - le stigmate qu'on découvre 
UJ~prJmé en lui; il est co que ne sont pas les autres; il n'existe en 
lUl·~èlIle qu'à la limite de ce qui s'en distingue. Méthode et 
systeme ne sont que les deux moniêres de définir les identités 
par .le ri~eau général des différences. Plus tard, lA partir de 
C!-,v.ler, 1'1d6ot~té des espèces se fixera aussi pu un jeu de 
dif!erences, mais celles·ci apper8ttront SUI' le fond dei! grandes 
uru( téi organiques BrRot leurs systèmes intemes de dépendances 
aque eUe, respiratloD, circulation) : les invertébrés ne seront 
J. cr. P. Belon, Hidolrc de (q llO/ure dCf "i~Quz.
LeI mo~ .t lfi choa" 
pas d6finis seulemont pnr l'absence do vertèbres, mais par un 
certain mode de respiration, par l'existence d'un type de circll­lotion 
et pnr toute u ne cohésion organique qui dessine une unité 
positive. Les lois internes de l'organisme deviendront, li. la place 
des caractères différentiels, l'objet des aciences de la nature. 
La classification, comme problème fondamental et constitut.if 
de l'histoire naturelle, s'est logée bistoriquemcnt, et d'une 
façon nécessaire, entre une théorie de 1. marque et une théorie 
de l' orBarmms. 
v. LB CONTlftV KT LA CATABTROPBB 
Au COEU1' de cette langue bien faite qu'eat devenue l'histoi1'8 
naturelle, un problème demeure. Il se pourrait après tout ~e 
la transformation de la stl'uoure en 'oaractè1'8 ne soit jamais 
possible, et que le nom commun, jamais, ne puis8e nattre du 
Dom propre. Qui peut garantir que les descriptlon8 ne vont pas 
déployer des éléments si divers d'un indivldu au suivant on 
d'une espèce à l'autre que toute tentative pour fonder un nom 
commun serait. ruinée il l'avance? Qui peut anurer que chaque 
structure n'est pas rigoureusement isolée de toute autre et 
qu'elle ne fonctionne pas comme une marque individuelle? 
Pour que le caractère le plul simple pWsse apparaitre, il faut 
qu'un ~lémont au moins de la str>lcture d'abord envisagée 
Be rêp~te dans une auLre. Car l'ordre général des difJérences 
qui permet d'établir la disposit.ion des oepèoes implique un 
certain jeu de similitudes. Problème qui est isomorpbe à 
celui qu'on ft rencontré déjà r. propos du langugu 1 : pour qu'un 
nom commun fût possible, il fallait qu'il y cQt entrsles ohoses 
cette ressemblance immédiate qui permettait aux éléments 
ligniJiants de courir le Jong des "eprésentations, de glisseJ' 
à leur surface, de .'accrocher à leul'9 similitudes pour former 
finalement des désignations collectives. Mnis ponr dessiner cet 
espace rhétorique où les DOms peu à peu prenaient leur valeur 
générale, il n'était pas besoin de déterminer le statut de cet.te 
ressemblance ni si eUe était. fondée en vérité; il suffisait qu'eUe 
prête Bssez de force à l'imagination. Cependant pour l'histoire 
naturelle, langue bien faite, cee analogies de l'imagination ne 
peuvent. valo.ir comme des K8ranties; et le duute radical que 
1. cr. ,apm, p. 14.'l.
Clouer 159 
Hume laisait portnr sur la nécesllÏté de la répétition dans l'expé­' 
enee il Iaul bien que l'histoire naturelle, qui en est menacée 
~IU mè;no tiLre que .tout )a!,g~ge, trouve le moyen de le contour-ner. 
Il doit y avol~ contInUIté da~ la n~ture. . 
Cette exigence d Wle nature contanue n a pas tout il rait la 
même Corme dans les systèmes et dans les méthodes. Pour 
181 s)·!tématici~ns, ]a con,tit;tuité n'est ~aite que de la juxtapo­sition 
sans (aane des differentes réglODB que les carnotores 
permettent de distinguer clairement; il suffit d'une gradation 
minterrompue des valeurs que peut prendre, dans le domaine 
Bntier des espèces, la structure choisie comme caractère; 
à partir de ce principe, il apparattra que toutes ces valeurs 
seront occupées par des fltres rêeIs, même si on ne les 
connait pas encore. 1 Le système indique les plante!, même 
cellel! dont il n'a pas (ait mentionj ce que ne peut jamais 
faire l'énumération d'un catalogue 1. , Et sur cette continuité 
de juxtaposition, les catêgories ne seront pas simplement des 
convcntioDII arbitraires; elle8 pourront correspondre (si elles 
IOnt êtablies comme fi faut) à des régions qui existent dùtin.c­Wnem 
sur celte nappe ininl8"DmpUe de la nature; elles seront 
des plages plus vastes mais aussi réelles que ]es individus. 
C'est ainsi que le système sexuel a permis, selon Linné, de 
découvrir des genres indubitablement (ondés: 1 Sacbe que ce 
n'est pas 10 caractère qui oonB1.itue le genre, mais le genre qui 
constitue le caractère, que ]e oaractère découle du genre, non 
le e;enre du caractère 1. , En l'flvunohe, dans les méthodes pour 
qUl 181 ressemblances, lous1em forme mauive et évidente, sont 
données d'abord, la continuité de la nature ne sera pas oe 
p08tulat purement négatif (pas d'espace blanc entre les caté­gories 
distinctes), mais une exigence posiLive : toute la nature 
forme une grande t.rame où les êb'es ae reasemblent de proche 
en pro'.lhe, où les individuB voisins sont infiniment lemblables 
81,ltre eux; si bien que toute coupure qui n'indique pas l'infime 
dift~rence de l'individu, maïa deI catégories plus larges, eRt 
toul4?UTS imc11e. Continuité de fusion où toute généralité est 
nOlDUlnle. Nos idées générales, dit Buffon, 1 sont relatives à une 
échelle continue d'objets, de laquelle nons n'apercevons net­t~ 
ent que les milieux et dont les extrémités fuient et échappent 
touJoun de plus en plus il nos considérations ... Plus on augmen­tera 
le nombre des divisions des productions naturellfls, plus 
on approchera du vrai, puisqu'il n'existe réellement dans la 
nature que des individus, et que les genres, les ordres, les classes 
!. LlIIIIA. PIIUotopld. bol/lllifJIJc 1 156 • 
.. Id., ibid., § 169. '
160 I.e. mots et lM cho,e. 
n'existent que dans notre imagination 1 J. Et Donnet disait. 
dan a le même Bens qu' c il n'y a pas de sauts dans la nature: 
tout y est gradué, nuancé. Si enlre deux êtres quelconques, il 
exiatait un vide, que1e serait la raison du passage de l'Ull fl 
l'autre? Il D'ost dOliC point d'être au·de~!lus et au·ùestlous 
dU(lUel il n'yen ait qui s'en ra pprocllent parquelques car-.lctèrell, 
et qui s'en éloignent. par d'autres J. On peut. donc toujours 
découvrir des 1 ~roductions moyonnes J, comme lu polype entra 
le végétal el. 1 animlll, l'écureuil volllnt entre l'oiseau et le 
quadrupède, le Bingo enlre le quadrupède et l'JlOmme. Pal' 
Clonséquent, nos distributions en espèces et en classes « sont 
purement nomiriales 'i elles ne repre8entent rien de plus que 
des « JIl()yons relatifs Il nos besoins et aux bornes de nos oonnais­BanceB. 
1. 
Au xvm8 8iOO1e, la eontinuit6 de la nature est exig6e pal' 
toute histoire naturelle, c'est·ll-dire pRr tout eiTort pour ms­taurer 
dans la nature un ordro et y découvrir des catégories 
générales, qu'elles soient réelles et prescrites par de8 distinc­tions 
manifeetes, ou commodes et simplement d~eoupée8 pRr 
notre imagination. Seul le continu peut garantir que la nature 
ae répète et que la structure, pat' conséquent, peut devenir 
caractère. Mais aussitôt cette exigence se dédouhle. Car s'il 
était donné à l'expérience, dans son mouvement ininterrompu, 
de parcoudr exactement pas après pas le continu des individus, 
des variétés, des espèces, des genres, des classes, il ne serait 
pus besoin de constituer une science; les désignations descrip­tives 
se gépéraliseraicnt de plein droit, et le langage des choses, 
par un mouvement spontané, se constituerait en discours scien­tifique. 
Les identités de la nature s'olIriraient comme en toutes 
lettres fi. l'imagination et le glissement spontané des mots dans 
leur espace rhétorique reproduirait en lignes pleines l'identité 
des IInes dana leur généralité croissante. L'histoire naturelle 
deviendrait inutile, ou plutbt, eUe serait déjà faite plU' le 
langage quotidien des hommes; la gra.mmaire générale serait 
en m~mc temps ln t.a:r:inomi8 universelle des êtres. MaÏII si 
une histoire naturelle, parfaitement distincte do l'analyse des 
mots, est indispensable, c'est que l'expérience nonouslivl"6 pas, 
tel quel, le continu de la nature. Elle le donne il la fois décbi­queté 
- puisqu'il y a bien des lacunes dans la série des valeurs 
effectivement occupées par les vnrinbles (il y 8 des êtres poe­. 
ibles dont on constate la place mais qu'on n'a jamais eu l'oc- 
1. BulTon, Dluour. lur la maniÙl de lnIiru rhilloUe JIt1/unlIe (OEu/1l'U 
eomplltea, t. l, p. 36 eL 39). 
2. Ch. Bonnot, Gonltmplalion d. la "alun, l'· partla (CBullr81 eomplilu, 
t. IV, p. 3;"'36).
161 
casion d'observer) - et brouillé, puisque l'eRpace r~l, gé0- 
graphique et terrestre, où nous nous trouvons, nous montre 
les êtreS enchevêtrés les uns avec les autres, dans un ordre qui, 
al' J'8pport li. la grande nappe des ta%inomiu, n'est rien de 
=lu8 que hasard, ùés~rdre ou perturbati?n. Linné faillai~ 
remarquer qu'en 811110c18nt sur les mêmes lieux le Jerne (qw 
est. un animal) et la conserve (qui est. une algue), ou encore 
l'éponge.et le corail, la nature ne joint pas, comme le vou­drait 
l'ordre des classifications, 1 les plantes les plus parfaites 
avec les animaux ap~elés très lmparfllits, mais elle combine 
1811 auimaux imparfalts avec les plantes imparFaites 1.. Et 
Ad8W1on constatait que la nature «est un rn61ange confus 
d'êtreli que le hasard semble avoir rapprochés: iei l'or est mê16 
avec un. autTe mêtal, aveo une pierre, avec une terre; là la 
violette croit li. côté du chêne. Parmi ces plantes errent 'égale­ment 
le quadrupède, Je reptile et l'insecte; les poissons se 
confondent. poUl' ainsi dire avec l'élément Bqueux dans lequel 
ils nagent et avec les plantes qui croÎsgent au fond des eaux ..• 
Ce mélange est même si génêral et si multiplié C[U'll parait 
être une des lois de la nature 1 •• 
Or cet enchevêtrement est le résultat d'une série chronol ... 
gique d'événements. Ceux-ci ont leur point d'origine ct leur 
premier lieu d'application, non pas dans les espèces vivantes 
elles-mêmes, mais dam l'espace où elles se logent. Ils se 
produÎBen1. dans le rapport de la Terre au Soleil, dans 1. 
l'ê~ime des climats, dau le8 avatars de l'écorce terrestre; ce 
~u ils atteignent d'abord, ce 80nt les mera et lei continenta, 
c est 111 lIunace du globe; les vivanu ne sont touoh61 que par 
contrecoup et d'une manillro seconde: la chaleur les auire ou 
leB chasse, les volcans les détruisent; ils disparaÏlI8ent avec lea 
terres qui s'efTondrent. n se pout, pal' exemple comme le 8UpPO­lait 
Buffon 8, que la terre ait été inoandescente â l'origine, avant 
de se refroidir peu à peu; les animaux, habitués à vivre dans les 
températures les plus élevées, 8e sont regroupés dans la seule 
région aujoul'd'hui torride, tandis que les terres tempérée! ou 
froides sc peuplaient d'espèces qui n'avaient pas eu l'occasion 
d'apparaître jusqu'alors. Avec les révolutions dans )'histoirede la 
terre, l'c.."pace taxinomique (où les voisinages Bont de l'ordre du 
caractère et non du mode rU "ie) s'est trouvé réparti dans un espace 
concret qui le boulenrsait. Bien plus: il a sans doute été mor­celé, 
et beaucoup d'espèces, voisines de celles que nous Clonnai .. 
1. Linné, PllilfllDplli. fIolllnlque. . 
2. MGDSOn, Cour. d'hi,'olr, nalUI'Ilk, 1712 (M. Pans. 18.(5), p. 4-t. 
3. Bulfon, Ili.'oi" de la T'1ft.
162 
sons ou intermMioires entre des plages taxinomiques qui nOUI 
son1; familières, ont dd d isparaltre, ne It!isllant derrière ellee quo 
des traces difficiles à déchiffrer. En tout cas, c:eUe série hia­torique 
d'événements s'ajoute à la nappe dea êtres: eUe ne lui 
appartient pas en propre; elle se déroule dans l'eMpllee réel 
du moude, non dans celui, analytique, dos classifications; c:e 
qu'eUe met eu question, c'est le monde comme lieu des êtres, 
et non pali Jes êtres en tant qu'ils ont lu propriété d'être vivants. 
Uno bill Lorjci té, que symbolisent les récits bibliqueII, air Ilote direc­tomont. 
notre !lys .ème as tronomique, indirectemont leriseau taxi· 
Domiquo des ellpècellj et outre la Genèse et le Déluge, il se po ...... 
ruit bien quo. liotre globe ait subi d'autres révolutions qui ne 
DOUS ont pus été révéJéeli.ll tient à tout le système astronomique 
et les lioiSQns qui uWlIl!ent ce globe aux autres corps célestes 
et en paniculier BU Soleil et aux. comètes peuvent avoir ét6 
la source do beaucoup de révolutionl dont il ne reste aucune 
trace sensible pour nous et dont leB habitants des monde. 
voisins ont eu peut-être quelquea COJUlaiaeBnCes l J. 
L'histoire naturelle 8Up~1I6 donc, pour }lQuvoÏr existe!' 
comme science deux ensemble8: l'un d'entre eux ell consti­tué 
par le réseau continu des êtres; cette continuité peut 
prendre diverses fonnes spatiales; Charles BODllet la penso 
tantôt SOUI la forme d'une grande écheUe lin6u.ire dont 1. 
extrémités lont l'une très 8UJJple, l'autre très compliquée, 
Bveo au centre une étroite région médiane, la Beule qui 110US 
8()it dévoilée, tantôt BOUS la forme d'un tronc c811troll dont 
partiraient d'un côté une branche (celle des coquillages avec lei 
crabes et 1611 éereviases comme ramifications supplémentaires) 
et de l'autre la série des insectes lur quoi s'embranchent ÏDIIoote8 
et grenouilles s; Buffon définit cette même continuité 1 comme 
une 1ar~e trame ou plutôt Ull faisceau qui d'ÎnterTal1e en inter­vallejotte 
des branches de côté pour se réunÏravec desfaiseeaus 
d'un autre ordre 1 J; Pallas songe li. une figure l'01yédriquc 'i 
J. Hermann voudrait constituer un modèle li. trola dimensions, 
composé de fils qui partant. tous d'un point commUll, Ile séparent 
les UllS des autrcs • 80 répandent par un très grand nombre 
de rameaux latéraux JI, Jluis se ra1l8embleu.t de nouveau i. De 
ces configurations spatiales qui décrivent "haçons li. Ba manière 
la conlu,uité taxinomique, se distin",D'Uola série deI! événements; 
celle-ci est discontinue et différente en chacun de ses épisodes, 
1. Ch. llnnnr.l, PallRg~n~ie p~lio.ophlqu, (OEIlW'U, t. VII, p. 122). 
2. Ch. UI)WI~t, Conttmplalion de la nalu,." çhap. XX, p. 130-138. 
3. Buffon, HMoire nulur~lIe du Oi6~alU: (l77U). t. l, p. a~ . 
... Palla6, Elmchu, ZOOph!llorurn (171:16). 
1). J. lIermaDll, Tabulae olflnilulunl ollimuliulfi (Strlliboul'!f, 1783), p.2",
163 
JIlllis son ensemble ne peut dessiner ...' U'une ligne simple qui 
ut celle du temps (et qu'on peut concevoir comme droi8, 
brisée ou ciroulaire). SOUI la forme concrète et dans l'épaisseur 
qui lui eat propre, ta nature 8e loge tout entière entre la nappe 
de la lazinomkl et la ligne da révolut.ion!l. Les • tableaux • 
qu'clle forme sous les yeux des bonuues et que le discours de 
la !lcience est cha1'gé de parcourir Bont Jel fragments de la 
grande Burtace dea espèces vivantes, tel qu'il eat découp6, 
boulevenlé et figé entre deux révoltes du tempe. 
On voit combien fi est lIuper6cie1 d'opposer, ClOIDJDe deux 
opinions diIJérentes et offrontées dons leurs optiom fondamen­talcs, 
un 1 fixisme 1 qui se contente de clallaer lei êtres de la 
nature en un tableau permanent et une sorte d'. évolution­nisme 
1 qui croirait l une histoire imm6morwe de la nature 
et il une profonde poussée des êtres l travers sa continuit6. La 
solidité sana lacunes d'un réseau des espèces et des genres et la 
série des événements qui l'ont brouillé font 'partie, et à un même 
niveau, du aocle épistêmologique l partir duquel un lavoir 
comme l'histoire naturelle. été possible à l'Age claBllique. Ce 
ne sont pos deux manières de percevoir la nature radicalemen.t 
opposées parce qu'engagées daDa des choix philosophiqu81 
plus orieux et plus fondamentaux que toute sciencej ce sont 
deux exigences simultanéea dans le réseau archéologique qui 
définit li. l'Age classique le savoir de la nature. Mais ces deux 
exigences 80nt complémentaires. Donc irréductibles. La lérie 
temporelle ne peut pos s'intégrer li. la gradation des êtres. Les 
époques de la natu1'8 ne prescrivent pas le 'fII1I~ intérieur des 
êtres et de leur continuité; eUes dictent. les inlflmpirie. qui n'ont 
cessé de les disperser, de les d~truire, de les mêler, de les séparer, 
de les entrelacer. Il D'y a pas et il ne peut. y avoir même le 
soupçon d'un évolutionnisme ou d'un transformisme daos la 
p~JlIIée classique; car le temps n'cst jamais oonçu comme prin­cipe 
de développement pour les êtres vivants dallllieur organi­lIation 
internc; il n'elt. perçu qu'à titre de révolution possible 
dans l'espace extérieur où ils vivent. 
y •• KONSTRB& ET l'OSSU •• 
~ objectera qu'il ~ eut, bien aYant Lamarck, toute une 
pen~ .de type évolutionniste. Que lion importance fut grande 
IIU nulleu du XVIII!! siècle et jusqu'au coup d'arrêt qui fut 
IIlarqué par Cuvier. Que Bonnet, lolaupertuil, Diderot, Robinet,
f6li Le. mou et les CMII!' 
Benott de Maillet ont fort clairement articulé l'idée que Jes 
formes vivantes peuvent passer les unes dana les autres, que 
les espèces actuelles sont sans doute le résultat de transforma­tions 
anciennes et que tout le monde vivant se dirige peut-Otre 
vers un point futur, si bien.qu'on ne pourrait assurer d'aucune 
forme vIvante qu'elle est définitivement acquise ct st."lbilisêe 
pour toujOUl'!. En fait, de telles analyses sont incompatibles avec 
ce que nous entendons aujourd'hui pnr ]a pensée de révo­lution. 
Elles ont en effet poUt' propos le tableau des identités 
et des différences à ]a série des événements successifs. Et pour 
penser l'unité de ce tableau et de cette série, eUes n'ont Il Jeur 
disposition que deux moyens. 
L'un consiste à intégrer à la continuité des êtres et ft leur 
distribul.ion en tableau la série des successions. Tous les êtres 
que la taxinomie a disposés dons une simultanéité ininterrom­pue 
Bont alors soumis 8U temps. Non pas en ce sens que la 
s6rie temporelJe Cerait nuttre une multiplicité d'espèces qu'urt 
regard borizontal pourrait ensuite disposer 8elon un qua­driJ1age 
ol8ssificoteur, mais on ce 81)D8 que tous les points de la 
taxinomie sont affectés d'un indice temporel, de sorte que 
1'« êvolution 11 n'est pas autre chose que ]e déplacement soli­daire 
et général de l'échelle depuis le premier jusqu'nu dernier 
de ses éléments. Ce syrtème est celui de Charles Bonnet. IL 
implique d'abord que ]a chatne des ~trcs, tendue par une série 
innombrable d'anneaux vers la perCection absolue de Dieu, ne 
]a rejoigne pas !tctuellement 1; que la distance soit encore infinie 
entre Dieu et ]a moins dHectueuse des créatures; et que, 
dans cette distance peut·être infranchissable, toute la trame 
ininterrompue des êtres ne cesse de s'avancer vers une 'pIns 
grande perfection. Il implique aussi que cette • évolution 11 
maintienne intact ]e rapport qui existe entre les ditTérentes 
espèces : si l'une en Be perfectionnant atteint le degré de 
complexité que Jlossédait par avance celle du degré immédiate­ment 
supér3eur, celle-ci n'est pas rejointe pour autant, cnl', 
emportllo par ]e même mouvement, elle n'a pas pu De pas S8 
perfectionner dans une proportion équivalente: 4( Il Y aura un 
progrès cont.inuel et plus ou moins lent de toutes les espèces 
vers une periection sup~rieure, en sorto quo tous les degrê! de 
l'échelle Beront continuellement vnriublcs dans Wl rapport 
déterminé ct constant .. _ L'homme, transporté dans un séjour 
plus assorti à l'éminence de ses facultés lais!:Iera au singe et ~ 
l'éléphant cette première place qu'il occupait parmi les aDJ' 
1. Ch. Bonnet, Cont,mplatlon de Id nalure, 1" parLie (OEuurtl computa, 
t. IV, p. 34 ''1.).
165 
DlaUX de noUe planète ••• TI y aura des Newton parmi les Binges 
et des Vauban parmi les castors. Les hutt1'es et les polypes 
Beront par rapport aux espèces les plua 61evées C6 que les 
oiseaux et les quadrupèdes sont ill'hoIDDle 1• lt Cet 1 évolution­nisme 
Il n'est pal une manière de concevoir l'opparition des 
êtres les uns à partir des autres; il est, en réalité, une manière 
de généraliser le principe de continuité et la loi qui veut que leB 
~tres forment une nappe laDS intemJption. n ajoute, dans un 
style Jeibni!!ien', ~e ~~ntinu du tem~~ au. continu de l'csp,ace 
ct à l"inilnl6 multipliCité des êtres, 1 Infini de leur perfectIon­nement. 
Il n6 s'agit pus d'un~ hiérarchi!ation progressive, mais 
de la pou~séc constante et globale d'une hiérarchie tout ins­taurée. 
Ce qui suppose finalement que le temps, loin d'être un 
principe de I~ ta:tirwmia, n'en soit qu'un des fac~eurs. Et qu'il 
soit. préétabli comme toutes les autres valeurs pnses par toutes 
les autres variables. Il faut donc que Bonnet soit préformation­nillte 
- et ceci au plus loin do ce que nous entendons, depuille 
XlX8 siècle, par« évolutimmismc'j il est obligé de suppotierque les 
avatars 0'1 le~ catastrophes du glohe DDt été disposés à l'avance 
comme autant d'occlIsions pour que la chatne mfinie des êtres 
s'achemine dans le sens d'une infinie amélioration : Il CeB 
évolutions ont été prévues ct inscrites dans les germes des 
animaux dès le premier jour de la création. Cor ces évolutions 
Bont liées avec des révolutions dans tout le système solaire que 
Dieu a aménngées à l'avance. 1 Le monde en son entier a 6té 
larve; Je voici chrysalide; un jour, 88nll doute, il deviendra 
papillon 3. Et toutes les espèces seront emportéell de 1~ même 
façon par cette grande mue. Un tel système, on le voit, ce n' eat 
pas un évolutionnisme commençant à bouleverser le Vieux 
dogme de ]a fixité; ç'est une ta:rinomia qui enveloppe, de plus, 
le temps. Une classificlltion générdlitiée. 
L'nutre forme d', évolutionnisme J consÎtlte à raire JOUeT au 
~mps ~ rôl~ t.OI!t oppol;é. Il ne sert. pllU> à déJ,lacer sur la 
lIgne. fiOle ou mliDle du perfectionnement l'ensemble du tableau 
clls~uficateur, DUlis à faire apparuttre les unes après les autre Il 
toutes les Clt~es qui, ensemble, formeront le réseau continu 
d~.s e!lpèces. Il lait. prendre successivement aux variables du 
vivant. ~out.e8 les. vül(urs possibles: il est l'instance d'une 
caractensatlOn qUise fRit petit li petit et comme éléments après 
p. li.;~i,~~nnr:l, PaTingblhie philf)8f)pJalq/Jc (OE/Juru tOmpmf~, L VU, 
• ~. Ch. Honll"l (OErll"ll3 tOmpl,~I'", t. III, p. 173) cite une letre de LelbDlz 
3. arman .ur lu llbullJ~ dèS ~~res .. 
Po l~~' Bonnet., Pallnlllnùre pfuloallpltlqlM (OEu_ complèlu, LVII,
i66 
éléments. Les reBilemblBDC~' ou les identit~s Plll'tiellos fui 
soutiennent ln p08llibilité d'une I4:J:ÏnomÎa seraient alors 01 
mRrqucs étalées dans le présent d'un seul et même être vivant. 
persi"tant li. travors los uvatars dela nature et remplissant par 
là toute" les possibilités qu'olIre à vide le tableau taxiDllmiCJ:';le. 
Si lea oiseaux. fait remarquer Benoit de MaiUet, ont dos ades 
COIDIDe les poissnns ont. des nugeuires, c'est qu'ils ont étll, il 
l'époque du grand reflux des eaux premières, des dlluradesHssé­chées 
ou des da uphills pa ssês pour toujours il une patrie aérienne • 
• La aemencede ces pOissons, port.6e dans des mHrais, peut avoir 
dODDélieu à 1. premièretransmigru tion de l'espèce du séj our de la 
m8l' en celui de la terre. Que cent millions aient péri saDI avoir 
pu 8D oont.ractel' l'habitude, il suffit que deux. y Boieut parvenus 
pour avuil' donné Jieu à l'espèce 1 .. Les ohangements danslea 
oonditions de vie des êtres vivants semblent, là comme clau 
cortainos formes de l'évolutionnisme, ent1'fllner l'apparitioD 
d'eapècoB nouvelles. MaÏli le mode d'action de l'air, de l'eau, du 
clüriat, de la terre sur les animaux n'est pas celui d'un nülieu 
aur une fonction et SUl' 1. organes dans lesquels eUe s'accom­plit; 
les éléments ext6rieurs n'interviennent qu'à titre d'occa­aion 
pOUl' faire apparattre un caractère. Et cette apparition, ai 
elle est chronologiquement conditionnée par tel événement dll 
globe, est rendue a priori possible par le tableau général dea 
variables qui définit toutes les formet éventuelles du vivant. 
Le qua.i-êvolutionnisme du xvm8 siècle semble présager aussi 
bien la variation spontanêe du caractère, telle qu'oD la trouvera 
chez Darwin, que l'action positive du milieu telle que la décrira 
Lamarck. Mais c'est une illusion rétrospedive : pOUl' cette 
forme de perUiée, en efTet, la Buite du temps ne peut jamais 
deBlliner que la ligne le long de laquelle se succèdent toutes lee 
valeurs pUllsibles des variables préétAblios. Et par conséquent 
il faut définir un principe de modification intérieur à l'être 
vivaDt, lui permettant, il l'occasion d'une p6ripéLie naturelle, 
de prendre un Douveau caractère. 
On se trouve alors devant. un nouveau point de choix: soit 
supposer chez le vivant une aptitude spontanée il changer de 
forme (ou du moins il acquérir Hvec les générations un caractère 
légèrement diiIérent de celui qui était donné il l'origine, si bien 
que de proche CD J!,l'Ocho il fiuira par devenir méoonnaiSliable), 
soit encore lui attribuer la recherche obscure d'une espèce ter­minale 
qui pOlôsédcrait les caractères de toute! celles qui l'ont 
précédée, mais à un pluB haut degré de complexité et de per­fection. 
1. BenoU de Mulllet, Te/liamed ou lu Ilntl'Blielll d'un pIIiloeopfl. cllÙlliI, 
auec un miuiollllui" frullful. (Alliliterdam, 174t!J, p. 142.
Clauer 167 
Le premier système, c'est celui des 8l'l"8Ul1 ll'Ùl6IÙ - el 
qu'on 10 trouve chez Maupe~uia. L~ tabl.u cl~1 4!'pècetl !IU8 
l'histvire naturelle peut ~tabhl't aurai' 'té aoqws pu'tce • plèoe 
ur l'équilibre, cOWitant danala nature, entre une mémoire qui 
~SIlul'8 le continu (maintien des espèces dans le tempa et res­! 
I~mblance de l'une la l'autre) et un penchant l ~ déVlation qui 
&Ssure à la foi. l'histoire, les ~iflérencos et la ~spersion. Mau­pertuis 
suppose que les particules de la matière aont douées 
d'activité et de mémoire. Attirées les unes pal' les autres, les 
moins actives forment 10' substances mi!lêrales; los plua act.ive~ 
dessinent ]e corps plus complexe des .arumaax. Ces formes, qw 
Bont ducs la l'attraction et au hasard, dispal'8iS!lênt si eUes ne 
peuvent subSister. Celles qui se maintiennent donnent nai .. 
Bunce la de nouveaux individus dont la mémoire maintient 188 
caractères dn couple parent. Et ceci jUllqu'à ce qu'une dévia­t. 
ion des pRrticules - un hllsard - faillie nattre une nouveU. 
espèce que la force obstinée du souvenir maintient à son tour: 
«A force d'éCArts répétés, serait veaue la divenit4 infinie des 
animaux 1. 1 Ainsi, Cie proche en proche, 101 ttra vivante 
acquièrent pal' variations IJUccoslives tous les oaractères que 
nous leur connaissons, et la nappe cohérente et solide qu'ils 
iorment n'est, lorsqu'on les regarde daulll dimenaion du temps, 
que le ré..'!ultat fragmentaire d'un continu hoaUCOLlp plus Berri, 
beaucoup plus fin : un continu qui a été tillé d'un nombre 
incalculable de petites dift'érl'uces oubliées ou avortée.. Lea 
ellpèces visibles qui s'offrent à notre analyse ont été découpées 
8UJ' le fond incessant de moQIrtrUosités qui appal'BÏBsent, scin­tillent, 
vont à l'abime, et paHois se mamt.iennent. Et ç'eat Il 
le point fondllmental : la nature n'a une bistoire que clau la 
mesure où elle est susceptible du continll. C'est parce qu'eUe 
prend il tour de rôle tous les caractères possibles (chaque valetoe 
de tout:c! les variables) qu'elle se présente BOUS la forme de la 
succession. 
Il n'en va pas autrement pour le sys~me inverse du proto­type 
et de l'a.pèce terminale. Dana ce cas,'n faut supposer, 
avec ~.-B. Robinet, que la continuité n'est pas aSSUNe pal' la 
iélUOIre, mais par un projet. Projet d'un être complexe vers 
eq,uel la nature s'achemine en partant d'éléments simples 
qu eUe compose et arrange peu à peu: c n'abord les éléments 
le combinent, Un petit nombre de principes simples sert de 
bas:.! li. to~ le., corps .; ce 1I0nt eux qui président ~c1usivement 
à 1 urgamsatlun des .minéraux; puil «la magwficence de la 
p.l.il~UPl!rttlù. EIIl.d .ur la formatioll .. oerp; O/'gfUIIIi, (BerUD, 1754',
t68 
nature ft ne cesse d'augmenter «jusqu'aux ~tres qui sc pro 
mènent sur la surface du globe Jt; «la variation dcs organes ca 
nombre, en grandour, en finesse, en texture interne, en figllre 
externe donne des espèces qui se divisent et se subdivisent il 
l'infini par do nouveaux: arrangements 1 a •. Et. ainsi de suite 
jusqu'à l'arrangemont le plus complexe que nous connais­. 
ions. De sorte que la continuité enlière de la nalure se loge 
entre un prototype, absolument archaïque, ellroui plus pro­fondément. 
que tGute histoire, et l'extrême complication de 
ce modèle, telle qu'on peut, au moins sur le globe terrestre, 
l'observer en la personne de l'être humainS. Entre ces deux 
extrêm81i, il y a tous les degrés pOSllibleli de complexité et de 
combinaison: comme une immenllo série d'elllais, dont cer­tains 
ont persisté sous ln fonne d'espèoes coo.stantes et dont 
les autres ont été engloutis. Les monstres ne sont pas d'une 
autre « nature Il que les espèces elles-mêmes: « Croyons que los 
formes les plua bizarres en appnrence. •• appartiennent néces­sairement. 
et eSlientiellement nu plan universel de l'être; que 
ce sont des métam()rphoses du prototype auni naturelles que 
les autres, quoiqu'ulles nous olTrent des phénomènes différents, 
qu'clles servent de passage aux: formes voisines; qu'tilles pré­parent 
et aménagent ICI combinaisons qui les suivent, COlume 
elles sont nmtln6es pu celles qui les précèdent; qu'olles oonlri­buent 
à l'ordre des choses, loin de le troubler. Cc n'cst peut-être 
qu'à force d'ôtroe que la nat.ure parvient li. produire des êtres 
plus réguliers ct d'uue organisation plus symétrique 8. » Chez 
RobinetcommecbezMaupertui.,lasuccessionetl'histoirenesont 
pour la Rature que des moyens de parcou.rir la trame des varia­tions 
infinies dontello 8t!t susceptible. Ce n'est donc poslo temps 
ni la durée qui il travel"S la diversit.é des milieux assure la conti­nuité 
et la spécification dos vivant., mais sur le fond continu de 
toutes les variations possibltls, le templ deslline un parcours ob. 
les climats et la géographie prêlèveut. seulement des régions pri­vilj.. 
giées et. destinées li. se maint.enir. Le continu, ce n'est pRsle 
silll1brtl vÏtiible d'une histoire fondamentale où un même prmcipe 
vivant se débattrait avec un milieu variable. Car le continu pré­cède 
le temps. li en est la condition. Et par rapport il lui, 
l'histoire ne peut jouer qu'un rôle négat.if : elle prélève et lait 
subsister, ou elle néglige et laisse disparaltre. 
A cola deux conséquences. n'abord la nécessitê de faire inter- 
1. J.-B. Rul,inet, De la nature (3- t!d., 1766), p. 26-28. 
2. J.-B. Robinet, Co,.,ldlra/ion. pltilOBop"tquu lur la gradalt'IR "arurell, 
du forme, de 1'~1n (Porfll, 1768), p. 4·5. 
3. Id., ilJid., p. 198.
169 
eoir les monstres - qui lont. comme le bruit de lond,Ie mur­~ 
ure ininterrompu de la nat,:,re. ~'il faut en elIet que le temps, 
ui est. limité, parcoure - ait déjà parcouru peul-être - tout j!, co~tinu de la nature, 00 doit admettre qu'un nombre consi­dérable 
de 'Iariations possible~ ont. été ~ro!5éos! puis. bilTées; 
tout comme la cotastrophe geologJqu~ eta~l neceSlaJl'e .pour 
qu'on puj5~e rem?nter du t!lbleau tu!nornJque 311; oontlnu ft. 
travers une e;cPérJ~nce brouill/ie, CI130tlque et. ~échiquet6e, ~e 
même la prolifération de monstres 6!mSlelldema.n cstnécesemftl 
pour qu'on puis!!e redescendre du c~ntinu ~u tableau à trave~ 
une série temporelle. Autrement dIt ce qUJ dons un seos dOit 
être lu corn nie drame de la te1'l'e et des eaux, doit ~tre lu, dans 
l'autre sens, comme aberration 81'parente des fonnes. Le 
monstre assure dam le temps et pour notre savoir th~orique une 
continuité que les déluges, les volc8m et le!! continents effon­dres 
brouilleut dans l'espace poUl' notre expérience quotidienne. 
L'autre cons(:quence, c'est qu'au long d'une l'oreille bistoire, les 
signes de la continuité ne sont plus que de l'ordre de ]a res­sombluDce. 
Puisque nul ral'port du milieu à l'organisme 1 ne 
d6Jinit cette histoire, les formes vivantes y subiront toutes les 
mêtamorphoses possibles, et ne laisseront. derrière eUes comme 
marque du trajet parcouru que les repères des similitudes. A 
quoi peut-on reconnaitre, par exemple, que la nature n'a cessé 
d'ébaucber, à partir du prototype primitif, la figure, provisoi­nlmcut 
termina·le, de l'homme? A ce qu'eUe a abandoDIJé SUI' 
80n parcours mille formes qui en dessinent. le modèle rudimeo­taire. 
Combien de fossiles lIont, pour l'oreille, le crllne ou 1. 
parties sexuelles de l'homme, commc des statues do plâtre 
façoIUlécs un jour et délaissées pour UDC forme plus perCoc­tionnée? 
c L'espèce qui 1'C98crnblc nu coeur hUm&lO, et qu'on 
nomme à cause de ooln Anthl'Opoeardite ..• mérite une attention 
parliculière. Sa substance est un caillou nu-dedans. La fonne 
d"uncoeurestaussibienimitéequ'ellepuisscl'~tre.Onydist.ingue 
le tronc de la veine cave, avec une l'ortion de ses deux tranches. 
On voit aussi sortir du ventricule gauche le tronc de la grande 
artère avec sa partie inférieure ou descendante'.» Le fossile, 
avec sa nature mixte d'animal et de minéral est le lieu privilégié 
~'une ressemblance que l'historien du continu exige, alon que 
1 espace de la tazinomÎ4 la décomposait l"Ïbroureusement. 
Le monstre et le fossile jouent tOUI deux un rolo très pdcis 
cr lGs' g" l'in-:xlslenC8 de la nollon biologique de • mUieu • au X,"III' liiècle, 2 j B,~lI~em, Le Connar .. 1UICe delIlDi.(P8rie,~l!d •• 1965), p.121H54. 
df;fn':: .... ohmel, COlUjfUra';OIll phU/Moplriguu 6fJl' la grallGlion IIrJ1lJNll • 
. ~ N,CI .... "lire, p. 19.
t70 
dan. oette configuration. A partir du pouvoir du continu que 
détient la nature, le monstre fait apparaltre Ja différence : 
celle-ci est encore sa ni loi, et Bans .tructure bien définie; le 
mon.tre, c'est la IInuche de la sp6cificatioD, mais ce n'est qu'uae 
IOUll-esl,èee, dans l'obstinatioD lente de l'histoire. Le fossile, 
c'est ce qui laisse subsister les re8semblaDces à. travera toute. 
les déviations que la nature 8 parcourues; il fonctioue comme 
une f?Mle lointaine et approximative de l'identité; il mas:que Un 
qUBsl-clU'8ctère dans le bougé du temps. C'eet que le mODstre et 
le f08sile De sont rien d'autre que la 'Projection en arriêre de çe. 
différences et do ces identités qui définissent pour ]8 ~inomÏG 
la structure puis le caractère. li!! forment, entre le tableau et le 
continu, la régioD ombrewe,mobile, tremblee où ce que l'a nalyse 
définira comme identité n'est encore que muette analogie; et ce 
qu'elle définira comme dillérence aS91gnable et constante D'est 
encore que libre et hallardeuse variation. Mais la. vrai dire l' hü:eoÏTe 
à4la Mture est BÏImposswleà.pénaerpourl'laür.o'fenoewflUe, la 
disposition épistêmologique dessinée par le tableau et le continu 
eat si fondamentale, que le devenir ne peut avoir qu'une place 
intennêdiaire et mesurée pal' 161 "ulea exigences de l'ens'emble. 
C'est pourquoi j} n'in'tel'YJont que pour le pRSsage nécessaire de 
l'Uil .It. l'autre. Soit comme un ensemble d'intempéries étran­gères 
~ux vhrants et qui ne leur advielUlent jamais que de 
l'extérieur. Soit comme un mouvement Balll cesse ébauché mais 
arrêt6 disl Ion esquisse, et perceptible seulewent lU" lea borda 
du tableau, dalll! sea marg611 négligées: et aiDai lUr le fond du 
continu, le monstre raconte, comme en caricature, la genèse des 
dillérenCe6, et le fossile rappelle, danal'incertitude de !lei rea­Hmblanceli, 
les premiel'8 entêtement. de l'identité. 
vil. LB »IICOV •• DB 1.... n"''l'UBa 
La théorie de l'histoire Daturelle n'est pas dissociable de celle 
du langage. Et pourtant, il ne l'agit pal, de l'une kl'auUe, d'un 
transfert de méthode. Ni d'une communication de OODcepts, ou 
dei prestiges d'un modèle qui, pour avoir c reu88i • d'un cat6 
lerait euàyé dans le dOl~Dine voi.in. Il ne s'agit pas non plus 
d'une rationaJitb plus générale qui imposerait desformeaiden­tiquel 
li. la réflexion Bur la grammaire et à la Ca.1:inomia. Mais 
d'une disposition fondomentale du savoir qui ordonne la 
coDDaissance des êtrel li. la possibilité de lei représenter dans 
un syltème de Doml. Sanl doute, il y eut, dans cette régiOD que
tU 
nOUII appelons maintenHnt la vie. bien êl'autres recherches que 
les efforts de olulisificaion, bien d'autres analyses que oelle des 
identités et des dilIérenco •• Mais touLes reposaient sur uI;e 
sone d'a priori historique quiles autorisait. en leur dispp.l'!lion, en 
leW'8 projet!! singulitlrB eL divergents, qui rendait également 
posllible!l t~U!l lll~ dllbllta d'op~ons dont. elle~ étaient le lieu. 
Ce" Il priorI, il n est. p88 const.ltu6 par un éqUIpement de pro­blèmetl 
CODlltonts que le8 phénomènes concrets ne cel.eraieQ. 
de présenter comme autant d'ilnigmesllla curiosité de!l bOlJllllel; 
il n'ost. pl8 fait non plui d'un certain état des connaÏIIll8Qcol 
sédimenté au cour8 des Ages précédenta et servant. de 801 aux 
progrèl plus ou moins inégaux ou rapides de 1. rationalité; il 
n'eKl même pas IRnl doute détermin6 par ce qu'on appellel. 
mentalité ou leI 1 cadrel de pensée» d'une époque dODDée, 
l'il fllut entendre par là le profil historique des int.érêts .~u­lalifs, 
des crédulités ou deI grandes oplioll8 t.héoriques. Cet 
a priori, c'elt ce qui, à une é~ue dOQQ~ déeoupe dall8 
l'expériencfl un champ d. lavoir polSible, définit 1. mode 
d'être de. objets qui y appal'llisllent, ume le re~rd quo­tidien 
de pouvoirs théoriques, .t dêfinit les conditloDB dona 
leequellea OD peut t.enir lUI' leI choses un discours reoonnu pOur 
TnlÎ. L'a priori hiatorique, qui, au XTIll8 aièole, a fond6 le. 
recherches ou les dêbats sur l'existence des genres, la ltabilit6 
des el!pècea, la tral18wÎ8sion des ear8ctèresll travers les ~néra­tiOWl, 
c'ezt l'existence d'une histoire naturelle: organi8atÏou 
d'UQ certain visible comme domaine du savoir, dé6nition de. 
quatre variables de la description, constitution d'un espace de 
voisinages où t.out. individu quel qu'il soit peut veDir se placer. 
L'histoire naturelle Il l'age olassique ne correspond pa. Il la 
pure et simple découverte d'UD nouvel objet de curiosité; elle 
recouvre une série d'opération. complexes, qui introduÏllent 
dans un ensemble de repré5entatioll8 la pOlsiliilit6 d'un ordre 
co!lltant. Elle constitue comme cle8Crip,i"t. et. onlonnabl. à la 
fOl! tout un' domaino d'em?iricité. Ce qui l'apparente aux 
thêo~es du langage, la distmgue de ce que nous entendons, 
depU!B le XlX8 siècle, par biologie, et lui fait. jouer dans la 
pe~e~ c~Bsique un certain r61e crit.ique. 
cl L hllltoue DBturelle est contemporaine du langage : elle est 
.8 même niveau que le jeu llpontané qui analyse les rep1'êaenta­t~ 
on8 daule louvenir, fixe leurs éléments communs, 6tablit du 
IJgzUlIIll partir d'eux, et impose finalement des noms. ClasRer et: 
parler trou!ent.leur lieu d'origine daDB C6 même espace que la 
représentation ouvre à l'wtêrieur de soi parce qu'elle est vouée 
rhl!~"!ps, Il la mémoire. il 111 réflexion, h la continuité. Mais 
Ife naturelle ne peut et. ne doit 6XÏster comme langue
172 
ind~pendante de toutes les autrtlS que si eUe est langue bien 
faito. Et universellement Y8lable. Dans le langAge spon­tané 
et 1 mil! fait '. les quatre éléments (proposition, arti. 
culation, désignation, dérIV8tion) laissent entre eux des 
interstices ouverts : les expériences de chRcuo. les besoins 
ou les pussions, les habitudes, les préjugés, une attentivn 
plus ou moins éveillée ont con!tÎtl1é des centaines de langues 
difTérentes. et qui ne se distingllcnt pns seulement par la 
forme des mots, mais avant tout pnr la Inanière dont ces 
mots découpent la représentation. L'histoire naturelle ne sera 
une langue bien faite que si le jeu est !erm6 : si l'exactitude 
descriptive rnit de toute proposition un découpage constant du 
réel (si on peut toujours attribuer à la représentation ce qu'on y 
artiCl.k) et li la dé.,ignation de chaque ~tre indique de plein 
droit la place qu'il occupe dans la dilpolition générnle de l'en· 
semble. Dans le langage, ]a fonction du verbe est univcl"lIelle et 
vide; elle prescrit seulement la forme la plus génémle de la 
proposition; et c'est à l'intérieur de celle-ci que les noms font 
jouer leur système d'sniculntion; l'hi!toire naturelle regroupe 
ees deux fonctions dans l'unité de la Mtructure qui articlIle les 
unes aux autres toutes les variables qui peuvent être attribuées 
à un être. Et alors que dans le langage, la désignation, en sou 
fonctionnement individuel est exposée au hasard des dériva­tions 
qui donnent leur ampleur et leur extension aux noms 
communs, le caractère, tel que l'établit l'histoire naturelle, 
permet à ]a fois de marquer l'individu et de le situer dans 
un espace de gén6ralit6s qui s'embottent les unes ICI autres. 
Si bien qu'au-de98us des mots de tous les jours (et à tra­vers 
eux puisqu'on doit bien les utiliser pour les descrip­tions 
premières) se b&.tit l'édiGce d'une langue au second degr6 
où ~gnent enfin les Noms exacts des choses: c La méthode, 
Ame do la science, désigne à première vue n'importe quel corps 
de la nature de telle Borte que ce corps énonce le nom qui lui 
est propre. et que .ce nom rappelle toutes les connaissances .qu! 
ont pu être acqwses BU cours du temps, Bur ]e eorps amI! 
nommé : si bien que dans l'extrême confusion se découvre 
l'ordre souverain de la nature 1. Il 
Mais cette nomination ell.'lentielle - ce passage de la stru~­ture 
visible au caractère taxinomique - renvoie à une eXi" 
gence coûteuse. Le langage sponoeno, pour accomplir et bou­oler 
la figure qui va de la fonction monotone du verbe eu:e 
ilIa dérivation et au parcours de l'espace rhétorique, n'avaIt. 
besoin que du jeu de l'imagination : c'est-ll-diredesressemblaDces 
1. Lbmê, SM'ftma nar_ (1766), p. 13.
Clouer 173 
irnmêdiates. En revanche, pour que la ta.l:tnomÉe soit possible, 
il faut que la nature soit réellement continue, et OAns Ila plé­. 
tude même. Là où le langn~e demandait la similitude des 
~l'res9ionll, la c1a9~j~cntion demande le prir.cipe de ~a plus 
etite diffr.rcnce pos!ubl6 enLre les c,hos~s. Or, ce c?ntlRuum, 
P j apparaît ainSi au Cond de ln nommatton, dans 1 ouverture 
i!:issée entre la description et ln disp~sition, il est supposé bien 
nnnl Je Inn gage, ct comme lin condltl?n. Et. non ~a!5 seuleme~.t 
parce qu'il peut (onder un langage bien CUit, mais pareo qu il 
rend compte do toullangage en génnl'tll. C'est III continuité de 
la nature snn~ doute qui donne à hl mémoire l'oocasion de s'exer­cer, 
lorsqu'une représentat.ion, pnr quelque idcntit./i confuse et 
JDal perçue, en r:lPl'ello une autre et permet d appliquer à 
toutes deux le signe arbitraire d'un nom commun. Ce f'{lIi dllns 
l'imllgination ge donnait comme une similitude aveugle n'était 
que la trace irrMléebie et brouillée de la grande trame ininter­rompue 
des identités et dos différence!'. L'imagination (ee~le 
qui, en permettant de comparer, autorise le langage) formlut, 
sBn~ qu'~m le sache alors, le lieu, a~i~ c.Ù la c.on~i~ui~éruiné!, 
muUl inSUltante, de ln nature reJoagnalt la contmwte VIde, maIS 
attentive, de la conscience. Si bien qu'il n'aurait pas été possible 
de parler, il n'y aumit pas ell place pour le moindre nom, si 
au rond des choses, avant toute représentation, la nature n'a'Y8it 
pas Hé continue. POUl' établir le grand tableau sans faille des 
espèces, des gemes, et des olasses,ila [alluquel'histoireoatureUe 
utilise, critique, classe et finalement reconstitue à nouveaUll: 
frais un langage, dont la condition de possibilit6 r6sidait j~ 
tement dans ce continu. Les choses et les mots Bont très rigou­reusement 
entrecroisés: la nature ne se donne qu'à travers la 
grille des dénominations, et elle qui, sans de tels nom9, resterait 
muette et invisible, scintille au Join derrière eux, contind­ment 
présente au-delà. de ce quadrillage qui l'ollre po1ll'tant 
au savoir et ne la rend visible que toute traversée de 
langage . 
• C'est pourquoi sans doute l'histoire natureU", à l'époque clas­filque. 
ne peut· pas se constituer comme biologie. Jusqu'à la 
d n du X'YIU~ siècle, en efIet, la vie n'existe pas. Mais seulement 
es êtres VIvants. Coux-ci forment une, ou plutôt plusieurs 
clB~seS dans la série de toutes les choses du monde: et si 00 
peut parler do la vie, o'est seulement comme d'un caractère 
- ~o sens taxinomique du mot - dans l'universelle distl'i., 
butlon des êtres. On a l'habitude de répartir les ohoses de la 
Ftur~ en trois classes: les minél'8.ux, auxquels on recollDatt 
il ~rOlssauce, mais sans mouvement ni sensibilité; les v6g6taUll: 
qw PCUYCIlt croltre et qui BOnt susceptiblea de sensation; lei
17~ Les m0f8 " lu cJUISU 
animaux qui se déplacent spontan6ment 1. Quant à la vie et au 
seuil qu'elle iOllLaure, on peut, selon les critères qu'on adopte 
les faire glisser tout au long de cette échelle. Si, avec ~8uper! 
tuill, on la définit par ]. mobilité et les relat.ions d'affinité qui 
attirent les êlérnllIll.8 les uns vcrs les autl'es et. les mllintiennent 
attaché!!, ill.ut loger la vie dans les particules lcs Illu9 simples 
de la matière. On est. obligé de la situer beaucoup plus haut daQI 
la série IIi on ]a définit. par un caractère chargé et complexe, 
comme le faisait Linn6 quand il lui fixait comme critères la 
miBliance (pal' semence ou bourgeon), la nutrition (par intus­susception), 
le viemissement, le mouvement extérieur, la p~ 
puhiion interne des liqueurs, les maladies, la mort, la prêlltnce 
de niBseaux, de glandes, d'é.pidermoB et d'utricules '. La vie 
ne constitue pas un seuil mamfeste li partir duquel des lormes 
entièrement DOUVelles du savoir 80nt. requises. Elle ellt une 
catégorie de classement, relative comme toutes les autres aux 
critères qu'on se fixe. Et comme toutes les aut.res, souuùse 
l certaines imprécisions dès qu'il s'agit d'en fixer 188 frontières. 
De même que le zoophyte est ilIa frange ambigu~ des animau 
et des plantee, de même les fossiles, de même les métaux se 
logent à cette limite incertaine où on ne sait s'il faut ou Don 
parler de la vie. Mais la coupure entre le vivant et le non vivant. 
n'est jamais un problème décisif '. Comme le dit. Linné, le 
lIaturalisle - celui qu'ü appelle llulorieM naturali.t - 1 dis­tiogue 
par la ?Ue les parues des corps mturell1, il les décrit 
oonvenablement selon le nombre, la figure, la pOilition et la 
proportion, et illell nomme' J. Le naturaliste, c'est homme du 
visible structuré et de la dénomination caractéristique. Non 
de la vie. n ne faut donc pas rattaoher l'histoire naturelle, telle qu'ene 
l'est déployée pendant l'époque classique, li une philosophie, 
même obscure, m&me encore balbutiante, de la vie. Elle est, 
en réalité, entrecroisée avec une tMorie des motll. L'histoire 
naturelle est 8ituée l la fois aYant et après le langage; elle 
défait celui de toua les jours, mais poUl' Je refaire et découvrir 
ce qui l'a rendu possible li t1'8vers les ressemblances aveuglcs 
de l'imagination; eUe le critique, mais poUl' en découYJ'Ïr le 
1. Cf., par exemple, Linné, Sud,ma nalura, (17561, p. 215. 
2. Linné, PAilu.ophie bDtuRil]Ut, 1 133. cr. BuAl s,.rêm. ,"ud du Pig#­loul:, 
p. 1. 
S. Dunnet. aclmettalt uue tUvlliion qllltdrlpAl't.Ite dan. la nature : I!l~ 
lIrula InorganilP.a, i:trell orrnnla66 1l1llnimell (v~g'l:iwc), êtres Org;:IIÙEëIl .ru­mé8 
(animaux), OU8Ii orKanilléll anim~ et railOlUlllblea (bommal). cr. conrem­pItItion 
de la IIfflure, Jlo part.le, chap. 1. 
4. Und, SglfemlJ nalurat, p. 21~.
175 
fondement. Si elle le reprend et veut l'accomplir dana sa pe .... 
fection, c'est qu'aussi bien eUe 1'8toume à Ion origine. EUe 
enjambe ce vocabulaire quotidien qui hû len de sol immédiat 
et en deçà de lui, elle va chercher ce qui a pu constituer s. 
rai.on. d'être; mais invel'lement eUe se logtt tout enLière dans 
l'espace du langage, puisqu'elle est eSlientieilement un usage 
concerté dOl noms, et qu'elle a pour fin dernière de dODner aux 
cho.'IeS leur vraie dénomiontion. Entre l, langage et la théo­rie 
do la nature, il existe dono un rapport qui est de type cri­tique; 
connaître la ~atul'!" c'e;'t en etTe~ bAtir Il partir d~ !an­gage 
un lallguge vraI malS qui découvrIra Il quellos conwllons 
tout lonaage est polsible et dans quelles limites il peut avoir 
un domaine de validité. La question critique a bien oxisté au 
XVIIIe siècle, mais liée à la forme d'un savoir détenniné. 
Ponl' cette ruison, elle ne pouvait acquérir autonomie et valeur 
d'jntcrrogation radicale: elle n'a cessé de rôder dans une région 
où il était question de la ressemblance, de la force de l'imagi­nation, 
de la nature et de la nature humaine, de la VIlleur des 
idées généralf'.8 et abstraites, bref des rapports entre la percep­tion 
dela similitude et la validité du concept. A l'âge classique 
- Locke et Linné, Butlon et Hume en portent témoignage -, 
la question critique, c'est celle du fondement de la ressem­blance 
et de l'existence du genre. 
A la fin du xvme siècle, une nouvelle con6guration apparattra 
qui brouille1'8 définitivement pour des yeux modernes le vieil 
espace de l'histoire naturelle. D'un dté la crit.ique se déplace 
et se détacbe du 901 où elle avait pris naissance. Alors que Hume 
faisait du problème de la causalité un 088 de l'intorrogation 
générule Bur les 1'essemblances l, Kant, en isolant la causalité, 
re?V6J'88 la quf',stioD; là où il s'ogisMit d'établir les rellitions 
~'Jd~tité et de distinction sur le fond continu des similitudes, 
Dü ralt 8ppBrattl'e le problème inverse de la synthèse du divers. 
u !Deme coup la question critique se t!'Ouve reportée du concept. 
au lugement, de l'existence du genre (obtenue par l'analyse 
des l8(»résentations) à la possibilité de lier entre elles leit rerré­den~ 
ti0!l8, dl! droit de nommer au foodement de l'attributIon, 
e 1 articulatIon nominale à la proposition elle-même et au 
:e~b~ être 'Tui l'établit. EUe &e trouve alors absolument géné­aldee. 
Au lieu de valoir à. propos dos seuls rapports de la nature :! tee la nllt~re humaine, eUe int.erl'oge la possibilité même de 
II oonnalssance. 
Mais f3.'un aut.re côt6, il la même êpoque, la vie prend son 
llutonOlDle par rapport aux concepts de )a classification. EUe 
. Hume, E .. llf .ar III MrlUl humllÏne (Irad. Leroy), t. It p. 80 et 239 sq.
176 
IJchnppe il ce l'apport critique qui, au X'YJlle sil!cle, était conllti­tutif 
du savoir de la natU1'8. Elle échappe, ce qui veut dire 
deux choses : )a vie devient objet de connaissance parmi 1611 
autres, et il ce titre elle relève de toute critique en général; mais 
eUe résisle aussi à cette juridiction critique, qu'elle reprend à 
Ion compte, et qu'eUe reporte, en 80n propre nom, Bur toute 
conoaiBsance possible. Si bien que tout au long du XIX9 sièole, 
de Kant à Dilthey et à Bergson, les pensées critiques et les 
philosophies de la vio se trouveront daM une posit.ion de 
reprise et. de cont.estation réoiproques.
cn .... ITRE VI 
ÉcTUJnger 
1. l.',UULYSK DB& lUCUK&5EII 
Pas de vic li. l'~poque claBSique, ni de scieDce de III vie; 
pBS de philologie DOD plus. Maïa une histoire naturelle, maia 
une grammaire générale. De mOme, pos d'éCQnomie' politique, 
porco quc, dans l'ordre du savoir, la production D'existe pas. 
En revanche, il existe au xvue et au XYIIlII siècle, une notion 
qui nous cst demeurée fomilièrebien qu'elle ait perdu pour nous 
S8 précision essentielle. Encore D'cst-cc pas de c notIOn J qu'il 
faudrait porler li. son sujet, car elle ne prend pas place il 1'inté­rieur 
d'un jeu de concepts économiques qu'eUe déplacernit'légè­rcmcnt, 
en ]cur confisquant un peu de leur sens ou en mordant 
sur leur extension. TI s'agit plutôt d'un domaine général: d'une 
coucho très cohérente et fort bien stratifiée qui comprend et 
loge comme autant d'objets partiels les Dotions de valeur, de 
prix, de commerce, de circulatioD, de rente, d'intérêt. Ce 
dOUl!JinC, sol.et objet de l' « économie 1 à 1,'Age classique, c'est 
cehll de la r~Bse. Inutile de lui pOiler des quelltioll5 Yenuea 
d'une économie de type différent, organisée, par exemple, autour 
de )a. production ou du travail; inutile également d'analyser 
a~s dIvers concepts (même et surtout si leur Dom, Pm: la luite, d est perpétuê, avec quelque analogie de seos), saru; terur compte 
u système où ils prennent leur positivito. Autant vouloir 
analyser Je genre linnéen en dehors du domaine de l'histoire 
da~~ue, ou la théorie des temps chez Bnuzée san9 tenir compte 
.u aJdt que )a grammaire gênérale en était la condition histo­rIque 
e posaibililé. 
li ~l faut donc é!Ïter une lecture rétrospective qui ncpr~terajt 
. 1 analyse claSSIque des richesses que l'unité ultérieure d'une 
ec:onomie politique en train de se constituer à tâtOM. C'e~t sur 
ce mOde, pourtant, que les historiens des idées ont coutume de
178 
restituer ]a naiss~ce énigmntiCJuo de ce savoir qui, dans la 
pensée occidentale, aurait surgi tout. armé et déjà périlleux 
il l'époCJUe de Ricardo et de J.-B. Say. Ils supposent qu'une 
éconooue scientifique avait été rendue longtemps impossible 
pal' une problématique purement morale du profit et de la 
rente (théorie du juste prix, justification ou condamnation de 
l'intérêt), puis par une confusion systématique enue monnaie 
fit richesse, valeur et prix de marché: de cette aSliimilation, le 
mercantilisme aurait été un des principaux responsables el 1. 
manifestation la plus éclatante. Mais peu à pou 10 X"YllIe siècle 
aurait assure les distinctions essentielles et. cemé quelques-uns 
deI grands problèmes que l'économie posit.ive n'aurait cessé 
par 18. suite de traiter avec des instruments mieux adaptés: la 
moonaie aurait. ainsi découvert Ion caractère conventionnel, 
bien que non arbitraire (et ceci à travers la longue ditlcussion 
entre les' métallistes et les aIitimétallistes : panni les premiers 
il faudrait compter Child, ·Petty, Locke, Cantillon, Galiani; 
parmi les autres, Barbon, Boisguillebert, et surtout Law, puis 
plul dillcrètement, après le désastre de i720, Montesquieu et 
Melon); on aurait aussi commencé - et c'est l'oeuvre de Contil­Ion 
- à dégager l'une de l'outre ln théorie du prix d'échange 
et celle de la valeur intrinsèque; on aurait cerné le grand 
K paradoxe de la valeur» en opposant li l'inutile cherté du dia­mant 
le bon marché de cette· eau sans laquelle nous ne pOUVODl 
'YÏvre (il est possible en effet de trouver ce problème rigoureu­Bement 
fonnulé par Galiani); on aurait commencé, préfigurant 
ainsi Jevons et Menger, à. rattacher la valeur à une théorie 
générale de l'utilité (qui est esquissée chez Galiani, chez Graslin, 
chez Turgot); on aurait compris l'importonce des prix élevés 
pour le développement du commerce (c'e3t le «principe de 
Becher» repris en France par Boisguillevert et par Quesnay); 
enfin - et voilà le3 Physiocrates - on aurait entamé l'analyse 
dU: méeaniame de la production. Et ainsi, de pièces et de mor­ceaux, 
l'économie politique aurait a.ilencieusement mis en place 
ses thèmes essentiels, jusqu'au moment où, reprenant dans un 
autre seos l'analyse de ln pl'OductiOD, Adam Smith aurait mis 
au jour le prooessus de la division croissante du trayoil, Ricardo 
le l'Ole joué par le capital, J.-B. Say quelques-unes des lois fon­damentulos 
de l'économie de marché. Dès Ion l'économie poli­tique 
se serait mille à exister avec 80n objet propre et B8 cohé­rence 
intérieure. 
En fnit, les concepts de monnaie, de prix, de valeur, de cir­culation, 
de marché, n'ont pas été pensés, au xvn8 et au 
XYllle siècle, à partir d'un futur qui les attendait dans l'ombre, 
mais bien sur le 1101 d'uue disposition épistémologique rigou-
179 
reuse et générale. C'est cetto dilpositioD qui loutient dans sa 
n6cessité d'eJl~e.mble l' c ~nalyse des ri~hesses ... Celle-ci est ll 
l'économie pohtlque ce qu p.st la grammal1'8 génerale à la philolo­gie 
ce qu'est à la }liologio l'hÏlJtoil'e Daturelle. Et pas plus 
qu'~n ne peut comprendre la th60rie du verbe et du nom, 
l'unillysc du langage d'action, 00110 des racin~ et de leur déri­wtion, 
sons so référer, à travers la grammaue générale, ll ce 
réseau archéologique qui les rend possibles et n6ce1lllairee, pa. 
lus <{'l'on DO peut. comprendre, 8808 corner 10 domaine d. 
f.histolre naturelle, ce qu'ont été ]a description, la caracté­rillation 
et ]a taxinomie classiques, non plu que l'opposit.ion 
entre système et méthode, ou c fixisme - et c évolution l, d. 
la même façou, il ne serait pas possible de retrouver le lien de 
nécessitê qui euchuwe l'Ilnalyse de la mOlUlllie, des prix, de 
la nleur, du commerce, si OD ne portait pas à la lumière ce 
domaine des richesses qui est. le lieu de leur simultanéité. 
Sans doute l'nnlllyse des richesses ne l'est pas conatituée 
selon les mêmes détours, ni sur le même rythme que la gram­maire 
générale ou l'histoire naturelle. C'est que la réflexion 
sur la monnaie, Je commerce et. les éehaDges est. liée à uue 
pratique et à des institutions. Mais lion peut oppoler la pra­tique 
à la spéculation lIUre, l'une et. l'autre, de toute façon, 
reposent sur un seul et m~me savoir fondamental. Une réforme 
de la monnaie, un ll~age bancaire, uno pratique coIDIDvciale 
peuvent. bien se rationaliser, se développer, 88 maint.enir ou 
disparaltre 8elon des fonnes propres; ils sont toujours fond. 
aur un certain lavoir: savoir obscur qui ne 88 manifeste pas 
p?ur lui-même en un diaCOur9, mais dont les nécesBÏtéIJ Bont. 
Identiquement les mêmes que pour les théories abstraites ou 
le. spéculations 8ans rapport. apparent il la réalité. Dans une 
cult.ure et à un nloment. dOlUlé, il D'y a jamais qu'une ~piIJ.. 
tAmè, qui définit. les oondiLioDl de possibilité de tout savoir. 
Que .ce sl!it. celui qui 18 IWIJÙCeite en une théorie ou celui qui 
est sllencleusement. investi dans une pratique. La réforme moné­~ 
prescrite par les J!:tala généraux de 1575, les mesur811 
!mi ercantilistes ou. l'expérience de Law et lia liquidation ont même aocle archéologique que les thllDries de Davanzatti, 
.6 Bouteroue, de Petty ou de Cantillon. Et ce sout ces néees­BItés 
fondamontalos du savoir qu'il Iau.t. faire parler.
180 
Il. K01UIAIB aT .RIX 
Au XVIe siècle, )a pena6e 6collomique est limitlle, ou peu 
.'en faut, au problème des prix ~t à celui de la substance 
monbtaira. La questioll des prix. concerne le C81"actbre abtiolu 
ou relatif de l'enchérusement des denrées et l'eRet qu'ont 
pu avoir lIur lei prix les dêvaluations successives ou l'aillux 
des m6taux américains. Le problème de la substance moné­taire, 
c'est celui de ]a nature de l'étaloo, du rapport de prix 
entre les différents métaux utilisés, de la distorsion entre le 
poids des monnaies et leurs valeurs noulioales. Mais ces dellX 
16ries de Ï'foblèmes étaiellt liées puisque 10 métal n'apparoia­.. 
it. comme 8lgna, et comme signe lD6surllnt. des ricbcsl!eS, 
qu'autant qu'il êtait.lui·même unc richesse. S'il pouvait signi­fier, 
c'est qu'U était une marque réelle. Et tout comme les 
mols avaient la même réalité que ce qu'ils diwent, tout comme 
les marques des êtres vivants étaient mscriLll1I BUl' leur corps 
• la manière de morques villibles et positives, de même le. 
lignes qui indiquaient 1118 richesses et les mesuraient devaient 
en porter eux-mêmes la marque réelle. Pour pouvoir dire le 
prix, fi fl1l1ait qu'ils soient précieux. Il fallait qu'ils fWllent 
rares, utiles, dél>irables. Et il fallait aussi que toutes ces qua­lités 
fussent s'ables pour quo III marque qu'ils imposaient {dt 
uue véritable signature, univcn!ellement lisible. De III cette 
corrélation entr., le problème des prix et la nature de la 
monnaie, qui constitue l'objet privilégié de toute réflexion Bur 
les richesses depuis CopernIc jusqu'Il BodiD et. Da'f8nzatti. 
Dans la réalit6 matérielle de la monnaie se foudent leS deu; 
fonctions de mesure commune entre les marc:hanwseB et de 
substitut. daosle mécunisme d'échange. Unomesure est stable, 
reconnue par tOU9 et valable en tous lieux, si eUe a pour êta­Ion 
une réalité assignable qu'on puisse comparer à. la divel'" 
.it6 des choses qu'on veut mesurer : ainsi, dit Copernic, la 
toise et le boisseau dunt la longueur et le volume matériels 
servent d'unité 1. Par cOWlêquent. la monnaie ne mesure 1'I'8i­ment 
quo si BOU unit6 est une réalité qui existe r6ellemeot et 
à laquelle ou peut rHérer n'ùuporle quelle marchundUïe. En 
ce sens le XYle lIiècle revient sur la théorie admise au moins 
1. Copernic, Dlno"" •• ur la trappe du monnalft (ln J.-Y. Le Braucbu, 
kit. nPlublu 'UI'I/I IfIDMGf .. Parle, 11134, l, p. 16J.
181 
pendant une partie du 1Ioyen Age et qui laissait au prince 
on encore au comentement populaire le droit de fixer le valor 
impositUl de la monnaie, d'en modifier le taux, de démonA.­tiller 
une catégorio de pièces ou tout mbtal qu'on voudra. n 
faut quo la valeur de la monnaie soit. réglée par la muse métal­lique 
qu'elle. contient.; c'est-~-dire T"o~e rovienne la c~ qu'!llIe 
6lHit RutrerOI~1 lorsque les prmces n aVaient pas encorelDlpnmé 
leur elligie ni leur sceau sur des fragmenta métalli'tues; la ce 
moment-là. c ni le cuivre, ni l'or, ni l'argent n'étalent mon­nayés, 
mailJ se.ulem81~t estimé.- d:après leur poids 1»; ~n ne 
faisait pus valOIr des Blgnes arbItraires pourdcs ma~uesreeUea; 
la monnllio était une juste mesure puisqu'elle ne siguifiait rien 
d'autre que son pouvoir d'étalonner les richesses la partir d. ,a propro réalité matérieUo do richesse. 
C'est sur ce fond épistémologique que les reformes ont 6U. 
opértes au xv .. siècle et que les débats on~ pris leurs ~e.n. 
sions propres. On cherche la ramener les signes mqnétau'es il 
leur cxactitude de mesure: il faut que les valeurs Dominales 
portécs sur les pièces soient conformes à la quantit6 de mêtal 
qu'on n choisi pour étalon et qui a'y trouve incorporérla mon­naie 
n10rs ne aignifiera rien de plus que sa valeur mesurante. 
Dans cc sens, l'auleur anonyme du Com~ndÛJIU demande que 
c toute la monnaie actuellement courante ne le soit plus à pal'­tir 
d'une certaine date J, car les 1 surhaussements J de la valeur 
Dominn le en ont altér6 depuis longtemps 108 {onctions de mesure; 
il faudra que les pièces déjà monnayées ne soient plua accep­tées 
que 1 d'oprès l'estimation du métal contenu Ij quant il 
la nouvelle monnaie, eUe aura pour valeur nominale lion propre 
poids: «à partir de ce moment seront seules courantes l'an­cienne 
et III nouvelle monnaie, d'apre. une même "aJour, un 
m~m8 poids, uno même dénomination, et ainsi la monnaie 
Beru-t-clle rétablie li son ancien taux et à son ancienne bonté 1 J. 
On ~Il sait pas si le texte du CompendiolU, qui n'Il pus été 
puhli6 aVllnt 1581, mais qui a certainement existé et circul6 
en ~~anuscrit un~ trentaine d'années auparaYant, a inapiré la 
}lQlitl.que monétaIre SOU8 le règne d'f;lisabetb. Une chose est 
Ct;rlalne,. c'est qu'après URe série de «surhaussementll. (de 
deval.uatlOns) entre 1544 et 1559, la proclamation de mars '1561 
« abwS88 J la valctII" nominale des monnaies et la ramène à la 
rua~titê de mêtal qu'elles contiennent. De même en France, 
es 1 tatll génêraux de i575 demandent. et obtiUWlent la BUp- 
B~/·hDOnYllle •. Compmdlruz (lQ ",-rl II:mmtll de 9I'elgII., plain'" (In J.-Y. L. 
... Cl u, op. er/., Il, p. 117). 
.. d., Ibid. p. 155.
182 Les mot.3 et lM chose. 
preuion des unités de compte (qui introduisaient UIle troisième 
définition de )a monnaie, purement arithmétique et a'ajoutant 
li. la définition du poids et à. celle de ]a valeur IlolIlÎlutle : cu 
rapport aupp]émentnire cacbait aux yeux de ceux qui en élaient 
mal instruits le sens dcs manipulations sur la mOMaie); l'édit. 
de septembre 1571 établit l'écu d'or à, ]a fois comIllU piècft 
réelle et. comme unité de compte, décrète la subordination à 
l'or de toUIlles autres métaux-do l'argent cn particulief,qui 
garde valeur libératoire mais perd son immutabilité de drOit 
Ainsi Jes mOllDaies se tl'Ouvent. réétalonnées li. Pllrtir de leur 
poids métallique. Le signe qu'ellel portent --le Mlor impo- 
4ittul- n'cst que la marque exacte et trunsparente de]a mesure 
qu'eUes constituent. 
Mais en mÔme temps que ce retour est exÏL,ré, parfois accom­pli, 
un certain nombre de phénomènes lont mis au jour qui 
lont propres li. la monnaie-aigne et compromettent peut-être 
détinitivement son rôle de mesure. D'abord le fait qu'une mon.­naie 
circule d'autant. plua vite qu'elle est. moins Lonne, tandis 
que leB pièces li. :haute teneur de métal se trouvent cachées 
et ne figurent pas. dans le commerce: c'est la loi dite de Grea­ham 
1, que Copernic 1 et l'auteur du Compendi.ous 1 connais­Baient 
déjà. Ensuite, et Burtout, le -.. apport entre 1118 faib! moné­taires 
et le mouvement des prix: c'est par là que la monnaie 
est apparue comme une marohandise parmi les autres - non 
pu étalon absolu de toutes les équivalences, mais denrée dont 
la capacité d'échange, et par cOlllJéquent la valeur de substi­tut 
dans les éohanges se-modifient. selon sa fréquence et. sa 
rareté : la monnaie eUe aussi a SOn prix. Malestroit' avait 
fait remarquer que malgrA l'apparence, il n'y avait pas eu 
augmentation des prix au cours du XVIe siècle : puisque les 
marchandises BOnt. toujours ce qu'eUos Bont, et que la monnuie, 
en 8a n.ature propre, est un étalon constant., le renchérissement 
des demées ne peut être da qu'à. l'augmentation des vaJeurs 
Dominales portées par uae m&me masse mét.allique : mais, pOUl' 
une meme quant.ité de blé, on donne toujOUl'6 un même poids 
d'or et.d'argent. Si bien que. rien n'est enchbri. : comme 
l'écu d'or Talait en monnaie de compte virigt Bol8 tournois 
80UB Philippe VI et ~u'il en vaut maintenant cinquante, il 
est. bien nécelliaire qu une aune de velours qui coQ.tait. jadis 
quatre lines en vaille dix aujourd'hui. c L'enchérÏ5aement de 
1. GrnbaM, Ar/i, de SÏ1' Th. Grur."rn (in J.-Y. Le Branchu, op. ciro, L Il, 
p.7 et. 11). 
2. Copem1o, DI,cou,. 'lU' ltI frtIpPi d. 111l1IIIIlIi., Ioc. cil., l, p. 12- 
3. Cornpendie,., tllC. cjl_, II, p_ Ui6. 
4. Mlleitroit., Le pfll'fMlotl:ll ,ur le Id ddI_IIIIGI. (Pull, Iri6S).
Échanser t83 
toutes choses ne vient pas de plus bailler, mais de moins rece­voir 
en quantité d'or et d'argent fin que l'on avait accou­tumé. 
li ~["Ü; à partir de cette identification du rôle de]a mon­nnie 
à ]a m8!llIe de métal qu'elle fait circuler, on conçoit bien 
qu'die ut soumise aux mêmes variutions que toutes les autres 
mllrchandi~es. Et si Malestroit admettait implicitement que 
la quantité et la valeur marchande des métaux restaient stabl6s, 
Bodin, bicn peu d'années plus tard 1, constate une augmen­tation 
de la masse métallique importée du Nouveau Monde, 
et par conséquent un enchérÏ8sement réel des marchandises, 
puisque Jes prinoos, posséùant ou recevant des particuliers dos 
lingots en plus grande quantité, ont frappé des pi~ce.s plus 
nombreuses et de meilleur aloi; pour une même marchandise, 
on ùonne donc une quantité de métal plus imp<lrtallte. La 
montée des prix a dono une 1 cause principale, et pre.!lque la 
seule que per!Onne jUilQu'ici n'a touchée. : c'est .1'a!Jondaoce 
d'or et d'argent ., 1 l'abondllnce de ce qui donne estimation 
et prix aux choses •. 
L'étalon des équivalences est pris lui-même dans le système 
des échanges, et le pouyoir d'achat de la monnaie ne siJ:Jnifie 
que la ~aJeur marchande du métal. La ml.rque qui wlitingue la 
monnaie, la détermine, la rend certRine et acceptable pour tous 
est donc réversible, et on peut la lire dans les deux saIllI : el1'!J 
renvoie à une quantitè de métal qui est mesure collstante (ç'est 
ainsi que la ùéchilrre Malestroit); mais elle renvoie IlUllsi à. ces 
marchandises yariables en quantité et en prix qui sont les 
métaux (c'est la lecture de Bodin). On a là uoe disposition 
analogue à celle qui caractérise le régime général des SIgnes au 
XYIe siècle; les signes, on s'en souvient, étaient constitués par 
des ressemblances qui à leur tour, pour être reconnues, nécessi­taient 
des si!:,rncs. Ici, le signe monétaire ne peut définir sa 
valeur d'échange, ne peut se fonder comme marque que sur 
Une masse métallique qui à son tour définit la yaleur dans 
l'ordre des autres marchandises. Si on admet que l'échange. 
dans le système des besoins, correspond à la similitude dans 
~Iui des connaissances, on voit qu'une seule et même configura­tIOn 
de l'épistémè a contrôlé pendant la Renaissance le savoir 
Ide la na~, et la ré1lexion ou les pratiques qui concernaient 
8 monnaIe. 
~t .de même que le rapport du microcosme au macrocosme 
êt81t Indispensable pour arrêter l'oscillation indéfinie de la !'eS­semh! 
ance et du Bigne, de la même façon il a fallu poser un 
certain rapport entre métal et marchandise qui, à la limite, 
1. BlJdin, La Iltpome QUI: paradoeu cû M. cû Malulrvit (1568).
permeLtait do fixer ]a valeur marchande totale dos métaux. 
précieux et]lU' suile d'étalonoer d'une CBljOn certaine et défi. 
DÏtive le prIX de toutes les denrées. Ce rapport, o'est celui qui 
• été établi par la Providence lorsqu'elle a cnConcê dons la terre 
JOli mines d'or et d'argent, et qu'elle les Cait croître lentement, 
comme sur la terro pUullllent IC8 plantes et se multiplient les 
animaux. Entre toutes les cboses dont l'homme peut avoir 
hellom ou déSir, et le! veilles scintillantes, cachées, où croissent 
obscurément les métaux, il :t a une correspondance abaolue. 
1 La nature, dit Dovanzutti, a lait bonue8 touta les choses 
terrctltrellj la somme de celle8-ci en vertu de l'accord conclu 
par les hommes vaut tout l'or qui se tranille; tous les bommell 
désireut donc tout pour acquérIr toutes les choses •.• Pour Cons­tater 
chaque jour la règle et proportions mathématiques que 
ICB abOlIes ont. entre elles et avec l'or, il faudrait, du baut du ciel 
ou de quelque observatoire très élevé, pouvoir contempler les 
choses qui exillteut. et. qui se font sur terre ou bien plut.ôt le1.U'S 
images reproduites et réfléchies dans le ciel comme dans un 
fidèle mirui ... Nous abandonoerions alon tOU8 nOll cul culs et 
nous dirioJlll : il y a sur la tene tant d'or, tant do chotle5, taut 
d'hommes, tunt de besoins; dans la me!lure où c:baque chose 
satisfait des belKlins, !la valeur sera de tant de choses ou de 
tant d'or 1. J Ce calcul céleste et exhaustif, nul aut1'8 fJU8 Dieu 
ne peut le faire: il correspond l cet aut.re calcul qUl met en 
rapport chaque 61ément du microcosme et un ~Iément du 
macrocosme - à cette seul., différence près que celui-ci joint 
le t.errestre au céleste, et. va des cboses, de. animaux ou d., 
l'Lomme iwqu'aux étoiles; 1l10l'S que l'autre joint la terre il S88 
cavernes et li. ses mines; il fHit correspondre les choses qui 
Baissent entre les mains des hommes et lei trésors enFouis 
depuis la création du monde. Les ma~es de la similitude, 
parce qu'elles guident la connaissance, 8 adreuent il la perFec· 
tion du ciel; les signel de l'échange, parce qu'ils aatisfont le 
désir, s'appuient sur le scintillement noir, dangereux et maudit 
du m6tal. Scintillement équivoque, car il re:produit au (ond de la 
terre celui qui chante li. l'extrémité de la DUlt: il:t réside comme 
une promesH iuversée du bonheur, et parce que le métal res­semble 
amt astres, le savoir de tous ces périlleux: trésors est en 
même temps le savoir du monde. Et la réflexion Bur les richesses 
bascule aiOlli dam la grande spéculation sur le cosmos, tout 
comme • l'inverse la profonde eono.issanee de l'ordre du 
monde doit conduire au .ecret des métaux et • la pOlille!sioD 
1. DlIVantllLU. L'Son ,ur lu IJIIJRIIU1. (III J.-Y. Le Branchu, .p. ~il .. 
Po 230-231).
t85 
des richesses. On voit quel rileau lerré de nécessités lie au 
XYle siècle les éléments dlol .avoir : comment la cosmologie des 
.. uCI double et londe finalement la réfiexion lur le. prix et la 
m~nnaie, comment eUe autorise aussi une .p~culat.ion t;éorique 
et pratique sur les métaux. OODWlellt eUe lait commumquer lei 
romcs..qes du désir et ceDes de la colUlllÏ»sance. do la mêm~ 
~lImière que Be répondellt et le rapprochent pu de lecritel 
alfinités le. métaux et. 1. astres. Aux confU18 du laToir. Il où 
il se fait tout. puissant et qu&ai divin, trou grandes fonctiona 
le rejoignent - ceUoe du BIJBu"",. du PhilolOpho. et du MiIld­lico,. 
Mais tout. comme ce savoir n'., donn6 que par fragmu ... 
et dans l'éclair attent.if de la oef'ÏniMio, d. même, f.0ur 1 .. rap­portl 
sin(,ruliers et. partiels des choses et du méta. du désir et 
des prix, la cOWlllÏIIsance divine, ou celle qu'on pourrait. acquérir 
c de quelCJue observatoire êlev6» n'est pas donn~e h l'~ooune. 
Sauf par mstants et comme pSf chance aux Cllpntl qw lavent 
guetter: o'cst-l-dire aux marchands. Ce ~e les J.w',., étaient 
au jeu ind6fiDi des ressemblances et des SJgnes, les m41'chantù 
le sont au jeu, toujours ouv.ert lui aussi, des éohanges et d. 
lJIflnnllics. 1 D'ici-bal nous découvrons li. peine le peu de chOl!eII 
qui nous entourent et nous leur donnons un prix selon que nous 
les voyous plus ou moins demandées en chaque lieu et en 
chaque temps. Les marchands en. sont promptement et fort 
bien aver1.Îll, et C'lst pourquoi ib connaissent admirablemeDt 
le prix des oholln 1. » 
III. LB •• XC4NTII.I ••• 
Pour que le domaine des richesses se constitue comme objet 
de rélloxion dans la penl~e classique, il a Callu que se dénoue la 
confil,'Ur8tion établie au xv .. sièclfl. Chez les 1 économistes» de 
)a Ren~issance, et jusqu~à Davanzatti lui-même, l'aptitude de la 
m~ruuu., à mesurer les marchandises et son écbangeabilitê J'epo- 
881.e~t sur sa valeur intrinsèque : OD savait bien que les métaux 
~':Ccle~ avaient peu d'utilité en dehors du monnsyR17e; mai. 
-, J)S &vlllent été choisis comme étalons, li 'ils étaient utili~6s dana 
1 échange, li pal' ,conséquent ils atteignaient un prix êlevé, c'est 
pa~ que dans 1 ordre naturel, et en. eux-mêmes, ils avaient un 
priX ahllolu, fllndamenta.I, plus élevé que tout autre, auquel on 
1. DaY.oulU, ~ 'ur 'U mennaiu. p. 231.
i86 Lu mot. ., lu choau 
pouvait: référer la valeur de cbaque marcbandise 1. Le ben .. 
mêtal était, de soi, marque de ]a richesse; Bon éclat enfoui indi­quait 
oSIez qu'il était à la. fois prMence cachée et visible siçna­ture 
de toutes les richesses du monde. C'lIst pour cette r11lson 
qu'il Rvait un pri:&; pour cette raison aU!I9i qu'illllMI,rait tous 
les prix; pour cette raÎllon enGn qu'on pouvllit l' tichang/jr contre 
tout co qui avait. un prix. il était le précülUJ par excellence. Au 
xvIIe si~clo, on attribue toujours ces trois propriétés à la 
monnaie, maia on los fait reposer toutes trois, lion plus sur 1& 
première (avoir du prix), mais sur la dernière .(5e substituer à 
ce qui a du prix). Alors que la Renaissance Condait les deux 
fonctions du m~tal mounayé (mesure et suhstitut) sur le redou­blement 
de !Ion auacl.ère intrinsèque (le fait. qu'il était précieux), 
le XTl1e siècle fait basouler l'aoalysc; c'est]a (onction d'échAnge 
qui Bert de fondement aux deux autres caractères {l'aptitude à 
mesurer et la capftcitê de recevoir un prix apparaiasant alortl 
comme des qualité8 dérivant de celte (unction). 
Ce renversement, il est l'oeuvre d'un eosemblo de réOexioDB 
et de ,Pratiquel qui se distribuent tout au long du XYUe siècle 
(depuIS Scipion de Grammont jusqu'à Nicolas Barbon) et qu'oo 
groupe BOUS le terme un peu approximatü de «mercantili.'!me 1. 
HAtivement, on a coutume de le caract6rÏA8r par un Il monéta­risme 
1 àbsolu, c'est-à-dire par une confusion systématique (ou 
obstin~e) dos riches80s et des espèces monétaires. En lait, co 
Jl'est pas une identité, plus ou moins confuse, que le c morcan­tilisme 
li instaure entre les unes et les autres, mais une arLicwa­tion 
réfléchie qui fllit de la mQnnaÏe l"instrument de rel,r(:senta­tion 
et d'analYse des richesses, et fait, en retour, des richesses 
10 contenu reJll'êsenté par la monnaie. Tout comme la vieille 
configuration circulaire des similitudes et des marques !J'était 
dénouée pour se déployer selon les deux nappes corrélatives de 
la représentation et de~ signes, de même le cercle du 1( précieux li 
se déCait à l'époque du mercantilisme,les richesses se dêpIoient 
comme objets des hesoins et des désirs; elles se divi!lent. et 18 
substituent les unes aux autres par le jeu des espèces mQD,­nayées 
qui les signifient; et les rapports réciproques de Ja 
monnaie et de la richesse s'établissent sous la forme de la Cll'" 
culation et des échanges. Si on a pu croire que le mercantilisme 
confondait richesse et monnaie, c'e!t sans doute parce que la 
monnaie ft pour lui le pouvoir de représenter toute riches!IC pos~ 
aible, parce qu'elle en ellt l'ÏQstrument universel d'analyse et de 
1. Cf. cncore au·début du XTII' .illcle celte proJloeiLion d·Anl.oinc de La 
Pir.rre : • La valeur eS!lCntlclle dK espèces deR IQ(lnnHies d'or et d'lIrg~~~ ~t 
fondée Bur lu matière précieuB8 qu'eUIlI cODUt:wllnL. IDe la nloeurli .. II 
,MmtRr) (5. J. JI. d.).
&1uJngtlr t57 
re résentat.ion, porce q:u'elle couvre sanl risidu rensembl~ d~ 
JO~ domaine. Toute nchesse est monnayable; et c'est 81nlll 
'elle ent.re en circulation. C'était de la même façon que tout 
itre naturel étoit caracUris{Jble, et qu'jl pouvait entror daDa 
une ttJ:dlwmiej quo tout individu était nommabk et qu'il pouvait 
entrer dans un langag, articulé; que toute représentation était 
aignifWbla et qu'ollo pouvait entrer, pour êtl'e connue, dans un 
.y~tbno tl'identith " dB diffirencu. 
Mais ceci demande la être examiné de plus pl'ès. Pamü toutes 
les choses qui existent daDa le monde, quelles sont celles que le 
mercantilisme va pouvoir appeler" richesses I? Toutes celles qui, 
étant représentables, BOnt de plui objets de désir. C'est-la-dire 
encore ceUes qui sont marquées par "la nécessité, ou l'utilité, 
ou le pluisir ou la rareté 1 ;,. Or, peut-on dire que les métaux CJ.ui 
servent li. fabriquer dos pièces de mOlUlaie (il ne s'agit pas Ici 
du billon qui ne sert que d'appoint dans certaines contl'ées. 
mais de celles qui sont utilisées dans le commerce extérieur) 
fas98nt partie des ricbesge9? D'utilité, l'or et l'argent n'en ont 
que très peu - « autant qu'on poUl'l'8it s'en servir pour l'usage 
de la maison Ij et ils ont beau être rares, leur abondance excède 
encore ce qui est requis pour ccs utilisations. Si on les recherche, 
si les hommes trouvent qu'ils leur font toujOUl'll défaut, .'iIa 
creusent des mines et s'ils se font la guel'l'8 pour s'eu emparer, 
c'eet que la fabrication des monnaies d'or et d'argent leur ont 
donné une utilité et une rareté que ces métaux ne détiennent 
pus par eux-mêmes. "La mOlUlaie n'emprunte point sa valeur 
de la matière dont eUe est composée, mais bien de la fOrlDe qui 
est l'image ou la marque du Prince 1 •• C'est parce que l'or est 
lDonn~ie qu'il est précieux. Non pas l'inverse. Du ooup Jo raJ;l­port 
III étroitement fixé au XVIe siècle est retourné: ]a monnaie 
(et jusqu'au métal dont. elle est faite) reçoit 158 valeur de SQ 
pure fonction do signe. Ce qui entraîne deux conséquenc6tl. 
D'abo~ c,~ n'es~ plus du métal que viendra la valeur desch08es. 
Celle-cI s etablit par elle-même, SanI! référence à la monnaie, 
d'après des critères d'utilité, de plaisir ou de rareté; c'est par 
1'8PPOrL les unes aux autres que les choses prelUlent de la 
valeurj le métal permfttra seulement de représenter cette 
valeur, c0m"me un nom représente une ima~e ou une idée, mais 
Ile la constitue pas: « L'or n'est CfUe le Bigne et l'instrument 
u8l!el p,?ur mettre en pratique la valeu!' des choses; mais la Traie 
es~lIUatlon d'jcelle tire sa source du jugement humain et de 
"a~g· t~~IP(II~ .de Grammont., Le D.nier roI/fll, will; eul'ieua Ü rtll' el· d. 
2. . n~s, 1(120), p. 48. 
Id., 161d •• p. 13-14.
188 
cette faculté qu'on Domme estimative 1 •• Les riobe~ses !lOut 
lea richesses parce que noua les estimona, tout comme nos idee. 
IODt ce qu'elles sODt parce que DOUS noua les repr6sentons. Le. 
aigDes monétaires ou vuhaux s'y ajoutent de surcroît. 
Mais poul'fJUoi l'or et l'argent, qui eD eux-mêmes ne sont 
qa'à peine des richesses ont·ils reçu ou pris ce pouvoir !ligrü• 
fiaDt? On pourrait bien, sans doute, utiliser une autre marchan. 
diae à cet effet« pour si vile et abjecte qu'elle loit ·1. Le cuivre 
qui, dllJl& heaucoup de nations reste à l'état de matière bon 
marché, De devient précieux cllez certaines que dans la mesure 
où on le vaus(orme en monnaie i. Mais d'une façon gtnél"'dle 
on se 8ert de l'or et de l'argent parce qu'ils recèlenL en eux. 
mêmes une 1 perfection propre •• Pcrfection qui n'est pas de 
l'ordre du prix; mais relève de leur capocit6 indéfinie de repr6- 
aentation. Ils 80nt durs, impérissables, inaltérabl68; ils peuvent 
se diviser en parceUes minuscules; ils peuvent l'Ilssernbler un 
grand poids 1I0U8 un volume faible; ils peuvent Ôtl'C facilement 
transportés; ils sont faciles à percer. Tout ceci fait de l'or et. de 
l'argent 'un instrument privilégié pour représenter toutes les 
autres richesses et eD {aire par analyse une comparai8on rigou. 
reuse. Ainsi se trouve d6fini le rapport de la monnaie aux 
richesses. Rapport arbitraire puisque ce n'en pas la valeur 
intrinsèque du mêtal qui donne le prix aux cho!lcs; tout objet 
même sans prix peut servir de monnaiei mais il faut encore 
qu'il ait dei quahtés propres de repréllentation et des capacit61 
d'analyse qui pennettent d'établir entre lei richesses des rap­ports 
d'égalité et de différence. Il apparalt alors que l'utili· 
sation de.l'or et de l'argent est justement fondée. Comme le 
dit Bouteroue. la monnaie, lo'est une portion de matière à. 
laqueUe l'autorité publique a donné un poids et une valeur 
certaine pour servir de prix et êgaler dans le commerce l'in6- 
galit.6 de toutes choles« 1. Le c mercantilisme 1 a à la fois 
lihér6 la monnaie du postulat de la valeur propre du métal - 
• folie de ceux pour qui l'argent est une marchandise COJDJDB 
une. autre 6 , _ et établi entre eUe et la riCIU:1I66 un rapport 
rigoureux de representation et d'analyse. c Ce qu'on regarde 
J. SciJlion de Grammont, Le INnl", l'filial.""", eurleuz de rOI' cl de tar­gen' 
(Paris. 1620), p. 4~7. 
~. Id., 'l/Cd., p. 14. 
3. &.hroerlf'r. Fa,.,UirJlc Sthafz un411cnlkllmmer, P. J Il. Montanarl, Ddll 
",onela, p. 35 • 
.c. BUUleroUB, Il"r.crdlea t:wiDIHI d. IfIOnnaf. de Frunce (Paris, 1666). 
p.8. 
fi • .JOBU& b Gee. CtltUltUl'at/olII ,ur le comm,/U (trad. 1749), p. 13.
ÉehnngtT 189 
dODlIlo mOnDaie, dit !Jarbon, ~e n'es~ pas, tel1e~eDt ]a ~antité 
d'argent qu'elle contient, malS le fait qu elle 81t cours •• 
On est d'ordinaire injuste, et deux lois, avec ce qu'il est 
convenu d'appeler ]e c mer~tiltsme:l : soit ~u'f!n dénonce 
eo )li ce qu'il n'a cess6 do critiquer (la valeur Jntrtn.'1èque du 
métal comme principe de richeRse), Boit qu'on découvre en lui 
UDe série d'jmmédiate.'1 con~radictj~ns : n'a-t-il ,I!8S défini la 
monnaie dans sa J1ure fonction de sIgne, alors qu Il en deman­dait 
l'accumulation comme d'une marchandise? n'a-t-il pns 
reconnu l'importance dr.s fluctuations quantitatives du numé­raire 
et méconnu leur action sur le!! priX? n'a-toi] J'la!! été pro-tectl. 
O' nru-ste, tout en 1o nd ant sur l" cc hange le m'p. cam. sme d'a e-croi~! 
lcmcnt des richesses? En lait ces contradictions ou ces 
Msitations n'existent que si on pose au mercantilisme un 
dilemme qui ne pouvait pas avoir de sens pour lui : celui de la 
monnnie mnrchandise ou signe. Pour la pensée classique en 
train de S8 constituer, la monnaie, c'est ce qui permet de repré­IIcntn' 
]es richesses. Sans de tels signes, les richessesresteraient 
immobiles, inutiles et CODlDle silencieuses; l'or .,t l'argent sont 
en ce sens créateurs de tout ce que!'holDJDe peut convoiter. Mais 
pour pouvoir jouer ce rôle de représentation, 11 faut que la 
monnaie prêsente des propriétés (physiques et non pRS écono­miques) 
q1li ]0 rendent adéquate à sa tàche, et partant pre­deuse. 
C'est à titre de signe universel qu'eUe devient marchan­dise 
rare et inéwtlement répaJ'tie: 1 Le cours et valeur imposés 
à toute monnaie est la 'Vl'IIie honté intrinsèque d'icelle 1. It Tout 
comme dans l'ordre des représentations, les signes qui lc8 rem­placent 
et les analysent doivent être eux aussi des représenta­tions, 
ln monnaie ne peut signifier les richesses sans être eUe­même 
une richesse. Mais elle devient richeslle parce qu'eUe est 
signe; alors qu'une représentation doit être d'ahord representM 
peur ensuite devenir signe. 
De Ill, les apparentes contradictions entre les Jlrineipes de 
l'accumulation et les règles de la circulation. En un moment 
donné du temps,]e nonihre d'espèces qui existent est détenniné; 
Colbert penslÛt même, malgré l'exploitation des mines, malgré 
]e métal américain, que c la quantité d'argent qui roule en 
Europe est constante li. Or c'est de cet argent qu'on a hesoin 
pour représenter les ricllesses, o'est-à·dire les attirer, les faire 
apparaître en les amenant de l'étranuer ou en les fabriquant sur 
plaCtl; c'est de lui aussi qu'on a hes~in pour les faire passer de 
16~}N. BOl'bOn~ ~ diltourte concernlng colninglhentIDmonq lighrtr (Londres, 
"" , Dnn pRglDe. 
'l. DumoullD (ci1~ pDr Gonnard, HU/oire du Ih~rfu monllafru, l, p. 1 iJl.
190 
main en main dans les processus d'échange. n Iaut donc impor­ter 
du métal en le prenant aux Stats voisins: • n n'y a ,UO le 
commerce seul et tout ce qui en dépend qui puissent prodwre ce 
grand ettet 1. ,. La législation doit dono veiller à delL'C chose., : 
1 interdire le transfert du métal 111'étr8ngerou8oll utilisation à 
d'autl'llS fins que le monnayage, et fIxer des droits de douene 
tels qu'ils permettent 11 la halance commerciAle d'être toujours 
positive, favoriser l'importation des marchandises bru~es, pré­venir 
autent que possible cene d'objets fabriquês, exporter les 
produits manufacturé!! Jllutôt que les denrées elles-m~mes dont 
)a dillparition amène]a di!lctte et provoque]a montée des prix' •. 
Or, Je métal qui s'accumule n'est pas destiné Il s'engorger ni 
li dormir; on ne l'attire dans un état que pour qu'il y IOlt 
consommé par l'échange. Comme Je disait Becher, tout ce qui 
est dépenlle pour l'un des partenaires est rentrée pour l'autre 1; 
et Thomas Mun identifiait l'argent comptant avec ]a fortune c. 
C'est que l'argent ne devient richesse réelle que dans l'exacte 
mesure OIi il accomplit sa fonction représentative: quand il 
remplace les marchandises, quand il leur permet de 5e déplucer 
ou d'attendre, quand :il donne aux matières brutes l'occasiou 
do devenir consommables, quand il rétribue le travail. Il nt, 
a donc pas Il craindre que l'accumulation d'argent dans un 
ttat y fasBe monter les prix; et le principe établi par Bodiu 
que la ~ande chertt: du XTJfI sièole ôtait due Il l'atllux de l'or 
améncam n'est pas valable; s'il e~t vrai que la multiplication 
du numéraitoe fait d'abord monter les:prix,il stimule le commerce 
et les manufactures; la quantité de J'lchesses crolt et le nombre 
d'éléments entre lesquels se répartissent les eBp~ces se trou.n 
augmenté d'autant. La hausse des prix n'est pal' Il redouter: 
au contraire, maintenant que les objets précieux se 80nt mul­tipliés, 
maintenant que les bourgeois, comme dit Seipion de 
GramoJont, peuvent Jlorter« du satin ct du velours ., la valeur 
des choses, même les plus rares, n'a JIU que baisserparrllpport 
Il )a totalité des autres; de même chaque fragment de métal 
perd de sa valeur eu face des autres à mesure qu'augmente la 
masse des espèces en circulation 1. 
Les rapports entre richesse et monnaie s'établissent dOM daU8 
la circulation et l'écbange, non plus dans la • préciosité 1 dll 
métal. Quand les biens peuvent circuler (et ceci grâce à la mou- 
1. C}('mf'nt. L~llrf~t inllrurlinn. el mtmllir~" de Cdlbf.rl, Le VIT, p. 2.19. 
2. Id., ibid., p. 2S-S. cr. lIu~si nOllU,foue, IItr:l'UC/IU euriculu, p. 10-11. 
3. J. B...eher, Poli/i,clrer Di.lrun(1668) • 
•• Th. Mun, Engbmd TretJlUre bU ,~relf1n Irade (16641. cbap. Il. 
'j. Scipion de Grammont, Le Denier N'liaI, p. 116-11l~.
191 
ie) il. se mulLiplitlnt et. lei richesses augment.ent; quand les 
:plJ~es deviennent plui nombreuses, par l'eflet d'une bonne 
ïrculation et d'une balance favorable, on peut attirer de 
c ouvelles merchandiaes et multiplier les cultures et les fabriqueL 
il faut. donc dire avec Homeck que l'al' et l'argent. sont 1. 
lus pur de notre sang, la moelle de nos forces 1, • lea inatru­~ 
ent.81es plus indiapellBables de l'activit6 humaine et de notre 
"exist.euee 11. On retrouve ici la vieille mbtaphore d'une monnaie 
ui serait fi. la aooiêté ce quo le sang est au corps·. Mai. chez 
~avallZlllti, les espèces n'avaient pas d'autre rôle que d'irri­guer 
les diverses parties de la nation. Maintenant que mOQlUlie­et 
richesse lont prises toutes deux Il l'intérieur de l'espace des 
échanges et. de la cireulation, le mercantilisme peut ajuster SOIL 
analyso lUI' le modèle récemment donné par Harvey. Selon 
Hobbes '. le circuit veineux de lAl monnaie, c'est celui des 
impÔts et des taxes qui prélèvent lUI' les marchandiaes trau­portées, 
achetées ou vendues, une certaine masse métallique; 
celle-ci ellt conduite jusqu'au coeur de l'Homme-Léviathan, 
- o'est-b.-dire jusqu'aux cotTres de l'ttat. C'est là que le métal 
l'eçoit. le • principe vital • : l'Jl:tat en elIet peut le foodre ou 1. 
remettre eu circulation. Seule en tOut cu, Ion autorité lui don­nera 
cours; et redistribué aux particuliel"ll (lOua forme de pen­lions, 
de traitements ou de rétribution pour dei fournitures 
achetées par l'~tat), il.timulera, danale second cirouit, main­tenant 
artériel, la échangllll, les fabrications et les cultures. La 
circulation devient ail18i une des catégories fondamentales de 
l'aualyso. Mail 10 traD8fert de ce modèle physiologique n'a 
été rendu posllible que par l'ouverture plua profonde d'un espace 
commun à la monnaie et aux signee, BUX richesses et aux repré­lenllitiollS. 
La métaphol'O, tellement assidue daue notre Occi­dent, 
de la cité et du corps, n'. pris, au xvnl siècle, sea pouvoira 
imaginaires que SUI' le fond de néce8Bités archéologiquel bien 
p1us radicales. 
A travers l'expél'icnce mercantiliste, le domaine des ricbess .. 
se constitue SUI' ]e même mode que celui des représentations_ 
On ~ vu que cellc8-ci avaient le pouvoir de se représenter k 
~Drt.!r d'eUell-mêmes : d'oum CIL soi un espace où elles s'ana­yS,!" 
lent et de fOl'Dler avec leurs propres éléments des .uhstitute 
IJUl permettaiènt ilIa fois d'établir un syatème de eignes et un 
tableau des identités et des diJlérencea. De la même façon, 1. 
1. Horneek, Ourerrricl& Qw fllla, INItia • miU (168&). p. 8 el 188. 
• 2. ,Cf, . DavallZ8UI, Lqpn .ur la mofIIUIic (cité par J.-Y. L. Srauchu, 
p. t ., t. Il, p. 230'. 
3. Tb. Hobbea, l.flllialhan (M. 19CN. Camllddp" p. 1711-180.
192 
richesses onL le pouvoir de s'r.changer; de s'analyser en PRrties 
qui Ilutoril!ent. des rapports d'égalité ou d'inégalité; de sesigni. 
tier les unes los autres par ces éléments do richoeses parfaitement 
comparables que sont les métaux précieux. Et tout comme le 
monde ent.ier de la repr~sentation Be couvre de repré5entfltiol1l 
au second deJ,rré qui les représentent, et ceci eD une chatne 
ininterrompuc, de même toutes les richesses du Dlonde sont 
en rapport les unes avec les autres, dans ]a mesure où elles font 
partie d'un sY!ltème d'échange. D'une représentation Il l'autre 
il n'y a pas d'acte autonome de signification, mais une 8impl~ 
et indéfinie possibilité d'échange. QueUes qu'en aient. été les 
déterminations et les conséquences éconOmiques, ]e mercanti. 
li5rue, si on l'interroge au niveau de l'lpÏ8ldmA, apparatt comme 
le lent, le long eJJort pour mettre la réflexion SUl" les prix et la 
monnaie dans]e droit fil de l'analyse des représentations. na 
fait surgir un domaine des 1 riohesses Il qui est eonnexe de CellÛ 
qui, vers la môme époque, s'cst ouvert devant l'hi5toire natu· 
relie, de celui également qui s'est déployé devant la grammaire 
gên6rale. Mais 8]Ol'S que duns ces deux derniers cas, la mutatiOQ 
s'ost faite brusquement (un certQin mode d'être du langage 
se drosse soudoin dans la Grammaire de Port-Royal, un certam 
mode d'être des individus naturels se manifeste presque d'un 
ooup avec Jonston et Tournefort), - en revanch~ le mode 
d'Otre de la monnaie et de la riehe$se, parce qu'il était Iii à 
toute une prtJ3:Ü, à tout un ensemble ilUltiLutiuDDel, avait un 
indice de viscosité historique beaucoup plus élevé. Les êtl8l 
naturels et le langage n'ont pas eu besoin de l'équivalent de 
]a longue opération mercantiliste pour entrer dans le domaine 
de la représentation, se soumettre à ses loi8, recevoir d'elle S611 
ligue. et ses principes d'ordre. 
IV. LB GAGB BT LB PRIX 
ta théorie classique de la monnaie et des prix s'est 
élaborée il travers des expériences llistoriques qU'OD connait 
bien. C'est d'abord la grande prise des sigues monétai~s 
qui a commencé assez tôt en Europe au xvn8 siècle; faut-!l 
en voir une premi6re prise de conscience, encore margt­nale 
et allusive, dans l'affirmation de Colbert. que la ma~S8 
métallique est stable en Europe et que les apports américalDS
i93 
auvent être négligés? En tout cas, on Cait l'expéraence, il la 
~n du siècle, que le métal monnayé ost. trop rare: régression du 
copUJlcrco, bai!se des prix, d!mc~It.é9 pour payer ~es dettes, les 
rente!! et. les impôts, dévalorisation de ln terre. D où la grande 
lI~rie des dévaluations qui ont lieu en France I,endant Je. 
quil17.c premières annéc~ ~u ~mfl siè~~e pou~ mullip~ier 1. 
numérnire; les onze·~ dlmmutlOn!!. (reevaluauons) qw sont 
échelonrti:cs du 1er dccembre 1713 nu 1er septembre 1715, et 
qui 80nt desl.Ïnées - mais c'est un échec - à remettre en cir­eulation 
10 métal qui se cache; toute une suite de mesures qui 
diminuent. le taux des rentes et en réduisent le capital Dominai; 
l'appnrition des billets de monnaie en 1701, bieJLtôt rem­placés 
pnr des renLos d'.f;tat. Parmi bieD d'autres conséquences, 
l'expérience de Law a permis la réapparition des métaux, l'aug­mentation 
dcs prix. la réévaluation de la terre, la reprise 
du conlTncrce. Les édits de janvier et de mai 1726 instaurent, 
pour tout le XVIIIe sii.'Clc, Ulle monnaie métallique stable: ils 
ordonnent la Cabrication d'un louis d'or qui vaut, et vaudra 
jUlIqu'à la Révolution, vingt-quatre livrllS toumois. 
On 8 l'habitudo de voir dans ccs expériences, dans leur 
t".ontexte théoriquo, dans les disc(L'Isions Iluxquclles elles ont 
donné lieu, l'allmntcmcnt des partisans d'une monnaie-signe 
,:ontre ceux d'Ilne monnaie-marchandise. D'un côté on IRet 
t,nw, bien enf,endu, avec Terrasson 1. Dutot l, MontesqUieu '. 
Je ctlllv!!lier de Juucourt t; en face, on J'flnge, outre Paris­Duvern'}", 
le cham~clicr d'Aguesseau " CondiUac, Destutt; 
entre les deux groUpl'.5, et comme sur une ligne mitoyenne. 
il faudrait mettre ~felon 7 et Graslin '. Certes, il serait iutéres­sant 
de foire le décompte exact des opinions et. de déterminer 
comment ellcs se sont distribuées dans les dilIérents lP'Oupes 
sociaux. :fais si on interroge le savoir qui les a, les unes et les 
uutre~. rendues possiLles eu même temps, on s'aperçoit que 
l'opposition est superficielle; et que li elle _t Déeeuaire, c'est 
à par!ir d'une disposition unique qui ménage seulement, eD 
un pomt déterminé, la [Durche d'un choix iowspeDBable. 
1 1. Terrasson, Tl'fli. lerrrea .ur le "/JUl/oeII ,"g.Ume du plltlnca (Pari" 
;20). -. 
2. Dutot, mflrzion • • ur le CIlmmeI'U d lu flnancu (Paris, 1738). 
3. ~~"ntp.lIfJuil'U, L'E.pril clu loi., Uv. XXll, cbap. ll. 
oC. !illr!Jr1"pldit, nrUcle • Monn:.ie •• 
11 f1• i'1I.i .. Ouvemey, b'zamen du rlpc:don. poliliqua 'ur lu flnancu (La 
hye. 17.10). 
1-6,., ~'~tS5tnu, CUllliduallcln. 'UI' la monnGl., 1718 (OEuuru, Paria, 
, ". Xl· 
~. ~elo~, E,wf JHjliliquc .,.r le cammuoe (PUil, 1734) • 
• .... rallan. a"lIi ana/yl;V," 8111' lu rldla,u (Londret, 1787).
19' Le. mots et lu ch o •• 
Cetle disposition unique, c'est celle qui définit la mon­naie 
comme un gage. D6fiDÏtion qu'on trouve chez Locke, et 
un peu avant lui ohez Vaughan 1; puis chez Melon - «l'or 
et l'argent sont, de 6ODvenl.ion générale, le gage, l'équiva­lent, 
ou )a commune mesure de tout ce qui lIert à l'usage dlll 
hommes 1 • -, ohez Dutot - c ICI richesses de confiAnce Ou 
d'opinion ne 80nt que représentatives, comme l'or, l'Argent, )e 
bronze, le cuivre 1 • -, chez ForLbonnais - «le point impor­tant. 
dans les richesses de convention conl'iiste • dans l'aRRu­rance 
où sont les propriétaires ùe l'argent. et. des denrées de les 
échanger quand ils le 'Voudront. •• sur le pied établi par l'usage' ». 
Dire que la mODDaie est. un gago, c'est. dire qu'elle n'est rien 
de plus qu'un jeton reçu de coDllentement commun - pure 
:fiCtiOD par coDSéquent; mais c'est dire aUBsi qu'elle vaut exac­tement 
ce contre quoi on J'a donnée, puisqu'fl SOIl tour elle 
pourra être échangée contre cette mllmequontiLé de marchandise 
ou Bon équivalent. La monnaie peut toujours ramener entre 
les mains de son pl'Opriêtaire ce qui vient d'être échangé 
60ntre ollo, tout comme, dans la représentation, un s4,'118 doit 
pouvoir 1'8IDener ft. la peaaée ce qu'il rep1'ésente. La monnaie, 
c'est une solido mémoire, une représentation qui se dédouble, 
un échange dilféré. Comme le dit Le Trosne, le commerce qui 
8e sert de la monnaie cat un perfectionnement dans la mesure 
même où il ost c un commerce imparfait 1 IJ un acte auquel 
manque, pendant un temps, celui qui le compense, une demi­opération 
qui promet et attend l'échange invene par lequel le 
gage se trouvera reconverti en son contenu effectif. 
Mai. comment le gage monétaire peut-il donner cette assu­rance? 
Comment peut-il échapper au dilemme du signe 80DS 
valeur ou de la marchandise analogue Il toute!! lils autres? C'est 
là que so situe pour l'analyse classique de ln monnaie le point 
d'hérésie, - le choix qui oppolle aux partisans de Law Bes 
adversaires. 011 peut concevoir, en effet, que l'opération qui 
gage la monnaie est. assurée par la 'Yaleur marchande de la 
mutière dont elle est. faite; ou au contraire par une autre mar­chandise, 
li cHe extérieure, mais qui lui serait liée pnr le COUllen­tement 
coUectif ou III volonté ùu prince. C'est cette seconde 
1. VRu~.n, A dlKou"H of coin and cc/nage (Londrell, 1671)), p. 1. Locke, 
CUnllidmlliCl". DI flIC lOUJel'lng 01 int_k (Wor"", Lundrell, 1801, ... V, 
p. 21-231. 
2. )teloR, B"al pollliquc .ut' k I:OIIImuct (in Doire, EcoRom"'" el fIM1J" cu,.. du XVlll" ,(<<le, p. 161). 
3. Dulot, IUflt:lliOM 'ur la e~e d lu pnancu, iloid •• p. 905·90-;. 
4. Vrroll.de Forlbonnli8, Ëlbntnll de CClmmtrt:t, L lI, p. 91. Cf. aueel 
li,clltrdlq ,1 ccn.idtl'fJ/ion. IUt' It~ ritllulU d' la FMrIC', Il, p. mm. 
li. 'Le TroIiDe, De flnftrft _ial (in Doire, Lu PlIg.iocrtll., P. 908t.
195 
IUlion que choisit Law, la cause de la rareté du métnI et des 
10 l'Iluu'ons de S8 valeur marchande. Il pense qu'on peut 'aire 
Ol'JlC'C uler une monnaI'e de papi'er "qws eralt gagé e par l a pl'Oprl' é t é 
f~ncière : il ne s'ugit alor~ q~e d'ém~ttr~ 1 des billets hrP0thé. 
qués sur le~ terre:! et qUI dOlvent li étemdre par des paiements 
annut:ls .. , ccs billets circuleront comme de l'argent mGnnayé 
pour la v~leur qu'ils expriment 1 J. On sait que Law fut obligls 
de rtluonc~r il ceLLe technique dans son expérience française et 
qu'il lit llSsurer le gage de la monnaie pur une compagnie de 
comlllerce. L'échtlO de l'entreprise Il'a entamé en rien la théo· 
l'je de la monnaie-guge qui l'avait rendue pObibte mais· qui 
rendai. égalementpo:!swle toute réflexion.ur la monnaie, même 
oppOliée aux conceptions de Law. Et IOl.'lqu'unemonnaie métal· 
)j'lue 8lab10 lIora instaUJ'ée eu 1726, le gage Bera demandil à la 
8ubstance même de l'espèce. Ce qui 8saure à la monnaie son 
échllllgeabilité, ce sera la valeur marchande du métal qui ,'y 
trouve présent; et Turgot critiquera Law d'avoir cru que c la 
monnaie n'est qu'une riches~e de signe dont le crédit est Condê 
sur la marque du prince. Cette marque n'est là que pour en 
certifier le poids. et le titre ... C'est dono comme morchlUldise 
que l'argent est non pas le signe, mais la commune mesure des 
autres marchandises ... L'or tire son prix de sa rareté, et bien 
loin que ce soit un ma] qu'il soit employé en même temps ct 
comme marchandise et comme mesure, ces deux emplois sou­tiennent 
son prixz •• Law, avec seS partisans, ne s'oppose pas 
li son siècle comme le géoial- ou imprudent - prêcurseur 
des monnaies fiduciair ..' S. Sur le même mode que ses adversaires, 
il définit )a monnaie comme gage. Mais il pense que le fonde­ment 
en sera mieux aS!luré (à la 'oi. plws abondant et plus 
stable) par une marchandise extérieure à l'espèce monétaire 
eU.e-même; ses advel"8l1ires, en revanche, pensent qu'il sera 
DIJeux assuré (plws certain et moins soWD.Ï& aux spéculations) 
par la 8ubs~ncu mél.allique qui con.st.itue la réalité mutérielle 
d~ lu monRale. Entre Law et ceux qui le critiquent, l'opposi. 
tion ne concerne que 18 distance du ~geant au gaaê. Dans UD 
cabans, ]a rnon~e, allégée en eUe-rnê~e de toute ~aleur mar­c 
de, mau ilsaurOO par une valeur qui lui est extl!rieure, 
est ce 1 par quoi;,on écbonae les marchandises 1. dans l'autre 
cas, la monnaie ayant en s~ un prix est il la Cois 'ce 1 par quoi. 
et ce 1 pour quoi • on échange les richCllses. Maia dans un cas 
,1. Law, COlIIidirallon. IUJ' 1, nDmUalre (In DaIre, ~nomilfee el /ùlrm­CI~ 
du XV1JIOlllill:l" p. 61IJ). 
p, i4~~f,ï~' Suund~ ldlre li l'abbi de Ci~, 1'''9 (OEuv1'U, M. Schelle, t. l, 
3. Law, Canaidb-aliom IUf le numll'a/re; p. 472 If.
196 Les mou et lM Ch03Cb 
comme dons l'autre, ]a monnaie permet de fixer le prix des 
ohoses grâce il un certain rapport de proportion avec Jes 
richesses et ~n certain pouvoir de les faire circukr. 
En tant. que gage, ]a monnaie désigne une certaine richcsse 
(actuelle ou non) : elle en établit le prix. Mais le rapPOrt. 
entre la monnaie et les marchandises, dOllc le système des 
prix, se trouve modifié dès que la ~uantité de monnaie ou 
]a quantité de marchandises en un pornt du temps sont, elles 
aussi, altérées. Si la morwaie est. en petite quantité par rap­port 
aux biens. elle aura une grande valeur, et les prix: 
seront bas; si sa quantité augmente au point de devenir abon­dante 
en (ace des richesses, alors ulle aura peu de valeur et les 
prix: serout hauts. Le pouvoir de représentation et d'analyse 
de la monnaie varie avec la quantité d'espèces d'une part, et 
avec la quanlit.é de richesses do l'autre: il ne serait conlllant 
que si les deux: quantités étaient stables ou variaient ensembl., 
dans une même proportion. 
La «loi quantitative» n'a pns été «inventée 1 par Locke. 
Bodin et Davonzatti savaient bien au XVIO siècle déjà que l'ac­croissement 
des masses métalliques cn circulation faisait 
monttll' le prix des marchandises; mais ce mécanisme apparais­sait 
lié li une dévalorisation intrinsèque du métal. A la fin du 
XVIIe siècle, ce m~me mécanisme est défirù à partir de la (OIlC­tion 
représentative de la monnaie, « la quantité de la monnaie 
étant en proportion avec tout le commerce!J. Davantage de 
métol- et du coup cbaque marchandise existant au monde 
pourra disposer d'un peu plus d'élémenb représcntatÜli; davau­tage 
de marchandises et chaque unité métallique sera un peu 
plus fortement gagée. nsuffit de prendre une denrêe quelconque 
comme repère stable, et le phénomène de variation appurait 
en toute clarté: ft Si nous prenons, dit Locke, le blé pour DlCllure 
fixe, nous trouveruns que l'argent a essuré dUDs sa valeur les 
mêmes variations que les autres marchandises ... La l'Uisoll en est 
sensible. Depuis la découverte des Indes, il y a dix {ois plu~ 
d'argent dans le monde qu'il X en avait alol'8; il vaut aUSSl 
9/10 de moins, c'est-à· dire qu il faut en donner 10 fois p~us 
qu'on en donnait il y Il 200 ans, pour acheter la même 'l.uanti.t~ 
de marchanditles 1. ,. La baisse de ]8 valeur du métal qw est le! 
invoquée ne concerne pas une certaine qualité précieuse qui lUI 
apparLiendrait en propre, mais son pouvoir général de représen· 
tation. 11 faut considérer les monnaies et les richesses COlDlue 
deux: masses jumelles qui se correspondent néce8soirem~nt : 
«'Comme ]e total de l'une est au total de l'autre, la partie de 
1. Locke, Con,idtralion. 01 ICHLoering of inlerul., p. 73.
197 
l' e !lera Il la partI•e d c l'a ut re• •• S'inl 'y aval' tqu' u ne mat'C h ail-d~ 
divisible comme l'or, la moitié de cette marchalldiserépoll­d~~ 
lia moitié du tGtal de l'autz;e cOté 1. 1 A suppo~er qu'il n'y 
Ilt qu'un bien au monde, tout 1 or de la terre serait III pour le 
:epre!lenter' et invc1'8cmcnt si les hlmunes ne disposaient l eux 
touS que d'~e pièce de mGnnaie, tou~s les ric~eSlies,quinaissent 
de la noture ou sortent .de leura ma~ns d~,·raJ.en.t 6 e~ p~rLager 
les subdivisions. A partir de cetLe 81tuatloo-lirmte, SI 1 argent 
se met Il amuer - les denrâcs restant. égales -. la valeur de 
chaque partie de l'espèce diminuera d'auLant 1; en revanche 
c si l'industrie, les arts et les sciences intrGduisent dans Je 
cerele des échanges de nouveaux. objet! ••. il faudra appliquer, • 
la Douvelle valeur de ces nouvelles productions, une portion d88 
signee rcpl'éseotatüs des valeurs; cette portion Atant J'Irise Bur 
la mosse des signes diminuera S8 quantité relative et 8ugmen­tera 
d'alitant Sil valeur représentative pour faire race li. plus do 
valeurs, sa fonction étant de les représenter toutes, dans les 
proportions qui leur conviennent 1 1. 
11 n'y a donc pal de jllste prix: rien dans une marchandise 
quelconque n'indique par quelque caractère intrinsèque la 
quantité de monnaie par quoi il faudrait la rét.ribuer. Le bon 
marché n'est ni plus ni moins exact que la cherlé. Pourtant il 
eXÙlte des règles de commodité, qui permettent de ber la 
quantité de monnaie par laqueUe il est souhaitable de représen­ter 
les richeges. A la limite chaque chose échangeable devrait 
avoir son équivalent - C Ba désignation» - en espèces; ce qui 
lerait sans inconvénient dans le cas où la monnaie utilisée serait 
de papier (on cn fabriquerait et on en détruirait, Bolon l'id60 d. 
Law, à mesure des besoins de l'échange); mais ce qllÎ I18raÏt 
gênant ou même impossible si la monnaie est métallique. Or, 
une lI~le et même unité monétaire acquiert en circulant le 
PO~VOLr de représenter plusieu1'8 chogel!; quand eUe change d. 
maLD, elle est tantÔt le paiement d'un objet Il l'entrepreneur, 
tantôt celui d'un salaire à l'ouvrier, celui d'1D1e denr6e au 
marchand, celui d'un prodllÎt au fermier, 011 encore celui de la 
rente all propriétaire. Une seule masse métallique peut au fil di ~emps et selDn les individui qui la reçoivent représenter S u.q1e.urs choses équivalentes (un objet, un travail, une mesure 
c hIe! unI) part de revenu), - comme un nom commun a 1. 
pOU~Olr do représenter plusieurs chosa, ou un caractère taxi­nor~ 
lIqUQ celui de représenter plusieurs individus, plusieurs 
espèces, plusieurs genres, etc. Mais alors que le caracLère ne 
~: ~~n~p.sqQI.elJ •. L'J?,pI'Ir du tol8, Uv. XXIT, ch.p .• n. 
s n, 1~1I6111 unal!JlI'lUe .1'1' lu riclrasu, p. 64·56.
fUS LB. mota et lu choae8 
couvre une généralité plull grande g:u'en devenant plus lIimple, 
la monnaie ne représente plus de richeaaes qu'en circulant plus 
-vite. L'extension du caractère se dé6nit par le nombre d'Ilspècea 
qu'il groupe (donc par l'espace qu'il occupe dllllS le tubleau)' 
la viLesse de circulation de la monnaie par le nombre de m8~ 
ent.re lellqueUe8 a patill" avant. de revenir à Ion point de d6w 
part (c'at pourquoi on çhoiait comme origine le paiement .. 
l'agriculture des produits de aa récolte, parce qu'ou a là. dea 
cycles annuels absolument çertaWs). Oll voit dono qu'à l'exten­. 
iou taxinomique du oaraotère dana l'espace simultané du 
tablellu correspond lu. vitesse du mouvement. monétaire pen­dant 
un temps défini. 
Cette vitesge a deux limites : une vitosse in6niment rapide 
qui semit celle d'un échange immédiat où la monnaie n'aurait 
)J8S de rèlle li. jouer, et une vitesse infiniment lente où chaque 
élément de richesse aurait son double monétaire. Entre ces deux 
extrêmes, il y a des vitesses variablcs, auxquelles correspondent 
les quantités de monnaiea qui les rendent possibles. Or, les 
cycles de la circulation sont commandés par l'annuité des 
récoltea : il est donc possible, Il partir de celles-ci et en tenant 
cornI' te du nombre d'individus qui peuple un :E:tat, de définir la 
quantité de monuaie nécessaire et .uJlisante pour qu'elle paue 
entrtl wuttlS lea maills et qu'elle y repre8eute au 1llOWa la 
Bubü.tance de ohaoUD. On comprend comment se BODt trouvées 
liéell, au xym8 siècle, les analyses de.lu. circulation à partir dea 
revenus agricoles, le problème du développement de la popula­tion, 
et le calcul do la quantité optima d'1l8pèce8 m01lD.ayées. 
Triple question qui se pose BOUS une for.1D8 normative: car le 
problème n'est pas de Bavoir par quols mécanismea l"argeut 
circule ou stagne, comment il S6 dépense ou 8'accumule (de 
telles questions ne sont possibles que dans une économie qui 
)Joserait les problèmes de )a production et du capital), mai, 
quelle est la quantité nécessaire de monnaie pour que dans un 
pays donné la circulation se faBse assez vite en passant par un 
auez grand nombre de mains. Alors les prix seront non p~' 
intrimièquement c justes., mais exactement ajustés: les diV'­. 
iODS de la mall'e monétaire analyseront les richesses selon UIle 
articula tion qui ne sera ci trop lâche ci trop serrée. Le c tableau 1 
lera bien luit. 
CeUe vroporLion opLima ll'est pu la même si on envisage un 
pays Ïtiolé ou le jeu de son commerce extérieur. En s .. ppoBa.n~ 
un J!:t.ut qui soit cllpablu de viV1'8 sur lui-même, la quanbte 
de monnaie qu'il faut mettre en oirculuLioIl dépend de plu­aieurs 
variable8 : la quantité de marohandiseB .qui en:r~.daD~ 
le s)'stèmedcs échanges; 10 part de ces marchandises qUi n eLuu'
199 
. d· o-ibuêe ni rétribuée par le système du troc doit être, à un 
ni 18own t quelconque da Bon parcoUl'll,. repruJBoel.b.e 8 plll' d a 1a 
lHomnllie. la quW1t.ité ùe métal l laquella ~eut. S6 subsûtuer la 
JllOicr ~~rit· enfin la rythme auquel dOivent .'ellautuor lea 
pilPcmeup :'il n'elt plia inditJérent, comme le fait rtmUll'quer 
t:~ltillon l, que lOI ouvrie~s lIoient payés h la. 8emni~e ou ~ la 
·ouruée que lua fOntes 10lent versêes 8U terme de 1 année, ou 
llutbt ~omme c'es' la coutume, à la fin de chaquo trimestre. La vaieun de ces quaue variables ~tant définies poU!' un pays 
dODDé, on peut. définir hl quanti th optima. d'espèces mM.al1iq~ell. 
Pour faire un calcul de ce genre, Cantillon part de la productIon 
de III terre dont toutes les richolll68 lont issues directement ou 
inùil'eCtem'ent. Cetta production se divise en trois rentes entre 
les mainll du lermier : la rent.e payée au propriétaire; celle qui 
elt utilisée à l'entretien du fermier, ft celui des hommes et des 
chevaux; enfin 1 UIle troÏl!ième qui doit lui demeurer pour faire 
profiter Ion entreprise Il. Or, seule la premièN rente et uno 
moitié environ de la troisième doivent ltre versées en ellpèces; 1. 
autres peuvent !tre payées IiOUS la formo d'échanges directll. Eu. 
tenant compte du fait qu'une moitié da la population réside dlUl& 
leB villes et a de8 dépellB68 d'entretien plus élevées que les pay­sane, 
on voit que la masse monétaire en circulatioll devrait 
etre presque égale aux 2/3 da la production. Si du moins toua 
les paiements se faisaient une lois par anj mais en fait la lente 
foncière est acquittée chaqùe trimestre; il suffit dono d'una 
quantité d'espèces ëquinlent ~ i/6 de la production. De plus 
beaucoup de paiements se font l la journée ou li. la semaine; 
la quantité de monnaie requise eat donc de l'ordre de la neu­vimue 
partie de la production, - c'est-à-dire du if3 de la 
l'Ilnt.e dca propriétaires s. 
Mais ce calcul n'est exact qu'à ]a condition d'imaginer une 
nation isolée. Or, la plupart da l1&.ats entretiennent les uns 
avec les autre, un commerce où.lea seuls moyens de pai8lllent 
SOnt le troc, 10 métal estimé d'après Ion poids (et non pas lei 
bPèc~ avec leur valeur nominale) et éventuellement les dIets 
.1lIlC8lres. DaD8 ce cu, on peut calculer aUlili la quant.ité rela­tive 
d., .monnaie qu'il O!t souhaitable de mettre ou. cirew..tion : 
toutefol~ cet~ estimation no doit pu prendre pour référence 1. 
ProductIon foncière, mais un certain rapport dea salaires et 
p. 1';3~·lIlWJu, ~U(J/ 6ur IcA nalure du cllmmerçc 'R glnlra/ (WlUOll de 195'2). 
!I.l . IIdd ., f&./d• , P. ."." ". ..a, g• 1 
Utu·e d'·'f'fb'ld. Pdly donnait III proportion analogue 12'- ( .. tnulomle pou. 
r undc). 10
200 LAs mols et les choses 
de8 prix avec ceux qui sont pratiqués dans le!t pays étrangers 
En effet dans une contrée où les prix 80nt relativement pe~ 
élev~8 (à raison d'une faible qUllntité de mOlUlaie), l'argent 
étranger est attirl! pal' de largos possibilités d'achut : la quantité 
de métal s'accroit. L'~tat, comme 011 dit, devient II riche et 
puissant '; il peut entretenir unD DoUe et une armée, achever 
des conquêtes, s'enrichir encore. La quantité d'espècclS en cir­culation 
fait monter IU3 prix, tout en dOlUlant. aux particuliers 
la faculté d'acheter à l'étranger, là où les prix sont inférieurs. 
peu à peu le Iùétal disparaît, et l'€tat de nouveau s'appauvrit: 
Tel est le cycle que décrit Cantillon et qu'il formule en un prin­cipe 
général : «La. trop grande abondance d'orgent, qui fait 
tandis qu'elle dure la puissance des ~tatB, les rejette insensi: 
blement et naturellement dans l'indigence 1. » 
Il ne serait sans doute pas possible d'éviter ces oscillations, 
s'il n'existait. dans l'ordre des choses une tendance inverse qui 
aggrave sons cesse la mill~re des nations déjà pauvres et accroit 
au contraire la prospérité deli États riches. C'est que les mouve. 
ments de ln population se dirib'8Dt dans un sens opposé au 
numéraire. Celui-ci va des États prospères aux régions de has 
prix; les hommes, eux, sont attirés vers les salaires élevés, 
donc vers les pays qui disposent d'un numéraire abondant. Les 
pays pauvres Gnt donc tendance à 80 dépeupler; l'agriculture 
et l'industrie s'y détériorent at la misère augmeute. Dans les 
pays riehe5, au contraire, l'aftlux de la main-d'oeuvre permet 
d'exploiter de Douvelles riches.'Jes, dont la vente accrott en pro­Jlortion 
la quantité de métal qui circule l, La ·politique doit 
donc chercher à compo~er ces deux mouvements inverses de 
la population et du numéraire. n faut que le nombre des habi­tants 
croisse pell à peu, mais sans arrêt, pour que les manufac­tures 
puissent trouver une main-d'oeuvre toujours abondante; 
alGI'8 les salaires n'augmenteront pas plus vite que les richesses, 
·ni les prix avec eux; et la balance commerciale pOW'rR rester 
favorable: on recoDnIlIt là le fondement des thèses population­nistes 
1. Mais d'autre part, il faut aussi que la quantité du 
numéraire Boit toujours en légère augmentation: seul moyen 
pour que los productions de la terre ou de l'industrie soient 
bien rétribuées, pour que les salaires loient suffisants, pour que 
la population ne lIoit pas mÎl!érahle au milieu des richesses 
1. ClInlillnn, ll'lc. cil., p. 76. 
2. Dutot, Ittjluion.r sur If commtre! die, flllonru, p. 862 et 906. t 
3. cr. Vêron ùe FurtbonnaiB, tUrnen!. du eommercl, t. J, p. 45, et surtoï 
Tucker, QunllulII impurlanl~ • .rur le evmmercc (L1"Ild. Turgot, oeurr~, , 
p.33&).
F.chOongtr 201 
, lIe fait naître : de la toutes les mesures pour 'a'l'on!le1' le 
cp.:merce extérieur et maintenir une balance positive. 
CO Ce qui assure l'équilibre, et. e~pêche ,le., profondes osci11atio!,-, 
entre lA richesse et lB Jlau~rete,. ce D est don~ pas un cerbn~ 
statut. définitivement acqws, mais wle compositIon - à )a (OIS 
nturelle et concertée - de deux mouvements. Il y a prospé­: 
ité dans un Btat, non J'lIIS quand les espèces y 80nt nombreuses 
ou les prix ~Ievésj moi!! quand lei! espèce8 en lont à ce stade 
d'augmentation - qu:i1 fnut po~voir proloDger indéfiniment­qui 
pennet de soutemr les ~alalres sans augmenter encore lei 
rix: alors la JXlPulation croit,régu1ièl"fllll~nt, Bon travail pro­Suit 
toujours davantage, et 1 8uf!Jllentation consécutive dei 
espèces se r~partissant (selon la loi de représentativité) entre 
des richcsses peu nombreu!le.'!, les prix n'augmentent pas par 
rapport à CClIX qui I!ont pratiqub Il l"ét1'8nger. C'est soulement 
& entre J'accMis8ement de la quantité d'or ct ln hou!lse dos prix 
que l'accJ"f)!sscmcnt d~ la quantité d'o~ et.d'argent es~ fnvo~b~e 
à l'indllStl"lC, Une natIOn dont le numC1'fl1re est en vOIe de diIOl­nution 
e.~t, 8U moment. où on fait la compD1'8i~on, plus faible e 
plus misérable qu'une autre qui n'en possède pas davantage, 
lnais dont le numéraire est en voie d'accroissement 1 J. Ces 
ainsi que s'explique le désastre espagnol : la pO!lse!l~ion des 
mines en effet avait augmenté mUliivement le Duméraire - et 
pal" .,oie de conséquence, 108 prix - IllJIlI que l'industrie, l'agri­culture 
et la population aient eu le temps, entre cause et effet, 
de se développer en proportion: il était fatal que l'or américain 
se répande 8Ul' l'Europe, y achète des denrées, y fasse crotl.l'e 
les manufactu1'ell, y enrichisse les fermes, laiiSsant l'Espagne 
plus misérable qu'eUe n'avait jamais été. L'Angleterre, en 
:revanche, si elle a attiré le métal, ce fut toujours pour en faire 
Jl!Ofiter le travail, et non le seul luxe de ses habitants, c'est-à­dire 
pour accroître, avant toute hausse des pl'Ï."t, le nombre de 
les ouvriers et. la quantité de Iles produits s. 
~e telles analYSe!! sont importantes parce qu'eUes intro­d~ 
nt la notion de progrès dans l'ordre de l'activité humaine. 
MaiS plus encore paNe qu'elles affectent le jeu des signes et des 
iP~se~~tions d'uD indice temporel qui définit pOUl' le p~ 
a condition de sa possibiliU:. Indice qu'on ne trouve daDB 
aucune 8utr~ région de la théorie de l'ordre. La: monnaie, en 
effet, teUe que la conçoit. la pensée clauilJUe, De peut pas repr~ 
p.li9-~:e, De III MUIaliOll mon!taÜ"e (<B.ret I!COllOmiquu, tnd.lrauçailll, 
~ Vt~D de Fortbonnals, danl Jes ru~ du umm_ (t. 1. p. 51-52). 
e lIti hUIt. règle, fondalllBnlaJee du commeree anglais.
202 
eenter la richesse 9ans que ce pouvoir ne Be trou.ve, de l'intérieur. 
modifié pal' le temps - soit qu'un cycle spontané augmente. 
aprêsl'avoir diminuée, 118 capacité do représenter lei richesses, 
Boit qu'un politique maintienne, Il cou~ d'efforta concertés, la 
CODlitaDc:e de sa représentativité. Dans 1 ordre de l'histoire natu­relle, 
le;s caraclù~, (les faisceaux d"idllntités choisis pour repr6- 
80ntor et dist.inguer plusieurs espèces ou plusieurs genres) 8e 
logeaient à l'intérieur de l'espace continu de la nature qu"ils 
déooupaioDt en un tableau taxinomique; le temps n'intervenait 
que de J'extêrieur, 'pour houlevetller la continuité des plus petites 
difrérences, et. le. wsperaer selon les lieux déchiquetés de la 
géographie. Ici, au contraire, le temps appartient li. la loi inté­rieure 
des l'8presentatioDl, il fait corps avec elle; il suit et 
altère stlns interruption le pouvoir que détiennent les richesses 
de se représenter eUes-mêmes et de s'.nalyser dan a un système 
lnonétaire. L' où rhistl'ire naturelle découvrait des plagee 
d"identités séparées par des différences, l'analyse des richesses 
découvre des c différentielles 1, - dos tendances A l'accroisse­ment 
et li. la diminution. 
Cette fonction 'du. temps dan. la richesse, ü était néce .. 
• aire. qu'eUe apparaisse dèa le moment (c'l:tait l la fin d1l 
xnle siècle) où la monnaie ét.ait définie comme gage et. alli­milée 
au crédit: il fallait bion alors que la durée d. la créance, 
la rapidité avec laquelle elle venait Il échoir, le nombre de 
maina entre lesquelles elle pall98it. pendant un t6mps dODDé, 
deviennent des variables caractéristiques de son pouvoir reprit­Bontatir. 
Mais tuuL cela n'était que la conséquence d'uue forme 
de réflexion qui plllçait )e ligne monétaire, pur rapport li III 
richeSBe, dans une posture de rlJprûentatio" 8U sons plein du 
terme. C'est par conséquent le rn~me réseau arcMologiquo W 
aoutient, dans l'analyse dei riches!!eS, la thAorie de la monM~ 
repri.wntian, et dans l'histoire naturelle, la théorie du c:arac­tère- 
repri,entalion. Le caractère dè$igne le8 êtres tout en les 
.ituant dans leur voisinage; le prix monétaire dé!ligne 168 
richesses mais dans le mouvement de leur croissance ou de leur 
~inution. 
T. LA. JPORK.A.TION DB I.A. TA.J.BUB 
La tbllOne de la monnaie et du commerce répond li la que..'1o 
'tion : comment, daDs le mouvement de. échanges, les prix 
peuvent-ibi caractériser les choses, - comment. la monnaie peut-
203 
.Ille él.8bJir entre les richesses un système de signes et de dési­gnation? 
La théorie de la valeur répond à une question qui croise 
celle-ci, interrogeant. comme en profondeur et li. la verticale la 
plage horizontale où les échanges s'accomplissentindéfiniment: 
pourquoi y a-t-il des choses que les hommes cherchent à échan­ger 
Jlourquoi los unes valent-elles plus que les autre", pourquoi 
ceriaincs, qui sont inutiles, ont-elles une valeur élevée. alors 
que d'ButTes, indispensables, sont de valeur nulle? TI ne s'agit 
donc plus de savoir selon quel mécanisme les richesses peuvent 
S6 repré!cntcr entre elles (et par cette richesse uui"ersellernent 
repré$entativ~ qu'cst le lI}étal précieux), ~ais I?ourquoi les 
objets du dé~Jr et du hesom ont à être representes, comment 
on po~e la valeut' d'une chose ct pourquoi on peut affirmer qu'elle 
vaut tant ou tant. 
Valoir, pour la pensée clasAique, c'ost d'ahord valoir quelque 
chose, être substituable à cette chose dans un processus 
d'échange. La monnaie n'a été inventée, Jes prix ne se sont 
fixés et ne se modifient que dans la meS1Jre où cet échange 
existe. Or l'échange n'est un phénomène simple qu'en appa· 
reDce. En effet, on n'échange dans le troc que si" chacun des 
deux partenaires reconnatt une valeut' à ce que détient l'autre. 
En un sens, il faut donc que ces choses échangeables, avec Jeur 
valeur propre, existent à l'avance entre les mains de chacun 
pour que la double cession et la double acquisition se pr~ 
duisClll enfm. Mais d'un autre côté, ce que chacun mange et 
boit, cc dont il a besoin pour vivre, n'a pas de valeur tant "qu'il 
Dole cède pas; et ce dont il n'a pas besoin est également dépour­vu 
de valeur tant qu'il ne s'en sert. pas pour acquérir quulque 
chose dont il auroit besoin. Autrement dit, pour qu'une chose 
puis5e en représenter une autre dans un échange, il faut. qu'elles 
existent déjà chargées de valeur; et pourtant la valeur n'exis~8 
qu'à l'intérieur de la repré~flntation (actuelle ou possible), 
c'est-à-dire li. l'intérieur de l'échange ou de l'échangcahilité. 
De là deux p09!1ibilités simultanées de lecture ~ l'une analyse 
la valeur dans l'acte m~me de l'échango, au point de croisement 
du donné et du reçu; l'autre l'analyse comme ontérieure il 
l:êchange et comme condition première pour qu'il puisse avoir 
heu. Ces deux lectures correspondent, la première à une ana­lyse 
qui place et enfenll6 toute l'cssence du langage àl'intérieu~ 
de la proposition; l'autre à une analyse qui découvre cette 
même e!iS6IlCe du langage du côté des désignations primitive. 
-langage d'aclion ou racine; dans le premier cas, en elIet, 
Je langage trouve son lieu de possibilité dans une attribution 
aesurée par le verbe -, c'est-li-dire par cet élément de langage 
en retrait de tous les mots mais qui les rapporte les uns aux
2M 
autres; le verbe, tendant possibles toua les mots du langage k 
partir de leur lien proposiûonnel, corresponct à l'échange qui 
fonde, comme un acte plus primitif que les autres, ln valeur 
des choses échangéell et le prix contre lequel on 1611 cède' dilDa 
l'autre forme d'analyse, le langage est enruciné hors de lui­mîlmu 
et comme dans la nature ou les analogies deI! choses· la 
rnoine, le premier cri qui donnait naissllnce aux mots 8V:u.t. 
même que le langagç soit. n6 correspond li III formaûon immé­diate 
de la valeur avant. 1'6chunge eL les mesures réciproque. 
du besoin. 
Mais pour ]n grammaire, ces deux Cormes d'annlyse - l 
partir de la proposition ou li. partir ùes raoines - sont padai­tement 
distinctes, parce qu'olle a alfaire au langage-c'est­la- 
dire à un !I)1stèmc de représentations qui est charr;l;é 11. la foia 
de désigner et de juger, ou encore qui a rapport li. la Cois à un 
objet et à une vérité. Dans l'ordre de l'économie, cette distinc­tion 
n'existe pas, car pour le désir, le rapport li. son objet et 
l'alIirmation qu'il est désirable ne font t'fU'une seule et même 
cholle; le désigner, c'est déjà poser le lien. De sorte que là GiA 
la grammaire disposait de deux segments théoriques séparés 
et ajustés l'un li l'autre. formant d'abord une analyse ùe la 
pl'Oposition (ou du jugement) puis une analyse de la délligm:ilion 
(du ge!rte ou do la racine), l'{:t)~nomie lie connait qu'un seul 
segment théorique, mais qui ellt susceptible simult.anément de 
deux lectures faitos en sens inverse. L'une analyse la valeur à 
partir de l'échange des objets du besoin, - des obje.t8 uiillJ4; 
l'autre à partir do la formation et de la naissance des objets 
dont l'êchanJ;te définira enlluite ln valeur, - lA partir de la 
prolixité de la nature. On reconnutt, entre ces deux lectures 
po.sibles, un point d'hérésie qui nous est familier: il sépare 
ce qu'on appelle la «théorie psychologique It de Condillac, de 
Galiani, de Graslin, de cclle des Physiocratcs, avec Quesnay 
~t son école. La Physiocratie D'a 880S doute pas l'importance 
que lui ont attribuée les économistes dans la première partie 
du XIX. siècle, quand ils cherchaient en elle l'acte de fondation 
de l'économie politique; mais il serait aussi vain sans doute de 
prêter le même rôle - comme l'ont lait les marginalistes-:­il 
l' c école psycl1010gique '. Entre ces deux modes d'analyse, Il 
n'y fi d'autres dillêrences que le point ù'origine et la direction 
choisis pour parcourir Wl réseau de· nécessité qui demeure 
identique. • 
P01ll' qu'il y nit valeurs et ricliesses, il taut, disent les Physu~­cra1ell, 
qu'un échange Boit possible: o'est-à-dire que l'on ~It 
l H di~positioo un superflu dont l'autre S8 trouve avoir beSOIn. 
Le fruit dont j'ai faim, que je cueille et. que je mange, c'est. un
205 
b. ue m'olIre ]a nature; ü n'., Dura riehusa que li les fruits 
,en ~uu arbre sont. assez nombreux pour excéder mon appét.it. 
~r .... faut-ü qu'UD autre ait faim et me les demande. 1 L'air 
J!.DCOno...u S respl"r OIlJ, d"I t Quesna)y, 'e au que noua pws.O.Q.S .Il la 
~~iëre et tous los aut.res biens ou richesses surabondant.os et 
lDIDunes ll1.OUS les hommes, ne sont pas commerçablos : ce 
co nt des biens, non des richesses 1 •• Avant l'échange, il n'y a 
~:e ceue réaliLê, rare ~u abondante, q,:,e .fournit ,la nature; 
seules la demande de 1 un et la renonciatIOn do 1 autre lont 
eapabie5 do laire apparaître des valeurs. Or, les échanges ont 
récÏsliment pour fin de répar~i~ les excé~ont.s de manière qu'ils 
~oient distribués à cuux à qUI lis (ont. dolaut. lJs no 80nt dono 
c richMsl1s. qu'à titre provisoire, pendant. le temps oil, présents 
chez les uns et absents cbe:.: les autres, ils commencent et aecom­plis~ 
ent le trajet. qui les amenant cbez les consommateurs les 
restituera r..leur no ture primitive de biens. 1 Lo but de l'échange, 
dit Mercier de La Rivière, est. la jOUÜlsancc, ID consommation, 
de Borte quo le commerce peut. ôtre défini sommairement: 
l'échnnge des choses usuellOli pour parvenir Il leur distribution 
entre lr,s moins de leurs consommateurs 1 •• Or cette constitu­tion 
de la valeur pDr le commerce B ne peut pas se laire sans 
une soustraction de biens : en elfet, le commerce transporte 
les ohoses, entra1ne des frais de voitul'oge, de conservation, de 
transrormation, de mise en vente' : bref, il en coûte une cer­tnine 
consommation de büms pour que les bÛJns eux-mêmes 
aoient transformés en ricMsst'oS. Le seul commerce qui ne 
coQterait rien serait le troc pur et simple; les biens n'y sont 
riohess611 ot valcurs que le temps d'un éclair, pendant. l'instant 
de l'êobange : 1 Si l'échange pouvait être rait immédiatement 
el tla08 Irais, il ne pourrait ~t.re que plus avantageux aux deux 
écb8~eurs : aussi se trompe-t-on bien lourdement quand on 
prend pour le commerce mihne les opérations int.ormédiaircs 
qui servent li fnire le commerce ' •• Les Physiocmtos ne se 
donnenL que la réalité matérielle des biens: et la formation de la 
v~leur .dans l'éc~ange devient alors cotiteuse, ct s'illllcrit en 
dcducllOn des bIens existant.s. Former de la valelll', ce n'est 
dOllc pUll satisCaire des besoins plus nombreux; o'est sacrifier 
~," QUel'!,ay, arllcle • Hommel • (ln Dllllre, Let Phy .• jIJCI'Illtll, p. 42). 
(1 -D~~~rcler de La Blviêre, L'OTtIr, naturel et usenlitl du ~cil'.t(id 1",liIi'luea 
'1 lOIn', Lu Phg.iocrutel p. 709). 
le ~"l' Eu 1116 ~o .. sid~runL ~mme de!! riclle'!les cOlnrnE'r~AlJl~, le blé, III fllr, 
U~I rlol, le dl:IlDanL sont "gal"menl des riclte5S4!S dout!:1 valeur no cou5i~LIi 
q • d~11!J le prIx, (QlJesnay, arLiele • HommOi " toc. CIl., p. 1;1:1). 
5' S Uponl Ile lIiemuul'$, Ittp6r11e oematulte, p. 16. 
• .lnl.-P~r-dvr, JOLll'na' d'agricullur" décembre 1765.
206 IJBI mots et les Ch08eB 
des hien~ pour en échanger d'autTes. Les valeurs fonnent le 
négatif des biens. 
Mai, d'où vient que la valeur puisse ainsi se former? QueUe 
est l'origine de cet excédent qui permet aux biens de 8e trans_ 
former en richesses sans pour autant s'effacer et disparaître à 
force d'échanges successifs et de circulation? Comment se rait­il 
que le coilt de cette formation inceSs8nto de valeur n'épuulI~ 
pas les biens qui sont à la disposition des }lOmmes? 
EBt-ce que le commerce peut trouver en lui-môme ce sup­plément 
néoossaire? Certainement pliS, puisqu'il so propose 
d'échanger valeur pour valeur et solon la plus grande égalité 
poslIible. «Pour recevoir beaucoup, il faut donner be8uéoup' 
et pour donner beaucoup, il faut recevoir bcallcoup. Voil~ 
tout l'art du commerce. Le commerc!'" de sa nature, ne fait 
qu'échanger ensemble des choses de valeur égnle 1. » Sa.ns doute 
une marcbandi!le, en gagnant un marché éloigné peut s'échan­ger 
pour un prix supérieur à celui qu'clic obtiendl'8it sur place: 
mais· cette augmentation c~rrespond aux dépenses réelles de 
transport; et si elle ne perd rien de ce fAit, c'est que la marchan­dise 
stagoante contre quoi elle s'est échangée a perdu ces Crais 
de" voiturage sur son propre prix. On a beau promener les mur­chandise8 
d'un bout du monde à l'autre, le coùt de l'échange 
est toujours prélevé sur les biens échangés.' Ce n'est pas le 
commerce qw a produit ce superflu. Il a Iallu que celte plé­thore 
existe pOUl" que le commerce soit possible. 
L'indlll:trie, elle non plus, n'est pas capable de rétribuer le 
c011t de formation de la valeur. En elfet, les produitH des manu­factures 
peuvent être mis en vente solon deux régimcE. Si les 
prix'sont libres, la conCUl'l'Once tend à la {nire hai!;ller de sorte 
qu'outre la matière première, ils couvrent nu 'Plus juste le tra­vail 
de l'ouvrier qui l'a t1'onsformée; conformément 11. In défini­tion 
de Cantillon, ce salaire correspond à ln sub9istnnce de 
l'ouvrier pendant le temps oll il tTavllille; sam; doute Caut-il 
ajouter encore la subsistance et les bénéfices de l'entrepreneur; 
maia de toute façon l'accroissement de valeur dû à 10 maDU­facture 
représente la collSommation de ceu." qu'elle rétribue; 
poUl" fabriquer des richesses, il a fallu sacrifier des biens: 
• L'artisan détruit autant en subsistance qu'il proùuit par SOD 
travail 1. Il Quand. il y a un prix de monopole, les prix de vente 
des objets peuvent s'élever considérablement.. Mais ce n'est pns 
alors que le travail des ouvriers soit mieux rétribué: la concur­rence 
qui joue entre eux tend à maintenir leurs salaires au 
1. SRfllt-P~rnvy. JlJurnal d'agritullrrN', dér.embre 17r.5. 
2. Mrurlllt6 Ile goul'UlltllJtnr (In DaIN, QP. dl., p. 2S9).
207 
. de ce qui est juste indispensable pour leur subsistance 1; 
Pl'ea: aUX b~néfices dei entrepreneurs, il est vrai que les prix 
:rl~~onopole les ro~t croUre, dans la m~ure où augmente. la 
el ur des objets mis sur le marché; malS cette augmentatloD 
:~;t rien d'autre que la b8ÏBs~ proportionnelle de la valeur 
d" chnnge des autres marchandises : 1 Tous ces entrepreneurs 
n: ront des fo~~ que )?afce que d'autres Eont des dépe~es •. » 
Apparemment, Imdustne augmente les. valeurs; en faIt, eUe 
prlilève Bur 1'6change lui-même le pri:' d'u,ne ou de plusieurs 
sub~i~tances. La valeur De se [~rme DI ne 8 ~cçroit par;la p~. 
ducLioll mais par ln consorwoatlon. Que co 80lt ceUe de 1 ouvrle~ 
qui IIss:u.e sa suhsistanll6, de l'entrepreneur' qui retire des 
bénéfices, de l'oisif qui achète: 1 L'accroillsement de la valeur 
vénale qui est dtl à la clas!!e stérile e~t l'ellet de la dépense de 
l'ouvrier, et non pas celui de son travail. Car l'homme oisif qui 
dépellse !JaIlS travailler produit à cet égurd le même ellet '. » 
La vnleu.r n'apparaît que là où des biens ont disparu; et le 
travail fonctionne comme UDe dépeDse : il forme un prix de la 
subsistallce qu'il a lui-m~me consommée. 
Ceci est. vrai du travail agricole lui-même. L'ouvrier ~ 
laboure n'a pas un statut différent de celui qui tisse ou qui 
transporte; il n'est qu'un c des outils du travail ou de la culti­vation 
t • - outil qui a besoin d'une subsistance et. la prélève 
Bur les produits de la terre. Comme dans tous les autres cas, la 
rétribulion du travail agricole tend à s'ajuster exactement à 
aUe subsistance. Pourtant, il a un privilège, non pas éçono­nÙ( 
lue - daDlle système des échanges - mais physique, dans 
l'ordre de la production des biens; c'est que la terre,lonqu'elle 
est travaillée, fournit une quantili de subsistance possible bien 
supérieure à ce qui est nécessaire au cultivateur. En tant que 
travllll rétribué, le labeur de l'ouvrier agricole est donc tout 
aussi ni:~,.ati( et dillpendieux: que celui des ouvriers de oelllUlfac· 
ture; ~is en tant que c commerce physique. avec la nature 1, 
fi suscite chez eUe une fécondité imm6DSIl. Et s'il est vrai que 
celte pl'!'lixité est ri:tribllée il l'avance par les prix: de labour, 
de semailles, de Jlourriture pour les animaux, on sait bien qu'on 
t~llvera. un épi là où ~n a Bemê une graine; et les troupeaux 
c s.engralssent. chaque Jour au temps même de leur repos, ce 
qui ne peut êLrc dit d'un ballot de soie ou de laine dans les 
~- ~t!!?l. IiIrralon. aur la formalio" du riche"e., 1 6. 
3' M:lblllU de ,."n:~Nlmlenl (ln Da1re, op. cil_. p. ~9). 
C· '1" Y. P.~[]. l'hilUlOpJ,ie rural,. p. 66. 
~; '.1., .lm1., p. 8 . 
. Dupont d!I NllmounI, Journal agricole, mai 1766.
208 
magasins 1 •• L'agriculture, o'est I&Beul domaine oi. l'a('!croi!~e­ment 
do valmlt' dl! la la production o'est. pas équivale~i k 
l'entretien du producteur. C'Cllt qu'à vrai dire, il y a un produc­teur 
invisible qui n'a besoin d'aucune rétributionj c'~t à lui 
que J'agriculteur se trouve associé sans 10 98voir; et au moment. 
nù le laboureur consomme autant qu'il travaille, ce même tra­vail, 
pal' la vertu de 90n Co-Auteur, prodtÜt. toU!! les biens Bur 
lesquels sera prl!levée Ja formation des valeurs: c L'Agriculture 
est une manufacture d'inBtitution divine où le fabricant. a pour 
associê l'Auteut' de la nature, le Producteur même de toU8 les 
biens et de toutes les riohesses 1 .• 
On comprend l'importance théoriq1le ct pratique que le!! 
Physiocrates ont accordée à' la rente foncière - et non pas au 
travail agricole. C'est que celui-ci est rétribué par une consom­mation, 
alors que la renle foncière représente, ou doit représen­ter, 
le produit net: la quant.ité de biens que la nature fournit, 
en 8US de la subsistance qu'elle assure au travailleur, et de la 
rétribution qu'elle demande eUe-même pour continuer à pro­duire. 
C'est cette rente qui permet de transformer les bi6IJS en 
valeurs, ou en nchot'lses. Elle fournit de quoi rétribuer tous los 
autres traV8UX et toutes los consommations qui leur corres­pondent. 
De là deux soucis majeurs: mettre à sa disposition 
une grAnde quantité de numéraire pour qu'clio puisse alimenter 
le travail, ]e commcrce et l'industrIe; veiller à ce quesoit proté­gée 
absolument la part d'avance qui doit revenir à la terre pour 
lui permettre de produire encore. Le programme ëconomique et 
politique des Physiocrates compGrtera donc, de toute nécessit6 : 
une augmentation des prix agricoles, mais non pas des SAlaires 
à ceux qui travaillent la terre; le prélèvement de Wllsles impÔts 
sur la rente foncière elle-même; une abolition des prix de 
monopole et de tous les privilèges commerciaux (afin que l'!n­dustrie 
et le commerce, contrôlés par la concurrence, mBm­tierw. 
ent forcément le juste prix); un vaste retour de l'argent 
à la terre pour les avances qui 80nt nécessaires aux récoltes 
futures. 
Tout 18 systèmo des ~changes, toute la formation cotîtellse 
des valeurs sont reportés à cet échange déséquilibré, radical et 
primitif qui s'établit entre les avances du propriétaire et la 
génêrosité de la nature. Seul cet 6change est absolu meut béné­ficiaire, 
ct c'est à l'intérieur de ce profit net que peuvent êtr:e 
prélevés les frais que néccssite choque échange, donc l'appari· 
tion de chaque élément de richesse. Il serait. faux de dire que 
1. Minlhr-J!tJ, Philoeophil rlUale, p. 37. 
2. Jd., ibid., p. 33.
201} 
roduit spontanément des valeUl'l; mais eUe est la 
la D~ti~R~5ablc des bieua que l'é~hBnge transforme en ':QI~urs, 
lIOurc:o dé enses ni CODlommatlon. Quesnay et ses dISCIples 
J1unl S::t.IJ'riche5ses à partir de ~e q~i se donne dana l'échange 
onac~5'.b..dire de co auperllu qw existe 8a~s '"!lIeur auct~ne, 
- . i devient valeur en entrant dans un Cll'eUlt de substltu­t~ 
UIS quu' il devra rétribuer chacun de ses dép1acements, cba- 
110/111. d0e ses transfonnatl•o Dl par des ala a'ir es, d e la nourri' tu re, 
cduu nlea sub~istalJce, bref par une }?art'l e de cet exc..L. d ent Ruque l 1'1 
rtl'ent lui-même, Lea PhySiocrates commencent leur ana-luypsIe'a 
yJllr I~ cllo,se cllc:m&me qw' ade trouév~ 'sig ne• e da ns 1a 
1 Ur mOIS qui nrécxlste au système des rIchesses, Il en est 
vdae em ê,m e des gr'am"ma.ir i,e ns l orsqu' il• a ualy .ent 1c a mo.•.- . .A.. 
IIrtir de lu racine. du rapport inunédiat qui unit un Ion et une 
~ho:'le, et de~ abstractions Bucccalives par quoi c:ette raeiu. 
devient un nom dans une langue. 
VI. L'UTILIT4 
L'onalyse de Condillao, de Gu1iani, de Grsslin, de Destutt 
correspond à ]0 théorie grammntioale de la proposition. Elle 
choisit pour point de déport, non pos 00 qui est donn6 dans un 
échonge, mais ce qui est revu: ln même chose, Il vrai dire, maÏtl 
envisagée du point de we de celui qui en a besoin, qui la 
dtIJDande, et qui accepte de renoncer Il ce qu'il possède pour 
obl.tlnir cette outre chose qu'il estime plus utile et à laquelle fi 
attache plus de valeur. Les Physjocrates et leurs adversaires 
parcourent en fait le même segment thêorique, mais dans DB 
lenl opposé: les uns se demandent li. quelle condition - et li. 
qud co~t - un bien peut devenir une valeur dlUll un système 
d:é~aoges, les autre., il quelle condition un jugementd'appré­CI, 
atlon peut se transformer en prix dan. ce même système 
d «bunges. On comprend pourquoi ln analYlea des PhylÏo­crate~ 
et. ceIles des utilitaristes lont BOuvent li procbea, et 
~~rr~'8 complémentaire&; pourquoi Cant.i1lon a pu être raven­e~ 
v,e par les uns - pour sa thêorie des trois revenus fonciers 
UDporLance qu'il accorde Il la terre - et par les autres - 
pour I?n analyse des circuits et le rôle qu'il fait jouer Il la 
:aonnn;.:' i pourquoi Turgot 8 pu être fidèle li. la Physiocratie 
de G l' .o~dmlJtion el la dimibution du richu.u, et fort proche 
a lêlDl ons Valeur st Monlllli& 
1. CanLWulI, Bilai 'ur le commerce en ,~n6rlll, p. S8, 6D et 73.
21.0 
Supposons la plua rudimentaire des situations d'êch~e . 
un homme qui n'a que du mais ou du blé, et en lace de lui' 
u~ autre q~ n'a que ,du .vin ou du ~ois. Il n'y a encore 8UCU~ 
pl'lX fixé, ru aucune eqwvalence, ru aucune commune mesure 
Pourtant si ces hommes ont ramas lié ce hois, s'ils ont semê e~ 
rêcolt61e mais ou le hM, c'est qu'ùs portaient sur ces choses u'n 
certain jugement; sans avoir à le comparer li quoi que ce Boit, 
ils jugoaient que ce hlé ou ce hois pouvait. sBtisfuire un de leurs 
hesoins, - qu'il leur serait utits:c Dire qu'une chose vaut c'est 
dire qu'elle est ou que nous l'estimons bonne à quelque ~uge. 
La valeur des choses est donc fondée sur leur utilité, ou ce qui 
revient encore au même, sur l'usage que nous pouvons en 
faire 1. 1 Ce jugement londe ce que Turgot appelle c vaillur 
estimative» des choses 1. Valeur qui est absolue puisqu'elle 
COIlcerne chaque denrée individuellement et sans comparaison 
avec aucune autre; elle est pourtant relative et changeante 
puisqu'elle se modifie avec l'appétit, les désin ou le be~oia des 
hommes. 
Cependant, l'échange qui s'accomplit sur le !ond de ct'.!I uti· 
lités premières n'en est pas la simple rêduction à un commun 
dénomiuateur. Il est en lui-même créateur d'utilité, puisqu'il 
offre à l'appréciation de l'un ce qui jusqu'alon n'avait pour 
l'autre que peu d'uülité. Il y a, à ce moment-là, trois possibilitr-s. 
Ou bien le « surabondant de chacun l, comme dit Condillac 8_ 
ce qu'il n'a pas utilisé ou ne compte pal utiliser immédiate· 
ment - correspond en qualité et ea quantité aux besoins de 
l'autre: tout le surplus du propriétaire de blé se révèle, dans la 
situation d'échange, ut.ile au propriétaire de vin, et réciproque· 
ment; dès lors, ce qui était inutile devient totalement utile, 
par une création de valeu1'8 simultanées et égales de chaque 
côté; ce qui dans l'estimation de l'un était nul, devieDt potlitif 
dans celle de l'aut1'6; et comme la situation est symétrique, les 
valeurs estimatives ainsi créées se trouvent être automatique­meat 
équivalentes; utilité et prix se correspondent sansrési~u; 
l'Bppréciatioa s'ajustant de plein droit à l'estimation. Ou bleD 
le surabondant de l'un ne suffit pas aux besoins de l'autre, et 
celui·ci se gardera de donner tout ce qu'il possède; il en ré:lervera 
une port pour obtenir d'un tiers le complément indispensable 
ft son besoin; cette port prélevée - et que le partenaire cberchc 
ft réduire le plus possible puitlqu'ù a besoin de tout le slIperllu 
du premier - fait apparattre le prix: on n'écbange plus le trOp 
1. ColldillBC, Le Comm~rte d le ftllmernemenr (OEtlUru, t. IV, p. 10). 9. 
2. Turgot., YalBur el mannaie lOEu~1U cumpltles, éd. Schdle, t. III, p .• 1 
92). 
3. Condillac, Le Comm,.rec elle gtIuucrnrmcnl (OEuvres, l. IV, p, oe).
tcllanger 211 
de blé contre le trop de vi!1' mais li la suite d'un.e altercatioo! on 
d e tant. de muids de VlD contre tunt de !etlers de blé. DlrII.­OnD 
ue cclui qui donne Je plus perd dans l'échange sur la valeur 
td- onc eqq u'ilp05~éd"u lûNonpomt,cnrc6superf i uC8tpour l U'I Bans 
~'lité ou en tout cas, puisqu'il a accept6 d'cn faire l'ôchange, 
U,I.t b" '1 en J,aree qu'il accnrde plus de valeur li cc qu'il reçoit 
c e',à ce qu'il abandonne, E' nf i n, trOJ"S,le me h ypOLh ès c, n'e n n , est 
:5:snlumcnt sllperflu pou~ personne, car eh8~un des de?x parte­nllires 
sait. qu'il peut utililler, à plus ou mOins longue echéance, 
]a totalité de ce qu'il possède: J'état de besoin est général et 
chRque parcelle de prorri~té devi~nt.riches!le. Dès,lors, les deux 
pnrtenuirtlli peuvent trcs bien ne rien ecbaoger; malS chacun peut 
égalemenL esl.imer qu'une part de la lOarchandise de l'autre lui 
sllmit plus utile qu'une port. dola, sienne propre. L'un cL l'a';lt~e 
établissent - et chacun llOUl' SOI, dOliC selon un calcul dilIe­rcnt 
- ulle inégalité miruma : tant de mesures de mais que je 
n'ni pus, dit l'un, vaudront pour moi un ]Jeu plus 1ue tant de 
mr"sures de mon bois; telle quantité de bois, dit 'autre, me 
sera plus précieuse que tant de mals. Ces deux inégalités estima­tives 
définissent pour chacun la valeur relative qu'il accorde Il 
ce qu'il possède et à ce qu'il ne détient pa8. Pour ajuster ces 
deux intig-.ilités, il n'y a pas d'autre moyen que d'établir entre 
elles l'égalité de deux ra:pports : l'échange se fera lorsque le 
rapport du mais au bois pour l'un devient égal au rapport pour 
l'autre du bois au maïs. Alors que la valeur estimative se 
~éfinit. par le seul jeu d'un besoin et d'un objet - donc par un 
u;t.té~êt unique ~hez un individu isolé-, dans la valeur appré­cla. 
tave, telle qu elle apparutt maintewmt, « il y a deux bOIDIDe& 
qui comparent et il y Il quatre intérêts comparés; mais les deux 
intérêts particuliers de chacun dos deux contractants ont 
d'a.bord été comparés entre eux à part et ce sont les résultat. 
qu~ 8on~ elll!uit.e' comparés ensemble, pour former une valeur 
e.stlmative moyenne.; cette égalité du 1'8pport permet de dire 
pa~ exemple que quatre mesures de maIs et cinq brosses de 
billS ont Ul:'8 valeur échangeable égale l, Maïs cette égalité ne 
YJut pas dire qu'on échange utilité contre utilité par portions 
~e~bqu~; o~ échange des inégalités, c'est·à-dirc que des deux 
t~~S -: et bien que chaque élément du marché ait eu une 
u Ih~é ~ntrins~que - on acquiert plus de valeur qu'on n'en 
possediilt,. Au lieu de deux utilités immédiates, on en a deux 
auges qUi sont censées satilifaire des besoios plus grands. 
et de l!:Uhel! analyses montrent l'enl.recroisemeot de la valeur 
e cange: o.n .n'échangerait pas, .'i1 D'existait des valeur_ 
J. TlIlgtl, Vafeu/' et mcnnaie (OEul/ru, t. 111, p. 91-99),
212 
1•1 IlIDé d1' 8tel - c' Gdst.·à· "1rei s l n ' eX•I sta•J t d ans Ics choses c Un 
attribut qui leur eal accidentel et qui dépend wûqucruent deI 
besoins de l'homme, comme l'elJet dépend de au cnuse 1 1 
Muis l'échange à Bon t.our crée de la valeur. Et ccci de de~ 
manières. 11 rllnd d'abord ut.iles dcs choses qui sallS lui seraient 
d'utilit.é faible ou peut-être nulle: un diüllUlnt., que pCul-il 
'Voloir pour les hommes qui oot faim ou besoin do se v~lir? 
Mais il suffit qu'il oxi~to au moude uue !enuoe qui désire.plaire, 
et un commerce susceptible de l'apport.er eot.re ses mains, pour 
que la pierre devienne 1 richosse mdirecte pour son proprié­taire 
qui n'cn a pas besoin ... la valeur de cet objet est pour 
lui une valeur d'échange Iii et il pourra se nourrir en vendant 
ce qui ne sert qu'à briller: de là l'importance du luxe', de là le 
fail qu'il n'y a pas, du point de vue des richesscs, de différence 
entre besoin, commodité et agrément •• D'autre pllrt, l'é~Lange 
fait. naitre un nouveau type de valeur, qui est « appréciative» : 
il organise entre les utilités un rapport réciproque qui double 
le rapport au simple besoin. Et surtout qui le modifie: C'eI51. 
quo, dans l'ordre de l'appréciation, donc de la comparaison de 
chaque valeur avec toutes, la moindre création nouvelle d'uti" 
lité diminue la valeur relative de celles qui existent déjà. Le 
total des richesses D'augmente pas, malgré l'apparition de DOU" 
'VMUX objets qui peuvent satisfaire les besoins; toute produc­tion 
fait naitre seulement. un nouvel ordre de valeurs relali· 
vement à la masse des richesses; les premiers objets du bOlioin 
auront diminué de valeur pour faire place dallS la masse il la 
nouvelle valeur des objets de commodité ou d'agrément' •. 
L'échaDge, c'est donc ce qui augmente les valeurs (en faisant 
apparaître de nouvelles utilités qui, au moins indirectement, 
8alil(onl des besoiD8); maïs c'est également ce qui diminue les 
valeurs (les unes par rapport aux autres dans l'appréciüt.ion 
qu'on porte à chacune). Par lui, le non-utile devient utile, et 
dans la même proportion, le plus utile devient moins utile. Tel 
eJ;1. le rôle couslitutLf de l'échange dans le jeu de 'Valeur: il 
donne un prix à toute chose, et abaisse le prIx de chacune. 
On voit que les éléments tbéor~ques sont les mêmes ch.e~ les 
PhysiocrnttlS et c)lez leurs Iidvers'lI.res. Le corps des proposl1.lOn, 
fondnmentales leur est commun: toute richesse natt de la terre; 
l.a valeur des choses est li6e à l'échange; la monnaie vaut comme 
1. Gr8~lln, Ruai ana/yrIque 6ur la rlellult, p. 33. 
lZ. M., 1 ~Id., p. 45. 
3. H ume, De la cireuialfull ,rum~lal" (OEUL'/'f irotll)rniqu~, p. 41). 
4. Gr,,~lin ml end pMr besuln -la nOcelisiLll,l'utWlé, le foOt et l'agrélDtQt' 
(Eulli tJllulylique Mur /a riclru,e, p. 2-4). 
fi. Cratilill, QP. cil., p. 36.
213 
18 rüeDtotioD des richelSu eD circul!1tion :.la circulation 
~. ltre auui simple et. oomplète que possible. Mau ces segmenta 
t:~iqueillont dJllposés pa.r leI. Physiocrates et. chez le~ 1 uti-l, 
'Ltm 1 duoi un ordre qw CIIt IDVerse; et pauUlte de ce leu du 
ItanB " • 1 -Al' if d' ê 'f 
d, l'tl'ons ce qui pour es WlI a UDru e poSlt eVlont D gat.1 
r. 8urp lt:Os aSutr'e s. Condi'lGluc,a l"la Ul. Gr asl I'D partent d e lié c ha nge utilités comme 'ondement subjectif et positif de toutes lea 
~e"-' wut ce qui satisfait le besoin a donc une valeur, et 
VILI ... a,. . d' 
toute transformation ou t.o'.'t. transJ!Oft qui permet e • satll-fwire 
de plus nombreux b080UlS. çODlltI:ue une augm?n~tlon de 
nleur • u'est cette augmentation qw permet de retrJbuer les 
ouvrie"; cn leur donnant, prélevé sur cet accroissement, l'équi­villent 
d'e leur subsistance. Mais tous ccs élémeuts positiC$ qui 
constituent. la valeur reposent sur un certain état. de besoin 
cbez Ica hommes, donc Bur le caractère fini de la fécondité ùe 
III IUIture, Puur les Pbysiocrates, la même série doit être par­courue 
lll'enven : toute transformation et tout travail sur les 
produits de la terre sont rét.ribués pur la suhslstuoce de l'ou­vrier; 
il. ,'wscriveot donc en diminution du total des bieus; 
la vuleur nc Dait que là où il y a consommation. Il faut dono, 
pour que la valeur apparaisse, que ]a Dature aoit. douée d'une 
(écullÙi Lé iudéfiwe, Tout ce qui est perçu p08itivemont et comme 
eu relie[ dallB Wle des deux lectures, est perçu en creux, n6ga­tivcJueut, 
dans l'autre. Les c utilitaristes 1 fondent. aur l'arti­culalilJfl 
des échanges l'aUrtbution aux choses d'uno certaine 
valeuri les Physiocratos expliquent par l'e.%"'tence des richesses 
10 découpage progres!lif des valeurs. Mai. chez les uns et les 
autros, la théorio de la valeur. comme celle deJa structurs dans 
l'h~toirc naturelle, lie le moment qui attrib~ et celui qui 
",tlCUÛl. 
Peut'être aurait-il étê plus limple de dire que les Pbysio­c! 
Btcs représentaient les propriét.auel fonciers, et lea 1 utilita­rlst~" 
les comme~ants el les entrepreneurs. Que ceux-ci, pal' 
cuwequentt croyaient k l"augwentation de la VIdeur lorsque 
les,produ~tlon!' naturelles le transformaient ou Ile déplaçaient; 
qu d,1 étalent, par la force dtllJ choses, préoccupés par une éco­nQolwe 
de marché, où les besoiu8 et les désirs faisaient la loi. 
• U6 leti ?hysiocrales en revanche ne croyaient qu'ft la produc­! 
Oiitgrlcule et qu"ils revendiquaient pour eUe Ull8 rét.ribut.ion 
ci~r eurei qu"étant propriélail'8l!, ils at.tribuaient. à la re.o.te fOD­poli:' 
UQ ~ndemen~ ndurel, et que, revendiquant le puuvoir 
d Ique, ils l.IOub;nlllieut être les seuls sujets souuùs à l'impôt 
l.o:l.urLeura des. droits qu"il confère. Et sall8 doute ft traver.: 
écODO~~ence ddes mtill'6ts, on retrouverait les grandes OptiODI 
Iques es WUi et des autreL Mais si l'appartunaDce li.
214 
un groupe socinl peut toujours expliquer que tel ou tel . 
h . . è dl' (lit 
C OIS! un syst me 0 pensêo p utÔt. que 1 autre, ln conditi 
pour que ce système oit ét6 pensé ne résiùe jonmis dans l'e"111 
tence de cc groupo. Il faut distinguer avec soin deux forms-et 
d eux ni•v eaux d'l". lud c!. L" une soralt wle eDqu~tc d'opinione ~ 
pour savoir qui au XVIIIe siècle a 6té Physiot.Toto, et qui a éJ 
AntiphY!lioerate; quels étnient les intérÔts en jelli quels Curent 
les points et les arguments de la polémique; comment s'on 
déroulée la lutte pour le- pouvoir. L'autre consiste, sona te~it 
compte des personnages ni de leur histoire, li. définir les condi. 
tions il partir desquelll's il a été possible de penser dllns des 
forme!! co.héren!t;s e~ simultanées, .Je savoir 1 phy~iocratiqu() J 
et le savOir. ul.tlttarlste J. Ln premlère analy~e relèverait d'une 
doxologie. L'archéologie ne peut reconnuttre et pratiquer que 
la seconde. 
VII. TA.BLG ... V GÉI'IBRA.L 
L'organisation générale des ordres empiriques peut être main· 
tenant dessinée dans Bon ensemble 1. 
On constate d'abord que l'analy" des richesses oMit à la 
même configuration que l'histoirs natllreUe et la ~rammaire 
~~nérale. La théorie de la valcQI' permet, en etTet, d expliquer 
lsoit par la carence et le be!!oin,soit par la prolixité de la nature) 
comment certaills objets peuvent être introduits dons lB sys­tème 
des êchanges, comment, par le geste primitif du troc, une 
choire peut ~tre donnée pour équivalente à une autre, comment 
l'estimation de III première peut être rapportée à l'estimation 
de ]8 seconde selon Wl rapport d'égalité (A et D ont la même 
valeur) ou d'analogie (la valeur de A, détenu par mon porte­naire, 
est à mon b6110in ce qu'est pour lui la valeur de B que 
je possède). La valeur correspond donc à la fonction attribu· 
tive qui, pour la grammaire générale, est assurée par le verbe, 
et qui, faisant apparott.rc la proposition, constitue le seuil 
premier à partir duquel il y ft 18ngu.~e. Mais lOl'lique la valeur 
appréciative devient valeur d'estimatlOD, c'est-à-dire lorsqu'eUe 
Be dHinit et se limite à l'intérieur du système constitué par toUS 
les échanges possibles, alors chaque valeur se trouve posée et 
découp6e par toute~ lei autres : de ce moment, la valeur 
assure le rôle articulatoire que la grammaire générllÙ recoo· 
1. cr. schéma, p. 2'15.
215 
" 't à tous les blêments non verbaux de la proposition 
D~I!I~~_diro auX noms et à chacu,! des m,!ts qui, visiblement 
(c est cret détiennent une fonction nommale," Dans le sys- CD se , ., 
t:me des échanges, daDs le Jeu qUI, perm~t ~ caque part de 
"1 ... de sicrni6er les autres ou d ~tre 81gmnêe par elles, la 
l'IO1d elr.. .e. .,t à l"a 'fo.IS Y/fruJ.e et nom, pOUVO•I l' d e 11" er et pn"nC.lp e 
d?o:lysc, attribution elo découpe. La l'ale",,., daDs .l'~oalyse 
des richesses, occ~p.e d~DC exactement la même p~Sltlon. que 
la ,truetur/J dans 1 hUltOIl~ ~tureUe; c0l'!lme C!lle-cl, elle, J01~1: 
en une seule et même oper.ation la• fonctIon qw •p ermà et d atm- buer un Bigne à un autre Bigne, une representation une autre 
et celle qui penn~t d'art.iculer les élém~nts qui ~ompos~nt l'en­lemble 
des representatIOns ou les slgDes qUI les decompo- 
"nD~e 800 côté, la théorl"c de 1a mOnD'ale et d u commerce exp1 l" que 
emnment une matière quelconque peut prendre uue fonction 
signifiaute en se rapportant à un objet et en lui servant de 
aibrrle permane~t; elle expli~e.aus~i (par 10 je~ ~u commerce, 
de l'augmentatIOn ct de la dunmutlon du Dwueraue) comment 
ce rapport d~ signe à signifié puut s'altérer. Slins dis~lll"~ître 
jlllllais, comment un même élément mouêtaue peut signifier 
plus ou moins de richesses, comment il peut glisser, s'étendre, 
se rétrécir p!lr rapport aux valeurs qu'il est chargê de repré­& 
enter. La théorie du prix monêtaire correspond dODe à ce qui 
dans la rrrammaÛ'e ginérate apparatt sous la forme d'une analyse 
des racines et du langage d'action (fonction de déaignalion) 
et à ce l{1;'i apparaît sous la forme des tropes et ·des glissements 
de sens (fonction de dérivation). La monnaie, comme les mots, 
a pour rôle de désigner, mais ne cesse d'osciUer autour de cet 
":0 vertical: les variations de prix sont à l'insta1l1'9.tion pnr 
DUère du rapport entre métal et richesses ce que sont les d6pla­CeD! 
e~ts rhétoriques à la valeur primitive des signes verbaux. 
tllll~ l~ Y a plus: en assurant à partir de ses propres possibilités 
Il d~~lgnntOn des richesses, l'établissement Jes prix, la modi­fihillon 
des valeurs nominales, l'appauvrissement et l'enri­e 
~se.ment des nations, la monnaie fonctionne par rapport 
af rlchet;se5 comme le carar:tire par rapport aux êtres natu-l~ 
il : elle permet à la Coia de leur imposer une marque singu-l'h 
:re I-·t .le 1 . di . . u eur ln quel' une place sans doute proVlSoue uans 
.tl!Ipace act.uellement. défini par l'ensemble des choses et des 
:~es dont on dispose. La théorie de la. monnaie et. des prix 
th~~ :ans l'analyse des richesses ]a même position que la 
niè rle!1 U ':H:-,ctère daus l'histoire naturelle. Commo cette der­de 
~ne e JOln~ en une seule et même fonction la possibilité 
nef un signe aux choses, de faire reprêsenter une chose
216 
par une autre et la possibilité de faire glisser un signe par 1'1 
port la ce qu'il désigne. P-Les 
quatre fonct.ioDs qui définissent en ses propriétés aiugu 
lièr~ le ligne verbul et le distinguent de tous les autres !Iign • 
que la l'epraentation peut se donner àelle-mi!me,lul'etrouve~: 
dono dans la aÎgnaliaation théorique de l'histoire DatUl'f)lle et 
dans l'utüiaation pratique des signes monétaires. L'ordre deI 
l'ichll8sell,l'ordl'f:1 des êtres natu1"llb s'wstaurent et. S8 d6couvrellt 
dans la mesure 00. on établit enLre les objl.lt& du htlaOin, entre 1 .. 
individus visibles, des systèmes de sib'lles qui pennettent. la 
désignation des représuntutions les lWCti pllr lU8 autres, III déri­vation 
des représontations si~nifialltes par rapport aux signi. 
fiées, l'orticulation de ce qUI est l'6prêsent6, 1 attribution ùe 
certaines représentations il certaines Ilutroe. En ce scnll, 011 
peut dire que, pOUl' la pensée classique, les systèmes de l'his­toire 
naturelle et les théories de ln monnaie ou du commette 
ont leI mêmes conditions de possibilité que le langage lui-mêllle. 
Ce qui veut dire deux choses : d'ahord que l'ordre dana la 
nature et l'ordre dans les richesses ont. pour l'expérience ela$­aÏllu~, 
Je même mode d'Ure que l'ordre des reprbcntations 
tel q u'iJ est. maaifesté pal' les mots; ensuite que les mots forment 
uu sysLèrne de signel! suffisamment privilégié. quand il s'agit 
de {élire apparaître l'ordre des choses) pour que l'histoire natu­relle 
si elle est bien faite, et. pour que la monnaie si elle Ml 
bien réglée. fonctionnent à la manière du langage. Ce que 
l'algèbre est. Il la rnalhellU, les Bigncs. et. singulièrement ICII 
motd, 10 60Ut. à la Ca:ri,wmia : cOllstitution et mrwiE&lJtation 
évidcnte de "unire dus choses. 
Il existe çopendant une difIérence majeure qui empêche la 
classification d'être' le langage spontané de III nature et .lel 
prix d'Ôtre le discours naturel des ricbuslles. Ou plutôt il eXISte 
deux difrérences, dont l'une permet. do wdtwguer les domaiD'" 
des signes verbaux de celui de9 richesges ou des êtres naturllis. 
et dont l'autre permet de distinguer la théorie de l'bi.toire natu' 
relie et celle de la valeur ou des prix. _ • 
Les quatre moments qui défirussent le9 fonotlons essentit;lles 
du lungage (attribution. articulation, désignation, dérivation) 
sont solidement liés ~ntre eux puisqu'ü9 sont. rcqu!s les .is 
par les autres à partir du moment où on a frunch., aVJ~ el 
verbe, le seuil d'existence du langage. Mais dans lu gtluèse _r,,1:I1~ 
deslaugues. le }Iarcours ne se fait pus dans le même sens nl,~ve 
la même rigueur: à partir des désignations primitivt:s, IIDl~­g! 
natioD des hOI,!IUtl$ (5elon les cli~ats où ils vivent, ~~ c0"t.: 
ti0n;' ,de leur e~15tence, leur~ lentime!l~ e~ leurs ~at;s.OD9'tTê­e. 
xpcrlcm:Q qu'ils lont.) IUllclte dés derlvatlons qUI sont dl
217 
t avec les peuples, et qui expliquent 8ans doute, outre ]a 
rend' e8ité des langues, la relative ioetabilité de chacune. En un 
Ive~pt. dono6 de cette dérivation, et il ),intérieur d'une langue 
JJ}o~Jière Ica hommes ont il leur disposition un ensemble de 
lan LS de ~om!l qui s'articulent les uns sur les autres et découpent 
Jmors' -pré.~eotatioDII; mais cette analyse est si imparfaite, elle 
JeAuis se .s..u bsister tant d" nnpn_;C.1I.S" I,?DS et. tant d e ch eV8~~ }I Inuent. 
qu'avec les mêmes representallons Jes hommes utilisent. des 
moLS divcrs et. formulent des propositions différentes leur. 
rét!l:xion n'c5t pas il 1'IlLri de l'erreur. EntTe la dé15ignation etla 
d6rivation, Jes glissements de l'jmoginationsemuJtiplient; entre 
l'articulation et. l'attribution, prolifère l'erreur de la réllexion. 
C'est pou"l1loi il l'horizon peut-être indéfiniment reculé du 
JI1Djlsge, 00 projette l'idée d'une langue universelle où la valeur 
repré.~cnt8tÏ·e des mots I18rait a5sez IHltt.ement fIXée, assez 
bien fondée, assez évidemment reconnue pour que la réflexion 
puisse délJÏùcr en toute clarté de la vérité de n'importe queUe 
ProlJOsition - par le moyen de cette langue « les payssns pour­raient. 
mieu.'t jugar de la vérité des choses que DB font main­tenant 
les philosophes l _; un Jan..auge parfaitement distinct 
permeumit un discours entièrement clair: ccUe longue semit 
en clle-même UDe Ars combioowria. C'est pourquoi également 
J'exercice de tout.e langue réelle doit être doublé d'une Ency­clopédie 
qui définit le parcoUl'S des mots, prescrit lcs voies les 
plus naturelles, dessine les glissements légitimcs du sA.voirr 
codifie les relations de voi.'!inoge et de rel!scmblance. Le Dic­tionnaire 
est lait pour cODtrôler le jeu des dérivations à par­tir. 
de la désignation première des mots, tout comme la Langue 
u!"ve:sell~ est faite pour contrôler, à partir d'une articulation 
~Ien elablie, les erreUl'!l de la réflexion quand elle formule un 
Jugement.. L'Ars combinntoria et l'Encyclopédie se dpondent 
de ra.rt ~t d'autre de l'imperfection des langues réelles. 
la L. hI9tol~naturelle, puiaqu'ilfaut bien qu'elle soit une scienl'e, 
CIrculatIon des richesses, puisqu'elle est une institution créée 
par, I~ h~mmes et. contr6lée par eux, doivent échapper à. ces 
pénis 1n1!eren~ aux langages spootanês. Pas d'erreur possible :er ir a,,!-lcuJatlon ct attribution dllDS l'ordre de l'histoire natu­: 
e?WSque la structure Ile donne daus une visibilité immé­~ 
'Pha) s Don plus de glis8ements imaginaires, pas de fausses 
D• ..a..t.u ermel an.'es ' de v O.l S'mag.es lD congms qm' p1 aC'.e'ral ent un être 
le sie co!feCtement désigné dans'un espace qui ne scrait pas 
ayltè 0, PU1~que le caractère est établi BOit par la cohérence du 
1Q8,SOlt par l'exactitude de la méthode. La structure et le 
1. De.~rles. LeLlre à MeJ'5enne, 20 novelÙl'8 1629 (A. T., 1, p. 76).
218 
caractère assurent, dans l'histoire naturelle, ]a fenneture théo­rique 
de ce qui reste ouvert dans le Jnnp:o~e et fuit nllître SI 
ses frontières ]es projets nt 
d'arts essentiellement inach~véR mêrn? .la. valeur qui d'.estin~ntive devient !lutom~tique~lIm: 
8ppreclallve. la mOnIUlitl qUI par sa quantité crol~IIRnte ou 
décroisllaDte provuque mais linùte toujours l'oscillRtion des 
Jlrix, garantissent da us l'ordre des rjche~s68 l'aj1L'ttement de 
l'attribution et de l'articulation, cillui de]a débignation et de la 
dérivation. La valeur et les prix assurent la fermeture pratique 
des St".gments qui demeurent ouverts dam! le langage. La struc­ture 
pormet à l'bistoire naturelle de se trouver tout desuitedans 
l'élément d'une combinatoire, et le caractère lui permet d'éta­blir 
li propos des êtres et de leul'll rCt~scmblnnc('.s une poétique 
exacte et définitive. La valeur comhine les richesse!! les WU!II 
avec lcs autres, la monnaie pcrmct leur êcbange réel: Là oÏl 
l'ordre désordonné du langage implique le rapport continu à 11.0 
art et à scs tâche!! infinies, l'ordre de la nature et celui des 
riche"ses se mani(estent dans l'exi!ltence pure et simple de la 
structure et du car!lctère, de la vnll!ur et de ]a monnaie. 
Il faut pourt.ant noter que l'ordre naturel !le fonnule dans 
une théorie qui vaut comme]a juste lecture d'une série ou d'un 
wbJeau réd : aussi bien la structure des êtres e!lt-elle à la fois 
la forme immédiate du visible et son articulation; de même le 
caractère désigne et Iocalitl8 d'un seul et même mouvement. En 
revanche, la valeur estimative ne devient. appréciative que pal' 
Wle transformation; et le rapport initial entre le métal et la 
marchandise ue devient que peu à peu un prix: sujet à vaMa­' 
tions. Dans 10 premier OOS, il s'agit d'une superposition exacte 
de l'attribution el de l'articulation, de la désignation et. de la 
dérivation; dans j'autre cas, d'un passage qui Ilst lié à la Dature 
des choses et à l'activité des hommos. Aveo le langage, le 
système des signes est reçu pn!lsivemcnt en son imperfection 
et seul un art peut le rectifier: ln théorie du langage est immé­diatement 
pres cript ive. L'bistoire naturelle instaure d'elle­même 
pour dé!!igner les êtTes un système de signes et c'es~ 
pourquoi elle est une théorie. Les ric11esses 90nt des signes cr.u 
sont produits, multipliés, modifiés par les hommes; la théorHt 
des riche!SCs est liée de part en part ayec une politique. 
Cependant. les deux autres côtés du quadrilatère fODd~en.tal 
demeurent ouverts. Comment peut-il se faire que la déslgllBtl0: 
(acte sinbrulj~r el ponctuel) ~ermett~ une articulation dil 
nature, des rlche!llles, des representat.lons? Comment peut- (de 
(aire d'une façon générale que les deux segments opposés u 
jugement et. de ]a signification pour le langage, de la strUct;j11l 
et du caractère pour l'histoire naturelle, de la valeur et es
219 
• pour la tMorie des riche~ses) se rapportent l'un à l'autre 
pnx 'orisent ainsi un langage~ un ayltème de la nature e le 
eL au erDent ininterrompu des richesses? C'est là qu'il faut bien 
xnOuV sel '1U6 les reI)ré~entation8 se reuemblent entre elles et 
::P~llellent Jcs unes les autres dana l'j."!8ginatioll; que les 
être., naturels SOllt dans un rapport de vOIsInage et de resllem­blance 
(lue Ics btllioins des hommes se correspondent eL trouvent 
~ se ~tisr8ire. L'enchaînement des représentations, lIA nappe 
IBOS rupturc des êtres, la prolifération de la nature 50nltoujQurs 
is poUf qu'il Y ait du langage, pour qu'il y ait une histoire 
:furelle et )lOur qu'il puisse y lAvoir ricbesses et pratique des 
richllsses: I.e continuum de la nprésentation et de l'être, ulle 
outologie délinie négativement comme absence de néant, une 
re)lrê~,mtabilit6 générale de l'être, et l'être manifestA por la 
prellence de la représentation, - tout ceci fait part.ie de la 
configuration d'ensumhle de l'lpÙlt.8,ni classique. On pourra 
reconnBItl'C, dans ce prjncipe du continu, le moment métaphy­siquement 
fort do la l'OIlSé6 dOl! XVUO et XVIIIe siècles (ce qui 
permet Il la formc de ln proposition d'avoir un sens effectif, à la 
structure de s'ordonnor cn caractère, it la valeur des choses de 
se cnlculol' en prix); tundis que les l'Ilppol'ts entre articulation 
et attribution, désignation et dérivation (ce qui fonde le juge­ment. 
d'une part et le sens do l'outrel ]a structure et. le caractère, 
la valeur ot les prix) définissent pour cette pensée le moment 
scientifiquement fort (ce qui rend possibles la grammaire,l'his­tuire 
nuturello, la scienee des richesses). La mise en ordre de 
l'elDJliricité BC trouve ainsi liée à l'ontologie qui caractérise la 
pensée classique; celle-ci se trouve en cftet d'entrée de jeu ~ 
l:intérjeur d'une ontologie rend.ue transparente par le fait que 
1 ~tre est donné snns rupture à la repré5entatioll; et. à l'inté­rlour 
d'.une représentation illuminée par le lait qu'elle délivre 
le contmu de l'être. 
QuaD~ à la mutation qui s'est produite vers la fin du 
X~lIe 8,lècle dans toute l'épidémi occidentale, il est possible 
des 1D8IDte~an: de la caract€:r.ÎBer .de loin en disant ~'un 
~om~nt sCleutJflqucment fort a'est cOllstitué lit où 1'~p~mè 
e Il!,,lque conllaissait un tempa métaphysiquement fort; e~ 
: e~ ~V8Ilche. un espace philosophique s'e.'It dêgagê Ill. où le 
.oi~dIClËe avaIt. établi ses serrures épistémologiques les plull 
no:.v es. n elTet, l'analyse de la production, comme projet 
rnent88U de li DOuvelle c 6conomic politique 1 a essentielle­prix. 
de 1=.: ~on~pts d'organismes et d'organi!lation, les méthodes 
Daisllim~ DUel~omparée, bref tous les thèmes de la c biologie. 
lour rû e d'analyser le rapport entre Ja valeur et les 
exp lqueut comment des Btructures observables sur
220 
des individu~ peuvent val"ir à titre de caractères génêrllux po 
d~ genres, des famille~, de!! embranchements; enfin pOur u:r 
fier lc~ di~positi?~~ formelles d'un 18!lgage (s~ capacité il COIIstt 
tuer de!! proposlt.IOn!!) et le sens qUI appartient à SCB mots la 
« phi~ologie» êt~diera non plus les fonctions repréRentali~C:9 
du dl.SCOurS, maIS, un, ensem~le d~ cO~!ltnn~es m,orphologiques 
soumIses à ulle histone. PhilologIe, bIOlogIe et economie prJJj. 
tique ~e constituent lion pas 11 la place de la Grammaire génërak 
de l'Iluloire naturelle et. de l'ATlafyse du ric/res,'08, mais 1/: 
où ces savoirs n'exilltaient pns, dans l'espace qu'ils lai~Sllielit 
blanc, dans la profondeur du sillon qui séparait lcul'!l grands 
segments théoriques et que l'emplissait ]a rumeur du continu 
ontologique. L'objet du savoir au Xlxe siècle se {orme là même 
où vient. de Be taire la plénitude classique de l'~tre. 
Invorsernent, un espace philosophique nouveou va se libérer 
là où se défont lel! objets du savoir classique. Le moment de 
l'attribution (comme forme du jugement) et celui de l'articu­lation 
(comme découpe gén6mle des êtres) se séparent, faisant 
Battre le problème des rapports entre une Bpophantique et 
nne ontologieio1'l1'lelles; le moment de ln désignation primitive 
et celui de la dérivation à travers le temps se séparent, ouvrant 
un espace où se pose la question des rapports entre Jo sens 
originaire et l'histoire, Ainsi se trouvent mises en place les 
dcux grandes formes de la réflexion philosopbique moderne, 
L'une interroge les rapports entre la logique et l'ontologie; eUe 
procède par les chemins de la formalisatiQu et rencontre sous 
un nouvel aspect le problème de la malhesis. L'autre interroge 
les rapports de la signification et du temps; elle entreprend un 
dévoilement qui n'est et. ne sera sanl,! doute jamais achevé, 
et elle remet BU jOllr les thèmes ot. les méthodes de l'in~rpré­fation. 
Sans doute 10 qUOlition la plus rondamen~al6 qui puis5e 
alors sc poser fi 10 philosophie conceme-t-eIJe le rapport entre 
CCR deux {ormes de réRexion. Certes, il n'appartient pas à l'ar­chéologie 
de dire si ce rapport est pos,clible ni comment il peut 
Be fonrier; mai..'! elle peut désigner III région où il cherclle à ~e 
nouer, en quel lieu de l'épi3témè la philosophie moderne essate 
de trouver son unité, en quel point du savoir e11e découvre 
son domaine le plus large: ce lieu, c'est celui où le rortll~l (de 
l'apophantique et de l'ontologie) rejoindrait le signifi'!lltlf yI 
qu'il s'éclaire dans l'interprétation, Le pl?bli:me cssentlOl de 8 
pensée classique se logeait dans les rapports entre le ~m et 
l'ordre: découvrir une nomenclature qui (lt une ta%ÎnomLe, ou 
enco~e i,nstauror un système de signes qui ltU tr:llI.~parcnt à 1~ 
contmulté de l'être. Ce quo la ponree moderne va mettre {on 
damentalement en question, c'est le 1'8pport du sens arec
JJ.cllfmgt'r 221 
le de ln vérité et la COrIDe d~ l'êt.re : au ciel d.e Dotre 
ln fof'!l è c un di~r.ollrs - un discours peut-être loaccea­~ 
11f!l(lOIl, url" ~n,it d'un seul tenant. une ontologie et une séman­Il. 
Ib e - Lqe structuïdh"llme. n e st pas une me•t . h0 Il e nouveI le ," 1'1 
UfJu1e . onL'cÏence e'vie lcle 'et" m·'lU·lo ...... d11 sa v'oUI' mol e rDe. e.t 1 C 
VitI. LI:: D'srn F:T LA REI'RÉSENT"'TION 
L1ltl hommes du XVIIe et du XVIIIe siècle ne peM6n~ pB~ la 
riçhc,,-~e lu nature ou les langlles avec 00 que Jeur avait Ja18sé 
les ii~('.s·'précédents et dans la lign.e d~ ce qll.i a)J8.i~ Atre bient.Ôt 
Ut!cOllvert; ils les pensent à partir dune dlspnsltton géné""l~ 
qui ne leur prescrit pas seulem~!lt ,:onef1lt8 et !'létbodes ~alli 
qui tlus fondamcntlllelDent, definlt un certAIn mode d "tre 
pm:r e lungllge, lm; ùldividus de la nature, les objets du be80in 
et du dtlllir; cê mode d'être, c'est celui de la représentation. Dès 
lors tnut un sol commun arparait, Otl l'hÏ!toire des scifmces 
figure comme Wl elTet de Burfut:e. Ce qui ne veut pas dire qu'on 
pflUt. la laÎs86r d('$omlais de côté; mais qu'une réflexion sur 
l'historique d'Wl savoir ne 'peut plus se contenter de suiv,"" à 
travers la Buite des temps la filière des connaissances; celle~-ci 
eu elIet, lie sont pas des phénomènes d'héréùité et. de tradition; 
et on ne dit pas ce qui les a rendues possibles en énonçant ce 
qui était connu avant elles, eL ce qu'eUes ont, comme on dit, 
• 8p(lOrlé de nlluveau Il. L'hi,;l.oire du savoir DO peut être Caite 
qu'à }llrtir ùe ce qui lui a été contemporain, et non paB certes 
e!l termes d'iullutlllce réciproque, mois en termes de condi­t! 
OnR et d'~priori constitUÔll dans Je temps. C'est en ce sons que 
1 :ir~lll'ologte peut rendre compte de l'e.. r :i.t!ence d'une grnmmaire 
geï~~lcJ d·.Wl~ histoire naturelle et d'une analyse desrichc~scsJ 
et Ibercr ~lllS1 un espace sllns fissure où l'histoire des sciences, 
celle ùes Idées et des opinions poutTont prendre si elles le 
vculent, leurs ébats' , 
. Si les analyse:' d~ la rep~_qentation, du langage, des ordres 
~~1jrt!l.s ct des rlc~cssC~ sont parfa!tement ~hé~"!ltes et homo­C. 
tti entre elIcs, Il eXIste toutefoIS un désequlhbre profond. 
gn~: Jue .Ia ~erréscntation commande le mode d'être du lan-ly 
s-c 'd fi el.a'l indiV. idus. d.e la nature et du hesom lui-même. L'ana 
les d • represcntnbon a doue valtmr déterminante pour tom. 
toute°m~lnes empiriques. 'fout le système classique de l'ordre, 
pDr le ce te ~ndc taxinomia qui permet de connattre les chm.es 
système de leurs identités 80 déploie dans l'espace ou .. art
c6rémonie 8U plul juste (il appelle les cboses par leur nom IItriCL. 
défaisant. ainsi tout.l'tlllpace rbëtorique) et il rallonge il l'infllli 
(en nommant tout, et eans oublier la moindre des possibilités, 
car elles 80nt toutes parcourues selon 11 Caractéristique Uqj_ 
versel1e du D6sir). Sade parvient au bout du discol1l'8 et de la 
penslle classiques. Il règne exactement à leU!' Iimit.e. A partir de 
lui, la vio1ence, la vie et. la mort., le désir, la 8exualit6 Vont 
étendre, nu-dessous de la représentation, Wle immense nappe 
d'ombre que nous eRsayons maint.enant de reprendre commo 
nOll9 pouvons, en notre, discours, en notre liberté, en 'notre 
penllée, Mais notre pensée ost. si courte, notre liberté sisollmi!le 
notre discours si reS!laS98nt qu'il faut biell noulS rendre compt~ 
qu'au fond, cette ombre d'ell dessous, c'est la mer lA hoire. Let 
prospérités de JulÜllte sont. toujours plus solitaires. Et elIes 
a.'ont pas de terme.
XVII' XVIIl' IllcIeJ. 
XIX' &lêcll 
Il Il ............ 
II. No. hIoir.-'o 
IoRo ...............
222 Lu mati et le, cha,~ 
lll'inlérieur de soi par la représentation quand elle se représente 
elle-même: l'être et le m6me y ont leur lieu. Le langllge n' t 
que la reprllsentation des motsi Ja nature n'cst que la re rêse~ 
talion des êtresi Je besoin n'est que la représentation du hC!4)in: 
La f~n de la pensê~ cJas,sique - ~t d~ cette épi..ttimè qui a rendu 
possibles grammaire gnn{!ralf'., histOire naturelle et 8citmr.o dus 
richesses - coïncidera avec le retrllit de la représentation 011 
.plutôt avec J'affranchissement, à l'égard de la repré&entntÎon, 
du Jan~Rge, du vivant et du besoin. L'eRprit obscur rna.i!l ent"té 
d'un peuple qui parle, la violence et l'elTort inCt:sliant de la 
vie, ]a force sourde <les be~oins échapperont au mode d'âln.: de 
la représentation. Et celle-ci !ieta doublée, limitée, bord~e 
mystifiée peut-être, régie en tout cas de l'extérieur par l'énoMIl~ 
poussée d'uno liberté, ou d'un désir, ou d'une volontû <Jlli !tl 
donneront comme l'envers métaphysique de la COIISClence. 
Quelque cbose COmme un vouloir ou une fOret! va surgir dans 
l'expérience moderne, -la consLituant'peut-être, signalallt en 
tout cas que l'âge,c1assique vient de se terllliuer et. aVllc lui le 
règne du discours représllntatif, la dynalllie d'une reprÔtlenta­tion 
se signifiant ell~lIIêlJl6 et énonçant dans la Buite de Set! 
mots l'ordre dormant des cholles. 
Ce renvo1'5llJnont, il est oont.emporain de Sade. Ou plutat. 
cetto oeuvre inlussable manifesta le prilcaire é'Iuilibre entre la 
loi Buns Joi du désir et l'ordonnance métiouleuse d'une repré­sentation 
disoursive. L'ordre du discours y trouve sa Limite et 
88 Loi; mais il a encore la force de demeurel' c06xistensif à 
cela même qui le régit. Là Sflns doute est le principe de CI! 
• libertinage » qui fut le dernier du monde occidental (après lUi 
cornmcnr.e l'âge de ]a (lcxunlité) : ]e lihel'tin, c'est celui qui, eu 
obéis.'lant il toutes les fantai~ies du dé!lir et à chacune de sel 
fureurs, peut mais doit aussi en éclairer]e moindre mouvement 
par une représentation lucide et volontairement mise en oeu':re. n y a un ordre striot. de la vie libertine: toute représent.:t~~n 
~O!t s'~lIimer aussitôt dans le c,orps vivan~ du désir, t!lut de~L 
dOIt. s'enoucer dans la pure luuuère d'un dl:;COUrs reprC5on~a~1 
De là cette succession rigide de III scènes B (la 8cène, chez ~a 8, 
c'est Je dérèglement. ordonné à la représentation) et, à .lant 
rieur des scènes, l'équilibre soigneux entre la combinatOln: es 
COl'ps et.l'slIchtlincment des l"ùisons. Peut-êt.re JUStilUl et JI/lulla, 
li. la naissance de ln cu1t1J1'8 moderne. sont-elles daus ln mèm." 
position que Don Q,,,i,chotte entre 13 Ren8i!l~auce et le c1assl; 
cisme. Le héros de Ccrvan~!I,.1isant les ~JlPorts.du. monde er 
du langnge comme on le fal~8tt 8U XVIe sli!cle, ùi:lchitTnlnt. ~ 
le seul jeu de la re!lSemblance des châtcoux dans les auber 18 
et des dames dans les filles de fenne, s'emprisonnait slUll
223 
• le mode de la pure représentation; mais puisque 
IBVoir dll:entation n'avnit pour loi que la similitude, elle n8 
cetl~ ~~aJlquer d'apparp.ttre sous la fOnDe d~jlloire du dlll~ 
poUV1l 10 lIeeondo partie du roman, Don QUichotte recevait 
Or, OliM ode représenté SR vérité et sa loij il n'avait plus qu'Il 
de ce JI1° de ce livre 0"1 il était né, ou'il n'avait. pas lu maill 
atUlIIOre d -, - • 1 •• . d' • 
dont il devait suivre le cour;;, un ~stlD qw If etait. esOmlall1 
• r, nBr les aut.res. Il lUi sullisalt de S8 lall1er VIvre en un 
unl~t: r' •• li' • f li d 1 h'tesu où lui-même, qUI avnlt p netre J'ar la 0 e anl e 
c a do de la pure représentation, devenait bnalement pur et 
m'mnnp le personnage dans l' artl·6 c e d' une repre, sentatl.o n. Le 8 
81,.rsollllllg4'.11 de Sude lui répondent il l'autre bout de l'âge cla .. 
r~e c'est-à-dire au moment. du déclin. Ce n'est plus le triomphe 
ironique de la repr,étlentat!o!' 8U~ I~ rellsemblancej. C'!lIt l'obs­curu 
violence répêl~ du deslr qUI Vlopt battre les IlJwtes ~e la 
repré~p.ntalion. J/.4Iitme co~re!!Jl0ndr~lt b. la ~econde partul de 
Don Quit:hnue; elle est objet mdéfim du désll' dont elle est la 
pure origine, comme Don QuiClhotte est mnlgré lui l'objet de la 
repré;!entntioll qu'il est lui-même en son être lIrofond. En Jus­tine, 
Je doeir et la reprl!sentation ne commumquent que par la 
pré.~8nce d'un Autre qui se représente l'héroine comme objet. 
de désir, cependant qu'ene-même ne connalt du désir que la 
forme légère, lointaine, extérieure et glacée de la repré."entation. 
Tel est. sun malhelI' : son innocence demeure toUjours en tieN 
ontre le dé8ir et la représentation. Juliette, elle, n'est rien de 
plus que le sujet de tous les désirs possibles; mais cee désira 
IOnt repris sans ré15idu dans la représentation qui les fonde 
raiMnnablement en dÎ$cour. et les transforme volontairement 
en 3t:è~ •• De sorte que le grand récit de la vie de Juliette dêploie, 
tout. au long des désirs, des violences, des sauvageries et de 
lu mort, le ~b!eau 5~int.iUant de la représentation. Mais Cf'J 
tu~I~81J est SI mlDee, lU transparent li. toutes les figures du désll' 
~Ul mlo8~hlemellt s'accumulent en lui et se multiplient par 
rft seule ~orce de leur combinatoire qu'il est aussi déraisonnable 6 cel~l de Don Quichotte, quand de similitude en similitude j. croyait ~vRncer à travers le8 chemins mixtes du monde et des 
lVres,.mals s'enfonçait dans le labyrinthe de ses propres repré-lIf!~ 
t8t'OIIS. Julietl<l exténue cette épaisseur du représenté pour 
~or d'meuri] sans le moindre défaut, ]a moindre réticeuce, ]e 
En re ':'01 e, toutes Ics possibilités du désir. 
Dun QI~h ce ~cil ~ferme l'Age classique sur lui-même, comme 
I.nga t'te oU~ l aV81t ouvert. Et s'il est vrai qu'il est le demier 
~t lel!:ci en~re .contempo1'8in de Rousseau et de Racine, l'il 
~ire denuer dlsCQurs qui entreprend de • représentel'., c'est· 
e n01llmer, vu sait bien que tout à la fois il réduit cette
Ca.A.PITRB VII 
Les limite! de la reprûenI6tÏon. 
1. L'AGE DB L'aISTOIRB 
Les dernières années du xvm8 siècle sont rompues par une 
discontinuité symét.rique de ceUe qui avait. brÏié, au début. du 
XVII". la pensée de la ~enai5s~n~~; alor~~ le.s gru,!-des û.gures 
cinlulaires où s'enfermalt la similit.ude s etaient disloquees et 
ouvertes pour que le tableau des identités puisse 611 déployer; 
et ce tableau maintenant va se défaire à son tour, le savoir 80 
logeant. daus un espace nouveau. DisconLiuuitit aussi énigma­tique 
daus 80n principe, dans son primiLif déchirement que celle 
qui sépare les cerclOII de Paracelse de l'ordre cnl'lésien. D'où 
vient bl11squement ceLLe mobilité inattendue des 'dispositions 
~piSlém()logiquC$. la dérive des positivités les unes par rapport 
aux aut.res, plus profondément encore l'altération de leur mode 
d·Ot.re? Comment 110 fait-iL que la penséo se détache de ces 
plag08 qu'elle habitait jadis - grommnire générale, histoire 
Da!-m'eUe, richesses - et qu'elle laisse basculer dans l'erreur, la 
c:himère, dans le non-savoIr cela même qui, moins de vingt ans 
.up~vnnt, était posé et affirmé dans l'espace lumineux de la 
eonnal;8!11lDCe~ A quel événement ou à quelle loi obéissent. ces 
:ÙU~tlOns qw font que soudain les choses ne sont plus perçues, 
fa altes, énoncées, caractérisées, classées et sues de la même 
çon, et. que dans l'interstice des mots ou sous leur trampa­rre~ 
ce., ce ne sout plus les richesses, les êtres vivants, le discours s olfrent BU savoir, mais des êtres radicalement düIérents? 
l.our Uue archéologie du savoir, cette ouverture profonde dans 
le~npr des continuités, si elle doit être analysée, ct minutieu­par~ 
n , D~ peut être 1 expliquée" ni même recueillie en une 
-ur te Uwque. Elle est un événement radical qui S8 répartit 
à pa:ite l!l surlacQ visible du savoir et dont on peut suivre pas 
es Signes, les secouues, les effets. Seule la pensée se res-
230 
saisissant. cllc-même il Ja racine de son histoire pourrilit 10 1 
son6 uucun doute, ce qu'a éLé co ellc-même 10 v6riti: tioli~' ~I', 
de cel. uvéllement. a .. , 
L'nrchéologic, eUc, doit parcourir J'événement. selon sa di~ 
,ition Ulaniftl~t~j. e~lo dira COJWI~C~~l les conligurlltiows )lrlIÎ,lr:»­à 
chnque l'0tilllvite se sont. 1IL0dlliees (pllr exclllpt!! elle ulnl ~ 
scm, l'OUf la grummuirc, l'cffaccment. du l'ole nmjt:ltr prèt.6 ;r­nom, 
ct.l'i.rDl'C!rluJLce nouvcl~e ùus systèmes de flexion; ou I!IH:(~IJ 
la 9ubOl'dulIltlon, d~ns le Vivan", dLl caractère à la rUIICliflU)! 
elle anulysera l'altération des ètres em(liriquc~ qui peul,I~IIL It~ 
positivités (la 8L1bstilution des lungues au discours, Ùl) hl pro­duction 
aux richoslics)j clle étudiera le déplacement do.:,; posi­tivités 
les unus pnr l'apport ume: nut.reli ()Jur exemple, lu l'I!lali~Q 
nouvelle entre ln biologie, les science::; du luogag., o.:t l'~colllJllli'!l. 
eofin et surtout, elle moutrera que l'espaeu gc;ll':rol du ... ~,'Jl; 
u'est plus cdui des iJuntiLés ct des clifrüruuclIs, ct:!ui des IJrdrtlli 
non qUHutitlltifil, celui d'uoe caractérisation universelle, d'une 
ta:tinomia générale, d'wle m",llesis du non-mesul"'clble, mai. UII 
espace (ait d'organisations, c'est-à-dire da rapports inter .. !:. 
entre des élément.s dontl'ensemble assure une fonctiou; el1ell100.. 
t1'era que ces orgllnuations sout discontinues, qu'ullesDe forIllent 
dono pus un tat.leau de simultanéités sans rupturus, mais que 
certaines SODt de même niveau tandis que d'autres tracent 
des séries ou des suites linéaires. De sorte qu'on voit !1Ifl,oir, 
comme priucipea organisoteu1'8 de cet espace d'lImpiridld, 
l'Analogill et la Succu&i.on : d'ulle organisation à l':lIIlre IG 
lien, en cfFet, ne peut plus être l'identité d'un ou plusieur~ éI~­menta, 
mois l'identité du rapport entre les ëlémentt; (où la viii­bilité 
n'a plus do l'ôle) et de la fonction qu'Us a~surcnt; de 1,lus, 
l'il arrive à ces org-olnintions de voisilJer, par l'cf Tet d'uDe don" 
sité singulièrement gruude d'anulogies, ce n'cst pUI qu'eI}es 
occupent des emplacements proches duos un espace dIS c:ltlSIÛ· 
ca tiOlI , c'est parce qu'eUes ont été formél.'s rUile en môme ~el/lp' 
que l'autre, ct l'une aUSllitôt après l'uutre tians le devemr t.ld 
lIuccession!. Alors quo dausla pensée clnssiq ue, la suite des chr(/" 
nologies ne faisait quo purcuurir re~pnce préalable et plus rï"­damental 
d'un tableau qui en IJrésentoit à l'"vancu lO'!ttlll t 
cS 
p09sibiJil.és, désormai8 le8 ressemblances uonlcmpurume5 obsorvubles .imultanément dans l'esp~ce ne. seront IJU~, ~ 
formes déposées et fixées d'une lucces:1Jon qUI procède d lin:: 
logie en analogie. L'ordre classique distribuait en. w~ e:!)Ju~i 
p~rm8!,ent les i~eo~ité!l et le6 djlIéren.ce~ non quantlt.a~IVe; ~i' 
sepnrment et UDJSll8lcnt les ohoses: c'etalt cct unIre qUI ;"lléi. 
souverainement, maÎl chaque fois selon des formes eL ~lt:Ia 
légèrement différentes, sur le discours des hommes, le ta
Les limiles tÙ l6 r/lprtfsernatwn 231 
tres naturels et 1'6change des richesse!!' A partir du 
des è. è 1 l'Histoire va déployer dans tlne série temporelle les :lU". 81, C a'ui rapprochent les UDes des autres los orgunisations 
.~RJ,OglleS qc'C!t. celte Histoire qui, progressivement, imposera. 
dl9tllD~ eàs'l'II[JIll~Se de la proùuction, à celle des,6tres orgaui-aClI 
O..I S Ile en n des groUpllti lU' Igu,ls.tlq ues. L'IIIsl"ol·r1e .cw-nne 
,,f,s' .. .,c eo rrranÎsstlO. Ds anal og'lq ues. tout COIlIlIlC 1'0n-1u-e ouvrai' t 
IclU_ 1a uIn.'I.D.. "d es ideutl' tés et d os ditIc' rences .!UCce88W' 8IJ, le lCit leis on voit bieD qu' H'I stOl"f O n est pas à cntend ro 'II J,l comme 
le r:cucil des successions d~ lait, !.elles qu'elles ont ~~ ~~re 
(''ODstitu6c sj c'est le, llIode d être f!-md~mentRI. des e,mpIrlCltes, 
il partir de quoI eUes Bont allirlnees, posees, dl~poséu8 et 
rcéep Arties dans l'espace du sav'oir pour d" even t ne1 1 es connai' s-lanCOS 
et pour des IIcieuces possibles. Tout comme rOrdrednns 
18 p6~ée classique n'ét~it pn~ l'harDionie vis~l~ des choses, 
leur ajustement, leur regul81'Ité ou leur &ymetne constnté.~, 
muis l'espaoe propre de lellr être et ce qui, avant toute conMis­lumceeIJectivc, 
let! établissait dans le savoir, dt: même l'Histoire, 
il partir du X1X8 8iècle, définit le lieu d., DaÎli1!&llCe de ce qui est 
ewpirique, ce en quoi, en deçà de toute chronologie établie, il 
prend l'être qui lui est propre, C'est pour cela sans doute que 
l'Histoire, si t.ôt, s'est partagée, selon UDe équivoque qu'il n'est 
sans douta pas possiblt: de maîtriser, entre unu scieuce eUlpi­riqlle 
des événements et ce mode d'être rddical qui prescrit 
leur destin la tous les êtres empiriquC.'l, et la COli êtres singuliers 
quu nou~ BOlWDetI. L'Histoire, on 10 sait, c'est. bien la plage 
la plus érudite, la plus avertie, la plus év6ÏlIée, la lJlus eDl:ow­brée 
peut-être de notre mémoire; mais c'est él1alelllent le 
fund d'où tuu51C11 elres viennent à leur existence et"à leur sein­tillt! 
ment précaire. Mode d'être de tout ce qui nous est donné' 
daD!! l'expérience, l'llistoire est ainsi devenue l'incontournable 
~e n?tre pensée: en quoi sans doute elle n'est pas si différente 
e l,Ordre classique. Lui aUlIsi,on pouvait l'établir dans un 
~volr concerté, mllÏB il était. plus fondamentalement l'C.'l~aoo 
011 t?lJt être vellait à la connaissance' et la métaphYSique 
1,~:'llle de logeait précisément en ceU~ distance de· J'ordre il 
1 Nre, es classenltlnts à l'Ideutité, des êtres naturels il 
~ aturej ~ref de la perception (Ota de l'imagination) des 
10' mth:s à 1 cntel!dement et li. la volonté de Dieu, La phi­rH~ 
P I~ au XIx!! SIècle se logera dans la dist.ance de l'histoire à 
décIh!ilrleo lre' ddes é ve-neme nt s à 1'0r l.g,w e, d e 1" evol tab' on au preuu, er 
plus M~:n~ e,Iasource, de l'oubli au Retour, Elle ne serad?l1c 
et. nêces fi ySlque que dans la mesure où eUe sera Mémolfll, 
savoir cesa.areme,nt elle reconduira la pensêe il la question de 
que c est pour la pensée d'avoir une histoire. Cette
232 
que~tion inlusliahlement pressera la philosophio de He 1 
NietzscJle et "u-delà. N'y voyons pal la fin d'Ulle rétlgc .• 
philosophique autonome, trop matinale et trop fièro poQXJOI1 
poocher, exclusivement, sur ce qui fut dit avant eUe e':: 80 
d'autresj n'en prenons pas prétexte pOUl' dénoncer une p,,~ 
impuissante à se tenir toute seule debout, et toujours contrai 3~ 
li. s'enrouler SUl' une pensée déjà accomplie. Qu'il 8Um~e nd Il 
recon.naître là. une philosophie, déprise d'une CtlftuÏne mélue 
physique parce que dégagée de l'espace de l'ordre, Inais VOUQ - 
au Temps, lA lion flux, à ses retours parce que prise dans le blOO: 
d'être de l'Hiltoire. 
Mais il faut l'evenÏl' avec un peu plus de détail SUI' ce qui s'ost 
pass'; au tOlU'nant du xvme et du XIX' siècle: lUI' cette muta. 
tion trop rapidement dll8siuée de l'Ordre à l'Histoire, ct sur 
l'altératIOn fondamentale de ces pusitivitiss qui, pendant près 
d'un siècle ~t demi, avaient dOIUlé lieu il tant de suvoirs vOIsina 
- nnalyse des rcprÎll;entationll, grammaire générule, histoire 
nalurelle, réflexiuns aur les richesses et le commerce. Cornment 
ces manières d'ordonn6l' l'empiricilé que furent le discours, le 
IlIbleau, les échangea, ont.-eUes été elJaeUes? Eo quel autro espace 
et selon <}.uelles figures les mots, los ntrtlB, les objeLs du besoin 
ont-ils pris pInce et Be sont-ils distribués les uni par rapport 
aux autres? Quel nouvenu mode d'âtre ont-ils dft recevoir pour 
que tous ces changements aient été possibles et pour que soient 
apparus, au terme de quelques années il peine, ces savoil'!! 
maintenant familiers que nous oppelons depuis le XIXe si~ultl 
pl,ilulugie, biologie, économie poltllqueJ Nous nous imuginoOli 
vuluutiel'lS que si CilS nouveaux domaines ont été définis au 8i~çle 
dernier, c'est qu'un peu plus d'objectivité dons ln connnÏli­san~ 
e, d'cxacLitude dans l'observation, de rigueur dans le rdi· 
SOliDement, d'organisation dans la recherche et l'informal.Ïon 
ScitlnLifique, - tout cela aidé, avec un peu de chance ou ~e 
génio, par quelques découvertes heureuses, nous a lait t>orl1r 
d'un âge préllistodque où le savoir halbutiait encore avec la 
Gmmmair6 d/J Purt-Rayal, 1MB clu5sificalioU5 de Linné et les 
théories du commerce ou de l'agriculture. Mais si, du !JoiDt de 
vue de III rationalité dlls coDnaisijances, 011 peut bien Ilfl~ler ~e 
préhistoire, pour los vositivités, 00 oe peut parler que d'histOire 
tout court. Et il a bien fallu un événement fondamental- u.n 
des plus radicaux sans dout.a qui soit arrivé à la cultura OCCI­dentale 
pour que se dMssse la potlith'ité du savoir classi([Ue, et 
que se constitue une positivité dont DOUS ne somwes sans duute 
pas entièrement sortis. • 
Cet événement, SBns doute paree que nous sommes prIS 
encore dans son ouverture, nous échappe pOUl' Wle grande part.
233 
~eur les couches proroodes qu'il a atteintes, toutes 1. 
Son. ~"!réa q~'i1 a pu bouleverser et recomposer, la puissanoe 
PU,.La~ine qui lui a permis de traverser, et en quelques aDoées 
lou1ve ent l'espllce entier de oolre culture, tout ceci ne Dourrait 
,eU elU, ., d' ê .. , I!-• -at.I'mb et m611ure qu au terme une enqu te quasI lDlwle 
6tr'e n -e concernenu"t ni lp u"s m m01l1ll que l'ê tre m"... me d Il ootre 
qu~ernité, La coDlititution de tant de sciences positives, l"appa­JJ. 
I.: n dB III littérature, le repli de la philosophie sur son propre 
"d e.v.0 e nir, l'r.mex;gence d ~ l'h'J ~~O,~ ! à 1a fO'IS ~omme 8aVO,! r et 
comme mode d êLre de 1 e!l'plrlol~e, oe ,Ioot qu,autant de sagtl4!B 
d'ulle rupture proronde, Signes disperses dans 1 espace du AVOir 
plli~qu'ill se loissent apercevoir dans la formation ici d'une philo­Iv~ 
ie là d'une économie politique, III encore d'une biologie. Dis­pt) 
rsi~D aussi daos la chronologie: certel, l'ensemble du phéno­mène 
le situe eotre dei dates aisément. allSignables (les pBÏnts 
~xuêmes 80nt les aDnées 1775 et 1825); mais 00 peut recon­naitre, 
en chacUII des domaines étudiés, deux phases sucee&­sivl! 
i qui s'orticulent l'une sur l'aut.ro II peu près autour des 
.oies 1795-1800. Dans la première de ces phases, le mode 
d'être fondamental des positivités ne change pal!;learichessesdes 
hommes, les espèces de la oature, les mots dont.leslaogues lon 
peuplées demeurent encore ce qu'ila étaient li. l'Age classique: 
des représentat.ions redoublées, - des représentatioDs dont le 
rôle est. de désigner dos représentations, de les aoolYller, de 1 .. 
composer et de les décomposer pour 'ai1"8 sur~ir en elles, 
avec le système de leun identités et de leurs dilférences. le 
principe général d'un ordre. C'est dans la secondo phale seule­ment. 
que les mots, les classes et les richesses acquerront. un 
mode ~'être 'lui n'est plus oompatible avec celui de la repré- 
8t:nlatlon. Eo revanche ce qui se modi6e très tat, dès les ana- 1r.ses d'Adam Smith, d'A.-L. de Jussieu ou de Vicq d'Azyr, à 
l,epoque de :1~~el ou d'Anquetil-Duperron, c'est la configura­: 
IO~ ~es pOSIt.IVltés : la manière dont, li l'intérieuJ' de chacune, 
es eJements ~pré&entatirs fonctionnent les uns par J'apport aux 
d?tr~, dO!IL I1s assurent leur double rOle de désignation et. 
soartlcul~lJo~ ùont ils pumennent., par le jeu. des comparai­êt 
nd~ ,A etaLhr un ordre. C'est cette première phase qw sera 
U lee dans le présent chapitre. 
11. J.~ MESURB DU TR"'V~IL 
ti~~ ~s'de volontierl qu'Adam Smith a fondé l'économie poli- 
10 erne - on pourrait dire l'économie tout courL - en
23~ 
introduisant daDl un domaiJle de réflexion qui ne le connai . 
pas encore le concept de travail: du coup toutes Jes ,/:"It 
analyses de la monnaie, du commerce et de l'êchange our:! el 
été renvoyées il un âge préhistorique du savoir, _ à 1" ~e~t 
exception peut-être de la Physiocratie Il gui on fait mérite 
d'avoir tenté au moins l'analyse de III production agricole, n 
est vrai qu'Adam Smith rê(ilre d'entrée de jeu la notion d 
richesse à celle do tl'avaU : .1.. 0 travail onnuel d'une nation ,.s~ 
le fonds primitif qui fournit il la consommation annuelle lOllt~ 
les choses néceSl!aires et commodes il la viei et cos chose~ Sont 
toujours ou le produit imm~.diat de ce travail ou achetées dt'll 
autres nations avec ce produit 1 Ij il est aussi vrai que Srnith 
rapporte la • valeur en usage Il des choses au besoin dcs hornrnoe 
et ]0 Il v~leur en échange 1 il la quantité de travail applirruêe , 
le prndll11'e : c La valeur d'une denrée quelconque pour celui qui 
la po~sède et qui n'entend pas en user ou la consommer lui­même, 
mais qui a l'intention de l'échanger pour autro chose est 
éj:(ale à ]a quantité de travail que cette denrée le met en état 
d'acheter ou de commander 1. » En lait la différence ent.re let 
analyses de Smith et celles de Turgot ou de CantiUon est moitlB 
grande qu'on ne croit; ou plutôt eUe ne réside pas III où on 
l'imagine. Depuis Caotillon, et avant lui déjà on distinguait 
parfaitement la valeur d'usage et la valeur d'éehangej depuis 
Canl..iUoo également on se servait de ]0 quantité de travail JlOur 
mesurer cotte derniorc. Mais la quantité de tm.vail inscrite dans 
10 prix des chose.o; n'était rien de plus qu'un instrument de 
mesure, li ln fois relatif et réductible. Le travail d'un homme 
en effet, valait la qu.ontité de nourriture qui était nér.essaire,à 
lui ct il sa famille, pour les entretenir pendant le tcmp~ que 
durait l'ouvrages. S1 hi en qu'en de1'Dière instance, le besoin­la 
nourriture, le vêtement, l'hahit.ation -c!Minissait la mesure 
absolue du prix de marché. Tout au long de l'âge c1IlSllique, 
c'est le besoin qui mesure les équivalences, la valeur d'us!l~e 
qui sert de référence absolue aux valeu1'8 d'échange; c'-;~t la 
nourriture qui jauge les prix, donnant. à la production agricole, 
au blé et à la terre, Je },rivilège que tous leur ont reconnu. 
Adam Smith n'a donc pas inventé le travail comme concept 
économique, pUlllqu'on le trouve déjà chez Cantillon, chez Ques­nay, 
cllez Condillac; il ne lui fait même pas jouer 110 rôle ïOu-veau, 
car il s'en sert lui aussi comme mo.'I11r8 de la VB 6ur 
1. A. Smith, Ruhtrche. 'ur la rich_ de. nulioM (trad. fr8n~nisp, Pari', 
1843), p. 1. 
2. Id., IbId •• p. 38. 
3. GRDUUon, Bilai 'rU' le commeru en ft_al, p. 17-18
1~.s lirnitu de la reprlstlntatioh 235 
, 1 Le trllvoil est la mesure rêelle do Id valeur 6cbllD­d'éc~ 
8n~e 'toute marchandise 1,1& Mais il h. d6place : il lui 
geab ~e "toujours la fonction d'an~lyse deb richesses 6~han­c: 
oll6C ,cette analyse cepenùant n est I!lub un pur et aunple 
~l,blcst pour ramener l'échange au beSOin (et le commerce au 
JDO~~Uurill1iti{ du troc); elle déc()uvre une unité de mes!ll'e irré-dge, 
'bVIe, indépassable et absolue, Dt.. coup, 100 rlohesses 
'uéetUub liront plus l'ord r,e 'm lerne de 1e u!", équ'lV 8 1c o!*, ~ar 
D omnnraition de.'; objets à échange., n1 pal' une estImatIOn 
du ne c ouv,,o,.i r propre à ch acun de te·pr'es entcr un 0 bJ' et de 
bu, Jn' (et en dernier recours le plul> fondamental de tous, la 
~Ol 1 1 " d '1 M'turc)' elles se décomposeront se on es unites e naval 
nio lesu Orll,t réellement pro dUl't ~8. L es n.e h e sses sont touJ' ours 
~~ élêments repr<:sentaûls qui lonctionnent : mais ce qu'ils 
revri~cnttmt fina,lcm(mt, ce n'est plUill'objet du dësir, c'est le 
travail. 
Mais aUlisitôt dcux objOOlilJDS Be .présentent : comment le 
travail peut-il être mes~re fixe du 'pfiX nat~el des choses alors 
que lui·Jllêm~ a un prIx -:- el, qUl esl vanable? Co~meot .Ie 
travail peul-Il être une umtâ mdêpassuble, alors qu 11 change 
de romle et que le progrb. dt'.5 manufactures le rend sans cesse 
plus productif en le divisant toujours davantage? Or, c'eat 
Justement à travers CCli objections et comme ~ar leur tru­cLeDlenl 
qu'on peut m"Ure au jour l'irréductibilité du travail 
et 80n car~ctère premier. Il y 8, en effet, dans le monde des 
çoutrées et dans une lIlème contrée des moments où Je travail 
e~t cher: les ouvrierll sont peu nombreux, les salaires élevés; 
.ilIClU'S ou en d'autres moments, la main-d'oeuvre abonde, on 
la rétribue mal, le tr~vail esl à bon marché. ~[ais ce qui 88 
modifie dans ces alternances, c'est la quantité de nourrituTe 
qu'on peut se prOCUft,:r avec UIle journée de travail; s'il y a 
peu de d.enrées, et. beaucoup de consommateur8, chaque unité 
de t~8vrlll ne sera récompensée que par une faible quantité de 
aubRlstancc; elle s~ra en revanche hien payée Bi IIlI denrées 8e 
U;(J1Jve~t en. abondanctl. Ce ne sont là que 165 collSéqusnces 
dune sltua,llon de mllrché; le t1'8vaillui·même, les heures pas­liées, 
la ~elUe et la fatigue sont de toute façon les mêmes; 
et. plus Il faudra dl. ces unités, plus les produits seront co{­teux, 
1 L~s q~aDt.ilés é~8les de travail sont toujours êgales 
POu.r celUi qUI tr"dvaille t, JI ':1 pourtant on pOll1'rait dire que cette unité n'est pas fixe 
PUltique pOur produire un seul et même objet, il faudra, selon 
i ~:J~'~dmill" Rt~htrcha lur la rjclru" du nafioru, p. 38, 
., t"" ., Pl 4!!.
236 
)a perfection des mflnufacturea (a'est-à-dire lelon la diviai 
du travail qu'on a inst.aurée), un labeur plus ou moins lonl)[l 
Mais il dire vrai, ce D'est paB le travail en lui-même ai g. 
changé; c'est le rapport. du travail il la production dont  ~ 
IUHceptible. Le travail, entendu comme journée, peine et 
fatigue, est un Dumêrateur fixe : seul le dénominateur (1 
nombre d'objets produits) est capable de variations. Un OUVl"i; 
Cl.ui aurait il faire il lui tout seul les dix·huit opéra tions dis. 
tmotes que nécessite la fabrication d'une épingle D'en produi­r~ 
it B0!ls doute po.s l'lys d'Ul~e vin~ai~e da.ns tout le coura 
d une Journée. MaiS diX' ouvriers qUI n aurausnt à accomplir" 
chacun qu'une ou deux opérations pourraient. faire entre eux 
plus de quarante·huit milliers d'épingles dans une journée' 
donc chaque ouvrier faisant une dixième partie de ce produit 
peut être considéré comme fai8aDt d8.Dli sa journée quatre mille 
huit cents épingles 1. La puissance productrice du travail a 
été multipliée; dans une même unité (la journée d'un salarié), 
les objets fabriqués lie sont. accrus; leur valeur d'échange va 
donc baisser, c'est-à-dire que chacun d'entre eux ne pourra à 
80n tour acheter qu'une quantité de travail proportionnellement 
moindre. Le trayail n'a pas diminué pal' rapport aux chos8S; 
ce sont les choses qui se sont comme rétrécies par rapport Il 
l'unité de travail. 
Il est. vrai on échange parce qu'on a des besoins; saOI eux, 
le commerce n'existernit pos, ni non plus ]e travail, ni surtout 
cette division 'lui le rend plus productif. Inversement, ce sont 
les besoins, quand ils sont satisfaits, qui bornent. le travail et. 
son )'lerfectionnement : 1 Puisque c'est la faculté d'échanger 
qui donne lieu à )a divi!lion du travail, l'accroissement de cette 
division doit par conséquent toujours être limité par l'tHe.­due 
de la faculté d'éclJanger, ou en d'autres termes par l'éten­due 
du marché 1. » Les besoins et l'échange des produibl !JUÏ 
peuvent y répondre sont toujours le principe de l'économle.: 
ils en sont le premier moteur et ils la circonscrivent; le trayall 
et ]a divi~ion qui l'organise n'en sont que des effets. MaiS à 
l'intérieur de l'échange, dans l'ordre des équivnlcnccs,ln mesure 
qui établit les égalités et les difJéronces est d'une autre !I~ture 
que le besoin. Elle n'est pliS liée au seul désir des iudmdu!I, 
modifiée aVtle lui, et variable comme lui. C'est ,me mesure 
absolue, si on entend par là qu'elle ne dépend pas du coe~l' 
des hommes ou de leur appétit; elle s'impose à euX de l'IIJtte' 
rieur: c'cst leur temps et c'est leur peine. Par rapport à celle 
1. Adom SmlLh, loc. cll., p. 7-8. 
2. Id., i.bid., p. 22-23.
237 
éc.léeesseurs, l'analyse d'Adam Smith représente un 
de .es P~e essentiel: elle disLingue la raison de 1'';change et 
décrooh~ de l'échangeable, la nature de ca 'lui eat échangé 
Ja mcsunilt!S qui en permettent la décomposition. On échange 
el les Il 'on a besoin, et les objets précisément dont on a 
pllr~ lJ~ais l'ordre des éohanges, leur hiérol'Chio et les dilT6- 
bt!'OIP'qui s'y manifestent sont établis par les unités du travail 
rt''!Ctlsr. o'l:' dénro,;ées dans les objets en question. Si pour l'ex- 
"III on ~ ,'-" • d •• ", . n"c .Ies hommes - au ruvellu e ce qui va mcessammunt 
n"fle ,., U • 'il éch ' '1 ~'I'I 1 rll,r lu psychologie - ce qu • , angent. c es~ ce qUI .Bur 
est' ~indisJlen!lnble, commode ou agreable,.' pour 1 éconolRlsto 
"ui circule sous la f01'me de ChOlies, c est du travan. Non 
rpAl!u !'' c1lell o.bje ts de beso•m • • te t l 1 ~1 se represen n es ~ms es ~?trest 
n!lds du temps ct de la, peme, trallB~ormés, cache." oublie!!. 
Ce dêcrochage est d une grande unportance. Certe.'I, Adam 
Smith analyse encore, comme sea prédécesseurs. ce champ de 
po~ilivité que ]e XVIII- aiècle a appelé les c ricllessea 1; et par 
U., il entendait, lui aUlsi, des objets de besoin - dOM lea 
objets d'une certaine forme de représentation - 8e représen­tant 
eux-mêmes dans les mouvements et le8 processus de 
l'échange. Mais à l'intérieur de ce redoublement, et. pour en 
zi"ler la loi, les unités et les mesll1'eS de l'écbruage, il formule 
1.1I~ principe d'ordre qui eet. irréductibleà l'analyse de la représeu­tHtion: 
il met à jour Je travail, c'est-à-dire]a peino et 1. temps, 
celle journée qui ilIa lois découpe et use ln vi" d'un homme. 
L'{~'luivalence des objets du déllir n'est plus établie par l'inter­mêdiaire 
d'autres objets et d'autres désirs, mais par un pas­snge 
à ce qui leur est radicalement hétérogène; s'il y 8 un 
ordre dans 14'.9 riclleBses, si ceci peut. acheter cela, si l'or vaut 
deux Fois plus que l'm'gent, ce n'est plus parce que Ip.9 hommes 
onl dcs désirs comparables; ce n'est pas parce qu'à trovers 
leur corps ils éprouvent la même faim ou parce que leur coeUI' 
il tou~ obéit aux m~mes p1'cstiges; c'est parce qu'ils sont tous 
j.OU!llIS 8U temps, à la peinc, à ln fatigue et, en passant à la 
.InUte, àla mort elle-mble. Les hommes échangent parce qu"ils 
eprouvent des besoins et des désirs; mais ila peuvent échanger 
el ordcmMr ces échanges parce qu'ils sont soumis au temps et 
à 1!" gnlnde fatalité extérieure. Quant à la fécondité de ce tra­vail, 
elle n'est pas due tellement à l'habilet.é personnelle ou 
au C!t1cul des intérêts; elle 18 fonde sur des conditioIlll, elles 
a~!I!lI,. eltlérieures à sa représentation : progrès de l'mdUlitrie, 
:Cjltisement de ]a division des tâches, accumulation du capi- 0'; P!I;tage du travail productif et du travail Don productif. 
IDe 'VOit de queUe manière la réflexion aur les richesses com-nce, 
avec Adam Smith, l déborder l'espace qui lui était.
238 Lu mou et les '''0161 
881igné à l'Age cla8sique; on la logeait alors à l'intérieur ~ 
1" 1 idéologie» - de l'onalyso de la représentation' dosol'lQn' 
elle se réfère comme de biais ù deux domaines qui' échap IS 
l'un comme l'autre aux formeR et aux lois de la décompo"h~nt 
des idées: d'un côté, elle pointe dp-jà. vers une anthropol IO,n 
qui met en question l'csscnce de l'homme (sa llnitude o;;e 
rapport au temps, l'imminence de la mort) et l'objet dans l~qu i 
il mvcstit les journées de son temps et de lI8 peine sans pouvo~ 
y reoonnattre l'objet de son besoin immédiat; et de l'nut~r 
elle indique encore il vide, la possibilité d'une économie P()li~ 
tique qUI n'aurait plus pour objet l'écbange des richll~es (et 
le jeu dcs J'6présentations qui le lande), mais leur production 
réelle: formos du travail et du capital. On comprend comment 
entre ces positivitâs nouvellement formées - une anthropnlo­gie 
qui parle d'un bomme rendu étIanger à lui-mOrne et une 
économie qui pnrle de mécanismes extérieurs à la conscience 
humaine -l'Idéologie ou l'Analyse des représontations se 
réduira à n'êtTe plu9, bientôt, qu'wle psychologie, tandis que 
s'ouvre en face d'elle, et contre olle, et. la dominant bientôt 
de toute sa hauteur la dimen.'lion d'uno histoire possibill. A 
partir de Smith le temps de l'économie ne 8era plus celui, 
cyclique, des appauvrissements et des enrichisscments; ce ne 
80ra pas Don plus l'accroi:lsement linéaire des politiques habiles 
qui en augmentant toujours légèrement les espèces en circuln· 
tion acc6lèrent la production plus vile qu'ils n'élèvent les prix; 
ce ser8 le temps intérieur d'une organisation qui croît selon 
S8 propre nécessité et S6 développe selon des lois 8utochtonea 
-le temps du capital et du régime de production. 
111. L'ORGANISATION DES tTR.ES 
Dans le domaine de l'histoire naturelle, les rnodificatioD' 
qu'on peut constater entre les années 1775 et 1795 sO!'-t ,do 
même type. On ne remet pas en question cc qui est au prtn~lpO 
des classifications: celles-ci ont t.oujours pour fin do détermmer 
)e II: caractère J qui bIToupc les individus et les espèces dans des 
unités plus gênérales, qui distingue ces unités les unes dlls autres, 
et qui leur permet enfin de s'emboîter de manière à former un 
tablenu où tous les individus et tous les groupes, connuS ",u 
inconnus, pou1T<mt trouver leur place. Ces caraotères sont pr~ 
levé!! sur ln reJlr~8entation totale des individus; ils ~n sode 
l'analyse et permettent, en représentant ces représentatIons,
Lu limites tk la reprüenlGlion 239 
l'tuer un ordre; les principes généraux de la Ia3:Ïnomia­coll! 
:Oûrncs qui avaient cOUllDandé les syllt.èmes de Tournefort 
ceuùx L'lnué lu méthode d'AdaJlSOn - contilluent à valoir de la 
mctê meo faç,on pour A.-L , de JU91'11 eu, pour VI' ~q d.'0!.6--1-&' pour 
J.umarck, pour Candolle, Et pourtant la tecbmque .CJ.UI penn~t 
d" tablir le caractère, le rapport entre struct.ure vllilble et crl­të; 
cs de l'identité sont modi6és tou,t comme ,!Ilt été modifiés 
. r Adam Smith les rapports du besoin ou du priX. Tout au long 
S~ XVIIIe siècle, les clossificaleurs avaient établi le caractèro 
Il;la t:omporllisou ,des struc~l1!es. visibles, c'est-à-~e par la 
~i9o en rapflort d'élem~ntl! qw et!llent bom~~èn~s pUl~~ue ch~­cun 
pouvait, selon le prmclpe ordmateur €lm etait ChOISI, servU' 
il représenter tous les autres: ln seule différence résidait en ceci 
quo pour les s)'stématiciens les éléments représentatifs 6taient 
fixés d'entrée de JCII, pour les méthodistes, ils se dégageaient 
peu à peu d'une confrontation progressive. Mais le passage de 
la atructUl'C déor.ite au caractère classificateur se faisait entiè~ 
ment. au niveau des fonctions représentatives que le visible 
exerçait li. l'égard de lui-même. A partir de Jussieu, de Lamarck 
el. de Vicq d'Azyr le caractère, ou plutôt la transformation de 
la structure en caractère, va se fonder sur un principe étranger 
au domaine du visible - un principe interne irréductible au 
jeu rëciproque des représentations. Ce princire (aulluel corres-· 
Jlond, dans l'ordre de l'économie, le travail), c est l'organi,ation. 
Gomme fondement des taxinomies, l'organisation apparait de 
quotre façons différentes. 
1. D'abord, BOUS la forme d'une biéral'Cbi" des caractères, 
Si en effet on n'étale pas les espèces los unos à côlé des 
autres et dallB leur plus gmude diversité, mais si on accepte, 
pour délimiter tout. de suite le champ d'investigation, les 
lu~IlS groupements qu'impose l'évidence - comme les gra­lIWlées, 
les composfics, les crucifères, 181 légumineuses, polir 
lC;' riantes; ou poOl' 16s animaux, les vers, les poissoDB, les 
Ollle"clllX, les quadrupèdes -, on voit que certains caraotères 
lont absolumont constants et no manquent dans aucun des 
genres, a~~une des espèces qu'on peut y rcconnaitre : par 
pe~ies'tI!l1 pll"e , lwe•r tion des étamines, leur situation par raplrV"l rt au Domb 'd6rtion d~ ln corolle quand eUe port.e les étamines, le 
D'a :: e lobes qw accompagnent l'embryon dans la semence. 
D'at~ .es caractères sont très fréquen.ts daDB UJL8 famille. maia 
f ~lgnentlas le même degré de constance; ç'est qu'ils sont 
p~r;::s par cs organes moins essentiels (nombre de pétales, 
ou du n~ ~ïÏ) absence de la corolle, situation rellpeetive du calice 
Enfin ~IS : ce soutles caractères. secondaires subuniformes 1. 
es caractères c tertiaires semi.uniformes 1 Bont tantôt
240 
constants et tnntbt variables (structure monophylle 011 01 
phylle du calice, nombre de loges dans le fruit, litu8tio: l­fleurs 
et deI Eeuilles, natuJ'6 de la tige) : avec ces caraClèrl!lllem~ 
uniformes, il n'est pas poslible de définir deI famillos Ou dt­ordrel- 
non pAS qu'ils ne lOient point capables, si On 1': 
appliquait à toutes lei espèces, de fonner des entités g6nêral ...1 1 
mais parce qu'ils ne concernent pas ce qu'il y a d'e88entiel dan~ 
un groU}?8 d'êtres vivants. Chaque grande famille nat.urelle 8 
des réqUisits qui la définissent, et les caractèrlll qui permettent 
de la reconuaitre sont leI plul proches de ces conditioDs fonda­lnentalcs 
: aiDlii la reproductiou étant la fonction majeure de la 
planle, l'embryon en lera la partie la plua importnnto, et OA 
pourra répart.ir leI végétaux en trois classes: acotyltidones, mono­cot. 
ylédones et dit:otyllidones. Sur le rond de ces caractères f'.s~ell­tids 
et. c primaires l, les autrel pOW'l'Ont apparaltre et int.ro­duire 
des distinctions plus fines. Ou voit que le caractère n'elt 
plus prôlevé directement sur la structure visible, et SODI aut~ 
critllre qlle sa p~sonce ou son absoncei il se (onde sur l'exis­tence 
de fonotions e9.'Ientielles il l'être vivant, et sur de!, rap­ports 
d'importance qui ne relèvent. plus soulement. de la des­cription, 
2. Les coractères sont donc liés il des IObctions. En un seDII, 
on revient il la vieille théorie des signatures ou des marrr!eI 
qui supposaient que ]es êtres portaient, BU point ]e plus viSible 
de leur surface, le signe de ce qui était en eux le plus essentiel. 
Mnis ici ICI rapporta d'importance sont des rapports de subor­dination 
fonctionnelle. Si le nombre de cotylédons est décisif 
pour classer les végétaux, c'elt parce qu'ils jouent un rôle déter­miné 
daDl la (onction de reproduction, et qu'ils sont liés, pRr 
là même, à toute l'orgaDÏsationmterne de la plante; ils indiqllen~ 
ulle fouction qui commande toute la disposition de l'individu 1. 
Ainai, pour les auimoux, Vicq d'Azyr a montré que les fone­tiOIl8 
alimentaire8 BOnt 8UlI8 doute les plus Wlportalltesj o'est 
pour cette raison que c dus rapports constants existent entre la 
structure des dents des carnivores et. celle de leW'5 muscle~1 de 
leurs doiJlR, do leurs ongles, de lour langue, do leur estomac, 
dalours mtestins 1 •• Le caractère n'est donc pas établi psr un 
rBl!port du visible à lui-même; il n'est en lui-même que la 
pomte visible d'une organisation complexe et hiérarchilée o~ la 
fonction joue un rôle ellsentiel de commande ct de d6terminatloQ. 
Ce n'est pas paree qu'il est fréquent dans les St1'l1cturea oblMll'" 
1. A.-L. de Ju.leu, Ger/lira planfarum, p. X"III. . 
2. Vicq d'Azyr, Sgstbn8 analomi'lJl' du 'luaclrupidfl, 1792, DISCOUrs pr60 
Uminaire, p. LXXX'n'.
L.;s limilu de la roprûenUUton 
, caractère est important; c'est pareo qu'il al lODe-vec: 
5 qü un nt important qu'on le rencontre souvent. Comme le 
lionne enlll uer Cuvier, réiumant l'oeuvre des derlùel'll grands 
It~a rd-~~~ du siècle, li melure qu'on s'élève vers les clasiesles 
p'lcthû• I~ C les li plus aus~i les propriétés qui restenl. communes 
T' 11 18. gl'nurLa allles' Ilt comIIlle les raplports cs p 1u s constants Bont 
on t conl!' . 1 l . 1 8 , appartiennent aux parties es pus unportanles, es 
Ccux qUI • • J._' '. d 
L' ..... des diVISions BupQ"Jeures se trouveront tU'ees el 
!:arac cr",~ C' .• ] 'Ihod l' les plus importantes... est amsi que 0 m,,. e liera 
I,~r 1e5lle pUlsqu'elle tient compte de l'importance des organes 1». 
pa3lu. rlOl n comprend dans ces cood 'l ~.l OOS comment ]' d • 8 nollon e VIO 
devenir indispensable ~ la IDlse en ordre des ~trcs naturels. 
Êfi~ l'est de,'cnuc pour delL't l'ai5VW$ : d'abord, il fallll!t pouvoir 
luisir dans la profondeur du corps les rapports qUl hent les 
ofllunes superficiels k ceux dont l'elÙlltence et ln larme cachée 
Mblurent les Conctions essentielles; ailllli Storr propose de classer 
les m8mmjfèr~s d'après la disposition de leurs labots; c'cst que 
celle'ci est liée aux modes de déplacement et aux possibilités 
motrices de l'animal; or, ccs modes Il leur tour sont en corrélation 
avec 111 forme de J'alimentation et les diJIérents organes du 
"Y5tème di~esliC '. De plus, il peut se faire que les caractèrcs 
IC$ plus importants soient les plus cachés; déjà dans l'ordre 
v~gétult on a pu constater que ce no sont pas 14:$ Oeurs et les 
IruilK - parties les micux visibles de ln plaute - qui 80nt les 
éléments lIignificatifs, mois l'appareil embryol11laire et dei 
organes comme les cotylédons. Ce phénomène est plus fréquent 
encore chez Jes animaux. Storr pensait qu'il fallait définir les 
grandes classes par lu formes de la circulation; et Lamarck, 
qui pourtant ne pratiquait pas lui·même ln dissection, récuse 
pour les animaux: inférieurs un principe de classement qui ne so 
ionderait que sur la forme visible: c La considération des arti­culations 
du corps et des membres des crustnc~s les a fait 
re~~~~cr p~r tous les naturalistes comme de véritables insectes, 
~t J Ul mo!·même longtemps sui,·i l'opinion commune Il cet 
cgard, MalS comme il est reconnu que l'orCl'anisation est de 
~~ut':81e~ considérations 1. plus essentielle p01~r guider dans une 
I!tnh~hon .méthodique et naturelle des animaux ainsi que 
pour. deternuner parmi eux les véritables rapports, il en résulte 
que .~s crustacés, respirant uniquement par des branchies li. la 
i~DI re, des mollU!!ques, et ayant comme eux un coeur muscu­.:: 
d?lVent ~tr~ placél immédiatement après eux avant les 
c rudes et]es U1Sec:tea qui l1'oot pas une lemhlablo organisa-p. 
~O-~I.Cuvler. Tableau ilimenlaln ri, j'/aislDin naturellt, Paris. an VI, 
~ Slo 
l'r. Prodromu, mellaDdi mcunmaliul1l lTüblngen. 1750), p. 7-20.
242 Les mats et loe chases 
tion 1. Il Closser ne sera donc plus réCérer le visible Il lui'rn~ 
en chargcanll'un de ses éléments de représenter les autres' e, 
lera, dnns un mouvement qui fait pivoter l'analyse, rappo;te 
le visible à l'invisible, comme à SR faison profonde, puis remo~r 
ter de cette secrète architecture vers les signes manifestes qll; 
en sont donnés à la surface des corps. Comme 10 disnit Pinel 
d.ans SOD oeu-yre de naturaliste, c s'en tenir aux caractères eltt~: 
l'leurs qu'asilignenlles nomenclatures, n'est-ce point Ic fermet' 
la source la plus féconde en insLructions, et refuser pour ainsi 
dire d'ouvrir le grand livre de la nat.ure qu.'on se propooe 
cependant de connattre 1 Il. Désormais, le caractère reprend BOn 
vieux rôle de signe visible pointant vers une profondeur enfouic' 
mais ce qu'il indique, ce n'est pas un texte secret, une parol~ 
enveloppée ou une ressemblnnco trop precieuse pour être expo­Béej 
c'cst l'ensemble cohérent d'une organisntion, qui reprend 
dans la trame unique de sa souverninetê le visible comme l'in­visible. 
'- Le parallélisme entre classification et nomenclature .. 
trouve dénoué par le lait marne. Tant que le classement comi.­tait 
en un découpage progressivement emboîté de l'espoce 
visible, n était très concevable que la délimitation et la dénomi­nation 
de ces ensembles puissent s'accomplir de pair. Le pro­blème 
du nom et le problème du genre HaieDt isomorphes. Mois 
mainteoaut que le caractère ne peut plus clalS!er qu'en se réfé­rant 
d'abord il l'organisation Iles individus, c distinguer 1 oe 8e 
fait plus scIon les mêmes crit.èrus ut les mames opérations qu~ 
« dénommer J. Pou.r trouver les ensembles fondamentaux qUi 
regroupent les êtres Daturels, il faut parcourir cet espace en 
profondeur qui mèlle des organes superficiels aux plus seoreU, 
et de ceux-ci aux grondes Jonctions qu'ill assurent. Une bonne 
nomenclature en revanche continuera li se déployer dans l'es­pace 
plat du tableau: il partir des caractères visibles de l'indi­vidu, 
il faudra pnrvenir li la case précise où se trouve le nom de 
ce genre ct de son espèce. n y a une distorsion rondamentale entre 
l'espace de l'organisation et celui de ln nomenclature: ou pin­tôt, 
au lieu de se recouvrir exactement, ils sont désorma!8 pe1" 
pendiçuIaires l'un à l'autre; et à leur point de joncl1on so 
trou.ve le caractère manüeste, qui indique en profondeur une 
fonction, et permet à la surface de retrouver un nom. Cet!o 
distinction qui en quelques années va rendre caduquos r~I~­toire 
naturelle et. la prééminence de la ttUinornÏ4, c'cst nu gente 
1. Lamn1'Ck, SUI/Ir me du anlmaw: IIIII'I' uerlëlw.IJ (Pari6, 1801), p. 143-14-1; 
2. Ph. Pinel, Nouuelle mllhode de dauiflcalion tIti quadrumane.f ( • .JcU./I : 
141 Sociül d'hi.loire mlurelle. ~. 1. p. 6Z, cité in Daudill, l.eI ClatiU roB /1" 
,igUl', p. 18).
Les limitu de la reprdsenlalion 243 
II.rck qu'on la doit: dans le Discours préliminaire de la 
de La;' ançais/l il a oppos6 comme mdicaloment distinctes les 
Fwra Jches de' la botanique: la c détermination Il qui applique 
deuX les de l'analyse, et permet de retrouver le nom par le 
J~ ~g ieu d'une méthode binaire (ou tel carnctère est présent d1mp f'fndividu qu'on examine, et il faut chercher à le situer 
dons )11. partie droite du tableau; ou il n'est pas présent et il faut 
d:!her dans la partie gauche; ceci jusqu'à la d6termination 
d nl'è--)' et ]a découverte des rapports réels de ressemblance, 
eri sup''p'o' se l'examen d e l' orgBlU.lIo.tIo n entl'"", re d es esp è ces1. L e 
~~rn et. les genres, la désignation et la classification, le langage 
et la nature cessent d'êtTe entrecroisés de plein droit. L'ordre 
des mots e~ l'ordre des ê!res ne 6~ ~oupent plus qu'o.n ~e 
ligne 8rtificl~l1ement défiDle.,!.eurvleJ~le 8pparte~8nc~ q1llava!t 
'ondl: l'histOIre naturelle à 1 age clusHlque, et qUI avaIt condUit 
d'un seul mouvement la structure jutlqu'au caractère, ]a repré­sentat. 
ion jusqu'au nom et l'individu visible jusqu'au genre 
abstrait, commence à se déCaire. On sc met à parler !lur des 
choses qui ont lieu. dans un autre espace que les mots. En fai­slInt, 
et très tÔt, une pareille distinction, Lamarck a clos l'âge 
de l'histoire naturelle, il a entrouvert celui de la biologie beau­coup 
mieux, d'une façon bien plus certaino et radicale qu'en 
reprenant, quelque vingt aus plus tard, le thème déjà connu de 
I~ série unique des e~pèces et de leur transformation progres­BlVe. 
Le concept d'organisation existait déjà dans l'histoire natu­relle 
d!1 xvme siècle- tout comme, dans l'analyse des richesses, 
)a n?tlOn de travail qui elle non plus n'a pas été inventée ou 
8o~ttr de J'âge cJal!Sique; mais il servait alors à définir un CCl'­tnm 
~odc de composition des individus complexes à partir de 
mat~l"l8ux plus élémentaires; Linné, par exemple, distinguait 
)~ C Juxtaposition li qui fait croltre le minéral et l'. intus!!lIsCCP­~ 
ou » par laquelle le végétal se développe en se nourrissant 1. 
,o.nnet oppo~Ait l'c agrégat» des ( solides bruLs • à la « compo­! 
Itn::: des soll~es c.rganisés » qui c entrolnce un nombre presque 
ln de punies, les unes fluides, les aulres solides li J. Or, ce 
c?ènept d'organisRtion n'avait jamais Beni avant la fia du i! c. e à {onder J'ordre de la nature, à définir son espace ni en li. villltd,.. . ~!gures. C'est à travers les oeuvres de Jussieu, de 
)a cq ~ .... ~ .. c.t de Lamarck qu'il commence à fonctionner pour 
preIlllèrc fOIS comme méthode de J. caractérisation: il suhor- 
1. Lamarck L F . 
p. J(C-Cl/. ., a 101'6 trQII~"e (Paris 1778) Discours préliminaire, 
2. Linn~ S!l1U 
3. llollll~t C me ".xu~l d~ dgHoru: (trad. truoçalsQ, Paru, an VI), p. 1. 
, antemplalUHI &le lu ncllur'/l (OEulll'u UJmpldu, t. IV, p. 40),
244 
duone ICI carlict.èrOllcs un. aux auLres; illes.lie à. des (onctions 
il les dispose scIon une architecture aussi bien interne qu'extern; 
et noulnuw invisible que visible; il1e9 répartit dans un espuc e 
autre que ctlui des nonu, du discours et du langage. Il nu s! 
ol)ntent.e dono plus de duaigner une catégorie d'êtres pArmi les 
autres; il n'indique plui sllulllratmt une coupure duns l'e!l'ace 
taxinomique; il ùffinil pour certains êtres la loi int~ricure qui 
perllltli. il tello dt) leur» structul'CS de prendre la valeur ùe 
oaractère. L'ol'gllnÏsation s'iJUlère entre les struutures 'lui arLi­oulent 
elles cnractèl'e9 qui désignent, - 1ntroo.uill3ut entre eux 
un C8pUce profond, intérieur, OIIsentiel. 
Cette mutation importante se joue encore dans l'élément de 
l'histoire nat.urelle; cllc modifie Itlid méthodlltl et loI!. t.echniques 
d'une t4:Ilirwmia; elle u'eu rêcuse pus lei! conditions fomlnmco­tales 
de p08sibilit6; elle ne touche pas encore au mode d'ètr" 
d'un ordre naturel. Elle ent.ralne cependant une conséquence 
mlljeure : la radicalisation du partage entre organique et inor­ganique. 
Dans le tableau des êtres que dêploYllit l'histoire Mtu­relie, 
l'organisé et le non-organisé ne définissaient rien de plU8 
que deux catégories; celles-ci s'entrecroisaient, sans coïncider 
nécessairement, avec l'opposition du vivant et du non-vivant. 
A partir du moment où l'organisation devient. concept fonda­teur 
de 111 caractérisation ntlturelle, et permet de passer dtl III 
structure visible à la désignation, eUe doit bien cesser de n'être 
elle-mOme qu'un caractère; elle contourne l'espace taxinomiquo 
où elle êtait.logée, el c'est. ellc à Ion tour qui douue lieu à uno 
classification Pllssible. Pur le (ait. même, l'opposition de l'orga­nique 
et. dtl l'inorgauique devjent fondamentale. C'est, en elT~t, 
li. partir des 8nnllt:8 1775-1795 que la vieille articulation des 
trois ou quatro règnes disparuttj l'opposition des deux règnes 
- organique et inorganique - ne la remplace pas Ilxaclelllcntj 
elle la rend plutôt impossible en imposant un autre partage, Il 
un autre niveau et dans un autre eS!IUce. Pallas et Lamarck 1 
formulent cette grande dichotomie, avec laquelle vient cotn­eider 
l'opposition du vivant ct du non-vivant. 1 li n'y a que 
deux règnes duns la nature, écrit Vicq d'Azyr en 17t1? l'un 
jouit et. l'autre est. privé de 10 vie '. 1 J...'orgnnique deVient 10 
vivant et le vivant, c'cst ce qui produit, eroissant et. se rtpl"O" 
duisant; l'inorganique, c'e:!t le non-vivant, c'est ee qui .ne 60 
développe ni ne se l'eproduit; c'est aux limites de la vie,l'mert., 
et l'iuCGcond, -la lllort_ Et s'il est mêlé à. la vic, c'est. comme 
ce qui en die, ttlIld à la détruire et à la tuer. Il Il exi~Le danil 
1. LA marck, La Jllure fran,a/,s, p_ 1-2- 
2. Vicq d'A~)'I', /'nmiu, diMou,., oMIt/mfquu, 1786, p. 17-18.
Les limitu de 1éJ reprhllJ1llatiun. 21,5 
les eLres vivants deux forces puissantes, très distinctes et 
tou:'ours en opposition entre elles, de telle sorte que chacune 
r.ïes détruit Ilerpétucllcment les ellets que l'autre parvient 
fA e oduire 1 •• On 'Voit COmID8nt, fracturant en profondeur 10 
P~d tablenu de l'histoire naturelle, quelque chose comme uno 
f:a!II('1ie va devenir possible; et comment aussi va pouvoir émer­: 
d~D!5les Dualyses de Bichat l'opposi~ion fondamentale d~ la 
~ic et de la mo:t. ~e ne sera pas. le ~rlomphe, 'plu~ ou mOI os 
recuire d'un vlwhsme sur un JUecamsmej le V1tah~me et son 
~ort p~ur définir la spécificité dola v~e De SODt que les eftets de 
Burface de ces événements archéologIques. 
IV. LA. PLRXION DBS HOTS 
De ces événements, on trouve la rlipliquo exacte du cOté des 
analyses du langage . .Mais sans doute y ont-elles une forme plus 
discrète, ct aussi une chronologie plus lente. n y a li cela une 
raison aillée à découvrir; c'est que durant tout l'âge classique, 
Je langage a été posé et réfléchi comme discours, c'est-à-dire 
comme analyse spontanée de la représentation. De toutes les 
fomles d'ordre non quantitatif, il était le plus immédiat, 10 
moins concerté, le plus profondément lié au mouvement propre 
de la repr~sentation. Et dans ~tto mesure, il était mieux'.enra­ciné 
en elle et en son mode d'être que ces ordres réfléchis- 
8avants ou intéressés - que fondaient la c1assifieation des 
êtres ou l'échange des richesses. Des modificatiollS te.:hniques 
comme celles qui ont affecté la mesure des valeurs d'échange 
ou les procédés de la caract~risatioD ont sutU à altérer considé­rablement 
l'analyse des richesses ou l'histoire naturelle. Pour 
que la spience du langage subisse des mutations aussi impor­tantes, 
11 a fallu des événements plus proConds, capables de 
changer, dans la culture occidentale, jusqu'à l'être même des 
représentations. Tout comme la théorie du nom au xvu. ct 
jU XVIIIe siècle se logeait au plus près de ln représentation et par 
à commandait, jusqu'à un certain point, l'analyse des struc­tu~ 
es ct du caractère dallllies êtres vivants, celle du prix et de la Vt c~r dam les richesses, de la même façon, il la fin de l'âge 
c a$~lque, .:'est elle qui 8ubsiste le plus longtemps, ne sc dMai-p. 
l:il~~ma.n:k, M~moim de phU'ique el d'hillot,.. IIlllurelle (année 1797'.
246 Les mob et les chw" 
lant que 8ur le tard au moment où la repMentation eUe-même 
8e ~odiJi. au mveau le plus profond de IOn régime arché~ 
logIque. 
Jusqu'au début du XIX8 siècle, les analyses du langage ne 
manifest.ent encore que peu de ohangements. Les mots lont 
toujours jnterrog68 Il parûr de leurs valeurs représent.atives, 
comUle 616mcnts virtuels du discours qui leur prescrit il tous 
un même mode d'être. Pourtant, ces contenus reprétllmtatifa ne 
Bont plus analysés seulement dans la dùncnsion qui la rap­proche 
d'unooriginc absolue, qu'elle loit mythique ou non. DaM 
la gl'tIII'lI'nlIÏre gdnél'ak sous sa forme la plus purc, tous les mot.s 
d'une langue étaient porteurs d'une lignificaLion plus ou moills 
cachée, plus ou moins dérivée, mais dont la primitive raison 
d'être résidait dans une désigna Lion initiale. Toute longue, aussi 
comIllae qu'elle rG.t, se trouvait pllu:ée dans l'ouverture, ména­gée 
une fois pour toutes, pal' les cris archatqucs. Les ressom­blances 
latérales avec les aut.res longues - sonorités voiliÎDes 
recuuvrant des significationll analogues - n'étaient notées et 
recueillies que pour confirmer 16 rapport vertical de chacwle 
à ces valeurs profondes, ensablées, presque muettes. Daua le 
dernier quart du XVIIIe siècle, la comparaison horizontale entre 
1. langues acquiert une autre fonction: eUe ne permet plus de 
savoir ce quo chacune peut emporter de mémoire ancest.rale, 
quelles marques d'avant Babel sont déposées dans la sOllorité 
de leurs mots; mais elle doit permettre de mesurer jusqu'à quel 
point elles se ressemblent, quelle est la densité de It.'urll sinLi­Iitudes, 
dons quelles limites elles lont l'une à l'autre transpo­rente!'!. 
De là ces grandes confrontationa de langues divorses 
qu'on voit apparaître ft la fin du Biècle - et parCois sous la 
pression de molifs politiques COUllIle les tontat.ives faitos en 
Russie 1 pour étô:lblir un relevé des langues de l'Empire; en 
1787 pal"'dit. à Pétrograd le premier volume du GltMlJ4Jrium 
comparatil'um totÎus Or6&8; il doit portel' référence à 279 1 HnguCS : 
171 pOUl' l'Asie, 55 pour l'Europe, 30 pour l'Afrique, 23 pour 
l'Amérique 1. Ces comparaisons Be font. exclusivement encore 
il partir et cn fonction des contenus représentatifs; on confronte 
Wl mil me noyau de signification - qui sert d'invariant - aveo 
les mots par quoi les diversel langues peuvent le désigner 
(Adclung:l donne 500 versions du Pater daoa dus langues et. 
des diolectes ditrérents); ou bien encore, en ehoiaÏlisaot une 
1. Daehllleister, !deo. el d~lderla rlc ItolliglJlldi, linguarum .ptcimenibul 
(P~truSrod, 1773); Gli1den8t.1tdt, Voyage dans l~ C'IIICIlU. 
~. La III'conde M!tlnn en 'Iuslre " ... Iumes pllrnlL eu 1790-171U. 
3. P. AdelulIg, Milhrlrlal1ll (" voL, Berlin, 1506-1817'.
L/18 limite& de la reprlsentatiun 247 
·no comme élément constant à travers des forme. légère­::~ 
t. variées, on déterm~ne l'êve!ltail des. SCJlB q~'elle pel.lt 
dl'1S (oe lont les prenuers essaiS de LeXIcographie, comme 
PÜ: de Bulhet de La Sarthe). Toutes ces analyslIII renvoillnt 
:u·ours à deux pri~ciplls qui étaient. d~j~ ceux de la gram: 
Jro gùufrUÙ : celUI d'UDe lungue prlmlt.lve et commWltl qw 
:urait fourni le. lot initial dus racines; et cclui d'~ne sé,rie d'!vé­nements 
historIques, étrangers au langage, el qw, de 1 extérieur 
le ploient, l'usent, l'~lIine~t, l'a5~oup~ssent, en multiplient ~u 
en mêltmt les formes (invaSIOns, ~gratl0nsJ progrès des connlUs­IliDees 
liberté Ol.l esclavage pohtlque, etc.). 
Or ia confrontation des langues li la fin du XVIIIe siècle met 
BU j~ur une figure int.errnédiairo entre l'articulat.ion des conLe­nUl! 
et. la valeur de. racines: il s'agit de la flexion. Certes, les 
grammairiens connaillsaient d~puï.s longtemps les phén0l1!-èn~s 
flexiounela (tout comme, en hiStOIl'8 nat.urelle, on connalS8alt 
le COllcept d'organisation avant Pallas ou Lamarck; et en éco­nomie 
le concept de travail avant Adam Smith); mais les 
llexioDI n'étaient analysé"s que pour leu1" valeur reprisentative 
- soit. qu'on les oit considérées comme des reprétientations 
annexes, soit qu'on y ait vu une manière de 1i8l' Boire eUes les 
représentations (quelque chose comme un autre ordre des motl). 
loI"ïa lorsqu'on fait, comme Cwurdoux 1 et William Jones ',la 
comparaison entre les dillérentes formes du verhe être en saDs· 
crif. ct en latin ou en grec, on découvre un rapport de constance 
qui est. inverse de celui qu'on admettait couramment: c'est la 
racine qui est altérée, et ce sont les nexions qui sont analogues. 
La série sa n,cri te Mmi, tJ8ir, asti, 8,,"", leha, lanti. correspond 
exactemeut, mais par l'analogie Hexionoe1le, lIa série latine 
Burn, u, ut,&Unlft8, u'~, BUnl. Sans doute Coeurdoux et Anquetn­DUJJerron 
restaient au niveau des analyses de la &rammaire 
8~nércJ.e q1land le premier voyait dans ce parallélisme les restes 
d:une .Ianbrue primitive; et le 8econd le résultat du mP.lauge 
hllrtorlque qui a pu se faire entre Hindous et Méditerranéens 
li J'époque du royaume de Bactriane. Mais ce qui était ea jeu 
dalls cette conjubrailion comparée, ce n'était déjà plui le lien 
entre syllabe primitive et sens premier, c'était un rapport plus 
dmplcxe entre les modifications du radical et les ,fonctions 
e la ~ramma!re; on découvrait que dans deux ~a~gues ~6. 
d~te.s il r avait un rapport constant entre une sérIe iiétermmée 
lerations EOl"DleUea et une aérie également déterminée d. 
p. J6.t~~:7. CoeWOIlX, Mtmoiru tk rAoedlml1l d" IlIIcriplÏolII, L XLIX, 
2. w. Jones, Wnr,"- {Landre. 1807, 13 VOl.'.
248 LfJ8 mou eL 188 clMNIe8 
fonctions grammaticalea, de valeurs synctactique8 ou de modi. 
fications de sens. 
Par le fait même, la grammaire généraù commence à changer 
de configuration: 8118 wveJ'8 segments théoriques ne s'enchaînent 
plu8 tout à fait do la mÔme (açon les uns sur les autres; et le 
réseau qui lOB unit dcstÙne un llafcours déjà légèrement dilié­ront. 
A 1'6poquo do Bauzée ou de Condillac, le rapport entre 
ICB racines de formo si labile et le 80ns découl!é dans les repr':.' . 
sentntions, ou encore le lion entro 10 pouvoU' do désigner el 
eelui d'articuler, ôtait aBSUra por la souveraineté du Nom. 
Mointcnant un nouvel élément intervient: du côté du sens 011 
de la représentation, il n'indique qu'une valeurneooss()ire, néces­sairement 
seconde (il s'agit du rôle de sujet ou de complément 
joué par l'individu ou la chose dl!signée; il s'ogit du temps de 
l'action) ; mais du côté de la forme, il constitue l'ensemble solide, 
constant, inaltérable ou presque, dont la loi souveraine s'im­pose 
aux racines représentatives jusqu'à les modifier elles­mêmes. 
Bien plW!, cet élément, second par la valeur significative, 
premier par la consistance formelle, n'est pas lui-même UDe 
syUabe isolée, comme une sorte de racine constante; c'est un 
système de modifications dout les divers segments sont soli­daires 
les UlIS des autres: la lettre 8 ne signifie pas la seconde 
pcoeounc, comme la lettre e signifiait selon Court de Gébelin 
la respiration, la vie et l'existence; c'est. rememble des modi­fications 
m, s, c, qui dOUDe Il la racine verbale les valeurs de la 
première, deu.xième et troisième personne. 
Cette nouvello analyse, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, se 
Joge dans la recherche des valeurs représentatives du langage. 
C'est encore du discours qu'il s'agit. Mais déj!l. apparaît, à 
travers le système des flexions, la dimension du grammatical 
pur : le langage n'est plus constitué seulement do représenta­tions 
et de SODS qui à leur tour les représentent et s'ordolUltmt 
entre eux comme l'exigent les liens de la pensée; il est d~ 
plus constitué d'élément:s formels, groupés en système, et q~ 
imposent aux sons, aux sylIabp.s, aux racines, un régime qUi 
n'est pas celui de la représentation. On a ainsi introduit ùans 
l'aualy~e dl1langage un élément qui lui est irréductible (comme 
on introduit. le t.ravail dans l'analyse de l'échange ou l'or~'ll· 
DÎsalioll dans ct:lle des caractères). A titre de conséquence 
prenüère on peut DQter l'appantionà la fin du xvme siècle d'une 
phonétique qui n'est plua recherche des premii:res valmlfS 
expressives, mais analyse des IIOUS, de leurs rapp<>rts et de leur 
tramformation possible les UDS dans les autres; Helwag eo 
1781 d~finit 10 t.riangle vocalique.!, On peut. noLel' aussi l'appa- 
1. Helwag-, De (ormalione ltlqut(/U (1781).
LI'!J limite, de la représentatiQn 
'f n des premÎtlres eSlJ11issel de grammaire comparée : on ne 
rrt 10d plus comme objet de comparaison duns 101 divers el CD es le couplc.lormé par un groupe de let.tres eL par un lien •• 
~:~ dos en!lemblr.~ d~ modifications. il valeur grammaticale 
(conjugai50n!!, di.ocbDllIsons et. a~~atlons). Les lan~el IODt 
confrontées non plus par ce que dt,"slgnent les mots, .mals par.ce 
qui Jes lient les Ul.S aux autres; elles vont commulUquW" maan­tenant 
DOD pRr l'intermMinire de cette pensée anonyme 
et gim6rale qu'elles ont il r~prése~ter, mais di~ectement d~ 
l'uDe il l'uutr~, grJce à ce~ !'1IDC8li ~D6trum~n~s d apparence Il 
fnlgilc muis SI eon~tunts, Il irréducLlblel qUI dillposent le8 moli 
Je.~ un~ pur fapp .. rt aux autres. Comme le disait lIonboddo : 
1 Le mécanisme des langues étant moinl arbitraire ct mieux 
réJl:lé que ]a pron.meiation des moL" nous y trouvons un exeet 
Jent critliriwn pOlir déterminer l'affinité des langues entre elle!' 
C'est pourquoi, q,1Rnd nous voyons deux la~uu"s employer de 
la m~m" manière .t'lS grands procédés du langage, la dérivatlon, 
la composition, l'iuOe"ion, nous pouvons en conclure que l'une 
dérive de l'ilutre 001 qu'elles sont toutes deux des dialectes d'une 
m~me longue primitive 1. 1 Tant que la langue avait été définie 
comme didcours, .:11e ne pouvait. avoir d'autre histoire que 
celle de SIlS rcplisentation., : les idées, les choses, les connai .. 
sances,les sentiment.s venaient-ils à changer, alors et seulement 
la langue 80 modifidit et dans l'exacte proportion de sos change 
ments. Mais il y Il désormais 11n «mécanisme» intérieur des 
langues qui déterlnine non seulement. l'individualité de cha· 
Olme, mais ses ressuDlblanr.e., aussi avec les autres: c'est lui qui, 
porteur d'ident.ité el. de ditTérenee, signe de voisinage, marqu& 
de la parenté, va d"vellir suppon de l'histoire. Par lui, l'his­toricité 
pourra s'int.oduire dans l'épaisseul' de III parole elle. 
même. 
v •• otOLOGIE ET CRITIQua 
, Dans la grnmmat.e générale, dans l'histoire natrlriJlle, dans 
1 a~ly~e des richeS/Je'" i1 s'est donu produit, vers les dernières 
:~ecs du ?cyme sièCle, un événement. qui e~t partont de même 
1) pe. Le,. SI gncs dODt les rcprr.sentations ét.."lient atTcetêes, l'ana­lyse 
des Jdentités et Jes d.itTércnees qui pouvait alors S'établir, 
e tableau à la fois .ontinu et articulé qu'on ill.taurait dans le 
t. LOrd ){onbo,ido, A •• tienl mdllfl"Ulllu, voJ. IV, p. 326.
250 
foisonnement des 8imilitudes, l'ordre défini parmi les muh,ipli_ 
citês empiriques, ne peuveDt plul désormais se fonder 8Ul' 10 
seul redoublement de la représoDlation T,ar rapport. à elle-Dl~rne. 
A panir de cct ~v6nelDent, ce qui valorise les objets du désir 
ce ne 80nt plus soulement les autres objetl que le désir peut 8~ 
représenter, mais un 61llInent irréductible à celte représenta_ 
tion: le &rawJilj ce qui pormet de caractéria8r un être naturel 
ee ne lont 1'1118 les éléments qu'on peut analyser lur les reprë! 
lentatioD.'! qu'on 8e fuit de lui et des autres, c'est un certain 
rapport intérieur à cet être et qu'on oppeDe 800 ol'ganÏBflLÏo". 
ee qui pennet de définir une IRnguo, co D'est pns la maniè1o~ 
dont eUe r~présente les repr~8entations, mais une certaine archi. 
tecture interne, une certaille manière de ma di lier les mots eux­mêmes 
• .,100 la posture grammaticole qu'il9 occupent les uns 
par rapport aux autres: c'est SOD .YRtème flezionrael. Dans tous 
les cas, le rapport de la représentation à ellc·mÔme et les rela­tion8 
d'ordre qu'il permet de déterminer hora de toute mesul'O 
<J.URntitotive, pallSent maintenant par des conditions exté­l'IeU1' 
C9 il la repréaentatioD elle-même dans son actualité. Pour 
lier ]ft représentation d'un seus avec celle d'un mot, il Caut se 
référer, et avoir recours aux lois purement grammaticales d'UD 
langage qui, hol'B de tout pouvoir de représenter les représenta­tions, 
est soumis au système rigoureux de ses modifications 
pbonétilJUcs et de ses subordinations syuthistiques; à l'âge claa­sique, 
les langues avaient une grammaire pan:e qu'elles avaient 
puissance de r/lpré!!enterj maintenant elles représentent à purt.ir 
de cette grammaire qui eAt pour eUes comme un envers histo­rique, 
un volume intérieur et nécessaire dont les valeurs repré­sentatives 
ne sont plus quo la face externe, 8cintillante et 
visible. Pour lier dans un CAractère défini une 8tructure par­tielle 
et la visibilité d'ensemble d'un être vivant, il faut mainte­Dont 
8e référer aux lois purement biologiques, qui, hors de 
toutes les ma"Iues signalétiques et comme en retrait por rap­port 
il elles, organisent lus rapports entre fonctions ct orgtmus; 
]C8 êtres vivants ne définissent plus leurs ressemhlances, leurs 
omnité.'l et leurs CamiIJes à part.ir de leur descriptibilité déployée; 
ils ont des caractères que le Il1Dgage peut parcourir et. dMinir, 
parce lJU'ils ont une structure qui est COUWll:: l'envers somb"" 
volumineux et intérieur de leur visibilité: c'est à la surface 
claire et discursive de cette masse secrète mais souveraine lJl!e 
le! caractères émergent, sorte de dépôt extérieur à la périphérie 
d'organismes maintenont noués sur eux-mêmes. Enfin, lorsqu'il 
s'agit de lier la représentation d'un objet de besoin à tous ceux: 
qui peuvent figurer en face de lui dans l'acte de l'échange, il 
faut avoir recours à la forme et ,. la quantité d'uo travail qui en
Les limÏIM de la représentaûon 251 
détenninenl la valeur; ce qui hi6rarchise les choses dan!! les 
o~vement .. continus du marché, ce ne sont pas les But.res 
bjct.! ni les autres besoins; c'est l'activité qui]es ft pro~uileaet 
oui silencieusement, ,'est dépnllée en elles; ce sont.lr_'l Journées 
qt 1:' hfmres n~cessaires à les fabriquer, à le8 extriiit'8, ou à es 
:mn!pnrt8r qui constit.uent leur pcHant.eur propre, leur solidité 
marchande, leur loi ?utérieure et. par là ~ qu'on peut. appeler 
leur prix réel; Il partU' de ce nOy8u esaent.lel les échan~es pour­ront. 
s'accomplir et les prix de march6, après avoir oscillé, trou­,' 
eront leur point fixe. 
Cet événement un peu !nigmatique, cet hénement d'en 
des~ous qu~ vers la fin d" xvm8 ~iècle s'es~ p!Od"it dans ces 
trois domumes, les soumettant d un seul trait à. une même 
rupture, on pent donc maintenant l'assigner dans l'unité qui 
fonde fiCS Cormes diverses. Cette unité, on voit combien il serait 
superficiel de la chercher du côté d'un progrès dans la rationalité 
ou de la découverte d'Wl thème culturel nouveau. Dans le5 
dp.rnières onnées du XVIIIe siècle, on o'a Jlns fait entrer les phê­nomènes 
complexes de la biologie, ou de l'bistoire des langues 
ou de ln production industrjelle dans des formes d'analyse 
l'Ationnelle auxquelles jusqu'alors elles étaient demeurêesétran­gères; 
on ne s'est pas mis non plus - sous ]', influence» d'OD 
ne sait quel, romantisme 1 naissant - à s'ioté1'el'Ser soudain 
aux figures complexes de la vie, de l'histoiro et de la société; 
on ne s'est pal détaché, 80U8 l'instance de ses problèmes, d'un 
rationalisme soumis au modèle de la mécanique, aux règles ,1" 
l'analyse et aux lois de l'entendement. 0" plutôt tout ceci s'eet 
bien produit, wais comme mouvoment de surface: alt6ration et 
g)ills~ment des intérê~s.cultureI8, redisuiliution des opinions et 
d~ JIJJ{ements, apparItion de nouvelles formes dans le discoUl'll 
aCJ6otdique, rides tracées pOUl' la première fois 8ur III face 
ét;lairée du aavoir. D'une façoo plU8 londameutale, et il ce 
,!1.ve.8u où les connaissances s'en1'8.cinent dana leur positivit6. 
1 eve.nement concerne non pas les objets visés, analysés et 
exphqués dans la cOIUlBissance, non Jl8S même la manière de 
les co~ttre ou de les rationaliser, mais le rapport de 18 repré­Bentat10n 
~ ce qui est donné en elle. Ce qui s'est produit avec 
A,dam Sauth, avec les premiers philologues, aveo Jussieu, Vicq. 
d A.z}: ou Lamarck, c"est un décalage infime, mais Boeolument 
essentiel et. qui a fait basculer toute la pensée occidentale : la 
l'eprhental1on a perdu le pouvoir de tonder, li partir d'elle­même,. 
dans .~n déploiement propre et par ]e jeu qui la redouble ::1' BOI,.l.es liens qui peuvent unir ael divers éléments. Nulle 
en 'd~~ltJOn, nulle décomposition, nulle analyse en identités et 
1 et'eoces ne peut pll18 juRi&u le lien des représentatioDi
252 Lt~ mots et lu cfwsea 
entre ellea; l'ordre, le tableau dUI lequel il se spatialise, les 
voisinages qu'il définit, lei succesllionll qu'il autorise CODUne 
autant de parcoul'll p08siblea entre lei points de sa surface De 
lont plus en pouvoir de lier entre elles les représentations Ou 
entre eux les élémentll de cbacune. La condition de cea liens, 
elle réside désormais li l'ext6rieur de la représentation, au-delà 
de son inunlirliatc visibilité, dans une sorte d'arrière-mondc plus 
proCone! qu'cUe-mOme et plus épais. Pour rejoindre 10 point où 
se nouent le9 formes visibles des êtres - la st.ruct.ure des 
vivonts, la voleur des richesses, 10 syntaxe des mots - il faut 
se diriger vera cc sommet, vers cette pointe nécessoire mail 
jamais nCOO!lSible qui s'enf{)nce, hors de notre regard, vers le 
coeur même des ehoses. Retirées vers leur cs!enoo propre, sié­geant 
enfin dans la force qui les anime, dans l'organisation qui 
les maintient, dans la genèse qui n'a ce&lIé de les produire, les 
choses échappent, en leur vérité fondamentale, à. l'espace du 
tableau; au lieu de n'être rien de plus que la constance qui 
dist.ribue selon les mêmes formes leurs représentations, eUes 
l'enroulent sur elles-mêmes, se donnent un volwne propre, se 
définissent un espace int.ne qui, pour notre représentation, est 
à l'e:dérieur. C'est Il partir de l'architecture qu'elles cachent, de 
la cohésion qui maintient son règne souverain et secret lur 
chacune de leul'll parties, c'est du (ond de ceLLe force qui les 
fait naltre et demeure en elles comme immobile mais encore 
vibrante, quo les choses pal' fragments, profils, morceaux, 
êcailloe, viennent se donner, bicn partiellement, li la représen­tation. 
De leur inaccessible réserve, celle-ci ne détache que 
pièce il. piècc de minces éléments dont l'unité reste t!:lujours 
nouée là-has. L'espace d'ordre qui servait de lieu. commun à la 
représentation et aux choses, à la visibilité t:mpiriquc et aUX 
règles essentielles. qui unis!I8it les Tégularites de la nature et 
les re!lSemblances de l'imagination dans le quil.drillage des ideo­tités 
et des différences, qui étalait la suite empirique des repré­sentations 
dau un tableau simult.ané, et p.mnettait do p~ 
courir pas à pas selon une suite logique l'ensemble des éléments 
de la nature rendus contemporains d'eux-mllmes - cet espace 
d'ordre va être désormais rompu: il y aura leI! choses, avec-leur 
organisation propre, leurs secrètes Dervur8ll, l'espace qui.l6S 
articule, le temps qui lns produit; et puis la représentatiOn, 
pure succession tempol'611o, où ellcs s'annoncent tf/ujours pal"" 
tiellemont à une subjectivitê, li. une conscience, à l'effort I!i~gu· 
lier d'une connaislmnce, à l'individu 1 psychologique Il qUI d~ 
fond de S8 propre histoire, ou li. partir cfe la tradition qu'on lUI 
a tmnsmise, ellsaie de Bavoir. La représentation est. en vuie de 
ne plus pouvoir définir le mode d'être commun anx choses et
Les limites d6 la reprise'lIation 253 
l la connoissance. L'être m~me de ce q~ est repré.'Ientê va 
tomber mointenant hors de )a representation elle-même. 
Cette proposition, c:epen.d~nt, est imI!rude!1l~. Elle anticipe 
en tout cus sur une diSposition du savoir qw n est pas encore 
définitivement établie il la fin du XYlue siècle. Il ne faut pas 
oublier que si S!1lit~, Juss}eu .et W. Jones se 80nt servis. des 
notio08 de travall, d orgarusatlon, et de système grammatlC81, 
cc n'était Iloil1t pour sortir de l'espace tabulaire défini pal' la 
pensée classique, ce n'était point pour contourner la visibilité 
des choses et échapper au jeu de la représentation se représen­tont 
eIle-même; c'était sculenient pour y instaurer une fonne 
de liai~on qui fût il Ja fois analysable, constant.e et londée. n 
s'agissnit toujours de trouver l'ordre général des identités et 
des différences. Le grand détour qui ira qUérir, da l'autre côté 
de la rcprésentéltion, l'~tre m~me de ce qui est représenté, u'est 
pas encore accompli; seul est déjll in!ltauré le lieu il par~ir 
dUIIuel il sera possible. Mois ce lieu figure toujours dans les 
dispositions illtérieures de 10 représentation. Sans doute, à celLe 
configuration épistémologique ambiguë correspond une dualité 
philosophique qui en indique le prochain dénouement. 
La coexistellce à la fin du XVIIIe siècle de l'Idéologie et de la 
philosophie critique - de Destutt de Tracy et de Kant - par­tage 
dllns la forme de deux pensées extérieures l'une à l'autre 
muis simultllnées, ce que les réflexions scientifiques, ellcs, mnin­tiennent 
daos une unité promise à so dissocier bientôt. Chez 
Destutt ou Gerando, l'Idéologie se donne à la fois comme la 
seule .forme ru tionneUe et scientifique CJUe la philosophie puisse 
revêtIr eL unique fondement philosophlllOO qui puisse être pro­posé 
aux sciences en général et Il cho111e domaine singulier 
de la ~onnnissnnce. Science des idécs, l' déologie doit être une 
COI;lDBlSsllnco de même type que celles qui sc donnent pour 
obJllllCl:i ~tros do la nat.ure, ou les mols du langage, ou les lois 
~e.la Sllciété. ~llJis dans la mesure même oi'.l elle a pour objet les 
ld~es, la lDn..ru~ro do lL'S exprimer dans des mots, et de les lier 
dltn~ des rlusonnemcnts, eUe vaut comme la Grammaire et la 
LOI.'Ique de toute science possible. L'Idéologie n'interroge pas 
le rondement, les limites ou la racine de la représent.ation; elle 
parcow:t le domaine des représbntations en ginéral; eUe fIxe les 
lIu~ce;'SlOn15 nécessoires qui y apparaissent; elle définit les liens 
d~l s y n?~ent; ~lle manifeste les lois de composition et de 
l' composItIOn qUl peuvent y régner. Elle 10"e tout savoir dans 
f cspace des représentation.o;, et en parcour:nt cet espace, elle 
orrn.ule le savoir des lois qui l'organise. Elle est en un senil le 
[a~olr de tOUilles s8voil'S. Mais ce redoublement londateur ne la 
al pas lIortir du champ de la représentation; il a pour Jin do
rabaUre tout snvoir sur une reprb!entation à l'immédiatct.6 de 
laquelle on n'échappe jamais: c Vous êt .. -voua jamais rend" 
compte un peu précisément de ce que CI'est que peUller, de ce 
que vous éprouvez quand vous pensoz, n'importe à quoi? ... Voua 
dites-vous: je p,ns. UÙI, quand vous avez une opinion, quand 
YOUS formez un jugement. Effectivemont. porter un jugement 
yrai ou faux esL un acte de la pensée; cet. acLe consiste à sentir 
qu'il existe un rapport, une relation ••• PIJ1lSfII', comme 'VOUI 
voyez, c'ue toujour' .,mir, et ce n'est. rien que sentir1 •• II faut. 
not.er cependant qu'en définissant la pensée d'un rapport pal' 
la sensntion de ce rapport ou, plus brièvement, la pensée en 
général par la sensatioD, Dest.utt couvre bien, SRns en sortir. 
le domaine entior de la représentation; mais il rejoint. la fron­tière 
où la sensnt.ioD, comme forme première, absolumentsimple 
de la représentation, comme contenu minimum de ce qui peut 
être donné à la pensée, basoule dans l'ordre des conditions phy­siologiques 
qui peuvent en rendre compte. Ce qui, lu dans un 
leus, apparaft comme la généralité la plus mince de la pensée, 
apparait, déchiffré dans une aut.re direction, comme le résultat 
complexe d'une singularité zooJo,i!lue: c On n'a qu'une connais­sance 
incomplète d'un animal, 811 on De connatt. pas seslacul­tés 
intellect.uelles. L'idéologie est une'partie de la zoologie, et 
c'est Burt out dans l'homme que cette partie est importante et 
CJ.U'elle mérite d'atre approfondie 1 •• L'analysedelareprésenta­tlOn, 
au moment où eUe atteint sa plua grande extension. 
touche par soo bord le plus extérieur l1D domaine qui serait à 
peu près - ou plutÔt. qui sera. car il D'existe pas encore­celui 
d'une soience naturelle de l'homme. 
AUASi différentes qu'elles soient par leur forme, leur aly1e 'Ct 
leur villée. la question kantieone et. celle df".8 Idéologues ont le 
même point d'application: le rapport. des représenta1.ioDII cntre 
elles. Mais ce rapport - ce qui le fonde et le justifie-, Kant 
ne le requiert pas au niveau de la représentation, môme allé­nuée 
en son contenu jU!lqu'à, n'êt.re plus, aux confins de la 
passivité et de ]a conscience. qU8 pure et simple sensntioDj il 
l'interroge dans la direction de 08 qui le rend possible dans sa 
gén6ralité. Au lieu de fonder 10 lien entre les repré!lcntatioDI 
par une sorLe de creusemcnt interne qui l'évide peu à peu 
Jusqu'à, la pure impression, il l'établit sur les conditions qui e~ 
d6finis88nt.la forme universellement. valable. Eu dirigeant. aiu!l~ 
la quotlLioD, Kant contourne ]a représontation et. ce qU? 
est donné Bn elle. pour s'adresser à cela mÔme à parLir de quoI 
1. DIlIILuU. de Tl'llcy, Sl~m'II" 4'Jdtlllo,l., r, p. 33·35. 
l. Id., Ibid., préface, p. 1.
Lu limita de la "p,uentation 
te réaentat.ion, quelle qu'elle soit, peut êt.re doonée. Ce 
touent ~ono pas les représentations elI~m~~s. sillon les loie 
D~ so. u leur appartenant en propre. qw pourraient se déployer 
d un J:ir de soi et d'un seul mouvement se décompoeer (pu 
f.a~~lY88) et S8 recomposer (pOl' la Bf.BLhèslI) :. s.8ula des juge-ta 
d'eXpérir.nce ou des CODstatatlODIi empulqUtlS peuven~ 
mtl;oDder sur le9 contenus de la représentation. Toute autre 
Ml' . on IIi elle doit êt.re univel'!lelle, doit se ronder au-delà de toute 
eIxH ISé riel noe, danl 1, a p.rio.n q.~1 1a rend ibl N "1 .P'OIIS e. on qu 1 
, ~II!18 d'un autre monde, maIs des condItions sous lellquellel 
• eafuOt· exi:lLp.r tOUÙI repr.esent'atlo n du mo!, d8 81é1 g n'er a1 : • 
P Il Y a donc une conespondanee certamo entre la crItique 
kantienne et ce qui à la même époque ge donnait. colDIDe la 
remière Corme il peu près compl~te d'analyse idéologique. 
Mais l'Idéologie, en étendant sa réflexion sur tout le ohamp 
de la çl>l1lll1issance - depuis les impressions originaires jus­qu'Il 
l'économie politique en passant par la logique, l'arithm6- 
1.ique, les aciences de la nature et la grammaire -, essayait de 
l'Bl,reo.dre dans la forme de la représentation cela même qui 
étuit en train de 8e constit.uer et de se reconstituer en dehors 
de celle--ci. Cette reprise ne pouvait se faire que sous la fonne 
qunili Ulythique d'une genèse à la fois singulière et universelle: 
une conscience, isoMe, vide et abstraite, devait. à partir de la 
représentation la plus mince. développer peu il peu le grand 
tableau de tout ce qUI est représentable. En ce sens. l'Idéolo­gie 
est ]a dernière des philosophies cla.siques . - un peu comme 
Julielù est le dernier dei récits classiques. Les scènes et lei 
niaonnements de Sade reprennent toute la neuve violence du 
dé!lir dans le déploiement d'une représentatiun transparente et 
I8ns défaut; les analyses de l'Idéologie reprennent dans le 
récit d'une naissance toutes leI formes et. jusqu'aux plus 
complexes de la représentation. En face de l'Idéologie, la 
critique kantienne marque en revanche 10 seuil de notre moder­DiLéj 
c:lle interro~e la représentation non pas selon le mouve­m~ 
nt IDdé6ni qUI va de l'élément simple à toutes ses combi­nal~ 
ons possibles, maia l partir de sca limites de droit. EUe 
sanctionne aiDsi pour la première fois cet événement de la cul­~ 
ure eu~pêenne ~ui est contemporain de la fin du XVIIIe siècle: 
e retr!llt du savoir et de]a pensée hors de l'espace de la repré-aeUt. 
lil~o~. Celui-ci est mis alors en queationàans!!onfondement, 
1O!l.orlgme, et. ses bornes: par le fait même, le champ illi­mite. 
de la représentation, que la pensée cl~ssique avait. ina­lad' 
ure. IJue l'Idéologie avait. voulu parcouru selon un pas à pas 
MI!a!ics unlf fi t SC•l ent'lf i que, apparait comme une métaphYS•i que. 
COmUle une métaphysique qui ne se serait jamais contour-
256 Ull mots et lu ChOBM 
Dée elle·meme, qui 58 serait posée daos un dogmatismo non 
averti, et n'aurait jomois loit venir en pleine lumière la ques 
tion de Bon droit. En co sens, 10 Critique fait. resllortir la dimen: 
Bioo métaphysique que )0 philosophie du xvm' siècle avait 
voulu réduire pnr ]0 seule analyse de la représentation. Mais 
elle ou'.. re en même temps )u possibilité d'une autre mét.aphy_ 
sique qui aurait pOUl' propos d'interroger hon de la repré­sentation 
tout ce qui en est la source ct l'origine; ene permet CIlI 
philosophies de ]a Vie, de la Volont.ê, de la Parole que ie 
xrxe siècle va déployer dans ]e sillago de la critique. 
VI, LBS SYt'fTRP.SBS ODJECTIVES 
De là unn sûrie pre s'lue infinie de COD9~qllonces. Do c01l9ê­quence5, 
en tout cas, illimitées puisque notre pensêe aujour­d'hui 
appnrtient encore à lour dynAstie. Au premier rang, il 
faut sans doute placer l'émergence simll1tan~e d'un thùmo tran.'I' 
cendantal et de champs empiriques nou'eOIlX - 011 du moins 
dist.ribuês et fondés d'W1f.l manière nouvelle. On a vu comment, 
au XVIIe siëde, l'apparition de )a malhe3ts comme scienco 
générale de l'ordre n'avait pas eu seulement lin rôle ronrlateur 
da os les disciplincs mathématiques, mais qu'elle avait été corré­lative 
de la formation de domaines divers et purement ~mpi­riques 
comme ]a grammaire génér,tle, l'histoire naturelle et 
l'analyse dei riche!lsesj ceux-ci n'ont. }181 olé cOnlltruits 8010n 
un 1 modèle It que leur aurait prOllcrit. la mathématiAAtion ou la 
mécanisation de la nature; ils se soot constitués et di!lposés sur 
le fond d'ulle possibilité gént~rale : colle qui permettait d'établir 
entre les repr{:solltations un tnbleau O!'donné des identitéll e~ 
des dilfôr.,oCBs. C'est la dissolution, dau8 les dernières années 
du xvm8 siècle, de ce champ homogène des représentations 
ordonnnbles, qui fait apparaître, col'l'élativement, deux formes 
nouvelles rie pensées. L'une interroge les conditions d'un rap­port 
entre les représentations du côté de ce qui les rend en gén~ 
raI possibles : eUe Illet ainsi à découvert un champ transce.n" 
dantal où le sujet. qui n'est jamai! donné à l'expérience (pULS­qu'il 
D'C!lt pas empirique), mais qui est fini (puisqu'jJ n'y a pas 
d'intuition intellectuelle), détermine dans son rapport à un 
objet = x toutes les conditions formelles de l'expérienco en 
général; c'est l'analyse du sujet transcendantal qui dégage )e 
fondement d'une synLhêse possible enm les représentatjOD~. 
Eu face de cette ouverture aur ]e transcendantal, et symlltn-
257 
ruent il elle, une autre formo de p.DII~e interroge les condi­que 
d'un rapport entre les reprisontat.lons dll c6té de l'être 
tl~Il!1 e qui l'Y trouve représenté: ce qui, à l'horizon de toute. Ïes ~IlJlrliaentalioD8 a~tueUes, s'indiqu~ de, loi.1!1êm~ c~mmel. 
fondement de I«:ur u!llté, ~ BO~t ces obJets Ja~lS oblectlvabl,e~, 
représentations Januul entièrement representables, ces VIIl- bcri.lsi tés àla fOI,s _ma!Wtlc stel et m" VISl' ble s, cei re'a lJ' te1.l l qut• sont en 
ctrait dans ]a mesure même où elles sont fondatrices de ce 
r ui le donne ct s'avance jusqu'à noul : la puissance de travail, 
~ roree de la vie, le po~v~ir de J?8~ler- C'est li. partir d!S ces 
formes qui rôdent aux ]IIOI,tes ex~en~ures de l~ot1'e expérJence 
que la valeur des choses, lorgamsatton des VIvants, ]a struc­ture 
grammaticale et l'amnité historique des langues viennent 
jUllqu'à nos reprêsentations et lollicitent de nous la tAche 
peut-êt.re il16nie de la connaissance. On cherche ainsi les condi­tion! 
de pos.'1ibilité de l'expérience danll les conditions de pos­. 
ibilit6 de l'objet. et deson existence, alors que, dans la réflexion 
transcendantale, on identifie les conditions de possibilité des 
objets de l'expérience aux: condit.ions de possibilité de l'expé­rieDce 
elle·m~mo. La positivité nouvelle des sciences de la 
vic, du langage ct do l'économie est en correspondance avec 
l'instaurat.ion d'une philosophie traDlcendnntale. 
Le travail, la vie et le langage apparaissent comme autant de 
1 trllIlscendantaux J qui rendent JIOssible la connaissance objec­tive 
des êtres vivants, des lois de lu production, des formes dll 
longage. En leur être, ils sont hors connaissance, mais ils BOnt, 
par cela même, oonditions de connaissances; ils correspondent 
il la découverte par Kant d'un cllOmp transcendantal et pOUl" 
tant. ils en dilTèrent sur deux points essent.iels:ils se logent· du 
côté de l'objet, et en 'luelque sorte au-delà; comme l'Idée 
dans ]a Dialectique transcendantale, ils totalisent les phéno­~ 
ènes et disent ln cohérence a priori des multiplicités empi­l! 
quesi mais ils les fondent dans un être dont. la réalit6 énigma­tique 
cODstitue avant tout.e cOIlllRissance l'ordre et le lien de 
c~ I}u.'elle a à connatn-ej de plus, ils concernent le domaine des 
Verites a pamriori. ct les principes de leur synthèse - et non 
JI8;~ la ~ynthèse a priori de toute expérience possible. La pre­mlerc 
dlfT';rence (le fait que les transcendantaux lioient Jogés du 
c6té de l'objet) explique la naissance de ces métaphysiques qui, 
~1l1gre. ~eur chronologie post-kantienne apparais51lnt comme 
prê~r!tJque!l1l en effet, elles se détournent de l'analyse des 
cond,ltIons de IR connaissance telles qu' elles peuvent se dévoiler 
a~ DlVeau de IR subjectivité trall&cendantale; mais ces métaph7.­~: 
qpes Si dével!>ppent à partir des transcendantaux objectifs 
 a aro e de Dieu, la Volonté, la Vie) qui ne sont possibles que
25S Lu moU e& le, clloB"" 
dons 1. mesure où le domaine de ln rcpré.~cntation 18 tl'Ollve 
préalablement limité; elles ont donc le même 1101 archéfllu• 
gique que ln Critique elle-même. La seconde différence (le fBit 
que cell transccndantaux conccrnent les synthèses a palllario,i) 
explique l'apparition d'un. positivisme. : toule une couche 
de phénomènes ellt donnée à l'eX!lérience dont la rat.ionAlité 
eL l'enchalnement reposent sur un Conde ment objecliC qu'il n'est 
pns possible de mettre au jour; on peut co~nRilre non pas le, 
,subltances, maïa leI phénomènes; non pal les essenccs mai, 
las loil; Dun pas leI êtres mais leurs régularités. Ainsi s'instaure 
li. partir de la critique - ou plutOt. li. partir de ce décalage de 
l'être par rapport à la reJlré~entlltion dont le kantisme est J. 
premier constat philOlopruque - une corrélation londamen­tale: 
d'un cOté des métaphysiques de l'objet, plus exactement 
des métaphysiques de ce fond jamais objectivable d'où viennent 
les objets à Dotre connui8llllnce lIuperficiello; et de l'autre des 
philosophies qui se donnent pour tAche la seule observation de 
cela même qui elt donné Il une connaissonce positive. On voit 
comment les deux termel de cette opposition le prêtent appui 
et se renforcent l'un l'autre; c'est dans le trêsor des eonnai,­lance! 
positivel (et surtout de cellel que peuvent délivrer la 
biologie, l'économie ou 1. philologie) que leI métaphyeiques des 
• fonds 1 ou des • transcendantaux - objectifs trouveront leur 
point d'attaque; et c'est inversement dans le partage entre le 
fond inconnaissable et la rationalité du connaissable CF,e Jes 
positivismel trouveront leur justification. Le triaugle entique­poutivisme- 
métaphysique de l'objet est constitutü de la peosée 
européenne depuia le début du XlX' siècle jusqu'à Bergsoo. 
Une telle organisation fit li", daos sa posllibilité archéolo­gique, 
1l1'émer~ence de ces champs empiriques dont la pure et 
simple analyse lDterno de la représentation ne peut plul désor­mais 
rendre compte. EUe est donc corrélative d'un certain 
nombre de dispositions prop1"88 1l1'épistAmè moderne. 
Tout d'abord un thème vient au jour qui jusque·Hl 6tait 
resté informulé, et Il ft8i dire inexistant. Il peut semblllrêtraoge 
qu'll'époque classique, on n'ait paa essayé de mathémlltiser les 
sciences d'ob!ervation, ou leI connaissances gramrnaticalea, o~ 
l'expérience économique. Comme si la mathématisati0l! gali­léenne 
de la nature et le fondement de la mécanique 8v81entl 
eux seula .uffi Il accomplir le projet d'une mothMÏB. U D'Y 
a à cela rien de paradoxal: l'analyse deI! représentations selon 
leurs identités et leW'S difIérencel, leur min en ordre dans des 
tableaux permanents lituaient de plein droit les sciences du 
qualitatü dans le champ d'une matl..:,i, uIÜverselle. A ln fiD ~u 
XYllle liècle, un parLage fondamental et DounBU le prodUit;
1 JI'.JI limite$ de la reprhentalion 259 
inteDsnt que le lien des roprê.sentations ne .'établiL plu. ùuos 
JXlRmouvement même qui lus décompose, les disciplilles ull3ly­~ 
qutlll se trOuvent épist6mologiquement distiuctos de celles qui 
d 'vent avoir recours il la 8ynthèse. On aura donc un cbamp 
deD l seÏences a ~"o• rt•, de 8C'1 ences f 0!IDe IIe s Il t pures, d0 so'!c ncos 
dtductivc9 qw rel~vent de la logtque et .des mut.hématlques; 
d'Butre pnrt, 011 VOit se .d,étacher ?Jl ,do~alDe de sCiences a pos­teriori 
de soiences emplMqur.s quI n utlhsent les formes déduc­tives 
~ue par fragments et dans des régions étroi"t!Jmc!lt loooli­sres. 
Or, ce partage a pour con~équen~ !e, SOU~l épistémolo­gique 
de retrouver il un autre nIveau 1 umte 'lUi ft été perdue 
avec ln dis~oeialion de la mathesu et de la science universelle 
do l'ordre. De là un certain nombre d'eRorts qui caraetéri~ent 
la réOexion moderne sur les Iciences la classification des 
dornaines du BBvoir il partir des mathématiques, et la hiérar­cbie 
qu'on instaure pour aller progressivement vers le plus 
complexe et !e moi~ exact;.'a réllexion sur}es méthodes empi­riques 
de l'mductlOn, et 1 effort à la f011 pour les {onder 
philosophiquement et les jusLifier d'un poillt de vue formeli 
la tentative poUl' purifier, formaliser et peut-être mathématiller 
les domaines de l'économie, de la biologie et finalement de la 
linguistique elle-même. En contrepoint de ces tentatives pour 
reconstituer un champ épistémologique unitaire, on trouve 
à intervalles réguliers l'affirmation d'une impossibilité: celle-ci 
Berait due soit à une Bpécificité irréductible de la vie (qu'on 
essaie de cerner surtout au déhut du XIX& siècle), soit au 
eoractère singulier des sciences humaincs qui résisternient à 
toute réduction méthodologique (cette résistance, on cssaie de 
la définir et de la mesurer surtout dans la seconde moitié du 
XlXtI siècle). Sans doute en celte double aflirmatioD, alternée 
o~ ~imult8né~, de pouvoir et ùe ne pail pouvoir formaliser rem­pu! 
que, faut-JI reconnattre le tract: de cet événement profond 
qUI, ,vers l.a fin du XVlllQ lIièclc, a détacbé de l'espace des 
represen~tlonll la possibilité de la syntbèloe. C'est cet événe­ment 
qm place ]a formalisation, ou la mathématillation, au 
coe~r de .tout projet scienLifique moderne; c'est lui également 
~w exph~le pour quoi toute mathémat.isation hât.ive ou toute 
?rmultsatlo~ ~uüve de l'empirique prend l'allure d'un dogma­tIsme 
Il précnllque Jt et r6sonne dans Ja peJlllée comme un n'Lour 
aux platitu~es ùe l'Idéologie. 
II faud1'lllt évoquer encore un second caractère de l'épÏ8lémè 
moderne. Durant l'Age classique, le rapport constant et fouda­!", 
en.tal.du savoir, même empirique, li une malhuis UlIiverselle 
~~~tifialt le projet, sans cesse repris sous des formes diverses, 
Uu corpus enfin unit1ê des connaisSIlIlcesj ce projet, il a pri"
260 .Lu mors et 168 choses 
tour à tour, mais SODS que 80n londement nit éLü rnodifie 
l'allure soit d'une scienco générale du mouvement, aoit d'un~ 
caractéristique universelle, soit d'une langue rélléchie et recona. 
tiLuée dans toutes ses vlIleurs d'analytlc et dans touteA ses pos­sibilités 
desyntaxe, soit enfin d'une EncyclopMic nlphab6tique 
ou analytique du savoir; peu importe que ces tentutives n'aient 
pas reçu d'achèvement ou qu'elles n'aient. pas accompli entière­ment. 
ledeaseW quiles avait fait naitre : eUesmanilestaienllOut.ea 
Il la surfuce visihle des événements ou des textes, la pro [und: 
unité que l'Age clasllique avait instaurée en donnant pour loele 
archéologique au savoir l'analyse des identités et. des dilJé­ronces 
et la possibilité universelle d'uoe mise en ordre. De aorte 
que Descurtoa, Leibniz, Diderot et. d'Alembert, eu ce qu'on 
peut appeler leur 6chec, en leur oeuvre suspeudue ou déviêo, 
demeuraient au plus près de CB qui était conlititutif de la pensée 
elassique. A partir du XIX" siècle, l'unité de la 1II"'}ie'ï. el~ 
rompue. Deux lois l'Om}IlIC : d'abord, solon la ligne. qui partage 
les formes pures de l'analyse ct les lois de la synthèse, d'autre 
part, selon la ligne qui sépare, lol't1qu'iJ s'agit de fondv 101 
synthèses, la subjectivitA transcendantale et le mode d'êtredes 
objets. Ces deux formes de rupture font Daitre deux séries de 
tentatives qu'une certaine vislle d'universalité semble pluceren 
écho des entreprises cartésienne ou leibmzienne. Mailla re~r­der 
d'un peu plus près, l'unification du champ de la coDDais­Bance 
n'a et ne peut avoir au XIX. siècle ni les mêmes 
fonnel, ni lei mêmes prétentions, ni les m~mcs fondements 
qu'à l'époque clas$ique. A l'époque de Descartes ou de Leibniz, 
la transparence rbciproque du savoir et de la philosophie était 
entière, à ce point que l'universalisation du savoir en une pen­Ilée 
philosophique n'exigeait pas un mode de réOexion 8péc~­tique. 
A partir de 1<:80t, le problème est tout dilTérent; le savoIr 
De peut plus se déployer sur le food unifié el unificateur d'une 
rnaùasBÏ8. D'un cOté se pose le problème des rapports entre le 
ohamp formel et le champ transceodantal (et. à ce niveau tous 
les contenus empiriques du savoir soot ml. entre parenthèses 
et demeurent eD suspens de touLe validité); e.t., d'au~e p~r.t,.'1~ 
pose le problème des rapports entre le dolnamo deI emplrlClte 
et le fondement transcendantal dela connaissance (alors l'ordre 
pur du formel est mis de côt.6 comme non pertinent pour rendre 
oompte de cette région où se fonde toute expérience même ceUe 
des formes pures de la pensée). Mais dans un cas ÇOmrDe daus 
l'autre, la pelUée philosophique de l'universalité D'est pas ~e 
m~e niveau que 10 champ du savoir réel; ello S6 constitue SOI& 
comme une réflexion pure s1lceptible de (onder, BoiL comme u,!e 
reprise capable de dilloikr. La première Conne de philosophie
Les limius de w reprkontaûora 261 
aniCestée d'abord lIans l'entreprise tichtéenne où 1" tota­s~ 
e~tr dODlaine transccnduntal est génétiquement déduite des 
h~e u es universelles et vides de la pensée: par là s'est ouvert 
]011 Ph ur p' de recherches où l'on essaie loit de ramener toute 
U'1ll1 c 'aomn trnnscondantale à l'a na ly S8 d es f orma l'I SOles, 80•l t d e 
Jd'tél' eXlvrl'r doms la lIubjectivitll transcendantale le sol de pos-ibcTtOu 
dlei t'o ut formali'smQe. u ant à l'a ut.re ouverture Phl'O) - 
al Ihl'que ellc ost.III)parue d'abord aveo)a phénoménologie bégé- 
r.o p nle , u, and lu totali-té du doma'm e empi, ri, que a .1,. te' repri' se 
~el~inté:Ieur d'une conscience se rêvêlan~ li. ell~-~êlIle comme 
ClIprit, o'est-à-dire comme champ h la fOlS emplnque et tralls-cenùantal. 
• 
011 voit comment la tlÎcbc:,phénom{mologique que Hu.sse~l 
SIl fIXcra bien plus tarJ. est bee, du plus profond de ses POijSI­bilités 
et de ses impotlsiLilités, au destin de la philosophie occi­dentale 
tel 'lu'il est établi depuis le XIX" siècle. Elle eSf'aie, 
en elIet. d'Ullcror les droit. et les limites d'llDe logique lormello 
daus u~e ré:flexion de type transcendantal, et de lier d'outra 
part la subjectivité transcendantale à l'horizon implicite des 
contenus cml,iriqulltl, qu'elle seule a la possibilité de constituer, 
de maintenir et d'ouvrir I)ar des explicitations infinies. Mais 
peut-être n'écl1oppe-t-clle pliS au danger qui menace, avant 
mème la pllénomÎlnologie, toute entreprise dialectique et la 
fait toujours basculer de gré ou de lorce dans une anthropo­logie. 
Il n'ost sans doute pas {losslhle de donner valeur tnl.U8- 
cendantale aux contenus empll'Ïqu88 ni de les déplacer du côté 
d'une subjectivité constituante, sans donner liou, au moins 
Bi14sncieusemont, à une anthropologie, o'cst-à-dire à un mode 
de pensée où les limites de droit de la connaÏs!ance (et par 
couséquont de tout savoir empirique) soot on même temps les 
f~rme5 concrètes de l'existence, telles qu'elles 8e donnent pré· 
cllément dans ce même savoir empirique • 
• Le~ conséquences les plus lointaines, et pout nous les plus 
djfficiles à contourner, de l'événement fondamental qui est sur­ven~ 
à l'épia~~ occidentale vers la fin du xvme siècle,.peuvent 
'de rt:sumer ~lIUIl : négativement, le domaine des Eonnes pures 
e l~ conmussance s'isole, prenant à la rois autonomie et sou­v~ 
ra,neté p~r rapport. à tou.t savoir empirique, laisant naHre d renlll~re mdêfiniment. le projet de {ormalilier le concret et 
e COnstltuer envers et contre tout. d85 sciences pures; positi­)' 
eIO::' 1~8 ,domaines empiriques se liunt à des réUexions sur 
f· 1 • Jecl1vné, l'être humain et la finitude prenant. valeur et 
1:~i~10n dedPhilosophie, aU6:ii bien que de réduction de la pbil~ 
ue GU e contre-philosophie.
CBAPITRS Vill 
Travail, vie, langage 
'. Las NOUVELLES BMPInICITBS 
Voilà que nous nous sommes avaucés bien loin au-dclà de 
l'év6nement historique qu'il s'agissoit de situer, - bien loin 
au-delà dos bords chronologiques de cetto l'Uptul'O qui partage 
en S8 profondeur l'dpiBtémè du monde occidentnl, et isole pour 
nous le commencement d'une certaine manière motkrM de 
eonnnltre les empiricit6s. C'cst que ]a pensée qui" nous ellt 
contemporaine et avec laquelle, bon gré mal gré, nOU9 FDSOns, 
.e trouve encore largement dominée pal' l'impossibihté, mise 
au jour vers 19. fin du xvme siècle, de fonder les synthèses dana 
l'espace de la représentation, et pal' l'obligation corrélative, 
aimultanée, mais aussitôt pllrtagée contre elle-meme, d'ouvrir 
le champ transcendantal de la subjectivité, et de constituer 
ÏDvel"l!ement, au-delà. de l'objet, ces c quasi-tramcendantaux 1 
que sont pour noui la Vie, le Travail, le Langage. Pour faire 
surgir cette obligation et cette impossibilité daDS l'âpreté de 
leur irruption historique, il Iallait laisser l'analyse courir tout 
ou long do lu pens60 qui trouve lia source en une pareille Mance; 
il fallait que le propos redouble bAtivernent]e destin ou la pente 
de la pensée moderne pour atteindre finalement son point ~e 
rebroussement: cette clarté d'aujourd'hui, encore pAle m~18 
'Jlcut-&tro décisiye, qui nous permet, sinon de contourner Aen!Jè­roment) 
du mOIDs de dominer par fragments. et do Dlallrlser 
un peu ce qui. de cette pensée formée au seuil de l'dgemoder,ne, 
vient encore jusqU'à nou8. nous investit, et sert de sol continu 
à notre discours. Cependant l'autre moitié de l'événement - Ja 
plus importante sans doute - car elle concerne en leur être 
même, en leur enracinement, les positivités .ur lesquelles s'ac­crochent 
nos connailliunces empiriques - est reltée en 8UlpenJ; 
et c'.t elle qu'il Iaut DlQintelUUlt analyser.
263 
une p'hol1e première - celle qui chronologiquement 
DaD; d 1775 fi. 1795 et dont on peut désigner la configuration 
.'':len rsulus reuvr,~ de Smith, du JUllsicu et de Wilkins-les 
l travet l1 de travlII.I , d' orgBm.s lfle et dI J ,yst èm e grammat IO ca1 
c()n~el)t 'été intToduita - ou réintroduits avec Wl s~tut aingu­j. 
V"dll:n JOliS l'onalys: des repré.~onLal.iolla esl.dans l'espace tabu­l~ 
e~;:I'l culle-ei jusqu'à présent SO, déplorait. Sans doute, leur 
f l 'IOll n'éluit-elle encore que d autorIser cutte analYII~ de 
ODe 0 .ottr,,!'étHbh!ll!8lUeul d es 1° d enuote. s 0 t d ilS dilIe' rences, e•. de 
~er/ll" v 1,)0' d' . 
ou m·lr J'outil- comm. e aune qua ltatlve - une 1D188 eD 0 • • , ordre. Mois ni 10 travail, ~ le système ~mmatlcal, ~1l1 orga- 
·I ... tion vivante ne pouvaient être défirus, ou assures, par 1. 
sni"m"p le jeu de la ropre"; ;entutlon.1e de' CGmposant, s' a na1 y &an t , 88 
recomposant et nID!!1 se represenlant elle-même en un ptoe 
redoublo/D.eut; l'espace de l'analyse ne pouvait dGno manquer 
de p,'rdre son autonomie. Dêsormllis le tableau, cessant d'être 
le 1itl~ dit tous les ordres possibles, la matrice de toua les rap­porta 
la forme de di:;tribution dit toulles êtres en leur indivi­dI/ 
oUt' singulière, ne forme plus pour le savoir qu'une mince 
pellicule de surface; les voiaÏDaglts qu'il manifeste, les identités 
élémentaires qu'il circon.'!crit et dont. il muntre la répétition, les 
l'IItlSClublance!I qu'il dénoue eD litS êtalant, lés constances qu"il 
permet de I,arc:ourir ne sont riell de plus que les eD'els de cer­taines 
syuthèses, ou organisations, ou syst.èmes qui liègent bien 
au-delà de toutes les répartitions qu'on peut ordonner Il partir 
du visible. L'ordre qui se donne au regard, avue le quadrillage 
permanent de ses distinetions, n'est plus qu'un scintillement 
luperficiel au-dessus d'Wle profondeul'. 
L'espace du savoir occidental se trouve prêt maintenant ll 
basculer: la '(Uirwmia dont la grande nappe Wlivorselle s'éta­lait 
en corrélation avec la possibilité d'une rnntJae.tü et !{1li 
eonstituait le temps fort du savoir - à la fois sa possibilité 
prcn:tièr~ et le terme de sa perfection - va s'ordonner Il une 
vertl('~hté obscure : celle-ci d6liuira la loi des ressemblance., 
p,rescma les voiawages et les discontwuiLd, fondera les disposi­tlO,! 
S perceptibles et. décalera tous les granùs déroulements 
horlzon~ux de la t~'''f'mia vers la région un peu acceuo~ 
des consequences. Auw, la culture européenne s'inveDle une 
p!,oron~e~r où il sera question non pl119 des identités, des carac­te!' 
Cs dl9tIRCLifs, dus tables perIDunentetl avec tOU8 leurs che­d~ 
ns ct p&r1.'Ours ]lossibles, mais des grandes [orces cachées 
d e'i~lopl!eea à purtlr de Jeul" noyau primit.if et inacc85sible, maÏl 
e ,!rlgtne, de la causalité et de l'histoire. Désormais, les choses 
~e ~Iendront. plus à la. repr~sentation que du lond de' cette 
piUl;seur retlrée en BOl, brouillées peut-être et 1'6ndues plUl
264 Lu mota et lu ChWN 
somùres par son obscurité, mai. nouées fortement à eUea 
mêmes, assemblées ou partagées, groupées saDS recours pnr I~ 
vigueur qui se cacbe là-bas, en ce fond. Les fi glues visibles leut'l 
liens, )415 blancs qui les isolent et cernent leur Prolil_tils ne 
s'olTriront. plus à. notre regard que tout composés, déjà ul'1iculéa 
dans ceUe nuit d'on dessous qui les fomente aVIlC le temps 
Alors - et c'est. l'autre plaallc de l'événement -le savoi; 
en sa positivité cllonge de lIature et de forme. Il serait faux. 
- insuffisant surtout. - d'uttribuor cet.te mutation à la décou­verte 
d'objets encore inconnus, comme le aystèrue grllmmati. 
cal du sanscrit, ou le rllpport, dllns 10 vivant, entre les dillpolli. 
tions anatomiques et les plans fonctionnels, ou encore le l'Ôle 
économique du capital. Il ne sernit pOS plus exact d'imaginer 
que la grammaire générale est devenue philologie, l'histoire 
naturelle biologie, et l'analyse des riche!'lBes économie politique 
parce que tous ces modes de connaissance ont rectifié leurs 
mêthodes, approché ùe plus près leur objet, rationalisé leura 
concepts, choisi de IlIt:illeunI modèles de fonnalisotion - bref 
qu'ils se sont dégagés de leur préhistoire par une sorte d'auto­onal1,8e 
de la rnil!on elle-même. Ce qui a changé au tournant 
du Siècle, et subi une altération irréparuble, C'etlt le savoir lui· 
même comme Diode d'êt.re préalable et. indivis ent.re le sujet 
qui connalt et l'objot de la connaissance; si OB s'est mis à 
étudier le codt de la production, et si on n'utilise plus la lIit.ua­tion 
idéale et primitive du troc pour analyser la formation de 
la valeur, c'cst parce qu'au niveau archéologique la production 
comme fil!Ure fondamentale duns l'espace du silvoir s'est lIub,. 
tituée à l'échange, faisant appa1"Dttre d'un côté uo nouveaux 
objets connaissables (comme le capital) et prescrivant uel'autre 
de nouveaux conr.epts et de nouvelles méthodes (comme l'ana· 
lyse des fonnes de production). De même, si on étuditl, à partir 
de Cuvier, l'organisation interne des êtres vivants, et si OD uti­lise, 
pour ce faire, les méthodes de l'anatomie computée, ç'est r.arce que la Vie, COJnme Corme fondamentale du savoir, a 
ait apparattre de nouveaux objets (comme le rapport du caraco 
tère à la fonction) et de nouvelles métbodes (comme la r8chercl~e 
des analoJies). Enfin, si Grioun et Bopp essaient de dêlimr 
les lois de ralternaDce vOllalique uude lamutation des conSOUDe., 
c'est pnree que le Discours cumme mode du savoir a été remplacé 
par le Langage, qui définit des objets jusque-là inapparents 
(des familles de langues où les sytèmes grammaticaux sont aua· 
logues) et prescrit des méthodes qui n'avaient pas encore été 
employées (analyse des règles de transformation des consonoes 
et de!! voyelles). La production, la vie, le langage - il n'y faut 
point chercher des objets qui se seraieat, comme par leur
265 
poids et 80US l'effet d'une insistance autonome, impo­propre 
l'extérieur lA une connaissaDce qui trop longtemps IC8 
et81~ négligés; il n'y faut pas voir Don pl ... des concept8 Mtis 
aura ft peu, grâce lA de Douvelles méthodes, à travers le progrès 
Pd6U ·enl' .... marchant. vers leul' rationalité propre. Ce sont des 
eo dSeC.!I! ro-n--damentllux du savo•n' q•ua supportent en leur u'mlé 
m fissure la corrélation aeconde et dérivée de sciences et de 
IIUfl' d b' . ~d' La .• d t cliniques Douvellca avec es 0 Jets mt' lts. constltutlon e 
:;, modes fondamentaux, ell~ est ~aD8 doute enfouie loin dane 
l'épai~!lour des couches archeo)ogJques : on peut, .cependant, 
en déeelllf quelqucs signes il trav~rs l~ oeuvres de Ricardo po~ 
l'écOnomie, de Cuviel' pour la b1010gte, de Bopp pour la phi-lologie. 
Il. RICARDO 
DaDa l'analyse d'Adam Smith, le travail devait son privi­lège 
au pouvoir qui lui était reconnu d'établir entre les valc1J1'8 
dus CbOS6S une mesure constante; il penneUait de faire éqùi­valoir 
daDa l'échange des objets de beaoin dont l'étalonnage, 
autrement, ent été exposé au chanÇ!lment ou soumi.lI. une es!leD­tieUe 
relativité. Mais un tel rlIle,lI ne pouvait l'assumer qu'au 
prix d'une coudition : il rallait supposer que la quantité de 
travail indispensable poUl' produire une chose {(kt égale à la 
quuntité de travail que cette chose, en retour, pouvait acheter 
~anl le lll'Ocessua de l'échange. 01', cette identité, comment la 
lllsti6llr, SUE' quoi la fonder .inon auE' una certaine assimila· 
tion, admise dans l'ombre plus qu'éclairée, entre le travail 
C~mme ,activité de product.ioD. et le travail comme maJ'Chan­dl~ 
c qu on peut acheler et vendre? En ce eecond sens, il ne 
peut pas être utilillé comme mesure constante, cal' il • éprouve 
autant de variations que les marchandises ou denrées avec 
JestIuelles on peut le comparer 1 a. Cette confusion, chez Adam 
SlDlth l avait son origine dane la présbance accordée à la repré- 
8~Dt.ntion to~te marchandise représentait un certain mvail, 
e tout travail pouvait représenter UDe certaine quantité de 
cInoamrcmh an•d ise.• L'aotivité des hommes et la valeur des choses 
tal' unl!JURlent daDs 1'èlément transparent de la repré8~D-ra 
.IOD.dC est I~ que l'analyse de Ricardo trouve 100 lieu et la 
l80n e SOn IlDportanoo décisive. EJJe o'ost pal la première ~ 
Ln' 
Ie8rdo, OEUDrea corl/pUlu (trad. frIIcçaiee, Par/II, 1882), p. fi.
méuger une place importante au travail dans le jeu de l'éco­Domie; 
mais eUe {ait éclater l'unité de ]a notion, et dis Lingue 
pour la première lois d'une manière radicale, cette force cetl~ 
peiue, ca temps de l'ounier qui s'achètent et se vend~nt e 
cette acti,-ité qui est à l'origine de la valeur des Ch08IlS.'OIl 
aura donc d'uu côté le travail qu'offrent les ouvriert, qu'ac­ceptent 
ou que demandent les entrepreneurs et qui est rétribué 
pur les aalaires; de l'autre on aura le travail qui extrait les 
m6taux, produit les denréll8. fabrique les objets, transporte 
les ~arcllandises, et forma ainsi des valeurs échallgeables qui 
avant. lui n'existaient pas et De seraient pas apparues nns lui 
Certes, r,»ur Ricardo comme pour Smith, le travail peut bie~ 
meSU1'er 1 êquivalonce des marchandises qui palsent par le 
circuit des échanges: • Dans l'enfance des sociétés. la valeur 
échangt".able des choses ou la règle qui fixe la quantité que l'on 
doit donner d'un objet pour un autre ne dépend que de la 
quaDtité comparative de travail qui a été tllnployée à la pro­duction 
de chacun d'eux 1. 1 Mais la dilIérence entre South et 
Ricardo est en ceei : pour le premior, le travail, parce qu'il est 
analysable en journées de subsistance, peut. sorvir d'uoité 
commune à toutes les autres marchandisl!8 (dont. les denrêes 
Décessaires à la subsistance se trouvent elles-mêmes faire 
partie); poUl' le second, la quantit6 de travail p8l'lIl0t de fixer 
la valem d'une chose, Don point seulement pArce quo celle-ci 
était représentable eD unités de travail. mais d'abord et fonda­mentalement 
parce que le travail comme aetivit6 de production 
est .la source de toute valeur •• Celle-ci ne peut plus être définie, 
comme à l'Age classique, à partir du système total des équiva­lences, 
et de la capacité que peuvent avoir les marchanrull8l 
de ge représenter les unes les aut.res. La valeur n cess6 d'être 
un signo, elle est. devenue UD produit. Si ]es choses valent..autaDt 
que le travail qu'on y a cOWlacré, ou si du moins leur val8~~ 
est en proportion de ce travail, ce n'eat. pas que le t.ravail.llolt 
une valeur fixe, CODstante, et écbangeable IIOUS tous les cieUX 
et eD tous les temps, c'est parce que toute valeur quelle qu'elle 
soit tire 80n origine du t.ravail. Et la meiUeur~ preuve en ~L q~ïÎ 
la valeur des clio ses augmente avec la C{uaDu1.é de travail qu 
faut leur consacrer si on veut les prodUIre; mais elle ne chaoge 
pas avec l'augmentation ou la baisse dt'.5 salaires contre lesquels 
le travail s'échange comme toute autre marchandise 1. CJrcu­lant 
lur les marchés, s'échangeant les unes contre le! aut.I~' 
~I valeun ont. bien encore un pouvoir de représentation. 1t &li 
1. Ricardo, loc_ ciL, p. 3. 
t. leL, ibid., p. 24.
TrtWa;I, fI~, kmgtJgs 267 
uvoir, elles le tirent d'ailleurs - de. ce trava}l plus pri­cc. 
1!{ t plus radical que toute représentation et qUI par consé­mltJ 
te e eut pas se définir par l'éohange. Alors que dans la 
que"/! fi c1~s!liquc le commerce et l'échange servent de fond 
pu:: ,e S 'lIh1e à l'analyse dcs richesses (et ceci même encore chez 
lDd pU Smith où la division du travail est commandée par les 
A 't~~~'s' du troc) de nuis Ricardo, la pOS5wilité de l'échange eat cforIn dcé, e~ Bur le tra, vaill:; et ] a t hll.' on.o d~ 1a p~ ùucl'lo n de'S 0rDl81.8 
devrll toujOU1'8 prêcéder celle ,~e la clreul~tl()n, • , 
De là, trois eon86qu~n~es qu Il faut ~temr; La prenuère, c.est 
}" swuration d'une serie causale quI est dune (ormo radica­l:~ 
ent. nouvelle .• Au :'-VlIl.e siècll1 on n'ignorait.past loin de là, 
le jeu des détcrml1~atlO~ economlques : o~ explIquolt com!flcnt 
la monnaie pOll;8lt (UlT ou alIluer, les P'I,X monter ,ou boumer, 
]a production S nccrottre, Btagner ou dlDl1nuerj mais tous oos 
mouvements étaient dl:fiuis à partir d'un c.'Ipace en tableau où 
les valeurs pouvaient se refrésenter les unes les au~rest le8 pm 
augmentaient I01'8lJuoles él.eme~ts représenta~ts CI'~m.S81e~t plus 
vile que les éléments rcpresentes; I~ pro.d~tiol,l dlDunualt lors­que 
let! instruments de représenu,atl~n d~mmu.alent 1!al' rapport 
BUX choses à représenter, etc, Il 8 aglssalt touJours d une causa­lité 
circulaire et de Burfnce puisqu'elle ne concernait jamais 
que les pouvoirs l'éciproquc8 de l'analysant et de l'analysé. Â 
partir de Ricardo, le travail, décalé par rapport à la représen­tation, 
et s'installant dans une région où elle n'a plus prise, 
,'organise selon une causalité qui lui ost propre . .La quantit6 
de travail nécessaire pour la fabrication d'une chose (ou poUl' 
aa récolte, ou pour son transport) et déterminant sa va]eur 
dépend des formes de production : selon le degré de division 
dans le travail, la quantité et la nature des outils, la mas Ile de 
capital dont dispose l'entrepreneur et celle qu'il a investie dans 
les in;rtallations de son usine, la production sera modifiée; dans 
rAlJ"!-81nS cas eUe sera collteuse; dans d'autres elle le sera moins 1. 
MaIS comme, dans tous les cas, ce codt (salaires, capital et 
nve~us~ profits) est déterminé p~r du trav;ail déjà accompli et 
ar~h~~ à. cette nouvelle production, on VOlt naître une grande 
Bene ~lnCRlfe et homogène qui est celle de la productioD. Tout 
travl.1I1 n un résultat qui 80US une forme ou sous UDe autre est 
8pplul'Ié ~ un nouveau travail dont il définit le codt· et ce nou- 
V~ea u t raVBI'1 à Wn tour entre dans la formation d'uno 'v alour, etc. 
1 tle aC~ul:*tion en 86rie rompt pour la première fois avec 
les dête"!Jtnatll>DB réciproques qui seules jouaient dans rana~ 
J'Se clasS1que dea richesses. Elle introduit pal' le fait même la 
1. IUtard~. lot. cir" p. 12.
268 
possibilité d"un temps historique continu, même li en fait 
çomme nOU8 le velTOna, Ricardo ne pense l'évolution il vem:, 
que sous la forme d'un ralentissement et, à la limite, d'un lUI! 
pena totnl de l'Msloire. Au niveau des conditions de posa: 
bilité de la pensée, Ricardo, en dissociant forma.tion et l'ep; 
aentativitê de la valeur, a permis "articulation de "économie 
8ur l'histoire. Les c richesses J, nu lieu de I!e distribuer en Un 
tableau et de constituer pal' là un Il)'stème d'équivolcnce s'or­ganisent 
et s'accumulent en une cha!ne temporeUe : toute ;aletu 
8e détermine non pa8 d'après les instruments qui pennettent 
de l'unulYtier, mail! d'après les conditions de production qui 
l'ont fait nuttrei el au-delà encore ces conditions sont détenlli­nées 
por des quantités de travail appliquées li. les produire. 
Avant m6mu que la réflexion économique soit liée à l'histoire 
des êvénements ou des sociétés en un discours explicite, l'his. 
toricité a pénétré, et. pour longtemps sans doute, le mode d'être 
de l'économie. Celle-ci, en Ba posit.ivité, n'est plus 1iêe è. un 
espace simultané de différenceB et d'identités, maia au tempi 
de productions successives. 
Quant à la !!Bconde conséquence, non moina dêciaive, eDe 
concerne la notion de rareté. Pour l'analyse clas8ique, la rareté 
était définie par rapport 8U besoin: on admettait. que la rareté 
.'accentuait ou se déplaçait li mesure que lei! besoins augmen­taient 
ou prenaient de.'! formes nouvelles; pour ceux qui out 
faim, rareté de blé; mais pour les riches qui fréquentent le 
monde, rureté de diamant. Cette rnreté, les économistes du 
XVIIIe si~cle - qu'ils {ulsent PhysiOC1'8tes ou non -pensaient 
que la terre, ou le travail de la terre, pennettait de la sunno&­ter, 
au moins en partie: c'est que la terre a la merveilleuse 
propriété de pouvoir t."Ouvrir des besoins bien plus nombreux 
que ceux des hommes qui la cultivent. Dans la pensée classique, 
il y a rareté paree que les hommes Ile représentent des objeta 
qu'ils n'ont pOR; malS il y a richesse parce que la terre produit 
eD une certaine abondance des objets qui ne sont pas aU.68itôt 
consommés et qui peuvent alors en repréllenter d'autres duulIles 
échanges el dans la circulation. RicUl'do inverse les tennes de 
cette unalyse : l'apparente générosit6 de la terre n'est due en 
fuit qu'à Bon avance croissante; et ce qui est premier, ce. n'est 
pas 16 besoin et. la représcntlltion du besoin dans l'e8p~lt ?es 
hommes, C'6lIt purement et simplement. une carence orlguliure. 
Le travail en effet - c'est-à-dire l'octivité économique­n'est 
appuru daIlsl'lûatoire du monde que du jour où les hOIIllneB 
se sont trouvés trop nombreux pour pouvoir se nourrir des 
fruits spontanés de la terre. N'ayant pal de quoi 8ubsist,i]' 
certains mouraient, et beaucoup d'autres seraient morts 1 •
269 
, taiont. mis li. t.ravailler la tene. E1.lI. meBure que la popu­De 
.5 é e lIlult.ipliait, de nou.,eUes franges de la forêt devaient 
)allon baUues dMriebées et mises en culture. A chaque instant 
~ue 8n histoi~ l'humaniLé nO travaille plus que BOUS III menace 
~e i: mort : to~te ropulntio.n, si e1le !le trouve paB dCl'essources 
e velles est vouèe à s'/:Lemdrej et Inversement, à meaure que 
j;UhoIl1J~es se m,!llip)ient, il. e!'tre'prenne~t d~ t.~v!lux plus 
br"ux plus lomulus, plus dlfficlles. moms Jmmcdllltement 
nfêocnoln dsIl. Le, surplomb de. 1a Dl0rt S! f 81. S8!"t P1 u s !eo•o utab l e ~.1_-­JII 
J,rol'ortion où los sU~ls=ances necessalre,s devlcnnent ,Plus ~J[­ficilr. 
5 d'accès, le travail, lDversement, dOit croitre cn IntenBlt6 
eL utiliser tous les, moye~s de se r~ndre .plus ,proli6que. Ainsi co 
qui rend l'éconolIlI.e pos~lhle, eL neCell!ialre, c est ,une perpétueU,! 
el fomhllnentlile Ii1L~at.lOn de rareté: en face d une n~ture qut 
pAr elle·même ell lDerte et.. sauf pour une part mInuscule, 
stérile l'homme rillque sa vie. Co n'est plus dau les jeux de la 
reJlrêll~utalion que l'économie trouve son principe, mais du 
c6Lé de cette région périlleuse où 10' vie ,'affronte à la mort. 
EUe renvoie doue li cet ordre de cOllsidératiou assez ambiguë. 
qu'on peut appeler antbropologiquns: eUe se rapporte en effet 
aux propriétês biologiques d'uncespêce humaine. dont Malthus, 
lIa ulême époque que Ricardo. ft montr6 9u'elle tend toujours 
l crottre si on n'y porte remède ou eontramte; elle S8 rapporte 
aUllsi à la situation de ces êtres vivanta qui risquent de ne paB 
trouver dans ln nature qlli ICI entoure de quoi 8811urer leur exia­tenee; 
clle désignoenfin dans le travail, et dans la dureté mame 
de cc tTavail. le seul moyen de nier la carence fondamentale et 
de triompber un instant de la mort. La positivit6 de l'6conomie 
se loge dons ce creux anthropologique. L'Mm.o o6l:ooomic .... , ce 
u'est pas celui qui se représente sel propres besoins, et lca 
objets capables de 108 assouvir; c'est celui qui passe, et use, et 
perd SB vie li êchapper Il l'imminence de la mort. C'est un être 
&ni : et tout comme dopuis Kant. la question de la finitude est 
devenu~ plus fondamentale que l'a';lalyBe de. représentations 
(celle:C1 ne pouvant plus ~tre que dérivée par rapport à celle·là), 
dep~~ Ricardo l'économie repose, d'une laiton plus ou moiRB 
expliCite, sur une anthropologie qui t611.te d'assigner à la fini­tude 
des formes concretf'.!. L'économie du XTm' siècle était 
en rapport:à une matltuu comme Bciunce général Il de tous l~ 
ordre. pO~lblc8i celle du XIX. lIeH réC6rée à WlII anhropolGgle i.mme ·:hsc,.'ours !lU!' la 6nitude naturelle de l'homme. Par le 
:.a8~ .rnê~e, le besoin, le désir, se retÏ1'tmt du côL6 de la sphère .leetlVe - ~8ns cette région qui li. la même époque elt en 
41u "d de devemr l'objet de la psychologie. C'est Ill, précisément. 
e 81111. seconde moitiê du XIX- siècle, les marginalises iront
270 LBs mots et lM C1wS68 
rechercher 1. notion d'utilité. On croira alors que Condillo 
ou Graslin, ou Fortbonnais, étaient c déjàl des« psychologisle:' 
puisqu'ils analysaient. ]a valeur à partir du besoin; et on croi~ 
de même que les Physiocrates étaient les premicl'!l 8nc~tree 
d'une économie qui, à partir de Ricardo, a analysé la va]~ur à rarlir des coQts de production. En fait, c'est qU'OIl sera Sorti de 
a configuration qui rendait. simultanément possibles Quesnay et 
Condillao; on aura échappé au règue de cette épiatémè qui lon­dait 
la connaissance sur l'ordre des représentations; et on sera 
ent.ré dans une autre disposition épistémologique, celle qui 
distinguo, non sans les référer l'une li l'autre, une psychologie 
des besoins repr6scntés et une anthropologie de la fuûtude 
1laturelle. 
Enfin, ln dernière cons6quence concerne 1'6volution de l'éco­nomie. 
Ricardo montre qu'il ne faut pas interpréter comma 
fécondité de ]a nature ce qui marque, et d'une manière toujOU1'9 
plus insistante, Ion essentielle avarice. La rente foncière où 
tous les économistes, jusqu'à Adam Smith lui-même!, voyaient 
le ligne d'une fécondIté propre à ]a terre, n'existe que dans la 
mesure exacte où le travail agricole devient de plus cn plus dur, 
de moins en moins Il rentable Il. A mesure qu'on est contraint 
par la croissance Uûnterrompue de la population de défricher 
des terres moins fécondes, la récolte de ces Douvelles unités de 
bIll exige plus de travail: soit que les labours doivent être plus 
profonds, Boit que la surface ensemencée doive être plus large, 
BOit qu'il :Cuille plus d'engrais; le coQt de la production e5t donc 
beauooup plus élevé pour C88 ultimes récoltes que pour les pre­mières 
qui avaient H6 obtenues à l'origine sur des terres riches 
et fécondes. Or, ces dcnr~es, si difficiloe à obtenir, ne sont pa8 
moins indispemables que les autres Bi on ne veut pas qu'une 
certaine partie de l'humllnité meure de foUn. C'est donc le 
collt de production du hl/: 8ur les teITes les plus stériles qui 
déterminera le prix du blé en général, même s'il a ét6 obtenu 
avec deux ()u trois fois moins de travail. De là, pour les terr:es 
faciles à cultiver un bénéfice accru, qui pe1'lllet à leurs proprlê­taires 
de les louer en prélevant un important fermage. La renle 
foncière est l'efTet non d'une nature prolifique, mais d'une terre 
avare. Or, cette avarice ne cesse de devenir chaque jour plus 
sensible : la population, en eITet, se développe; on se met à 
labourer des terres de plus en plus pauvres; les c06ts do pro­duction 
augmentent; les prix agricoles au.,crmentent et avec eu~ 
les l'mlles roncières. Sous cette pression, il se peut hien -). 
faut bien - que le salaire nominal des ouvriers se mette lUI 
1. Adam Smith, Redzutllu tuT la ridtu,~ du naliltnl, l, p. 190.
Travail, v~ lmagagB 271 
• Ii croltre afin de couvrir les frois minimUJJl! de Bubsis­auUI 
. mais p~ur cette mArne raison, le 8Illoire réel ne pourra 
wn~~, uement. pBI 8' élever Bu-denus de ce qui est indispensable 
pra l~ue l'ouvrier s'habille, se loge, le nourri~se. Et finalement, 
fc°U~fit des entrcpreneul"S baÏ5lera dans la mC!lure même où la 
e Pte Concière augmentera, et où la r~tribution ouvrière restera 
~e. 11 b8is~crait. m~mc .in~éfiniment au p<>int ~e ?i!p8rattr~, 
. on n'allait veu une hnute : en effet, à partIr d un certain 
l' oment le~ profits l. nd u stn.e 1 8 seront trop b as pour «p'lonf a sse 
~!'IIvaiIle~ de nouveaux ouvriorll; Caute de salaires supplémen­taire- 
la mnin-d'oeuvre ne pourra plus croJtre, la population 
devi;~dra swgn[lnte; il ne sera plus nécessaire de dHricher de 
nou'elle5 terres encore plus infécondes que les précédentes: 
la renle Concière plafonnera et n'exercera plus Ba pression cou­tumière 
sur lM revenus industriels qui pourront alol'll se stabi­liser. 
L' Histoire enfin.deviendra étale. La finùuMdel'hommesera 
tUfinis-unefois ooW' toutes,c'est-h-dire ponrun tomps indéfini. 
Paradoxalement, c'est l'historicité introduite dam l' ~CODOmiO 
f.8r Ricardo qui pennet de penser cette immobilisation do 
'Hilloire. Ln pensêe classique, eHe, concevait pour l'économie, 
un avenir toujours ouvert et toujours cbangeant; mois ils'agis­sait 
en fait d'une modification de type spatial: le tableau que 
les richesses ~taient censbes former en se déployant, en s'échan­geant 
et en s'ordonnant, pouvait bien .'agrandir; il demeurait 
le même tableau, choque élément peroaDt de sa lurface relative, 
mois entrant en rclntion avec de DOOTeeux éléments. En 
revanche, c'est le temps cumulatü de la population et do la 
production, c'est l'histoire ininterrompue de la rareté, qui à 
pa~ir ~u Xlxe siècle pennet de pflnsor l'appauvrissement de 
l'HIs.tOlre, lion inertie progressive, 88 p6t.riJication, et bientôt 
60n Immobilité rocheuse. On voit quel ~le l'Histoire et l'an­thro~ 
logie jouent l'une par rapport li l'autre. n n'y a histoire 
(travaIl, PMduction, accumulation, et croissance des coQt!! réels) 
~! dan~ la me5UJ'e où l'homme comme ~tre naturel est fini : 
~t.udo qui se prolonge bien au-delà des limite!! primitives do 
~pèce et des hesoins immédiats du corps, mai!! qui no C6SSI1 
~ llcc?1t.lI~ag~er, au moins en 8ourdine, tOut le développement i C.IVJ ISlltiOns. Plus l'homme s'installe au coeur du monde, 
p U$.l~ avance dans la POSSesSiOIl de la nature, plus fortement 
:::51 11 ~st .pre~sé par la finitude, plus il s'approche de lia propre 
li :t. L.l!I~tOlre ne permet pas à l'homme de .'évader.de ses 
1 Buta Initiales - sauf en 8pparence, et Bi on donne A limite 
~:::le plus lIuperficiel; malS si on coJl8idère la finitude fonda- 
10' e de l'homme, on s'aperçoit que 8a situation anthropo-gtque 
ne cesse de dramatiser toujours davantage eonHistOlre.
272 LN mou et lu ch06M 
de la rendre plll~ r.llrilleu80, el. de J'approcher pour ain~i dire d 
la propre impossibilité. Au momenl. où eUe toucha à de ~t" 
conJios, l'Histoire ne peut plus que s'arrêter, "ibrlll' un Îoalan: 
lur IOn axe, et s'immobiliser pour toujours. Mais c:eci peul. 8 
pl'9duire sur deux modes : soi.t qu'elle rejoigne progrelRiv: 
JUent et avec Ulla lenteur touJours plus marquée un étal. de 
stabiliLé qui sanctionne, dans l'ind6fini du temps, ce vers ~uoi 
elle a toujours marché, ce qu'au fond 0110 n'a PUB cessé d'être 
depuis le début; lIoit. au contraire qu'ello at.teigne I1n point de 
retournement où elle ne ae fixe que dans la mesure Où elle 
supprime ce qu'elle avait. été contimlment jusque-là. 
Dons la première solut.ion (reprbentêe par le 1 pf'_'!limilme • 
de Ricardo), l'Histoire fonctionne en face dc.'1 déterminatiolls 
anthropologiques comme Wle sorte de grand mécani8mo compen­sateur; 
certes, elle se IObre dans la fiuitude humaine, mAis elle "1 
apPAralt à la manière d'une figure posit.ive et en l"elillr; elle 
permet à l'homme de surmonter la rarelê il laquelle il est voué. 
Comme cette carence devient chaque jour plus rigoureuse, le 
travail devient plus intenso; la production augmente en chilTn:s 
ablolus, mais en mêmo temps qu'elle, et. du même mouvement. 
Jes coQ" de production - c'est.-ll-dire les quantitéll de travail 
JléCCllSllÎre JlOur produire un même objet. De sorte qu'il doit 
yenir inévltablement un moment. où le travail n'tilt plus 
suatenté par la denrée qu'il produit (celle-ci ne colllant plus que 
la nourriture de l'ouvrier qui l'obtient). La product.ion ne 
peut plus combler le manlJue. Alors la rarotu va se limiter elle­même 
(par une stabilisation démographique) et. lu travait YB 
s'ajuster exactement aux besoins (par uD,a r6parLitioD détu­minée 
des rich.ses). Désormais, la finitude et la production 
Yont se super}Klser exactement en une figure unique. Tout 
labeur supplémentaire serait inutile; tout excédent de populao 
tion périnut. La vie et. la mort seront ainsi exactement. posées 
l'une contTe l'autre, surface contre surface, immobilisée! ct 
comme renforcées toutes deux par leur pou9sêe antagoniste. 
L'Histoire aura conduit la finitude de l'homme jWlqu'à ce 
point-limite oà. elle apparattra enfin en 8a pureté; olle n'aura 
plua de JD8r~e qui lui permette d'échapper à eUe-même, plu. 
d'ellort à 'aue pour 80 ménager un avenir, plus de t~ n03- 
velles ouvertes 11 des hommes futurs; 80UI! la grande 6roslpn 1 
l'Histoire, l'homme sera peu li. r,eu dépouillé de tout ce qUI Pbiut 
le cacher à ses propreg yeux; li aura épuisé tous ces POl!1 es 
qui brouillent un peu et esquivent SOUI les promes98s du !e~es 
aa nudité anthropologique; par de longs chemins, mais ID VI­tables, 
mais contraignants, l'Higtoire aura mené l'homme 
jU8qU~lI. cette vérité qui l'arrête sur lui-même.
TrafltJil, flic, langage 273 
s la seconde solut.ion (représentée par Marx), le rapport 
de~~fh5toire la la finil~d~ an.thropologique alll déchifIr~ le!on 
d· cll'on jnverse. L Hlltolre, alors, loue un rôle negallî : 
lu Irc • 1 . db' . r . c'est eUe en elFet qUi accen~ue es pre.O;Slons u t)som! qw ait 
crO'tro J.!!! carences, contraignant les hommes li travailler et la I ~ • 1 . 1 roduire toujours davan~ge, lans recevoir" us que ce q~1 eu~ 
P t indispensable pour Vivre, et. quelqucfols un peu mOlnll. SI 
br~ n qu'avec le temps, le produit du travails'accumule, écbap-len 
t sans répil à ceux qUi l'a ccompl I' ssent : ceux-cI. prod w'& cnt 
m'liniment plu~ que cettc part de)a yaleur qu! leur revian.t~o.us 
forme de sahure, et donnel~t al!!SI. au. capItal ]a pOSSlblhté 
d'acbeter à nouveau du travail. Aïolil Croit sans cesse le nombre 
de ceUX que l' HÏliLoire maintient aux limites de leurs conditions 
d'eJ;istencej et par là même ces conditiuns ne ce!sent de devenir 
plus précaires et d'approcher de ce qui rendra l'existence eUe­même 
impossible; l'accumulation du capital, la crois.,ance des 
entreprises eL de leur capacito, la pression constante SUl' les 
salaires, l'excè5 de la production, rétréci8lent le marché du 
travail, diminuant sa rétribution ct augmentant le chômage. 
Repoussée par la misère aux confins de la mUft, toute unc 
classe d'hommes fait, comme il nu, l'expérience de ce que sont le 
besoin, la faim et. le travail. Ce que les autres at.tribuent à la 
DBturc ou fi l'urdre spontané des choses, i1a savent y recon­nattre 
le résultaI. d'une histoire et l'aliénation d'une finitude 
qui JI'a pSI ceUe lorme. C'est cetle vérité de l'essence bumaine 
qu'ils peuvent pour cette raison - et qu'ils sont seuls il pou­voir 
- ressaisir afin de la restaurer. Ce qui ne pourra Atre 
~bt~nu. que par la suppression ou du moins ]c renversument de 
l HistOire teUe qu'elle s'est déroulée jusqu'à présent: alon 
8euleme~t commencera un temps qui n'aura plus ni la même 
fonnc:, Dl les.lnelues lois, ni la même manière de s'êcouler. 
~lalS peu ~Iporte san. doute l'alternative entre le 1 pessi­InIsme 
1 de Ricardo et. la promesse révolutionnaire de Marx. 
Un t~l systèm~ d'options ne représente rien de plus que les deux 
:aDlh~ pos~iblel de parcourir les rapports de l'anthropologie 
~e 1 HIstOire, tel. que l'économie le& instaure à travers les 
jotlons de rareté el de t.ravail. Pour Ricardo,l'IU.toire remplit 
;8.l:c reux ménagé par la :flnjl.ude anthropologique et manifesté .une per~ét.uelle carence, jusqu'au moment où. se trouve mll;:/e f.H!lt ~'une stabilisation définiti'Cj selon la lecture 
rait 1 c.' Ist?lre, en dépoesédant. l'homme de aon traVAil, 
maté ~u en relie~ la lorme positive de sa finitude - sa vérité 
cOID~~e te enfi~ libêréc. Certes, on comprend &aIlS difficwté, 
LUés ..: ' BU r;uveau. de J'opinion, Jes choIX réels ae sunl dislri- 
• urqUOI certalDS ont opté pour le premier type d'analyse,
274 
et. d'autres poUl' le second. Maia ce ne aont. là que des dia' 
l'Bnoes dérivées, qui relèvent en tout et. pOUl' tout d'une enqu~:; 
et ~'UD traitement .doxol~gilJUe. A~ niveau profond ·du savoir 
oCCIdental, le marxIsme n ft IntroduIt. aUCUDe coupure réelle' il 
s'est logé saDli dilIiculté, comme uue figure pleine, tl'anquUl 
conFortable, et ma foi, saûsfai8ante pour un temps (le sien) ~ 
l'intérieur ù'une disposition épistémologique qw l'a accu.,iUi 
avec faveur (puisque c'est elle justement qui lui faisait place) et. 
qu'il n'avait en retour Di le propos de troubler, ni surtout le 
pouvoir d'altllrer, ne fllt-ce que d'un pouce, puisqu'il reposait; 
tout entier sur ello. Le marxisme est dans la pensée du XIXe siècle 
comme poisson dans l'eau: c'est-l-dire que partout ailleurs il 
cesse de respirer. S'il s'oppole aux théories c bourgeoises. de 
l'économie, et si dana ceUe opposit.ion il projette contre eU. 
un retournement radical do l'Histoire, ce conDit et ce projet ont 
pour condition de possibilité non pas la reprise en main de 
tout.e l'Histoire, maia un év6noment que toute l'arohéologie 
Caut sit.uer avec précision et qui a ,Prescrit simultanément, sur 
8 même mode, l'économie bourgeoise et l'économie révolution­naire 
du XIX. siècle. Leura débats oot beau émouvoir quelques 
vagues et delsiner des rides Il 18 surface: ce ne sont tempêtes 
qu'uu bassin des enfants. 
L'cssentiel, c'est qu'au début du X1Xe siècle selloit coustituée 
une disposition du Bavoir où Agurcnt li la fois l'historicité de 
l'économie (en rapport avec le! formes de production), la fini­' 
tude de l'existence humaine (en rapport avec la rareté et le 
travail) et l'échéance d'une fin de l'Histoire - qu'elle soit l'alen­tissement 
indéfini ou renversement. radical. Histoire, anthro­pologie 
et BU9peD1i du devenir s'appartiennent selon une Agure 
qui définit pour la pensée du XiX· siècle un de BeB réseaux 
majeurs. On sait, par exemple, le rôle que cette disposition a 
joué pour .. animer le bon vouLoir fatigué des humanismes; on 
.ait comment il a fait. l'enaitre les utopies d'achèvement. Danl 
la pensée classique, l'utopie fonctionnait plutôt comme ~e 
rêverie d'ongine : c'est que la UaÎcheul' du monde deva!t 
assurer le déploiement idélll d'un tableau où chaque cho~e serait 
présente en la place, avec aes voisinages, ses différences proprlll, 
ses équivalences immédiates; en cette prime lumière, les re~rê­sentatioos 
ne devaient pas encore être détachées de la VIVe, 
aiguë et selUible présence de ce qu'elles représentent. Au 
XIX. lIiècle l'utopie conceme la chute du temps plutÔt que sdn 
matin: c'est que le savoir n'est plua coDstitué sur le mOde dU 
tableau, mai. sur celui de la série, de l'enchainement, et dU 
devenir quand viendra, avec ]e soi .. promis, l'ombre U 
dlmouement, l'érosion lente ou la violence de l'Histoire feronl
275 
nI' eu SOD immobilité rocheule, la vél"it6 anthropologique 
18 ,d'~ Dmo' le temps des calendriers pourra bien eontmuer; il 
de 1 !,~lDe ~iJe, car l'historicitéae sera supe!JlOsêe u:aetement 
ICr !lllliCe humaine. L'écoulement du devenir, avec t.outel sel 
l e!!~rce8 do drame, d'oubli, d'aliénation, sera capt.é danl une 
fi~ de anthropologique, qui y trouve en retour sa manifesta- 
.OJ ul'lluminée. La fini.tuàe avec sa vérité se donne dans le 
tlOIl • et du eoup 1c I4Imp' est ,R.m'. La grBO d e aongerl. e d'u n 
~~ de l'Hist.oire, c'est l'utopie des pensées causales, comme 
l:r~vu des origi!1es, o'~tait l'utopie des peII~ées clalsificatrices. 
CeUe di!lpoliitl~n a ot.é l~ngt~ps cOlltr!l.lgnan~ej ~t ~ la fin 
du XIX' sièclo, Nletzscho 1 a faIt une dermere fOIS 8clntlller en 
l'incelldiant. Il a repris la fin des teml)s p'our en faire la mort 
de Dieu et l'erraDce du dernier homme; il Il repris la finitude 
anthropologique, moi! pour faire jaillir le bond prodigieux du 
surhomme; il u repris la grande chaine continue de l'Histoire, 
mois pour la courber dans l'infini du retour. La mort de Dieu, 
l'imminence du surhomme, lu promesse ct l'épouvante de la 
grande année ont Leau reprendre comme terme Il terme les 
616rnenls qui 80 disposent dons la peosée du XIX· siècle et en 
lormeot le réseau archéologique, il n'en demeure l'as moiu, 
qu'eUes enflamment toutes ces formes Itables, qu elles des­sinent 
de leurs restes calcinés des visages étranges, impossibles 
peut-être; ct dans Wle lumière dont on ne sait pas encore all 
juste IIi eUe mnime le dernier incendie, ou li elle indique l'au­rore, 
on voit s'ouvrir ce qui peut êtra l'espace de la penalle 
eontemporaine. C'est Niotzsche, en tout CUB, qui a brlUé pour 
nous et avant même que nous fussions nés le8 promesses 
mêléos de la dialectique et de l'anthropologie. 
111. CUVIX. 
Dantl 80n projet d'établir une ciaasificatÎon aussi fidèle qu'une 
méthode et aus!!i rigoureuse qu'un système, Jussieu avait dêcou­Se~ 
la r~le de subordination des caractères, tout comme 
) IWt~ avrut utilisé la valeur constante du travail pour établir ::'lo.ftX nU1.ur~1 des choses dons le jen des équivalences. Et de 
po j que, RIC:ardo a atrrllnchi le travail de SOD rôle de mesure gé::rai ladre leantrer, en deçà. de tout échange, dans les (ormel 
fon ti es e. production, de même Cuvierl. a aJIrancbi do sa 
fai~ o~ taxmomique la subordiuation des caractères, pour-la 
ell rer, en deçà, de toute classification. éventuelle, dans les 
t. cr, lUI' CU'Ï l'~ 
(Pt,ri*, t!l3UJ. cr. ..Lude remarquable de Daudln.Lee C/a.,t, loolo,f'lUU/
276 
di,:e1'8. plans d'organisation des êtres vivants. Le lie;). inte qw fait dépendre les struotures les unes des autres n'cst pre 
situé au soul niveau des fréquences, il devient le {{mdem Us 
même des, C?rréla.ti~ns. C'es: ce d6~fllflge ~t cette inversion e~t 
GeolIror Samt-Hllaire devait tradUire un Jour en disant. c L~ e 
ganisatJOn devient un être abst1'flit ... susccptible de form~ no or­bre!-, 
ses 1. Il L'espac~ des. êtres vivants pi.vote autour de ce~; 
n()tlo~, ettout c~ q;w. a,:volt pu appara1tl'e Jusque-Ià à travel'!l le 
quadrillage de 1 hIstOIre natureUe (genres, espèces, individl18 
structures, organes'), tout ce qui s'était donné au regard prend 
dê&ormais un mode d'être nouveau. 
Et au premier rang, ce! éléments ou ces groupes d'éléments 
distincts que le regard peut articuler quand il paroolll't le corps 
desindivid us, et qu'on appelle les organes. Dans l'analyse des elali­siques, 
l'organe se définili&aÏt à la lois par sa structure et par la 
fonction; il étai t comme un système à double en tl'ée qu'on pouvait 
lire ex.hausti~emen~ aoiU pa!lir du rôle q1;l'iljouait (pm' exemple 
la reproductIOn) SOit à partll' de ses vllllBblcs morphologiques 
(forme, grandeur, disposition et nombre) : les deux modes de 
déchifTrement se recouVl'flient IIU plus juste, mois ils étaient 
indépendants l'un de l'autre - lepremierênonçant l'utilitabl8, 
le second l'identifiable. C'est cette disJlOsition que Cuvier bou­leverse; 
levant aussi bien )e postulat de l'ajustement que celui 
de l'indépendance, il lait déborder - et largement - la fonc­tion 
par :rapport li l'organe, et soumet la disposition de l'organe 
à la souveraineté de la fonction. Il dissout, sinon l'individualité, 
du moins l'indépendance de l'organe: erreur de croire que 1 tout 
est impol'tant dans un organe important »j il faut diriger 
l'attention c plutôt sur les fonctions eUes-me mes que 8U1' )j',s 
organes J _j avant de définir ceux-ci par leurs variables, il 
faut les rapponer à la {onction qu'ils as~urenl. Or, ces fonctions 
sout en nombre relativement peu élevé: respiration, digestion, 
ciroulation, locomotion ... Si bien que la diversité visible des 
structures n'émerge plus Bur fond d'un tabler.lU de nrjables, 
mais Bur iond de grandes unités fonctionnelles susoeptibles de 
se réaliser et d'accomplir leur but de manières diverses: c Ce 
qui est commun li chaque genre d'organoo considéré dans touS 
les animaux se réduit à très pell de chose et ils ne 86 resliemblcDt 
souvent que pal' l'efret qu'ils produisent. Cela a dll (ra~per 
surtout Il 1'6gard de III rcspil'fttion qui s'opère dans-les dltTll­rentes 
classes par des organes si variés que leur 8tructure 08 
l. Cité por Th. Cahn, La Vie el roeuvfe d'B. GUlCNJIl Salnl-Hlla/r8 (ParJ •• 
1962), p. 138. 
2. G. Cuvier, LepJII. d'ano'ollll, Ctlmparh, t. l, p. ~4_
'j',aMil, vie, '""BGg. 277 
. te nucun point. commun • If En con"icl~l'ant l'organe du. 
l'rl~~e: port Il ln {onction, on voit dODO o,ppar~itl'. des « l'eS­son 
~l ~"cs • là Oil il n'y a nul élément « Identique Il; ressem­ffI" 
m 1 qu' i se constitue par le passage è l'ovident.e inviaibilité 
dbe n nhrle fonction. Les branch l' es et l es poumOJ~s, pell I' mporte 
, tout l'ils ont en commun quelques vorlablllll de (orme, 
adpel ''rtIr ande~lJ r, de nomure 1'1 li, se ~'1semb l ont Pl;'rc? 'lu" 11 ~ 8O~t 
d~'~~ "llriélés de cet organe lnexlsta~t, nbstrlllt, lrrcel, lDl18S1- 
. Ile ubtlent. de toute espèce descriptible, présent. pourtant 
gJ1d' ,1: le' rèune animal en son entier et qui sert il rBBpirll1' BII 
6u1n11": rnl On, ,r-e.~taure am• ll• d ans l'a na1 y se du V'I vant 1e s ana1 0 - 
:ics de' Lype Ilristot6licien : les branchies 1I0n.t à.ln respirn~~n 
duns l'Cllu ce que lcs powno~ sont à la, resplratlon dans l,air. 
Certes de pareils rapports étalent parfaitement connus à 1 Age 
c1l1lsique' mais ils servaient. seulement il déterminer des fonc­tions' 
on' De les utilisait pas à établir l'ordre des choses daM 
l'e.~~co de la nnture. A partir de Cuvier, la [onctioD, définie 
IOUS la Corme non perceptible de l'etIet. à atteindre, va servir 
de moyen terme constant et pennettre de rapporter l'un à 
l'autre des ensembles d'éléments dépourvus delu moindre iden­tit. 
é villiule. Ce qui pour le regard classique n'était que pures et 
simples dilIérences juxtaposées à des idenlÏt.ês, doit maintenant 
.'ordonner et se penser à partir d'uDe homog6néité fonction­nelle 
qui le supporte en secret. Il y a hislairB naturellB lorsque 
Je Même et l'Aut.re o'appartiennent qu'è un seul espace; quelque 
choseconWle la biologie devient possible lorsque cette unité de 
plan COmmence à se déFaire et que les différences sUl'brissont sur 
rond d'une identité plus profonde et comme plus sérieuse 
qlJ.'clle. 
• Ce~~ rérérenc~ à la f~nctioo, ce décroeba,ge enh'e le plan des 
Identites ct celUI des difTérences Iont surgIr des rnpports nou­veaux: 
ceme de co~ùtenceJ de hürarchie inlern.e, de dépendaruJs 
li I:égard du plan d'orstlnisation. La coezislence désigne le fait 
'Iu,un orgnne ou U.R système d'organes ne peuvent pas être 
prClients dans un Vivant, BIUlS qu'un autre organe 011 un autre 
IYSUuno, d'une naturo et. d'uno fOl'JOe déterminées, le soient 
~galemcnt : c Tous les or"aues d'lm même animal forment un 
S~'l~e unique dont t.ouÏes les parties 6e tiennent, agissent. et 
~ea~ssent les unel Sur les allll'esj et. il n8 peut y avoir de modi-calions 
dons l'une d'elles qui n'en amènent d'analogues dans 
~Outeill. 1 ~ l'intérieur du système de la digestion, la (orme de! 
enta (le fait qu'elles soient trunchuntes ou Dlllsticatrices) varie 
i g: CUYlcr, 1.ecun. d'anulo'!", r:omparle, t, l, p. 34-35. 
CUVIer, """plJrlllf"llrI~ue .ur "tlGf Ile. lCitn(t~ nllfureUe., p. 330.
278 LM mot.ll e~ le, ChOIlM 
en même temps que ~ lu longueur, les replis, le~ ùilutation~ 1 
8ystème I1limculaire .. ; ou encore, pour ùonner un exempl~ dl! 
coexisteuce entre de!! ayltèmes dilTérent.s, les or"lInc~ de le 
digestion ne peuvent pas varier indépendltmtnllllt"cie la morfl 
phologie des membfelS (et en particulier de la [orme dt!! on"Jes): 
selon qu·i.' y ,aur~ gr~lTes ou Iillbot8 -:- donc que j'unimnl .;)U~ 
ou DOD sauur et doclllquetore8 nourriture-le canal ulimentuire 
les c sucs dis801vants J, la forme deI dents no seront pas I~ 
m6mes·1• Ce sont là des corrélatioD' latérales qui établisBent 
entre doe élélOents de même niveau de8 J'Upports de COncomi­tance 
fond':'!! pur dtl~ néce98ités fonctioonolltlS : puisqu'il faut 
que l'animal se nourrisse, lu naturo de lu proie et son mode de 
capture ne peuvent pus restor étrangers aux appareils de maR­ticntion 
et de digestlOn (et réoipro<{uement). 
Il y n toutefois des étn Rements hit!rarchiq!M',B. On sait eommfmt 
rannlyse clo!!sique avait étê amcn~e li suspendre le privilège 
des organes les plus imJMlMonts, pour ne considérer que leur 
efficacité taxinomique. Maintenant qu'on ne traite plu8 de 
variables indépendantes, mais de systèmes eomlMndès les UIlI 
par les autres, le problème de l'importance réciproque se trouve 
de nouveau pORé. Ainsi )e canal alimentaire des mammifùres 
n'est pas simplement dans un rapport de covariation éventutlllo 
avec ·les organes de la locomotion et de la préhension; il est au 
mDins en partie preserit par le mode de reproduction. Cël1c-ci, 
en effet, 80U8 sa forme Vivipare, n'implique pas simplement J. 
présence des oJ'{,'8nes qui lui SOnt immédiatement liés; elle exige 
aussi l'existence d'organes de la lactation, la présence de lèvres, 
celle également d'une langue chlU'Due; elle prescrit d'autre part 
la circulation d'un sang chaud et la bilucularilé du coeur'. 
L'analyse des organismes, et la possibilitâ d'établir entre eU1C 
des l'eSsemblances et des distinctions suppose donc qu'on ait 
fueê )a table, non pas des éléments qui peuvent vlU'ier d'espèce 
à espèee, mais des fonctions qui, dan8 les vivants eD gèuéra1, 
Be commandent, se coi1fent et s'ordonnent les unes les autres: 
non plus le polygone des modifications poSSIbles, mais la pyra­mide 
hiérarchique des imponanees. Cuvier ft d'abord p~n86 
gue les fonctions d'existence pas !laient avant celles do relatto~ 
(1 car l'animal e3t d'abord, puis li .t~nt et agit.) : il sup~i 
donc que la génération et la circulation devaient d~~l!ler 
d'abord un certain nombre d'organes auxquels la diSpoSitIon 
des autres se trouverait. soumise; ceux-là formeraienlle8 eareç. 
1. G. Cuvter, T.t,onll d'analomle camparte, t. l, p. 06. rIn 
2. G. Cuvl~r, SuomI mlm"/re 'IIr lu onimoulC d /MIng IIll1nc (Ma,a 
mcgdopUlqu., Il, p. «1).
TrlWail, f1Ü, langtJp 279 
i.naires ceux-ci les caractères aeeondoire.'11. Puis il a 
tt~'rr nué Id ~irculation à la digestion, car celle-ci existe chez 
.u 0 J : aDÎI1l0UX (le corps du polype n'est en son entier qu'une 
toUS d~apPRrei1 digestif), alol'8 que Je sang et les vai~seaux na sa 
50rt~ent • que dans lc9 animaux supérieurs et disparaissent 
trOU ... ,'vcment dans ceux deI dernière. classe. 1 •• Plus tard, 
su• c cte -l-e.. système nerveux (av1ec 'e X.i stence ou 1in'e·X·I stence d'u ne 
ro:e:s d e epino1c) qw' 1U1' est apparu CODlIDe de' ternu. nant d6 toutes dispositions orgllnÏques : 1 li tlIIt au fond l~ tou! de l'aniJ:nnl : 
Jes autres sy!!tè.mes ue 9~nt là que;pour le lervU' et 1 ~ntr~tenlrl. 1 
Cette prééminence d. une .f~nctlO!,- ~ur les Ill!-tres 1D1pbque que 
l'o""'Ilnisme dans sell WSpOSltiOns Vlbibles obblsse li. un plan. Un 
tel plaD garantit Je règn~ des fonctioWl e.9senti.,Ues et il y rat: 
tache, mais avec un degre plu!! grand de liberté, les organes qui 
8s..~urellt des (ollcLioWlements moins capitRu.'t. Cooune prin­cipe 
hiérarchique, ce plan défmit les .fon~tions prééminen!es, 
dilitribue les éléments anatowques qw ·IUl permettent de 1 eC­fectuer 
et les inllwUe aux emplacements privilégiés du corpl! : 
ainsi dans le vasto groupe deB Articulé:'!, la classe des wecttl!l 
laiase flppnraitre l'importance primordiale des fonctions loc)" 
motrices et des organes du mouvement; chez les troÏB autres, 
ce Boot lcs fonctions vitale&, en revanche, qui l'emportent '. 
Dam le contrOle régional qu'il exerce Bur les organes moins 
fondamentaux, le plnn d'orgauillat.ion ne joue pas un rôle aussi 
détenninunt; ilee libér.. lise, en quelque sorte, à mesure qu'on 
s:éloigne du centre, llutorÏllant des modifications, des altéra­tloos, 
des changemeote dans la forme ou l'utilisation possible. 
On lu retrouve, mais devenu plus Bouple, ct plus perméable à 
d'autres formes do détormination. C'eat ce qu'il est facile de 
cum.inter ohez les Mammifères li propos du Bystème de loco­DlOt. 
lon: LeB quatre membres moteurs font partie du plan d'or­~~' 
1illiOU, ruai:! li. titre seulement de carao~e secondaire; 
1 ~c lont dono jamais supprimés, ni absents ni remplacés, 
mit l'. • DUlsquês quelquefois comme dans les ailes deI! chauves­IOI:! 
J8 et,les nageoi1'88 postériOUles des phoques 1; il arrive mêmo 
qu 1 S SOient. • dénaturés dans l'usage comme dans les nageoires 
peb clorVales des c:étacês. •• La nature a fait une na.,.eoira avec un 
raa. ous v oyez qu' iy al to.uJO Ul'a une Borte de cC olUltance dans 
1. G. CuvIer S d 
rin .ncyrlDp '/1" e{:l)ln rMmolrs 'ID' ,. G"I/lUluz. ,ang blanc, 1795 (.laga. 
2.. G <, l'l"t. l, p. 441). 3. G:g:~~:· LI!ÇOM d'anatomie ctJmparu, t. III, p. 4-5. 
L XL". p, '16~ SUI' UII nouueau ropprochc",,1Il à ilablir (Annallll du .fultum. 
4. Id., Ibid.
280 
les caractères secondaires d'apres leur déguisement 1. 0 
comprend conuuent les espèces peuvent à la fois S6 re9Se~blt~ 
(pour former des groupes comme les genres, les classes et r. 
que Cuvier appelle les ewbr'dnchemeuts) et so distjngl~er I~" 
unes dcs autros. Co qui les rapproche, co n'est pas une tcrtuin: 
quantit6 d'éléments superpo:lsbles, c'est une sorte de foyer 
d'identité, qu'on ne peut analyscr en plages visihles l'urc'! 
qu'il définit l'importance réciproque dos fonotions; à partir cie 
ce coeur imperceptiblc des identités, Jes organes se displ~eot 
et à mesure qu'ils s'en éloigncnt, ils gagnent en souplesse (!~ 
possibilités de variations, en caractères distinctifs. Les espèct!., 
animales diffèrent par la périphérie, clles sc re.qscmblent. par le 
centre; l'inaccessible les relie, le manifeste les disperse. ElIee; fiO 
généralisent du côté de ce qui est essentiel à leur vie; elles Ml 
singularisent. du côté de ce qui est plus accessoire. Plus 00 veut 
rejoindre dt.'1i groupes étendus, plus il faut s'cnConcer dansl' ... bs· 
cur de l'organisme, vers le peu visible, dans cette dimension qui 
échappe au perçu; plus on veut cerner l'individualité, plus il 
faut remonter à la surface, et laisser scintiller, en leur visibilité, 
]00 formes que toucbe la lumière; CGr la multiplicité se voit ~t 
l'unité 80 cuche. Bror, les ospèces vivantes Il échappent. au. 
founnillement des individus et des espèces, elles ne peuvent 
être clnssêes que parce qu'olles vivent et à purtir dé ce qu'eUes 
cachent. 
On mesure l'immense renversement que tout cela suppose 
par rapport à la ta:eil1lJrni.e classique. Celle-ci se bâtis1>ait eutièrt­ment 
à partir des quatre varIables de descriptioD (rorme~, 
nombre, disposition, grandeur) qui étaient peroourues, comme 
d'uo seul mouvement, par le langage et le regard; ct da us cet 
étalement du visible, la vie apparaissait comme l'clIet d:"o 
découpage - simple frontière classificatrice. A pnrtirdll CUVIer, 
c'est la vie dans ce qu'elle a de non-perceptible, de purement 
fonctionnel qui fonde la possibilité extérieure d'un classement. 
Il n'y a plus, flur la grande nappe de l'ordre, la classe de cu 
qui feut vivre; mais venant de la profondeur de la vic, de cc 
qu'i y Q de plus lointain pour le regard, la possibilité de cIlS­ser. 
L'ôtre Vlvant était une localité du c]assement naturel; 16 
fait d'être clnssuble est maintenant UDe propriété du. vi~a~t. 
Ainsi disparlltt le projet d'une ta:I:inomia générale; alllSt dIS: 
parait. la possibilité de dérouler un grand ordre naturel 1'11 
trait san!! discontinuité du plus simple et du plus inerte nu P ~~ 
vivant et au plus complexe; ainSI disparaît la ftlcherche 16 
l'ordre comme loI et fondement d'une scienco générale de a 
1. G. Cu'ler. SoerlUl mtmoir/! ,ur lu (J/llma/l:r: ct long ~Ian~ (l(1c. ci L)•
281 
~insi disp'ul'lltlla 1 nalure'-étant. ent~ndu que tout au 
nolUd'. l'al1e classique, elle Il'a pal ex1sté d'abord comme 
IO'I'~ e. COD ...... e 1 idée l, comme resSOUI'r.r. indêfinie du savoir, 
l ."me, ...... d 'd '. d d'oeé 1 . - omlDe espace homogène es 1 entltes et es lu renccl 
ml:l'~ c 
rdonno hJes o t s ce• est. mal, Dtenant da.sso'cl6 et comme ouvert en 81)n 
C~ .eurpDAu Heu d'un champ unitai:e de ~isibililé et d'ordre, 
déro'8n't~ ~'l"e s 'é léments oot ~ 1e l!r dIs·t·.! ":cl1, ve 1e s uns par rapport 
autres on a une série d OppOSitions, dont les deux tennes 
asuontx pliS' de mÔme nn. ·eou: du'n' C''u té ,·1l Y a 1c s organes secon-d: 
irl:!l, qui 1.I0nt ':~Bible}! ~ la sllrfnce d~ corps et se donnent 8a~s 
intervention li 1 Jmme~IQte perception, et lei o~ganes pri­maires 
qui sont essentiels, centraux, ClIchés, et qu on ne peut 
alh,indre que P'" la dissect.ion, c'est-à-dire ell etlaçant maté­ri., 
lIement. l'enveloppe colorée des organes lIecondaires. II y a, 
plus profondément auslli, l'oppo!ition entre les organes en. 
gélléral qui lIont spatiaux, solides, directement ou indirecte­ment 
visibles, et lell fonctions, qui ne se donnent pas à la per­ception, 
maill prescrivent comme par en dessous la disposition 
de cc qu'on perçoit_ Il y a enfin, à la limite, l'opposit.ion entre 
identités et diJrérenoee : eHes ne lont plus de même grain, elles 
ne s'établissent. plus les unes par rapport 811X aunes sur un 
plan homogène; mais les différences proliCèrent à la surface, 
cependnnt qu'en profondeur, ellos s'efJacent, se confondent, se 
nouent. les unes avec les autres, et le rapprochent de la grande, 
mystêrieuse, invisible unité focale, dont le multiple semble 
dériver comme par une dispersion incessante, La vie n'est plus 
ce qui peut. le distioguer d'une façon plus ou moins certaine 
dy u!écanique! elle est ce en quoi se fondent. toutes les dis­t. 
m~tlons JIOStilbles entre les ~vants, C'cst. ce passage de la 
n.ollon taxinomique à la notion synthétique de vie qui est 
SIMQl!lé, dans la chronologie des idées et des scieuces, par le 
reJ;:!III, au début du XIXB siècle, des thèmes vitalistes. Du point 
de vue de l'archéologie, ce qui s'instaure Il cc moment-là, ce 
sont les conditious de poSt!ibilité d'une biologie. 
l'h~n ~out. cas, celLe série d'oppositions, dissociant l'ospace de 
p l~t01r., na~urelle, a eu des conséquences d'un grand poids. 
1 o~r la p~tlqUO, c'est l'apparition de deux techniques corré­datIVes, 
qUI s':-ppuient et se relaient l'une l'autre. La première 
eU C~!I. tl .. ~hnlqU~S est constituée par l'anatomie comparée : 
~e Chi fait lIurgu- un espace jntérieur, limité d'un cÔté par la OUi e aup~~lici,elle de! téguments et des coquilles, et de l'sutre 
far .n quasI-Invisibilité de ce qui est infiniment petit. Car l'ana­d~ 
rru~ Co~par6e n'est pns l'approfondissement pur et eimple 
echruques descriptives qu'on utili!ait. li. l'âge classique;
282 
elle ne Ile cODtente Jla~ de chercher li. voir en" dessous, et. miel 
el de plu. près; elle Instaure un espace qUI n'est Dl celui dIX, 
caractères visibles ni celui des ~I~ment!l microscopiquell 1 Ü 
elle fail uppnraltre la disJlosition rêciproque des orguocs 'leu; 
corrélat.ion, la manière dODt se décomposent, dont ae lI~li.­liscnt, 
don~ s'ordonn.ent ]es ,!n!l. aux autres. ]~s principaux 
moments d UDe fonctJon. Et amSl, par opposItIon au regard 
simple, qui en parcourant les organismes intègres, voit .. 
dllployer devanllui le foisonnement des différences, l'anatomio 
en découpant réellemen t les corps, enles fractionnant en pRrce1~ 
distinctes, en le5 morcelant danill'espace, Cait surgir les gmndea 
ressemblances qui seraient demeurées invi!lihlcs; ello recOIlll­titue 
les unités sous-jacentes aux grandes dispersions visibles 
La rormation des vastes unitês taxinomiques (classes et ordres) 
était, au XTlle et nu XVIII' siècle, un problème de décolI.pag, 
lingui.~tLque : il faU8it trouver un nom qui fnt gén~rnl et fondé' 
eUe relève mlllntenant d'une déaariiculalwn anatomÜrue; il ralli 
isoler le système fonctionnel mnjeur; ce sont les pru1..nges réels 
de l'anatomie qui vont permettre de Douer les grandes familles 
du vivant. 
Ln seconde technique repose Bur l'anatomie (puisqu'cne cn 
est le résultat), mais s'oppose ~ elle (parce qu'elle pennet de 
.'eu dispenser); elle consiste ft étllblir des rnppons d'indica­tion 
entre des éléments superficiels, donc vi~ibles, et d'n1ltr6S 
qui sont. celés dans la profondeur du corp5. C'est que, par la 
loi de s(}lidarité de l'organisme, on peut savoir que tel orgnac 
périphél'ique et acce8!!oire implique telle structure dans un 
organe plus essentiel; ainsi, il est permis « d'établir ]a corres­pondnnce 
des formes extérieures et intérieures qui les unes 
et les autres font partie int.égrante de l'essence de l'animal 1 •• 
Chel les insectes, pllr exemple, la disposition des antennes n'a 
pas de valeur distinctive parce qu'elle n'est en corrélation avec 
8ucune des grandes organisations internes; en revanche, ln 
lorme de ln mâchoire inférieure peut jouer un rôle capital pour 
les distn1lUcr selon leurs l'elIsemblances ot.lcurs dilJércuce~j car 
e11e est liée li. l'alimentation, li ln digestion et pur là aux fonc­tions 
essentielles de l'animal: , les organes de la mastication 
devront être en rapport avec ceux de ]a nourritU1'C, conséquem­ment 
uvec tout le genre de vie et conséquemment avec totJte 
1. Sur ce l'I!fU8 ou mJCl'QlICOpe, qui eal le mP.me che:L Cuvier eL cheZ Ire 
anllwmo-palholvglHeë, cl. LflIiCHI' rt'/lIIIIIQmle compar'" L V, p_ ItlO, et Lt 
lill/ne animal,  1, .p_ XXVIU. 
~. G. C'.u'lrr, Le I/~~e animll' diltrf~u~ ~apt'tl #on IIrganllallun. L J, 
p. XIV.
Traj/ail, j/itl, langage 283 
, j"at.iOfi 1 •• A vrai dire, cette technique dCR indices no 
1y o.r gploi l"l forcément •d e III périphérie" visible a.ux fo rmes faise•s de 
l'inériorit{: orga.n1que : tille reu~ etabhr dos resc~}lx e noooll- 
. il aUaot de D'Importe que pomt du corps Il n Importe quol 'Il,_ . de sorte qu'uB seul élément peut suffire dons certains ,u ".. , s.u "gérer 1' ahrc 'lt ecture li: é n é ra1 e d' un organi.s me; on pourra 
C/lC~ Uu DJl/.l.Î trtI un anI• mal tout. 'entie r 1 4[ par un seu os, par une 
:ule facette d'os: mél.hode qui a dooné de li curieux résultat8 
.ur J~ animaux .'os8il~ 1 1. Alors ~e pour ]a pensée du. 
XYlne sillel" le [o!lSlIo étaIt une préfiguratIon des (onnes a ctuelles, 
ot qu'il indiquait ainsi la grande contiuuil6 du temps, il sera 
désormais l'indication de la figure à laquelle réellement il appar­ten(( 
iL L'anatomie n'a pas seulement brjsé l'espace tabulaÏl'8 
et homogène des identités; elle a rompu la continuité suppo­. 
ée du temps. 
C'cst quo, du point de vue théorique, les analyses de Cuvier 
recompusent entièrement le régime des continuités et deI 
discmntinuitéll naturelles. L'anatowe comparee perDIet en 
elTet d'établir, dam le monde vivant, deux (ormes de conti­Duité 
parCaitement distinctes. La première concerne les grandes 
fonctions qui Be retrouvent dans ]a plupart des cspèces (la 
rcspiratiou, lu digestion, la circulation, la reproduction, le mou­vewDuL 
•• ); elle établit dant tout le vivant une vaste r6IJaem­blnDce 
qu'on peut distribuer selon une échelle de complexit6 
déc:roissante, allant de l'holDDle jusqu'au zoophyte; dans 188 
etll'èces !;upérieures toutes les Conetions sont présentes, puis 
on les voit disparaitre les unes après les autres, et chez le zoo­phyte 
flualeulent, il o'y a 1 plUli de centre de circulation, plus 
de nl:;III, plus de cenLre de seosation; chaque point semble 58 
DOurrlr par succion 1 '. Mais ceUe cQnlinuité est faible. reIn­tivem~ 
nt lâche, fo~t, par le nombre restreint des [onctions 
c-~~entlelleli. un Simple tubleau de présences et d'absences. 
L'autre co~tinuit6 est benucotfp plus surrée : elle concerne la 
plus ?U iliollls,grande perfeotion des org-dIIes. Maili 00 ne peut 
é~I~llr à parL1r de là que des séries limitées, des cont.inuités 
ïglOllllles vito interrompues, et qui, de plus, s'enchevêtrent 
d~t a~ l'$ l~s aURas dans de! directions dilférenoes; c'est que es dIverses espèces c les organes ne suivent pas tOU5 le 
n~rre ~rdre de dégradation: tel est Il son plus haut degré de 
P ectlOu dlUl!! son espèce; tel autre l'est dans une eSFilce 
rl~~:" ..c~ri!t', !.elIre à 1IartmaRR, clt.ée par Daudfn. Lu Cla". :"(I}(1- 
~. G. C ,p.:ro, ft. 1. 
3. G. C uYier, HtJN_1 hUIOt'lqu. lUI' ,. "lllleu nalurcllu. p. 3'29-3;lO. 
uVier. Tulllwu tlimenlsir.s, p. 1) ''l.
284 [J6,' mou et lu Ch03U 
dilTérente 1 J. On a donc ce qu'on pourrait appeler des c miero 
léries J limitées et. partielles, qui portent moins eur les esp~c'; 
que lIur tel ou tel organe; et à l'autre extrémité une « macrOsé 
ri!! J, discontinùe, relàcliée, et qui port~ moins sur les or[la: 
IIlllUes eux-m.'mes que sur le grand registre fondamental d"'l 
fonctions. 
,~ntre ces de~ conûnlli.t8s qui no 118 !nJJle1'p~sent ni ne 
Il ajustent, 00 VOlt so répartIr des ~ande6 masses dIscontinues 
Ellos obéissent à des plnnA d'orgamsation difJ'érents,leti m~me~ 
fonctions 80 trouvant ordonnées selon des hiérarchies variées 
ût réoliRées pal' des organes de type divan. Il O,'lt, parexernple' 
fncile de retrouvcl' chez le poulpe c toutes les (onctions fJui 
s'cxerccnt dnns les pois.,ons, et cependant, il n'y a nullc re~­sembhmcc, 
nulle analogie de disposition III. Il faut. donc nna­lyser 
chacun de ces groupes on lui-même, considérer non PiS 
le fil étroit des ressemblances qui peuvent le rattacher li lm 
autre, mais la (orte cohésion qui Je resserre sur lui-même; on 
1Ie chercllera pas à savoir ai les animaux à sang rouge sont 
sur la même ligne que les animaux li. sang blanc, avec, seule­ment, 
des perfections supplémentaires; on établira que tnut 
animal à lIang rouge- et c'est en quoi il relève d'un plan 
autonome - possède toujours une tête osseuse, une colullno 
,'ertébrale, des membres (à l'exception des serpents), des arLèrC8 
et des veiues, un foie, un pancréas, une rate, des reins 1. Ver­tébrés 
et invertébr6s forment dos plagos pnrfnitement. isolêcs, 
entre Jesquelles on ne peut paa trouver de formes interrno­diaircs 
assurant ]e passnge dans un sens ou dans l'outro: 
« Quelque arrang~ment qU'OD donne aux animaux li vertèbres 
et il ceux (lui n:cn ont pas, on ne parviendra jamais à trOlwcr 
li ·In fin de rune de ceB grandes classcs ni il ln t~te de l'Ilutre, 
deux animaux qui se ressemblent assez pour servir de lien 
entre elles t. ,. On voit donc que la théorie des embranchements 
n'ajoute pas un cadre taxinomique supplémentaire nme: clus­sements 
traditionnels; eUe est liée à la constitution d'un espllc.o 
nouveau des identités et des différences. ESI,ace sans conti" 
nuité cssentielle. Espace qui d'entrée de jeu se donne. dans ~n 
forme du morcellement.. Espace t1'8versé de ligues qUI porfoll 
divergent et parfois se recoupent. Pour en désigner la Com.e 
générale, il faut donc substituer à l'image do l'échelle contI­nue 
qui avait été traditionnelle au XYUle siècle, de Bonnet l 
1. G. Cuvier, l.t,on. d'ana/omI. comparû, L J, p. 59. 
~. G. Cu'ier. M'moire '"' It. t'phalnpodt~ (1817), p. 42·43. 
3. v. Cuvier, Tallftnu mmulfaire d'hi.toire M'UTelle, p. S"-80'>. 
4. G. CUVier, Lleons rI'Qna'omie comparie; &. l, p. 60.
285 
k cene d'un rayonnoment, ou plutôt d'lin ensemble de 
(.amure ô.' partir desquels se déploio une multiplicité de myons; 
centrOJ rrai~ ainlli replacer chaque être c daus cet immense 
ou pou qui con~tjt.ue la nature or~nisée ... ~ail dix ou vingt 
::~s I10 lIufliraient pas li. expruner ces lDDombrables rap- 
• 1 poCrt'se stJ .t oute l'expérI•e nce cl as'slq ue d e 1a d1'f fe' renc:e qm• b as- 
1 alors et avec olle le rapport de rOue ot de la nature. Au 
cu I~e et ~u XVIIIe siècle, la différence avait pour fonction de 
:eJier les eapèces les unos aux autres et de comblol' ainsi l'écart 
entre les extrémités de l'être; elle jounit un l'Ôle c caténaire Il : 
elle Hait 8115111 limitée, aussi mince que possible; eUe,so logeait 
dan!! le quadrillage 10 plus étroit; elle était. toujours diviB~le, 
et pouvait tomber mème au·dessoU!! du seUlI de la perception. 
A partir de Cuvier, au c~mtraire, ~lIe se mu1tipli~ ello-même, 
additionne, des formes diverses, diffuse et retentit li travers 
]'orgnnisme, l'i!lOlant do tous los autres de diverses mnnières 
simultanées; C'C!!t qu'clle De se loge pas daDS l'inter!ltice des 
~tre5 pour les relier entre eux; elle fonctionne par rapport à 
l'organisme, pour qu'il puisse c faire corps» avec lui-m~me et 
se maintenir en vie; elle ne comble pas l'entre-deux des êtres 
pnr des Unuilés suece9!livcsj elle le creuse en s'approfondis!l8nt 
elle-même, pour définir en leur isolement les grands types de 
compatibilité, La nature du xrxll sièole est discontinue daM 
la mesure même où elle est vivante. 
On mesure l'ÙDportance du bouJeversementj li l'époque claa­Bique, 
les êtres naturels formaient un ensemble continu parce 
qu'jJ~ êLaienl des êtres et qu'il n'y avait pas de raison àl'inle-r­ruptlon 
de leur déploiement, Il n'était pas possible do repré­senter. 
ce qui sé~arait.l'.être de lui-même; le continu de la repré­s~ 
ntatloD (ùes signes et des caractères) et le continu des êtres 
g.cxtr~me proximité des struct.ures) étaient donc corrélatifll. 
est c~tte trame, ontologique eL représentative à )0 fois, qui 
s~ déchire dëflnitivement avec Cuvier: les vivants, parce qu'ils 
v.lvent, ne peuvent. plus former un tissu de difIérences progre!l­dIves 
t~ graduées; ~ls doivef!1 ~e resserrer autour de noyau~ 
Vc: ro lerence parfaltoment dlstmct!! les uns des autre!!, et q;tI1 t comm~ autant de plans difTérents pour entreteuir la VIe. 
, tl'c clas~lque 6tait sans dHaut· ]0 vie elle est saus fran ..... 
ru ùl .... d' L" 'J' ~- 
, • 'l:>' A e, être s épanchait dans un immense tableau; la 
"dtoe Iso' le des formes' qUi se nouent sur eI l e9-m~es. L ' être se 
tior::i11 ~s l'espace toujours analysable de la représenta- 
, a Vle S6 retire dans l'énigme d'une force inaccessible en 
1. G. Cuvier, lli~toi" du PQ;"on. (Paris, 1828). t. l, p.569.
286 Lu mo" t' ks chlJ8s, 
~o.n essence, l8iBi8Sa~18 leulement d~nB J~s elTorts qu'elle r .. il 
ICI et là pOUl' Be manifesm et. 8e mamtelUl'. Bref, tout au long 
de l'Age classique la vie relevait d'Wle ontologie <I.ui CODCer­nait 
de la même façon toua les êtres maté~jul~. 80umlB à l'éten_ 
due, Il la pesanteur, ou mouvement; et c était en ce !leDS u. 
toutes lus sciences do 10 nature et singulièrement du viv~nt. 
avaient une pl'ofonde vocation mécaniste; Il partir de Cuvier 
le vivant. échoppe, au moina en première instance, aux loi~ 
généraleB de l'être étendu; l'être biologique Be régionalise et 
a'autonomise; la vie est, RUX confins de l'être, ce qui lui ett. 
extérieur et ce qui pourtant le manifeste en lui. Et si 00 pOSe 
la question de Bel rapports avec le non-vivant, ou culle de Iles 
dëtenninationa physico-cbimiques. ce n'eBt pal du tout don. 
la ligne d'un c mécanisme J qui ,'obstinait en Bes modalité. 
cl.8I1iques, c'est, d'une manière touLe nouvelle pour artioul.,r 
l'une 8ur l'autre deux natures. 
Mais puisque les discontinuités doivent être expliqu6cs par 
maintien de ]0 vie et. par scs conditions, on voit B'esquÏStler 
une continuité imprévue - ou du moins un jeu d'interal)o 
tions non oncore analysées - entre l'organisme et ce qui lui 
permet de viTre. Si les Ruminants B8 dist.inguent des Ron­geurs, 
et par tout un &ystllmc de ditréroncol! maHsivos qu'il 
n'est pas question d'atténuel', o'est parce qu'ils ont. une autre 
denLition. un autre appareil dige~if, une autre diRpnsition des 
doigtB et des ongles; c'cst qu'ils ne peuvent pos eoptur6l' la 
même nourriture, qu'ils ne pouvent pas la traiter de la môme 
façon; c'est qu'ils n'ont pas à digérer]a même nature d'"limontli. 
I.e vivant ne doit donc 1'1115 être compris seulement r,omrne UDIS 
certaine combinaison de molêcules portant des car8otèl'tlll 
définis; il dessine une organisation qui fie tient en J'Ilpports inin· 
terrompus avec de! éléments extérieurs qu'elle utili.~e (l'or III 
respiration, par la nourriture) pour maintenir ou développer I!a 
propre structure_ Aulour du vivant, ou plutôt à travers lui et 
par le JilLre de sa 8urCace, Il'eiIuct.ue Il wle circula lion continutlUe 
du dehors au dedans, et du dedanll au dehors, COllstamn~t1l1t 
entretenue et cependun!. fixée entre certaines limites. ~insl 11:5 
corps vivants doivenl. être considérés comme des espèces de 
foyers dans 168'1,u616 les suhst.anctlB Ulortes sont.. porlées ~UCClJ>· 
sivoment pOUl' Il Y combiner entre elles de diverses manjère.~ 1 ': 
Le vivt.lnt, par le jeu cL la souveraineto.de colte ulêlll0 force ~IU 
le maintient. en discontinuité avec lui-mêmu, se t.rouve 1I0U!nlS à 
un l'apport continu avec ce qui l'entoure. Pour 'lue le VIVUUt 
pui8lle vivre, il fout CIU'n Y ait pLusieurs orgollisallODIi i.·rÏ!JuC" 
1. G. Cuvier, LePIn. d'an.tomie (ampli"'., L. l, p_ "·5.
287 
'bl les une!! aux autres, et, aussi bien, un mouvement inin­li 
61 U entre chacune et l'air qu'elle respiro, l'oou qu'elle 
~e~if nourriture qu'eUe ab50rbe, Rompant l'ancionno conti­n~ 
iJ: classique de l'être et de la ,nature, la fo~e divisée. de la vie 
f ire apparAître des formes dl"persées, mats toutes liées li. des 
'8 ditiolls d'existence, En quelques années, au tournant du 
con e et du Xl'x.8 siède, la culture europr.enne a mod:fié entière-xVIII 
.,' f d t 1 d 't l" t la spatialisatIOn on amen 8 e U vIvan : l'our 8XJ'1e- 
III en . L' • , d . nee classique, ]e Vlvant vtalt une case ou une sene e case!! 
rdioen s la ~iROmr..4 un'IV orse 11 0 del '''"', LN; 8•. sa 1o c~ .I ~tl. on g.e o~. 
hilJuo avait un rôle (comme cbez Bulton), c étaIt pOUl' fa1l'e 
~pparattre des variations qui étniel}t déjà possibles. A P!'!LÎr de 
Cuvier le vivant s'enveloppe sur lUI-même, rompt ses VOISlnago& 
taxino:W11ue@, s'arrache nu vost.e plan contraignant des cooti­nuité.", 
et se constitue un ~o~el ':8pace : espace double il vrai 
dire - puisque c'est MIUl, mtél'Jeur, dos cohérences Dnato­mi!'[ 
ues ot. dos compatibilités physiologiques, et celui, extérieur, 
des éMments où il réside pour en fnire Bon corps propre. Mais 
ces doux espaces ont uoe commande unitaire: ce n'est plus 
celui des possibilités de l'être, c'est celle de!! conditions de vie. 
Tout l'a priori historique d'uoe science dcs vivants sc trouve 
pOl' là bouleversé et renouvelé. EnviSAgée dan!! sa profondeur 
ol'llMologique et non pas au niveau plus apparent des décou­vertes, 
des discussions, théories, ou ùes options philosophiques, 
l'oeuvre de Cuvier surplombe de 10iD ce qui a1l8it être l'avenir 
de la biologie. On oppot!O souvent les intuitions c transformistes» 
d.e Lamarck qui ont. l'air de 1 préfigurer J ce qui sera l'évolu­tIonnisme, 
et 10 vieux fhùame, tout imprégné de préjugés ka­ditioonels 
et. de postulats théologiques, dans lequel s'obstinait 
Cu!Ïer. Et. par tout un jeu d'amalgames, de métaphores, d'ana­J? 
glel ~al contrôlées, on dessine le profil d'une penséo «réac­t! 
onua.rre », qui tient psssionnêment à l'immobilité des cholles, 
pour.braranLir l:ordre précaire des hommes; telle serait ln pbilo- 
80phle de CUVIer, homme de tous les pouvoirs; en face, on 
retrace le destin difficile d'une pensée progres!!iste, qui croit à 
~ force du l!'0uvement, il l'incessante n~uve~uté, à l~ vivacité 
es IdélJ.»ta~lons : Lamarck, le révolutlonnRIre, serait là. On 
donne aUlsl, sous le prétexte de faire de l'hi!ltoire des idél'.S 
e~_ un. sene rigoureusement historique, un bel exemple de 
:DnaJtv ete, Car dans l'historicité du savoir, ce qui compte, ce ne pas!es o{'inions, ni les ressemblances qu'à travers les Ages 
ent peu:...etabhl' entre eUes (il y a en effet une c r8llsemblance » 
eehrl . marck et un certain évolutionnisme, comme entre 
MailÏc;) et les j~ées de Diderot, de Robinet ou de Benoit de 
e ; ce qUI est import~nt, ce qui permet d'artieuler en
288 Lu mou 8' Zt,s cllO.'p.8 
elle-même rhisl.oirc de 10 l'en8~, ce lIont sel comlitiunll illtcrn 
el., pos!lihilité. Or, il sutTIt d'en essnyer l'analyse pOUl' s'aper e. 
voir aussitÔt quo Lamarck ne pensait lell traIlB(orrnatioQg r 
e9pr.ces qu'à partir de la continuité ontologique qui était. celi 
de l'hist~ire naturelle d.es cJa!lsique •. Il,supposait une gradatio~ 
progrc:I;qlVe, un perfectlOnnem~nt llon ~Jlterrompu, une grandit 
nuppe lnC6.'!sante des être!! qUI poul'l1uent se lormer les uns à. 
pllrtir des nutres, Ce qui renel pOBible la pensoe de Lamarck 
ce ~'(''S~ pas l'app~It~~ion lointaine d'un évolutionnisme ~ 
venal', c est la contmultlt dos êtres, telle quela découvraient et 
la supposaienL les tt méthodes 1 naLurelles. Lamarck est contem­porain 
d'A.-L. de JWlBieu. Non do Cuvier. Celui-ci a introduit 
dans l'échelle classique des êtres une discontinuité radicale' et 
par Je fail. même, il a lait surgir des notions comme celles dlin_ 
compa1.ibiliL6 biologique, de rapports 8UX élément. extérieurs 
de conditioDs d'existence; il a fliit surgir aussi une certaine rorc~ 
'l.ui duit maintenir la vie et une certaine menace qui la sane­tllmne 
de mort; là se trouvent réunies plusieurs des conditions 
qui rendent possible quelque chose comme ln pensée de 1'6volu­tion_ 
La discontinuité des formes vivantes a permis de CODC6YOÎr 
une grande dérive temporelle, que n'autorisaiL pail, malgré des 
analogies de surface, la continuité des structure. et des carne­t~ 
res. Ona pu substituer une« bistoire 1 de la nature à l'histoire 
naturelle, grace au discontinu spatial, grâce à la rupture du 
tableau, grâce au lractionnement de cette nappe oil tous les 
êtres naturels venaient en ordre trouver leur pInce. Certes, 
l'8tipace c1as$ique, on l'a vu, n'excluaiL pas la possibilité d'un 
devenir, mais ce devenir ne lai sait rien de plus que d'u8IIuret' un 
parcours sur la tuble discrètement préalable des varia~ions POI­eible~. 
La ruptUl'6 dll cet espace a permis de découvrir une histo­ricit. 
é propre à la vie: celle de son maintien dans ses conditions 
d'oxistence. Le « fixisme 1 de Cuvier, comme analyse d'un tel 
maintien, a êt6 la manière ini~iale de réfléchir cette historicité, 
au moment oil elle affieurait, pour la première fois, dans le 
sovoir occidental. 
L'historicité s'est donc introduite maintenant dans la nature 
- ou plutôt dans le vivantj mais elle y est bien plus qu'une 
forme probable de successionj elle constitue comme un m~e 
d'être fondamental. Sans doute à l'époque de Cuvier, il n'eXl8te 
pas encore d'histoire du vivant, comule celle que décrira l'évo· 
lutionnisme; mais le vivant est pew;é d'entrétl de jeu avec l~ 
conditioos qui lui permeLlenL d'avoir une histoire. C'est. de la 
même façon que 165 ri cites ses avaient reçu lll'époque de Ricardo 
uu statut d'histuricité qui lui 11011 plus lie s'était pas .encore 
formulé comme bistoire économique. La stabilité prochame des
indu!ltricls, de lu popullllion et ùe la rente toile quo 
rll'~'tI~~' révue Ricardo, 10 Jixilé des espèces allirméo par Cuvior 
l'BV8l nt asser après un examon superficiel, pour Wl ro(us do 
lp'e .1~J!v. Lc O'rie.~ cn (uit ' R• icard() ct Cuv•i or Ile _r écu8uie, n~ que les• m•oda -., .1 é de la succeSSion chronologtque, toiles qu elles avuumt olé 
lat ,s L,u au ~"1J1l sièçlcj ils dénounient l'nppnrLonanco du temps 
"-.':n1~'l lt:,.Ir.e hiérarc l u' qlle ou l'" 1 • l' 11 (! aSSllwntcur r es roprescn at.lOns. fin 
à onruc lle colte u• nmol Il' l'I l é acluc1 1 e ou l uturc qu" 11 s de' crl.v O•l ent 
revu'ials, I Innonça"len1t, 1 s ne pOUv8'1en]t n conccvO.Ir q.u .H p.ar.tir dU ~ pu~sibililé d'une histoire; et celle·ci leur étllit donnée soit 
p:r ïtlti conditions d'existence du vivant, soit par les ~0~dilion9 
de product.ion de la valeur. Paradoxalement, le pesSimisme de 
Ricardo, le fi,xism~ .ù~ Cuvier n'aPI?~raiss~ot que s~r un fon~ 
hititoriquc : Ils ,deilIUSllcnt la stab~llé d êtres qUI on~ drOit 
desormais, au Dlveau de leur JDOd~llé pro(onùe, ~ avoU' une 
histoire' l'id6e classique que les nchetiSe5 pouvaient croiLre 
aeloD u~ pro !!l'ès continu, ou que les espèces pouvaient aveo le 
ttlDJpa se ~nsformer lcs unes dans les autres, dêfuüssaiL au 
contraire lu mobilité d'ôtre8 qui, avant même toute histoire, 
oooissaient déjà à un système de variables, d'identités ou d'équi­valences, 
Il 8 lullu Je suspens et COJDDle la mise entre paren­thèses 
de cette histoire-là pour que les êtres de la nature et les 
produits du tra'vail reçoivent une historieit! qui permette à la 
pensée moderne d'avoir prise sur eux, et de déployer ensuite 
la science discursive de leur succession. Pour la pensée du 
XVIIIe siècle, les suites chronologiques ne sont qu'une propriété 
et une manifestation plus ou moins brouillée de l'ordre des 
êtres; il partir du )l'rxe siècle, elles expriment, d'une façoD plus 
ou moins directe et jusque dans leur interruption, le mode d'êLre 
profondément historique des choses et des hommes. 
En tout cas, cette constitution d'une hil!wricité vivants a 
eu pour la pensée européenne de votes conséquences. Aussi 
hllUlte~ B.ans doute que celles entrainées par la formation d'une 
storlClté économique. Au niveau superficiel des grandes dale!-,r8 imaginaires, la vie, désormais vouée à l'histoire, se 
esslne sous la funne de l'animalité. La hôte dont la grande 
menace ou l'étrangeté radicale étaient restées suspendues et 
dOllUDe dés~rmêe5 à la fin du Moyen Age ou du moins nu terme 
r e la R.ena'ssancc, trouve au XIXe siècle de nouveaux pouvoirs 
l"n~stlques. Entre-temps, ln nature classique avait privilégié 
1:5 valeurs végét~1~8 -la plante portant sur sOn hlasonvisible 1arque sans retlcence de chaque ordre éventuel; avec toutes j;' .g~ déploy6u9 de la tige à la graine, de la racine au fruit, 
lra vegetal formait, pour une pensée en tableau, un pur, objet 
nSPatent aux socrets généreuaement retoumés. A partir du
290 la mots et les Ch06811 
moment où caractère! et 8tn1CtlrreS 8'éta~flnt en profondeur 
vers la vie - ce point de fuite ROuverain, Indéfiniment 61nign6 
~ais.constituaDt- alors, c'est l'animal qui devieut figure pri. 
viléwée, avec ses charpentes occultes, ses organes enveloPl1fl 
.tant de Conctions invisibles, et cette force lointaine, au fond d: 
t,out, qui I.e maintient en vie. Si le viyan~ est une classe d'êtr~, 
1 herbe mieux que tout énonce lia limpide essence; mois si le 
vivont est une maniCerotation de la vie, l'animal lais!1e mielDt 
apercevoir ce qu'ost Bon énigme. Plus que l'image calme dea 
caractères, il montre le passage incessant de l'inorganique à 
l'orgnniqlle par 10 l'Cspiration oula nourriture et la transforma_ 
tion inverse, BOUS l'effot de la mort, des grandes architectures 
fonctionnelle! en poussière sans vio : «Les substances mortes 
sont portées vers les corps viwmt!l, disait Cuvior, pour y tenir 
une place, et y exercer unc action déterminées for 10 nature des 
combinaisons où elles sont entrées, et pour s en échapper un 
jour afin de rentrer sous les lois de la nature morle 1. » La plant.e 
régnait UtL" con6ns du mouvement et dc l'immobilité, du sen­sible 
et de l'insensible; l'animal, lui, se maintient aux confins 
de la vie et de la mort. Celle-ci, de toutes parts, l'assiège; bien 
plus, 'clle le menace aussi de l'intérieur, car seul l'orgarusloo 
peut mourir, et c'est du fond de leur vie que la mort survient 
aux vivants. De là, Bans doute, les valeurs ambiguës prises vera 
la fin du xvme siècle, par l'animalité: la bête apparait comme 
porteuse de cette mort à la queUe, en même temps, elle est 
soumise; il y a, on elle, Wle dévorution perpétuelle de la vie 
pRr elle-m~me. Elle n'appartient à la nature qu'en enfermant 
en Boi un noyau de contro-nature. Ramenant. sa plus liecrète 
essence du végétal il l'animal, la vie quitte l'espace de l'ordre, 
et redevient sauvage. Elle se révèle meurtrière dans ce même 
mouvement qui la voue li ln mort. EUc tue parce qu'elle vit. 
La nature ne sait plus ~tre bonne. Que la vie ne pui~se plus 
être séparée du meurnc, la nature du mal, ni les désirs do la 
contre-llature, Sade l'annonçait nu xyme siècle, dont il taris· 
Mit. le langage, et à l'âge moderne qui a voulu longtemps le 
condamner au muti!lIIle. Qu'on excuse l'insolence (pour qui?) : 
Les 120 Journées sont l'envers velouté, merveilleux de! 
l~çoM d'anatomie comparée. En tout cas, au calendrier de notre 
archéolugie, elles ont le même âge. 
Mais ce statut. imaginaire de l'animalité toute chargée de 
pouvoirs inquiétants et nocturnes renvoie plus profondémtlnt 
BUX fonctions multiples et simultanees de la vie dans la pellsée 
du XIXe siècle. Pour la première foi» peut-être dans la culture 
1. G. Cuvier, Cour. d'anatomie pa/horogique, t.. 1. p. fi.
Travail, viii, langage 291 
'leow1e III vie écJ1RPI'o aux lois gén6rales de l'être, tcl qu'il 
occ:; one e~ s'analyse duns la représentatioD. De l'autre c6te 
d~ ,;,t611Ie5 chose. qui sont. en ~eçà môme. de ceUes qui, pe~vont 
êl les tlUpportliut pour les faire apporalt.re, et 1. detrwsont 
.n rno., "","e par )0 violence de la mort, ln vic devient une lorce ~.' f(lndamtlntale, et. qU,I s, o )1f:ose à l' être com!'l0 1e mouvement !l 
l'inupobiliLé, le t~DlpS. à 1 espace, ~e vouloIr secre,t. à la mam­festation 
visihle. La v!e cst la racIne ~e toute eXIStence, et !e 
Don.vivant, ]a nut.ure merte, ne liunt. Tien de plus que de la Vie 
l'tlwmbéu' l'être pur et simple, c'atiL le non-~tre de la vie. Car 
ceUc.ci et c'est Jluurquoi elle a dam la pensée du XiX· siècle, 
tw!: vllicur radicale, I:st à ]a lois le noyau de l'être et. du non­Otre: 
il n'y a d'~Lre que parce qu'il y Il vie et dans ce mouvement 
fomlllmcnLa] qui 165 voue à la mort, les êtres dispersés ct stables 
un illstant se rorment, s'arrêtent, la figent - et en un sena la 
tuent -, mais sont lA ll:ur tour détruits par cetUI force in6pui­IlIl, 
le. L'lIxpérioncc de la vie se donne donc COIDlDe la 'loi la plus 
générale des êtres, la mise à jour de ceUe force primitive li. 
p&rtir de quoi ils 60nt; tille fonctionne comme une ontologie 
IDuvRge, qui chercbcruiL à dire l'être et le Don-être indisso­ciables 
de tous les êtros. llais cette ontologie dévoile moins ce 
qui fondl: les êtres que ce qui les porte un instant àuneforme 
précaire et secrètement déjà les mine de l'int.érieur pour les 
détruire. Par rnpport à ]a "ie, les êtres De BOnt que des figures 
trunsiloires et J'être qu'ils mainûeonent, pendant. l'épisode de 
leur existence, n'est l'ion de p]ua que leur présomplion, Jeur 
volollt6 de subsister. Si biun que, pour la connaissance, l'~tre 
des choses est illusion, voile qu'il faut déchirer pour retrouver 
la violence muette et imisiblo qui les dé"ore dlUlS la nuit. 
L'~l,ltologie de l'anéantissemcot des êtres vaut donc comme 
Critique de]a connaissance: mais il De s'agit pliS tont de fonder 
le phéno~è!le, d'cn dire li. la rois ]a limiLe et la loi, de le rappor­ter 
~ ]a .timtude qui ]e .rend possible, que de le dissiper et de 
le d~tnnr~ comme la VIC elle-même d6truit les êtres: car tout 
sun eLre.n est qu'ap'l8l'ence. 
0ch "Olt se constituer ainsi tlne pensée qui s'oppose, presquo 
d~ ahclfn d~ ,se:- ~ermes,. à celle qui étai~ liée à la formatiun 
~ne Istorl~lté econOlDlque. Cette dermère, nous avons vu lU el}e prenait appui sur une triple théorie des besoins irri- 
1 ~.clables, de l'ohjeutivité du travail et de la fin de l'histoire. l'i:.tܰ!d )f!Yons au contraire 8e dévelol'per Ulle pensée où 
qu'u VI ua lté, avec &es formes, leS limites et 80S besoins, n'est 
tOIiL n toment précaire, promis à la destruction, formant en 
-.oiede ~our ~OUL.'Ul &.impIe obstacle qu'il s'agit d'écarter sur Ja 
teet aneantililement; une pensée où l'objecLivité des choses
Lu mol8 el les CliUSf.$ 
n'est qu'apparence. chimère de la perception, illusion qu'il 
faut dissiper et J'Oneire li la pure volonté snnB phf.nomène qui 
les a fait nattre et les a supportés un instlJnl; unc pensée cnfin 
pour la queUe le recommencement do la .... ic, BCB reprises ince.~­santos, 
80n obstination excluent. qu'on lui pose une limite dana 
la durée, d'autant plus que le temps lui·mèmc, aveo SilS divi­siona 
chronologiques ct 80n calendrier quasi spatial n'cst. sons 
doute paa autre chose qu'une illusion de la connoissance. Là 
où une pensée prévoit la fin de l'histoire, l'altre Aunonce l'in­fini 
do la vie; oli l'une reconnait Jo production réelle clus choses 
par le tra .... ail. l'autre dis!1ipe lu chimères de la conscience; où 
l'une affinne avec les limites de l'individu les exigences de sa 
vie, l'autre les efface dans le murmure de la mort. Cette oppo­sition 
est-elle le signe qu'à partir du XIXtl siècle le chomp du 
s8voir ne peut plus donner lieu li. uno réflexion homugène et 
uniforme en tOUI les points? Faut-il admettre que dl:surmuis. 
cbaque forme de positivité a la c philosophie J qui lui revient: 
l'économie, celle d'un travail mllrqué au signe du btllioin, mois 
promis finalement à la grande récompense du temps? la biolo­gie, 
celle d'une vie marquée par cette continuité qui ne forme 
les êtres que pour les dénouer, et se trouve afTl'8nchic por là 
de toutos lea limites de l'Histoire? Et les sciences du langage, 
uno philosophie des cultures, de leur relativité et de leur pou­voir 
singulier de munirestation? 
IV. BOPP 
« Mais le point décisif qui éclairera tout. c'cst la structure 
interne des langues ou la grammaire comparée, laquelle nuuS 
donnera des solutions toutes nouvelles lIur la généalogie dei 
langues, de la même manière que l'anatomie comparée a répaml.u 
un grund jour sur l'histoire naturelle 1. 1 Schlegel le 8avUlt 
bien: la constitution de l'historicité dans l'ordre de la gram­maire 
s'est faite selon le même modèle que dans la scien~o du 
vivant. Et li. 'Vl'ui dire, il n'1 a li. cela rien de surprenant. pUIsque. 
tout au long de l'âge claSSique les mots dont on pen~art que le5 
langues étaient composées, et les caractères par It:squ.els o~ 
essoyait de constituer un ordre naturel, avaient reçu, Iden1.l­quement, 
Je m~me statut: ils n'existaient. que par la valtlur 
1. rr. S~hlest'I. lA l.auglle ~I III 1'Jril'l,nphic "cl·/anima (trad. françaI5r., 
Paris, 1837 J. J). af,.
Travail, "ie, langagiJ 293 
&lentative qu'ils détenaient, et le pouvoir d'analyse, d. 
rapr :Wlement de composition et de mise en ordre qu'on leur 
redo lissait à l'égard des choses "eprésentées. Avec JUllsieu 
recOJllDaml arek d'abord. avec Cuvier en.uite. le caraotère aVilit 
el. ù, u. "II fonctl, on repre' sentati•v e, ou p IU·AlN. t, 8" 11 pOUV81' t emlore 
per r:':cnter /1 et permettre d'établir de. "elations de voisinage 
~redpeç ·p,l lrentô, ce n Je" tait pas pal' 1a vertu propre d e sa structure 
:ible ni des éléments descriptibles doot il était compos6, 
mais parce qll'il avait d'a~ord é~ rapporté à une org!,nisation 
d'en!ICmble et li. une Conetlon qu Il a~81l1'1? de façon dlrect~ ou 
indirecte Dlajeure 011 coUatérale, 1 pmnolfe Il ou 1 secondalte lt. 
Dans le domaine du langage, le mot subit, à peu près il la 
même époque, une transformation nnalogue : bien .Or, il ne 
ce~!!e pHB d'avoir un .eoa et de p'0uvoir c représenter Il quelque 
chO!le dan. l'esprit de qui l'utilise ou l'entend; mais ce râle 
n'est plui COD!!titutif du mot dans son ôtre même, dans son 
architecture es!lentieUe, dans ce qui lui permet de prendre 
place à l'intérieur d'une phrase et de s'y lier avec d'autres mots 
plus ou moins différents. Si le mot peut figurer dans un discours 
où il veut dire quoIque chose, ce ne Bera pas parla vertu d'une 
dÜicuraivité immédiate qu'il détieudrait en propre et par droit 
de Daissance, mais parce que daoa Ba forme mArne, dallll lea 
sonorités qui le composent, dans lei changements qu'il subit 
.don la {onction grammaticale qu'il occupe, daO! les modifica­tion' 
enfin auxquelles il se uouve soumis à travers le temps, il 
obéit à un certaID nombre de lois strictes qui l'égissent de foçon 
aemhlllbie tOU8 le!l autres éléments d. ]a même langue; si bien 
que le mot n'est plus attacbé Il une représentation que dans la 
mesure où il fait partie d'abord de l'organisatioD gramruaticalo 
por laquelle la lugue définit et a89ure sa cohérence propre. 
Ponr que le mot puisse dire ce quoil dit, il faut qu'il appartienne 
~ une tota 1 ité grammaticale qui, par rapport à lui, est première. 
londnmentale et déterminante. 
f Ce .d6calage du mot, cette sorte de saut en arrière hors des 
ODCtiO~s représentatives, a été certainement vers la fia dll dYIllO Siècle un des êvénemeDta importants de la culture oeci-:: 
e1:'~ le. Un .de ceux ~UB8i qui est pa89é le plus inaperçu. O. ~ volontiers a ttentloD aux premiers moments de l'économie 
de ~tl:1de, ~ l'analyse par Ricardo de la rente foncière et du coût 
d' r .uctlon: on l'IIconnl1tt ici que l'événement Il eu de grandea 
pelIr1m1ie lllilO,Op!uli' sque, d e proche en proche, i•l a non !leulement 
Ilertai Il le ~e'oPPelment d'une science, mais aU!lsi entralné un 
nëgli ~ DO re de mutations écoDomiques et politiques, On De 
.cièD~ea~alll trop DOD plus les formllll nouveUes prises pal' les 
e a nature; et s'ü .tvrai que par une illusion rétros-
294 LM ma'" el les C1108/J8 
peelive on valorise Lamarck l'lUX dépen!l de Cuvier, s'il est vr . 
qu'on ee rend mal compte que ln 1 vie 11 atteint pour la prellli~ 111 
fois uvee les Leçom d'a'fD-wrnÜl com.pt.Zré~ SOb seuil de posil.iyil~: 
on a cepuudantlacobsclenCeaumolRsdtlTusequela cultureocc:' 
dentale s'est mise à port.er, de ce moment-là, un regard neur';:­le 
monde du vivant. ~n ~van~he, l'iloleme.nt. des langues il1r1o~ 
europée~Iles, la con6tltut~on d une !P'a~alle comparée, l' étude 
des UexIODS, la formulatlOD. des 1018 d alt.eruance vucoli'iue et 
do mutution consonantique - bref toute l'oeuvre philologique 
de Grimm, de Schlegol,'de Rask et de Bopp demeure dans IIl8 
marges de notre conscience historique, comme si clle avaiL 
soulement fondé une discipline un peu lal.6r'd,le ct. ésotéri'1ue_ 
comme si, en fuit, ce n'était pas tout 10 modo d'litro ùullllll,luge 
(ct du natre) qui s'était modifié à truVIll'5 eux. Suns doute 88 
Inut-i( pas chercher à justifier un tel oubli en dépit de l'im~or­tance 
du changement, mais au contraire à parti .. d'elle et de 
l'aveugle proximité que cet événement conserve toujours pour 
nos yeux mal détacbés encore de leurs lumières aCcOllttllutie1, 
C'est qu'à l'époque même où il s'est produit, il étAit d~jà enve­loppé 
sinon de secret, du moins d'une certaine discrét.ion. Peut­être 
leI changements dans le mode d'être du langage sont· il. 
conune les altératiulllS qui aOEectent la prononciation, la graDL­: 
maire ou la sémantique: aussi rapides qu'ils soient, ils ne sanL 
jamais clairement saisis par ceux qui parlent et dont le langage 
pourtant véllicu1e déjà ces mutations; un n'en prenù conscience 
que de biais, par ruomenLs; et puis la décÎliiorL u'et;l finalement 
indiqul.'O que sur 10 mode négatif: par la désuétude raùicale et 
immédiatementperceptiblc du langage qu'on employait. Il n'est 
8Dna doute pas pnssible il UDe culture de prenùre conscitmce d'une 
m8nière thémntiryue et positive que Bon langoge cellije d'être 
transporent'à scsreprlsentations pour s'épaissir ot recevoir uno 
pesanteur pr0J;'J'e. Quand on continu8 il discourir, COUlment 
88urait-on - sinon il traverl'l quelques indices obscU1'8 qu'on 
interprète à peine et mal - que le lungage (celui-là mêlUe dont 
on se serl) est en train d'acquérir une dimension irréducliJ,lc. à 
la pure discursivité? Pourtoute!l ces raisolls, sans doute, la nlll~­SAnce 
de la philologie est restée dans la cunscience occidenta!e 
beaucoup plus disciète que celle de ln hiologie et do l'écollorrllc 
polit.ique. Alors qu'die faisait partie du même Loulcv6J's"llIcn 
arcbëologique. Alors tlue pOlIl·être ses consp.qllenccs sc sont éten­dues 
Leau.~oup pluslllin encore dans notre cul turc, nu muilllS dnnll 
les couches ~oul.errail1es qui la }1!U'courent et Jo soutiennent .. ? 
CelLe positivilé philologique, comment s'ellt.-cllc (~rJll:1l 
Quatl'e lIej.lOlellts théoriques noui 8U eiJ.rnaleut 1ft C(IIl~lllllUi'" 
au début du Xlx,8 siècle - à l'époque de l'essai de Hchle:;c1 !l11f
TrtWaU, v&s, 14ngGge 295 
n ue 6t la philosophie du 1ndie", (1808), de la Deut8C11S 
~ La n~tik de Grimm (1818) et du livre de Bopp sur le Jy,- ri;::; tÙ conj/lgaison du sanskrit (i8i6). . 
1 Lo premier de ces sebrments eoncerDela maruère dont une 
] ~c peut se caractériser de l'intérieur et se distinguer des 
ang, e. A l'êpoque classique, on pouvait définir l'individualité 
dau' r e" l. an"ue à partll. " de p lu9'1e urs Ol'.J t èr es: proportI.O n entl'O 16 8 
d'~~ent!l"souS utilisés pour fOl'lDer des mots (il y a des langues 
A Imujoritê vcx:ulique et. d'au~ à n;tajorité cousoJUlDt.ique), pri­vilège 
accordé à. certames categorle~ de mo~ (langue) à 8~S­tantifs 
concrets, langues à substantIfs abstralts, etc.), manière 
de reprétientcr les relations (par des prépositions ou par des 
déclinaisons), disposition choisie pour mettre lei mots en ord1'6 
(50it qU'OIl place d'abord, comme les Français, le sujet logique, 
ou qu'on donne la préséance aux mots les plus importants, 
comme en latin); ainsi on distinguait les langues du Nord et 
cellus du Midi, ceUes du sentiment et celles du besoin, celles de 
la liberté et celles ùe l'esclavage, celles de la barbarie et celles 
de la civilisation, celle .. du raisonnement logique et celles de 
l'ar"umentation rhétorique : toutes ces distincliollS enlre les 
Inn~es ne concernaient jamais que la manière dont eUe!! pou­vaient 
analyser la représentation, puis en composer les élô­ments. 
Mais à partir de Schlegel, les langues, au moins dans leur 
typologie la plus générale, se définissent par la manière dont 
elles lient les uns aux autrel les éléments proprement. verhaux 
qui la composent; parmi ces éléments, certains, bien sllr, sont 
représentatifs; ils possèdent en tout cas une valeur de repré­sentation 
qui est visible mais d'autres ne détiennent aucun 
8C!lS, ct servent seulement par une certaine compo!>ltlon li déter­miner 
le sens d'un autre élément dans l'unité du discours. C'est 
cc ?llntéri!1U - fait de noms, de V6rbes, de mots en général, 
11181S aussI dc syllabes, de sons - que les langues unissent entre 
cID'. P?Uf {onner des propositions et. des phrases. Mais l'unité 
matéMelle constituée par l'arrangement des sons, des syllabes 
el des mots n'cst pas régie pal' la pure ct simple coDwinatoÎre 
des é~ê~ents de la représentation. Elle Q ses principes propres, 
et q~ ddTèrent dans les diverses langues: la composition gram­~! 
I~c.ule .8 dcs régularités qui ne sont pas transparentes à la 
S!guificatlOn du discours. Or comme la signification peut 
pasli~r, à peu près intégralement, d'une lnn.l7.Ue dans une autre, 
d::li~t. d~s régularités qui vont permettre de définir l'iudivi­nom. 
une langue. Chacune a un espace grammatical auto­d'une, 
t 1 peut comparer ces espaces latéralement, c'est-à-dire 
e anguo à l'autre, sans avoir à passer par un l milieu _
Leif ITWU et lea c/lu'6lI 
commWl qui BeraiL le cbamp de la repréaentation -vell tout 
ses subdivisioDs pOllliibles. es 
Il est (acile de distinguer tout de Buite deux grands mod 
de combinaison entre les éléments grammntieaux. L'un consi,: 
à les juxtaposer de manière qu'ils se déterminent les un~ 1 
autres; duns co cas. la langue est faiLe d'une poussière d'él~a 
ments - en général forL brefs - qui peuvent se combiner d' 
différentes mllnières, muis chacune de ces unités gardant 80: 
autonomie, donc la pMsibilité de rompre le lieu transitoiro 
qu'à l'intérieur d'une phrase ou d'une proposition, elle vient 
d'instaurer avec une autre. La langue se défiDit alors pal' 10 
nombre de ses unités, et par toutes les combinaisons possibles qui 
peuvent daus le discours s'établir entre eUes; il s'agit alon 
d'un 1 al:lSemb1age d'atomes 1, d'une «agrégation mécanique 
op~réo par Ull rapprochement extérieur 11. Il existe un autre 
mode dtlliaison entre les éléments d'une langue: c'estlesystème 
des flexions qui altère de l'intérieur les syllabes oulcsmots e9sen. 
tiels -les {ormes radicales. Chacune de ces fonnes emJ.lOrte 
avec soi un certain nombre de variations possibles, déterrrun~e.~ 
l J'avance; et selon les autres mots de la phra~e, solon les rela. 
tion! de dépendance ou de corrélation entre ces mots, selon les 
voisinages et les associations, telle variable sera utilisée ou 
telle autre. En aJ.lparence, ce mode de liaison est moins riche 
que le premier pUIsque le nombre des possibilités combinatoires 
est beaucoup plus restreint.; mais, eo réalité, le système de la 
Uexion n'existe jamais sous BU Corme pure et la plus décharnée; 
la mudi1ication interne du radical lui permet de recevoir par 
addition des éléments eux-mêmes modifiables de l'intérieur, 'si 
bien que 1 cllaque racine est véritablement une sorte de germa 
vivonti car lei rapports étant indiqués par une modification 
intérieure et un lihre c11amp émut donn6 au développement 
du mot, C8 mot peut s'étendre d'une manière illimitée· 1. 
A ces deux grands types d'organisat.ion linguistique cor­respondent 
d'une part le chinois, où 1 les particules qui désigne. nt 
les idées 8ucces~ives sont des monosyllubes ayant leur ClOS' 
tence à port 1 et, de l'autre, le sanskrit dont lIa struct1;'re 
est tout à fait ol".,'1lwque, se ramifiant pour ainsi dire à l'lIlde 
ùes flexions, d4lti modifications intérieures et J.'entrela~emellt.s 
variés du l1ldical a 1. Entre ces modèles majeurs et. e){trô.mes, 
on peut répartir toutes le' autres langues quelles q Il' elle! SOient; 
1. Fr. Schl~glll, Ellal ,ur la langue I!t la philollIphl, du Inriitnl (lrad. 
SflIUÇIÜ"', Pllri~, 1837), p. 57. 
2. Id., Ibid. p. 56. 
:J.·ld., Ibid., p. 47.
Travail, II~, langage 297 
lura nêcellllairement. une organillat.ion qui la rapprG­chacun:, 
l'un des deux, ou qui la tiendra à égale distance, eh""'r u du champ ainsi d6fini, Au plus près du chinois, on 
au pu IJBe bosclue, le ~opte, 1ea langues américnines; elles lient 
trOU"· d éJ ' é hl ' • 1 s I,'ec les autres es emenh li para es; mais ceux-CI, 
e5,,!DU de demeurer toujours li l'état, libre, et. comme autant 
daI'l tolem es Terbaux l.r re'd llCl·o!LWI es, 1 commencent . de"J à à se ro nd re 
d:ns Je Dlot.; l:arebe se d~linit. pa,r Ull méla~e ent,re le sys­t' 
me des allixat.lon& et cehu dea DeXlODSj le celtique est presque 
e~c'usivemen une langue à flexion, m~iB OD y t.rouve encore 
des 1 vestigr.s de langues amxes 1. On dua peut-être que cette 
orrosition était déjà connue 8U xnne aièile, et. qu'on savait. 
depuis ]ongt.emps distiDlt"er ~a combinatoire des mots cbino,ia 
auX déclinaisons et. CODJugfllSons de langues comme le latlll 
et le grec. On objectera aussi que l'0rpositiqn absolue 6tablie 
par Schlegel fut très tôt critiquée pAr Bopp : III 06. Schlege! 
voyait deux 1)1'es de langues radicalement. massimilables l'un 
à l'autre, Bopp a Cllel'chê une origine commune; il essaie d'êta­blir 
1 que les Dexioos ne sont pas une so11e de développement 
intérieur et spontané de l'élément primitil, mais des parti­Cilles 
qui se sont agglomérées à la syllabe radicale: le m de 
]a premillre personne en lIan5krit (bl,avâmi) ou le , de la t.l'Oi­si~ 
me (b1uJlldû) sont. l'elTet de l'adjonction du radical du verbe 
du pronom 17Idm (je) et Mm (il). Mais l'important pOUl' la 
constitution de la phiJolo~ie n'est pas tellement de savoir si 
]611 êléments de la conjugaIson ont pu bénéficier, dans un. pass6 
plus ou moins lointain, d'une existence isolée avec une valeur 
autonome. L'es~entiel, et ce t(UÏ dist.in..crue les analyses de Schle­g~ 
et. de Bopp de celles qtu, au XVIIIe siècle, peuven.t anti­ciper 
~pparcmment snI' elles " c'est que les syllabea primitives 
ne croJBS~nt. pas (par adjonction ou prolifération internes) sana Dn certaIn Dombre de modifications réglées dans le radical~ 
, IInl une lan"aue comme le chinois, il n'y 8 !lue des lois de 
JII;ctapusit~on; mail! dans des langues où les radICaux sont 80U­ilS 
à cr"?l!;sance (qu'ils soient monosyllabiques comme danl 
.c !IIln!lknt ou polysyllabiques comme l'hébreu), on trouve tou­JOurs 
des formes régu1ières de variations internes. On compl'eDd 
quel la nouvelle philologie, ayant maintenant pour coractéri­~.. 
f: ~8ngu68 ces critères d'organisation intérieure, ait aban­t 
Ounn : es classements hiérarchiques que le xvme siècle pra­i 
IIIllalt. : On admettait alora qu'il y avait des langues plue 
qlportantes que lcs autres, parce que l'analyse des représen-i 
~o~, Uclltr da. Kon/ugallort,."""". dit' San.k~lI.pmcl1" p. 147. 
, lime Tooke, ParoI" r1Olanl" ,LondreS, 17D8),
298 
tations y était plus précise ou plus fine. Dêsormais t.out 
lei langues 8e , .. lent : elles ont seulement des organisatio es 
internes qui 80nt dilTérentell. De lil cette curiosité pOur d'fla 
langues rares, peu parlées, mali civilisées l, dOllt Rask a don': 
le témoignage dans sa grande enquête à travol'B la Scandioa 
vie, la Russie, le Caucase, la Pene et l'Inde. • 
2. L'éLudo de ces fJtJriaûo1l8 in.t61'1UJ$ constitue 10 second se 
ment tMorique important. Dans ses recherchos étymOlo~iqu~ 
la grammaire généralo étudiait bien les tranRformations d~ 
mots et des syllabes à travers le temps. :Mais cette étude était 
limitéo pour trois l'Rison!!. Elle portaIt plutôt sur ln métamor. 
phose dcs lettres de l'alphabet que Bur la manière dont les 
sons effectivement prononc~ pouvaient ~tre modifiés. De plus 
ces transformations étaient considérées comme l'efTet, toujours 
possible, en tout temps et sous toutes conditions, d'une cer­taine 
affinité des lettres entre elles; on admettait que le p Ilt 
le b, le m et le n étaient assez voisins pour que l'un pdt a8 
Sub!!Lituer à l'antre; de tels changements n'ëtaient provoqulis 
ou déterminés que par cette douteuse proximitê et la confu. 
sion qui pouvait s'ensuivre daus la prononciation ou dans 
l'audition. Enfiu, les voyelle. étaient traitées comme l'élément 
le plu.'i fluideetle pluB instabledullUlgage, alors que les consonnes 
passaient pour en former l'architect.ure solide (l'hébreu, par 
exemplo, ne disp'ense.t-il pas d'écrire les voyelles?). 
POlU' ln premlore fois, avec Rask, Grimm et Bopp, le Jangllge 
(bien qu'on ne cherche plus à le l'amener à sos cris orjginlliret) 
est tl'aité oomme un ensemble d'éléments phonétiques. Alors 
que, pOUl." la grammaire gén6rnle, le langage naissait lorsque 
le bruit de la bouche ou des lèvres était devenu hUre, on ad.net 
désormai, qu'il y a langage lorsque cC!! bruitll sc sont arti­culés 
et divisés en une série de aOM dist.inrl.s. Tout l'êt.re du 
langage est maintenant sonore. Ce qui 6X]11iq1le l'illtérêt. nou' 
veau, mauifcsté par les frères Grimm et 1'81' Raynouard, pour 
la littéruture non écrite. les récits populaires et It's dialcete8 
parlés. On cl.terche le langage au plus près de ce qu'il est: d:Jns 
la parole - cette parole que l'écriture dessècllo et fige SlIr 
place. 'l'oule une mystique est eu lraill de mlÎtre : cel.1e (lu 
vorho, du pur éclat poétique qui passe sans trace, ne lal5!1ant 
d01Tière soi qu'une vibration un iJlstant suspendue. Eu. Ail 
Bonorit6 pfissagère et profonde, la parole devient som·crame• 
Et ses secrets poUVOIrs, l'animés du Bouffie des pl'OphèLe~~ 
8'opposont rondnmentolement (m6me s'ils tolèrent qlllllqtlCS 
entrecroisements) à l'ésotérisme do l'éoriture qui, lui, 51lJll'~SC 
la pennanonce Tecroqucvill~c d'un secret uu centre de Ja y' 
rinthes visibles. Le langage n"e!!t plus tellcmenl. ce sigue - plus
Travail, vie, langage 299 
'ns lointain, reS1lemblant et arbitl'aire - auquel la 
oU ~OJ cû Port-RoYlIl proposait. comme modèle immédiat et 
Lo.~ql~ le portrait. d'un homme ou une carte de géographie. 
~t'~ :~quis une nature vibratoire q~i le détll~he du !!i~e visible 
)'n)lproclll'r de la note do mUSique. Et. 11 " fallu Justement 
poeu Srauu ssure contourn~ ce mornen~ del a pAro ]e qm' fu t maj. eur 
qu toute la philologte du XIXt! SIècle, pour restaurer, au-delà 
~~rormcs historiques, la ,dime.nsion ~e la langue en gén.éral, 
et rouvrir par-delà tant d oubh, 10 VIeux .problèm~ du 8Ign~, 
i ovoit anim6 toute la pensée Bans mterruptlon depws 
~~rt-Royal jusqu'aux derniers Idéologues, , 
Au xlxe siècle commence donc une ~nalytlo du lang~ge tralt6 
comme un ensemble de s~ns ~fTranchls d~B l~ttre~ qUi p~uvent 
les transcrire 1. EI!e a ête 131t-: dans ~OIS d11'C.c~lOns. D abord 
ln typologie des diverses sonorItés qui sont utilIsées daOll une 
longue: pour les voyelles, par exemple, opposition ontre les 
simples et les doubles (allongées comme dans d, 6; ou diphton­gtl~ 
l.'lI comme dans lB, ai); parmi les voyelles simples, opposi­tion 
entre les pures (a, i, 0, u) et les fléchies (e, 0, UJi panni 
le8 pures, il y a celles qui peuvent avoir plusieurs prononcia­tions 
(comme le 0), et celles qui n'eo oot qu'une (a, i, u); enfin 
parmi ces dernières, Jes unes sont sujettes au changement et 
peuvent recevoir l'Umlaut (a et u); le i, lui, reste toujours 
fixe 1. La seconde forme d'analyse porte sur les conditions qui 
peuvent déterminer un changement dans une sonorité sa 
place dans le mot est en elle-même un facteur important: une 
syUabe, si elle est terminale, protège moins facilement sa per- 
7T!Rnenr.e que si elle constitue la racino; les lettres du radical, 
dIt Grimm, ont la vie longue; les sonoritês de la désinence 
Ont une vie plus brève. Mais il ya en outredcsdétcrminatioD8 
positives, car «le maintien ou le changemeot lt d'une 8Onorit.6 
qu~lconque «n'est jamais arbitraire s J. Cette absence d'arbi­trmM 
était pour Grimm la détermination d'un sens (dans le 
rnd!csl d'un grand nombre de verbes allemands le a s'oppose 
d~ , comm: le prétérit au présent). Pour Bopp, elle est l'effet 
un certain nombre de lois. Les unes définissent les règles 
de ~hnpgement lorsque deux consonnes se trouvent en contact: 
~~~s(ld quI and 0!l dit. en sanskrit at-ti (il mange) au lieu de 
, c a racme ad, manger), le changement du d et t a 
(lll;n?l~ a lait ~uvent reproche A Grimm d'avoIr confondu leLLrel et lIOn! 
6U.iL r1tnl~:hrlll c~ hUit t1t1ment.! paree qU'il diviEe , cn p eL on hl. Tant n 
2. J Gri 110 traIter II! langllge comllle pur ~lement sonore. 
Ile se lrouvm~, Dtubche Grammallk (2o M., 1522), l. I, p. 5. Ce! 8nalysea 
3. II!. i.el·dn PaBSdllDi la première 1ld111on (1818). 
1 u ., p. •
300 
P?ur .eaus~ une loi .p1lrsique .• D'autr~ ~ér~issent le 1ll4,d 
d act.lon d une terminaIson 8ur les sonorltes du radicul . 1 il fi 
lois mécaniques, j'entends principalement les lois de lu Pf'SU ur 
teur et en particulier l'influence que le poids des clésjn;II~­personnelles 
exerce sur lu syllabe précédente 1. Il Enfin hl' de:. 
nière forme d'analyse porte 5111' )a constance des lran~ronl1i 
tions à travers l'HisLoire. Grimm a ainsi établi une tnhle t 
correspondance pour les labiales, les dentales et les gutturale: 
entre le grec, le It gothique J et le baut allemand: le p le b 
le f cles Grecs deviennent. respectivement r, p, b en go~hiqu~ 
et b ou v, f et p en haut allemand; t, d, th, en grec, ùC"'iennenL 
en gothique tlA, l, d, et en haut allemand d, %, t. Par Clsl 
ensemble de relations, Jes chemins de l'histoire se trOU'enL 
prescrits; et au lieu que les langues soient soumises à c.cll.t: 
JIletilll'e extérieure, à ces choses de l'histoiro humnine '1 1Ji 
devaient, poUl' la pensée classique, expliquer leurs ChllnrrCmCnl~ 
elloe détiennent elles-mêmes un prinCIpe d'évolution. Là comm~ 
aillours, c'est l' c anatomie 2 Il qui fixe le destin. 
3. CeLte définition d'une loi des modifications consonan· 
tiques 011 vocaliques permet d'établir une ,Marie MUlielh du 
mdical. A l'époque classique, les racines se repéraient par un 
double système de comlantes : les constantes alphabétique! 
qui portaient BIll' uu nombre arbitraire de lettres (le cas échéant, 
il n'yen avait qu'une) et les constanles significatives qui 
regroupaient sous un t.hème général une quant.ité indéfiniment 
extensible de sans voisins; au croisement de ces deux con.~­tant. 
6s, là Où un même sens se laisait jour par Wle même lettre 
ou une même syllabe, on individualisait Wle racine. La racine, 
e'êtait un noyau expressif transformable à l'infini à pnrtir 
d'une sonorité premit~re. Mais si voyelles et consonnes ne se 
transforment que selon certaines lois ct SOU9 certaines condi· 
tions, ulors le radical doit ètre une individualité linguislique 
8t.8ble (entre certaines limites), qu'on peut isoler avec ses varin­tions 
éventuelles, et qui constitue avec ses différentes formes 
possibles un élément de langage. Pour déterminer les éléme~ts 
premiers et absolument simples d'une langue, lu graD!lIlal~ 
générale devait remonLer jusqu'au point de contact. unagl o 
naire où le SOR, non encore verbal, touchait en quelque soye 
à la vivacité même de la représentat.ion. Désormais !es e co 
lIlents d'une langue lui sont. intérieurs (même s'ils al'partulf!nent 
au.ssi aux autres) : il existe des moyens purement lingui:;uquils 
1. Bopp, GrammaCre CQmpGrie (ll'lld. trançal5e, Paris, 1866), ~. 1, no';' 
2. J. Grimm, L'()rigirn: du I4ngage (trod. CI".lIlçalBe, Paris, 1&19), po •
Travail, lIie, lnngngt! 301 
'é blir leur oomposilion constante et hl tabl. de leurs modl­d 
·t~ n9 p~9iblC!1. L'étymologie va donc cesser d'être une 
lir.A LlOr che indéfiO•l ment re.gres'sIV e vers une ) aogue prI•m i"t IVe 
de:::: peuplée des premi~r~ cris .de. la naturej eUe devient une 
lOHhode d'analyse certaine et lImltée pour retrouver dans un 
rn t le radical li. partir duqncl il a été formé: Il Les racines de: m~ts ne rurc.nt mi~e!l cn é~idc!,ce ~u'uprès le succès de 
l,o na• vJ o~c. dl..-s flexIOns •e t des ddé l'lvatlons' )•• 
00 peut ainsi établir que, aDS certomes angues comme les 
'mitÎ(l'lCs ]~ rncines sont bi!yllabiques (en généra) de trois 
i:ttre5); q~e dans d'auLr~s (les indo-germaniI"(1I8s) eUes. Bont 
régulièrement monosyllabiques; quelques-unes sont constituées 
d;une !leule et unique voyelle (i ~st.'e ~adicul de.'1 ;verbes. qui 
veulent dire aller, " de ceux quI SIgnifient retenhr); millS la 
plupnrt du temps la racine, dans ces )nnglle~, comporte au 
JUojn~ une consonne ct une voyelle -la consonne pouvant âtre 
tenninnle ou initiale; dans le premier cas, la voyelle est néces­sairement 
initiale; dans l'autre cas, il arrive qu'elle soit suivi8 
d'une seconde consonne qui lui sert d'appui (comme dans IR 
racine ma, mad qui donne en latin metiri, en allemand me.t­sen 
1). Il arrive aussi que ces racines monosyllabiques soient 
redollblées, comme do se redouble dans le sanskrit dada mi, et le 
~ec didümi, ou s'a dans tishtami et Ï8témi. 1. Enfin et surtout la 
natura de la racine et son rôle constituant danale langage sont 
conçus sur un mode absolument nouveau: au XVIIlO siècle, la 
racine êt.ait uu nom rudimentaire qui dési~ait, en son origine, 
une chose concrète, une représentation Ilomédiate, un objet 
qui se donnait au regard ou à l'un quelconque des sens. Le lan­gage 
se bâtissait à partir du jeu de ses caractérisations nomi­nales 
: la dérivation en étendait la portée; l'abstraction laisait 
fUtUre les adjectifs; et il suffisait alors d'ajouter il ceux-ci l'auLre 
élément irréductible, )a grande (onction monotone du verbe 
être, pour que se constitue la catégorie des mots conjugablcs - 
1011e de resserrement en une rorme verbale de l'être et de l'épi­thète. 
Bopp admet lui aussi que les verbes sont des mixtes 
obtenus p:u-1a coagulation du verbe avec une racine. Mais son 
apalyse .dilIèro sur plusiours points essentiels du schéma clos­~ 
Iq~e : il ne s'agit pas de l'addition virtuelle, sous-jacente et 
tn~sible do )a fonction attributive et du sens propositionnel 
q.ul1n prète au vorbe êtrej ils'aO'it d'abord d'une jonction moté­fIe 
e entre un radical et les fories du verbe êtrB : le tU sanskrit 
" ~;. ;.~.rtmm, L'Origine du langag" p. 37. Cf. BU5Si lkul6elrt Grammallk, 
l ~~ Grimm, L'Origine du langage, p. 41. 
pp, Ueber da. KonjugqliollMjJ"cm dII Saruk""'praclls.
302 
Be retrouve danile sigma de l'aoriste grec, dans le IR' du plus. 
qU6-l'arfait ou du futur anûrieur latin; le bliu sanskrit 
retrouve dans le b du futur et de l'imparfait latins. De l:se 
cette adjonc~ion cl" nrbe être permet essentiellement d.!ttri~ 
buer au radical un templl et une personne (la dusinence cona­tituêe 
par le radical d" verbe être apportant en outre celui d1l 
pronom personnel, comme dans 6cript·,-i 1). Par suite, ce Il'est 
pas l'adjonction de lUTa qui transfonne une épithète en verbe' 
]e radical lui-même dét.ient une signification verbale, à 18quell~ 
les dé.'Iinences d6riv6es de la conjugaison de Itra ajo1ltent seule­ment 
des modifications de personne et de temps. Les racin8S 
dei verbes ne désignent dono pas li. l'origine des 1 challes Il mais 
dOl actions, des procl'.S!ms, des désirs, des volontés; et c~ sont. 
elles qui, recevant certaines d6sinenoes issues du verbe être et 
des prono.IDS personnels, de"fÏennent susceptibles de conjubrai- 
SOD, tandiS que, recevant d aums suffixes, eux-mêmes modi­fiables, 
elles deviendront des noms susceptibles de déclinaison. 
A la bipolarité Doms-verbe être qui caractérisait l'analyse 
classique, il faut dODC substituer une disposition plus complexe: 
des racines à signification verbale, qui peuvent recuvoir des 
désinences de types difIérents et donner ainsi naistiance à dei 
verbes conjugables ou à des substantifs. Les verbes (et Jes pro­Doms 
personnels) devienoent ainsi l'élément primordial du lan­gage 
- celui il partir duquel il pellt se développer. Il Le verbe 
et les pronoms personnels semblent être les véritables leviers 
du langage s. 1 
Les analyses de Bopp devaient avoir une importance capitale 
Don seulement pOUl' la d6cornl'osition interne d'uno langue, 
mais encore 'Pour définir ce que peut être ]e lang'dge ell 
Bon essence. Il n'est plus un système de repré.~cntations qui a 
J!0uvoir de découper et de recomposer d'autres repré;mntatloll8j 
il désigne en ses racines les plus constantes des actions, des 
états, des volontés; plutôt que ce qu'on voit, il veut dire origi­nairement 
ce qu'on lait ou ce qu'on subit; et s'il finit par mOD" 
trer les choses comme du doigt, c'est danll ]a mesure où elles 
sont ]e l'égnltat, ou l'objet, ou l'instrument de cette action; les 
noms ne découpent pas tellement le tableau complexe d'une 
représentation; ils découpoot et arrêtent et figent le pl'ocessUl! 
d'une actioD. Le langage 1 s'onracino 1 non pas du côté des 
choses perçue!!, mais du côté du sujet en son activité. Et peut­être 
alors est-il issu du vouloir et de ]a force, plutôt que de cette 
mémoire qui redouble la représentatioD. On parle parce qU'OD 
1. nopp, loc. cif., p. 1.&7 Ill. 
2. J. Grimm, L·OriflÎM du lDnflfJ~, p. 39.
303 
• L Don point parce qu'en reconnaissant on connait. Comme 
8Wt"e lu langage exprimo une volonté proConde. Ce qui a 
ld'actlo~·n~~quençç~. La première est paradoxale pOlir un regard 
hâeLllilrt 4:, ;cO',e~ st qu'au ~ome~t. 0.1•1 1 i Ph il 0l Ogl' ~ se const.i tue par 1I l 
dêcouv6rlu d'une dlmerullodn e 8 CgrBdmma,re p~'d~n se re~et 
auribuer aU langage 0 pro on a pouvo~ expressl0!l 
(Hwuholtlt. n'est pas seulement le, cO,ntempor'.un ~e ~?PP; il 
ais.~ait. tlon oeuvre et por le detail) : alors qu à 1 ep~e 
eola~l'q'ue la Con ct ion expressive du langage n'était rellUlse 
o u'~au~ p,oi nt d' orl•g •m e et pour expl 'l' ll1er 1111 u•l emont qu' u n son 
q ui!'!ie repr~~nter une chose, au XIXe Siècle, le langage 
~a avoir, tout au long de son pa~cours ~t daJ~s ses fo~t:S les plus 
complexes, une valeur exl?rossLve qut ~st Irréductable; .. uc~ 
arbitraire, aucune conventlO~ gramm,atlcole no pouvent lobli:­térer 
car, si le langage exprune, ce 0 est pas dans la mesur6 ou 
il im;leruia. et redoublerait.lclI choses, mais dons la mesure où. 
il manifeste et traduit le vouloir Condamental de ceux qui 
parlent. La seconde conséquence, o'est que le langage n'est 
plus lié aux civilisations par Je niveau de connaissances qu'elles 
ont atteint (la finesse du resf'..8.U rcpré~entatif, la multiplicité 
des liens qw peuvent s'établir entre les élément.'I), m818 par 
l'esprit du peuple qui les a fait oatLre, les anime et peut se 
reoonnattr~ CIL elles. Tout comme l'organisme vivant manifeste 
par sa cohérence lel! fonctions qui le maintiennent en vie, le 
lant,'Ilgo, et. dans toute l'architecture de sa grammaire, rend 
visible la volonté fondamentale qui maintient un peuple en vio 
eL lui donne le pOIlVOir de parler un langage n'appartenant 
qu'à lui. DIl coup, les conditions de l'historicité du langage sont 
c:hang86$; les mutations ne viennent plus d'en haut (de l'élite 
des savants, du petit groupe des marchands et des voyageurs, 
d~ armées victorieuses, de l'aristocratie d'invasion), mais eUes 
naISsent obscurbment d'en bas, car le langage n'est pas un ins­tru! 
Dellt, ~u un produit - un ugon comme disait Humboldt-, 
i'~ UD~ lIlC6Stiante act.ivité - une energeùJ. Daru une langue, c.; ut qw parle, et qui ne cesse de parler dans un murmure qu' 00 
Il entend pas mais d'oÏl vient pourtant tout l'éclat, c'est 10 
peuple. Un tellllurmure, Grimm pensai!. le surprendre en écou­~ 
n~)", ~ltdeu.ts~/16 AI Bistergesang, ct Raynouard en transcrivant 
.1 ohu ,.or'8Hwlesdestroubadoul'B.L61angage e5t lié non plus 
~ connaassance des choses, mais li la liherté des hommes: «Le 
el gage est .hll~in : il doit à notre pleine libtlrté son origine 
Où les ~~o,gr~; Il est notre histoire, notre héritage 1 •• Au moment 
on elirut les lois internes de la grammaire, OIL Doue une pro- 
1. J. Griw'" L'Or'. j .... 191"" ut3 IGRl'lec, Po 60.
fonde parenté entre le langage et le libre destin dos homrne 
Tout au long ~~ XIX! siècle la pJu101ogie aura de pro(ond" 
résonances pohtJques. es 
4. L'analyso des racines a rendu Jlossihle une nouvelle défi 
nition delf syBtèm68 dtJ parenté entre les langues. Et e'cst Ir. I~ 
quotrièmo grand segment thp..orique qui caractérise l'oppari~il')n 
de ln philologie. Cette définition suppose d'abord q1Je les langues 
8e grouJlcnt en ensembles discontinus les uns par mpporL !lUX 
8ulre~. La grammaire générale exc111ait la compnmison dan~ ln 
me~1Jre où elle admettait en toutes les lcuagucs, quelles qU'tilles 
soient, deux ordres de continuité: l'une verticale leur permet. 
tait de di!poser toutes du lot des racines les plus primi tives, (lui 
moyennant q~elqu~s tra~s.{~rmatio!)6, rattach~it chaque Illn~ 
goge aux artlculaLlons mltlalesi 1 autre, horlzont:lle, (ai5ai~ 
commuruqutlr les langues dans l'universalité de la représenta­tion. 
: toutes avaient à analyser, à décomposer et à rec:omposer 
des représentations qui, dons des limites allsez vastes, étaient 
les mêmes pour 10 gonre humain en son entier. De sorte qu'il 
n'était pas possible de comparer les langue!l sauf d'une manière 
indirecLe, et comme l'Ill' un cheminement triangulaire; on pou­vait 
analyser la manière dont telle et telle langue avait traité et 
modifi61'équipement comm1Jn des racines primitives; on pou­vait 
nussi comparer la manière dont deux langues découpaient 
et reliaient les m~cs représentations. Or, ce qui est devellu 
possible ~ partir de Grimm et de Bopp, c'est la comparaison 
directe et latérale de deux ou de plusieurs langue!!. Comparai­son 
directe puisqu'il n'est plus nécessaire de passer par les 
représentations pures ou .cl racine absolument primitive: il 
sulTit d'étudier les modifications du radical, le système de!! 
flexions, la série des désinences. Mais comparaison latérale qu! 
ne remonte pas aux éléments communs à toutes les langues Dl 
au fC?nd représentatif daJls lequel elles puisont : il n'e~t d.one p4~ 
pOlislble de rapporter une laJlgue à la forme ou aux prmclpes quI 
rendent toutes les autres possibles; il faut les grouper d'aptès 
leur proximité formelle: « La ressemblance se trouve non seu ~ 
ment dans le grand nombre des meines commune!;, malS 
encore elle s'éLend jusqu'à la structure int6rieure des langues 
et jusqu'à la grammaire 1 •• 
Or, ces structures grammaticales qu'il est po!!siblt) de .co~pa­rer 
directement entre elles offrent deux caractères partlc,!-hers. 
D'abord, celui do n'exister qu'en systèmes: avec des rad!C8U~ 
monosyllabiques, un certain nombre de flexions sont posslbli' 
le poids des désinences peut avoir des eilets dont le nombre et II. 
1. Fr. SChlecet, l!:uQj .ur la langue lIf la philQlOphle de, Indi~nl. [" JI.
TrAvail, vie, langage 305 
~ont déterminable.Q j les modp.s d'RlTaxation répondent l 
pat.ure ~ modèles parfaitement fixes; tandis que daDs le. 
quelqu Il radicllux polysyllnbique.q, toutes les modifications et 
Illngue:it.ions obéiront la. d'autres loi!!. Entre deux systèmes 
c(lmpo~ ceux-lit (l'un étant caractéri~tique des langues iudo­<: 
lIIum"enlle!' l'nutre dell lan~es sémitiques), on ne trouve pas 
euVI'~ , ., . d f d .. D' ~ '11 de lVlle illtermédl~lre DI. e. ?rmes. e ~ralls.t.lon- une &lUlU e 
kl'8utre, il Y a d.lscO!~Llnulte. ~la15, d autre I?arl, les systèm~ 
tmmut.icuu.'c l''llsqu dll pmcrlvera.t un cel'taan nombre de 10 .. 
r·''olut.ion cl de mutation permettent de fiXer, jusqu'à UIL 
cl.~tRin point, l'jndillc de vieillissflment d'une langue; J,our que 
1,:110 fonne 811'(larai!lse à partir d'un cert.ain radical, 11 a fnllu 
t;'lIo ct. teUe tran!'formntion. A l'âge olassique, lorsque deux 
l~nguc8 IiC ressemblnient, il fallait ou bien It"n<; rattnchel' touler. 
del1-'C il ]a langue absolument primitive, ou bien admetl1'8 qua 
J'une venait de l'autre (mais le critère était externe, )a longue 
la plus dérivée était tout simplement celle qui étnit apparue 
dall.'i l'histoire à )1 dnte ln plus récente) ou bien encore admett1'8 
des échanges (dus à des événement! extra-linKllistiques : inva­sion, 
commerce, migration). Maintenant, lorsque deux langues 
presentent. des systèmes analogues, on doit pouvoir décider soit 
que l'uue est dérivée de l'autre, soit encore qu'elles sont. toutes 
deux issues d'une troisième, à partir de laquelle eUes ont cha­cune 
développé des systèmes différents pour une part, mais 
pour une part aussi aOillogues. C'est ainai qu'à propos du 
!l8n~kril et du grec, on a successivement abandonné l'hypothèse 
de Coeurdoux qui croyait. à des traees de la lan~e primitive et 
cene d'Anquetil qui lIuppol'ait. un mélange à l'époque .du 
ro):aume de Baclf'ill!le; et Bopp a pu au~si réCuler Schlegel pour 
qm .' la langue andlenne était la plus ancienno, ct les aut.res 
(1lIbn, grec, laubrues germaniques et persanrul) étaient ph .. 
modt~r~e."1 et dl!rivées de lu première 1.,. Il a montré qu'ontrB le 
liunskrlt, )e latin et. le g~IlC, lell lungues germnniques, il y avait 
u~ rapport de c fraternaté Il, )e sanskrit n'étant. pas la langue 
d~lre des Rutres, muu; plutôt Jeur soeur ainée, la plus proC'.he 
une In~glle qui aurait. été à l'origine de toute cette famille. 
1 On VOIt que l'hi.~l.oricité s'est introduite dans le domaine des 
.&IlJru~ comme dans celui des êtres vivants. Pour qu'URe 
eV~lit.l~n - qlü ne soit pas seulement parcours des continuités 
~n 0 ogJqu~!I :-pllis~e être pensée, il a rallu que le plan inin­Jrr,?~ 
pu et h~lie de l'histoire naturene soit brisé, que la diseon- 
8Il~nteddes ernhra~chement!l rasse apparattre les plans d'orgeni-on 
ans leur diversité sans intermédiaire, que les organismes 
1 ...... Schlegel, F.~,"i ,ur la lanl/rlC cl III plrilOlophie dM Indt_, p. 12.
306 
,'ordoouent aux dispositions fonctionnelles qu'ils doivent 
8sIIurer eL que se nouent ainsi les rapports du vivant avec ce 
qui lui perm"t d'exister. De la même façon, il a fallu, pour que 
l'lUstoire deI langues puisse être pensée, qu'oIllee détacbe de 
cetLe grande continuité chronologique qui Jes reliait Bllna rup­tUl' 
6 jusqu'à l'origine; il a Lullu Buui Jell libérer de 111 nappe 
commune d6!l représentations où elles otaient prises; à la faveur 
de cette double rupture, l'hOtérogénéit6 des systèmes gramma­ticaux 
est apparue aveo ses découpes propres, les lois qui en 
chacun prescl'lvent.le changement, et les chtllIlÏns qui fixent let! 
possibilit~s de l'évolution. Une fois 8uRpondue l'histoire dus 
espèces comme suite chronologique de toutes les formes pos­sibles, 
alors, et seulement alors, le vivant. a pu recevoir llnu 
historicité; de la même fllçon, si on n'avait pas suspendu, daos 
l'ordre du langage, l'analyse de ces dérivations ind~finies et de 
ccs mélanges sans limites que la grammnire générale supposait 
toujours, le ]KIlgage n'aurait jamais été affecté d'une historicité 
interne. Il Il fallu traiter le sanskritt le grec, le latin, l'allemand 
dans une aimultanOité sYlitématique; On ft dli, en l'Upture de 
Ioule ohrollologie, les mstaller dans un temps fraternel, pour 
que Jeurs struotures deviennent transparentes et qu'une histoire 
des longu8l:i s'y laisse lire. Ici comme ailleurs, les mises en série 
chronologiques ont dO être oUacées,leurs éléments redistribués, 
et une histoire nouvolle B'est alors constituée qui n'énonce pas 
seulement ]e mode de Succtlssion des être5 et leur enchatnemellt 
dans Je temps, mais le9 modalités de leur furmation. L'empiri­cité 
- il s'agit aussi bien des individus naturels que des motl 
par quoi on peut les nommer - est. d6sormaÎs t.raversée par 
l'Histoire et dans toute l'épaisseur de son être. Ltordre du 
temps commence. 
Il y a cependant une différence majeure entre les langues et 
les êtres vivants. Ceux-ci n'ont d'hilltoire véritable que par un 
certain rapport entre leurs 'onctions et leurs conditiulls d'exis­tonce. 
Et il eat vrai que c'est leur composition interne d'~ldi­vidus 
orgauisés qui rend possible leur historicité, ct:lle-Cl ne 
devient histoire rûclle que par ce monde extérieur dans .Iequel 
il:i vivent.. Il a donc fallu pour que cette histoire 8pparUl.!ilitl e.n 
pleine lumière et soit décrite en un discour~t qU'à l'anatuull•C 
comparée de Cuvier s'ajoute l'analyse du milieu ct des coudl­lions 
qui. llgissent sur le vivant. L'Il anatomie li du langage, pour 
reprendre l'expression de GrimIrlt fonctionne en revanche dans 
l'élément de l'Histoire: car c'cst une anatomie des ehangemeDts 
possibles. qui énonce non pas ]0 coexistence réeJle des organes, 
ou leur exclu~ion mutuelle, mais le sens dans lequellcs muta­tions 
pourront ou ne pourront pas se faire. La nouvelle gram-
307 
• t jmm~diaf.eJDent diachronique. Comment en aurait·il 
maire ~ mont puisque 118 positivité ne pouvait être instaur6e 
~tê eU re une ~pture entre le langage et. la ropr6seDtatioD? 
'P,ltl P':i~ation intérieure des la~gues, ~ qu'elles autol'Ù!ent et 
L or~ Iles oxcluent pour pouvOIr fonctl0I"ner ne pouvaIt plUli 
ce qu Il Il!' .. i que daDli la forme des mots mais, en elle-même, 
Itre resl! " 1 • • 1 tte forme Ile rcut énoncer 88 propre 01 que ft on a rap~rte 
ce états antérieurs, aux changementa dont elle e8t8usceptlble, 
• ses odiSootions qw' ne 8e produisent jamaia.. En coupant 1. 
laaunX IgeDdecequ.'lh eprésente,.on ] e fa'l8 81.t . certes appara1 t repOUl' 
la ~mière fois d~ns sa lég~l!té propre e~ d.u lI!ême coup' on, se 
vouait à ne pOUVOI!' le ressaISI!' que dans 1 ~tol~. On S~lt bien 
ua SaulIsur6 n'a pu échapper à cette vocation diachronIque de 
~ pllilologic, qu'en restaura~t le rappol't du !ang~ge k la. repré­sentation 
quitte à reoonstltuer une «sémIologie 1 qw, k la 
manière de la grammaire générale, définit le 9ign~ pal' la liaison 
entre deux idées. Le même événement archéolOgique .'elt donc 
manifesté de façon partiellement diflérente pour l'histoire natu­relle 
et pOUl' le langage. En détachant les caractères du vivant 
ou les règles de la grammaire des loi. d'une représ8Iltation qui 
l'onalyse, on a rendu possible l'historicité de la vie et du lan­gage. 
Mais ceUe historieitA, dons l'ordre de la biologie, a eu 
bt".5oin d'une hist.oire lupplémontaire qui devait énoncer lus 
rapports de l'individu et du milieu; en un lens l'histoire de la 
vic 6.'It ext6rieure à. l'historicité du vivant; c'est pourquoi l'évo­lutionnisme 
cOlIStitue une théorie biologique, dont la condition 
de possibilité fut une biologie SODS évolution - celle de Cuvier. 
Au contmire, l'bititoricilé du langage découvre aussitôt, et sans 
intermêdiaire, son hilltoire; enes communiquent l'une avec 
l'autre de l'intérieur. Alurs que la biologie du XIX. sièc.e Il'avan· 
cera de plus en plUB ven l'extérieur du vivant, vers son autre 
CÔté. relll]llDt toujours plus 'perméable cette suriace du curps à. 
laquelle le rllgard du naturaliste 5'arrê~~it autr~fois.11I 'philologie 
dénouem les rapports que Je gramm81nen avait établis entre le 
~ngage e~ l'hiatoire externe pour définir une histoire intérieure. 
d t cdl~cl, une fois assurée dans son objectivit!, pourra servir 
e fil dll'Il~teur pour reconstituer, 8U profit de l'Histoire pro­prement 
dite, des événements tombés bors de toute mémoire 
v. LB LANGAGB DBVBNU O.JE~ 
neOn peut. remarquer que les quatro segment» théoriques qui 
nnellt. d être analysés, parce qu'ils constituent lIaDi doute le
308 
loi archéologique de la philologie, correspondent torme à te 
et s'opposent à ceux: qui permettaient de définir la grllblln:ne 
générale 1. En remontant du dernier au preDÙer de ces ua~re 
segments, on voit que la théorie de la pu.rrmté entre Ics 1:0 rur• 
(discontinuitâ entre les grandes familles, et anulo17ies iUle;' es 
dans le régime des changements) fuit face à III théorie Ùij i: 
ddr;,pa!ion qui supposait d'incessants facteurs d'usure et d 
mélange, agissant de )a mArne façon sur toutes les lallgue: 
quelles qu'elles loient, à partir d'un principe externe et aVec 
dos effets illimités. La théorie du radical s'oppose Il celle de lu 
dé.8ignat',m : Ç8J' le radical est une individualité linguistiqllll Ïl;u­lable, 
intérieW'e à un groupe de langues et qui sert avant lout de 
noyau aux formes verbales; alors que )a racine, enjambant. le 
langage du cOt6 do la nature et du cri, s'épuiSAit jusqu'à n'ôtro 
plus qu'une sonoriLé indéfiniment transCormflble qui avait pour 
fonction une première découpe nominale des choses_ L'éluda 
des "n.rin,!Éo1l8 infiriBUr88 de la langue s'oppose également à 10 
théorie de l'articulation représentative: celle-ci défiDissait lta 
mots et les individualisait les UM en lace des autres en les 
rapportant au contenu qu'ils pouvailmt signifier; l'articulation 
du langage était J'analyse visible de la représentation; mainte­nant 
les mots se caractérisent d'ubord par leur morphologie et 
l'ensemble des mutations que chacune de leur sonoriLé peut 
éventuellernellt subir. Enfin et surtout l'analysB intérieure ùe 
la langue laiL face au primat que la pensée classique accordait 
au verbe être: celui-ci régnait aux limites du langage, à la fois 
parce qu'il était le lien premier des mots et pareo '{u'il détenait 
le pouvoir fondamental de l'a(fumation; il marqUQ1t le seuil du 
langage, indiquait lia spécificité, et le l'attachait, d'une façon 
qui ne pouvait être effacée, aux: Cormes de la pensée. L'anulyse 
indépendante dos IIl.ruCT.W'es granunaticales, telle qu'on la pm­tique 
à partir du XIX!: siècle, Îl!ole au eontraire le langage, le 
traite comme un" urganisatioD autonome, ronlpt ses lieDS avec 
leI! jugements, l'attribution et l'aDirmation. Le passage ontolo­gique 
que le verbe &r8 assurait entre parler et penser se trouve 
rompu; le langage, du coup, acquiert un être propre. Et ç'est 
cet être qui détient les lois qui le régissent. 
L'ordre classique du langage s'est maintenant .referm~ sur 
lui-même. Il a perdu sa transparence et sa fonctIOB maJ~Ire 
duns le domaine du savoir. Au XVIIe et au XVI118 siècle, il était le 
d6roulement immédiat et spontané des représentations; c'était 
en lui d'abord qu'eUes recevaient leurs premiers signes, qu'e.JIes 
découpailmt et. regroupaient leurs traits COJDmuu.s, qu'elles Ins- 
1. Cf. '.pra, p. 131.
Travail, ,ie, langaga 309 
'''nt des rapportl d'identité ou d'attribution; le langage 
tauraa 'f. u..n e connaI•s sance et 1a COQDa•l Ssance éta'lt de pl e'm d l'Q.l t uu 
6~R~urs·. Par rapport li. toule coI1I1uissance, il s~ trouva~t. donc 
ddls une situation lont..Iamentale : on ne pouvait counBltre les 
ons , .1 • N 'il r' . 05es du monde qu cn passant par w. on par~ qu . alSalt 
e~rtie du morlde dnns,UIl enchev~~rem~nt OUlo)og~,ue ~comme 
~ la Renai5Sance) mRIS parce qu il était. la pre.JUere ehauche 
d'un ordre .d~l'!s les. rep!ésentations d~ monde; parce qu'il ~tait 
la Juanière Illitiale, mévltable, d.c repretlente~ les represent!-,-UonB. 
C'est en lui que toute générahté se. fo~malt. La ~nnalssance 
cla,sique était. prorondém~nt nOlDl!Ialiste •• A partir du. XL",e 
siècle, le langage ~ ";phe 8ur .SOl, acqulI~.rt ~o.n 6p~ls~eur 
propre déploie UIle }Utltolre, des lOIS et UDe obJectlVlté qua n op­p8rt. 
ic~ncnt. qu'à lui. Il est devonu un objet de la connais.qance 
parmi tnnt d'autres Il côté des êtres vivants, Il côté des 
richesses ct. de la valeur, Il côté de l'histoire dcs 6v~ncmcnts et 
des hommes. n relève peut-être de concepts propres, mais les 
Innlyses qui portent sur lui sont enracinées au même niveau 
que toutes celles qui concernent les connaissances empiriques. 
Ce surhaussement qui permettait à ln grammaire générale d'êue 
en meme temps LoSÜJUfI et de .'entrecroiser avec elle, est désor­mais 
rabaUu. Coowûtre le langage n'est plus s'approcher au 
plus près de la connaissanco elle-même, c'est appliquer seule­ment 
le6 ulét.hodes du Bavoir en général à un dOIulIÏDe singulier 
de l'objectivité. 
Ce nivellement. du langage qui le ramène au pur statut d'objet 
se trouve cependant. compensé de trois manières. D'abord par 
le rait qu'il est.. une médIation nécessaire pour toute connais­sance 
scientifique qui veut 88 manifester comme discours. Il a 
beau être lui-même dis,P0sé, déploy6 et analysé sous le regard 
d'une science, il resurgtt toujours du cOté du sujet qui connatt 
- dès qu'il s'agit pilur lui d'énoncer ce qu'il sait. De là, deux 
10ucis qui ont été constants au XIXe siècle. L'un consiste ft 
vo~loir neutraliser et comme polir le langage scient.iHque, RU 
pOl!1t que, désarmé de toute SIngularité propre, purifié de ses 
aC~ldcnt9 et. de 8es impropriétés - comme s'ils n'appartenaient 
pou~t Il son essence -, il puisse devenir le reflet exact, le double 
lI!êtlculeux, le miroir sans buée d'une connaissance qui, elle, 
n es~ pas. verbalo. C'est le reve positiviste d'un langage qui 
Beralt. maintenu au ras de ce qu'on sait: un langage-tableau 
~oiwn~ celui sans doute auquel rêvait Cuvier; quand il donnait 
d a SCIence le projet d'être une «copie li de la nature; en faee 
tabthoses,.l~ discours scientifique en serait le « tableau Il; mMis 
av .~llU 8 ICI un sens fondamentalement différent de celui qu'il 
81 IIU XYlUO siècle; il ,"agiasait alors d. répartir la nature
310 
par une table constante des identités et des dilTêrences POlit 
l~quelle le l.angogo fo~nillsait. UDe grille première, approXUna_ 
tlve et recti.6ablei bJaIntenant le langage est tableau muis eQ 
ce S8D6 que, dégRgé de cet.to intrication qui lui donll~ Un l'Ôle 
immédiatement c1as8i&cllteur, il Ile tient. à Ulle certaine Watarace 
de la nat.ure pour en incanter pur Ba propre docilit.é et. eQ 
reoueillir finalement le portrait fidèle'. L'aut.re BOuci - entiè­rement 
dilTérent. du premier bien qu'il en luit le corréll1til-a 
consis'6 b. chercher une logique indépendante dei grammaires, 
des vocubulllires, des lormes synth6tiques, des mols : une 
logique qui pdt. meUre au jour et utilitlCl" 108 implicat.ioWi uni­yerselles 
de lB pensée eo les tenant à l'abri des sillgularit.oe d'Url 
langage constit.u6 où. eUes pourraient êtremallquées.li 6tait. 
nécessaire qu'une logique symbolique nnillse, IlVec Boole, à 
l'époque même où les lungagtls devenaient objets pour lu philo­logie: 
c'est que malgr6 des ressemblances de surfuce et quelquea 
aD:Jlogies techniques, il n'était pal question de COJ18tituer 1111 
langélbrtl universel comme ft. l'époque classique; mais de repréo 
aent.tlr 105 furmes et les enchatntlmentl de la pensée hors de 'ou, 
laDb'llg8i J)w.que celui-ci dov611uit objet de sciences, il fallai, 
inv6n1.ur un" langue qui fllt plutOt .ywLolisme que langage, et 
qui Il ce titre fût transpal'ente li. la peDllée dans le mouvemont. 
même qui lui permet de CGnnattre. OD pourrait dire en un SODI 
que l'algèbre logique et les langU88 indo-europienne~ lont deux 
produits de disluciation de la grammairlJ Bénérak : ceUes-ai 
montrant le glillSoluent du lan~g8 du cOLé dt! l'objet connu, 
celle-là, le mouvement qui le fait basculer du côté de l'acte de 
connattnl, en le dépouillant alors de toute [orme déjà consti­tuée. 
Mais il seraiL insuffisant d'énoncer le fait 80UI cette Corme 
purement n~gativo: au niveau archéologique, les conditions de 
possi1i1ité d'une logique non verbale et celle d'une grammaire 
hiltorique BOnI. les mêmes. Leur 801 de positivit.6 elt identique. 
La lecon~e. cGwpensatioo au nivellement du langage, c'~t 
III valour crltJque qu'on a prêt.ée Il Bon étude. DoveDu réalité 
historique épaisse et consistante, le langage fGrme 1. lieu dl!' 
traditions, des habitudes muettes de la pensée, de l'esprIt 
obscur des peuples; il accumule une mémoire fatale qui no BO 
connult. même pas comme mémoire. Exprimant leurs pelUl6ee 
daDs des motll dont ils ne sont pUB mattres, les logeant. dao,;! dei! 
fonnes verbales dODlles dimensions hilltoriques leu!' êcbappeu', 
Jes hommes qui croient que leu!' propos leur obêit, ne saveu' 
qu'ils se soumot.teut à ses exigences. LUB dispositions gramma" 
J. Cf. G. Cuvier, "apport ""'lH'IflIJ' .ur la ,..". du ."Rea nlllurdlll, 
Po 4.
311 
• les d'UD811lngue Bunt l'. priori de ce qui peut s'y énoncer. 
t:vérilé d~ discours ed piê~é~ par la phil.ologie • .De là, cette 
.' .. a.SI·lé de remonter de» OplDlODS, des philollophles, et peul- 
D"""" .., • 1 d ~u. mêllle deI! IIcle!,ces J,Uliq u. aux mots qUI e •• ont. r~n u. po~- 
aiLle:! eL, par·ùulà, Jusqu la Wie pensée dont la Vivacite ne serait 
"' e~core prititl dans le relleau. des grammaires. On cornprend 
!'w~i le renouveau, très mll1'llué au XIX· siècle, de toutes les 
teçhniques del'tlxégèse. CeLte réapparition east dUt! au fait que 
le langage 8 reprjs la densit.é éuigmatique qui 6t.ait la sienne 
lia RtlIIai:s5BnCe. Mais il ne s'agira pas mainteDBDt de retrouver 
Wle parole première qU'OD y aurait enrouie, mait; d'inquiéter 
lCS!l molli quo nous parlons, de dénoncer le pli grammatical de 
DOS id~"'Ii, de dissipor les mythes qui lUliment n08 molli, de rendre 
l nouveau bruyant et audible la part de silence que tout dis­cours 
emporte avec lIoi lorsqu'il s'énonce. Le premier livre du 
Capilal e5~ une exégè58 de la • valeur.j tout Nietzsche, une 
exégèliB de quclques mots grecs; Freud, l'exégèse de toutes ces 
phratieB muettes qui luutiennent et creulent en mème tIlnlpll 
DOS discours apparents, nos fantasmes, nOI rêves, notre corps. 
La plülologie comme analyse de ce qui Ile diL dans la profondeur 
du dÏlicours est dev8l1uel1l forme moderne de la critique. LlL 
oia i11'agilsait, ilIa fin du XVJI1e siècle, do fixer le. )imites de la 
conuai~!;ance, on cherchera la dénouer loe lIyntaxes, à rompre 
1011 façollB contraignantes de parler, li. rotouroer les mots du 
côté de tout ce qui se dit à travers eux et malgré e~. Dieu 
aL peut-êt.re moins un au-della du savoir qu'un certain en deçil 
de nOI phrases; et si l'homme occidental est inséparable de lui, 
c:~ n'est pas par une propension invincible li. mnchir I~s fron­tières 
de l'expérience, mais parce que Ion langage le fomente 
SlIns cesse dans l'ombre de ses lois; « Je crains bien que nous 
De nous dêbarrassions jamais de Dieu, puisque noul! croyons 
encore à la grammaire 1. » L'interprétatioD, au XVIe siècle, allait 
d~ ~ond.e (chos~1 et textes ilia fois) à la Parole djvine qui S8 
dec~II~~alt en IWj la nÔtre, celle en tout cas qui s'est formétl au 
~u: :Iecle, va des homme!, de Dieu, dell connaissances ou des 
d. un res, aux motl qui les rendent pouillles; et co qu'eUe 
1 ei~vre, ce n'est pas la souveraineté d'UD discours premier, c'est. 
de ~t. ,ue nous sommes, avant la moindre de nos paroles, déjà 
cd~es et transis par le langage. Étrangtl commentaire que 
1 III auquel se Youe la critique moderne: puillqu'il ne va pas d. 
v"e:~~~:t.atio~ qu.'il y a du langage à la découverte de ce qu'il 
JnÎse --~ malS du déploiement du diseollfS manifeste à. la 
au JOur du langago en son être brut. 
1. Nlettecl L 
I~, • C"pulCUfc /1" Idillei (lflld. francaliie, .,11), p. 130.
at2 Lu mou et les chollu 
Les mét.hodes d'interprétation Cont. ùunc Cace, dnns la Illln~' 
moùerne, aux techniques de formalisation: les premières a~!lt: 
la prétention de laire parler le langage au-dessous de h~1! 
môme, et au plus près tle ce 'lui so dit on lui, ~8n!l lui- ,: 
secondes avec la pretentiun de (:"ntrôler tout lun~n"e évell~lI(!1 
eL du 10 surplomber par 1 .. loi do ce qu'il est po~sft,le dl! dire' 
l~tcrJlféLor ct rormuli~er sont ~o,":enuClllcs d.oux grlln~es romlf~~ 
d analyse do notre â~o : il vrai dire, nous n cn Cflnnmssons 1"15 
d'autres. Mais connniflsonK-nollK Ill!; mpports de l'Ilx~gèse oL d;. 
]a formalisation, "omm es-nous cnpnbles de les contrôlel' el do I('~ 
maîtriser? Gal' si l'exégèse nous conduit moins il. lm discollu 
premier qu'à l'existence nue de quel'lue cho~e comme un Inn­gage, 
ne va-t-elle pas être contrainte de dire seulement le~ 
formes pures du langage avant même qu'il ait pris un sens? 
Mais pour formaliser ce qu'on suppose êtrc un lal:gage, ne rauL-il 
pas avoir prnti(IUé un minimwn d'exégèse, et. illterprulu uu 
moiDs toutes ces figures lIlueLtes comme voulant dire qUllh(UIl 
cbose? Le partage entre l'interpri:lation et la rormalisa Lion - il 
est vrai qu'il nous presse aujourd'hui et DOW! domÎlle. ~hais il 
n'est pas assez rigoureux, la fourche qu'il dessine ne s'enfollce 
pas assez loin daIDI notre eulLure, ses doux branches saut trop 
conternpol".üoell pour que nous }JUissions dire·seulement c}u'il 
prescrit un choix simple ou qu'li nous invite à 0IJlel' enlre le 
passé qui eroynit au som;, ct le present (l'avenir) qUI a découvert 
le signi6unt. Il s'ngit en rait de deux techniques corrélati.;es dont 
]e 1101 commun de possibilité est form() por l'être du langage, tel 
qu'il s'est constitué au seuil de l'âge moderne. La surélévaLion 
critique du langage, qui compensait son nivellement dans l'objet, 
impliquait qu'il soit rapproché à la Cois d'un acte de COli naître 
pur de toule parole, et de cela qui ne se connaît pas en chacun 
de nos discours. Il fallait ou le rendre transparent flUX rormes de 
la connaissance, ou l'enIoncer dans ]es contenus de l'ineoID'cient. 
Ce qui. explique bien Ja double marche du XIX:. sièelo yers le 
(orwablime de lu pensée et vers la découverte de 1 meonsclen~ - 
veMi Hussel el; vel'S lrreud. Et ce qui explique aussi lM tenl.a~lOnS 
pour infléchir l'ulle vers l'autre et entrecroiser ces doux dlre.:­t. 
iOIIS : tenlaLive pour mettre au jour par exemple les Io~me.1 
pures, qui avant tout contenu s'imposent à notre inconSCient; 
ou onool'O oOEort pour lairo venir jusqu'à, notre discours le ~I 
d'expôrience, 10 sens d'être, l'horizon vécu de taules nos ~O!U1;l1~­sonces. 
I.e structul'8lisme et la ph~noménologje trouvent ICI, arc 
Jour disposition propro, l'ospace gén6rnl qui délinit leur ~ 
oommun. 
EnRn ln dernière des compensations au nivellement du I!ao­gage, 
la plus importanLe, la plus inat.tenduo au~i, c'est ap-
313 
.' de la littérature. De 1. littérature comme telle, car 
Jlllrlli~nDante, depuis Homère, il 8 bien exi!tê dans l~ mond& 
ilep.d tal une fonne de langage que nous autrc~ maintenant 
OCCI e~pelol1!1 « littérature lt. Mais le mot est de fraîche date, 
nous 1 e5t récent aussi dans notre culture l'isolement d'un jmm,tc sïngulior dont la modalité propre esl d'être «littéraire •• 
ê,n~ qu'au début du X1Xe sièclo, à l'époque où le langage s'en-r 
e~ 1'" dons son épais!eur d'objet et se laissait, de l'urt. en part, 
onça .. . '1 ., '11 l verser pAr un saVOIr, 1 se reconstituait al eurl, ~ous une 
r'~me indépendante, difficile d'accè9, repliée sur l'énigme de 
o naÎlisunce ct tout. entière rMérée à l'acte pur d'écrire, La lit­:: 
rature c'est la contestation de la philologie (dont ell" est 
pnllrtant.la figure jumelle) : eUe ramène 10 langage de la gram­moire 
au pouvoi~ dénudé de parler, ct là elle renc~nt.re l'être 
fl8uvage et. impérieux des mots. De la révolte romantique contre 
un discoun immobilisé ùans sa cérémonie, jusqu'à la découverte 
mallarmêennc du mot en aon pouvoir impuissant, on voit bien 
quelle fut, au xa" siècle, la fonction de la littérature par 
rapport au mode d'êt.re moderne du langage. Sur le fond de co 
jeu essentiol, ]e reste est effet: la littérature se distingue de 
plus en plus du discours d'idées, et s'enferme dans une intran· 
sitivité radicale; elle B6 détache de toutes les valeurs qui pou­vaient 
à l'âge clnssique la faire circuler (le gotlt, le plaisir, 
le naturel, le vrai), et elle fait nattre dans son propre espace 
tout ce qui pout en assurer la dénq,l'lltion ludique (le scandaleux, 
le laid, l'impossible); elle rompt avec toute définition de 
c genres li comme formes ajustées à un ordre de représentations, 
et de,'icnt pure et simple manifestation d'un langage qui n'a 
poUl' loi que d'affinner - contre tous les autres discours - 
Bon existence escarpée; elle n'a plus alol'5 qu'à se recourber 
dans un perpétuel retour sur SOI; comme si son discours ne 
~uvait avoir pour contenu que de dire sa propre {orme : elle 
s adres~e. à soi comme subjectivité écrivante, ou elle cherche 
li. rcssa,JSlr, dans le mouvement qui la fait naître, l'essence de 
~oute lit.têrature; et ainsi tous ses fils convergent vers la pointe 
a plus fine - singulière, instantanée, et pourtant absolument 
jnlverselle -, Vers le simple acte d'écrire. Au moment où le 
angage, ~omme parole répandue, devient objet de connais­sance,. 
vOd,à q~'jl réapparaît sous une modalité strictement 
bfPosee : SIlenCIeuse, précautionneuse ùéposition du mot sur la 
10 ancheur d'un papier, où il ne peut avoir ni souorité ni inter· 
Cute'!r, .où il n'a rien d'autre à dire que soi, rien d'aut.re à {aire 
que iClnt1l1el' dans 1'601&t de lion être,
CBÂP1TIIB IX 
L'homme et ses doubles 
Avec la littérature, avec le retour de l'exêg~se et le souci 
de la formll1i~atjon, uvec la constitution d'une philologie, href 
avec la l'~RppRrition du langage dlUl8 Wl loisonnement ullùtiple, 
l'ordre de la pensée classique peut désormais !l'effacer. A cette 
date, il entre, pout' tout regard ultérieur, dam; uue régi un 
d'oOÙJre. Encore, n'est-ce pas d'obl'curité qu'il faudrdit parler, 
mais d'une lumièro un peu brouillée, law;sement évidente ot 
qui cache plus qu'elle ne manifeste: du savoir classique, il 
nous seDlùle en effet que noull connaissons tout, si nous compre­nons 
qu'il est rationaliste, qu'il accorde, depuis Galilée et 
Dt»;cartes, un pl'Ïvilège absolu la la Mécanique, qu'il suppose 
une ordonnance générale de la nature, qu'il admet une po~sÎ. 
bilité d'analyse assez radicale pour découvrir l'élôment ouJ'orj· 
gine, mais ïu'il pres5enl déjà, à travers et malgré tOIlS CIlS 
concepts de 'entendement, le mouvement de la vie, l'épaisse1!' 
de l'histoire elle dél:iordre, difficile à maîtriser, de la nature. MIIII 
ne reconnattre la pensée classique qu'à de tels signes, C'e5t ~n 
méconnaître la disposition fondamentale; c'est n~gligel' entiè­rement 
le l'opport entre de telles manifestll.tions et ce qui les 
rendait possibles. Et comment, après tout (smon par lme tech­Dique 
laborieuse et lente), retrouver le complexe rapport des 
représentations, des identités, dos ordres, des mots, des ~tre:' 
naturels, des désirs et des intérêts, h partir du moment. ?~ 
tout ce grand réseau s'est défait, où les besoÎW; ont organ!~t: 
pour eux-mêmes leur production, où les vivants Ile sont reph~ 
lIur les fonctions essentielles de la vie, où les mots se sonl 
alourdis de leur hi5loire matp.rielle - bref, il partir du ffi? J1lCnt 
où les identités de la repré~entation ont cessé de mum(ester
L'homme "' Be, doubles 3i5 
6ticlmce ni résidu l'ordre des êtres? Tout. le ay!tème des 
~r r qui analysoit. la lIuite des représentations (mince série 
'j'~ cs relie se déroulant dans l'esprit des hommes) pour la faire 
.t,cmpOler pour l'arrêter, la déployer et )n réparLir en un tableau 
H~' rllB ile,n t. toutes ces e hl' eanes const"ltucos )par e s mol.8 et 1e 
~i.:l1l"!1, p~r lei; CIIrae.tères et le cI8~semcnt, .pnr le~. équiva!e~c.:es 
et'I'échange, tlont mn.mtenant abohs, au pomt qu il est ';lilhcile 
de retrouver la manlôre. dl?nt cet en!lemble a pu~onct~o~er. 
l,a dernière « pi~ce li qm aIt sauté - ~t don~ In dlsp~rltl0!l a 
éloigné pour tO~Jours do no~ la pensee,classlque:- e est. .Jus­tflm6nt 
ln preuuère de CI)8 grilles: le diSCOurs 'lm 8RSunut. le 
dêploiement initial, spontané, naif de ]a représentation' en 
tubletlu. Du jour où il a ~clSê d'exister et. de fonctionner à f'in­térieur 
de ln représentation comme lia mise en ordre première, 
la pen!lée cla6~ique a ee!!Sl: du même coup de nous être direc­teillent 
accessible. 
Le seuil du classicisme à ]a modernité (mais peu importent 
les moL"! eux-mêmes - disons de not1'6. préhistoire à ce qui 
nous Mt encore contemporain) a été définitivement franchi 
Ior.;qllc les mots ont cessé de s'entrecroiser avec les représenta­tions 
ct de quadriller spontanément la connaissance des choses. 
An début du XIX8 siècle, ils ont retrouvé leur vieille, leur 
~njgmntique épaissour; mais ce n'est point pour réintébrrer la 
courbe du mondo qui les logeait à la Rena;ssanr.e, ni pour se 
mêler aux choses en un système circu1aire de signes. Détaché 
de 111 représentation, 10 langage n'existe plus désormais, et 
jUl'flU' h nous encore, que sur un mode dispersé: pour les philo­logues, 
lesmoUlsont comme autant d'objets constitués et dépo.o;oe 
par l'J!istoire; pOUl' ceux qui veulent formaliser, le langage doit 
dé)101JJl1er son contenu concret et ne plus laisser apparaîtl'O 
9ue les fonnes universellement valables du discours; si on yeut 
lJllIJrpréter, alors les mots deviennent texte à fracturer pour 
qu'on puisge voir émerger en pleine lumière cet autre sens qu'ils 
cachent; enfil!- il arrive au langage de surgir pour lui-même en 
~I nete d'~cnre qui ne désigne rien de plus que soi. Cet épar­~ 
ille!llent .Impose au langage, sinon un privilège, du moins un 
t estlJ~ qui apparatt singulier quand on le compore à celui du 
fu~va~l ou, de la vie. Quand le tableau de l'hist.oire naturelle 
dISSOCIé, les êtres vivants n'ont pas été dispersés, mais rgrOrpés au c!lntraire autour de l'énigme de ]n vie; lorsque 
lIliD.a yse des nchesses eut disparu, tous les processus écona­l 
que I~ Bont regroupés autour de la production et de 00 qui 
g~~~n~alt Pissib!e; en revanche, IOf&q1le l'urutëdela grammaire 
a ra e - e discours - s'est dissipé, alors le IB~ange est 
l'paru &elon des modes d'être multiples, dont l'unité, sana
316 Lu mou et ks cTw,es 
doute, ne pouvait pas ~tre restaurée. C'est pOUl' cette l'iii 
peut-être, que la réflexion philosophique s'est tenue pend~ 
longtemps éloignée du langage. Alors qu'elle eherchoit. illiolo 
loblemcnt du côté de 10 vie ou du travail quoIque chose ui 
fût son objet, OU8CS modèles conceptuels, ou 80nsol réel et {ollla­. 
mental, elle ne prêtait au langage qll'une attention d'à c6tê' 
il s'agissait surtout pour elle d'écarter les obstaoles qu'il pouvait 
opposer à sa tâche; il iallait, par exemple, libérer les mots des 
contenus silencieux qui les alil!nnit, ou encore assoupli .. le 
langage et le rendre de l'intérieur comme fluide pour qu'alIrau­chi 
de8 spatialiso tions de l'entendement, il puisse rendre le mou. 
vement de la vie et sa durée propre. Le langage n'est rentr6 
directement et pOIU' lui-même dans le champ de la pensée qu'à 
III fin du xlXe siècle. On pourrait même dire au xxe, si Nietztlche 
le philulogue - et là eucore il était si sage, il en savQit si long, 
il écrivait do si bons livres - n'avait le premier rapproché la 
tlÎche philosophique d'une rénexioD radicale sur le langage. 
Et voilà que maintenant daDs cet espace philosophique­philologique 
que Nietzsche Il ouvert pour nous, le langage 
Burgit scion une multiplicité énigmatique qu'il iaudrait maîtri­ser. 
Apparaissent alors, comme autant de projets (de chimères, 
'I,ui peut le snvoir pour l'instunt?), leB thèmes d'une fonnalisa­tion 
universelle de tout discours, ou ceux d'une exégèse ÏDt6- 
grale du monde qui en sernit en mOmo tompsln pariait.e démys­tificRtion, 
ou ceux d'une théorie générale des signetl; ou meure 
le thème (qui fut sans doute historiquement premier) d'Ulle 
transformation sans reste. d'une résorption intégrale de tous 
les discours en un seul mot, de tous les livres en une puge, de 
toulle monde en un livre. La grande tâehe li. laquelle S'eIlt. voué 
Mallarmé. eL jWiqu'à la mort, c'est elle qui nous domine maiu­tenant; 
dans lion balbutiement. elle enveloppe tous nos elIorts 
d'aujourd'hui pOIU' ramcner à la contrainte d'une unit.6 peut­être 
impostUble l'être morcelé du langage. L'entreprise de M~l­larmé 
pour eniermer tout discours possible dans la iragtle épcus­seur 
du mot, dans cette mince et matérielle ligne noire tracée 
JlBr l'encro sur le }1llpior, rêpond BU foud à la questioD qUO 
Niet1.sche pre5Cl'ivait li. la philosophie. Pour Nietzschn, il Ile 
s'ngissoit J.'B8 de savoir cc qu'étaienL en eux-mêmes le bien et 
le mal, nuns qui étAit. dlit;igné, ou plutôt qui parlaitlor:!(llIe,.['out' 
sc désigner soi-m~lIle, on disnit AgalhOB, ct DeUos puur désigner 
les outres 1. Car c'est Ill, en celui qui tient. le discours et. plus 
profondément délient la parole, que 1e longage tout entier Si 
rassemble. A cette question nietzschéenne : qui parle? Ma· 
1. NleUlChe. GtnéÎ:rlo,Ee de ta moral'. r. 1 6.
L'hontIM et 1168 rlou.bTa 317 
6 ré nd et ne cellie de reprendre sa réponse, en disant 
J.rrn q!:i pll:le, o'est. en. 18 lolit.ude, en sa VlDration fragile, en 
que ce élant le mot lui-même - non pas le sens du mot, mais 
IOn :tre énigmatique et. précaire. Alors que Nietzsche mainte· 
IO~L ju .. qu'ou bout l'inLerrogation aur celui qui parle, quitte en 
I~al de 'compte à lnire irruption lui-même à l'intérieur de ce 
bn IJ!LÏonnclilent pour le fonder sur lui-même, Bujet padant et 
gUt.errogennL : Ect:c homo, - Mallarmé ne cesae de ,'eaacer lui­~ 
~1D0 de BOn. propro languge au point de "le plull vouloir y 
r.;Urer qu'l Litre d'exéouteur dans une pure cérémonie du Livre 
où le discours Ile comJ?Oseroit .de lui-même. li se pourrait. biea 
ue toutl'.8 1011 questIons qw traversent aot.uellement notre 
~uriosiLë (Qu'ost-ce que le langage? QU'OBt.-ce qu'un ligne? Ce 
qui est mueL dans le monde, daM nos gBStes, dana tout le 
bln!!OD ënigmatique de DOS conduites, dans nos rêves et n08 
malndies -tout cela parle-t-il, et quel langage tient-il, selon 
quelle grammaire? Tout est-il signifiant, ou quoi, et pour qui et 
telon qucUeIS règles? Quel rapport y a-t-il entre le langage e 
l'être, et IlIit-ce bien à l'être que toujours s'adresse le langage, 
celui, du Inuius, qui parle vraiment? Qu'est-ce donc que ce 
]angngc, qui ne dit. rien, ue se tait jamais et s'appelle c littéra­t. 
ure ln - ilS8 pourrcÜt bien. que toutes ces questions se posent 
aujourd'hui dans la distance jamais comblée entre la question 
du Nietzsche et 1/1 réponse que lui fit MaUarmé. 
CIlIi questions, nous savons maintenant d'où eUes noui 
viennent. Elles ont été rendl1e& possibles par le fait qu'au 
début. du XIX! siècle, ID loi du discours s'étant dét.achée de la 
nsp~gentation, l'être du langago s'est trouvé comme fragmenté; 
OlillS elles sont devenues nê>.cessaires lorsque, aveo Nietzsche, 
avec Mullarmé, la pensée fut l'eooDduit.e, et violemment., vers 
le 1~Il~a~e lui-mérno, vers son être unique et difficile. Toute la 
cur,lOslle ùe notre pensée se loge maintenant dans ]0 qUllst.ion: 
Qu Cl'-t-.cc que le.langnge, comment le !»ntollmer pour le faire 
appll':'llre en lw-môme ct dans 58 p]émt.ude? En un seDS, CBtf.6 
qU~tlOl1 prend la relève de celles qui au xrxe siècle CODcer­dalent 
la vie ou le travail. Mais le statut de cette recherche et ct ~outes le~ questions qui la diversifient n'est pas parfaitement 
1 air. FauL-JI y pl'cssent.ir la naissance, moins encore, la première 
uour da u b. "-o d u cI.e 1 du'n· J our qUI. li ,a nnooce à pe.me,• mais 0: ... ... 
d~~ d'UOU~ déj~ que la pensée - &leUe pensée qui parle 
n èru -;s DuUênall'eS sans lavoir ce que ç'est que parler ru 
à 1 e qu elle parle - va &e ressaililr en &oa en,ier ets'iUuminer 
pr~~vc;u ~s l'éclair de l'ê're? N'est.-ce paIS ce que Nietzsche 
eL Die~l. 'la ir&ftU'à l'intérieur de son langage, il tuait l'homme 
a OlS. et promeUait. par là avec le Retour le scint.ille-
3i8 
ment multiple et recommencé des dieux? Ou fnut-il admettre 
tout ei.mplc.ment q~e tant de questions sur 10 10ngAge ne foll1. 
que poursulvre, qu achever tout ou plus cet événement dont 
l'archéologie nous a appris l'existence et les prcmiers elrel~ dès 
la fm du xvme siècle? Le fl"ùetionncment du langAge, conl~ln­porain 
de lion passage il l'objectivité philologique, ne serait. 
alors que la conséquence la plus récemment visible (pareo qUe 
la plus secrèto et la plus fondamentale) de la rnpture do l'ordre 
clussique; on nous efforçant de dominer cette brisure et. du faire 
apparattre le langage en son entier, nous porterions à tian terme 
ce qui s'ost passé avant no ilS et slins nOIlS, vers la fin du 
rflue siècle. Mais que serait donc cet achèvement? En voulont 
reconstituer l'unité perdue du langage, est-ce qu'on va jusqu'"U 
bout d'une pensée qui est celle du Xlxe siècle ou est-cc qu'on 
s'lIdre!!se à do!! formes qui déjà lSont incompatibles avec clio? La 
dispersion du langage est lié.~, en effet, sur un motIe fondit­mental 
à cet événement archéologique qu'on peut désigner par 
la disparition du Discours. Retrouver en un espace unique le 
grand jeu du langage, ce pourrait être aussi bien fElire un bond 
décisi{ vers une forme t.oute nouvolle do pensée que refermer 
lIur lui-même un mode de savoir constitué 8U siècle priioodent. 
A ces questions, il est vrai que je ne sois pas répondre ni, 
dans ces alternatives, quel terme il conviendrnit de choisir. 
Je ne devine même pas si je poUITni y répondre jamai~, ou s'il 
me viendrn un jour des rnisons de me déterminer. Toutefois 
je sois maintenant pourquoi, comme tout Je monde, je peux me 
les poser - et je ne peux pas ne pas me les poser 8ujourd'hnt 
Seuls ceux qui· ne savent pas lire s'étonneront que je l'ai appris 
plus clairement chez Cuvier, chez Bopp, chez Ricardo que 
chez Kant ou Hegel. 
Il. LA. l'LACB DU ROI 
~ur t.ant d'ignorances, sur tant. d'interrogations demellreas 
en suspens, il faudrait s'arrêter sans doute : là est fixée !j 
fin du discours, et le recommencement peut-être du URval. 
Il Y a encore cependant quelques motl! il dire. Dos D10l.! dont. le 
statut. sans doute est difficile à justifier, cal' il s'agit d'iulr~d'~17 
nu dernier instant et comme par un coup de théâtre artlfiCIC J 
un personnago qui n'avait point encore figuré dons le gran 
jeu classique des représentations. Ce jeu, on aimerait en recO~' 
n81t1'll la loi préalable daolle tableau dea MéniJl88J où la repl'6"
L'homme et lU dOl'blu 319 
Con ost repre~cntée en chacun de ses moments: Jlcintre, 
lel~l~, hrranùe surrnC6 Concée d~ la t.oile retourll~e, lableaux 
P" .hés ou mur, s)l8cLate1lrs qUl regardent, et qw Stlllt à leur 
a/lcroc~n;ndrés par CelL" qui les regurdent; enfin au centre, au 
ctooeuurr de lu rt:pr.c.~ent'uLlO n, au ' l UR proch. e d e. ce q!ll. es t essen- 
• 1 ID miroir qUI montro ce qUI est reprcsenle, mliiS comme un 
tle, u • r reflet. .1. d . '1 . 6 IIi lointain, !II e.n onca ans u~ espace ~~e,' 81 trsnger 
11 touS les regards qUI se tournont lll11ours, qulln est plus que 
le redoubhmumt le plus frêle de lu rcprésontati0!l' :routes le6 
lignes intérjeure~ du tableau, et colles sur. tout qui ~enn"nt d.u 
reflet central pomtent yers ~eta mê"!e qUI ~t represcnt~, ~aJ8 
qui e~t ab~ent • .A la (OlS obJct - pmsque c est ce que 1 artiste 
représenté est. en train de reeopicr sur sa toile - ct sujet­p 
li~qlll' ce que le peintre avait devant les yeux, en se représen­tant 
dl~ns 8011 travail, c'était lui-même, pUÎ!lque les regards 
figurés !iur le tableau sont dirigés vers cet emplacement fictif 
du royal l'0rsOIUlalole qui est te lieu réel du peintre, puisque 
finalemllllL l'hôte de cette place ambiguë où alternent comme en 
un clignotement S'lUS limite le peintre et le souverain, c'est le 
spectaleur dont le regard transforme le tableau en un objet, 
pure rtJpresllntation de ce manque essentiel. Encore ce manque 
n'e8t-il pas une lacune, sauf pour le discours qui laborieuse­ment 
décompose le tableau, car il ne cestie jamais d'être habitfl. 
el r~tlllement COIIllIle le prouvent l'attention du peintre repré­lien 
lé, III reIlI'ect. des persollnages que le t.ableau figure, la pré­lilmce 
de la grande toile vue à l'envers et notre reg-.lrd à nous 
pour qui co tubleau Ilxis1.ü el. pour qui, du fond du temps, il a 
été di5posé. 
DRUS la pensée "IlISslque, celui pour qui la représentation 
existe, et qui se reprtÏtillute lui-mêmo en elle, s'y reconnaissant 
pour image ou feUel, celui qui noue tOU8 les fils entrecroisés de 
la • repr~~entat.ion lm tablenu l, - celui-là ne s'y trouve jamais 
pr~!'Ient lui·même. Avant la fin du xvme siècle, l'homme n'exis­tOIt 
t:as. Non plus que la puissonce de la vie, la -fécondité du 
travail, ou l'él'aiSlleur historique du langage. C'est une toute 
riic~nte.créll.tur6 que la démiurgie du savoir a fabriquée· de ses 
lU~ms, JI .y a ~oins de deux cents ans : mais il a si vite vieilli, 
qu on a Imaginé facilement qu'il avait attendu dans l'ombre 
pendont des millénaires le moment d'illumination où il serait 
e~ ,c<!nn~. Bion sûr, on pourra dire que la grammaire géllé­~ 
d e,1 hl!ltolre Wlturelle, l'analyse des richesses étaient bien en un 
sens dell manièros de reconnaître l'homme, mais il faut distin­gu 
lf. Sailli doute lc9 sciences naturelles ont. traité de l'homme bï:uoe d'une espèce ou d'un genre: la disoussion sur le pro- 
. me des races au XVIII!! siècle en Ilst le témoignage. La gram-
320 LeI TflVt6 et les C'IUS~1I 
muire et l'~conomje d'tll1tro part. utilislIient de~ nolion. conUlIe 
colles de besoin, de désir, ou de mémoire et d'imagina~jun. Mllill 
il n'y avait pas de conscience 6piRtémologique de l'hommc comme 
tel. L'épisUmè classique s'artIcule selon des lignes qui n'isolent. 
en aucune manière un domaine propre et spêci tique do l'homme 
Et si on insisto encore, si on objecte que nulle époque pourtant 
n'a accordé davantago à ln natllre humaine, ne lui a donné de 
statut plus stable, plus définitif, mieux offert au diseours_ 
on pourra répondre en disant que le concept m~me de lu nature 
humaine et la manière dont il fonctionnait exduait qu'il y cù~ 
une science classique de l'homme. 
Il faut noter que dans l'épistémè classique les fonctions de 
)a c nature» et de la c natUTe humaine li s'oPPosllnt terme à 
terme: la nature, pu le jeu d'une juxtaposition réelle et désol'­donnée, 
fait surgir la difJérence dallS 16 continu ordonné des 
êtres; la nature humaine (ait apparaître l'idontique dun~ la 
chaine dé!ordonnée des représentations et ccci pur le jeu d'un 
étalement des images. L'une implique le brouillage d'une his­toire 
pour la cODlilit.ution des paysages actuels; l'outre impliqu6 
la comparaison d'éléments inactuels qui déFont la trame d'Uni! 
suite cbronologiqu6. Malgré cette opposition, ou plutôt à tro­vers 
elle, on voit sc dos Biner 10 rupport po!itif de la nature et 
de la nature humaine. Elles jouent en elrat avec des éléments 
identiques (le même, le continu, l'imperceptible dilTérence, la 
succossion sans rupt.ure); toutes dcme: {ont apparaitre sur une 
trame inin1errompue la possibilité d'une analyse géuérale qui 
permet de répartir des identités i~olables et les visibles difTé­renees, 
selon un espnce en tableau, et une suite ordonnée. 
Mais elles n'y parviennent point l'une saDS l'autre, et c'est 
par là qu'elles communiquent. En effet, par J6 pouvoir qu'elle 
détient. de se redoubler (dans l'imagination et Je souvenir, et 
l'attention multiple qui compare), la chaine des représenta­bons 
peut retrouver, au-dessous du désordre dl) la terre, )a 
nappe saIlS rupture des êtres; la mémoire, d'ubord hasardeuse 
et livré6 au.""< caprices des représentllLions telles qU'illies 
a'offrent, se fixe peu à peu en UD tableau générlll de tout ce 
qui existe; l'homme peut alors faire entrer le mondo dans la 
souveraineté d'un discours qui a le pouvoir de représenter sa 
représentation. DallS l'acte de parler, on plutôt (en sc tenant 
au plus près de ce qu'il y a d'essentiel pour l'expérience c~as­sique 
du langage) dans l'acte do nommer, la nature humulIlc, 
comme pli de la rcprescntlltion sur eUe-même, transformo la 
suite linéaire des pensées en une table constante d'êtres pur­tiellt'lment 
différents : 10 discours où elle redoub16 ses repr~ 
licntations et lOB manifeste la lie à la nature. Inversement, la
[}!lftmme et SU dOlCbk .. f 321 
1 ine des êtres est. liée li. la nature hwnaine par le jeu de la 
C lU re. puisque le monde réel, tel qu'il se dOWle aux regards, 
n~ll~X~B le déroulement pur et simple de la chaine foudamen­n 
")' üQ êtres, mais qu'il en offre dus fragmenta emmft16a 
ta e ép6ulv.é s ct dl• sconll•D us -, 1 é' d _l..o • d r ft S rio es rcp...,..entatloIlll nos ~Irit n'est pllS contrainte de suivre le chemin continu de8 
.J~érenceil imp~rcflptibles; les .extrêm~ 8'y ro~co~trcn~ les 
mêmes cboses 8 Y dOnQent pl~!lleUI'8 f?l~; les traita Jdcnti~1lI! 
te superposent d~ns ~~ f!1émolre; I.es dl~~renc.es écl!ltent. AinSI 
la grunùe napp,! Indefinie et ~ontmu? s lmpnme en cnra?tères 
distincts, en trolls plus ~u mOlDs géneraux, cn marques d .den­ti6cut. 
ion. Et, par ooWlequent, en mots. La cholne des êtres 
devienl discours, se liant pur là à la nature humaine ct â la 
.érie des l'eprésontations. 
Cette mise en communication de la nature et de la nature 
llumawe, il partir de deux fonctions opposées mai. complé­mentAires 
puisqu'elles ne peuvent .'exercer l'une san! l'autre, 
emporte avec soi de larges COQiéqueuces théoriques. Pour la 
l,eruêe classique, l'homme ne se loge pas dans la nature par 
l'intermédiaire de ceUe Il nature» régionale, limitée et Ipéci. 
fi1lue qui lui est accordée par droit de naissance comme li. tous 
les Butre.'I êtres. Si la nature humaine s'enchevêtre à la nature, 
c'est par les mécanismes du savoir et pu leur {onctionnementj 
011 plutôt dans la grande disposition de l'épisUm~ classique, la 
Dllture, la nature humaine et leW"8 rapports sont. des mome.uta 
fonctionnels, définis ct prévus. Et l'homme, comme réalité 
éllfli~sc ct première, comme objet difficile et lIujet liouverain 
do toute connaissance possible, n'y a aucune place. Les thèm68 
modernes d'un individu vivant, parlant et travaillant solon 168 
lois d'une économie, d'une philologie et d'une biologie, mais quit 
Ilur une sorte de torsion interne et. de rccouYI'ement, aurait 
reçu. pal' le jeu de ces lois eUes-mêmes, le dl'oit de les coonattre 
et. Ù? ~es mettl'flentièrement au jour, tous ces thèmes pour nous 
fauuliers ct liés à l'existence des -sciences humaines. sont 
exclus par la pensée classique: il n'était pas possible cn ce 
~eml's-lll que se dresse, à la limite du monde, cette stature 
etrallgD d'un être dont la nature (celle qui le détermme,le détient 
et le traverse depuis le rond des temp5) lierait de connaitre la 
nature, et soi-même par conséqlLeut comme être naturel. 
t ~n l'evnnche, au point de rencontre entro la représentation 
e ':tro, là où s'entrecroisent nature et nature humaine - en 
celle .plac~ où de nos jours noul! croyoOll reconnattre l'existence 
prculfère, Ir~cusable et énigmatique de l'honune - ce que la 
~~=t1 cdil.l1sslque, elle, fait surgir, c'est le pouvoir du discours • 
• - re du langage en tant qu'il représente -le langage
322 Lu mots eL les C'IOSU 
qui nomme, qui découpe, qui combine, qui noue et dénoue Ilia 
choses, en les fuisant voir dau la transparence des mots. En 
cc rôle, le langage transforme la suite dOl perçeptions en tuhleau 
et en retour déeoupe le continu des êtres, en car,lCt.lll'OO. Là o~ 
il y a discours, les représentations s'étalent et sc juxtaposent. 
les choses so rasselIÙllent et. s'articulent. La vocation pl'Orond~ 
du langage claHsique a toujours 6!.6 de (aire 1 tableau. : quo ce 
soit commo discours naturol, recueil dc la vérité, description 
des choses, corpu:. do connaissnnces exactes, ou dictionouil'O 
encyc1op~dique. Il n'existe donc quo pour être trnn~pHrent· il 
a perdu cette consistanco sccrète qUi, nu X''lI0 siècle, l'ép~ill.' 
si!lsait en une parole il déchiJTrer, ct l'enchevM1'8it avec les 
choses du monde; il n'a pns encore acquis cette existence 
multiple sur laquelle nous nous interrogeons aujourd'hui : la 
l'âge classique, le discours, c'est cette néces!lité translucide à 
traven laquelle passent la représentation et les êtres -lorsque 
les êtres lIont représentés au regard de l'esprit, lonque la repré­sentation 
rend visibles les êtres en leur vérité. La possibilité de 
connottre les choses et leur ordre passe, dans l'expérience clas­sique, 
par la souveraÏnetê des mots : ceux-ci ne lIont au juste 
ni dcamarquea àdéchifJrer (comme à l'époque Ù6 la Renaissance) 
ni des instruments plu.s ou moins fidèles et maUrÎsab]es (comme 
à l'époque du positivisme); ils forment plutôt .Je réseau inco­lore 
à partir de quoi ]es êtres se mani(egtent et. les reprêsenta­tions 
s'ordonnent.. Delà BaDS doute le luit que la réOexion clns­sique 
sur le langage, tout en faisant partJe d'une dis~silion 
générale où elle entre au mêmo titre quo l'analyse dcs l'Ichesses 
et l'bistoire natUJ'Clle excrce, par rapport li. elles, un rOle recleur. 
MalS la conséquence esscntielle, c'est que le langage 
classique comme discours commun de ln reprêBentation et 
des choses, comme lieu Il l'intérieur duquel nature et ualu", 
humaine s'entrecroisent, exclut absolument quelque chose 
qui Herait • science de l'homme 1. Tant que ce langage·lli 
a parlé dau la culture occidentale, il n'était pas poll3Ïble 
que l'existence humaine fût mise en question pour eUe-même, 
car ce qui ae nouait en lui, c'était la représentation et l'être. 
Le disoours qui, au XVIIe siècle, a lié l'un à l'autre le 1 ~e 
pense li et le « Je suis JI de celui qui l'eutreprenait - ce dJ5· 
cours-là est demeuré, BOUI uue forme visible, l'e1l5ence même ~u 
langage classique, car ce qui se nouait eu lui, de plein droit, 
c'l:taient la roprésentation et l'être. Le passage du 1 Je pense' 
au 1 Jo Buis 1 a'accomplillsait saus la lumière de l'é,,-idencc, à 
l'intérieur d'un discours dont tout le domaine et tout le foot­tioDDement 
consistaient à articuler l'un sur l'autre ce qu'on 110 
représente et ce qui est.. Il n'y a donc à objllcter à ce passage
L'/wmm, el ~B6 doublas 323 
• e l'Otre en général n'est pos contenu dans la pensée ni que 
lU t.~tre lIiu!!Ulier tel qu'i) est désigné pnr le 1 Je suis J n'a pas 
~~ intcrrog: ni analysé p.our lui-!"ême. Ou 'phlt~~ cos obj~cti?ns 
cuvent bitln nattre ct IOlre volOlr leur droit, mAlS Il porlar d un 
~iscours qui est prorond~ment ~utre et q~ n'a pas pour raison 
d'~t.re le lien d~ la representatlon et de 1 !tre; seule une pro­bl~ 
lDatiquo qw. co?tourne .la. repré5c.ntatlO~ po~ formuler 
dtl pareilles obJtlcllons. MOIs tant qu a dure le discours clas­sique, 
une il1ltlr~gation sur 1.8 n;-ode d'être impliqué par le 
Co.". ito ne pouvait l,as être articulee. 
Ill. L'ANALYTIQUB DB LA. FINITUDB 
Lorsque l'histoire naturelle devient biologie, lorsque l'ana­ly5e 
des richosses devient économie, lorsque surtout la réUexion 
sur Ic longage se luit philologie et que s'etTuce ce dÏ800ura c1ns­eil) 
lIc où l'être et la représentation trouvaient leur lieu com­mun, 
{dors, dans le mouvement profond d'une telle mutation 
Dr(~héologiquc, l'homme oppnratt avec sa position ombigu~ 
d'objet pOlir un savoir et de sujet qui connaît: souverain sou­mis, 
!;peetntcur regardé, il surgit là, en cette ploce du Roi, que 
lui assignaient pnr avance les Méninu, mais d'où pendant 
longtemps sa présence réelle fut exclue. Comme si, en cet 
'-'l'pace vncant vers lequel était tourné tout le tableau de Vélas­q~ 
cz! mnis qu'il ne reOétait pourtant que par le llaurd d'un 
8111'011' et comme par effraction, toutes les figures doot on 
tmupçonnnit l'alternance, l'excll.lSion réciproque, l'entrelacs et 
le papillotement (le modèle, le peintre, le roi, le spectateur) 
Cl'5~Ultmt tout à coup leur imperceptible danse, se fiaeaient en 
une f4,'111'C pleine, et exigeaient que fOt enfin rdpp~rté à un 
rcgllnl ùe chair tout l'espace de la représentation. 
Le motif de cette pr~sence nouvolle, la modalit6 qui lui est 
propre, ln dispositioll singulière de l'épistémè qui l'autorise, 11) 
l'lIl'port nouveau qui à travers ollo s'établit entre les mots, les 
Ch08.t;5 et leu~ ordre, - tout. cela ..,out être maintenant mis on 
~Iml~re •. CuVIer et ses contcmporaID9 avaient demandé à ]n vie 
c ~?~Dlr cl1e-même, et duns 10 profondeur do son ~trc, Jes 
COn ,Itions de p085ibilit.é du vivant; de la même façon, Ricardo 
i'~~ht demandé au travail les conditions de possibilité do 
1 c ango, .du profit et de la production; les premiers philo­tgues 
avalent aussi chercbé dans la profondeur historique des 
~gu.es la possibilité du discours et de la grammaire. Du lait 
me, la représentation a cessé de valoir, pour les vivant.s, pour
324 LM mot8 III le8 cJWIJ83 
les b8lloins et pour les mots, comme leur lieu d'origine et. 10 
siègu primitif de leur vérité; par rapport à eux, cllc n'est rien 
de plui, dhormaù, qu'un effet, leur répondant plus ou lUoins 
brouillé dans une conscience qui les saisit et les 1'6!1titue. La 
rel,réllentation qu'on se fait des choses n'a plus à déployer, cn 
un elll'uce souverain, le tableau de leur mise en ordre; elle est 
du côté de cet indivjdu empirique qu'est l'homme, le phêno~ 
mi'mo - moins encore peut·être, l'Ilppal'ence - d'un ordre qui 
B ppartien!. maiutenant aux choses memel! et à leur loi intérieure. 
Duns lu rcpré~cntation, lus êtres ne manifestent plul! leur iden­tité, 
mais Je rapIJort c."térieur qu'ils étabü~sent à l'être humain. 
Celui-ci, avec son être propre, uvec son pouvoir de se donner 
des représentations, surgit en un creux ménagé par les vivants, 
les objets d'échange et les mots lorsque, abandonnant III repn­sentatlon 
qui avait élll jusqu'alors leur site naturel, ils Be 
retirent dans ln profondeur des choses et s'enroulent Bur eux­mêmes 
selon les lois de la vic, de la production et du langage. 
Au milieu d'eux tous, serré par le cercle qu'ils fonnent, l'homme 
'I8t ù~~igné - bien plus, requis-par eux, puisque c'est lui qui 
I,arle, puisqu'on le voit résider parmi les animaux (et en une 
place qui n'est pas seulement priviJé~ée, mais ordonnatl'Ïce de 
l'ensemble qu'illi furment : même s'il n'est pas conçu comme 
terme de l'êvolution, un reeonnait en lui l'extrémité d'une 
longue série), puisque enfin le rapport entre les besoins et les 
moyens qu'il a ùe les satisfaire elIt tel qu'iJ est nécessairement 
principe et moyen de toute production. Mais cette impériCUS6 
ùésignntion est ambigu!!. Eu un sens, l'homme est dominé par le 
travail, la vie et le langage: son existence concrète trouve en 
eux ses déterminations; on ne peut avoir aecèti à lui qu'au tra­vers 
de ses mots, de Bon organisme, de8 objets qu'il fabrique, - 
COIllme si eux d'abord (eux seuls peut-~tre) détenaient la 
vérité; et lui-ru~me, dès ~u'il pense, ne se dévoile à IICS propres 
yelUt que sous la forme d un être qui est déjà, en une épaiSl!eur 
Dél:~tlairelnent sous-jacente, en une irréducunJe antériorité, un 
vivant, un instrument de production, un véhicule pour de!! 
mols qui lui préexistent. Tous ces contenus quo son savoir l~l 
révèle extérjeurs à lui et plus vieux que sa nais~onctl, lIut.· 
cil'Ilut sur lui, le surplombent de toute Jeur soliditll et le tra· 
vel'sent comme s'il n'était rien de plus qu'un objet do nature 
ou un vÏliage qui doit Il'etfacer dans l'histoire. La fini~uùe de 
l'IlOmme !;'UWlOnCe - et d'une manière impérieuse - duns ]a 
l,osiLivité du &avoir; on sait que l'hunune est fini, comme 011 
connalt l'anatomie du cerveau,. le mécanisme des 'cotlts d6 prO" 
duc lion, ou 10 système de Ja conjuli.lÎllon indtreuropéennuj oU 
plutôt, au filigrane de toutes COB figures solides, positives et
326 
• el on perçoit la finitudo et leB limiteB qu'ellell imposent, 
pl~ vine comme en blano tout ce qu'ellos rendunt impossible. 
on1tl~ à dire vrai, cette première découvorte do la fiD1tude est 
, .-'-le' rien De permet de l"arrêter sur eJ1e-m(!me; et ne pour­ms". 
1 UoIn p, as 8Upposer qu• e I le promet aURSI' bl'C D ce m .~. m e lDtw!_u: 
1111';1Ie refuse, selon le système de l"Htltualité? L'évolution de 
~~pl:ce n'ost peut.être pas acbevée; l~s lormes de la produc?on 
et du travail De cessent de se modifier et peut-être un Jour 
l'hoJJ1D1C nc trouvera plus dans son labeur le principe de son 
aliénation ai daDs liel besoins le coutaut rappel de ses limites; 
et rien ne prouve non plui qu'il ne découvrira pas dos systèmes 
symboliques suffisamment purs pour dissoudre la vieille opacité 
dei langages historiques. Aunouc€:e daos la positivité, la fini­tude 
de l'homme 6e profile 80UIi la !orme paradoxale del'inùélini; 
elle indique, plutôt. que la rigueur de la limite, la 1lionotonÎe 
d'un cheminement, qui o'a SaDS doute pas de borne lllliis qui 
n'est peut-être pus 8UI espoir. Pourtant tous ces coDtenus, 
avec ce qu'ils dérobent et co qu'ils lais&onl aussi pointUl' vers 
les confins du temps, n'ont do positivité dans l'espace du savoir, 
ils ne s'offrent li la tache d'une connaissance possible que liâs 
de fond cn comble Il la finitude. Car ils ne seraient point Ill. 
dons cette lumière qui les illumine pour une certaine ~art, si 
l'hoDime qui se découvre Il travers eux était pris dans louver­ture 
muette, noctume, immédiate et heureuse de 1. vie uni­mole; 
moiti jls ne se dODnentient pas non plus sous l'angle aigu 
qui les dissimule à partir d'eux-mêmes ai 1'homme pouvait les 
parcourir sans reste daos l'éclair d'un entendement illûni. Mais 
li l'expérience de l'homme, un corps est douné qui e~llon corpll 
- fr:dgule~t d:espace ambigu, dont la spatialiLé propre et irré­ductlblo 
s articule cependant sur l'espace dei choses; à. cette 
même .expérience, 10 désir .ell donn6 cOlDWe appêt.it. primordial 
l pa~ duquel toutes les choses prennent valour, et valeur 
relative; Il cette même expBrÏence, un IaJq,ruge est donné dans le 
f!1 duquel tous les discows de tous les temps, toutes les mouos­lions 
et toutes les .imultanéités peuvent etre donnés. C'est dire 
qu~, chllcun~ de c~s fonnes pOliitives où l'homme peut apprendre 
6~ 11 eat ~l!l ~e lm cil ~OJlllOO que s~r fond ~e ~ propre 6I!-i~c:- 
'. celle CI n est pas 1 CIi8811ce la mieux purifiee de la po:ntivllc. :0d' d' Il pnrlir de quoi il est possible qu'elle apparaisse. Le 
P Oe être de la vie, et ceJa même qui fait que la vie n'existe 
as sans m ' 1 ID e prescnre ses ,ormes, me sont donnés, fondamentale-te: 
td~ilr m;? cor~s; l~ mode d'être de la productioll,la pel'lan­} 
laI' JO Bes, ~terllWlatloDS sur mOD exidcJlce, me ~Ollt dODlléa 
d'hi t ~Il dOSlrj el Je mode d'être ùu li1ng'dgc, tout. le siUage 
a OUe que lea mots font luire dans l'instant. oÏl OD lus pro-
ô26 Le. moll et tu chaau 
donce, et peut-être même dans un temps plus imperceptible 
encore, nc me sont donnés qu'au long de lu mince chatDe do Dla 
pensée parlante. Au fondomont de toutOll los pusitivités empi. 
riques, et de cc qui peut. s'indiquer de limitations concrètes ft 
l'existence de l'homme, on découvre une finituùe - qui en un. 
Beni est la même: eUe est marquée par la spat.ialiL6 du corps la 
héance du désir, et le tempa du langage; et pourtant elle ~t 
radicalement autre : là, ]a limite ne Be manifeste pas comme 
détermination imposée à J'homme de l'extérieur (parce qu'il a 
une Dature ou une histoire), mais comme finitude fondamentale 
qui ne repose qUlllur son propre fait et s'ouvre sur la positiviu. 
de toute limite concrète. 
Ainsi, du coeur même de l'empiricit.6, a'ind ilJUe l'obligation de 
:remonter, ou, comIDe on vouùra de descendre, jusqu'à une ana­lytique 
de la finitude, où l'être de l'homme pourra fonder en 
leur positivité toutes les formes qui lui indiquent qu'il o'estpas 
in fin;' Et le premier caractèro dont cette analytique marquera 
le mode d'être de l'homme, ou plutôt l'espace dans lequel elle se 
déploiera tout cnti~ro sera celw de ln répétition, - de l'identité 
et de la difFérence entre 10 po:litiC .,1. le fondamental : la mort 
-qui ronge anonymement l'existence quotidienne du vivant, est 
la mêmH que ceUe, fondamentale, il partir de quoi 6e donoe à 
moi-mOrne ma vie empirique; le désir, qui li., et sépllre les 
hommes dans la neutralité do pro~essus économique, C'Clit le 
même à. partir duquel toute chose est pOUf moi désirable; ]e 
temps qui porLe les langages, 8e loge en eux et finit par les 
Usef, o'ost ce temp8 qui étire mon discours avant même que 
je l'aie prononco dans une succession que nul ne peut matt_. 
Du bout Il l'autre d., l'expérience, la flnitude se répond à olle­même; 
elle eat dans la fIgure du Même l'identité et la différenco 
dei positivités et de leur londement. On voit comment la 
réRexion moderne dès ln première amorce de cette analytique 
contourne vers une certaine pensée du Même - où la Dü!é­nnce 
eat la même chose que l'Identité -l'étalement de la 
représentation, avec son épanOUIssement en tableau, tel que 
l'ordonnait le savoir classique. C'est dans cet espace mince et 
immense ouvert par la répétition du positif daDsle fondamtl~­tul 
que toute cette analytique de ]a finitude, - si liée au deti~l 
de la ponsée moderne - va se déployer: c'est là qu'on Vil v91f 
Buccessivement le transcendantal répéter l'empirique, le COglto 
répéter l'impcDsê, le retour de l'origine répêter sou recul; c'est 
là que va s'amrmur à partir d'clic-même une pens6e du Môme 
irréducu'ble li ln philosophie clanique. 
On dira peut-être qu'il n'était pas besoin d'aLLeudr6 le 
XIX! siècle pour que l'id6e do la finitude soit mise nu jour. Il
L'MmTM et lU Mublu 
ai qu'i] 1'0 peul-être seule meut ùêplacée dans l'espace de jl vr sée lui faisant jouer un rOlo plUli complexe, plus ambigu, 
ft p'e~ fa~ilo li couloumer : pour la pensée du XVIIe ct du 
JJlom~ .' d' .. l'h li ~ 
11 ~iècle c'était sa fimtu 6 qm contflugnalt omme VIvre 
d~~ cl(ist~ncc animale, à travailler à la iueur de son front, Il 
nsor ~veo des mots opaques; c'était cette même finitude qui 
foe mpêchait de cODDaltre absolument Jes m6canismes de son 
e:rps les moyens de satisfaire ses besoins, la méthode pour 
ptlns:r Bans le pé~1l6~ secours d'un. langage t?ut tr~é d'~bi­tudes 
et d'imagmatlOns. Comme mad6quatioD à IlD6nt, la 
limit.e de l'homme rendait compto aussi· bion de l'existence de 
ces contenus empiriques que de l'impossibilité de les connattre 
immédiatement. Et ainsi le rappotl négatif à l'infini - qu'ü 
ltit conçu comme créatioD, ou chute, ou liaison de l'âme et du 
corps, ou dét.ermination à ~'intéric:ur de l'être infini, ~u point 
de vue [li~gulier sur la to~té, ou hen d.e Ja rcpr~enta_ti.~ aveo 
l'impressloD - se donnrut comme anterleur à 1 empmClté de 
l'homme et à la connaissance qu'il peut eD prendre. Elle fondait 
d'un 90ul mouvement, mais SIlIl8 renvoi réciproque ni circula­rité, 
l'existence des corps, des b8lloins et des mots, ct l'impossi­bilit6 
de les maîtriser en une connaissance absolue. L'expé­rience 
qui se forme au d6but du XIXe siècle loge la découverte 
de la finitude, non plus à l'intérieur de la pensêe de l'infini, 
mois au coeur même de ces contenus qui sout donnés, par uri 
savoir fini, COmIue les formes concrètes de l'existence finie. De 
l~, le jlU interminable d'une r6férence redoublée: si le savoir de 
l'holWue est fiui, c'est parce qu'fi est pris, Bans libération pos­sible, 
dans les contenus positifs du langage, du' travail et de la 
vie; et inversement, si la vie, le travail et le langage se donnent 
dllDll leur positivité, c'est parce que la eonnaistillDce a des 
1of!Ue!i finies. ED d'autres termes, pour la pensée cJassique, la 
finitude (comme détermination positivement colllitituée à partir 
de l'infioi) rend compte de ces formes négatives qui BOnt le 
corps, le besoin, le langage, et la connai88ance bombe qu'on 
~eut en avoir; pour la peDsée moderne, la positivité de la: -ne, 
_e ~ ... production. et du travail (qui ODt leur existence, leur bisto­l'! 
clte et leurs 1018 propres) fonde comme leur conélatioD négtl­~~ 
le caractère borné de la cODDaissance; et inversemont les 
~lMltcs ~e la c.onnllissance fondeDt positivement la possibilit6 
e 8avol~, maIS dans une expérience toujours bornée, ce qua 
8?Dt la VIe! le travail et le langage. Tant que ces contenus empi­nluea 
h é~t!nt logés dans l'espace de la représentation, one 
~ lap y!lque de l'infini était DOD. seulement possible mais 
fe.fée d l} faU~t bien, en effet, qu'ils soient les formes mani-tlS 
e a finitude humaine, et pourtaot qu'ils puissent A'YOÏf
32B 
leur lieu et leur Y6rité ll'intérieur de la repré:.entatioQ; l'idée 
de l'ÙlOlli, et celle de Ba détermination dans la finitude p"rmeL­t. 
aieu l'!", et l'lluLre. Mai, lors~ue les c~lntenus e,upiriquetl 
furtmt d"bu:héa de la repré~entahon et (lU'ils enveloppèrent en 
6ux-mêmQII le princip" d" leur existence, alors la métllphysique 
de l'infini devint inutile; III finitude ne CeHSIt plull de rtlnvu)'l!r à 
elle-mfnu., (de la positivitu detl uontonus aux limitatiuns de lit 
connuitltlunc", et de la positivité limitée de cellu-ci au 1I0VO~ 
borné dcs contenus). Alors, tout le chaIllp de la ptlW!6e occiden_ 
tale fut inversé. Là où jadis il y avait corrélation entre une 
méJ.aphY8ique de la représenLution lit d" l'infini et une annly" 
des êtres vivants, des désirs de l'hommo, et des mols de Sil 
Ift~e, on voit se constituer uue analytiqua de la finitude et dB 
l'exlStence humaine, et en opposition aveo elle (mais en unIS 
opposition corrélative) une perpêtuelle tentation de oonstituer 
une métaphYilÛjue de la vie, du travail et du langage. Mais ce 
n8 sont. jamais que des tentat.ions, aussitÔt contestées et comme 
minées de l'intérieur, car il no pellt s'agir que de métaphysique. 
metlurées par les finitudes humaines: métaphysique d'une vie 
convergeant. vers l'homme même si elle no s'y arrête pas; méta. 
physique d'un trnaillibérant l'homme de sorte que l'homme 
en reLow' puisse s'en libérer; métaphysique d'un langage que 
l'hommo pel1t 80 réapIJroprier daus la cowcience de sa propre 
culture. De sorOO que la pensée modernt: se conle:stera dlIDS ses 
propres avuncé611 mutaphysiqucs, et montrera que le~ réOtlxÎons 
sur la vio, 10 travail et. le langage, dans la Ill"l5Ure où elles 
valent comme analytiques de la finitude, manutlsteut la fin de 
la métaphysique: la philosophio dola vie dénonce la métaphy" 
sique comme voilo de l'illusion, ceUe du travail la dénOll~'e 
comme pensée aliénée et idéologie, celle dl1 langage COWIDe 
épi:;ode culturel. 
Mais la fin de la métaphysique n'est que la face négative 
d'un événement beaucoup plus complexe qui S'Ollt produit dans 
la pensét) occidentale. Cet événement, o'est l'apparitiou de 
l'humme. Il ne faudrait pas croire cependunt qu'il a surgi iI~U­dain 
dans nuue horizoD, en imposant d'une manière irruptl'le 
et. absolument. déroutaute pour Dotre réflexion, le fuit brutal 
de son corJ)s, de sun labeur, de son langage, ce n'cst pas )a 
miilèro pOSitive de l'homme qui a réduit violemment lu mé~­physique. 
Sans doute, au niveau des apparences, la moder!"té 
commence IOl':lquo l'êtr6 hwnaw se met à exister à l'Ùlt(mcur 
de son organisme, dUllii la coquille de sa tête, dans 1'8r!"at~re 
de ses membres, et parmi t.oute la nervure de sa physlO.l0~lej 
1orsqu'il se met li. eXIStor au coeur d'un travail dont le prmclpO 
le domine et le produit lui échaPPoi lorsql1'illoge sa pensée danS
L'lwmme et Sil doutM, 329 
r lis d'un langage tellement plus yjeux que lui qu'il n'en 
les maltriser les significations ranimées pourtant par l'in­P. 
c':ance do sa parole. Mais plus iondamentalement, notre 
SISlture n franchi le seuil fi partir duquel nousrectmnnissons not.re 
cUodernité le jour où ln finit.ude 8 été pensée duns une réfl!­~ 
nce int.c~ahle il elle-même. S'il est vrai, au niveau des 
dilIérents savoirs, que la finitude est ~ujours dés,ignée à part~r 
do l'homme CODcret. et des formes empll'lques qu on pent aSSI-ra 
er à 90n elÙl:ilence, au niveau archéologique qui découvre priori historique et général de chllcun des savoirs, l'homme 
moderne - cet hommo assignable en son existence corporelle, 
laborieuse et parlante - n'est possible qu'à titre de figure de 
la finitude. La cullure moderne peut penser l'homme parce 
qu'ellc pense le fini à partir de lui-même. On comprend dans ces 
conditions que la pomée classique et toutes celles qui l'ont pré­cedée 
aient pu J.larler de l'esprit et. du corps, de l'ilt.re llUmain, 
do sa place si liuùtêe dans l'univers, do toules les bornes qui 
mesurent sa connaissance ou sa libert.é, mais qu'aucune d'enLre 
elles, jamais, n'aiL connu l'homme tel qu'il 6!t donné au ti8vOir 
moderne. L' , humanismo Il dola Renaissance, le Il ra tionalisme» 
des clllssiques ont bien pu donner une place privilégiée aux 
humains dans l'ordre du mondo, ils n'ont pu llonsur l'homme. 
IV. L'EHPnUQUB ET LB TRANSCENDANTAL 
L'homme, dans l'analytique de ]0 finitude, est un étrange 
doublet empirico-transcendantal, puisque c'est un être tel qu'on 
prendra en lui connaissance de ce qui rend possible toute 
cOllIUlissance. Mais ]a nature humaine des empiristes ne jouait. 
elle J'as, au xvme siècle, le même rôle? En lait, ce qu'on ana­lysait 
~lors, c'étaient les propriétés et les formes de la repré­a~ 
n~llOn qui permettaient la connaissance en géntral (c'est 
8Ulsl que Condillac définissait les opérations nêcessaires et su!­fi. 
s~l~s ponr que la représentation 80 déploie en eounaissance : 
l'eDllWsccncc, conscience de soi, imagination, mémoire); main­ten~ 
nt. que le lieu de l'analyse, ce n'est plus la représentation, 
mnls.l.homme en sa finitude, il s'a oit de mettre au jour les 
oo~dllions de la connaissanco li part.k des cont8D.U8 empiriques i:I1 don~ donnés, en elle. Peu importe, pour le mouvement gêné- 
10 .e. a feens~ moderne, où ces contenus se sont trouvés 
1.:115es: ~ poml n'est pas de savoir si on les a chorchés dims 
de tospeetton o~ da~s d'nutre~ formes d'analyse. Car le seuil 
notre modenuté n est pas Situé au moment où on a voulu
330 
appliquor Il l'étude de l'homme des méthodel objectives, mais 
bum le JOUI' où. s'est conatitué un doublet empirico-trnnscendan_ 
tal qu'on a appelé l"homme. On a vu uaUre alon deux 8Ort.,. 
d'anal)'so8 : celles qui le sont logées dan. l'.pace du COrpl. et 
qui par l'étude de la perceptioD, des mécanismes sensoriels 
des schémas neuro-moteun. de l"atticuJation commune .~ 
cho8fl8 et à l'organisme, ODt fonctioDllé commo une sorte d'eathlh 
tique uanscendantale : on )' découvrait que la connaissance 
amt des condit.ions an.atomo-physiologiques, qu'elle se for­mait 
peu à peu dam J. DerYUre du corps, qu'elle y avait peut­être 
un siège privilébrié, que sea formes en tout cas ne pouTaiont 
pas être djsllocjées des singularités de son fonctionnement; bref, 
qu'il )' avait une nature de la connaissance humaine qui en 
déterminait 1118 (ormos et qui pouvait en même tomp. lui êt.re 
maoifelltée dam SIl8 propres contenus empiriques. 11 y a eu 
aussi les analyses qui pnr l'étude des illusions, plus ou moins 
anciennes, plus ou moins difficiles à vaincre de l'hwnanit.é, 
ont fonctionné comme une sorte de dialectique transcendan­tale; 
on mont1'8it ainsi que la connaissance avait des condition. 
historiques, sociales, ou économiques, qu'elle se formait Il l'in­térieur 
des rapports qui Be tissent eDtre lei hommes et qu'elle 
n'était pns indépendante de 1. figure particulière qu'ils pou­vaient 
prendre ici où là, bref qu'il y avuit une histoire de )a 
.. .onnaissance humaine, qui pouvait à )a fois êt.re donnée au 
savoir empirique et lui prescrire tiel formes. 
Or, ces analyses ont ceci de particulier qu'oU es n'ont, semble­ton, 
aul..'Ull besoin les unes dOl! autres; bien plus, qu'elles peuvent 
ae dispenser de tout recours à une analytique (ou li une théo­rie 
du lujet) : ellea prétendent pouvoir ne reposer que sur elles­mêmes, 
puisque ce sont lcs contenus eux-mêmes qui fonc­tiouent 
comme réOexion transcendantale. Mais, en fait, la. 
recherche d'une nature ou d'une histoire de )a connaissance, 
dans le mouvement où elle rabat la dimensioD propre de ln 
critique sur les contenus d'une connaissance empirique, sup­pose 
l'usage d'une certaine critique. Critique qui n'ell pas)'exel'* 
cice d'une réflexion pure, mais le résultat d'une série de 
partages plus ou moins oblC1ll"8. Et d'abord des partages rela­tivement 
élucidés, même s'ils sont arbitraires : celui qui dis­tinguo 
la connaissance rudimentaire, imparfaite, mal équili­brée, 
naissante, de celle qu'on peut dire sinon achevéo, du moins 
constituée dans sel (orJDea atables et d6Hnitives (ce part.agerend 
possible l'élude des conditions naturelles de la connaissance); 
celui qui distingue l'illusion de la vérité, la chimère idéologique 
de la thêorie Bcient.ifique (ce partage rend possiblel'êtude des 
conditions historiques da la connai88ance); ma;' il y ft un par-
L'!r.ommlJ et HB doubles 331 
lus obscur, et plus fondamental : ~'«;st. cel~i de ]a ~érit.6 
tB"gt' Pftme • il doit. eXister, en effet, une venté qut 8.'t de 1 ordre 
ed ~ Cl'o-IbJjeItC., ,- ceUe qUi- peu Il peu s "0 MIlllsse, se.f orme, • '~ re 
laniCclle à travers le corps, et les rudiments de per-et 
se li' • d • .. 1 ill 
L'OII cello tim.lement qUl se e.'sme Cl mesure que es u-cer 
l, -eo- l'h"" d 
, Q le dillsinont, et que Islolre s mstaure ans un .tatut. 
8d1é0sna.l.i éné; mU~ls i.l dO,it. .~Is ter.aussi, une ve• r'lté, qui. est d e l'o rd re 
du discours, - une v~ml.é qw permet. de te~ s,ur la ~at~ ou. 
l'hÜitoire de lu coonalSliance un langage qui solt vraL C eat. le 
stnlul de ce discours vrai qui demeure ambigu, De deux choses 
l'Wle : 011 ce discours vl'lli t.rouve Bon fondeIntmt et lion modèle 
elll'ette vhité empirique dont il rell'llce la genèlse dans la nat.ure 
et dam l'histoire, et on a une analyse de t.ype posiLivÜlte (la 
vérité de l'objet p~scrit la vé~t.é d,u. discolll'll qui el! ~écrit la 
formlltion)j ou le dillcours vrai anllClpe sur cette verlté dont 
il dHmit ~a Nlture et l'histoire, il l'esquisse k l'avance et la 
fomenl~ do loin, et alors on ft un diticours de type eschatologique 
(la vérité du discours philosophique constitue la vérité en for­mation), 
A dire vrai, il s'agit là moins d'une alt.emative que de 
l'oscillation inhérente à toute analyse qui fait valoir l'empirique 
au niveau du transcendantal. Comte e1. Marx eont bien témom. 
de ce {ait que l'eschatologie (comme vérité objective à venir 
du discours SOl' l'homme) et le positivi~me (comme vérit.6 du. 
discours définie il partir de celle de l'objet) sont archéologique­ment 
indissociables: un discours qui se veut. à la {ois empi­rique 
et critique ne peut être que, d'un seul tenant, positiviste 
et eschatologique; l'homme y apparatt comme une vérit.6 il la 
fois réduite et promise. La naïveté précritique y règne saDB 
partRge. 
C'est pourquoi la pensée moderne n'a pas pu éviter - et à 
partir justement de ce discours Daif - de cherch8l' le lieu d'un 
dÜicours qui De serait ni de l'ordre de la réduction ni de l'ordre 
de la promes.'Ie : un discours dont la tension mllmtiendrait sépa­réf. 
l:empirique et le transcendantal, ou pennettant 'pourtant 
de ylSer l'nn et l'auue en même temps; un discours qul permet­tnut. 
d'analyser l'homme comme sujet, c'est-à-dire comme lieu 
de ,connAiSSAnces empiriques mais ramenées au plus près de ce 
qu~ les rend pOtiSwles, et comme forme pure immédiatement 
préliente à ces cont.enus; un discours en somme qui jouerait 
p~r rapport à la quu8i-esthétique et à la quasi-dialeclique 16 d e d~une analyt.ique qui à la lois les fonderait dam une théorie 
Il ~~p't, et l~ur permettrait peut-être de .'arLÏculor en ce terme 
~Jateme et lD.term~di8ire où s'enracÏDeraient à la {ois l'expé­:~~ 
du ~Orpil et celle de la culture. Un rôle si complexe, si 
elomuné et. si nécessaire, il a été tenu. dan. la peos(:o
332 Lu mot. el la CWfJ. 
modeme par l'annlyec du vécu. Le vEcu, en eRet, eat a J8 rois 
l'espace où tous les contenus empiriques sont donnê! li. L'exllê­nonce; 
il est aussi ln forme originaire qUl Jes rend en générul 
possibles et désigne ]our enracinement premier; il fait bien co~­muniqullr 
l'ospace du eol'Jls avec le temps de la culture les 
déterminations de ]a nature avec la pesanteur de l'histoke l 
condition cependant que ]0 corps ct, à travers lui, la nat.~ro 
Boient d'abord donnés dans l'expérience d'Wle spatialité irré­ductible, 
et que la culture, porteuso d'histoire, soit d'abord 
6prouvée. dODs l'immédiat des significations sédimentées. On 
peut bien comprondre que l'analyse du vécu .'est instaurée, dans 
la réflexion moderne, comme une contestation radicale du posi­tivisme 
et de l'eschatologie; qu'elle a e.'1sayé de restaurer la 
dimension oubliée du transcendantal; qu'clle Il voulu conjurer 
le diacours naïf d'une vérité réduite à. l'empirique, et le diséoura 
prophêtique qui promet natvement la venue li. l'expérience d'un 
homme enfin. n o'en reste pas moins que l'analys8 du vécu est 
un di!lcours de nature mixte: elle s'adresse 11 une couche spéoi­fique 
mais ambiguA, assez concrole pour qu'on puisse lui appli­qucrun 
langage méticuleux et doscriptif, assez enretrnitcepen­dant 
sur la positivité des ehosos pour qu'oo puisse, li. partir de 
là, ~chapper la cette naïveté, ln contetter et lui quérir des 
.fondements. Elle cherche à. articuler l'objectivitê poSllihlo d'unD 
coJUlaÏssancè de la nature SUl' l'expérience originaire qui s'os­quiase. 
à travers le corps; et à articuler l'histoire pOlSible d'uDe 
çulture sur l'éraiBseur sémantique qui à la fois 8e cache et 1!8 
montre dans 1 e?cpêrieoce vécue. Elle ne flUt. donc que remphr 
avec plus de !loin les exigences hâtives qm avaient été posées 
lorsqu'oo avait voulu, en l'homme. faire 'V8.10Ï'r l'elDpirique pour 
18 transcendantal. On voit quel réseau serré relie, malgrê les 
~pa16nces, les penséos do type poaitiviste ou eschatologique 
e marxisme étant au Elomier rang) et les rêDexions inspir~es 
e la phénoménologie. Le rapprochement récent o'est pliS de 
l'ordre dola conciliation t8:rdivo au niveau des configurations 
archéologtqu6B, eUes étaient n~cessaires les unes et les autres 
- et les unllll aux autres - dès la constitution du postulat. 
anthropologiqutl, c'est-à-dire dès le moment où l'homme est 
apparu eomm" doublet empirico-trnnsClCodaotal. • 
La vraie contestation du positivisme et de l'eschatolog18 
n'est donc pos dans un retour au vécu (qui à vrai dire 1e9 
confirme plutôt en les enracinant); mOlS Bi elle pouvait s'cxct'­cer, 
ce serait l pnrtÏl' d'nue question qui BaJ15 doute 6e'!lblo 
aberrante. tant elle est en discordance avec ce qui a rendulust.o­. 
riquement possible toute notre pensée. Cette quest.ion conSIS­terait 
à se demander si 'fraiment l'homm .. p.~iste. On croit qUO
333 
, st 'ouer le para(loxe que de supposer, un 11811 instant, ce 
ce !urrnioDt être le monde et la pensée et la vérit6 si l'homme 
q?~tt.ait. pUll. C'est que nous &ormlaes si aveuglés pRr la récente 
~Ividence do l'homme, que IIOlUi n'avons même plus gardé dans 
:olre IOl1vonir le temps cependant. peu re,?ulé où ,existaient le 
onlle Hon ordre, IOll êtres humaUlll, mlliS pa!! 1 homme. On 
lcoJmplr'en d )e pouVO•i r d"ch r an1 o men. .. ql'l a pu aVO•Ir , et que gn rd e 
encore pour nous la pensée de NiolzllclJo, lors'lu'elle Il annoncé 
sOIlS la formo du l' ~vénement imminent, de la Promesse-~Icnace, 
que l'homme bientôt no sernit plus, - mais le surhomme; ce 
qui, dans uneIJhi)osopbi~.du Ro~w: voulait. dire que ~'hom"!e, 
depuÏti bicn 10ngtcllIll!1 delà, avait dJt!paru eL no CessaIt de dls­p~ 
raitre et que nol.re pensée modome do l'hoJUme, notre sol­licitude 
'pour lui, noLre humllnisme donnaient liereinement sur 
BU grondnn,te inexi5t~nce. N,ous qui nous. croyons liés à une 
finitude qul n'ol'purt.leot. qu il nous et qw nous ollvre, par le 
connllître, la vérité du Inonde, ne faut-il pas nous rappeler que 
nous sommes attachés aur le dos d'un tigre? 
V. LR COGITO BT L'U1PB1'Csi 
:5i l'homme est bien, duns 10 monde, le lieu d'un redouble­ment 
empirico-t1'tlnsccndnntal, s'il doit être cette figure para­doxltle 
où 11'_'1 contenus empiritJ.ues de la connaissance délivrent, 
mais à partir de soi, les conditIOns qui les ont rendus possibles, 
l'homme ne peut pus se donner dans la transparence imm6- 
diate et souveraine d'un cogito; mais il ne peut pas non plus 
ré.'iider daos l'ioertie objective de cu qui, eD. droit, D'accède 
pas, et n'accédera jamais à )a conscience do soi. L'homme est 
un mode d'être tel qu'en lui se fonde cette dimousion toujours 
0!1verto, jamais délimitée une fois pour tollt.es, maÏ& indé&­Dlment 
parcourue, qui va, d'une part de lui-même qu'il ne 
l'éflée!t!t pas ~~. UD. cogito, il l'acte de pensée ~nr quoi il la 
ressomt; et qw, lnversement va de cettepu1'8 susie li l'encom­brement 
empirique, il la m~ntée dé!Ordonnéo des conteous, 
BU snrplo~b des expérionces qui échappent il elles-mômes, à 
tout l'honton siloncieux de ce qui se donne dans l'étendue 
&~Llonneuse de la non-pel1llée. Parce qu'il est doublet empi­rJco- 
transcenùantal, l'homme est aU5lôi le lieu de la méconnais­aance, 
- de cette méconnaissance qui expose toujours sa pen­Ih 
li. être débordée par 60n êt.re propre, et qui lui permet. en
33~ Ler mut, et le, choses 
mi)me tempa de se rappeler b Itnrtir de ce qui lui ~chappe. 
C'est la raison pour laquelle la réflexion transcendllntale, BOUS 
BB forme moderne, ne trouve pas le point de 88 nécessité, comme 
cbez Kant, dans l'existence d'une science de la nnturo (il 
laquelle s'opposent le combat perpétuel et l'incl!rtitude de!! 
philosophes), mais dflng l'exillten~e muette, prête pourLant Il 
parler et comme toute traversée secrètement d'un dÎRoours 
virt.uel, de ce non-connu à partir duquel l'homme est Bnns 
cesse appelé à la conn8is~al1ce de soi. La que~tion n'est plus' 
comment peut-il le faire que l'expérience de la nature d(Jnn~ 
lieu à des j ugemenlB nC:cessaires? Mais: comment. pllut-il se Caire 
que l'homme pense ce qu'il ne pense pas, habite ce qui lni 
é,chnppe sur le mode d'une occupat.ion muette, anime, d'une 
lIorte de mouvement figé, cette figure de lui-milme qui se Jlr~­Bcnte 
Il lui SOUK la lorme d'une exlériorité t.ôt.ue? Comment 
l'homme peut-il être cette vie dont. le r6seau, dont lC8 p1l11l8- 
tions, dont 10 force enfouie débordent indéfiniment l'expllrienco 
qui lui en est immédiatement donnée? Comment pOlit-il être 
ce travall dont les exi~{mr.os et les lois s'imposent à ]ui comme 
une rigueur étrangère? Commnnt peut-il être le sujet d'un 
langage qui depuis des millénaires s'est lormé sans lui, dont 
le système lui échoppe, dont le liens dort d'un sommeil presque 
invincible dans les mots qu'il fait, un instant, scintiller par 
son discours, et à rintt~rieur duquel il e~t, d'entrée de jeu, 
contruint de loger !III porole et sa pensée, comme si clics 110 
failiaient rien de plus qu':mimer quelque temps un sl!gment 
Bur cette trdme de possibilités innombrables? - Quadruple 
déplacement par fUJlPort. à la question kllnticnne, puisqu'il 
s'n~it non plus de la vérilê mais de l'~lre; nOlll'lu5 do la naturo 
mOlS de l'homme; non plus de ]a possibilit.é d'une connais­sance, 
muis do celle d'une méconnaissance première; non plu!! 
du caractère non fondé deI théories philosoplùques en face 
de ln science, mais de la reprise en une eonscience philoso­phique 
claire de tout co domaine d'expériences Don fondées 
où l'homme ne se l'econnatt pas. 
A partir de ce déplnGI'.ment de III question transcendantale, 
la pensée contl!mporaine ne pouvnit éviter de ranimer le thèmo 
du cogito. N'était-ce pas aussi la partir de l'erreul', de l'illu­sion, 
du rève et de la folie, de toutes les expériences de la 
pensée Don londée que De:lcartes découvrait l'impossihilitA 
qu'elles ne soient pas pensées, - si bien que la pengéo d~ 1/!31 
pensé, du non vrai, du chimérique, du purement imngma,re 
apparaisllnit. comme lieu de possibilité de toutes ces expé­rÎt: 
nces et. première évidence ilTéeu~able? Mais le cogito mode~n6 
est aussi diJIérent de celui de Dt:scurLes. que Dotre réflwuon
L'homme fiL 6eB dvublu 335 
8CfJndantale e.'It éloignée de l'analyse kantienne. C'est qu'il 
trnDjs~8it pour Descortea de mett.re au jour la pensée comme 
IfI ligne la plus uénérale de toutee 009 penllées que BOnt. l'erreur 
orl .,... • 1 é '1 • 1 
011 l'illusion, de manière u en conjurer e 'P ri , qUitte à ea 
trouver h la fut de !8 démarche, il Jes explaquer, et à donner 
relOl'c5 la 'mé t.hode P?tlr s' ené ~r v eru. r. D• ans 6I cog'tt o mo d erne, 
il l'IIgit nu co~tralre de .1a1ssel ~8101! selon aft plus grAn~e 
dillllui~ioll ]n, dltilonce ']'11 à la fOIlJ. sep~re e~ rehe la pensee 
r~!ienlc il SOI, et ce qUI de]a pen~ee, a enracme da1JJ! le non­~ 
6u~é; il lui ra~t (ut c'est J?ourquoi il ea~ mo~na un~ évidence 
dtieollverte qu une tâche mcell~ante qUi dOlt toUjours être 
reprise) parcourir, redoubler et. réactiver 10US une forme expli­cito 
l'articulation de la pensée lIur ce qui en elle, autour d'eUe, 
au.dessous d'olle D'6lit pas pensée, mais Ile lui est pas pour 
autant étranger, seloD une irréductible, une infranollÏ:isable 
extériorité. Sous cette forme, le cogito De lIeru dODO pas la 
Ivudlline découverte illuminante que toute peDll8e est penBéo, 
mais ri n terrogntion touj 0111'8 recommencée poUl' savoir commlln t 
)a pensée habite hors d'ici, et pourtant au plus proche d'elle­ml! 
me, comment eUc peut ê'rlt sous les espèces du non-pensant. n ne mmène pas tout l'être des ChOS6S il la pensée sans mmi­fiel' 
l'être de ln pensée jusque dans 18 ne1'YtU'8 inerte da ce 
qui ne J1en~e pas. 
Co double mouvement propre au cogito moderne expliqua 
pourquoi le Il Jc pense lt n'y conduit pBS il l'évidence du c Je 
auis 11; aUMitôt, en effet, que le« Je pense» s'est montré engngé 
dans toute une épaisseur où il cat quasi présent, qu'il anime 
DulÏs sur le mode ambigu d'une veille sommeillante, il n'est 
pl,!!! poss,ible d'en faire su~vre ~'affirmation que '~e suis lt : 
PUU;-J8 dIre, en effet, que Je aUlB ce langage que le llarle et 
où ma pensée se glisse au point de trouver en lui le système 
de toutos SilS possibilités propres, mais qui n'existe pourtant 
que duns ln lourdeur de sédimentatioDS qu'elle ne seru jamais 
cal'lAb}o d'actualiser entièremenL7 Puis-je dire ~ue je suis ce 
travlul que je fais de mes mains, mais qui m échappe DOD 
8eulllment I?rsque je l'ai fini, mais avnnt même que jo l'aie 
entam~? Pms-je dire que je suis cette vie que je sens au fond 
de ,mOI, mnis qui m'enveloppe à la fois par le temps formidable 
qu ~lIe po'!sse avec soi ct qui me juche un instant sur sa crète, 
jais aussI. par le temps imminent qui me prescrit ma mort? 
e1 pelu x dire aUS5i bien l11le je suis et que le ne suis pas tout 
cle a'' e c-o gl' t0 ne cond m1-t- pas à une affinnab• on d'être, mal•S 
1 :uvre ~ustemllnt SUl' toute une série d'interrogations où il 
: ~est!on de l'être: que faut-il que je sois, moi qui pense 
qUI lUIS 1Dn perure. pour que je sois ce que je De penae pas,
336 
pour que ma pensée Boit co que je oe suis pas? Qu'est-ce donc 
que cet être qui scintille et pour ainsi dire clignote dao.a l'ou. 
ver Lure du cogito mais n'est pas donné souverainement en haï 
et pat lui? Quel ost donc le rapport eL la difficile apparteuance 
de l'être et de la pen~ée? Qu'est-ce que l'être de l'hornme et 
cODlWeot peut-il se faire que cet être, qu'on pourrait Bi aille­ment. 
caractériser par le fait qu' 1 il a de la pensée 1 ut que 
l'eut-être à lui seul il la détient, a un rapport inelTaçable et 
fondamental à l'impensé? Une forme de réUexion s'instaure 
fort éloibrnée du cartésianisme et de l'analyse kantierwe, o~ 
il ost questivn pour la première fois de l'i1tre de l'homme dans 
cet.te dimension lIelon laquelle ln pcnsélS s'adnstiso à l'impensé 
et 6'arLil~ultl sur lui. 
Ceci a deux conséquences. La première est négative, et d'ordre 
pUl·cmlmt historique. Il peut sembler quo la phénoménologie 
a joint l'un à l'autre le thème cartésien du cogito eL le moLÏi 
transcendantal que Kant avait d~.gagé de la critique de Hwue; 
Husserl aurait uinsi :ranimé la vocation la plus profonde do 
)a ralio oocidontale, Ja courbant Bur elle-môme en uno réUllxlon 
qui serAit radicalisation de Ja philosophie puro ot fondement 
de ]a possibilité de sa propre histoire. A dire vrai, Husserl n'a 
pu opérer cette jonction que dans la mesure où l'analyse t.rans­cendantale 
avait chang6 son point. d'application (celui-ci 61!'t 
trlln!lporté de ]0 pOllSibilil.6 d'une science de la nQtUM à la pos­sibilité 
pour l'homme de se power), et où le cogito avait modifié 
sa fonction (celle-ci n'est plus do conduire à uno existence apo· 
dictique, à partir d'une pensoe qui .'affame partout où elle 
pense, mais de montrer comment la pensée peut s'échapper Il 
elie-même et conduire ainsi à une interrogation m1ùtiple et 
proliCérante sur l'être). La phénuménologie est donc beaucoup 
moins )a ressaisie d'une 'Vieillo dostination rationnelle de 1'00' 
cident, q:.re le constat, fort sensiblo et ajusté, de )a grande rup­ture 
qui s'était produite dans l'dpÎaltfmà moderne au tournant 
du XVIUe et 'du xrx. siècle. Si cUo a parLie liée, c'est avec la 
découverte de la vie, du travail et du langage; ç'est aussi aV8~ 
cette ligure nouvelle qui. IOUS le vieux num d'homme, a surgi 
il n'y a pal encore maintenant deux siècles; c'est avec l'inter­rogation 
sur le mode d'être de l'homme et sur son rapport à 
l'impeosé. C'ost pourquoi la phénoménologie - même si elle 
s'est esquissée d'abord à travers l'antipsychologisme. ou plu­tôt 
dans la mesure même où, contre lui, cHe a rait resurgir ~e 
problème de l'a priori et le motif transccndantnl- n'a jamaIs 
pu conjurer l'insidieuse parenté, le voisina~ à la fois promeL­teur 
et menaçant, uvee les analyses empirique.,> sur l'homf!1ti 
c"est pourquoi aussi, tout en Il'inaUgurant pnr une réductloa
L',.ommt! Il' SM doulMs 337 
cogito elle ft toujoun été conduite Il des questions, il lG 
8"elllion ~ntologique. ~OU5 nos yeux, le P!oj~t phénom6nolo: 
~ ne cesse de so denouer en unc de.'!cnptlOn du vécu, qUI 
~Ju:mpirique ~nlgrê ~lle, et une ontologie de l'imponsé qui 
met hors circUit la pnmauté ~u. c Jo pense 1. 
L'autre conséplCnce est posItive. Elle conceme le rap'p?rt. 
d l'homme à l'unpens6, ou plU! exactement leul' oPr.nrltlon 
. °melle dans la culture occidentale. On a facilement 1 impl'Cs­l~ 
on 'à partir du moment où l'homme siest constitué comme 
~Ine ff,;ure positive 8ur le champ du savoir, le vieux privilège 
de la connai~saDce réfloxi,:e, de !a pens~ se ~~n~~t e1Jc-mêm~, 
ne pou,'oit manquer de dlsparaltre; malS qu 11 etmt pRr le rOlt 
m'I!me donné à u!,e pensée objec~Îve de parc,o,!r~r l'homme en 
80n entier, - quItte li y découvr~r ce 9,w prccl~cment D~ pou­vait 
jamois être donné lBS ré1lexJon ru même à sa conscience: 
des mécBnÎl!mes sombres, des détenoinatioDS sans figure, tout 
un l'nysf:'ge d'o~re ~e dire~em~t o!, Îndirecle1!lcnt on a 
fll'Pclé l'mconsclent. L mconSClent n est-il pus ce qw se donne 
nêcossairement à la pensée scientifique que l'homme applique 
Il lui-même lorsqu'il cesse de se penser dans la forme de la 
réOexion? En fait, l'inconscient, et d'une façon générale 1cs 
fonnes de l'impensê o'ont pas êté ]0 r6compensc aller te à un 
savoir pOIlitif de l'homme. L'homme et l'impeDli6 sont, uu 
niveau archéologique, des contemporains. L'homme n'a pas pu 
le des5Îner comme une configuration dans l'dpisMma, sans que 
). pensée ne découvre en m~me temps, li. la fois en soi et hors 
de soi, daos ses marges mais aussi bien entrecroisés aveo sa 
propre trame, une part. de nuit, une épaÏ!lseur apparemmont 
inerte où elle est. engagée, Un ÏJOpensé qu'elle contient de bout 
en bout, mais où aussi bien eUe se trouve prise. L'impensé 
(quel que soit le nom qu'on lui donne) n'est pas logé en l'homme 
comme une nature recroquevillée ou une histoire qui s'y scrait 
stratifiée, c'est, par rapport à l'homme, l'Autre: l'Autre fra­tomel 
et jumeau, né non pas de lui, ni en lui, mais à côté et ir 6m~me temps, ùans une identique nouveauté, dans une dua- 
.t SRDS recours. Cette plage obscure qu'on interprèle volon­tlllfS 
comme une région abyssale dans la nature de l'homme, 
o!, c?mme. une ~ortel'8S8e singulièrement cadenassée de sou 
~toare, t!'1 est liée sur un tout autre mode; eUe lui est. à la 
1~1I cxténeur~ et indispensable: un peu l'ombre portée de 
pa 0ë'de sur~~5ant dans le savoir; un peu la tache aveugle à 
pe r ~ e qU~l il est possible de le conuattre. En tout cas, l'im- 
1'0 l1IIe a 8C":l li l'homme d'8ccompapement sourd et ininter­dor; 
J;t ~e~ws le JUXe l!i~c1e. Puisqu'" n'éta~ eu somme qu'un 
e Insistant, il n'a jamais éû rétlêchi pour lui-même Bur
338 Lu mof8 et la COOIlB/J 
UD modo autonome; de ce dont il étalt l'Autre et l'umbre il a 
revu la forme complémentaire et le Dom inver!!é; il a ét.6 'l'An 
~Wa en face du Für ~ich, dans la phénoménologie hégélienne' il 
8 ~té l'Unbewus8t' pour Schopenl1auer; il a Hé l'homme Illiluê llour Marx; dana les anfllylles de Husserl, l'implicite, l'inactulll 
o sédimenté, le non-effectué : de toute façon, l'jnépuisahl~ 
doublure qui a'olYre au lavoir réfléclù COlllmll lu projection 
brouillée de ce qu'est l'homme eo Sil vériLIJ, mail qui joue ausai 
bien le rôle de fond préalable à partir duquel l'hommo doit. 
ae rassembler lui-même et. Be rappcler jusI!u'à IIll vérité. C'est. 
que ce double Il bei/u être proche, il est. étranger, et le r61e do 
la pensé", lion initiative propre, 8era de l'approcher BU plui 
près d'elle-rnême; t.oute la peDsée moderne est traversée pal' 
la loi de penser l'impeusé, - de réll~chir dans la forme d" 
Pour-soi lus contenus de l'En-soi, de déSllliéner l'homme en 10 
réconciliant avec Ba propre essence, d'expliciter l'horizon qui 
donno aux expêrienees leur arrière-fond d'évidence immédillte 
et désannée, de lever le voile do l'Inconscient. de s'absorber 
dans BOn silence ou de tendre l'oreille vers Bon murmure ind6- 
fini. 
D8D9l'expérienee rnodeme,la possibilité d'instaurer l'homme 
dans un sa ... ·oir, la simple apparition de cette figure DouveUe 
dans le champ de l'~pütémè, impliquent un imp{:rati( qui hante 
la pensée de l'intérieur; peu importe qu'il lioit monuayé ~OUI 
les formes d'une morale, d'unt: politique, d'un humawsme. 
d'uD. devoir de prbe en charge du dllStin occidental, ou de la 
pure et simple cOJlllcieoce ù'accomplir dans l'histoire une tâche 
de fODctionnaire; l'esllenlie), c'est que la pOllHbe lIoit pour elle­meme 
et ùaoel'épaissour de son travail r. III fois savoir el moùi· 
fication de ce qu'elle sait, rlillexion et transformation du 
mode d'être de ce sur quoi eUe réOéchit. EUe fait aussitÔt bouger 
ce qu'elle touche: eUe De peut découvrir l'impensé, ou du 
moiDs aller ùans sa direction, sans l'approcher aussitÔt de soi, 
- ou peut-être encore sa ns J'éloigner, sans quel' être de l'homme, 
en tout cas, puisqu'il se déploie dans cette d Îstance, ne se trouve 
du fait même altéré. Il y a là quelque chose de (Irofondéme~t 
lié li. notre modernité: en dehors des morotle! religieus6S,l'Occl­dent 
n'a connu sans doute 'l'le deux fonnes d'éthiques: l'an­cienne 
(sous la forme du stotcisme ou de l'épicurisme) s'articu­lait 
Bur l'ordre du monde, et eD en décou.vrant la loi, ~Ue 
pouvait en déduire le principe d'u.ne 5agt:s~e ou unec:oneep?on 
de la cité: même la pel15ée politique ÙUXY lUe siècle appartleJl~ 
encore à cette forme séoéru)ej la moùerne en revlinche ne for· 
mul~ aucune moral" daus la mesurtl où tout wlpératif est lôg~ .1 
l'intérieur de la penlée et de aon mouvement pOUl' resSBlSlt
339 
l,u' ope ns~.. ,., c'est l.a ré'fle xion,1 c 'cat]a1 priae •d e Lco.n.s cience, •c 'ut l'61ucidotion du 8~lellCleUX, a paro ,6 reatit.uv~ u.. ce ,CJ)JJ est 
Jlue t • 10 vellue autour• de c•eUe• par•t d o•mbr•e qu I retire 1 homme• 
Il l 'même c'est U leanunatJon de 1 Inerte, c est tout cala qw 
Ult','tue ,; floi laul lQ contenu et 1. fonne de l'éthique. La 
COll!! ,.. .. d' • 
lI~e moderne n a lllm81a pu,. 1re vrin, proposer une 
rel ""le' mui.la raison n'en ell pa. qu'elle est pure spéculation; 
tmouu. t~ B.U coutr81•J '8, e1 1 e ellt. d' entrv.. e de 'le u, et. d ans S8 propJ'8 
ê atÏascur un certain mode d".clion. Lai~sODS parler ceux CJUÏ 
~citent l~ pensée llaort.ir de sa ntruite et la formuler sea choIX; 
luis80ns luire ceux qui veulent, hon de toule promesse et en 
l'Ilbsence de vertu, conBtituer une morale. Pour la pensée 
1l1Oderne, il D'Y 8 pal de morale possible; car depUÏli le XIX· aiècle 
III pensée cst déjà 1 lortie 1 d'clle-mAme en SOIl être propre, eU. 
Diest plUB théorie; dès qu'elle ponlle, elle blll8l!e ou réconcilie, 
elle rapproche ou éloigne, elle rompt, elle dissocie, elle noue 011 
renouei eUe nc peut .'empêcher de libérer et d'asllcrvÏ1'. Avant 
même do prescrire, d'esquisser un futur, de dire ce qu"i! faut 
'aire, avant. même d"exhorter ou seulement d'alerter, lu pensée, 
lU ras de 60n existence, dès S8 forme la plu8 matinale, est. en 
elle-même une action. - un acte périlleux. Sude, Nietzsohe, 
Artaud et BIlt.1ÙlIe ront lU pour tous ceux qui voulaient l'jgno. 
rer; mais il est certain aussi que Hegel, Marx et Freud ]e 
lavajent. Peut-on dire que l'ignorent, en leur profonde niaiserie, 
ceux qui affirment qu'il n'y • point de philosophie sans chois: 
politique. que toute pensée tliit • progressiste» ou c réaction· 
naire -1 Leur sottise est de croire que toule pensée 1 exprime 1 
l'idoo)ogie d"un6 cl&llse; leur involontaire profondeur, c'eat 
qu'ils montrent du doigt le mode d'être moderne de 1. pen· 
.h. A la superficie, on peut dire que la cOlUl8illllance de 
1:~lommcJ à lu diJJêrence dOB Bciences deI. nature, est toujoun 
lIee, ~6me sous sa forme la plui indooise, ft des ét.hiques ou il dëa 
~OLil.jques; plus fondamentalement, ]a r,ena6e moderne ."avaDe, 
ana cette direction où. l'Autre de 1 homme doit deveoir l, 
M~me que lui. 
VI. 1.8 RBCUL BT "B BBTOUR DB L'ORIGINB 
1,. Le dernier trait qui caractérise lIa fois le mode d'être d, 
ODUne et la réOexi",n qui I"adrealie , lui, c'est le rapport ft 
qU~ 1 En"" lei deux, le I/Iument bnUm fl.IlL chllmière : c'e.ll. découverte 
"qui ':t'UJJet,1 el n ~lIt qu'li elt raJsoWlsble,le dUADIi Uul-w~me 511 propre 101 
e 0 UIUVert;eUe.
340 
l'origine. Rapport Lroe différent de celui que la pensée classi Ue 
o8suyait d'établir duns ses genèses idéales. Retrouvor l'ori~ne 
au xvm8 siècle, c'étnit se repInce!, au plus près du pur Cl simple 
redoublement de ln représentatlOn : on pensait l'économie à 
partir du troo, puree qu'en lui les deux représentations quo 
chacun des partenaires sc laisait de sa propriété ct de celle do 
l'autre, étaient équivalontes; offrant la satisfaction de deux 
désirs presque identiques; elles étaient, cn somme, c pareiUes. 
On pensnit l'ordre de la nature, avant t.oute catastrophe, comm~ 
un tablcRu où les êtres se seraient suivis dans un ordre si seM 
et sur une trame si continue, que d'un point b. l'autre de cet.~ 
8uccession, on se serait déplae€! Il l'intériour d'une quasi-iden­tité, 
et. d'une ex.trémité à l'auLre on oUl'Qit été conduit par la 
nappe lisse du« pareil •• On pensait l'origino du langage, comme 
la transparence entre la représentation d'une chose et lareprê­aenlation 
du cri, du son, de la mimique (du langage d'actIon) 
qui l'accompagnait. Enfin l'origine de la connaissance étuit 
chercMe du côté de cette.suite pure de représentatioDS, - suite 
ai parfaite ct si linéaire que la scconde avait remplacé la pre­lDÏùro 
suns qu'on en prIt conscicnoo puisqu'elle ne luiétait.pas 
simultanée, qu'il n'était pns po~sible d'établir entre elle8 deux 
une diOérence, et qu'on ne pouvait éprouver la suivante autre­ment 
que Il poreille Il à la première; et c'est Beuloment.lorsqu·une 
sensotlon apparaissait, plus «pareille JI à une précédente 'JUe 
toutes les autre!!, que la réminiscence pouvait jouer, l'imagina­tion 
représenter à nouveau une repréiOentation et la connois­sance 
prendre pied en ce redoublement. Peu importait que 
cette nai8!lance tilt considérée conuoe fictive ou réeUe, qu'ello 
ait eu valeur .d'hypothèse explicat.ive ou d'événcmcnt histo­rique 
: à dire vrai ces distinct.ions n'exi8tent quo pOUl' nousi 
dan'll une pensée pour qui le développement chronologique 80 
loge à J'intérieur d'un tabJeau, sur lequel il ne constitue qu'un 
parcours, le point de départ est b. la fois hors du temps réel, et 
on lui : il est ce pli premier pal' lequel tous les événement.s 
historiques peuvent avoir lieu. 
Dans la peruléo modame, unc telle origine n'est plus conr.e­vable 
: on a vu comment le travail, ]a -vie, le langage avaient 
acquis Jeur historicité J,roJlT'C, en laquelle ils étaient enConcé5 : 
ils ne pouvaient donc jamais énoncervéritab]ementleur origine, 
bien que toute leur histoire soit, de l'intérieur, &:Olnme pointée 
vers elle. Ce n'est plus l'origine qui donne lieu 1l1'hisloricil6; 
c'est l'historicité qui dans sa trame même laisse S8 profi1er ]11 
néc68Sité d'unc origine qui lui serait à la {OiB interne et. étrou­gàre 
: comme le sommet virtuel d'un cône oia toutes les diffé­rences, 
toutes les dispersions, toutes les djllcontinuités seraient;
L'homme el BU doubùs M1 
rrées pour ne plus former qu'un point d'identité, l'impol­rell~ 
ie figuro du _Même, oyant pouvoir cependant d'éclater sur 
F, t. de dOVOlllr autre. 
aOL~Jj(llDme s'est. con~titué au début du XIX8 siècle en corréla­t' 
n oveo oCS historicités, avec toutes ces choses cnveloppées 
10 ellcs-mômes et indillunnt, à travers leur Malement mais 
sunrr leurs lois propres, l'] 'd ent'lté m- 8CC6,';S ihl e d~ elur "orlg tDe. 
~ourtant ce n'eBt pas sur le même mode que 1 homme a rap-téo 
rt à so~ origi~~, ~te~~ qu',en ~et~'ho~me !le 8& découvr~ que à une historlelte deJà ffute : 11 n est JamaIS contemporam de 
cette origine qui à traverlle temps des choses s'elquuse en Be 
dérobant; quand il etlliaie de se définir comme être vivant, il ne 
découvre 80n propre commencement que sur rond d'une vie 
qui elle-même a débuté bien ,av!,nt,lwi quand ,il essai" de se 
restioisir comme ~Lre au travail, 11 Il. en met au JOur les (ormes 
les plus rudimentaires qu'à l'intérieur d'un temps et d'un 
espace humains déjà. institutiolUUll.isés, déjà maltrisés par la 
société j et quand il essaie de définir son essence de sujet parlant, 
en deçà de toule ]angllo etreetivement consti~uéê, il ne trouve 
jamais que ]0 possibilité du langage déjà. déployée, et non pas 
]e balbutiement, le premier mot à partir de quoi toutes Jes 
lan~es ct le langnge lui-même Bont devenus possibles, C'est 
touJours sur nn fond do déjk commencé que l'homme peut 
penser cc qui vaut pour lui comme origine, Celle-ci n'est donc 
pas du tout pour lui le commencement, - une sorte de premier 
matin de l'hinoire à partir duquel se seraient entassées les 
acqui~itions ultérieures, L'origine, c'est beaucoup plus tôt la 
Illunièrc dont l'homme en général, dont tout homme quel qu'il 
Boit, s'articule sur le déjà cOIDDlencé du travail, de la vie et du 
lungage; elle est à chercher dans ce pli où l'homme travaille en 
toute naïveté un monde ounagê depuis des millénaires, vit 
dlillS la fratcheur de Ion existence unique, récente et précaire, 
u~e vie qui s'emonee jusqu'aux premières formations orga­niques, 
,compose en phrases jamais encore dites (même si des 
géné~tlOns les ont répétées) des mots plus vieux que toute 
mémOIre, En ce sens le. niveau de l'originaire est sans doute 
pour l'homme ce qui est le plus proche de lui: cette surface ql1'il 
tarcourt innocemment, toujours pour la première fois, et sur 
,aquelle scs yeux à puine ouverts d6couvrent des figu.res aussi 
le1.1nes que sou regard, - des figures qui pas plus que lui ne 
peUvent avoir d'âbre, mais pour une l'oison inversa: ce n'est pas 
parce 'JU'elles liont toujours aussi teunes, c'est parce qu'clles 
appartiennent à un temps qui n'a ru les mêmes mesures ni les 
:!~es fOl·~dements que lui. Mais cette mince surface de l'ori- 
Dire qui longe toute notre existence et ne lui fait jamais
342 
défaut. (paa même, surtout pns .l'im!tant. de la mort où eU. Be 
découvre au contraire comme Il nu) n'est. pas l'immédiat d'une 
naissance; elle est toute peupléo de ces médiations comploxes 
qu'ont iorroées et. déposées dans leur bistoire propre le travail 
la vie et le langage; de 80rte qu'en ce simple contact, dÙ!I I~ 
premier objet mauipulé, dèala manifestation du besoin le plll!! 
simple, à l'envol du mot. le plus neutre, ce sont tous les inter­mé, 
liai1'tls d'un temps qui le domine presque Il l'infini, «fUe 
l'homme sans le savoir ranime. Sans le savoir, mais il faut. bien 
que cela Boit. BI1 d'une certaine manière, puisque c"est par III 
que les hommes 8nt.rent. eo cOlDIDunication et se trouvent. dlUlS 
Je réseau déjà nou6 do lu compréhension. Et. pourtant. ce savoir 
e.'1t limité, diagonal, pnrLiol puiHqu'il est. entouré de toutll8 parts 
d'une immense ~gion d'ombr8 où le t.r!,~ail, la vie et. 10 lnngage 
eschent. leur vérité (et leur propre orJglDe) r& ceux mêmes qui 
parlent., qui existent et qui sont à l'ouvrage. 
L'originaire, tel que depuis la PlI8nomdlWlogio de rEspm, 
la pensée moderne n'a cessé de le décrire, est donc billu diffé­rent 
de cette genèlle idéale qu'avait tent6 de reconstituer l'Age 
classique; mais il est différent aUB5i (bien qu'il lui soit lié lIelon 
une corrélatioD fondamentale) de l"origin8 9.ui se dessine, duos 
une sorte d'au-delà ri:trospectil, à travers l'historicité des êtrello 
Loin de reoonduire, ou même seulement de pointer vera un 
8Ommet, réel ou virtu"l, d'identité, loin d'indiquer le moment 
du Même où la dispel'tiion de l'Autre n'a point encore jou6, 
l'originaire en l'homme, c'est ce qui d'entrée de jeu l"articule 
Bur autre chose que lui-même; c'est ce qui introduit dans son 
expérience des contenus et dlls formes plus anciens que lui et 
qu'il ne mattrise pas; c'eBt ce qui, eD le liant à dlls chronologies 
multiplr.s, entrecrois6es, irréductibles souvent les UDes aux 
autTes, le disperse à travers le temps et. l'étoile au Illilieu de 
la durée des chOSeB. Paradoxalement, l'originaire, en l'homme, 
D'annonce pas le temps de SB naissance, ni le 1l0)'liU le plu» 
ancien de BOn expérience: il le lie à ce qui nia pas le mêwe temps 
que lui; et. il délivre en lui tout co qui ne lui est pus contem­poraio; 
il indique sans cesse et dans une prolifératIon toujours 
renouvelée que les choses ont commencé bien avant lui, el que 
pour cot.te même raison, nul ne saurait, à lui dont l'expérience 
est tout entière eonstituée et bornée par cel chose8, atilligner 
d'origine. Or cette ÏDlpQlIliibilité a eUe-même deux aspectlJ: elle 
eigni6e d'una part que l'origine de5 choses est toujours reculée, 
puisqu'eUe l'Cmonte à. un calendrier où l'homme ne figure pal; 
mais elle signifie d'autre part que l'homme, par oppositiol1. ll 
ces choses dont. le tomplllaisl:le apercevoir III naissance seint!l; 
Jante dana Bon épaissllur. 81t l'être &ans origine, çelui • qUI
L'/w.".. st lU dore"," 343 
, ni patrie ni date., celui donL la uaÏIIS8Dce n'esL jamais 
Da 88,ible parce que jamaill elle n'a eu c lieu •• Ce qui s'annonce 
.:. l'immédiat de l'originaire, c'esL donc que l'homme est 
~6pari de l'ori~l}e qui le rundrait. co~l.6m'por-din du lia propre 
xillt..ence : parmi toutes loe chO!ltIB qul n8JS!lent dans le tamils 
:, y meurent sans doute, il ost, séparé de toute origine, déjà là. 
Si bien que c'est en lui que les choses (celles-là même qU} le 
surplombenL) trouvont.loUl' commencement : plutôt que. Cica­trice 
manIuée en un Instant quelconque de la durée, il est 
l'ouverture à part~ d~ laquelle le temps en ~énéral peut se 
recoDstit.uer, la duree s écouler, et les choses faire, au moment 
qui leur est propre, leur apparition. Si dans l'ordre empirique 
1.,. choses 60nt toujours reculées pour lui, insaisissables en leur 
point zéro, l'homme se trouve fondamentalement en recul par 
rapport Il ce recul des choses eL .. 'es, par là qu'elles peuvent. 
lUI' l'immédiat de l'expérience origwail'e, faire peser leUl' solide 
antériorité. 
Unc tache 88 donne alors Il la pensée : celle de contester 
l'origine des choSD8, maïa de la contester pour la fonder, en 
retrouvant le mode lIur lequel B8 constit.ue la possibilité du 
temps, - cette origine BaDS origine ni commencement la part.ir 
de quoi tout peut prendre naissance. Une pareille tache implique 
que soit mis en question tout ce qui a~artient au temps, t.out 
ce qui s'cst. formé cn lui, tout ce qul loge dans son élémont 
mobile, de manière qu'apparaisse la déchirure SBDS chronologie 
e' BlIns histoire d'où provient le temps. CeLm-cl alon serait 
suspendu dans cette pensée qui pourtant ne lui échappe pas 
puillCJu'ellc n'est jamais contemporaine de l'origine; mais ce 
suspens Burait.le pouvoir de faire basculer ce rapport. réciproque 
dIS l'origine et de la pensée; il pivoterait autour de lui-même et 
l'origine devenant ce que la penllée a encore à penser, et. toujours 
~tI nouveau, elle lui aorait promise dans une imminence tou­JOurs 
plus proche, jamaÏ8 accomplie. L'origine est alors ce qui ilt en train de revenir, la rép6t.ition vers laquelle va la pensée, 
~ rutour ~e ce qui a toujours déjà commoncé, la proxiuiité 
d !,ne.lu!'l~ère qui de toUII temps a êclair6. A!nsi, UDe ~roi8iëme 
fOl8, 1 onglne se profile il travers le temps; mBIS cette loIS c'est le 
~ecÜI dans l'avenir, l'injonction que la pensée reçoit et se fait 
e e-même, d'avancer à pas de colombe vers ce qui n'a cessé 
~e la rendre ~ossible, de guetter devant soi, sur la ligne, tou­~~~ 
e]n retmt, de son horizon, le jour d'où elle est venue et 
ou e le vient li profusion. 
h ~u moment même oil il lui 6tait possible de dénoncer comme i lIIlèr~ 1es genèses décrites au XVUle siècle, la pensée moderne 
nstaurtnt une problématique d.l'origine fort complexe e~ fort
encbevêtr6e; cotte problématique a servi de fondement à nolm 
expérience du temps et c'est à partir d'elle que, depuis le 
XIX· siècle, 80nt né os toules les tentatives pour ressaisir ce que 
pouvaient être dans l'ordre humain, le commencement et. le 
recommencement, l'éloignement et la présence du début le 
retour et]a fin. La poru;ée moderne en efTet a établi un rapl:on 
à l'origine qui litait inverse pOUl' l'honune et pOUl' les choliln • 
elle autorisait ainsi - mais d6jouait à l'avuce et gardllit e~ 
face d'aux tout son pOl1voir do contestation -les ellorts positi­vistes 
pour insércr la chronologie de l'holDme à l'intérieur de cuUe 
dus ch,n;es, de manière que l'unit.6 du temps lIoit restaurée et que 
l'origine de l'homme ne fllt rien de plWl qu'une date, qu'un pli 
dans. la série l:lucC8!1sive des êtres (placer cet.te origine, et aveo 
eUe l'aPI,ar.it.ioD de la culture, l'aurore des oivilisutions dans 
le mouvement de l'évolution biologique)j eUe autorisait aUilai 
l'etTort invcrse et complémentaire ~our aligner 8010n la chro­nologie 
dB l'homme l'expérience qu'i] a des Ch0808, los connai .. 
80nces qu'il en a prises, 1811 sciences qu'il a JIU ainsi con!JLituBr 
(de sorte que si tous les commencements de l'homme ont leur 
lieu dans ]e temps dos obo8es, le temps individuel ou culturel 
de l'homme perIDot, 8D une gunèse psychologique ou histo­rique, 
de définir le moment 011 les choses rencontrent pour 
la première fois le visage de leur vérité); en chacun de ces doux 
alignements, l'origine des choses et celle de l'homme so subor­donnent 
l'une Il l'outre; mais le seul fait qu'il y ait deux ali­gllements 
possibles et irréconciliables indique l'asymétrie fon­dllJucntale 
qui caractérise la pensée modeme de l'origine. ne 
phl!, ceLte pensée fait venir en une dernière lumière et comme 
daus un joUI' essentiellement réticent, une certaine couche de 
l'originllire où nulle origineJ Il vrai dire,n'était présente,nwis 
ollIe temps, tians commencement, de l'homwe manifestait pour 
uno mémoire pDijllible le temps saos souvenir des choses; de 
111 une double tentation : psycbologiser toute cODIIBis!I8nce, 
qllello ql1'eUe soit, et faire de la psychologie uno sorte de science 
généralo du toutes les sciences; ou inversement décrire ceUe 
couc)le originairu dallB un alyle qui échappe à tout pOtiitivi5D1e 
de manière qu'ou puisse 11 partir de là mquiétor la positivité 
de toute science et revendiquer contre elle le earactère fonda­mental, 
incontournable de eetLe expél'ience. Mais on se donnant 
pour tàcllC de restituer le domaÎ11e de l'originaire, la pensée 
moderne y découvre austiitôt le recul de l'origino; et elle se 
propose paradoxnlement d'avancer daus la direction où ce re~ul 
.'accomplit et ne cesse do s'approfondir; eUe essaie de le f~lre 
apparattre dl l'autre côt6 de l'axpér.ience, comme ce qUI la 
loutient par SOD retrait même, comme ce qui est au plus proche
345 
d a poiltlibilit6]a plus visible, comme ce qui est, en elle, immi-e 
It. et li le recul de l'origine se donne ainsi dan, sa plua 
DeD de olBrtl:, n'Mt-ce pas l'origino elle-même qui elt délivréo 
~;"'onlll jUllqu'à soi dans la dynastie de SOD archal,me? C'est 
e ai la pensée modeme est vouée, de fond en comble, à la 
~ur:le préoccupation du retour, au sOlJci de recommencer, à 
eHe étrange inquié1.ude sur place qui la met en devoir de 
~ Hel' la répétition. Ainsi de Hegel à Marx el à Spengler s'est 
dfr,loy6 le .thème d:uno ~e!lSl:e qui p'a~ le.mounme,nt où e~le 
-'8ccomI,lit - totahté reJomte, resS8I~le Violente à 1 extrémlt.6 
~u dénull/lumt, déclin !!olaire - se courbe SUl' elle-même, illu­lIline 
S8 propre pl,'mitude, achève son cercle, se retrouve dans 
toutes lot; ligures étranges de son odyssée, et accepte de dispa­ruÎtre 
en ce mùme océan d'où elle avait jailli; à l'opposé de ce 
retour qui même s'il n'c~t pRS heure'lx est porfait. se dessine 
l'cxpêriellee do Hôldcrlin. de Nietzsche et de Heidegger, où 
le retour ne se donne que dans l'extrême r~cul de l'origine -là 
mi les dieux Ile liant dëtoumés, où ]e désert troit, où la 't~ n 
instalU, la domination de sa yolonté; d8 sorte qu'il ne 8 agit 
point. là d'un achèvement ni d'une courbe. mais plutôt de cette 
déchirure iJlcetlsaote qui délivre l'origine dans ln mesure m~m~ 
de lion retrait; l'extrême est alors le plus proche, Mais, que cette 
couche de l'oribrÎDairc, découverte par la pensée moderne dans 
le mouvement même où elle a inventé l'homme, promette 
l'échi:aoce de l'accomplissement et des pléoitudes achevées, ou 
restitue le viùu du l'originu - cului ménagé par lion recul et 
celui que croule son approche - de toute façon, ce qu'elle pres­crit 
de polltier, c'est quelque chose comme le & Même. : à tr<l­vers 
le domaine de l'originaire qui art.icule l'expêrience hwnaine 
Bur ]0 temps de la nature et do la yie, sur l'histoire, sur le passé 
sédimenté des cultures, la pensée moderne s'offorce ùe retrou­Yer 
l'honune en son identité - en cette plénitude 011. en ce 
r!c!l qu·i~.est lui-môme -, l'histoire et le temps en cetto râpé­tl~ 
llOn qu il!! rendent impossible mois qu'ils forcent li. penser, ct 
être en cela même qu'il est. 
~l pnr là, dan~ cette t;Acbe infinie do penser l'origine nu plus 
pres et au plUlllum de SOl, la pensée découvre-que l'homme n'est 
pHS .contemporain de ce qui le fail être, - ou de ce li. partir de 
q~Ol il est; mais qu'il est pris à l'inl.êrieur d'un pouvoir qui le 
~'SI'61'8e, ~e re~ire loin d8 sa propre origine, mais la lUl promet 
lUIS ~e ~lDcnce qui sera peut-être toujours dérobée; or, ce 
rOUvo}r .ne lw est pas étranger; il ne siège pas hors de lui dans 
~ I~emlé des origines éternelles el sans cesse recommencées, cel . :ilS l'origine serait eiJectivement donnée; ce pouvoir est 
Ul e son, être propre. Le temps _ mais ce temps qu'il est
346 
lui·même -l'écarte aussi bien du motin dont Il est i~,u que de 
celui qui lui est annoncé. On voit combien ce temps fondamllll­tal 
- cu temps à partir duquel le temps peut être donné à 
l'expérience - est dilTi!l'ent de celui qui jouait c.llllls la phi. 
losophie de la représentation : ]e temps alors disJ1er~nit III 
rcpré!;entatioii puisqu'il lui imposait la forme d'Wlc succossioD 
linéairej mais il appartenait à la représentation de lie resti. 
tuer à elle·mr,me dans l'imaginatioD, du se redoubler ainsi 
parraitement et de mattriser le temps; l'image permettait de 
reprendre le temps intégralement, de ressaisir ce qui avait ét~ 
concédé à la BUCCfll'l.'1ion, et do bâtir un savoir aUllsi vrai que 
celui d'un entendement éternel. Dans l'expérionce moderne 
au contraire, le retrait de l'origine est plus rondamentnl que 
toute expérience, puisque c'est en elle que l'expnrionce sein· 
tille et manifeste sa positivité; c'est parce que l'homrn~ n'est 
pas contemporain de lion être que les ehos&..'1 viennent ~e donner 
ane Wl temps qui leur est propre. bot on retrouve ici le thème 
initial de la finitude. Mais cette finitud" .JUi était d'abord annon· 
cée par Je surplomb des choses sur l'hoDame - par le fait qu'il 
était dominé par la vie, par l'histoire, par le langage -appa· 
raît maintenaDt à un Diveau plus fondamental : elle est 1" 
rapport ÏJlsunnontable de l'être de l'homme au temps. 
Aim;i en redécouvrant]a finitude dans l'interrognlionde l'ori· 
gine, la pans6e moderne referme le grand quadrilatère qu'elle p 
commencé à deflsiner lorsque toute l'iputémè occidentale :1 
basculé ft Ja fin du xyme siècle : le lien des positivitts à ]n 
:finitude, le redoublement de l'empirique dans le transcendantal, 
Je rapport perpétuel du cogito il l'impensé, le retrait et ]e retour 
de l'origine définissent pour nous le mode d'être do l'homme. 
C'est sur l'analyse do ce mode d'~treJ et non plus sur celle de 
la représentation que depuis le xrx8 siècle la réflexion cherclll" 
à fouder philosophiquement ln possibilité dIt snvoir. 
vu. J.B DISCOURS ET L'tTBB DE L'nOMME 
On peut remarquer que ees quatre segments théoriques (ana· 
lyses de )a finitude, de la répétition empirico.t.ramcendantale, 
de l'impensé et de l'origine) entretiennont un certain rapport 
avec les quatre domaines subordonnés, qui, tous ensemble, 
constituaient à 1'~poqU6 classique la théorie générale du lan­gage 
1. Rapport qui ost, ou premier regard de restiemblonce l'!t 
1. Cf. 8upra. p. 131.
L'homme et 8U doublu 
! étrio, On Sft souviont que la théorie du Pero. expli­d: 
aiicommonl le InDWI~e pouvait duhorder hors ~e lui-~êrne 
~, .. lIirlllcr l'être, - CClll duos un, mo~'ement. qU! a~~ul'8lt on 
tour l'I~tre même du Inngnge, p'uisqu il ne pOUVRIt. 6 mstaurer 
:~ ouvrir 501& e!lpace que là 01'1 al Y avait. déjà, DU moins 80US 
1 ne forme t'I!crète, le verbo 1 être li; l'anlllyse de la (ini.tutùJ 
~xplillllC do la mème façon comment l'être de l'homme se 
trouve dlil.r.rrbiné par des po!litivitês qui lui sont. extll~eures 
ct qui le lient il l'upaisllcur des choses, mai." comment en retour 
1)'08t. l'être fini qui donne il toute détermination ]a po!lsibilité 
d'Ilpparnttl'c dans 611 vérité posit.ive. Tandis que la théorie de 
1'.jrtieliWion momrait de quelle manière pouvait se faire d'un 
Stlul t.enallt ln découpe dol' mou et des choses qu'ils représen­ttlnt, 
J'anlllyso du rdtlo"b~ment empirico-'ransoerulantal mOlltre 
t.'omment !Ill corre!'IlOodl'lnt. on une oscilla Lion indéfinie ce qui eBt 
dunné dAn!! l'expr-riBollB et 00 qw rend l'expérience pO!isible. 
La recherr.lll~ nl1!! d;,siiRIJtiOnA prcmiill'l'ls du langage (aisuit jaillir, 
311 coeur le plu!! ~ile'16iellx des mots, da.,> syllnbn.", des SODS oux­mt 
me!', lIne 1'f:p~('ntut.ion cn sommeil qui en formRit comme 
l'l1me ouhli"" (ct qu'il fallait. faiM revenir 8U jour, foire parler 
el. chall1er de nom'cau, pour une l'lus grande juste.clse de 1. 
I,ensée, pour lin plus merveilleux pouvoir de la J1o~n"ie); c'est 
slIr lin mode unalngue 'I"e pour la réflexion moderne l'épRis­,; 
eur inerte de l'iml'en3é est toujours habitée d'une certaine 
mAnière rar un cogil.o, et que cette pcnllée assoupie dans ce 
qui n'e~t pas pen~ée, il fHllt l'animer 11. nOllvcau et la tendre daos 
)R ~o ... veraillel.é du <II je Jlense Il. Enfin, il y avait. dans la réflexion 
clA~slque sur I~ langage une t.hllorie de la t16rivation: ello mOIl­traIt 
eO,"11I01lt le langttgu, dès Jo début. de son hifitoire et peut­être 
dallS l·j~,~la."l cie Ron origioB, 8U l'0intmllmooi! il se met.Lait. 
li l'arler, glll'Salt dllu~ l'lin I!ropre espnllO, tournait lIur lui­bJrm. 
e ell l'~ délourmmt de sn rcpré.~enlRt.ion premiilro et ne 
11O~:nt ses mot.~, m/'!mu ]cs rlll~ nMiens, 'lue déployés déjà 
tout 811 101l!.:' des figures dc ln rhétorique; à cette analyse cor­rL::; 
J1o~d J'clIort J'onT pen."er une origine qui Mt toujours déjà 
cJ,",rllhl~p., l'our lS'av;R('.er clnns cette direct.ion où l'être del'homma 
l'~t. ,tfllJjOlUS tunu l'or rnpJlort à lili-même, daosl1n éloignement 
"l, I~) lJUIJ di~tflnce qlli le cOI1!!tituent. 
1 Mrnl~ ce jcu db correllpnlld'lIlct'!S ne doit pas faire i]lusion. Il 
le uut p .... l'n· l' 1 l' .1 d' , ; ... Ii Ulglner 'lllt' una y56 c a!SMf}ue uU ISCOUrs s"'llt 
PUlIl'!llUVle ~. D" d'li . ] â ' ü 1 . "a ~ mo '1(;at'OI1 à travers es .... ~ Cil S apI' quant 
SI'IJ enteut fi 1 l' .,.- 
hl' t " • un nouve 0 )Jet; q Ile ln rorce de quel'l'le pesaDteur 
lif)~1 ItOi I~'I'" l.I.e ' l" 8 " • lnflmtelllie en son ulenulc, malgré tant de mu la-u' 
• OI~IIIIlS. En fait, lus qUlltro sULYlDcnls Lhéorj(lucs qw des- 
~1/'iUl:llll'· d 0 elop(jce e la grammaire générale no 88 sont pail come ....
348 u. mots ee 188 ohos" 
"és : mois ils sc lIoni dissociês, ils ont cbang6 de fonction et 
do niveau, il!! ont modifié tout leur domaine de validité lorsqu'à 
]a fm du xvm8 siècle la théorie de la repr6sentntion Il disparu 
Pendant l'âge classique ]a grammaire générale avait pou; 
fonction de montrer comment à l'intérieur de la chaine 8ue. 
cessive des représentations pouvait s'introduire un langage qui 
tout. eu se manifestant dans ]a ligne simple et absolument t~nu~ 
du discours, supposait des formes de simultanéité (ailinnatioll 
des exi~tcnce6 et des coexistences; découpe des choses reprë. 
senlées et formation dei généralités; rapport originaire et. mef. 
fuçable des mots et des Ch06eSj déplacement des mols dons 
Jeur espace rhétorique). Au contraire l'analyse du mode d'être 
de l'homme telle qu'elle s'est développée depuili le XJ",e siècle 
ne se loge ros li. l'intérieur d'une théorie de la repr~8entationi 
sa tâche, 0 ost tout au contraire de montrer comment il se pout 
que les choges en g6néral 80ient donn6es 11 la l'eprllsentution, à 
quelles conditions, SUI' quel sol, dans quelles limites eUes peuvent 
apparattre en une positivité plus profondo que ]ca modes divers 
de la perception; et CIl qui 86 découvre alors, dans cette coexis­tence 
de l'homme ct des choses, li. travers le grand déploiement 
spatial qu'ouvre la représentation, c'est la finitude radicale 
de l'homme,ln di~persionqui àla fois l'écarte de l'origine etlalni 
promet, la distance incontournable du temps. L'anulytique do 
J'hoDWle ne reprend pas, teUe qu'elle a été constituée ailleurs ct 
que la tradition la lui a livrêe, l'analyse du discours. La pré­lence 
ou l'absence d'une théorie de la représentation, plU!! 
exactement 1., çaractère premier Ou la position dérivée de cette 
théorie modifie de Iond en comble l'équilibre du système. Tant 
que ln représentation va de soi, comme élément général de ]a 
pensée, la tMorio du discours vaut à la IoÏti, et dans un seul 
mouvement, comme fondement de touto grammuire possible ct 
comme théorie do ]a connaissance. :Mais dès que disputait le 
primnt de la représentation, alors ]a théorie du discours se 
dissocie, et on peut en rencontrer la forme désincarnée et méta­morphosée 
11 deux niveaux. Au niveau empirique, lell quatro 
segments constitutirs se retrouvent, mois la fonction qu'ils 
exerçaient est entièrement inversée 1. : là où on analysait 10 
privilège du verbe, son pouvoir de faire sortir 16 discours do 
lui·m~me et oe l'enraciner dans l'être de la représentation. on ~ 
substitué l'analyse d'une structure grammaticalo interne qUl 
est immanente à chaque langue et la con"titue comme un.ètrO 
autonome, alors sur lui-même; de même la théorie des Jlwaons , 
]a recherche des loil de mutation propre aux mots remplacent 
1. cr. 'Dpra, p. 308.
L'homme 8t ~u rloublu 349 
, 1 se de l'artjculation commune aux mot. et aux choses; 
~ '~lorie du radical s'est substituée à l'analyse do ]0 racine 
• rÛlientllLivei enfin on a découvert la parenté latérale des 
JrtlP 'l'es III où on cherchoit la continuité sans Û'ontière des déri- 
IiDg· . • • r . . d votiODS. En d'autres termes tout ce qw avaIt onetl?nne aos 
la dimension du rapport entre Jcs choses (teUes qu ell~s sont 
repréllenwilti) et les mola (aveo Itlur valeur reprâentatlve) se 
trouve reprill à l'intérieur du langllge et. chargé d'aS!urer sa 
légillité inLerne. Au niveau dBS fondementl, les quatre segments 
de la th60rie du disco1!rs se retrouvent. e~core : conuue à râge 
cl1l8sique, ils lervent hlen, en cet.te analytique nouv~Ue de 1 èt.::e 
humain, li manifester le rapport aux choses; maJS ceUe (OJS 
la modilication est inverse de la précëdent.8; il ne s'agit plus 
de les replacer dans un espace intérieul' au langage, maia de 
la libérer du dOinaine de la représentation fll'intérioW' duquel 
ils étaient pris, et de les faire jouer dans cette dimension de 
l'extériorité où l'homme apparalt comme fini, déterminé, 
engAgé dons l'épaislleur de ce qu'il ne pense pas et soumis, en 
Ion être même, Il la dispersion du temps. 
L'analY80 clallSique du discours, Il partir du moment oà 
elle n'était plus on continuité avec une théorie de la représen­tation, 
s'ost trouvée comme fendue en deux: elle s'est, d'une 
part, investie dans UI1e conna!88&Dce empirique des fonnes 
grammaticalcs; et elle est. devonue, d'autre part, une ana­lytique 
de la finitude; mais aucune de ces deux translations 
n'a pu s'opérer sans une inv81'8ion totale du (onctionnement. 
On peut comprendre maintenant, et jusqu'à IOn (ond, l'in· 
compatibilité ~i rllgne entre l'existence du discours clàuique 
(1I1'?u>:ée sur 1 évi,dence non questionnée dola représentation) 
et. 18x1I;tence de 1 homme, teUe qu'elle est donnée à la pomée 
muder.ue (et avec la réOexion anthropologique qu'eUe auloris!) : 
q~el'luechosecommeuneanalytiqlledurnoded'dt.redol'homme 
n est devenue possible qu'une fois dissociée, transférée ot inver­aoe 
l'analyse du discours représentatif. On devine aussi par là 
que!le lDeD8CO fait peser sur l'être de l'homme ainsi dé6ni et 
sose, la l'~uppnrition contemporaine du laDgag~ dans l'énigmo 
e son umté et de son être. Est.-ce que notre tâche à venir est de :?US avancer vers un mode de pensée. inconnu jusqu'à ~résent 
d ~ns a<!lre. culture, et qui permettrait. de rélléchir à la fOIS, !lBas 
) IllconbawLê ni contradiction, l'être de l'homme et l'être du 
Jl~;~g~? - ct dans ce cas. il faut cunjurer, avec les plus grandes 
ai ue ~ 100:', ~ut ce qui peut êLre retour naIt Il la théorie clas­es1 
d'a ~d iscours (l'ctour dont la tentation, il laut. bien le dire, 
peaaer ~'ê:t ph~ ~nde qu.e nous sommes bien désarmés pour 
nt BCUllillanL lIUU5 abrupt du langage, alors que la
350 
vieille théorie de la représentation est là, toute constituée qui 
noull offre un lieu où cet être pourra se loger et Be di!!souche en 
un pur fonctionnement). Mois il se peut aussi que soit àjamnia 
exclu le droit de penser à la fois l'être du langa~ et l'être de 
l'homme; il se peut qu'il y ait là comme une inefTaçable béance 
(celle en laquelle justement nous existons et nous parlons) si 
bien qu'il faudrait renvoyer aux chimères toute anthropoldgie 
où il serait question de l'être du langage, toute conception du 
langage ou de la signification qui voudrait rejohldre, mani­fester 
et lib6rer l'être propre de l'homme. C'est P.,ut·~tre là 
que s'enracine le choix philosophique Je Illu& important do nolre 
êf.0que. Choix qui ne peut se {aire que danl! l'épreuve même 
d une réflexion future. CIU' rien ne peut nous dire à l'avanc:e de 
quel côt.6 la voie est ouverte. La seule chose que nous sochions 
pour l'instant en toute certitude, c'est que jamais duns la 
culture occidentale l'êt.re de l'homme et l'être du langngo 
n'ont pu coexister et s'al'lieuler l'un SUl' l'autre. Leur incompn­tibilité 
a été un des traits fondamentaux: de notre pensée. 
La mutation de l'analyse du Discours en une analytique dela 
finitude a cependant une autre con~équence. La théorie clas­sique 
du eibrne et du mot devait montrer comment les repré­sentations, 
qui se suivaient en ulle chaine si étroite ct si serrëe 
'1"0 los distinctions n'y apparaiuaient pas et qu'ellcs étaient 
en Homme toutes pareilles, pouvaient .'étaler en un tableau 
permanent do dilIérences stables et d'identités limitées j il s'agis­sait 
d'une genèse de la Différence à partir de la monotonia 
secrètement variée du Pareil. L'analytique de la finitude ft UB 
rôle exactement invor8e : on montrant que l'homme est déter­miné, 
il s'agit pour elle de manirester que le fondement de CIlS 
déterminations, c'est l'être mômo do l'homme en ses limites 
radicales; elle doit manifester aWlsi qllO los contenus de l'expé­rience 
sont déjà leuTS propres conditions, que la pamée hanle 
par avance l'impensé qui leur échappe et qu'clle est toujours 
en tâche de ressaisir; elle montre comment cette origine dpl.IL 
l'homme n'est jamais le contemporain, lui est il lu fois n:tlreo 
ot donnée sur Je mode de l'imminence: bref, il s'agit tOllJOU~ 
pour elle de montrer comment l'Autre, Je Lointain est a~~1 
bien 10 plus Proche et le Même. On est ainsi pn~sé d'IIDe réfleXIon 
sur l'OMO dos Dilférences (avec l'analyse qu'clle tlUPPOSO et 
cotte ontologie du continu, ceUe exigence d'un ètre pleul, !!811' 
rupture, d6ployê en sa perfection qui supposent une métaphy· 
sique) à une pen.<;oe du Même, toujoUl'li à conquérir sur 50.0 
contradictoire: ce qui implique (outre l'éthique dont 00 a ~RJ'ltl) 
une dialectique et cette forme d'ontologie, qui pour n'avoIr pus 
besoin dll continu, l'our n'avoir il réfléchir J'être q1le dmls ses
351 
r Cd limitées ou dans l'éloignement de lia distance, peut et 
0'1'1t1 se.. assor de me• taph ys'lq uO, Un 'Je u d1' 81 e ctl•q ue et une onto-dl 
01, I!a~s métaphysique s'appellent et se répondent l'un l'autre 
lia gtIroa vers la pense. c.l!'0 de ~e et tout. au ] ong de son, h"1 !I~Olre.: 
r clle est une pensee qUI ne va plus vers la formatIon lamaIs 
:bovée de la DifIérence, mais vers. le dévoilement toujou:-s à 
accomplir du Mê~e, Or, un tel dévoilement n~ va pas S~D~ l ~p-nrition 
simultanee du Double, et cet écart, 1I16me maIs 1I1Vln­~ 
il,le 'lui réside dans 1" « et Il du recul et du retour, de la pensée 
et de'l'impensé, de l'empirique et du traDScendantal, de ce qui 
~6t de 1'ordre de la positivité et de ce qui est de l'ordre des fonde­ments. 
L'identit.6 séparée d'elle-même daDli UIle distance qui 
lui est, en un sens, intérieure, mais en Wl autre ]a const.ituo, 
la répétition qui don De l'identique mais dans la forme do l'éloi­gnement 
sont tlaDS doute au coeur de cette pensée moderne à. 
1011ue11e on prête hAtivement la découverte du temps. En Cait, 
si on regarde avec un pau plU8 d'attention, on s'aperçoit que 
III pensée classique rapportait 10. p098ibilité de spatialiser les 
choses en un tableau, il cette propriété de ]0. pure succession 
représentative de se l'appeler ft partir de soi, de se redoubler 
et de constituer une simultan6ité il partir d'un temps continu: 
le temps fondait l'espace. Dans la pensée moderne, ce qui se 
révèle au fondement de l'histoÏ1'e des choses et de l'historicité 
propre Il l"homme, c'est )a distance creU8ant le Même, c'est 
l'écart qui ]e dispe1"!!e et le rassemble aux deux bouts de lui· 
même, C'est cette profonde spatialité qui permet à la pensée 
moderne dcpensertoujours]e temps,-de]e connaître comme 
succession, de se le promettre comme achèvement, origine 
ou retour. 
VIII. LB 8011111181L .A.NTBROPOI.OGIQUB 
Il L'anthropologie comme analytique de l"homme a eu, à coup i:' un rôle constituant duns la pensée moderne pu isque pour une 
d hUe part encore nous n'en sommes pas détachés. EUe était 
eV~nue nécessaire Il portir du moment où la représentation 
aVQlt perdu le pouvl)ir de déterminer à elle seule et dans un 
ii~:ne'!lent uniquo ]e jeu de ses synthèses et de Iles analyses. 
u :ut que les synthèses empiriques fussent assurées ailleurs 
'1 e daus la souveraineté du 1 Je pense 1. EUes devaient ê1ro
352 
re-IuisclI lb. où pr~oisément ceUe sOllvorainoté trouve III limite 
c'est-b.-dire dans III finit.ude do l'homme, - finitude 'lUi es~ 
autllü hion celle de la conscicnco quo celle do l'individu viVlUlt 
parlant, travaillant. Cola, Kant l'avait déjà fonnulé doru l' 
LOlliqr4~ lorllqu'il.ovait njout~ Il 50 ~rilogie. ~raditillnllclle un: 
ultIme mterrogutlon : les trOIs questions cntll}ues (quo puis'je 
lavoir? que dois-je laire? que m'est·il perDUI d'ellpérer?) ltI 
trouvent. nlors rnpportées à une quatri~me, et misel eo quelquo 
sorte' à Bon comptel: WtU ü& der MdlUc1& 1; 
Cette question, on l'a vu, parcourt la pensée depuis le 
début du Xlxe siècle : c'~st qu'elle opère, en sous-main et par 
avance, la eonru~ion de l'empirique et du transcendantal dODt 
Kant avait pourtant montré le partage. Par elle, une réflexion 
de niveau mixte S'811t constituée qui caractérise la philosophie 
moderne. Le souci qu'elle a de l'homme et qu'elle rovendlqt1e 
non seulement dans ses discours mais daus Bon pathos, 10 loin 
avec le({uel eUe tente de le défiuir comme être vivant, individu 
au travail ou lujet Jlarlant, ne lignaient que pour les belles 
Ames l'année enfin revenue d'un règne humain; en fait, il 
l'agit, et c'est plul }ll'O!laique et o'65t DIOinS moral, d'un redou­blement 
ompirico-critique par lequel on e88Bie de faire valoir 
l'homme de la nature, de l'échange, ou du discours comme le 
fowlemeut de 8a proprc finitude. En ce Pli, III Conction tmnscen­dantale 
vient recouvrir de Bon réseau impérieux l'espace inerte 
et gris de l'cmpiricitéj inversement, les contenus empiri'lllet 
l'animent, se redressent peu Il peu, S6 mettent debout et sont. 
Illbsllmés aussitÔt dans un discours qui porte au loin leur pré· 
lomption transeendnntale. Et voilà qu'en ce Pli la philosophie 
l'cst endormie d'un !IOmmeil nouveau; non plus celui du Dogma­tisme, 
mais celui de l'Anthropologie. Toute connai!Sance empi­rique, 
pourvu qu'elle concerne l'homme, vaut comme champ 
philosophique possible, où doit se découvrir le Eondement do la 
connaissance, ]a défmition de ses limites et finalement la vé~iLQ 
de touLe vérité. La configuration anthropologique de la phil!, 
lophie moderrl6 consiste k dédoubler le dogmatisme, à le réparlJt 
à deux niveaux dilIérenb! qui l'appuieut l'un sur l'autre et se 
bornent. l'wa par l'autre : l'analyse précritique de ce qu'et! 
l'homme en son essellce devient. l'analytique de tout ce qw 
peut 86 donner en gén6ral à l'expêrieuce del'howme. , 
POUl'réveiUcr III penllée d'un telsommeil-si pro(ond qu eUe 
l'éprouve paradoxalement comme vigilancc, taut eUe conrund 
la cil'Clllarité d'un dOgrDntisme Ile dédoublant pour trouve! ~ 
lui·même son propre appui aveo l'agilité et l'inquiétude dun- 
1. Kant, Logi" (U""kI, éd. Cauirer, 1. VIn. p. 343).
l .. 'lwmme et ,,, doublu 353 
é rlldloolement philosopllique -, pour la rappeler il ses 
pene'lité& le8 plut matinales, il n'y a pu d'auLre moyen que do 
poSSl '~jusqu'en tlel fondements le 1 qUlldrilntèru oothropolo­CI~ 
t"lI On liait bicn, en tout cali, que tous les elTorts Fur penser 
gJquev' eau ,'en l,reoneut précisément. b lui: soit qu'al s'ogts8e de 
l no.u - cr le cbam1l uulb ro pol og'IC JUe el, s 'arhmc 'nn"t u l UI' li. part.i r 
U'II,c.o rI' 'fi' 
d e qu'il i!nonc6, de retrouver une OlltO ogle pun lee ou une 
., c 1" h ' • ~ée l'IIdicale de être; 80lt encore que, mettant ors Clrcwt, 
pe~.... le plIychologi:nne et l'historicisme, toutes les formes 
ou...... '.1._ 1 • • d .' 
Crète. du préjugé I!UIoUl'OpO oglque, on essalo e remterroger 
lCllOl!l il imit.es de la pcnsu• c et.. d e renouer •• 1 • d' WUII avec. e. proJ.et une 
critique générale de III nIUion. Peut-êlre faudraIt-il VOir le pre­Jnier 
rJJorl ùe ce dérncinemeut de l'~throJXIlog~e, a~q."elsans 
doute est. vouée la pensée coutemponllue, danii 1 experlence de 
Nietzscbo : li travers une critique philologique, li travers une 
certaine fonu: de hiologisme, Nietzsche a retrouvé le powt où 
l'homme et Dieu s'apPl!rtiennent l'un ItauLre, où la mort du 
le(:ond ellt synonyme de ln dispariuon du premier, ct où la 
promesse du ~urhomme signifie d'abord et avant tout l'immi­nence 
de III JUort de l'homme, En quoi Nietzsche, nOU8 
proposaut ce futur Il III fois comme éclléance et comme 
1.licb6, Jnlirque le lIeuiJ à partir duquel la philosophie contem­poraine 
peut recoJUluencer li. penser; il continuera 8aDS doute 
]ungt~llpt; li tlurplomver BOil cheminement. Si III. découverte du 
Rt:Lour c:>' Lien Itl fin dl! Iii philusophie, la 6n de l'homme, elle. 
eetle retuur du commencement de la puüosoJlhie. De nos jours 
011 ne puut plus peWillr que dans lu vjde de l'homme disparu. 
CHr oe viùe ne creuse l'a~ un manque; il lie prescrit pas une 
IHcu~tI à cowLlcr. 11 n'CIlt rien de plus, rien de moins, que le 
dfpli d'uu espace où il cst. enfin à nou.veau possible de 
IleUler. 
L'An.thropologie constitue peut-être la disposition Condamen­tale 
'il!-' Il cununandé et conduit]a pen Bée philo80phiIJ.ue depuia 
Kant Jutl9u'à nOUB, Cette dillposition, elle est essentlell8 puis­: 
r'ell~ faIt partie de noue histoire; mnis eUe est 8D train de 88 
ISSOCler tIlWI nos yeux puisque DOUS commençons à y reCOD­mItre, 
Il y dénoncer sur un mode critique, b la fois l'oubli de 
ouvert~ qui l'a rendue possible, et l'obstacle -Wtu qui l'Op· 
pose obslJnêment k une pemée prochaine. A tous ceux qui 
;.eulent encore parler de l'homme, de son règne ou de SB h"béra- 1::D, à WWI ceux qui posent eIlcore des questions sur ce qu'cst 
po ODUne !'Il 80n essence, IL loUIi ceux qui veulent partir de lui 
tee lU av.oll' accès à la vérit6, à tous ceux en revanche qui 
~ onduuellt toute cOlUlai8Ballce aux vérités de l'homme lui- 
Ille. à tous ceux qui Ile veulent pa' formlÙÎl:iur JallS anthropo-
Lsa mati ct le, cl/DIu 
logiser, qui ne vllulcnt pas mythologi~er sans démystifier, qui 1. 
veulent pas penser anns penser aussitôt que c'est l'homme qui 
pense, à toutes ces formes de réflexion gauches et gauchies 
on no peut qu'opposer un rire philosophique - c'est.à.dir~' 
pour une certaine part, silencieux. '
CHAPITRE X 
Les sciences Tlumaines 
L LE TRlkDBE DBS SAYOIBS 
Le mode d'être de l'homme tel qu'ils'e8t constitué dan! 1. 
pensée moderne lui permet de jouer deux rOles : il est à la fois 
au fondement de toutes les positivités et présent. d'une façoo 
qu'on ne peut même pas dire privilégiée, dans l'élément des 
choses empiriques. Ce fait - il ne s'agit point là de l'essence 
en gënéral de l'homme, mais purement et simplement de 
cet a priori historique, qui depuis le XlXe siècle, sert de 801 
p1'C8~ êvident à notre pensée - ce fait est sans doute 
déci3if pour 10 statut à donner aux « sciences humaines _, à 
ce corps de connaissances (mais ce mot même est peut-être 
trop fort : disons, pour être plus Deutre encore, à cet ensemble 
d~ d~c?urs) qui prond pour objet l'homme en ce qu'il a 
demplMquo. 
La première choso ft constater, c'est que les sciences humaines 
n'oot pas reçu en Mritnge 1Ul cortain domaine déjà dessiné, 
nrpenté pcut-Ôtre en son ensemhle, mais laissé en friche, et 
qu'elles .a1li'!licnt eu pour tâche d'élaborer avec des concepts 
enfin sCIent.lfiques et des méthodes pOsitJV8S; le XYlUQ siècle he le~r Il pas tmnsmis SOU9 le nom d'homme ou de nature 
llmtne un e.~pnce circonscrit de l'extérieUl', mais encore vide, 
CJu~ eUr rôle e(Jt Hé ensuite de couvrir et d'analyser. Le champ 
:r~3témolo.gique que parcourent les sciences humaines n'a pas 
t' prescrit b. l'avance: nulle philosophie, nulle option poli­nIJl';: 
ou mO",!le, nulle science empirique quelle qu'elle s.oit, 
d~ l;·obse.rvn~lon du corps humain, nulle analyse de ln sensation, 
llVIl~II.~lOntl0n ou des passious D'a jamais, au XVIIe et au 
l'homm5JeC~O, _ren~ontri quelque chose comme l'homme; car 
t.ravail)~ n iXI!!~'t pas (non plua que la vie, le ]angnge et le 
,et es SCiences humaines ne Bont pal apparues lorsque,
35t1 Les mots et 1('3 chose.· 
80US l'efTet de quelque raLionalisme preltsant, de quelqllc pro 
blème scientilique non rÜliolu, de (1Ilelll'10 inlérôt. J1rn1.Î'111 • 
OD .'est décidê il loiro puStlcr l'homme (bon lolli:, mal gré, :t 
avec plu$ 011 moins de SUCcèll) du côLé des olJjeh !lcil!ntifiql1tlll 
-,au no;nbre desquels il n'tlst. peut-~lro l'as prOllYe cnr.1J1'& 
'I" on pUIsse ab"olllmenl, 10 ronger; cHes sont "pparues tlu jour 
où l'homme 8'e"t constituû dllRlS III culturo occidflhtule à III 
fois comme ce qu'il faut prn!'er ot ce qu'il y a à 8llvoir. Il ne 
fnit pas de doute, certes, que l'émergence hisLol'Ï'llJo de chncune 
des scienCe!! hwnllines so soit fnite il l'occasion Ù'Wl prohlt~rlle, 
d'une exigence, d'un obstacle d'orriro théorilillo ou prnti'1'1e" 
il Q certainement. fallu les nouvelles norme,<; quo ln soci{~l.é inuus: 
trieUe Q imposées aux individu!! pour 'Ille, lentement, nll COllrs 
du lUXe siècle, la Pllychologie se const.lt.ue comme Rci~nr.ej il Il 
aussi fallu SBII8 doute les mcnaces qui depuis ln Révolution onl 
pesé sur les équilibres sociaux, et sur celui-là même 'lui avalt 
ÏRstaur6 la bourgeoisie, pour qu'apparaisse une rMlcxion de 
type sociologique. Mais ai ces références peuvent hien expli­quer 
pourquoi c'est bien en telle circonstance détenninée et 
poUl' répondre Il teUe queslion précise que ces sciences se sont 
articulées; leur possibilité intrinsèllue, le fait nu que, pour la 
première foia depuis qu'il exiaLe des êLres humains et qui vivent 
en société, l'homme, isoI6 011 en groupe, Boil devenu objet de 
science, - cela ne peut pas Otre considéré ni traité comme un 
phénomène d'opinion • 'l'est un év(memcnt duns l'ordre du 
lavoir. 
Et cet 6vénement Il'est lui-mftme produit dans une redi~lri­bilLion 
géDurale de l'ipûMmè : lorsque, quiLlaD1.l'espace de la 
représentat.ion, les êtres vivants se 80nt logés dllll5 la profon­dour 
spécifique de la vie, les richesses dons la pouHBée progres­sive 
des Cormes de la production, les mots dans le de .. "enir des 
lnngages. n éLait. bien nécessaire dons ces condit.ions que la 
connaissllnce de l'homme apparaisse, en sa vis68 scient.ifique, 
comme oontomporawe et de même grain que ln biologie, l'él:o­namie 
et la philologie si bien qu'on a vu en elle, tout Dat.Ul'GUo­ment, 
on des progrès les plus déciliiCs laits, dans l'hist.oire de la 
culture européenne, par la ratioDali1.é empirique. Mois puisqu'~11 
mbne temps la théorie générale de la représentation dispar8l1!­lait 
et que s'imposait en retour la nécetillité d'intcl!~g~r"l'êt.r8 
de l'homme comme fondemont. de toutes les pnSltlvlles, UJl 
déséquilibre ne pouvait pns manquer de Ile produire: l'J!omma 
devenait ce à partir de quoi toute connajsl'auee pOUVt"t .ê",,! 
constituée en Ion évidence immédiato et non problém!'tI!~, 
il devenait, a fortiori, ce qui Butorille la millo en q1~est.&,!n hie 
."ute CDllnll.lU8.IlCe de l'homme. De là cette double et mévltB e
La sciencu humain. 357 
testnt.ion: ceUe qui forme le perp6tu1l1 d6bat entre les 8cienoos 
1 ti1'homme et les sciencos tout com, les pl'6mièl'Os Byant lB 
d~tentjon invincible de fonder les secondos, qui 88ns e8.'lSe sont 
l' bJ'gécs de chercher leur propre fondement, lB juatificntion de î ~ méthode et la purification de leur histoire, contre le Il pAy­hologisme 
li, oont.oe le c sociologisme li, contre ]' • hL'Itoricisme JI; 
Ct cello qui lorme le perpétuel débat entre la philosophie qui 
e bjeete auX soioncea humaines la naïveté Avee laquelle elles 
:s!IIlient de se fonder el1es-m~mesJ et ces seiel!ces h,!maines.qui 
revendiquent oommeleur obJet propre ce qUI aurait constItué 
·udi~ le domaine de la pbllosophi~.. • 
J Mais (lue toutes ces constatataons SOient néeenaJJ"es, cela 
ne veut pas dire qu'eUes se développent dans l'élément de la 
pure contradiction; leur existence, leur inlassable répétition 
(lepuis plus d'un sièolo D'indiquent pas la permanence d'un pro­blèmo 
indéfiniment ouvort; elles renvoient l une disposition 
épiiltémologiql1e pr~cise et fort bien déterminée dans l'bi,toire. 
A l'~puque classique, depuis le projet d'ulle analyse de la repré­sentation 
jusqu'au thème dola lIUJUle8is rmiverBalis, le champ 
du Avoir était 'Parfaitement homogèno : toute oonuaisijance, 
qutllle qu'elle fût, procédait aux mises en ordre par l'établis­leJDent 
des différences et définissait les diiléronces par l'ins­taurationd'unordre: 
ceci était vrai poUl'lesmatbématiques, Vl'lIi 
aussi pour les taxinomiB3 (au sens large) et les sciences de la 
nature; mais vrai ~galement pour toutes ces connaissonces 
approximatives, imparfaites et pour une grande part sponta­nées 
qui sont l l'oeuvre dans la constnJction du moindre dis­cours 
ou dans les procesms quotidiens de l'échange; o'était 
vrai enfin pour la pensée philosophique et ces longues chatnes 
ordonnées que les Idéologues, non moins que DCReartes ou 
Spinoza, mais sur un autre mode, ont voulu établir pour mener 
~lcl',5sairemeDt. des idées les plus simples et les plus évidentes 
Jusqu'aux ~é.rit~s les p~us composées. Mai~ à partir ~u XIX8 siècle 
e ch~mp ~plstémologlque se morceUe, ou plutôt il éclate dans 
des dlrec~,ons dilJércotes. On échappe difficilement au prestige 
des claSSifications et des hiérarchies linéaires à la manière de 
COm!-ei mais chel'cher il ali!!llBr tous les savoirs modernes à 
sar~lI' ~e n:'"~hématiques, c'c~t soumettre au seul point de vue 
cde:'I obJe~tiVlté de la conDlli.~sance, III qucstiou de la pOliit.ivÎté &8·0.11:5, de leur mode d'être, de leur enracinement dans 
loi~ iQditlo~s de possibilité qui leur donne, duns l'histoire, à la 
1 eur obJet et leur forme 
lIlodterrogé à Ce niveau arcl:éologic.ue, le cbamp del'ipistémè 
laiteera: ne s'or~onne pas à l'idêal. dune matltématisaLiun pa~ 
, e ne deroule pas à. partir dc la pureté (orollille une
358 
longuo suite de connoi6~ances descondantes de plus en lus 
c:hargées d'clnpiricité. Il faut plutOt se représenter le dom~in 
de )' épi,'émè modemo comme un espace volumineux et ouve~ 
Bolon trois dimensions. Sur l'une d'ent.re elles, on situerait Ills 
Bciences mathématique! et ph)'liiquos, pour lesquelles l'ordre 
Mt. toujours uu onchainement déductif et linéaire de Proposi­tions 
6videntel ou vérifiées; il y aurait, dans une nutre dimen_ 
aion, des sciences (comme cellos du langage, de la vic, de la 
production et de la distribution des l'iohoasea) (JlÜ procèdentll 
la mise on rapport d'éléments discontinua mBlB anologues Il 
hien qu'olim; peuvent établir entTe eux des relotions CftU!81~ et 
des constlmtes do structure. Ces deux premières dimeneioll& 
définissent entre eUes un plan commun: celui qui peut appa­rAître, 
scIon le 60ns dans Jequel on le parcourt, comme champ 
d'opplication des mathématiques l ccssciences empiriques. Oll 
domaine du mnthêmntisabJe dans la linguistique, la biologie et 
l'économie. Quant lIn troi!ième dimension ce serait celle de 1. 
réflexion philosophique qui se développe comme pensée du 
Même; avec la dimen!lion de la linguistique, de la biologie et de 
l'êconomie, eUe dessine un plan commun: là peuvent apparaitre 
et I!ont. en efT"t apparues les diversos philOliophies de la vie, de 
l'homme aliéné, des ronnes symboliques (lorsqu'ou trampose 
Il la philosophie le. concept! et les problèmes qui BODt Dés danl 
dilfêrents domaines empiriques); mRis là. aU98i Bont apparues, 
si on inteIToge d'un point de vue radicalement philosophique le 
rondement do ces empiricités, des ontologies régionales qui 
e!lloient de dérmir ce que &ont, en leur être propre, la vie, le 
travail et le langage; en6.0. la dimen!IÏon philosophique dé6nit; 
avec cene des disciplines mathématiques un plan COJDDlUD : 
celui de la formalisation de la pensée. 
De ce trièdre 6pist6mologique, les sciences humaines sont 
exclues, en c~ 8en~ du J!l0ins qu'on ne peut les trouyer ~U! 
aucune des dlmenslons Dl à la liUrraCe d'aucun des ploDli am3. 
dessinés. Mais on peut dire aussi bien qu'elles sont incluses par 
lui, car c'est dans )'interst:ce de ces savoirs, plus exactement 
dans le volume défini Jl81' leurs trois dimensions qu'elles 
trouvent leur place. Cette situation (en un sens mineure, en un 
autre privilégiée) les met en rapport avec toutell les autr~ 
fonnes de Bllvoir : elles ODt le projet, plus ou moins différé,. mali 
constant, de se donner ou en tout CIlS d'utiliser, à un ~"eau 
011 il un outre, une formalisation mathématique; eUesprocedc.n" 
selon de!l mod~les ou des concepts qui sont ompruntés li la blo· 
logie, il l'économie et aux sciences du langngo; elles s'odreuehf. 
enfin à ce mode d'être de l'homme que la philosophie chere e 
il penser au niveau do la finitude radicale, tandis qu.' elles'même•
'i59 
ul nt. eD parcourir les manifostations empiriques. C'est peut­YB 
~ue répartitlon en nuage dons un espace Il trois dimen- 
6~ qui rend 1," sciences humaines si dillicillls Il" shuer, qui 
ilOn: e 1I0D inéductilJle précarité Il leur localisation dans le 
~on nille épistémologi'lue, qui les lait appurnit.re ilia fois pilril- 
I I)~As lit. en p6ril. Périlleuses, cal' elles représentent pour tou 
leI:IoUl ,a,,u tres savo•l ~ corJl!lle un d. l inger pC"!I'~lIen•. : ~ert.ca, ru• .1 e s 
'eDcea déduotives, ru It;i sCiences empiriques, DI la réflcDon 
'l:ilOdOphique ne rillquellt,.si ell~ demeureD~ dans leur dimOD­P. 
on propre de 1 pailler» aux IClence. humames ou de se char­;~ 
r dt! leur' impureté; mais on sait quelles difficultés, parfois! 
rencontre l'étnblitisement de ces plaBB intermédiaires qUI 
unissent les unes aux autres lei trois dimensionl de l'e.'1pllce 
épilltémulogi(IUC; o'est que la moÏlldre déviation par rapport 
l Cllti pl.us rigoureux, lait toDÙ/er la pensée da.ns le domaine 
iD'csÛ par les scie~cBS ~umaiDlls : de là lu ~anger du .c psycho­logio; 
ID6 " du 1 SOCiologISme l, - de ce qu on pourrut appeler 
d'ull mot 1'« .nt.hropologisme - - qui devisDt meuaçant dès 
quo plir exemple on ne réll60hit pas correetement 1. l'apports 
111 la pensée et de la formalisation, 011 dès qU'OD n'analyse Pli' 
comme illaut les modes d'être de la vio, du travail et duwn­~ 
P: L'c anthropologisation 1 est de nos jours le grand daogOl' 
wtérieur du savoir. On croit facilement que l'homme Il'est 
.ffranchi de lui·mème depuis qu'" a découvert qu'il D'était ni 
au ceutre de la création, ni au milieu de l'espace, ni peut-être 
même au sommet et à la fin dernière de la vie; mais si l'homme 
n'est. plus 80uverain au royaume du monne, s'il ne règne plua 
au mitan de l'être, les c science! humaines» sont de dançereux 
intermédiaires dans l'espace du savoir. Mais à dire vrai cette 
posture même les voue à une instabilité essentielle. Ce qui 
upli'Juc la difficulté des • sciences humaines _, leur précarité, 
leur mcertitude comme sciences, leur dangereuse laroiliarite 
avec ln I!hilosophie, leur appui mal défini sur d'autres domaine. 
du. IiBv~lr, le~r c:uactère loujClUfIi secoud et dérivé,. mais leur 
~rt;lIlntion à l UD1Ve1'8el, co n·est pal. cODIIDe on le dit louvent, 
l.extrême densité de leur objet.; ce n'est palle statul métaphy­"' 
Iue. ou l'iueallçable tl'lUlSCendllllce de cel homme dont eUell 
f.ar!ellt, mllis bien 1. complexité de la configuration épiatémo­l~ 
g~qu~ où e~lea 86 trouvent. placées, leur rltpport COJllitaut a~ 
OIS dl/Denslona «lui leur donne leU!' espace.
361) L6lI mots el lt' choIe. 
Il. LA. Fon:IB DES SCIENCES UUMAIN~q 
n raut eliquisser m!llntenant ln forme de cette POSilÎvil6 
D'ordinaire, on euaie de la dêGnir en fonction des malhëllla~ 
tiques: Hoit qu'on cherche à lien approcher RU plus près en 
faisant l'inventaire de tout ce qui dans les sciences de 1't.o~lIl1e 
cst matMmnti~!Iblo, el en supposant que tout ce qui n'cst pa~ 
susceptible d'une p!lreille (ormalisation n'a pas encore reçu 811 
posit.ivit.é scientifilJUo; Boit qu'on essaie au contraire de dia­tinguer 
avec l'loin le domaine du math6matisable, et cet autre 
qui lui serait irréductiblo, parce qu'il serait le lieu de l'inter­prétation, 
pa1'Ce qu'on y appliquerait surtout les méthodes de 
la compréhension, parce qu'il 50 trouverait resserré autour du 
pôle cliniquo du savoir. De pftreilles analyses ne 80nt pas scule­ment 
lassantes parce qu'clles sont u86cs, mais d'abord parce 
qu'eHcs manquent de pertinence_ Cortes, il n'y a pas de douto 
«Juo cetl" Lonne de savoir empirique qui s'applique il l'homme 
(et que, pour obéir à la convention, on peut encore appeler 
• sciences humaines» avant même de savoir en quel sem et 
dan!; quellos limites on peut les dire « scienr.es Il) a rapport aux 
mathématiques : comme tout autre domaine du savoir, elles 
peuvent, SOtl'J cortaines conditions sc servir de l'oulil mathé­matique; 
quelques-unes de leurs démard!es, plusieurs de leurs 
ré!.!ultats peuvent être lormalisés. Il est à coup sQr do première 
importance de connftttre ces outils, de pouvoir prntiquer ee, 
formalisations, de définir les niveaux auxquels elles peuvent 
être accomplies; il est SRns doute intéressant pour J'histoire de 
savoir comment Condorcet a pu appliquer le enlcul dos pro­babilités 
à la :politiquc, comment Fechner a défini le rapport 
lognrithmique entre la croissance de la sensation et collo de 
l'excitation, comment les Jlsychologues contempornins se 
servent de la théorie de l'infonnntion pour comprendre 1e! 
phr.nom~ncs de l'apprentissage. Mais malgré la spéc:ificité d~9 
problèmcs posés, il est peu probable que 10 rapport aux mathe­matiques 
(les possihilit~s de mathémnti~ation, ou la résistance 
à tous les efforts de formalisation) soit eonstitulif de!! lIciencl';S 
humaines en leur positivité singulière. Et ceci pour deux rai­sons: 
paree 'I"e, pOUl' l'essentiel, ces problèmes leur sont c?m­muns 
avec bien d'autres disciplines (comme la biologie, la gené-tique) 
même s'ils ne sont pas ici et III ident!quem~nt les mêmfi 
et surtout parce que l'analyse archéologllluc n a pas d6ce c,
361 
d l'a priori IU!ltoriCJue dos sciences de l'homme, une forme 
an8 ~llu ùe mathématIques ou lme brusque avancée de cellos-ci 
dno UV"l e "d omaine de l'uhrn"aIn , mms h oaucoup p 1u t.Au t lme Borte 
d:D~t.r'dit de la rn~"lit:si." une dis80cia~ion de ~OD .champ uni- 
..... c' la libérat.lon, Tlar rapport b. 1 ordre linéalJ'o dos plua 
tUl ... , • ibl d' .. . , 
l 'tl'" dilfêrcnctlS pOS, ~, orgnm9lltioDs empmquo8 comme 
1p. elv.ie~ le lon<"'dge, et 1e travai.l E ), .. d D ce eens oppant.lOn 0 
li m:ne ct 1; const.itution des sciences humaines (ne ftlt-ce 
~~ sous la fonne d'un I,rojet) seraient corrélatives d'uno !lorte 
~c ede-mathématisation J. On dira sans doute que cette disso­cÏnlifJn 
ù'un snvoir con~u e~ SOD entier comme math~IA n'était 
pail un recul, d~s m~theUla.t.lques, pour la bon!,e rAison que.ce 
1I11voir n'<w<llt. lamaiS meDU (tiIlU[ CD a!lt.rononue et sur eert.alDS 
points do p~y~!q~1f.,). à une mathémat.Ïtiation effective; en dis­p: 
lrllis~anl, il IIberult plu~t !a nature ct. t~ut. ]e ch:,mp. des 
cmpiri!!itéij .pour une appllcatlOD, à chaque mstant Imntee et 
contrlilée, des mathématiques; les premiers grands progrès de 
)a physique mathémotique, les premièrlls utilisations massives 
du calcul des probabilités ne datent-elIcs pas du moment. où 
on a renoncé à constituer immédiatement une science géné­ralo 
dus ordres Don quantifiables? OD ne peut nier en elIet que 
la renonciation à une mallaesu (au moins provisoirement.) a 
permis, en certains domaines du savoir, de lever l'obstacle de 
la qualité, et d'appliquer l'outil mathématique là où il n'avait 
pas encore pénétré. Mais si, au niveau de la physique, la disso­ciation 
du projet. de matftesu n'a {ait. qu'une seule et même 
ch~u avec la découverte de nouvelles applications des mathé­maliques, 
il n'cn a pas été de même nans tous les domaines : 
la billlu~,'ie, par exemple, s'e:;t const.ituée, hors d'une science des 
ordre!; qualitatifs, comme analYllu des rapports entre les organes 
et h .. s fonctions,6tude dea struct.ures et des équilibres, recherches 
~ur.l~ur formation et leur développement darus l'histoire des 
l~dl'l.dus ou des espèces; tout cela n'a pas empêché la biologie 
d ,utiliser les mathématiques et celles-ci de pouvoir s'appliquer 
bIen plUiS largement que par le passé Il la biologie, Mais ce n'est 
pas dau5 son .rapport aux mathématiques que la biologie ft pris 
ion R';llunOIIllC et ft défini sa positivité. JI enaétédemêmepour 
~'1 !lClcnces humaines: c'est le retrait de la mathulA, et DOD 
1 aVfl~ce des mathématiques qui a permis li. l'homme de 88 
constituer comme objet de savoir; c'est l'enveloppement sur 
dwc-~nêl1~e~ du travail, de la vie, et du langage qui a prescrit 
1,6Il 1 ext.e r. ll!Ul' l'apparition de ce nouveau domaine,' et c'est 
d pparltion de cet être empirÏco-transcendanta1 de cet Atre 
e~nt ln ~I!nsée est indéfiniment tramée avec l'imprnsé, de cet 
re touJours Bêparé d'une origine qui IUl est promü~ dana
362 
l'immédiat du retour, - c'est cette appnrition qui dOlUle aux 
IIciences hwoaines leur allure singulière. Là encore, comme dans 
d'aut.res diticipliul!s, il se peut bien que l'opplication des DUttb~_ 
matiques ait. été facilit.ée (et)e soittoujours davantn gel par toutes 
les modifications qui. 5e sont. produite!!, ou début du XllI'.lI l iècle, 
dana 10 Bavoir occidental. Moit imaginer que les sciences 
humoines ont .d6fini leur projet le plus radical et ont inauguré 
leuT histoire positive le jour où on a voulu appliquer le calcul 
des probabilités aux: pMnomène. de l'opinion politique et 
utiliser des logarithmos pour mesurer l'inlellllité croissllnte des 
sensations, c'e'st prendre un contre-e1l'et de surlace pour l'évé­nement 
fondamental. 
En d'autres termes, parmi les trois dimensions qui ouvrent 
aux sciences humaines leuT espace propre et leur ménagent 10 
volume où eUes forment masso, celle des mathémat.iquos ellt 
peut-être la moins problérnutique; c'est aveu elle en tout cae 
que lell sciences humaines entretiennent les rapports les plU! 
clail'S, les plut' !ereins, et en quelque sorte 18.'1 plus transpal'enta: 
oUlI8i bien le recoW'S aux mathématiquM, aous une forme ou 
sous une outre, a-t-il toujours été la manière la plua aimple 
de prêter ou savojr posili( sur l'homme, un style, une Corme 
une justification IIcientiliques. En revanche, les dimcultlls les 
plus fondamentales, celles qui permettent de définir au mieux 
ce que 80nt, en leur Msence, les sciences humain89, S8 logent 
du cilté des deux autres dimensions du savoir : celle où se 
déploie l'analytique do la finitude, et celle au long de laquell8 
ae répartissent los sciences empiriquett qui preDJ1ent pour objet 
Je langage, la vie et le travail. 
Les sciences humaines en effet s'adressent l l'homme dana 
la mesure où il vit, où il parle, où il produit. C'est comme litre 
vivant qu'il croit, qu'il Il de!'! fonctiOns et des besoins, qu'il 
voit s'ouvrir un espace dont il noue en lui-même les coordon­néel! 
mobiles; d'une façon g6n~rale, lion existence corporellf 
l'entrecroise de part en pal't avec 10 vivant; produisant dIV 
obje1.S et des outils, échangeant oe dont il a belioin, orga 
nisant tout un réseau de circulation au long duquel court ce 
qu'il peut consommer et où lui-même se trouvo défini comn.a 
un relais, il apparaît en son existence immédiatement eochev~ 
tr6 aux autres; eolio parce qu'il a un langage, il peut se coostl­tuer 
tout un univers symbolique, à l'intérIeur duqucl il a rap­port 
Il son pnssb, aUll'. choses, à autrui, ll partir duquel il peut 
également biiti1" ~uelque chose comme un savoir (sin..auli~re· 
ment ce savaiI' qu'il a de lui-mêmb et dont les sciences humame5 
dessinent' une dOl ·formell possibles) On peut don" fixer le 
ai'tt' des sciences de l'hOD1lD8 dana le voisinage, aUll'. frontièree
363 
, ~iotcs et lur touto la lon"uucur de ces sciences où il caL 
un~t~'oD de la vie, du travail et du langage, Celles-ci no viennent-qUU5 
1 {1'1.')·è 
Il O• J'ustement de se ormer à çpoque ou pour a prelui ro 
{eo Ï!C!~ lf'hi oD lwnc s'o~fe ~ l ~,poS91' b~'l 'I t é ,d ' UD 6~volr pOHI. t.ilr~ P,o ur-a 
n'I 1-1 biologie, m 1 cconomle, DI la plulologle no dOivent 
tl!alIn'e. prise' s pour les premI'e. res d es s~l. ence~ h T • 1 UmBlQCS DI Jl?ur ~s 
l 'fondumentales. On le reconnalt. sans mal pour la blOlogll) 
lp :~~ Il',,dres50 à bien d'autres vivants que l'homme; on a plus ditncuJlél! à l'admeure pour l'é,coDomie ~~ l,a ph~l~logio qui 
opt pour dornaine propre el exclusif des actlvlte~ spec:tfiqu.es do 
l'hommo, Mais on D~ so demamle,P?s pour~uoi la bIologie ou 
la physiolugie bumamcs, pOurqUOl 1 anatoIDle ~~s centres co~­tieaux 
du langarre ne peuvent en aucune manlere être CODS1- 
derr.(~s comme d~ sciences de l'bolDlDe. C'est que l'objet do 
celles-ci DC 68 donne jamais sur le mode d'Oue d'un fonction­nement 
biolorrique (ni m~me de Ba forme singulière et. comme 
de son prololl"'gement. en l'homme); il on est plutôt l'envers, la 
marque on creux; il commence là où s'ürrtte, non pas l'action 
ou les effets, maiti l'Mre propre de ce fonctionnomont, -là où 
8e libèrent des représentations, vraies ou fausses, claires ou 
obscllre~, parfaitement conscientes ou engagées dans la pro­fondeur 
de quelque somnolence, observables directement ou 
indirectemcnt, olier tes en ce quo l'homme énonce lui-m~mo, 
eu repérables soulement de l'ext.érieur; la recherche de! liai­sons 
mtraeorticalcs enUe les diJIérentt centres d'intégration 
du langage (auditifs. visuels. moteUfll) ne relève pas des sciences 
humaincs; mais celles-ci trouveront leur espace de jeu dès qu'on 
int~:rrogcru cet espace de mots. cette présence ou cet oubli 
d.e leur sens, cet écnrt entre ce qu'on veut dire et l'articula­tion 
~ù cette visée s'investit, dont le sujet n'a peut-êt.re pas 
,,?nSCICncc, m3is qui n'auraient aueUD mode d'être aSliignable, 
'l cc même sujet n'avait des repl'ésentntions. 
lJ'u.no façon plus générale, l'homme pour Ics scieDces 
hu~ame~, ce n'est pas ce vivant qui a une [orme bien porti­cuh.: 
re. (une, physio,logie as!ez spéci~18 et. une. autonomie ,li 
peu pres u~lque); c ~st ce VIvant qUI de 1'1Otérieur de la VIe 
li lllquclle Il appar-tlent de lond en comble et par laquelle il 
cst. tranrs~ en tout 80n être, constitue des représentations grAce 
uuxq~tJ~lc~ il vit, et à partir desquelles il détient cette êtrange 
f,bpaclte de ]lOuvoir se représenter justement la vie, De même, lIme a h~:lU être au monde, smon la seule espèce qui tra­:: 
1 e, du ~Olns celle chez qui la production,la distribution, la 
fl.l:oTIu:n,ation ~es hiens ont pris tantd'importanco ctreçudes 
puur es il multiples et si dill6rcoci6es, l'économio n'eat pal 
Ce a une science humaine. On dira peut-êtra 'III'elle •
364 I..u mol8 et lu cllo8u 
recours pour définÎr des lois qui sont pourtant intérieurell 'IUt 
mécanismes de la production (comme l'accumulation ùu cap· 
tal ou les rapports entrc Jo taux des salaires et les prix dl­revient) 
qui le fondent (l'intél·èt, la recherche du profit maximum t 
ten,dancc à l'éparb'Ie)} .mail" ce faisa~t, eUe utilise les repré;en~ 
tallons comme ~!lUl&lt d .un fon~~oDDement (qui passe, en 
effet, pnr une actiVIté humame exphclte); en revanche il n'y aura 
science de l'homme que si on a'adresse li la manière dont les 
individus ou les groupes se repr6sontent leurs partenaires dun.s 
la production et dans l'échange, 10 mode sur lequel ils écl~irent 
ou ignorent ou masquent ce fonctionnement et la position qu'ils 
y occupent, la façon dont il! 110 représentent la société où il 
Il liou, III mani~re dont ils se sentent int6grlls li. eUe ou isolé, 
dépendants, soumill ou libres; l'objet des sciences humaine: 
n'ellt paa cet homme qui depuis l'aurore du monde, ou le pre­mier 
il des comportements humains, et une repréBent8lio e 
eri de son ilge d'or est voué au travail; c'est cet être qui 
de l'intérieur des formes de ln production par lesquelles tou~ 
son existenco. est commandée, forme la reprêsentation de e~ 
besoins, de la Boeillt6 par laquelle, avec laquelle ou eontre 
·laquelle il les Bntisfait, si bien qu'li. partir de là il peut fina­lement 
se donner la reprllsentation de l'économie elle-m~me. 
Quant au langago, il en est de même: bien que l'homme soit 
au monde le seul Atre qui parle, ce n'est point acience humaino 
que de eonnftttre les mutatioDII phonétiques, la parenté dos 
laogues, ]a loi des glissements Bémantiques; en revanch~, on 
pourra parler de science humaine dès qU'OD cherchera à définir 
la maDière dont les individus ou les groupes se représentent les 
mots, utilisent leur forme et leur sens, composeDt des discoun; 
réels, montrent et cochent on eux ce qu'ils pensent, disent, 
à lour insu peut-êtro, plus ou moins qu'ils ne veulent, laisse?t 
en tout cas, de ces pemées, une masse do traces verbal cs qu il 
faut dC:chiiTrer et restituer autant que possible à leur vivacité 
représentative. L·objet des sciences humaines, ce n'est dOlle 
pOl le langllge (parlé pourtant par les seuls hommes), c'est cet 
être qui, de l'intérieur du langage por lequel il est entou:~, se 
représente, en parlant, le sens des mots ou des propOSitiOns 
qu'il ênonco, et Be donne finalement 111 représentlltion du lao­gage 
lui-même. 
On voit quo les sciences humaines ne sont pas analyse do cd 
que l'homme est par nature; mais plutôt analyse qui s'ét~ 
entre ce qu'est l'homme en aa positivité (être vivant, tr~va( l~ 
tant, parlant) et ce qui permel à ce même être de savo~ 0 t 
de chercher à savoir) ce que c'est que la vie, en quoi eon5lSlen 
l'ossence du travail et ses lOÎli, eL de quelle manière il peut par-
Les sciencu humaille! 365 
1 J.es sciences humaines occupent donc ceUe distance qui 
~~am (non snns les unir) la biolQgie, l'économie, la philologie, de 
Il ui leur donne po~sibi1ilé dllns l'être ml!me do l'homme. On 
oclul.1·.···t donc tort ,,l e rnire des sciences bUlnainoli le prolongementj • Ic' riorisé d:m'll c!lpèco IL lIlma•m e, da ns son orgoD.i smo comp1 e xl'l, 
IdI'II n.s 811 condul• lo ct do ns sa conSC.I ence, dc s m 6C3n'1l 1mes b1' 010 - gi.j l;r.S: non moins tort de placer à l'int6ricur des sciences 
hUIll~i~es la scienc~ de l'ocon0'!lie et du lan~g&. (dont ,l'irré­dl1l" 
tibiHté aux SCIences humlllDe9 est mamfest.-.e par 1 eiTort 
J,OUf constituer une âeonomie ct une linguistique pures). En 
fait., ll's scienc~s humaines. ne ~0l!t pns plus. à ~'in~éricllr de 
ce~ !lcienCt~!I qu elles ne les mt.énorlsent en les IRnCChl~s8nt vers 
la subjectivitl, do r.homm~; si ~lIr.s le,!' reprennent ~al!!I la 
dimr.n~ion de la representatlon, e est plutôt en les rcs~alS~lsant 
lIur leu1' verllunt extérieur, en Ie.o; laissant ~ leur opacité, en 
necueillant comme choses lell mécanismes et les (onetionne­mrnl. 
s qu'clles Î!;olent, cn interrogeant ceux·ci non pas en ce 
qu'ils sont, mais en ce qu'ils cessent d'être quand s'ouvre 
l'espneo de la représentation; et à partir de là elles montrent 
comment. peut naître et. sc déployer une représentat.ion de ce 
qu'ils sont. EUes reconduisent. subrepticement les sciences de 
lu vie, du travail et du langage dl1 côté de cetle llDalytique 
do la [init.udo qui montre comment l'homme peut avoir 
nlToire en son être à ces cholles qu'il connaU et conoaltra ces 
clllllics qui déterminent, dans la posit.ivité, son node d'être. 
Mais ce quo l'analytique requiert dans l'intél'ÏOl"llé ou dll moina 
dans l'appartenance profonde d'un êt.re qw ne doit sa finitude 
qu'à lui·même, los sciences humaines le développent dansl'oxté­riorité 
de la connaissance. C'est pourquoi le propre des sciences 
humaines, ce n'est pas la visée d'un certain contonu (cet objet 
aingulier qu'est l'Otre humain); c'eat beaucoup plutôt un ea1'llc­tère 
purement. (ormel: le simple fait qu'elles 80nt'1"I1' rapport 
aux sciences où l'être humain est donné comme objet (exclusif 
pourJ'é<;O~Omi6 et ln philologie, ou pal'liel pOD1" la biolOgie), dans 
une .po~ltlon. d~ redoublement, et que co redoublement peu~ 
valOIr a {umo" pour elles.même!! • 
. Cette pOliition est rendue sensible à deux niveaux : les 
jCU:lnces humaines ne traitent pas la vie, le travail et le 
:.arn gllge de l'homme dans la plus grande transparence où peuvent BO donner, mais dans eeUe couche des conduites, 
es compo~tements, des att.itudes, des gestes déjà faits, des 
PahrolS~ ~éJà prononcées ou écrit.es, à. l'intérieur de laquelle 
1 li • on~ eté donnés par avance une première fois à. ceu,!= 
:Ul agl~ent, .sc conduisent, échangent., t.ravaillent et parlent; 
Un autre mvean (c'est toujoun la mêmp. propri6té (ormeUe,
366 LB. mou .t lfl. chose. 
maie d6veloppée jusqu'en Bon point. extrême, eL le plus rare) '1 
est toujours possible da traiter en lityle de soiences humlii~: 
Ide psyohulogie. de sociologie, d'histoire des cultures DU.I • 
1l dc' es ou d 811 sC.i ences) 1e ra'it . qu" l 1y l'ut l'oW' certal.lls 'ind ividUuIlsI 
o~ certain.os 80cicith quel'Jue chose comme un lIavoir spéçulu_ 
tal do la VIO, do la I,roducllon, et du I.mgage, - il lu limite une 
hiologio, une 6conornill et une philologie. Suru. doute, n'e_l-co 
Il que l'indicatiun d'une possibilité qui est roremont. effectuée 
et n'est pcut-être pas susceptible, nu niveau des cmpiritiLés 
d'olIm une granda richesse; mais le fait qu'clle eLsto CollUD~ 
distance éventuelle, comme espace de recul donnê aux seitmccs 
humaines pllr rapport Il cela même d'où elles viennent, le fait 
aussi que ce jeu peut s'apl'liquer à eUeI-mêmes (OD peut toujOUl'B 
faire les 8ciences humometi des sciences hwoaint:8, la psychulo­gie 
de la PlIYl:hologie, la sociulogie de la sociologie, ctc.) sum.ent 
~ montrer leur singulière configuration. Par rapport lIa biolo­gie, 
lll'économie, aux sciences du langage, elles ne lont. dODO 
pns en défaut d'exactitude ou de rigueur; elles sont plut.ôt 
comme sciences du redoublement, dans une pOl:iit.ion c méta­épistémologique 
'0 Encore le préfixe n'ost.-il pout-être pas très 
hi en choisi: car on ne parle que de m6ta-lanbrage que l'ila'agit 
de définir les règles d'interprétation d'un langage premi"r. Ici 
les sciences humaines, quand elles redoublent les sciences du 
langage, du travail et de la vie, quand li. leur plus fine poinLe 
elles seredoublent eUes-mêmes, ne visent pas à 6tablir un di.· 
cours formalisé: ellos enfoncent au contraire l'homme qu'ellea 
prennent pour objet du côté dola finitude, de la relativité, de la 
perspective, - du cOté de l'érolion indéfinie du tomp.. 11 
faudrait pellt-êt1'e mieux parler lieur sujet de position cana' 
ou. hypo-épiatémologique.; si on aOranehÏllsait ce demier pr6- 
flxe de ce qu'il peut avoir de péjoratif, il rendrait sans doute 
bien compte des choses: il ferait comprendre que l'invincible 
impression de Oou, d'inoxactitude, d'imprécision que laissent 
presque toutesle$ Iciences humaines n'est quel'ellet de surfllce 
de ce qui permet de les définir en leur positivité. 
Ill. LEI TROIS KOD ÈLBS 
En première 8PPI'ocbe. on peut dire que le domaine des 
aciences de l'homme est couvert par trois c scÎeuccs », - ou 
plutôt par trois r6gioDS épititémologiques, toutes subdivis6es l 
l'intérieur d'cllcs-mGlll611 et tOlltes entrecroisées les unes avec 
le8 autres; ces -/igions sonL iéfinies par le triple rapport dei
J67 
• nCes hurnnlnes en genéral l ]a biologie, à l'économie. à ]a 
ICbl 'eI ologie. On pourra•i t d "l' • h r 8 mettre alOSI CJUO a 1 regton psyc o- li uo t a trouvé ln" lieu III où l'IUre vivant, dans Je prolon­o~~ 
n' de les fonction~, de ses schémall neuro-moteurs. de ses 
~18Li"ns physiologi,{Ue~, maill aussi dans le IIlll1pens qui les 
interrompt et les limite, s'ouvre, ilIa P?"sib!lilé de la ~eprésen~ 
taUon' de la milmelaçonla. région SOCiologIque J auraIt trouve 
Ion Jit'l~ là où l'indiVidu travaillant, produisant et consommant. 
le uo~ne III repr6sentatioD de la lociét6 où s'exorce cette acl~­. 
iLé des groupes et delt individus entre le~'1up.llI ello 80 réparti~ 
des imporatifs, des I18nctionll, des rites. de~ fêtes et des croyances 
par quoi elle est soutenue 011 scandée; eofin dans ceUs rêgion 
où rl!~entles lois et les fa rIDes d'un langage, mais oil ce~8ndaot 
elletl demeurent au bord d'ella-mihnsl, permettant li. 1 homme 
d')" laire l'1158er le jeu deses reprêsentationl,lknaissentl' étudedea 
littérat.ure. et des mythes, l'analyse de toutes les manirestationa 
orales et de tOUI Ie.i documents écrits, bref l'allalyse des traces 
yerbnlr.s qU'Wle culture ou un individu peuvent laisser d'eux­mêmes, 
CeUe répartition, bien qu'eUe soit très sommaire, n'est 
Ions doute pu trop inexacte. Elle laisse pourtant entière deux 
problèmllS Iunùamentaux : l'un concerne la forme de positivité 
qui est prnpre aux sciences humaine. (les concepts autour des­quels 
ellUli s'organisent, le type de rationaliLé auquel elles 
se r6rèrent et par lequel elles cherchent à se cODit.it.uet comme 
Bavoir); l'aut.re, leur rapport à la représentation (et ce rail 
pOl'lldoxal que tout en prenant place là seulement oùil y a repré­~ 
enUit.ion, u'aat Il des mécanismes, des formes, des processus 
UlcoDlic1eoLs, u'est en tout cal aux limitell enérieurea de la 
cODicience qu'eUes s'adressent.). 
On connait trop bien les débats auxquels a donné lieu la 
rech.u;cbe d'une positivité spécifique dans le champ des scienc61 
bWl1aulcl : analyse gënétique ou st.ructurale? explication pu 
comprehension? recours Il l' c inférieur 1 ou maintien du 
d~chifIrement au niveau de 111 lecture? A vrai dire toutes ces 
dJ~c~s8ions théoriques ne 80nt pliS néell et De ae sont pas pour­IUIVIel 
tout au long de l'histoll'6 des sciences humaines parce 
Clue ceUIl6-ci auraicnt eu afJ'aire, en l'homme, à un objet si 
complextl, qu'on n'aurait pas pu encore trouver en la direction 
~(l~ode d'accèa unique, ou qu'on aurait été cont.raint d'eo 
ex~ IStI" tour Il tour plusieurs. En fait, ces discUlISÎons n'ont pu 
i'lIlSler,qu~ dans la mesure où la politivité des sciences humaines 
t' PPIU8 simultanément sur le transfert de trois modèlea di.­pb? 
U, Ce transftlrt n'est pas pour les sciences humain. ua 
pa:nomè!'& marginal (une sort.e de structure d'appui, de détour 
Une Ultelligibilit.ê extêrieure, de cOD6rmation du oeta dei
368 
sciences déjà constitu~es); co n'est pas non l)lus un épÏsod 
limité de leur hi~toirc (une crise do Cormation, à une ép Ue ~ 
Il é . • • , II . oq Ou Il cs lalent encore !Il Jel1ne~ qu 0 cs nc pouvaient sc fixer Il 
~Ues.m~mes le!-lfs C?!leepl'l et !OI.l1'S lois). Il. s'ag~t d'un rait 
InelTa~able, q~ .es~ he, p(~ur tOUJOUT~, à leur dlsP~sllion propro 
dans 1 e~pacc cplstemologlllue. On dOIt, en clTct, dlslilJlruer dcult 
sorles de modèles utilisés par les !lcÏences hwnaillel! "(en Inél­tant 
à part les modèles de formalisation). Il y a Cil d'ulIf) 
purt - ct il ~ a ~ncol"e souvent:-de~ concepts qui sunt tl'llIllio 
porté~ li. parllr d un autre domame ùe la connaissance, ct (lui 
perdont nlurs toule ellicaeité opératoiro, 110 jouent. plus '1lJ'U~ 
rôlc d'imago (les métapholos organicistes dans ln sociologie 
du XIX8 si~c1ei les métaJ,lllll'es énergétiques chez .Janet· les 
mi~tnphores gêomél,riques ct ùynumiqulls chll~ Lewin). MI:is il 
y a aus~i 1/'.8 rnodillcs con!!tilunnts qui no Ionl. pns pour les 
science!! humaines cle.,> tcchniq1l4!S de Cormalisntion ni de ~;mplcs 
moyens pOli!' imaginer, li moindre fmi'!, des processus; ils per­meUent 
de Former des ensemble'! de phénomènes comme aulant 
d' c objets lt p01lr un savoir possiblc; ils Assurent leur liaigon 
dans l'empiricité, mais il~ les ofTl"ent à l'expérience déjà liés 
ensemble. Ils jouent le role de «catégories» dans le savoir 
singulier des science!! humaines. 
Ces modèles constituants 80nt empruntés aux trois domaines 
do la hiologie, de l'économie et de l'étude du langage. C'est 
sU!' la surface de project.ion de la biologie que l'homme nppno 
ratt comme un être ayant des fonctions, - recevant des stimuli 
(physiologiques, mais aussi bien sociaux, interhumains, cul­turels), 
y répondant, s'adaptant, évoluant, se Iwumeltant ault 
exigence.,> du milieu, composant uvee les modifications qu'il 
impose, chercll8nt à uliacer lus déséquilibres, a/"rissant ~elon des 
régu18l'ités, ayant en !iomme des conditions d'exist.ence et I~ 
possibilité de trouver des normes moyennes d'ajustemcllt .qui .IUI 
permettent d'exercer se8 fonctions. SUT ln surface de proJ~ctJOD 
de l'économie, l'homme apparaît comme uyant d~ beSOinS et 
des désirs, comme chcrc1IRnt il les sati~rnire oyant donc des 
intérêt.s, visant à des profit~, s'opposant à d'autres ht)J~lmcs; 
bref, il apparaît dans une irréductil)Je situation de conthli ce~ 
conllits, il les esquive, il les fui.t, ou il parvient li 1e5 ~onllner, 
à trouver une 501utioll qui ~n .apa~e,.au moin~ Il un ru.eau t 
pour un temps, la cunlradlcllon; il lUstaure un cnsemLle . e 
règles qui sont à la fois limitation el rebondissement du ~on!ht. 
Enfin, sur la surface de projection du langage, les condUltes ùo 
l'homme apparaissent comme voulant dire quelque cho;,e; se~ 
moindres gestes, jusqu'en leurs méca0Ï5mes invo]ontalfeS li 
jusqu'en leurs échecs, ont un ,elUj et tout ce qu'il dépose autOUr
369 
d lui en lait d'objets, de rites, d'habitudes, de dillcours, tout 
10 ·llarre de traces qu'il laisse derrière lui conlltituo'un ensemble 
Il Iblé re1n> t et un systè• me de s·Ig nes. A"I DSI ces trOI.S coup1 e s de 11  
~nctilJn et do la ,:orme, du conflit et de .10 règle, de .la 8ign~fi­~,. 
on et du syst6me couvrent sans résIdu Je domame entIer 
d ln connaissance de l'homme. 
Il n ne faudrait. pas croire cependant que chacun de ces couples 
de concepts demoure localisé sur 11 surEace de projection où 
ils ont pu IIppRratt~ : la fonction .et ]a norme ne sont :en! des 
concept!; psychologiques .et ~xcl~,,:e~ent tels; le co~(ht et.la 
règle n'ont pas 1me apphcatloB JUBltee au seul domame SOCIO­logique; 
la signification et le 8y~1.ème ne valent pas seulement 
pour les IJbénomènes plus ou mOIDS apparentés au langage. Tous 
ces concepts 80nt repris dans le volume commun des sciencos 
humaines, ils valent en chacune des régions qu'il enveloppe: de 
là vient qu'il est difficile souvent de fixer les limites, non seule­ment 
entre les objets, mais entre les méthodes propres à ]a 
psychologie, à la sociologie, à l'analyse des littérat.ures et des 
mythes. pourtant, on peut dire d'une façon glohalequelapsy· 
chologie, c'est fondamentalement une étude de l'homme en 
termes de fonctions et de normes (fonctions et normes qu'on 
peut, d'une façon seconde, interpreter à partir dos conllits 
et des significations, des règles et des systèmes); ]a sociologie 
est fondamentalement une étude de l'homme en termes de 
règles et de conflits (mais ceux-ci, on peut les interpréter, et 
on est sans cesse amené à les interpréter secondairement soit 
il partir des fonctions, comme s'ils étaient des individus or~nni­qucD?- 
ent liés à eux-mêmes, soit à partir de systèmes de signi­fications, 
comme s'ils étaient des textes écrits ou parlés); 
enfin, l'étude des liUérdtures et des mythes relève essentielle­ment 
d'une analyse des significations et des systèmes signi­~ 
untSI t.nais On sait ~ien qu'on peut rep~ndre celle-ci en termes 
~ ~oherence fonctJonnelle ou de conllits et de règles. C'est 
aUlIlI que toutes les sciences humaines s'entrecroisent et peuvent 
t?ujours s'interpréter les unos les autres, que leurs frontières 
5.el~acent, que les disciplines intermédiaires et. mixtes se mul­t: 
Jtp h~nt. indéfiniment, que leul' objet propre finit même par dls~oudre. Mais quelle que soit ]a nature de l'analyse et le 
s:m~Ine 8u~uel tillo s'applique, on n un critère {ormel pour ouVdlr ~e qUI est du niveau de la psychologie, de la ~ociologieJ 
me : 1 analyse .d~s langngcs : c'est le choix du modèle londa­à 
n ~,etlaposlti)ndesmodèlessecond5 quipermettentdc52voir l'é'tud do~~n~ on c psychologise JI ou on Il 8ociologi~c Il d~8 
CD sees ~tteratul'es et des mythes, à quel moment on fait, 
P Ycholog1e, du dêebiffrement de textes ou de l'analyse socio-
370 Lu motl et lu cMse. 
logique. Mais cette 8wimprellsion de pluiieurs modèles n'list 
pus un défaut de méthode. Il u'y a défuut. quo si lcs modèllls Ile 
sont pal! ordoDDéti et explicitement. arLiuulci8 let; uns lur lta 
autros. Ou suit. avec quelle précitiion admirable on Il pu couùuire 
l'étude des mytllOlogicll indo-Olll'Opéenneb on utili~ant, SUr fond 
d'une ullulyse des signifinnts et des 8ignilicutions, le IIIUùèle 
lIociologiqul;. On sait en revanche à quelles l,latitudes lIyncr~. 
tiques a mené ln toujours médiocre entrcprise de fonder UDO 
psychologie dite 1 clinique 1. 
Qu'il soit fondé et maitlÏsé, ou qu'il s'accomplisse daDa 
la confusion, cet entrecroisement des modèles constituants 
explique los discussions des méthodes qu'on évoquait. tout It 
l'heure. Elles n'ont pail leur origine et leur justificution daDa 
une complexité par(oia contradictoire qui serait le c:uractère 
propre dtsl'homme; muis danlile jeu d'opposition qui permet do 
ùélinir chacun des trois mudèles par l'apport ClUX ÙtlUX autre.. 
Oppuser lu gtlnèse à la IItructure, c'est OppOlltlf la fonction (en 
son développ6IJloot, en ses op6ratioQs progretisivement. divcr· 
BiHées, en ses adaptatiolll! acquÏl;es et éqUilibrées dans lu temps) 
au synchronisme du conflit ct de la règle, de la sibrnification e~ 
du système; opposer l'analyse par l' «inférieur J à cene qui S8 
maintient au niveau de 80n objet, c'est oppuser le con m, 
(comme donnée première, arcllaIque, inscrite dès les besoins 
londamentaux de l'homme) à la fonction et à la signi6cation 
telles qu'eUes se déploient dOIl! leur accomplissement propre, 
opposer la compréhension à l'explication, c'est opposer la 
technique qui permet de déchiffrer un sens il partir du sy!!t~mts 
signifiant, à celles qui permettent de rendre compte d'un conllit 
avec ses (low;équeuces, ou des (ormes et des défomlutlonll qu8 
peut prendre et subir unts fonction avec Iles organes. Mais il 
faut aller plUti loin. OIL sait que dalll les sciences humaines 18 
point de vue de la discontinuité (seuil entre 1 .. nature et la 
culture, irréductibilité les uns aux autres des équilibres ou dlls 
solutions trouv6s par chaque suciété ou chaque indiviùu, ab3ence 
des lormes intermédiaires, inoxistonC6 d'un conLinuum donn6 
dans l'e:>poce ou dans le temps) s'oppose au point dts vue de III 
continuité. L'existence de cette opposition s'c."<plique p'sr .Ie 
caractère bipolaire des mod~les : l'analyse cn style ùe contlllUl~ 
l'appuie sur la permanence des fonctions (qu'on retruuve ?epul.6 
le fOIld de la vie da';!s une identité qui autorise et Illlrac:ne Iii 
adaptatiuDs successlves), sur l'encbalnement des conflits ( a 
ont beau preDdre des formes diverses, leur bruit de lond ne 
celse jamaü), IIUI' la trRIne des significations (qui se reprennJ~t 
les Ulles leti autres, et conttituent comme la nappe d'un Ill" 
coun); au contraire, l'analYlie doe discolltinwtéa cherche plu"
371 
t l (pire surgir 10 coMmnee inteme de! systèmes signifiants, 
:0 r~ci6citê deli ensembles de règle!! et le e&fIlctère de décision 
Il ~ lies prennent por rapport à ce qu'il fnut régler, l'émergonce 
qdu le nonM ou-dessus des oscillations fonctionnelles, 
e OIn plour,rait peul-être rc:tracer t.out~ l'hI'S tOU'"de ~ Ii BC' lencBS 
humoioes, depuis le XIX· slèc1e, à partl,r de,ces ,troIS mod~188. 
JI~ en ont couvert, en eltet, tout)e devenir pU1!iqu on peut IUIVl'8 
d· uis plus d'un siècle la dynastie de leun privilèges: le règne 
d~fbord du modèle biologique (l'homme, la psyché, son groupe, 
!la société le langage qu'il parle eXÏlltunt à. l'époque romontique 
~omme d~8 vivants et. daos la mesure où en effet ils vivent; leur 
mode d'être est organique et on l'analyse en termes de fonction)j 
puis vient le règne ,du modèle, éeonolD;Ïque (l'homm~ ~t toute· 
eOD ocl.ivité sont le bcu de confhts dont ils 10Dt à la fOIS 1 expnl9- 
lIioD plus ou moins manifeste ot 10 solution plus ou moins r~u!­sie)' 
eolin - tout comme Freud vient après Comte et Marx­co~ 
eoc~ le règne du modèle philologique (quand il .'agit 
d'interpréter et de découvrir le sens cachll) et linguistique (quand 
il s'agit de stnlcturcT et de mettre 8U jour le système signifiant). 
Une vpste dérive a donc conduit les sciences humaines d'une 
forme plus dense en modèles vivants, Il une autre plus saturée 
de modèles empruntés au langage, Mai! ce gliqsemcnt a été 
doublé d'un autre: celui qui a fait reculer le premier terme de 
chacun des couples constituants (fonction, conOit, sigoi.6ca­ 
·tioo), et fait surgir avec d'autant plus d'intensité l'importance 
du second (norme, règle, 8)'l1tême): GoldsteÏD, Mauss, Dumezil 
peu'ent représenter, l peu de choses près, le mOloent où s'e8t 
accompli )e renvenement en cbacun des modèles. Un tel ron­ve1"!! 
cment a deux sériel de conséquences notables: tant que le 
poiot de vue de la fooction l'emportait sur celui de la norme 
(tant que ce n'élait pas à partir de la nonne et de l'int~rieur 
de l'activité qui la pose qu'on essayait de comprendre l'accom­plissemcnt 
de la fonction), alon il follait bien partager de facto 
les fonctionnements normaux de ceux qui ne l'étaient pas; on 
admettait ainsi une psychologie pathologique tout à cOté de la 
nonnale mais pour en être comme l'image inverse (de là l'im­hirtanre 
du schéma jacksonnien do la désintêgrotion cher. 
(D bot ou Janet); on admettait aussi une pathologie de!'! sociétés 
urkheim), des formes irrationnelles et quo~j morbides de 
droyances (r..h-~·-Bruhl, Blondel); de mÔme tant que le point 
e 'ue du conflit l'emportait sur celui de la règle, on supposaIt 
!:lue, c,ertains conllits nc pouvaient pas ~tre surmontés, que le!! 
jdrv1dus et les lociétés risquoient de s'y abîmer; enfin aussi 
ongtemps que le point de vue de la signifieation l'emportait 
aur celUI du système, on partageait le ~ignifiant et l'insigni.
312 
liant, on admettait qu'en certains dOIllQinee du oom~ortelDen 
humain ou de l'espace social il y avait du seu, el 'l'' aiUeul'l J 
n'yeu avait pas. Si bien que lcs sciences humainee exerÇaient 
dans leur propre champ un partage essentiel, qu'eUes s'éten. 
dllient toujours eDtre un pôle positif et. un JlÔle n6gatir, qu'elles 
désignaient toujours Wle altérité (et. ceci à purtir de la conû 
nuité qu'elle5 analY5aienl). Au contraire, lol'Sque l'analyse .'es; 
fuite du point de vue de la norme, de la règle et du sysl.ème, 
cbllque ensemble a reçu de lw-même sa propre cohérenee et 
S8 propre validit6, illl'a plus été possible de parler mêlOe l 
propos dos maludoB de C cODscience morbide " même à pro­pos 
de sociét.és abandonnées par l'biBtaire, de « mentalités pri­mitiveB 
-1 même à prop08 de récits absurdes, de légendes aPIla­remment. 
sans cohérence, de c discourl insignifiallts J. 1'uut 
peut être pensé dans l'ordro du 8YliltèlDe, de la règle el de la 
nonne. En se pluralisant - puisque ICB s)'Btèlnell sont isol6s, 
pUÏ5QUf les règles forment des BDsemuleli cl06, pUÏ5que les normtlll 
.e po~ent dans leur autonomie-le champ des sciences humainoa 
S'fit truuvé unifié: il a cessé du coup a'être scindé selon une 
dichotomie de valeurs. Et. si on Bonge que Freud plws que toul 
autre a appl'Oché la connaissance de l'homme de Bon modèle 
philologiquo el liugtlistique, mais qu'il est aUll8i la pl'llmitlr fi 
avoir entrupris d'eUacer radicalement le partage du pOliitil et 
du négatif (du normal et du pathologique, du comprOhensible 
et de l'incommunicable, du signifiant et de l'insjgnifiant), on 
comprend commtlnt il annonce le passage d'une analyse ln 
termes de fonctions, de coullit.s et de significations Il Wle annlyse 
en termes de norme, de règles et de systèmes : el." est ainli 
que tout ce savoir fi. l'intilrieur duquel la culture occidentale 
.'était donnée en un lIièllle une certaine image de l'homme pivote 
autour de l'oeuvre de Freud, 880S Bort.ir pour autant de SB dis· 
position fondamentale. Maïa uncore n'ellt.-ce pas là - on Je 
verra tout à l'heure -l'importance la plus décisive d~ la 
psycbanalyse. 
En tout cas, ce passage 8U point de vue de la norme, de l~ 
règle, et du système nous approche d'un }IL'uLlème qui Il hte 
lwslié tin suspens : celui du rôlo dit lu rllpréseutation dans les 
sciencoli 'lwnaÎnes. Déjà il Jlouvait pal"o1itre bien cont.est'l'~le 
d'enclore celles-ci (pour les opposer li la biologie, à l'éconOl!lI~ 
il la philologie) dans l'espace de ln reprUsentaLiou; ne [allult­pas 
déjà faire valoir qu'une fonction peut 8'e.~ercer, un conUI. 
dê'lllol'per Iles conséquences, une significution imposer s0!l 
intelligibilité 5linS pall'er par le moment d'une conscience expli· 
~it.,~ Et maintenant ne faut-il pas reconnnttro que le propre 
dit 1 .. norme, par rapport. à la [onction QU'elle dêterJDÏne, dd •
Lu ,cÏ8ncu humai,," 373 
~ 1 par rapport au conflit qu'clle r~git, du aystème. pur rapport 
l f :ignificaüon.qu'il rend poslible, c'est;prêcis6ment cie n'Atre 
a donné lA )a conscience? Ne faut-il pas, aux deux gradients 
"p':R l' oriques déJ•l l 1•1 10l é, esn B'J outer un trol•9 l' èm e, et d·I re que 
,d . .8 p uis le xlxe lu• èc ) e. 1c s SC•I ences h Wllu.wes, Do nt. cesllu1- d' appro-le 
er de ceUe région de l'inconscient où l'ÏIlI;tance de )Il rcprC!­~~ 
talion est.tenue en s.uspens? En lait, la représell;ation ~'ellt 
us la COQl!ClencO, ot nen ne prouve que cette JDl8e au Jour 
~'éléJlleDts ou d'organisations qui Ile lont. jamais donnl:s comme 
tels li la conscience fasse échapper les science8 humaines l la 
loi d. la représentation. Le rAIe, en ef1'et, du concept de signi­fication 
c'est do montrer comment quelque choso comme un 
langAge: même s'il ne s'agit pas d'un discours explicite, et 
m~rne s'il n'est pBB d6ployé {'our une conscience, peut en général 
etre dODné lIa repmsentatJon; le rôle du coucept complémen­taire 
de llysV.me, c'est do mont.rer comment la signification 
n'ert. jamOJB I?remière et contemporaÏDo d'eUe-même, mais tou­joun 
secohde et comme dérivée pal" rop~ort lt. un aystèR'e qui 
la pIicède, qui en cOIlllt.Îtue l'origine pO!l1tive, et qui se donne, 
peu Il peu, par fragments et profila à. travers elle; pRr rapport 
Il la cODscience d'une SignillClltioD, le sYltème est bien toujours 
ÏDcODl!cil:llt puisqu'il êtait déjà là. avant. elle, puisque c est en 
lui qu'uDe lie loge et lt. partir do lui qu'elle s'uf1'ectue; Dlm 
parce qu'il est. toujoun promis li. une consciencefut.uroqui peuL­Atre 
ne le totalisera jlWlais. Autrement dit, le couple .ignifi­' 
lllLÏou·.ystème, c'C$t ce qui 811ure li. la fois la repréllentabiliL6 
du lan~gc (cOJWlle ~xte ou IItructure analysés par lu philologie 
eL lulinguist.iquo et. lu préloRce proche mais reculée de l'ori­gUle 
(tulle qu'elle est manifestée comme mode d'être de l'homme 
pllr J'unulyLique do Ip finit.ude). De III même façon, la notion 
de conflit montre comment. le hesoin, le désir ou l'intérêt même 
,'ila nll sout. pas donn6s il la consciouce qui les éprouve, peuvent 
pl'l!udre (orme dans la représuntation; et le r61e du concept 
i~~ve;.;e du règle, o'est. de montrer comment la violence du conflit, 
11l!!15~DCO apparemment sRuvago du hesoin, l'infini sans loi 
du délilr sont cn fnit déjà organisés pal un impensé qui non seu­le, 
meut. l'!ur prescrit leur règle, mais les rend possible .. Il parti. 
~ ube ~glc. Le eouplc conflit-règle assure la représentahilité 
u. es.vU! (de ce besoin que l'économie 6tudio comme processus 
dbJeCl~ dans J(. trnvail et la production) ot la rUJlrésentabilité 
1 e cet mlpense que dévoile l'analytique de l.s lliiitude. Enfin, 
e CUn(:cpt de lonction a pour rôle de montrer comment les 
(:ct~ de Ja "le peuvent donner lieu Il la rupré:ientation 
~D!e IL elles n" aUI&t pal conscientes) et le concopL dit norme
37ft LBS mots el les chose, 
comment la lonction se donne il olle-même ses propres condi 
tionR de possibilité et les limites do Bon exercice. • 
Ainsi on comprend pourquoi ces grandtls catégories peuvent 
orgAniser tout. 10 champ des scienC',cs humaines: c'est qu'clles 
le traversent. do hout en bout, qu'elles tiennent li distance mais 
qu'elles joignent. aussi les positivités ompiriques de la vie dll 
travail et du langage (à partir desquellel:i l'homme s'est histori. 
quement détaché comme figure d'un savoir pOllswle) aux. formes 
dtl la finitude qui caractérisent le mode d'êt.re de l'houune (leI 
qu'il s'est constitué du jellr où la repmen'tation a cessé de 
définir l'espace général de la connaissance). COB catégories ne 
BOllt donc pas de simplOli concepts empiriques d'une assez 
grande généralité; eUes lIont. bien ce à partir de quoi l'homme 
peut s'olTdr à un sllvoir possible; eUes parcourent tout le 
chnmp de sa possibilité et. l'articulent fortement sur les deUX' 
dimoDl:iiollB qui le bornent. 
Mais ce n'est pas tout : elles permettent la diSSOeilltiClD, 
coroctérilltique de tout le savoir contemporain sur l'homme, 
entre lu conscience et la reprêsentation. Elles définissent ]a 
manière dont lcs empirieitês pouvent être données li. la représen 
tationmais sous une Eorme qui n'est pas présente à la conscience 
(la Eonction, le conDit, ]a significat.ion sont bien la manière dont 
la vie, le besoin, le langage sont redoublés dans la reprêsenta­tion, 
mais sous une forme qui peut être parfaitement incons· 
ciente); d'autre part, elles définissent la manière dont ]a fini. 
tude fondamentale peut être donnêe li. la représentation sous 
une forme positive et empirique, mais non transparente li. la 
conscience naïve (ni la norme, ni la règle, ni le système ne son' 
donné. à l'expérience quotidienne: ils la tru.veoeent, donnent 
lieu à. des consciences partielles, mais ne peuvent être bc1airr.s 
entièrement que por un savoir réflexif). De sorte que les sciences 
humaines ne parlent que dans l'élément du représentable, ntais 
eelon une dimension consciente-mconsciente, d'autant plua 
marquée qu'on essaie de mettre au jour l'ordre dos 6ystèmes, 
des règles et des normes. 'l'out se passe comme si la dichotomitt 
du normal et du pathologique tendait à s'effacer au profit de la 
bipnlaritê de la conscience et de l'inconscient. 
Il ne fout donc pas oublier que l'importance de plus en plus 
marquée de l'inconscient ne compromet en rien le primat de la 
reprp.sentntion. Cette primauté cependant soulève un impor 
tant problème. Mainlenah1: que les savoÎrll empiriques comm!l 
ceux de la vio, du travail et du langage échappent à sa ]01, 
maintenant qu'on essai" de définir hon. de son cbamp le mode 
d'Hre de l'homme, qu el:lL-Ce que ln repr~sentation, sinon un 
llhénomrlJl' d'ordrt> empirique qui 'le produit en "hotIUlle el
37& 
qu'on pourrait analyser comme tel. Et si ]a représentntion se 
produit en l'ho~me, quelle dilIl:ronce, y a-t-il c?'tre clio et ]p 
conscience? Mms la représentatIon n est pas slmpltment un 
objet pour les sciences humaines; clio e~t., comme on vient de 
10 voir, le chnmp milrne des sciencos humaine! et dans ~oute 
leur étondue; ellc c~t.le socle gê.nérel de cette Ionne de savoir, 
cc à partir do quOI Il cst pOSSIble. Do là deux: consêquences. 
L'une est d'ordre historiquo c'est le fait que Jes sciences 
IlUmaines, à la dilTérence des scicnces empiriques depuis ]e 
XIXU sièclo, et à ln dilrérenco de la pensée moderne, n'ont pu 
contourner le primat de la représentation; comme tout le savoir 
classique, elles se logent en elles; mais clics n'on 60nt pas du 
tout le~ hêritières 011 ln continuation, cal' touto la conliguration 
du savoir s'ost. modifiÏ'e, et allci ne sont nées que dans la mesura 
où est apparu, avec l'homme, un être qui n'existnit pas aupara­vant 
dans le chilmp de l'épi8témâ. Cependant, on peut com­prendre 
pourquoi chaque fois qu'on veut se servir des sciences 
humaines pour philosopher, reverser dans l'espace de la pende 
co qu'on 8 pu apprendre là où l'hommo était en quC'3tion, on 
mime la philosophie du xvrne siècle, dons laquelle l'homme 
pourtant n'avait pus de place; c'est qu'en étendant nu-delà. 
do ses limites ]e domlline du savoir de l'homme, on étend de 
m~me au-delà de lui le règne de la représentation, et on s'ins­talle 
li nouveau dans une philosophie de type classique. L'outre 
conséquence, c'e9t que les sciences humaines en traitant de ce 
qui est représentation (sous une forme consciente ou incons­ciente) 
8e trouvent traÏ!.er comme leur objet ce qui est leur 
condition de possibilité. Elles sont donc toujours animées d'une 
sorte de mobilité transcendantale. Elles ne cessent d'exercer 
à I:égurd d'elles-mêmes uno reprise critique. Elles vont de ce 
qw est donné à la représentation, li ce qui rend possible la repré- 
6entatioll, mais qui est encore une représentntion. Si bien 
~'el1es. cllerchent moins, comme les autres sciences, à se 
gcnérahser ou à se préciser, qu'à se démystifier sans nlTôt : à 
I)as~er d'une évidence immédiate et non contrôlée, à des formes 
mOIDS transparentes, mais plus fondamentales. Ce chemine­dent. 
qunsi trnnscendantal se donne toujours sous la fOl'lJle du 
évOllement. C'est toujours en dévoilant que par contrecoup 
elles pe~'ent sè généraliser ou s'affiner jmqu'à penser les phéno­rnènes 
l!;dividuels. A l'horizon de toute science humaine, il y ri ]e pr?Jct de ramener ln conscience de l'homme à ses condi: 
l' OIlS re~lles, de la restituCl' aux contenus et aux formes quI 
ont !alt nattre! et qui s'esquivent cn eUe; c'cst pourquoi Je 
~r:;le;e .de l'mconscient - sa possibilité, son statut, son 
e eXlStence,les moyens de Je connaître et dele mettre au
376 
jour - n'cst pas simploment un probl6me intérieur aux seiellCe6 
humaines et qu'ollcs rcncontreraient au hasard de leurs 
démarches; c'cst un problème qui est liDalement coexteQiiif à 
leur emtence m~mo. Une surélévation transcelldanta.le l"eloUf.. 
n6c en un dévoilement du non-conscient est constitutive de 
toutes Jes sciences de l'homme. 
Peul-Ô!.ro trouverait-on là le moyen do les cerner en co 
qu'cllOll ont d'essentie1. Ce qui manifeste en tout cas le propro 
des sciences humaines, on voit bien que ce n'est pas eet objet 
privilégié et singulièrement embrouillé qu'est l'honUDu. Pour la 
bonne raison «Jue ce n'es.t pus l'homme qui les constitue et leur 
01lre un domaine spécifique; mais c'est la disposition générale 
de l'épÏ8ttime qui leur fait place, lcs appelle et lell inlltaure,­leur 
permettant. aiusi de constituer l'homme comme leur objot. 
On dira donc qu'il y a • science hl.l.lDlÜne , non pas partout où 
il est question de l'homme, mois partout où on unolyse,ùanslll 
dimension propre à l'inconscient, des normes, dcs règles, des 
oDliembles signifiants qui dévoilent li. III conscience les condi­tious 
de Bes larmes et de ses contenus. Parler de • sciences de 
l'homme' dans tout. aum cas, c'est pur et simple obus de 
langage. On mesure par là combien Bont vaines et oiseuses 
toutes les discussions encombrantes pour Bavoir si do telles 
eonnaissances pcuvent être dites réellement scientifiques ct li 
qucllos conditions elles devraiellt s'ussujett.ir pour Je devenir. 
Les • sciences de l'homme' {ont pal'tie de l'épilitimè moderno 
comme la chimie ou la médecine ou telle autre science; ou 
encore comme la grammaire et l'histoire nat.urelle faisnicnt 
partie de l'~p~lémè classique. Mais dire qu'elles {ont pnrtio d" 
champ 6pistémologique signifie seulement qu'elles y enra­cinent 
leur positiv.i1.é, qu'cllcs y trouvcnt leur condition d'cxis­tence, 
qu'clles ne Bont donc pas seulemcnt dcs illusions, do=! 
chimères pseudo-scientifiques, motivées au niveau dei opinioDll, 
des intér6ts, des croyances, qu'olles ne sont pas ce tILLe d'autrUI 
appellent du nOIll bizarre d'. idéologie J. Mai~ cela ne veut pas 
dire pour autant que ce sont ùes Bciences. 
S'il est Vl'Ili que toule science, quelle «Ju'elle soit, qcand on 
l'jnterroge au niveau archéologique eL quand on chercho à 
désensabler 10 sol de sa positivité révùle toujours la configura­tion 
épistémologique qui l'a rendue possible, en revanche toute 
configuration épist.6mologique, même si elle est pnrfaitemcnt 
lIssigD.able en sa positivité, peut lort bien n'être pas une scienc~: 
elle ne se réduit pns du Lait nl~me li. Wie imposture. Il faut ~. 
tinguer avec soin trois choi!!s : il y Il les thèmes à prélcnUon 
scientifique (Pl'On }'Icut rencontrer au niveau dcs opinions e' 
qui ne font pas (ou plus) parlie du réseau épistémolOgique d'UJIe
377 
ulture : li. pl!'ti!' du XVII· si~cle, pal' exemple, la mngie natu­~ 
lIe. ecSlié d'appartenir k l'dpi,timè occidentnle, mais cne .'est 
rolongée longtemps dans !e jeu des croy:u~ces et de~ valorisa­fions 
atTceti'"es .. I~ Y 0 ensuite .Ics figures l:pl!ltêmologlques ~on~ 
le dell~in, la posItiOn, 10 fonctionnement peuvent être restituh 
e~ leur pO$itivitl: par une anal)'Be de type oTchéologique; et k 
leur tour, eUes peuvent obêir k deux organisations dilJérentes: 
les unes présentent dos caractères. d'objeclivi~é et de systéma­licité 
qui permcttent de los définir eODlDle sCiences; les autres 
lUl répondent pas à ces critàres, c'esl-à-dire que leur fonne de 
cohérence et leur rapport à leur objet lonl déterminés par leur 
aeule pO!litivité. Celles-ci ont beau ne pas posdder les critères 
formels d'une connaissance scientifique, elles appartiennent 
pourtant. BU domaine positif du savoir. Userait ~o~c .auui vain 
et injuste de les analyser comme phénomènes d oplD1on que de 
les confront.er par l'histoire ou la Cl'itiquo aux formationi pro­prement. 
scientifiques; il serllit plus absurde encore de les traiter 
comme uno combinaison qui mélangerait selon des proportionl 
variables des 161émenls rationnels 1 et d'autres qui ne le seraient 
pas. Il fnut. Ica replacer au niveau de la positivitê qui les rend 
p09~iblcs ct détermine nécessairement leur forme. L'arcb6ologie 
a donc à leur égard deux tiches : déterminer la manière dont 
ellcs se disposent. dans l'épütémè où elles s'enracinent; montrer 
al1~5i en quoi lour configuration est radicalement dilTérente de 
celle des sciences au sens strict. CeUe configuration qui leur est 
pnrticulii!rc, il n'y a pas à la traiter comme un pb~nomène 
négatif: ce n'est pas la prisence d'un obstacle, ce n'est paa 
quelque déficicnco interne qui les font échouer au seuil des 
(ormes scientifiques. Elles constit.uent en leur figure propre, 
Il c6té des sciences et sur le même loi archéologique, d'dUIru 
configurations du savoir. 
1 De tolles configurations, on en a rencontré des exemples .wec 
a grammaire gênél'llle ou avec la t.héorie classique de la valeul'i 
ell~ avaient le même sol de positivité que la mathhmatique c .... 
t~slelllle, mais elles n'étaient pas dos sciences, du moins pour la 
p IIp~rt do ceux qui étaient leura contemporains. C'est. le ca8 
dU~s~ ùe cc qu'on appelle aujourd'hui les sciences humaines; elles 
c,'SI~eDt, quand on en fait l'analyse archéologique, dei confi­guratIOns 
llllrfnitement positivcs; mais dès qu'on. détermine ces 
~nra~r~tJons et ]a manière dont elles Bont disp9shei dans 
êt!uLS~eme ~oderne, on comprend pourquoi ellcs ne peuvent pu 
etrt • es 5~ences : ce qui les rend possibles en eJIet, C'8!t une 
de l~~ne tiJL~tion de 1 voisinage 1 Il l'égard de la biologie, 
n'ex.i.conomae, de la philologie (ou de ]a linguistique); eU. 
litent quo dans la mesure où eUes 80 logent Il cGl6 de eeUes·
37b .ut, mot: et ,es cflose. 
ci - ou plutôt fin dessous, dans leur elIpncc do projection. EUlla 
entretiennent cependant avec elles un rapport qui e~l radicale_ 
ment difTércnt de colui qui pout .'établir entre deux 8cicncII5 
• connexes Il,OU ft nffin?s D: ce rappor~, en e.tJet, flUr.P05C 10 trons_ 
lert de Modeles extérlCurs ùans la dlDlenslon de 1 lnconscÎcnt et 
de la conscienco et le reflux de ]a réncxioD critique vers le lieu 
même d'ol viennent ces modèles. Inutile donc de dire que loe 
1 8cicJ?-ces humaines J sont de fau?ses IIc~ences! ce ne sont pas 
des sCIences du tout; ]0 configuratIon qw définIt leur positivil6 
et les enracine dans l'épislbnè moderne les met en mmne temps 
hors d'état. d'~tre des sciences; et si on demande alors pourquoi 
elles ont pris ce titre, ilsuffirn de rappelor qu'il nppnrtient à III 
définition urch6ologique de leur enracinement qll'elJc~ appellent 
et accueillent.]e trandert de modèles empruntés li des sciences. 
Ce n'est donc pall'irréduct.ibilité de l'homme, ce qu'on dÏ'_~i(ne 
comme son invinc.ible transcendance, ni m~mc !IR trop grande 
complexité qui l'empêche de devenir objet de science. La 
culture oecident.ale a constitué, 1I0US le nom d'homme, un être 
qui, pnr un seul et m~mc jeu de raisons, doit être domaine posi­tir 
du "o,IJoir et ne peut pas être objet de scÎenoe. 
IV. L'IIISTOIRB 
On 1 parlé des sciences bmnnines; on a parlé de ces grandes 
r6gions que délimitent A peu près ]0 psychologie, la 8ociologie, 
l'anlllyee dos litt6ratures et des mythologies. On n'a pal parlé 
del'Hiltoil'6, bien qu'elle soit la première et comme la mère de 
toute9 les sciences de l'homme, bien qu'elle soit aussi vieille 
peut-~tre que la mémoire humaine. Ou plutôt, c'est pour cette 
raison même qu'on l'a passée jusqu'à présent 90US silence. 
Peut-ètre, en effet, n'a-t-eUe pal place parmi les sciences 
humaines ni à côté d'elles : il est probable qu'elle entretient 
avec elles toutes un rapport étrange, indéfini, ineffaçable, et 
plus fondamental que ne le serait un. rapport de voisinnge da1l5 
un espace commun. 
Il est ,-rai que l'Histoire 0 exist6 bien avant la constitution 
de5 sciences bumainc5j depuis le fond de l' Qge grec, ene R 6x~r~ 
dans la culture occidentnle un certnin nombre de fonctIons 
majeures mémoire, mythe, trnnmlission de la Parole et de 
l'Exemple, véhicule de la tradition, conscience critique du p1- 
aent, déchitJrement du destin de l'humanité, anticipation sur e 
futur ou promesse d'un retour. Ce qui C81'9ctêrÏBait cetto
Le. 4cisnces hU11UJinu 379 
Hilltoire - ce qui du moins peut la définir, en ses traits goné­aUX 
par opposition à la nOtre - c'est qu'en ordonnant 10 
~eDl~ dei humains au devenir du monde (dans une Borto de 
de chronologie cosmique comme che7. les stoioioRS), ou 
fn!:rsr:menl en étenùant jusqu'aux moindres porf~ones do la 
noture 10 principe et le mouvement d'une dostinat.ion humaine 
(un peu à la manière do la Providonce chrétienne), on concevait 
une grande histoire lis.~e, uniforme en chacun de ses points qui 
aurait t.ntrainé dans une même dérive, UDe même chute ou lme 
même ascension, un même cycle, tOU8 lei hommes et avec eux 
les choses, les animaux, chaque êue vivant ou inerte, et 
jusqu'aux visages les plus calmes dela terre. Or, c'est cette unité 
qui l'ost trouvée fracturée au début du XIX· siècle, dans le 
graad bouloverticment de l'épÏ8témà occidentale: on a découvert 
une historicité propre à la nature; on a même défini pour 
cJ13que grand type du vivant des formes d'ajustement au 
milieu q11i allaiont permettre de déGnir par la suite Bon proGl 
d'évolution; bion plus OD. a pu montrer que des activités aussi 
sÏDgulièrp,mcnt humaine. que le travail ou le langage déte­naient, 
en elles-mllmes, une historicité qui ne pouvait pas 
trouver sa place dans le grand récit commun aux choses 01. aux 
hommes la production a des modes de dével0l'pemont, le 
capital des modes d'accumulation, les prix des lois d'osoillation 
et. de changements qui ne peuvent ni so rabatt.re sur les lois 
naturelles ni se réduire à la marche généraJedel'humanitêj de 
Blême le langage ne se modifie pas tellement avec les migra­tioos, 
le commerce et. les guerres, au gré de ce qui arrive à 
l'homme ou à la fantaisie de ce qu'il peut. jnvenler, mais sous 
d.es conùitions qui appartiennent en propre aux formes phoné­tIques 
et gl'amrnaûcales dont il est constitué; et. ai on a pu dire 
que les divens langages naissent, vivent, pordent. de ltlur force 
8!l vieillilisant el. lini!;sent par mourir, cette métaphore biolo­ltI, 
ue n'est. pas laite pour dissoudre leur histoire dans un temps 
qUI serait celui de la vie, mais plutôt pour souligner qu.'ils ont 
eux 8~l!si deti lois internes de (onctionnement et quo lour chro­nol~ 
gte 8e d~v81oppe selon un templi qui relève d'abord de Jeur 
coherence IIl117uhère. 
pli, indille d'ordinaire li croire que le Xlxe siècle pour des 
rnl~on~ cn majeure partie poliliques et sociales a porté une 
a,~t~nt!~n plus aiguë li l'hÏlitoire hwnaine, qu'on a abandonné 
~!dre d un ordro ou d'un plan continu du. temps, celle également 
un p~ogrès ininterrompu, et qu'on voulant. racontcl" sa propre 
a~cen:'non, la bo11l'geoisie ft rencontré, duns le calenrlrier de sa 
~Ib!l~, l'épaisseur historique des institutions, la pesanteur dos 
a ltu es et. des croyances, la vioJ.oce des luttes, l'alternance
380 
des succès d de!, 6checs. Et on 81JI'Jlnse qu'à pUl'l.Ïr de là on a 
éumdu l'historicité dr.couverto en l'hommo BUX objet., qu'il 
avuit. !ahriqlltls, au langage qu'il pnrlnit, et plus loin encore l 
la vie. L'élude des économies, l'Illstoirc des littératures et des 
gmmmail'tl~, en fin de compte l'évolution du vivant ne seraient 
rien que l'c1Tc. de dilT11sion, 8ur des plages de la r.onnaiss8llce de 
folua en plus lointnines, d'une hist.oricité découverte d'abord en 
'homme. C'esL en wdlilli le contraire qui s'est pn!;sé, Les chOIes 
ont reçu d'abord UDe hist.oricité propre qui les a libérées de cet 
ellp8C6 continu qui leur impOliliit. la même chronologie qu'aux 
hommes. Si bien que l'homme ,'est trouvé comme dépo9&édé de 
ce qui ClODlltiLuaiL les contenus les plus manifestes de son 
Histoire: la nature no lui purle plus do ln création ou de la fin 
du monde, de ~a dépendance ou de 80n proclaain jugument.; 
elle ne porle pl1L'I quo d'uo temps naturel; ses richessus ne lui 
indiquent plus l"llnciennet6 01113 retour prochain d'un ûgo d'or; 
elle!! ne parlent ~11l8 que des conditions de la proliuction qui se 
modilient. dans 1 Histoire; le langngo ne porto l,lus les marques 
d'avant Babel 011 des premiers cris qui ont pu retentir dans la 
forêt; il porte les armes de sa propre filiation. L'être humoin n'a 
plui d'hi",toire : ou pluttlt, puisqu'il parle, trnvnille et vit, il se 
trouve, eu son, être propre, tout enchevêtl'6 li. des histoir6S qui 
ne lui 80nt ni lIubordonnées ni homogènes, Par 10 fragment.ation 
de l'espace oli s'êtendait continfuncot le savoir classique, (lRr 
l'enroulement de cbaque domaine ainsi afTranclai sur 80n.propre 
devenir, 1'1IOmme qui apparait au début dl1 XIXe siècle est 
1 désbistoricitié •. 
Et les valeurs imaginaires qu'a pris alors le passé, tout lp 
hRlo lyrique 'lui a entouré, à cette époque, la conscience de 
l'histoire, la VIVO curiosité pour les docwnenta ou les traces que 
le temps R pu laisser derrière lui, - tout ceci manifeste en SUl'­face 
lc fnit nu quo l'homme s'est trouv6 vide d'hist.oire, mais 
qu'il était déjll li la 1.iche pour retrouver au rond de lui-mêule, et 
parmi toutes les choses qui pOllvoient oncore lui renvoyer son 
Image (les autres s'étant tues ct rCJllip.cs sur olles-mêlDes), une 
historicité qui lui fût liée essentiellement. Mais ccUe historicité 
est lout de suite ambiguë. l'uisque l'homme ne 50 dowae au 
savoir l,ositif que dans la mesure où il parle, travaille eL vit, son 
llisLoire 1'01.11'ra-1-01le être autre cho~ que le noeud inoxtrjcable 
de templi dilTércnts, qui leur sont étrangers et qlÜ sont laéLéro­gènes 
lus uns aux aull'es? L'histoire de l'homme sera-t-elle plus 
qu'une sorte de modulation cummune aux changements ditO! 
ltls condilions de vie (climats, fécondité du loi, modes ae eulLur'~, 
exploituLion des ricbllSlies), aux trclDsConuations de l'cconoPlle 
Cet par voie de consequence de la société eL de& institutions) e'
381 
la succe~sion des larmes et des usa~e~ de la langue? Mois alol'S 
f.bomrne n'est pas h~i-mêm8 ~istol'Ique : le. temps lui venll;.nt 
d'lIilIeurs que de lw-même, 11. ~e se c~n~t1t~e Gomme 8ulet 
d'Histoire que par la I,,;p~rpo.sltlnn de 1 hl!tolre des ~tres, de 
l'histoire des choses, de 1 histoire des mots. 11 est lIoumlS Il leurs 
purs événements. Maia aussit~t ce rapport. de simr1e passivité 
ee r~m'erse : car ce qui parle daJll le langage, cc ql1l travaille et 
consomme dan!! )'éeunomie. ce qui vit dans 1. vie humnine, 
c'est l'hommc lui-même; et à ce titre, il a droit lui aussi Il ua 
de~enir tout aussi positif que celui des êtres et des choses. non 
Ploioe ant.onome. - et peut-êt.re même plus fondamental : 
n'est.-ce pail une historicit.é propre li. l'homme et inscrite profon­dément 
danll son Mre, qui lui permet de s'adapter comme tout 
vivant et. d'évoluer lui aUltii (mais grâce Il des outils. li. des tech­niques, 
à des organisatioDl qui n'appartiennent li. aucun autre 
vivant), qui lui permet d'inventer des lormes de production, de 
ltabiliser, ùe prolon~er ou d'abréger la validité des lois écono­migues 
par la conllClcnce qu'il en prend et. pur les institut.ioQi 
qU'lI aménage l partir d'elles ou autour d'elles, qui lui fermet 
enfin d'exercer sur le lan~age, en chacune des paroles qu il pro­nonce, 
une 80rte de pression int.érieure constante qui il1llensiblee 
ment le fait. glisser sur lui-même en chaque instant du tem~. 
Ainsi apparaît derrière l'histoire des positivitM, ceUe, plus radi­cale, 
du l'homme lui-même. Histoire qui conoorno maintenant­rOt. 
re même de l'homme, puisqu'il s'avère que non seulement 
il. a 1 aut.our de lui • de J'Histoire _. mais qu'il est lui·même en 
80D hÎIlt.oricit.é propre ce par quoi se dessine une histoire de la 
Tie humaine, une histoire de l'économie, une histoire des lan­gl 
ges. Il y aurait. doac • ~n niveau trèll enfoncê une historicité 
de l'holwne qui Berait • elle-même sa propre hist.oire mais aussi 
J. dispenion radicale qui fonde toutes les autres. C'est bien 
cette érosion première que le XIX' siècle a ehercbê dllns 80n 
lI~uci. de tout hist.orjciser, d'écrire. propos de toute chose une 
histOire générale, do remonter IBDI cesse dans le temps, et. de 
ürlacer lei .choses 108 plus st.ables. dans la lib~ration du temp~. 
encore, 11 faut. sans doute révucr la manIère dont. on ~nt 
t.~ditionnQlIement. l'histoire de l'Histoire; on a l'habitude de 
dire qu'ave~ le XlXC siècle B OOtIs61a pure chroniquc des t'ivéne­n!~ 
tts, la IlIDJlle mémoire d'un passë pouplé seulement. d'indi­dl 
118.et d'accidenta, et. qu'on B cherché los lois générales tlu 
everur. En fait, nulle histoire ne fut. plus c explicative II, plu 
r.~éocCUPé~ de lois générales et de constantes que celles de 
~ ge class.'qu8, -lonque le monde et l'homme, d'un sou1 
Q~nt! f;usaient corps en Ime hisl.oire unique. A partir du 
Xlx. Siècle, ce qui vient à. la lumière, o'ost. une formo nue de
382 LM mol" st lea cnoe/J8 
l'historicité humaine, -le rAit que l'homme en tant que tel est 
expoa6 lA l'événement. De là, le souci soit de trouver desloia Il 
ceUe pure fonne (et ce sont de." philosophie'! comme celles de 
Spengler), soit de la dlifinir à partir du fait qucl'homme vit que 
l'homme travaille, C)ue l'homme parle et pense: et ce so~1. les 
interpr6tQtions de l'Histoire lA partir de l'homme envisagë 
comme e!!pèC8 vivante, ou à part.ir des lois de l'économie, ou il 
partir des ensembles culLurels. 
En tout cas, cette disposition de l'Histoire dans l'espace épis­témologique 
est d'une grande importance pour son rapport aux 
8ciences humaines. Puisque l'homme historique, c'est l'homUie 
vivant, travaillant et parlant, tout contenu de l'Histoire quel 
qu'il soit relève de la ]lsrchologie, de la sociologie ou des 
sciences du langage. MalS lDversemcnt, puisque l'êLre hunmin 
est devenu de part en part ht'ltorique, nuoUll doe contenus 
analysés par les sciences humaines ne peut rester 6labla en lui­même 
ni échapper au mouvement de l'Histoire. Et ceci pOUl 
deux misons: !,aree que la psychologie, la sooiologie, la philoso­phie, 
même quand on les applique il des objets - c'ost-h.-dire 
il des hommefl - qui leur liont contemporains ne visent jamais 
quo des découpes synchronique:; à l'intérieur d'une historicité 
qui les constitue et les traverse; paree que les fonnes prisM 
successivement }lal' les sciences humaines, le choix qu'elles font 
de leur objet, les m6thodes qu'oUesleur appliquent sont donnés 
par l'Histoire, sans ec.'1ge portés par elle et modifiés il son gr6. 
Plull'llistoire c.'saie de dépassel' son propre enracinement his­torique, 
plus elle fait d'efforts pOUl' rejoindre, par-delà la rela­tivité 
historique de son origine et de sos options, la sphère de 
l'universaliLé, plus clairement elle porte les stigmates de S8 
naissance historique, plus évidemment apparatt à travers eUe 
l'histoire dont elle-même fait partie (et là !lncore, Spengler e 
tous les pl~oa;ophes del'hisloÏre e~ I!O!tent témoi~Dage); inver­sement, 
nuoux olle accepte sa relatlvlte, plus elle s enfonce daDl 
le mouvement qui lui est commun avec ce qu'elle rllconle, p!~s 
alors elle tend li la minceur du récit, et tout le contenu ~o~Jllf 
qu'elle se donnait Il travers les sciences humaines Ile dil~lp". 
VHistoirc forme donc pour les 6citnces humaine.'! u~ mlhdu 
d'accueil à la lois privilégié eL dangereux. A chaque scumr.c e 
l'homme elle donne lm arrièro-fomi qui l'établit, lui fIXe un ~~l 
et comme une patrie: elle détermino la phtge culturello-l'épl­sodt 
chronologique, l"insertion géographÎtl'lO - où on peut 
reconnaîlre à ce savoir sa validité; mülS elle les CCl'no d'~n8 
frontière qui les limite, et nline d'ent,roo de jeu Jeur pretention 
à valoir dam; l'élément de l"unlversnlité. Elle révèle de cctllt 
manière que Iii l'homme - avant mème do le savoir - a toU-
383 
• urs été soumis aux détermir.ations que peuvent. manifester la 
JO ycholomo, la sociologie, l'analyso dus langages, il n'est. pas 
P~ur aut":.n1. l'objet. intemporel d'un savoir qui, au moins au 
Pivoau de ses droits, serait lui-mêmo snns âge. M~me lors­: 
u'elles évitent. toute rêCércn~e. à l'~istoire, ~cs sciences hu,!,oin~s 
(eL à ce titre on peut placer 1 histoire parmI ellcs) ne font JornOIS 
e meure en rupport un épisode culturel avec un outre (celui 
::quel elles s'appliquent. c0rm.ne à leur objet, et cc~ui où elles 
,'enracinent quant à leur exlstence, leur mode d être, lou1'8 
oeéthodes et. leurs concepts)j et. ai elles s'appliquent Il leur propre 
aynchronie, c'cst il lui-même qu'elles rapportent l'épisode 
cult.urel dont clles sont. issues. Si bien que l'homme n'apparni~ 
jamais dans ss positivité saDI quo celle-ci soit. aussitôt limitée 
par l'illimité de l'Histoire. 
On voit. se reconstituer ici un mouvemeut. analogue il celui 
qui animait. de l'intérieur tout 10 domaine des Icienoes de 
l'homme: tel qu'il a été analys6 plus haut, ce mouvement. ren­voyait 
perpét.uellement des positivités qui déterminent l'êt.re d. 
l'homme à la finitude qui fait appnl'attre ces mOrnes polôitiviLés; 
de sorte que les sciences étaient prises elles-mêmes dans cette 
grande oscillation, mais qu'à leur tour elles la reprenaient dans la 
fonne de leur propn positivité en cherchant il aller S8ns cesse du 
consciont. il l'incoIlSclent. Or, voilà qu'avec J'Histoire unc oscil­lation 
semblable recommence; mais cette fois, elle ne joue pas 
entro la positiviL6 de l'homme pris comme objet (et manifo5t6 
empiriquemont par le travail, la vie et le langage) et les limites 
zondicnles de son ôtrej elle joue entre les limites temporelles qui 
dl: finissent le.~ formes singulières du travail, de la vie et. du lan­gage, 
ct la positivité historique du lujet qui, par la connailisanoe, 
t:ou"'e accès jusqu'à eux. Ici encore, le sujet et l'ohjet. sont 
liés dans une mise en question réciJlroque; mais alors que là­bas 
ceUe mise en question sc faianlt il l'int6rieur même de la 
connllissnTlce positive, et par le progressif dévoilement de l'iu­c~ 
nilcicnt par la conscience, ici elle sc fait aux confins cxt6- 
t'leurs de l'objet et du sujet; elle désigne l'érosion Il laquelle tous 
deux sont soumis, la dispersion qui les écarte l'un de l'autre, 
le~ a':f8cba~t à une positivité calme, enracinée et dé6nitive. En 
tevo~ant. 1 Jnconscient comme leur objet le plus fondamental, 
es SClcnces humaines montraient qu'il y avait toujours li peMer 
~ncore dllns ce qui était. déjà pensé au niveau manifeste; en 
h éc:ouyrant ,la .loi ~u temps COIlUDe limite e~terDe des sciences 
umamc9, 1 lIislolre montre que t.out ce qUI est pensé le sera 
encore par une pensée qui n'a pas encore vu le jour. ~{ais 
peUl-~tre, n'avons-nous là, SOUiI les formes concrètes de l'in­CO~ 
Clcnt et de l'Histoire, que les deux faces de ceUe finitude
381 
qui en découvrant qu'elle était h elle-même Ion propre {onlle. 
ment, n fait nppnrnttre 8U Xlxe siècle la figure do l'homme - UI 
fin!'tdu ~ sans lnf !ir"u , c est sans,J oute une lmit'u d0 qU'I n'a ja1-uInQÏs 
rom, qUI est touJours en rctrrut par rapport à e))o-mnme à qu' 
il rene encore quelque chose à penser dans l'imItant min'B 01 
elle pense, à qui il reste toujours du telnps pour pORl1cr dB nou­venu 
ce qu'eUo a pensé. 
J?ans la peDl;ée modern~, l'l~is.torjcisme et l'ana1ltique 110 la 
fim1.uilo 110 {ont face. L'lustorlCltiffie ellt UDe mam~re de luirt; 
raloir pour lui-même le purpét.uel rapport critique qui joue 
entre l'Hisloire et les IIcienoos humainos. Mais ill'in!tauru uu 
80ul niveau dss pOtiitivitéa : la oonnniss:mce positive de l'homme 
est Jimit6e rar la pooitivité hislonque dit sujct qui connalt. d., 
sorte que le moment de la finitude Mt dbsous dans 10 jeu d'une 
relativité à laquelle il n'est pas po~sible d'échapper et qui vaut 
elle-même comme un ahsolu. :Ittre fini, ce serait. t0l1Lsilll1'18!1Ulllt 
être J.lris pnr les lois d'une perspective qui ~ la fois permet unl 
certnme saisie - du type de la percept.ion 011 de la comprl:­heruion 
- et empêche que celle-ci soit jamais intellect.ion uni­verselle 
et définitive, Toute cOIUlaÙlsanc6 a'enraoine dans URe 
vie, une société, un langage qui ont une hi~t.oir6; 6t dans ceUe 
histoire même elle t.rouve l'élém61lt. qui lui pormot do commu· 
niquer avec d'ulllres- formes de vie, d'uutrlls t~ de soci6té, 
d'autres significat.ions : C'lIst pourquoi l'histc)[Jcismo implique 
toujours une corloine phIlosophie ou du moin~ tlne ccrtl'llne 
nuithodolugiu do la compréhension vivnnte (dans l'élément dola 
LabeTl8wlJ/.I,), de la communicat.ion interhumaine (sm fond des 
organisations llOClQ'C~) et de l'herméneutique (comme re:;saisie 
à travers le sens manifeste d'un discours d'un sellS à la fois 
second et premier, e'8..'1t-à-dire plus caché mais plus fondlmen· 
tal), Par là, les djlTérentes positivités formées par l'Histoire ct 
déposées en elle peuvent entrer en conlacl les unlls avec les 
nutres, s'~nvelopper sur le mode de la cOIUlaÎssance, libérer le 
contenu qui souulleille en elles; ce ne sont Jlas alors IIl8 limit~ 
elles-rnêml!5 qui appurdissellt dallsleur rigueur impiu-ieuse, maIS 
des lolalit.6s partielles, des tot.aliLés qui 50 trouvent Ijruit~es 
de fait. des tot.alités dont on pout., jusqu'li. un certain point, faire 
houger le .. Il'OnLières, mais qui De s'6tendront jnmoi~ Jans l'e.~. 
pace d'une analyse dbfiniLlvo, ot ne s'élèveront jumais Don 
plus jusqu'à la lululité absolue. C'est pourquoi l'analyse de ln 
finitude ne cesso de revendiquer contre l'hi!lrorici~D1o ln pa,rt 
que celui-ci avuit négligée: elle ft pour projet de laire surgi!', 
I1U londeIllcnt do tout.es les positivité,; et avant elle!, ln fin.itud.e 
qui les·cnd llossihles; là 04 l'historicisme cherchait la pO~1 
bilitê et ]a Justification de rapports conCl'f"l:$ eutre des totalités
385 
b nées dont le mode d'être était doun6 à l'avance par la vie 
otl~ f~rnll~a sociales, ou les significations du langngo, l'ana~ 
;Utique de ln fmi.ude veut interrogm' ce rapport de l'ûtre humain 
l"~tre qui en d61Ügnunt la finitude rend pusaiblesles positivitél 
en leur mode d'~Lre eoDcret. 
v. PSYCD~N.u.YSn, BTBl'IOLOGIB 
La psychllnalyse et l'ethnologie occupent. da.ru notre S3.TOÏr 
UDe place ~m.·i1égiée. Non point S?M doute parce ~'eUe!l 
auraient, mIeux que toute autre SClr.nce humlllUe, 8SS15 leur 
po,itivité et accompli enfin le TÏeux projet d'être véritableDleot 
scientiûque9; plutôt parce qu'aux contin., de toutesJes connais­! 
lances eur l'homme, elles fonnent Il coup sQr un trésor iné­puisable 
d'expériences et de concepts, mais surtout un porp6- 
tUl1 principe d'inquiétude, de mÏ!e en question, de critique et de 
contealatÏon de ce qui a pu 8emblf)r, par ailleUl'll, aoquis. Or, 
il y ft 1& cela Ulle raillon qui tienl à l'objet. que rcspecLÏvement 
elles 8e donnent l'une et l'autre, Ul8ÎS qui tient plus encore à la 
poiition qu'elles occupent et à la fonction qu'elles exercent d8DII 
l'espace général de l' ~pi.eémi. 
La psychanalyse, en effet. se tient au plus prèti de cette {onc­tion 
critique dont on a vu qu'elle éLait. int6rieul'e ft toutes les 
sciencCli hlllDllÏlles. En Be donnant pour taohe de faire parler 
à trayon la conscience le discours de l'inconscient, la pBych!l.­nalyle 
avance dons la direction de cette l'égion fondamentale 
où le jouent les rapports de la représ
Foucault, Michel - les mots et les choses (1966)
Foucault, Michel - les mots et les choses (1966)
Foucault, Michel - les mots et les choses (1966)
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  • 2.
    Prijace Ce livrea son lieu d6 naissance daM un Wû d6 Borges. Da,.. le rire qui .ecoue Il .0. lecture toutu lu familiarités de la penlH - de la nôtn : d. celle qui a notre 4ge et notre géographie-. ibranlant toules le3 8urrlWBll oràonnéM et tous les plans qui oe,a­gissent pour noUl le foisonnement de, êtres, faisane vaciller et inquiétant pour IongtBmp, no'rs pratiqua millénaire du M21718 ~ d6 l'AutnJ. Ce te3;lfJ cite • une certaine encyclopédie chinoi,u où il ese écrit que c les animaw: ,e dipissnt sn : a) appartenant fi l'Empereur, b) smbaumU, c) apprivoisés, d) cochons ds lait, e) sirènes, f) fabulew:, g) ChieM en libertB, h) inclus daM la présente classification, i) qui ,'agitent comme de8 fO/l8, j) innom­brables, k) dessink allec un pinoeau très fin en poils de chameau, 1) et coetera, m) qui viennent ds CQ8ser la cruchs, D) qui d8 loin ,emblent des mouches •• Dans l'émerveillement de cette tD.1;inomie, ce qu'on rejoint d'un bond, ce qui, fi la fapeur de Z'apologU/l, 1IOUS est indiqué comme le charme 1JX0tique d'une autre peTUléB, C'"' la limite de la n6tre : "impossibilité nue de penssr cela. Qu'est-il donc impoB8i~ de peMer, et ds qlUJZls Impossibilité ,'agit-ilP A chacuTIB d6 ce, ,inguLières rubriqua, on peut donner 8ens précis et contenu oesignable;quelques-une, enveloppent. bien des êtres fantastiquu - ammaus fabulew: ou .irèna; mais juso tsment en lsur faisant place li pare, l'encyclopAdie chinois, en localise les poul/oir, de contagion; elle distingU/l avec 80in 188 animaw: bien réel. (qui .'agitent comme du foUB ou qui piennent de cauer la cruche) et cew: qui n'ont leur .its qua dans l'imaginaire. Le, dangmus mélanga BOnt conjurés, lu blaso", et le. fabla ont njoint leur haut lku; pas d'amphibie inconcel/able, pas d'aile griffus, pas d'immonde peau. .quamelJ8e, nulle de cu faces polymorphes et tUmoniaquu, pas d'haleine de flammu. La mDTUltruo.ité ici n'altère aucun corpa réel, ne modifie en rkn le bestiaire de l'imagination; sUe ne IS cache dans la profondeur d'aucun poupoir étrange. Elle ne .erait même nuU.
  • 3.
    8 pMI prHtnteen ce'" ciallifiCGtion ,i eUe ne .e glill.ait dan. tout ""pace yid8, do,.. lout le blanc inrer.tiliel qui lépare te. ètl'fl' les uns de. autre •• Ce ne ,ont poilu animaw: • (abulew:» qu, ,ont imposdbllJs, pUl.qu"la ,ont dé~,grW' comme tell, mai, l'étroite dÜltance 'Illon laqueUe ila .ont juztaposé, au.z chiens Bn libené ou à ceuz yui de loin aemblent de, mouc1,e,. Ce qui traM­gr,." toute imagmation, toute pensée pOBBibk, c'est ,impkment la série alphabétique (a, b, c, d) qui lie li loulu ks awu chUCURB de ce, catégorie •• Encore ne ,'agit-il pas de la bi:a"erie de, rencontre. insolite •• On ,ait ce qu'il 11 a de dkoncertant dam la prozimité du e:&tr8mca ou tout bon1lllment daM le yoiainage .oudain dei dw,u ,am rapport; l'énumération qui lu entrechoque pollBède à elle .eulB un pOUf/oir d'enchantement: ,J. lIB .uÏl plUII à jelÂn, dit EUII­chènu. Pour tout ce jourd'hui, 'eront en ,/lreU de ma .aliflB : ,A 'pic" Amphisbè,,", Anerudwe., AbedeB8imom, AiarümD, Amnwbates, Apinaos, Alatmbam, Aracte8, Alterions, Aleha­rata, Ar811s, Araines, A,calabu, Attelabe" A.calabotu, Aemo,.. rorde' ••• » Mais toUII ce, fier. et "rpe"", WUII cel 8tru de pourri­' ure et de fll.oositi groui&nt, comme k, syllabu qui 18, nomment, dan. la ,alifle d'EustMne, : c'ut là que toUII ont leur lieu commun, tomme sur la table d'opération 18 pMapluie et la machine ci coudl'fl; .i l'étrangeté de leur rencontre éclate~ c'est .ur (ond da cel et, de ce en, de ce sur dont la .olidiu et l'évidence garantis,ent la poa.ibilité d'une ju.ztapo~ition. Il était cene. improbable que lu }~morroidu, lsa araignée, et lu CJl1II1Wbatu Yu:n1lllnt Un jour .fI miler 80UII les tkntl ,r EUBtl&ènes, mais, aprù tout, jln ceue bouclre accueiUanU et fIOrace, lla allaient bien. de quoi .e loger el 'roulier 18 palaiB de lsur couistenoe. La mOnBlruosÎlé que Borgu fait circuler doM .on énumératio" conaiste au contraire en ceci que "upace commun dtls rencontre, 8'y trouve lui-même ruinA. Ce qui. ut imp08.ible, ce n'ut pal le vol.inage des cho8u. c'ut le .ite lui-m8me où eUs. pourrai"nt 90isiMr. Lu animaw:« i) qui ,'agitent comme des (OUI, j) innom­brables, k) d68.iruiB al'ec un très fin pinceau de poit. de cham6au J, - où pourraient-ila jamai. .. rencontrlJl', .auf dans la yoi:& immatérielle qui. prononoe lsur tnumAratwn, ,auf .ur la pag" qui. la transcrit? Où p'UfI6nt-ila .e jw:tapour ,inon daM 18 non­lieu du langage? MaÏl celui· ci. en lu déployant, n'oUf/re jamaÎl qu'un espace impemable. La catégorie centrals des animaw: «inclUII daM la prujlnte cla"ificoeion J indique (INez, par l'ezpli­ci~ référence ci tk. paradoee. conn"" qu'on ne parlliendra jamais à dtfin,r entre chacun de cu .",emblu '" celui qui. lu riur,it tous un rapport ,,,,ble de contenu à conUnant : Bi tous les animauz répal1i • • e logent .arll ezception dana une des cases de
  • 4.
    Préfat'A 9 ladi.tr&bution, ut-ce qU4J tOiMe' lu Gutra ne IOn! pCJI en celU-cii' Eteelle-ci ci .on tour, en qU4Jl apat:e ruÏtlB-t-ellû L'ab,urde ru.lM la et de Z'énumiral.;'on en frappant d';,mp088ibiliU le en olheréparli­raient lu clunu énuméré". Borgu n'ajouü aucune figure ci l'atlas de l'impossible; il ne (aù jai.Ui.r nulle p'-'t& l'éclair de Id rencontre p08tique; il eaqu;,pe .eulement la pZ"" discrète mau la pius iMistante de, nku,Îlés; il ,0Uleralt l'emplacemenl, 16 .01 muet où le, &rer peullenl 8e ju:&taposer. Duparition masquée ou plutôt dérisoirement indiquée par la ,érie abécédaire de noIrs alphabet, qui el' cenau ,er"ir de fil d;,recteur (le seulpuihle) au.s énumératLQna d'une encyclopédie c1Linoise ... Ce qui ut retiré,en un mot, c'est la célêbre 1 table d'opération 1; et rendant à Roussel une faible part de ce qui lui ed 'oujourll dû, j'empwie ce mot • table 1 en d.6u:z; "ns 8uperposé, : table nicheik, caoutchouteuse, enpeloppée d.6 blancheur, éei,7IC8lanü 80US le soleiZ de verrtJ qui dévore le8 ombre8, - là où pour un iMtant, pour toujours peut­être, le parapluie rencontre la machine à coudre; et, tableau qui permet à la pensée d'op4rer ,ur lsII 8eru U718 mue en ordre, un partage en classe., un groupement nominal par quoi .ont dési­gnée, leu" ,imüitudel et leur. diRéreneu, - là où, depuu le fond des 'emp', le langage .'entrecroile avec l'"pace. Ce te%te tU Borg" m'a fait rire longtemps, non ,a718 un malaise certain Bt difPcila ci painere. Peut-2tre paru qU4J dans .on .illage nai88ait le loupçon qu'il y CI pire désordre qU4J celui de l'incongrl1 fi du rapproch6ment de cs qu, M co1wient paB; ce serait le tUsordrB qui (ait 8cintiUer leB (raf'MntI d'un grand nombre ,tordra polSible, dana la dimemion, .. ans loi. ni. géomitrÎB, de "hl:téro­clitej et il fam enündre ce mot au pl"" prè, de Bon étymoZogie : lea choses y BOnt • couchée, 1, «po'Bea l, «disposéu 1 da718 deB ,iter ci ce point diRérentl qu'il eBt impo88ibls de trouper pour eu:z; un upace d'aceueü, de définir au-dea8oUl des U718 et du autru un lieu commUD. Le. utopies C07l8olent : c'ut qU4J,i elle. n'ont paB de lieu réel, elleB ,'épanouÎ"ent pourtant dans un "PfJC8 merpeiUcu:z; et IÎSle; ellu ouprent Ja citél aWl paste8 111'671"", des jardina bi.en planli., des 1!ay. facile., même ,i leur acoM el& chimiriqU4J. Le8 hétérotopies Inquiètent, 8/IIV doute parcs qu'eUM mineR! .ecrètement la langage, parce qu'eUe. Ilmpichent de no,,,,­mer ceci et cela, paru qu'elle. bmBnt le, nomB communa ou lai Bncluwêtrent, parce qu'ellu ruinent d'oponce la •• ynlaU " " pal .eulament cella qui construit lu plltfJ868, - celle moi1l3 mani­fute qui (ai.t • tenir ,nsemble 1 (à côté IIIt e", fat:e lu U718 des autru) le, motl et lea choeB8. C'B8t pourquoi lu utopi68 per­mettent le. fabler et lu discout. : eUe. IOn! dana la droit fil du langage, daM la dimBnBion fOn4anrentale de la fabula; lsII hlCl­rotopies (comme on en trou". ,i frlfrumment cM, BO'8611)
  • 5.
    10 Les mot3et lM ChOSM de .. kMnt k propos, arrêtent l88 mots Bur SUZ-nWl1UlS, cont6.~l6"j. dès S/I raci1l8, toute possibilité de grammaire; elles dérwuent lu mythes et frappent de st8rilité le lyrisme des phrasM. Il partât que ctlrtaÎ.n8 aphasiqurlS n'arrivent pas à classer de façon cohér6nta les écheveaw: de laines multicolores qu'on leur présente ,ur la ,urface d'U1l8 table; comms si cs rectangLe uni ne poupait pa3 servir d'tJ8pacs homogèT/8 et neutre où les CIwS63 viendraient à la foi! mani(e8fer l'ordre continu de leurs identitéll ou de lsura différeT1U8 et le champ 8éma1/Jiqw~ de leur dérwmi­nation. Ils forment, en cet espace uni où les choses normalement u distribuent et 86 nomment, une multiplicitti de petit3 domaina grumeleux et (ragmentaireB où des ressemblances Bans nom agglu­tinent lu choses en îloI3 dillcontinu$; dans un coin, illl placent les tiche~aw; les plUIJ clairs, dans un autre le., rouges, aiUeurs c~mz qui ont une consistance plu..s laineuse, ailleurs encore les plwlongs, ou cew; quftirent sur le piolet ou ceuz qui ont été noués en boule. Mais à peine esquissés, taus ~s gro!&pement3 Be défont, car la plage d'identité qui les soutient, aussi étroite qu'eUe soit, est encore trop ~tendU8 pour n'êtra pM illstable; et à L'infini, 18 malade rassemble et sépare, entasse lu similitudes divers63, ruine les plu..s é"idenles, disperse lu identités, &uperp08e 18s critère, différentB, .'agite, recommence, ,'inquiète et arrive fUllÙ8ment au bord de l'angoisse. La gêne qui fait rire quand on lit Borgu est apparentée saFU doute au profond malaise de ceuz dont le langage est ruinA : avoir perdu le * commun _ du lieu ~ du nom. Atopie, apha.,ie. PoUl"tant le t6:l;le de Borges pa dans WI6 autr~ direction; cet.t6 distor,ion du classement qui nous empkhe de le penser, ce tabl6au ,ans upllCe cohérent, Borges lsur donne pour p/Jlrie mythique une région précise dont le nom seul constitue pour "Occident une grande rheTPe d'utopiu. La Chine, dans notra rêve, n'est-eUe 1!GS justement le lieu privilégié de l'espace? Pour notre sy81atne amaginaire, la culture chinoise est la plUl méticuleUlte, la plia hiérarchisée, la plus lourde aw: ,wtinetne11t8 du temps, la plru atWchi8 au pur déroulement de l'étuuluej nous BongsoM ci eUe comFM ci une cipilillation de digue8 et de barrages sou..s la face éterneUa du cielj nou, la l'oyons répandue et figée Bur foute la 8uperficie d'un continent cernl de muraiUes. Son écriture mime rI8 reproduit palt en ZignM hori:umtales le pol fuyant de la POÎ3;; eUe dresBe en colonnes l'image immobile et encore reconnaÎ88able du choS88 ellu-mêmu. Si bien que l'encyclopédie chinoise citée par BorgM 8t la toeinomie qu'elle propose conduisent ci une pensée 801'13 espace, ci du mot. et ci du caUgones "am feu ni lieu, mais qui reposent au (OM sur un upace BOleMBl, tout surchargé de figuree complexeB, de chemins enclievltru. de ,ieu étrangee. da
  • 6.
    Préface il s~cret.pa.3,ages et ds commumca&WnI imprivuu; il 11 ourtlic ainsi, à L'autre utrimité ds la. te"e que 7IOUS habltoM, une cul­' ure POrde tout entière à Z'ordonnanu da "dlendue, mai. qui IN distri.buerait la prulifération du ~tr8JJ daM aucun ,u, upacu 0' il nuus est pos8ible de 7IOm1R6r, de parler, tÜ penaer. Quand MUS i1l8tau.r01l8 un cla8.am.ent réfléchi, quand 7IOUS dÏBoM que le chat et le chisn ,e res.emblent moins que dew: UII,iBl'8, même ,'ils .ont "un et l'a"'re tlppr",oisé. ou embaumés, même .'ils courent toUl dA!1J,IJ; comme du fous, et meme ,'ils viennent de casser la t:r/.I.CÙ, qui' ut donc le 801 ci partir da quoi MUS pou~'01l8 rétablir en toute csrtitudeP Sur quelle «table», selon quel espace d'identiUs, de .imilitcules, d'analogiu, fJ4I01&l-nous pris Z' habitude de J,i"'ribuer tant de choi61 diRérentu ct pareülca P QI~lk ut cette cohirenc8 - dont on lIoit bien to'" de suite qu'elle n'est ni tUterminAe par un enchaînement a priori et nB088,aire. ni imposée par des contenus immédiatement se1&8i.bluP Car il nA! s'agit pas de lier du conséquenC81, mais da ,approoher et d'isoler, d'aruJlyser, d'ajust8r et d'emboUer d6I contenus concrets; rien de plus tdtonnant, rien de plus empirique (au moina 8n apparence) que "instauration d'un ordre parmi 161 chosu; rien qui n'ui.ge un oei.l plus ouvert, un langage plw fidèle eC miew: modulé; rien qui M demandB allec plus d'i."",isCance qu'on 8e laisse porter par la p'roli(ération dM qualité. et du forme.. Et pourtant un regard qui 1&8 .erait pa.3 armé pou"ai' bi.n rapprocher qlUlques figuru BemblabZea et en distinguer d'autres d railon cù telle ou telk diRérenu : en fait, il n'y a, même pour l' upér~ la plus natllB, aucune /J~militlUÙ, auculUl distinction qui 1&8 résulte d'une opération précise et de l'application d'un criHre préalable. Un «système dS/J éléments 1-une tUfini.l.ion de. 8egments BUI' kaqu.eZs pourront apparaître Zea r6lBIJmbiaTUJU et lu diRérence., lu types de IIariation dont cu .egments pourront Blre aRec", le /Jeuil enfin au-da.us duqu.el il 11 aura diRérlJnce et au-dessous duquel il y aura similicutÜ- est indispensable pour l'établi,,­BBrnent de l'ordre le plus 8imple. L'ordre, c'ut ci la fois ce qui 8. donne dans le. chos8/J COm1R6 18ur loi intérieure, le ré.eau Becrel /Jelon lequel eUe/J 8e regardent en quelque Borte Zea unes lBB a"',. et ce qui n'uÏ8te qu'à trtwer, la grille d'un regard, d'une attention, d'un langage j et c'uc seulement da"", les ca868 blanchu de ce qrUJdriliage qu'il B8 manifeste en profondeur comme déjà là, attendant 8n .ilence le moment d' Itre énond. Les codes fondamentCJu:r; d'une culture - ceu:!: qui rigi"enC .on langage, S61 ,ckémas perceptif., 861 échangu, S8I techniqUBI, au PaleurB, la hi.érarc1lie de 881 pratiquu - fount d'entrée cù jeu pour chaque homme lu ordres empirique. aU%1JuelB il aura aRatre tC dan. le.quels il " ,.,tro,,"era. A l'autre .rémité d.
  • 7.
    Les mots etles C1wIl~1I la pensée, du 'Mories 8cientifiquu ou du interprétations de philosophes expliquent pourquoi iZ y a en général un ordre, ci qualls loi générale il obéit, quel principe peut en rendre compte. pour queUe raison C'Mt pluMt cet ordre-ci qui elt établi et non plJl f8Z autre. Mais entre ces deu:e régwnui distant8ll, rÎlgntJ un domaine ~ui, pOUl' {WoÎ.r surtout un rôle d'intermédiaire, n'en ut pas mom. fondamental: i.l 63t plus confus, plus olncur, moina facile SaM doul6 à analyser. C'cst là qu'uns culture, se décalant insensible­ment des ordr6B empiriques qui lui sont prescrits par S8S codu primaires, instaurant une première dista1lC8 par rappor& à eu:e, leur fait pmire leur tranaparenoe initial8, cesse de se lais8#Jl' "fIISsÎ.l'ml6nt trfJC1ener par euz, 88 déprend. dB leurs poupoir. immédiats et irwisibw, se libère asse~ pour consta!u que cu ordru ne sont peut-Btre plJl 188 seuls pos,ibles ni les meilleurs; de som qu'eUe se trouve tÙlyant le fait brut qu'il y a, au.-dtfflsous de 88B ordm 8P0ntanis, de, choses qui 80nt en ell8l-mBmeB ordon­nables, qUI- appartiennent à un certain ordre muet, bref qu'il y a dB rordre. Comme si, s'affranchissant pour uns part dB MU grilla linguistiques, perceptipes, pratique8, la culture appliquait lur ceUes-ci une 8riUe seconde qui les neutralise, qui, en les doublant. lu font apparattre et les excluent en même temps, et 8e trouvait du mime coup devant Z'Btre brut de "ordre. C'est au.nol!' de cd ordra que tes code. du langage, de la perception, de la pratique .ont critiqués st rendus partiellement i,walides. C'est ,ur fo114 da est ordre, tenu pOUl' 80l positif, qlJ6 88 bâtiront le. théonu générales de "ordonnance du choses et les interprétati01~ qu'eUs appelle. Ainsi entrels regard déjà codé et la connaissance réflexillB, il y a une région médiane qui délivre rordra en son lire mhne : c' e..~t là qu'il apparaît, selon les cultures et selon les époquu, contin" at gradué ou morcela et diacontinu, lié li l'upace ou conafitué ci chaque instant par la pOU8sée du temps, apparenté à un tableau de variables ou définI- par de. sys:èmu séparé. da cohérencu, compod de reuemblancu qui se suivent de prochs en procha ou 88 répandent en miroir, organisé autour de différences crois- 14ntU, etc. S~ bÜJn que ceUs régi.on c m8clwnB l, dans la ","UI'B o~ elle manifes~ les modes d' ~tre de "ordre, peue S8 don1UR' comme la plus fondamenlal8 : anUrieurB aw; mots, aw: percepti01~ el aw; gute, qui ,ont C8més alors la traduire aveo plus ou mam. d'exactitude ou da bonheur (c'est pourquoi. ceUs expérienoe da "ordre, en 80n être ma.ssif et premier, joue toujoUrB un 76le critiqlMl); plus .olide, plU8 archarque, moins doul6U8e, tou~ jours plus c vraie 1 que les théorie, qui 88,aÜJnt de leur donner une forma explici18, une application exhau8tiJla, ou un fonds. msnt philoaoph.i.qua. Ainsi dam toute cultlJl'8 entre "usa,e de Cf qu'an pourr~ie appder les codu ordinateurs 0' '" ré~wM .u,
  • 8.
    Prlfaoe 13 ziorilre.il Y a l'e:l:périenCit R!J8 ds "~ordre " ds ,u modu tJ:itre. Dam l'élude q!J8 poici, o'e&t ceUe e:l:pbwnoe qu'a" poudrai, analyser. Il .'agit de montrer ce qu'elle a pu devenir, depui, le XVIe siècle, au mÙÛJu d'une cl.J.ture comme la nôtre: de q!J811e manière, en remonUmt, comme ~ contre-coura"', le langage tel q,,'il étai.t parlé, les êtru naturel. tel$ qu'il. étaient perçU$ ee rassemblés, le. échange. tels qu'ifs étaient pratiquâ, notre cul­t" T8 li manifesté qu'il y al'ait de l'ordre, et qu'aut: modalités de cet ordre les échanges dsvaÏ8nt lsur. 10;", le. être. vÎl'antB leur régularité, te. mots teur 8nchatnement et leur valeur représen­tatiye; qusUss modalitâ de l'ordre ont été reconnues, posée" nouées avec l'espace et le temps, pour former ls .ocls positif .18. connais,ancu tellfl, qu'elle8 " déploient dam lagr/Jln11'l.aÎre ee dans la philologÏ6, NM18 l'h~toire naturelle et dans la biologie, tL,ns l'étude des riches8e. 6t dans l'économÙJ politiqus. Une telle uRlllyse, on le poit, ne relèl'e pas de l'hiBtoÎTe des idées ou du sciencu:c'est plutiJt unB étud8 qui .'elforC6 ds rtltroufl6r à panu. de quoi connais,ance8 et thioriu ont été pouibw; .elon que' Il'pace d'ordre 8'est constitué le 'iWoir; .ur (aM de quel a priori historique et dans l'élément de quslle p08itipité du idbut ont pu apparlÛtre, dss .ctences 86 constitU8J', ds8 ezpirÎencu .e réfléchi.r dans du philosophies, des mtionalités 88 former, pour, peut­être, se déoo!J8r et 8'éllanouir bient6t. Il ne sera donc pal question de conna;",ances décrites dans leur progrù peril une objectil'ÏU dans laquelle notrB science d'aujourd'hui. pourrait enfin 88 rBcon­nlÛtre; ce qu'on poudrait meUre au jour, e'es' le champ épiBté­mologique, l'êpistémè où lu connais.wa1&C8l, 8n,,;"agées hors de tout critèr" BB référant à ùur l'aleur rationnelle ou ~ leurs forme. objectil'6l, enfoncent leur po.itiviU el manifestent aiRl' uns histoire q'" n'eBt pal celle de ùur perfection croissants, mai. plu"'t oeUe de leur. conditionB de poS!ibüité; en ce récit, ce '1'" croit apparaître, ce .ont, dans Z' espace du. savoir, les configuratioM qui ont donnA lieu aru forme, dil'Brsu de la conna;"rance empi­rique. Plutôt que d'une h.i.~toire au ,sens traditionnel du mot, il s'agit d'une c archéologie 1:1. Or, ceUe enquête archéologique a montré deuz grandu dis­conti. nuités dans "épistémè de la culture occidentale: celle qui inaugure l'âge cla.uique (fI8r8le milÙJu du XVIIe siècle) et CIJUe qui, au début du XIXe marquels B6uil de notr. modemité.L'ordrlJ 814" fond duquel no"" pemonB n'a pal le mèmtJ mode cl'ëtre qUIJ celui de. clasBiq!J88. Nous al'OnB beau iWQtr "impruiion d'u" moul'ement presque ini~rrompu de la ratio 8u.ropéBnne depuÎ8 1. Les problèmes de méthode poaél par une &eUe c arch6ologfe a .. ron' examinés dana un procbaù1 ouvrage.
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    la Renai8'tlnce jusqu'ànos jour., noUB avons beau pel18er que la cw..ificatWn tk Linné, plua ou moins aménoegée, peul en 8ro, continuer à avoir une sorte tk yalidit6, que la théorie tk la yaleur chez CQndWac st retrouve pour une part dans le marginalisme du XIXe siècle, que Keyna a bitm Benti l'affinité de ses propres anoelyaes "Pee celle, de Camillon, qtuJ le propo, de la Grammaire générale (l8l qu'on le troupe CMZ les auteura de Port-Royal ou chez Baruû) n'est pas .i éloigné de notre oclw!lle linguistiqu6, - toute cetù quasi-continuité au niveau de.t idks et. des thèm611 n'est 8ans doute qu'un en6t de surface; au nweau archéologiqtuJ, on POît que le système du posÏliyith a changé d'une façon 11IlJ8- 8iY8 au tournant du XV Ille et du XIXe .iècle. Non pas que la raison ait fait du progrès; mais o'e" qtuJ le mode d'être de. chosfJII et de fordrs qui en les répartis,ant les offre au s(Woir a été profondbnent altéré. Si "hUtoire noetureUe de Tournefort., da Linné e& de Buffon a rapport à autre chose qu'à eUe-m2rne, ce n'ut pas à la biologie, à l'anatomie comparie de CuvlSr ou à "éyo­lutionnisme de Darwin, c'est à la grammaire ginérale de BaU1k, c'ut à l'annl.ys6 da la 1nOnnoeie et de la richesse telle qu'on la trorwe cher. Law, chez Véron ch Fortbonnais ou chez Turgot. Le. '!()nnnissalICM parviennent peut-être à ,'engendrer, les idks à Be .ra1l!former et à agir les unes 8ur 188 autr611 (mais comment1 les hr.storiens juqu'à pruent 718 noUB ,'ont pas dit); U1I8 choslJ en tout cas 6IIt certaLnS : C'Mt que l'archiologie, ,'adressant il l'upace général du s(Woir, à 86S oonfigumtwns et a" mode d'2t.rtJ des chos6ll qui. y apparaissent, définit d6IIsyltèmes de simultanAité, ainsi que la 8érie des mutations n6ces8aire8 et 8uffi8an1e8 pour circonscrirs le seuil d'u1l8 positivité noUYtlle. Ail18i l'arwlY8e a pl' montrer la cohérence qui a uisté, fout Ilt, long de l'dge cWssiqtuJ entre la théorie de la représentation 6& ceUes du langage, des ordres naturels, de la richs8se et de la yaleur. C'est cette configuration qui, à partir du X/xe siècle, change entièrement; la théorie de la représentation disparaU comme fon­dement gén~ral de tous les ordr88 possibles; le langage comms tableau 8pontanA et quadrillage premier d6II choses, comme relais indispensable entre la r8prMentatwn e& le8 être8, s'efface à son tour; une historioité proforule pénètre au coeur des choses, les isole et lfJII définit dans leur cohérence propre, leur impose de, formes d'ordre qui 80nt impliqué68 par la continuiti du I6mps; "analyse lÙ8 échangM et de la monnaie fait place à l'étude de la production, celle d6l'organisme pmulle pCJ8 sur la r6cherche dss coracûr6s lazinomiquuj et surtout le langage r.erd 8a place pri· vilégik et devient à son lour U1I8 figure de l histoire cohérente a,'ee l'épaÎ3seur de son pCJ88é. Mais à mesure que les choses s'8n­roulent Bltr elles-mêmes, 118 demandant qu'à Ifur d,yenir le prin·
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    Préfaoe 15 cipede lAIur inklligibiliU et abandonnant l'upaoe de la représen­taricln, l'homme à .on wu,. e~ et poUr' la pnmiAre fois, dan .. Z, champ du SlJfIoÏl' occidenlal. ~'wngemtJnt, "/aomme - dont la connaissance ptJlfH Il rk& yeu naif, pour la plu. vieille recherche depuï. Soera1.6 - n'ut 8anl douta rian ~ pl"" qU'UM certaiM déchirure dans l'ordre du cho.ru, UM configuration, en tout CM, deB,inée par la diapo,ieion nou,""lle qu'il a priaeriClrnmentdansle .avoir. De là ,ont nUs to~, lu cllim8rtJ8 dtJB nouveaw; huma­nÏ811UJB, to~ le, facilités d'UM «anthropologie J, ent6ndU8 comme réflaion génArale, mi-positive, mi-philOsophiqU8, sur l'homme. Réconfort cependant, et profond apaisement de penser que l'homme n'68t qu'lJ.1I8 invention récenf8, une figure qui n'a pas dew: sièclu, un .. imple pli. dans notre .avoir, et qu'il dispa­redira dû qU8 celui-ci aura trouvé une forme nouvelle. On voit que cette recherche répond un peu, COI1lln6 lin écho, au proje~ d'écrire UM histoire de la folie ci "tSge cloesique; elle a dana le temps les mêmu articulati.ons, prenant 801' départ ci la fin da la Renats8ance et trouPant, elle aussi, au tournant du XIXesidcl", le nuil d'une modernité dont no"" ne sommu toujour. pas 807Û8. AIor8 que dans ,'hlaeoire de la (aliB, on interroglloet la manU,. donE UM culture peut po,er 80US UM fOrmB maBsiVII et génArals la diffirence qui la limite, il .'agit d'ob'lITger ici la manière dont dll! éprouge la proeimité dtJB cha8M, dont elle établit le 2ableau de leur. parenlis et "ordre 811wn legU8' il faut les parcourir. n .'agit en .tomme d'une histoire de la l'S8smnblance : ci queUe, conditions la pensée claIsique a-t-elle pu ,.lllichi.,., entP'e le, chosea, du rapporC8 de ,imilariU ou d'iquivalencIJ qui fondent etiusti~nt les mors, lu classifications, les khangeû A panir de 91MJZ a priori m,torUjue ~t-il été possibk da rUfinir le graM damIR dtJB iden­tiUs distinctes 'lui ,'établit 'Ur' le fond brouilU, i.ndéfini, 8ans 9isage et COI1lln6 indifférent, du différencesP L'histoire de la folie 8erait l'hiBtoire de Z'Autrs, - de ce 'lui, pour UM CultUT6, 68' à la fois intérieur et étranger, donc à ~clure (pour Bn conjurer ,. péril inMrieur) mais Bn l'enfermant (pour 81' réduire l'aUlrité); "hiatoire do l'om,.s da. ChOBU Berait l'histoire du MamtJ, - dl ce qui pour une culture ed ci la foi.& disper8é et .apparsnté, donc ci distmgue,. par dM marqw4 et à recueiUi,. dGns dtJB idenritis. Et 8i on songe que 14 maladie tJ8t à la fots le dé,ordre, la ptrü­' euse altérité dans le corps humain et jusqu'au coeur de la PÛI, mais aussi un pl,énomènB de nalure qui a 8tJ8 régularités, 88' rusem­blances et 868 typ6S, - on POit queUe place pourrait avoi,. UM archéologie du. regard médical. De l'e:&périence-limite de l'Autre au fOP'm1l8 constitutives du savoi,. mAdical, et de celle,..ci à l'ordre da. choses et à la. penséB du Mime, ce qui ,'offre ci l'analY88 archéologique, c'ur tout le 8avoir clauique, ou plutôt ce aeuil gui
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    16 1JQ," .épa.rede la pmi" clo.,~ " conriÎtua not .... 11lOIUmÏU. S14T' ce .euil uL appanu: pour la pram~rtl fo" cette étrangtl figurs du BaVOL,. qu'on ap~lk l'lwm"",, Ilt qui a ouvert un u~ propr. UI./oZ Bciencell humainu. En ",ayant de 7emeUre au iour ceUe profond.s dinivtlUoJ.wn ck la culture occûLmlal6. e'ut à notrs BOl .ilencÏtlWJ et naEvement immobile que no," 7t1ndoru ;e, T'upturu, .Ion instabiliU, 86' fai.lù'i ~t'C'Il,t lui qui ,'inquiète ci noUI'BaU 80'" no, pal.
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    CHAPITRE 1 Lessuivantes 1 Le peintre est lêgèl'ement eu retrait du tableau. TI jette Un coup d'oeil sur le modèle; peut-être s'agit-il d'ajouter une der­nière touche, mais il se peut aussi que le premier trait encore n'ait pas été posé. Le bras qui tient le pinceau est replié sur la gauche, dans la direction de la palette; il est, pour un instant, immobile entre la toilt' et les oouleurs. Cette main habile est suspendue au regard; et le regard, en retour, repose sur le geste arrêté. Entre la fine pointe du pinceau et l'acier du regard, le spectacle va libérer son volume. Non sans un système subtil d'esquives. En prenant un peu de distance, le peintre s'est placé à cÔté de l'ouvrage auquel il travaille. C'est-à-dire que pour le spectateur qui actuellement le regarde, il est à droite de son tableau qui, lui, occupe toute l'extrême gauche. A ce même spectateur, ]e tableau tourne le dos: On ne peut en percevoir que l'envers, avec l'immense châssis qui le soutient. Le peintre, en revanche, est parfaite­ment visible dans toute sa stature; en tout cas, il n'est pas ~8qué par la haute toile ·qui, peut-Atre, va l'absorber tout à l'heure, lorsque, faisant un pas vers elle, il se remettra à son travail; sans doute vient-il, à l'instant même, d'apparattre aux yeux du spectateur, surgissant de cette sorte de grande cage virtuelle que projette vers l'arrière la Burface qu'il est en train de peindre •. On peut le voir maintenant, en un instant d'arrêt, au centre neutre de cette oscillation. Sa taille sombre, IOn 'Yisage clair sont mitoyens du visible et de l'invisible : sortant de cette toile qui nous flchappe, il émerge à nos yeux; mais lorsque bientÔt il fera un pas vers la droite, en se dérobant à nos regards, il lie trou'Ye1'8 placé juste en face de la toile qu'il est en train de peindre; il entrera dana cette réfitÏon où. son tableau,
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    20 négligé unilllitant, va, pour lui, redevenir vi~it>ie sons ombre ni réticence. Comme IIi le peintre ne pouvait à la fois être YU sur le tablcllu où il ellt représenté et voir celui où il s'emploie il repréllent.er quelque chose. Il r~gne au seuil de ces deux visi­hilités incolllputibles. Le }leintre rr.gonle, lB visage légèrement tOUTllé et 11 tête penchée vers l'éllauJe. Il fixe un point invisible, niais qllC nous. les spectuteurs, nou:'! pouvons lIi~ément assigner puillque :0 Jloint, c'est nous-mêmes: notre corps, notre visage, nos yeux. Le spectacle qu'il observe est donc deux fois invisible: puis'lu'il n'cst pas représenté dans l'espace du tableau, et puislIU'il Ile lIitue prér.i~ément en ce point aveugle, en cette cache e5sentitllle où se dérobe pour nous-mêmes Ilotre regard au moment où nous regardons. Et pourtant, cette invisibilité, comment pour­rions- nous éYiter de la voir, là BOUII nos yeux, Plùsqu'elle a dans le tablelu lui-mArne Bon sensible é1luivalent, SB figure Icellée? On pourrait en ellet deviner ce que le peintre regRrde, l'il était possible de jeter les yeux sur la toile à laquelle il l'applique; mais de ctille-ci on n'a{lCl'Çoit que la trame, ]e8 montantB à l'horizontale, et, il la vertICille, l'obliquedu chevalet. Le haut rectangle monotone qui occupe toute la partie ~uche du tRbleau réel, et qui figure J'envers de la toile représentée, restitue sous les espèces d'une surface l'invisibilité en profon­dcur de ce que l'arll"tc contemple: cet ellpflce où nous .Olumes, que nous sommes. Des ycux du peintre à ce qu'il regarde, ulle ligne impériculle est tracée que nous ne saurions éviter, nouli qui regardons: elle travertle le tableau réel et rejoint en avant de sa surface ce lieu d'où nous voyons le peiutre qui noUB observe; ce pointillé noui atteint immanquablement lit nOUS lie à la repré$entation du tableau. En apparence, ce lieu est. simple; il est de pure réciprooité : nous regard uns un tableau d'où un peiutre à son tour nous contemple. Rien dti plus qu'un face à face, que des yeux qui sc surprennent, que des rllgards droits qui en BC croi~8nt se superposent. Et pourtant cette mince ligne de visibilité en ret.our enveloppe tout un ré~au complexe d'incertitudes, d'échanges et d'esquives. Le peintre ne dirige les yeux vers nous que dans la mesure où llOUS nous trouvons il la place de son motif. Nous autres, spectateurs, nous sommes en sus. Accueil­Ii!! sous ce regard, nous sommes cha!l!és par lui, remplacés pltr ce qui de tout temps s'est trouvé là avant nous: par le modèle lui-même. Mais inversement. le regard du peintre adressé hors du tableau a.u vide qui lui fait face a.ccepte autant de modèles qu'il lui vjeut de spectateurs; en ce lieu précis, majs iudifréreut, le l'egardant et le regardé l'écha.ngent !jlU1S cesse. Nul rtlg'drd
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    21 D'est stable,ou plutit, dam ]e sillon neutre du regard qui transperce la toUe ~ ln perpendiculaire, le sujet d l'objet, le spectateur et le modèle inversent leur rôle à l'infini. Et la granùe toile retoumée à l'extrême gauche du tableau exerce là sa seconde fonction : obstinément invisible, elle empêche que soit. jamais repérable ni définitivement établi le rapport des regards. La fixité Opaque qu'elle lait régner d'uu côté rend pour toujours instable le jeu des métamorphoses qui au centre s'établit. eutre le spectateur et le modèle. Parce quenoul ne voyous que cet euvers, nous n6 savons qui nous sommes, ni ce que nouil faisons. Vus ou voyut? Le peintre fixe aotuel­lement un lieu qui d'instant en instant ne cellse de changer de contenu, de forme, de visage, d'identité. Mais l'immobilité attentive de aes yeux renvoio li uno llutre direction qu'ils ont suivie souvent dêjfl, et que bientôt, li n'on pas douter, ils vont reprendre : celle de la toile immobile sur laquelle se trace .. est tracé pent-être depuis longtemps et pour toujours, un por­~ ait qui ne s'eRacera jamais plus. Si bien que le re~al'd souve­rain du peintre commande un triangle virtuel, qui définit en Ion parcours ce tableau d'un tableau : au sommet - seul point visible -les yeux de l'artiste; à la base, d'un côté, l'empla.cement invisible du modèle, de l'autre la figure proba­bl" mtmt esquissée aur la toile retournée. Au moment oil il. pla.cent le spectateur dans le champ de leur regard, les yeux du peintre le saisissent, le contraignent à entrer dans le tableau, lui assignent un lieu lIa fois privilêgié et. obligatoire, prélèvent sur lui sa lumineuse et. visible eapèce, et. la projott..eJl~ ~~ ~a surface ~c.colIsjble de la t~ile retournée. li VOlt Ilon IDVJslblhté rendue villible pour lè pemtre et traIlll­posée en une image définitivement invisible pour lui-même. Surprise qui est multipliéo et rendue plus inévitable encore pal' un piège marginal. A l'extrême droite, le tllbl8llu reooit sa lumière d'une fen~tre représentée selon une perspective très coune; on n'en voit guère que l'embrasure; si bien que le flux de lumière qu'elle l'épand largement baigne à la fois, d'une m~me générosité, deux e~paecs voisins, entrecroisés, mais irréductibles : la. surface de la toile, avec le volume qu'elle :représente (c'est-t-dire l'atelier du peintre, ou le salon dana lequel il a installé Ion chevalet), et en avant de cette surface 1«: volume réel qu.'occupe le spectateur (ou encore le site irréel du modèle). Et parcourant la pièce de droite à gauche, la vaste lu.mière dorée elllporte lIa lois le spectateuT vers le peintre, et le modèle vers la toile; c'est "Ile .uasi qui, en éclairant le peintre. le rend ,·isible au spectateur et fait briller comme autant de lignell d'or aux. yeux du modèle le cadre de la toile énigmatique
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    22 où !Ionimage, trnnllportée, va sc trouver enclose. Cette (enôtre extrême, partielle, à peine indiquée, libère un jour entier et mixte qui sert de lieu commun b ln représentation. Elle équi­libre, à l'autre bout du tableau, ln toile invisible: tout comme celle-ci, en tournaot le dos aux spectateurs, se replie contre le tableau qui la représente et formo, par la superpo~ition de son envers visible sur la SUnlCe du tableau porteur, le lieu, pOUl' nous inaccessible, où scintille l'Image par excellence, de même la fenêtre, pure ouverture, inlltaure un espace aussi maniEe8te que l'autre est celé; aussi commun au peintre, aux personnages, aux modèles, aux spectateurs, que l'autre est solitaire (CQr nul ne le regarde, pas même le peintre). De la droite, a'épanche pllr une feoêtre iovisible le pur volume d'une lumière qui rend visihlo toute représentation; à gauche a'étend la lurface qui esquive, de l'autre côté de sa trop viBible trame, la représenta­tion qu'elle porte. La lumière, en inondant la scène (je veux dire aURsi bien ln pièce que la toile, la pièce représ8nt6e sur la toile, et ]a pièce où la toile est pIncée), enveloppe les personnages et lea spectateurs et les emporte, sous le regard du peintre, vors le lieu O"l son pinceau va les repréllenter. Mais ce lieu oous est dérobé. Nous nous regardons regardés pnr le peintre, et rendus nsibles à sei! yeux par la mème lumière qui noOB le fait voir. Et au moment où nous allons nOU8 saisir transcrits por &Il main comme daus un miroir n01111 oe pourrons surprendre de celui-ci que l'envers morne. L'autre côté d'une psyché. Or, exactement en face des spectateurs - de nous-mêmes -, sur le mur qui constitue le fond de la pièce, l'auteur a représenté une série de tableaux; et voilà que parmi toutes ces toiles suspen­dues, l'une d'entre eUes brille d'un éclat singulier. Son cadre eat plus large, plus sombre que celui des autres; cependant UDe fine ligne blanche le double vers l'intérieur, dilIusant sur toute 8& BUnaee un jour mulllisé li. assifPler; car il ne vient de llulle part, sinon d'un espnce qui lui serait intérieur. Dans ce jour étrange apparaissent deux silhouettos et au-de96UB d'eUes, un peu vers l'arrière, un lourd rideau de pOUl'pro. Les autres tableaux ne donnent; guère à voir que quelques taches plus pâles b la limite d'une nuit sans profondeur. Celui-ci au contraire s'ouvre Bur un espace en recul où des formes reconnaissables s'étagent dans une clarté qui n'appartient qu'à lui. Parmi tous ces éléments qui sont destinés à offrir des représentations, mais les contes­tent, les dérobent, les esquivent par leur position ou leur di, .. tance, celui-ci est le seul qtÙ fonctÎoooe en toute hoooêtet6 et qui donne à voir ce qu'il doit montrer. En dépit de 8011 éloi­gnement, en dépit de l'ombre qui l'entoure. Mais ce n'ellt pail un tableau: c'est un miroir. Il offre enfin ce~ enchantement
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    23 du douhleque refusaient aussi bicn les peintures éloignées que la lumière du premier plan avce la toile ironique. De toutes les représentations que représente le tahleau, il cl>1.1a lIcule visible; mais nul ne le regarde. Debout à côté de sa tuile, et l'attention toute tirée vers son modèle, le peintre ne peut voir cette glace qui hrille doucement derrière lui. Les autres personnages du tableau liant pour la plupart tournés eux aU5si verl ce qui doit se passer en avant, - vers la claire inviDi~ilit{, qui borde la toile, vers ce balcon de lumière où ]eUl'S regards out à voir ceux qui les voient, et non vers ce creux sombre par quoi se furme 111 chambre où ils sont représentés. fi y a bien quelques têtes qui s'offrent de profil : mais aucune n'cst sulIisammeut détournée pour regarder, au fond de la pièce, ce miroir désolé, petit rectangle luisant, qui n'est rien d'autre que visibilité, mais sans aucun regard qui puilse s'en emparer, la rendre actuelle, et jouir du fruit, mQ.r tout à coup, de 80n spectacle. Il faut reeonnattre que cette indifférence n'a d'égale que la lIienne. Il ne reflète rien, en effet, de ce qui se trouve dans le même espace que lui : ni le peintre qui lui tourne le d08, ni lei personnages au centre de la. pièce. En sa claire profondeur, ce n'eat pas le visible qu'il mire. Dans la. peinture hollandaille, il était de tradition que les miroirs jouent un rôle de redouble­nient: il!> répétaient ce qui était donné une première fois dans le tableau, mail à l'intérieur d'un espace irréel, modifié, rétréci, recourbé. On y voyait la même chose que dans la première ins­tance du tableau, maia décomposée et recomposée selon une autre loi. Ici le miroir ne dit rien de ce qui a ét6 déjà dit. Sa l,osition pourtant est à peu près centrale: Ion bord supérieur est exactement sur la ligne qui partage en deux 1" hauteur du tableau1 il occupe aur le mur du fond (ou du moins sur la part de celUI-ci qui est visible) une position médiane; il devnit donc Ôtre truversé par les mOrnes lignes pel'5pectives que le tableau lui-même; on pourrait s'attendre qu'un même atelier, un même peintre, une même toile se cl.ù!posent en lui lielon uu espace identique; il pourrait être le double parfait.. Or, il ne fait rien voir de ce que le tableau lui-mêwe repré­~ entc. Son regard immobile va 'lai sir au-devant ùu t.ableau. dan8 cette région nécessairement invisible qui en furme la (ace extérieure, les personnages qui y sont disposés. Au lieu de tourner autour des objet. visibles, ce miroir traverse tout le champ de la représentation, négligeant ce qu'il pourrait y cap­ter, et restitue la visibilité à ce qui demeure hors de tout regard. ~ai. cette invisibilité qu'il surmonte n'est pas celle du caché: Il ne contourue pas un obstacle, il nc détour:le pa.s une perspec·
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    live, ils'adreasc ilce qui cst. invisible à 111 fois par la structU1'e du tableau et 1!ar son existence comme peinture. Ce qui S6 reflète en bli, c est ce quo tous les personnage." de la toile sont en train de fixer, le regnrd droit. devant eux; c'est donc ce qu'on pourrait voir si ln toile se prolongeftit vers l'avant, des­cendant plus bos, jl1Squ'il envelopper les per!onnages qui ser.­vent. de modèles nu peintre. Mais c'est aussi, puisque )a t.oile Il'arr~te là, donnant à voir le peintre et son at.elier, ce qui eaf. extérieur ou tableau, dans la mesure où il est tableau, c'e5t­à- dire fragment. rectangulaire de lignes et de couleurs charg6 de représenter quelque chose aux yeux de tout spectateur pOlt­sible. Au fond de la pièce, ignoré de tous, le miroir inattendu fait luire les figures que regarde le peintre (le peintre en su r6a­lité représent.ée, objective, de peint.re au travail); mais aussi bien les figures qui regardent le peintre (eu cette réalit.é maté­rielle que les lignes et les couleurs ont déposée sur 10 toile). Ces deux figures sont aussi inacoessibles l'une que l'autre, mais de façon dilIérente : la première par un effet de composition qui cst propre au tableau; la seconde pOl' la loi qui préside à l'exis­tence Blême de tout tableau en général. Ici, le jeu de la repré­sentation consiste à amener l'une à la place de l'autre, dans une superposition instable, ces deux formes de l'invisibilité, - ct de les rendre aussitÔt 11. l'autre extrémité du tableau - à ce pÔle qui est le plus hautement représenté: celui d'une pro­fondeur de :reflet au creux d'une profondeur de tableau. Le miroir 8Smt'O une métathèse de la visibilit.é qui entame à la fois l'espace représenté dans le tableau et sa nature de repré­sentation; il fait voir, au ceDtre de la toile, ce qui du tablcou est deux fois nécessairement invisible. Étrange façon d'appliquer au pied de la lettre, mais en 10 retournant, le conseil que le vieux Pachero avait donn6, paratt­il, li. son élève, lorsqu'il travaillait dana l'atelier de Séville : «L'image doit sortir du cadre. 1 Il Mais peut-Mre est-il temps de nommer enfin celle image qui apparatt au fond du miroir, et que le peintre contemple en avant du tableau. Peut-être vaut-il mieux fixer ulle ballll6 fois l'identité des personnages présents ou indiqués. pour ne pas nous embrouiller à l'infini dans ces dé5i~atioD5 Bottantes, un peu abstraites, toujours susceptibles d'équivoques et de
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    2S détlouLlements :Ile Jleintre JI,.lcs persollnugp.9 n, IL le! modèles_, alt:s sI'cctateurs Il, • les images Il. Au lieu de poursuivre sans terme Wl langage fatalement inadéquat au visible, il suInrait de dire que Vélasquez Il composé un tableau; qu'cn ce tableau ils'e!;t rcpré5enté lui-même, dans son atelier, ou dalUl un salon de l'Escurial, en train de peindre deux personIl8ges que l'infante Morbrucrite vient contempler, entourée de duèbrnes, do sui­vantes, ùe courtisans et de nains; qu'à ce groupe on pout très pl'l!r,Ïsélllent attribuer des Doms: la tradition reconnalt ici doüa Marin AglL';tlna Sarmiento, là-bas Niélo, au premier plan Nico­! aso Pertusato, houfTon italien. n suffirait d'ajouter que les deux perllonnages qui servent de modll1es au peintre na sont pas visibles, au moins directement; mois qu'on peut les apercevoir dans une glace; qu'il s'agit' li. n'en pas douter du roi Philippe IV et de son épouse Marianna. Ces noms propres formeraient d'utiles repères, éviteraIent des déliignations ambiguës; ils nous dira.ient en tout cas ce que regarde le peintre, et avec lui la plupart des personJi.oges du tableau. Mais le rapport du langage à la peinture est un rap­Jlort infini. Non pas que la parole soit imparfaite, et en face du visible dans un déficit qu'eUe s'efforcerait en vain de z:attra- 1ler. Ils SOllt irréductibles l'un à l'autre : on Il beau dire ce qu'olt voit, ce qu'on voit ne Joge jamais dans ce qu'on dit, et on u houu taire voir, pur des images, des métaphores, des com­pamisl) ns, cc qu'on est en train de dire, le lieu où elles 1'6s-· plcndisscHt n'est pas celui que déploient les yeux, mais celui que définissent les sucl:essions de la syntaxe. Or le nom propre, dans ce jeu, n'61,1; qu'un artifice : il permet de montrer du doigt, c'est-à-dire de faire passer subrepticement de l'espace où l'on parle à l'espace où l'on regarde, c'cst-à-dire du lenefermer commodément l'un sur l'Ilutre comme s'ils étaient adéquats. Mais si on veut maintenir ouvert le rapport du langage ct du visible, si on veut parler non pas à l'encontre mais à partir dB leur incompatibilité, de manière à rester au plus proche ùe l'un et de l'autre, alors il faut effacer les noms propres et se main­tenir daas l'infini ùe la tâche. C'est pellt-êtrcparl'intermédiaire de ce langabre gris, auonyme, toujours méticuleu. '.I C et répétitif parce que trop large, que la peinture, petit à petit, allumera ses clartés. Il faut donc feindre de ne pas savoir qui se reflétera au lond de la glace, et interroger ce reUe!. au ras de son exisltmce. D'aburd il est l'envers de la grande toile représentée à gauche. L'envers ou plutôt l'endroit, pUÙiqu'il montre de {ace ce qu'die ~ache pur so position. Dc plus, il s'oppose à la ftmêtre et. la renrorce. Comme ellc, 11 est un lieu COIDIDIUl au tableau et à ce
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    26 qui luiest extérieur. Mais la fenêtre opère pllr le mouvement ClOntinu d'une effusion qui, de droite à gauche, réunit. nID: per­sonnages aUenti(s, au peintre, au tableau, le spectacle qu'ils ClOntellIpleuti 10 miroir, lui, par Wl mouvement violent. ins­tantané, et. de pure surprise, va chercher en avant .lu taLleau ce qui est rtlgardé, Blais nou villiblo, pour le rendre, au bout de la prolondtSllr fictive, visible mail! indilléreut à tous les regards. Le point.illCt impérieux qui est tracé eatrtS le rellet et ce qu'il reUète coupe à la perpelldiculaire le flux la.térltl de III lumière. Enfin - et. o'sst. la troisième fonction de ce miroir - il jouxte Wle porte qu.i s'ouvre comme lui dans le mur du loud. Ello découpe clltS aUBtii Wl rect.angle clair dont. la lumière IUllte ne rayonne pail daua lu pillee. Co ne seruit qu'un apluL doré, s'il n'était crew;é vlll'IIl'extéritlUl', (!ar un batt.ant Bculpté, la oourllo d'Wl rideou ct J'ombre de pluBunus marcboll. Là commeuce Wl. corridor, mais I1U lieu de se perdre carmi l'ohscurité, il se dissipe dans un éclotement jaune où a lumière, Bilnll eutrer, tourbillonne 8ur ellc·loème et repose. Sur ce fond, à l~ fuis proche et se.DS limit.e, un homme détaclle sa haut.e silhouettu; il est vu de profil; d'une main, il retient le poids d'une tenturll; ses pieds sont posés Slll' deux marches différentes; il a le genou fléchi. Peut-être va·t-il entrer dans la pièee; peut-être se home­t- jl à épier ce qui se passe à l'intérieur, content de surprendre sauli être observé. Comme le miroir, il fixe l'envers de la scène: pas plUli qu'au miroir, oune prête attentionUui. Onne sait d'où il vieut; ou peut lIupposer qu'en Buivlint d'meerLlÙlls curridors, il a contourné la pièce où les perllolwageli :sont riuuls et où tra­vaille le peintre; peul-être était-il lui aUIIl!i, tout à l'heure, sur le devant dam scène da us la. ré~iou invillible que contempleut 'tous les youx du taLleau. Couune 1118 images 'l;u'ou a}Jerçuit au fond du miroir, il Sil peut qu'Il soit Wl 6lWslI!Üre de cet espace évident et caché. Il y a cependant une ditItirlll1ce : il est là en choir et en 08; il surgit du dehors, 8U seuil de l'aire représentée; il est indubitable - non pas reUet probllble mais irruption. Le miroir, en faisant voir, au-delà même des mW's de l'atelier, ce qtÜ se passe en avant du tableau, fait osciller, dans sa dimension sagittale, l'intérieur et J'extérieur. Un pied SUI' la marche, et le corp~ entièrement de profil, le visiteur ambigu entre et sort à la fois, daus un balaucement immobile. Il répèt.e 8W' place, mais daus la réalité sOlllbre de sou corps, le mouve­ment instantaoé des uuages qui travel'lltmt la pièce, péllètrent le mÎruÎl:, s'y J'êlléuhislieut et eu rejaillincuL COUWIC des espècell vÜiibles, uouvellet; et. ideutiques. Pâleli. uliuuscwcs, ces tiiJ· houettes daDIIIIl glace BOllt récUt;ée~ par la hau~ est lioliùesl,a­' ure de l'hullllDe qui surgit dallti l'elllbr.lImre de la l'0rte.
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    'J.7 Mais ilraut redesoendre du fond du tableau vers le devaut de la scùne; il raut quitter C6 pourtolU" dont. on vient de parcourir la volute. En partant du regard du peint.re. qui, à gaucbe, constitue comme un centre décalé, on BIJerçoit d'abord l'envers de la tuile, puis les tableaux exposés, avec au ceutn le miroir, puis la pone ouverte, de nouveaux tableaux, mais dont ulLe perspective très aiguë ne laisse Il voir quo les cadres dans leur épaisseur, enfin à l'extrAme droite la fenêtre, ou plutôt.l'éehan­CMU' 6 par où se déverse la lumière. Cette coquille on hélice oiTre tout le cycle de la représentation: le regard, la palette et le pinceau, la toile innocente de signes (ce sont les inst.ru­menta ma1.êriels de la représentation), les tableaux, les reflets, l'homme réel (la représentation achevée, mais colOnie allrancbie de ses contenus illusoil'8S ou véritables qui lui sont juxtaposés); puis la reprêsentation Ile dénoue : on n'en voit plus que lea cadres, et cette lumière qui baigne de l'extérieu .. les tableaux, mais que ceux-ci en retour doivent reconstituer en leur espèce propre tout comme si elle venait d'ailleurs, traversant leurs cadres de hois sombre. Et cette lumière, on la voit en eRet sur le tableau qui semble sourdre dans l'interstice du cadre; et de là elle rejoint le front, les pommettes, les yeux, le regard du peintre qui tient d'une main la palette, de l'autre le fin pinceau... Ainsi se femae III volute, ou plutôt. par cette lumière, elle s'ouvre. CeUe ouverture, ce n'est plus comme dlUlllle fond, une porte q,,'OD a tirée; c'est la largeur même du tableau, et les regards qui y passllnt ne sont pas d'un visiteur lointain. La irise qui occupe le premier et le second pllln du tableau représente, - si on y comprend le peintre - huit personnag8ll. Cinq d'entre eux, la tÔte plus ou moins inclinée, tournée ou penchée, regardent Il la perpendiculaire d" tableau. Le centre du groupe caf. occupé­par la petite infante, avec Ion ample robe griso et rose. La prin­cesse tourne la tète ver. la droite du tableau, alors que 1011 buste et. les grands volants de la robe fuient légèrement. vers la gaucho; mllis le reçard se dirige bien d'aplomb dans la diruction du spectateur quI 8e trouve cn face du tableau. UDe ligne médiane pllrtageant la toile en deux volet. égaux passel'ait entre les deux yeux de l'enfant. Son visage est au tiers de la bautclU" totale du tableau. Si bien que là, à n'en pas douter, réside le thème principal de la composition; Il, l'objet même de cette peinture. Comme pour le prouver et le souligner mieux cncore, l'a11te11l' El eu recours à wae 6gure traditionnelle: Il CÔté du personnage cent1'8l, il en a placé un autre, agenouillé et qui le regarde. Comme le donatour en prii:re, comme l'Ange saluant le. Vierge, une gouvernante il genollX tend les mains
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    28 Lu motset llls chuses vers la princesae. Son visage se découpe solon un profil parfait. n est à la hauteur de ~elui de l'enlant. La duogne reb'8J'de )a princesse et ne regarde qu'elle. Un peu plus sur la droite, une autre suivante, tournée elle aussi vers l'infante, lébtèrement inclinée au-dessus d'eUe, mais les yeux clairement dirig6s von l'avant, là ou regardent déjà le peintre et ]a prinooSBo. Enfin deux groupes de deux personnages: l'un est en retrait, l'autro composé de nains, ellt au tout premier plan. Dans chaquo couJ1Ic, un personnage regarde en Iace, l'autre à droite ou à gaucho. Por lour position et. par leur taille, ces deux groupes se répondent et forment doublet: derrière, les courtisans (la femme, à gfluchc. regarde vers )a droite); devant, les nains (le garçon qui est li. l'extrême droite regardo li. l'intérieur du tableau). Cet ensemble de personnages, ainsi dispos6s, peut constituer, selon l'attention qu'on porte au tableau ou le centre do référence que l'on choisit, deux figures. L'une serait un grand X; nu {'oint supêrieul'gauche, il y aurait ]e J'egard du peintre, et à drolto celui du court.isau; à la pointe inférieure, du c6t6 gnuohe, il y a )e coin de la toile représentée à l'envers (plus exactement le pied du ohevaJet); du côté droit, le nain (sa chaussure pos6e Bur le dos du chien). Au croisement de ccs deux lignes, au centre de l'X, le regard de l'jnfante. L'au tre figure serait plut6t celle d'une vuste courbe; ses deux homes lIer"ient déterminées pal' le peintre li gllucbe ot le courtisan de droite - extrémités hautes et reculêes; ]e croux, beaucoup plui rapproché, coincider~t avec ]e visage de la princesse, et avec le regard que la duègne dirige vers lui. Cette ligne souple deslline une vasque, qui tout à ]a fois enserre et dégage, au milieu du tableau, l'emplacement du miroir. Il y Il donc doux centres qui peuvent organiser ]e tableau, selon que l'attention du spectateur pupiUote et s'attache ici ou là. La princesse se tient. debout. au milieu d'une croix de Sa.int-André qui tourne autour d'elle, avec le tourbillon des courtisans, des sWTIlntcs,. dos animaux et des boulions. Mais ce pivotement est ng6. Figé par un speot"cIe qui serclit absolu­ment invisible si ces mômes rCI'SonDag6B, 80uduin immobiles, n'ofJraient comme au creux d une coupe la pOllsibiliLéde regar­der au fond d'un miroir le double imprévu de leur contemplation. Dans le sens de ]a pro rondeur, la princesse se sul,erpose au miroir; dans celui de la hauteur, c'est le reflet qui se superpose au visage. Mais la perspective les rend très voisins l'un de l'autre. Or, de chacWl d'eux jaillit une ligne inévitable; l'une issuo du miroir !ranchit toute l'épaisseur repr6.'Ientée (et même davlln­tage puisque le miroir troue le mur du fond et rait nattre der­rière lui lU1 autre espace); l'autre est plus courte; elle vient du regard de l'enfant et ne traverse que le premier plan. Ces deu
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    29 lignes sagittalessont convergnntell, selon un angle très aigu et le point de leur rencontre, jaillissant de la toile, se fixe à.l'!I."8Dt du tableau, là à peu près d'où nous le regardons. PoinL douteux puisque noull ne le vorons pas; point inévitable et par{l.Litement défini cependant pwqu'i1 est pl'flKCl'Ît par ces deux ligures mait.re~ses, et confirmé de plus par d'Bntres pointillés adjacents qui JiaiAsent du tablt'.8u ct. eux aussi s'ou échapl"mt.. Qu'y a-t-il enfin en ce lieu parfaitement inacefl5sillic puisqu'a ost 8xtéricur au tableau, mais prescrit par toutes IClIlignes de sa compusition? Quel est ce spectacle, qui sont ces visages qui se ruflèt.t:llt d'abord au fond des pnmellcs de l'inmnte, puis des courtisans et. du peintre, et finalement dans la clarté lQintaine du miroir? .Mltillla question aUllsittt se dédoublc : le visugo que réfléchit le miroir, c'cst également celui qui le contemple; ce CJUB rugardent tous les penonnages du tableau, ce sont aussi Dien lus persounages aux yeux de qui ils sont offerts comme une lIellne à contempler. Le tableau en Ion entier regarde une scène pour qui il est il son tour WJ6 scène. Pure réciprocité que mani­fc~ tc 10 miroir regardant et :regardé, et dont les deux moments sont d~nouêB aux deux angles du tableau : à gauche la. t.oile retoumée, par laquelle le point extérieur devient pur spectacle; à drolte le chien 8Uongé, seul6161D8nt du tableau qui ne regarde ni ne bouge, pal'ce qu'il n'e8't fait, avec Bes gros reliefs et la. lumière qui joue dans ses poils Boyeux, que pour être un objet à regarder. Ce spectllcle-en-regard, Je premier coup d'oeil sur le tableau noull a appris de quoi il est fait. Ce sont les souverains. On les devine déjà dans le regard respectueux de l'assistance, dans l'étonnement de l'enfant et des nains. On les reconwût, au bout du tableau, dans lcs deux petites silhouet.tes que fait miroiter la gla.ce. Au milieu de tous ces visages .ttentifs, d. tous ces corps parés, ils 50nt la plus pâle, la plus irréelle, la plus compr:ouüse de toutes les images : tDl mouvement, Wl peu de lumière sulliraient à les fam s'évanouir. De tous ces penunnages en représentation, ils sont 8,uSlli les plus négligea., car nul ne prBte attention à ce reOet qui se glisse derrière tout le monde et s'introduit silencieusement par un espace insoul" çunnê; dans la mesure où ils sont visibles, ils sont la forme la plus frêle et. la plus éloignée de toute réalité_ Inversement, dans la IDetiurc UlI, résidant à l'extérieur du tableau, ils soniretirés en une invisibilité essentielle, ils ordonnent autour d'eux toute la l'Cl'résentHtion; c'est la eux qu'on fait race, vers eux qu·on 8e toume, il leurs veux qu·on pIisente la princesse dans sa l'obe de fêle; de 1. toile retoum6e la l'infute et de cene-ci au nain jouant à l'extr!me droite, une courbe se dessine (ou
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    30 encore, laLranche inférieure de l'X s'ouvre) pour ordonner ~ leur regard toute la disposition du tableau, et. faire apparaltre ainli le vérit.abl. centre de la composition auquel le regard de l'inranle et l'image dans le miroir lont finalement soumis. Ce ceutre est lIymboliquemeut souverain dans l'anecdote, l,uiNqu'il est occupé par le roi Philippe IV et son épou.'!e. Mais liurtollt, il l'ost par 1.11 triple l«mction qu'il occupe par rapport au tableau. En lui vieouent 8e luperposer exactement le regard du modble au moment où 011 le peint, celui du spectateur qui contempl6 la scène, et celui du peintre au moment où il compose Bon tableau (non paB celui qui est ."présent6, mais celui qui est. devant nous et dont nous parlons). Ce!! trois {onc­tions 1 regardantes» BO confondent en un powt ext.êrieur au tableau: c'est-à-dire idéal par rapport li C6 qui est représenté, mais parlB.itement rêel puisque c'est. à partir d61ui que devient possible la représelltation. Dans cette réalité même, il ne J!eut pas no pas être invisible. Et cependant, cette réalité est projetée à l'intérieur du tableau, - projetêe et diffractée en troi& figures qui correspondent aux trois fonctions do ce point idéal et réeL Ce sont: à gauche le peintre avec sa palette 1t. la main (auto­portrait de l'auteur du tableau); Il droite le visiteur, un pied .ur la marche prllt 1t. entrer dans la piècei il prend à revers toute )a scène, wais vuit de face le couple royal, qui est le spectacle Jnêmoj au centre eDfw, le reRet du roi et de la reine, parés, iUJluobile6, dal1lS l'Iltt.itwle des modèles fatients. ReReL qui montre naïvement, et daus 1 ombre, ce que tout le Dlonde regarde au premillr plan. 11 rasti tue comme par.enchante­mont co qui manque à chaque regard : Il celui du peintre, le modèle que recopi6 là·bas sur le tableau son double représenté; Il cclui du l'oi, lion llorlrait qui s'achève Bur ce VIlr~nt de la toile qu'il ne peut percevoir d'où il esL; à celui du spectaLeur, le centre r6el de la soone, dont il a pri5 la. place comme pitt' etTraction. Mais peut-être, cette générosité du miroir est·elle feinte; peut·être cache·t·it autant et plu!! qu'il ne manifeste. La place où trône le roi avec son épouse est aUIlli bilW celle de l'arListe et celle du spectateur: ail fond dl1 miroir pou.rra.iellt apparaitre - devraient apparaître - le visage anonyme du pusant et celui de Vëlas'luezo Cal' la fOllction de ce reUet IlIIt d'attirer à l'intérieur du tableau ce qui lui est intimement iitrauger : le regard qui l'a. organisé et celui pour lequel il S8 déploie. Mais parce qu'ils sont I-résents dans le tableau, ~ droite et à W'uche,l'artiste et le visiteur ne peuvent être logés dausie uairuir : tout comUle le roi appaTSlt au fond de la glace dalla la mOSUloe mllme où il u'appartient pel!! au tableau. DaDa la grande volute ql.l.i parcourait le Ilérjmètre de l'atelier,
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    31 depuis Jeregard du peintre. III l'MIelle et sa 1IIitin en arrêt iu~qu'aux tableaux achevés. la repr~sentatioD Dai5~aiL, ,'accom­plissnit pour se défaire à nouveau dans la lumière; le c)'cle était parfait. En revanche. les librnell qui traversent III prorondeur du tableau t'ont incomplètes; îlleur manque li toutes uue partie de leur trajet. Cette lacune est due il l'abselloo du roi,­absence qui est un artifice du peintl"e. Mais cel. art.ifice recouvre et désigne Will Tacance qui, elle, est illunédillLo : ceUe du peintre et du spectateur quand ils l'tIgardent ou composent le tableau. C'est que peut-être, eu ce tableau, comme en toute représentation dont il est pour ainsi dire l'e!l~el1ce manifestée, l'invisibilité profonde de ce qu'on voit est solidaire de l'invi­sibilité de celui qui voit, - malgré les miroirs, les reflets, les imitations, les portrcits. Tout autour de la scène sont déposés les signes et les formes 8uccessives de la. représentation; mais le double rapport de ]a repré~entation à son moùèle et à son souverain, à 80n auteur comme à celui à qui on en fait offrande, ce rapport est néce!l8airement interrompu. Jamais ill1e peut être présent BallS reste, fdt-ce dans une repré!lenta.tiou qui 10 donnerait elle-même en apectacle. Dllns la profondeur qui tra­verse la toile, la creuse fict.ivement, et. III projette en a.vant d'elle-même, il n'est pali possible qUI! le pur bonheur de l'image oare jum,~i!; co pleine lumière le uudt.re qui représent.e et. le souverain qu'ou représente. Peut-être y a-t-il, daDa ce tableau de Vélasquez, comme la représentatioll de la représentation classiquo, et la définition de l'espace qu'elle OUV1"6. Elle entreprend en effet do s'y reprâ­Menter en tous ses élôments, avec ses Jmnges, les regards auxquels eUe s'offre, les visagp.5 qu'elle rend visibles, les geste:; qui la font naitre. Mais là, dans cette dispersion qu'elle recueil1e et étale tout. ensemble, un vide essentiel est impérieu.'emtmt indiqué de tOllt6S parts: ]a disparition néce.'1!Bire de ce q'lÙ la fonde, - de celui à qui elle ressemble et de celui /lUX yeux de qui elle n'est que re~semblance. Ce sujet même - qui est le même - ft été élidé. Et libre enfin de ce rapport qui l'eucbolnait.. lu représen­tation peut se donner comme pure repréllcnttl,l.ion.
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    CDAPITRB Il Laprose du monds 1. I.ES (lUATnE ~JMILITUDBII JU!lqll' h la fin du XVIe si~e1e, la rellscmbJanC6 a jou6 un rOle bâtisseur dans le lavoir de la culture occidentale. C'cst eUe qui a conduit pour une grande part l'exégèse et l'interprétation dts textll!i; c'est eUe qui a organisé le jeu des symbolos, fermil la connaissance des chailles visibles et invisibles, guidé 1 arL de les représenter. Le monde s'enroulait sur lui-même: la terre répétant le ciel, les vjsages Ile mirant clanliles étoiles, et l'herbe enveloppant dans ses tiges les secrets qui servaient à l'homme. La peinture imitait l'e~llace. Et la représentation - qu'elle fllt fête ou savoir - sc donnait comme répétition : théâtre de la vie ou miroir du mon do, c'était là le titre de tout langage, lia manière de s'annoncer et de formuler son droit à parler. Il faut nous arrltcr un peu en ce moment du temps où la ressemblance va dénouer son appartenance au savoir et dispa­rnltre, au moills pour une part, de l'horizon de la connaissance. A la fin du XTIB siècle, au début enco1'6 du X"'llB, comment la similitude litait-elle pensée? Comment pouvait-elle organiser les :figures du savoir? Et s'il est vrai que les choses qui se ressem.­blaient étllient en nombre infini, peut-on, du moinll, établir leI formes selon lesquelles il pouvait leul' arriver d'ètro semblables les unes aux autres? Le. trame s6muntique de la re!I!lembJance au XVIe siècle est lort riche: Amiaitia, Aequalitas (contraatw, C01l88I'1BUS, mahi­momum., lIociew, paz et 8imilia), COMonanna, Concenu., Comi­naum, Paritas,Proporl.w, SimiLiluclo, ConjunctilJ, Copulai. Et il y a encore bien d'autres notions qui, à la surfaee de la pens6e, .'entrecroisent, se chevauchent, se renforcent ou se limitent. 1. P. Gregoire. SgnffUJtAJn GIf" mlrall"ia (CoIDSlle, 16101, p. 28.
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    33 Qu'il suffisepour l'ÏJ~stant.d'indiquer 1~9 principales figures qui prescrivent leurs articulatlonl au savotr de la res!lemblanee. fi yen a quatre qui. 60nt, à coup a6r, essentielle. ... D'abord ]a con9tlnientia. A vrai dire le voisinage des lieux se trouve, par ce mot, plus fortement désigné que" la similitllde. SOllt • convenantes .lcs clloses qui, approchant l'une de l'autre, viennent à se jouxter; elles 80 touchent du bord, leurs franges sc mêlent, l'o:lrtmmit6 de l'une désigne le début de l'autre. Par là, le mouvement sc communique, les iuOuences et les passionl, les propriétés aussi. Do sorte qu'en cetto charnière des choses une ressemblance apparatt. Double dès qu'on eSliaie de la dém~ler : ressemblance du lieu, du site où la nature .. pIncé les deux choses, donc similitude des propriétés; car en ce contenant naturel qu'est 10 monde, le voisinage n'est pal une relation extérieure entre les ehoSCB, mais le signo d'une parenUt au moins obscure. Et puis de ee eontnet naissent par échange d~ nouvelles ressemblances; un régime commun s'imposo; à la similitude comme raison sourde du voisinnge, se superpose une re.'Isemblaneo qui es' l'ellet visible de la proximit6. L'Ame et le corps, par exemple, sont deux fois convenants: il a fallu que Je péché nit rendu l'âme 'paisse, lourde et tene.'Itre, pour que Dieu la placc au plus creux de la matière. Mais par ce vOlsinage, l'âme reçoit les mouvements du corp., et s'assimile à lui, tondis que« ]e COl'flS s'nIt ère ct se corrompt par les passions de l'âme 1 •• Dans la vaste syntaxe du monde, les êtrcs diJlérents s'ajustent les uns aux autres; la plante communique avec la bête, la terre a,vec la mer, l'homme avec tout ce qui l'entoure. La res­semblance impose des voisinages qui assurent à. leur tour des ressemblances. Le lieu et la similitude s'enchevêtrent: on voit pousser des mousses sur le dos des coquillages, des plantes daM la ramée des eerfs, des lIones d'herbes sur le visage dcs hommes; et l'étrange zoophyte juxtapose en les môlant les propriétés qui le rendent semblahle aussi bien à III plante qu'à l'animal •• Autant. de signes de convenance. La com'enientia est une ressemblance liée à J'espIlce dans la forme du c proche ou proche Il. Elle est de l'ordre de la conjono­lion et de l'ajustement. C'est pourquoi clIc Bppartient moins aux choses cUes-mAmos qu'au monde dans lerr.ue1 cnes 68 trouvont. 1.0 monde, c'est la c convenance lt umve1'5elle dos choses; il y 8 autant de poissons dans l'eau qn~ sur la terre d'animnl1x ou d'objets produits par la nature ou les hommes (n'y a-t-il pas des poissons qui s'appellent Epi&copru, d'~utres J. G" POI'l:l, 1.a Ph!l.inRflmi~ humlJine (trad. françaIse, J6!;ti), p. 1. 2. U. Aldru"Ulldl, MOll,r~um hi.roria rrJonolllo8, 1617), p. 663.
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    34 CatlJna, d'aut.resPriapluP)j dans J'eau et Bur ]a Rurffll:e de la. terre, autaut d'êtres qu'il y en a dans le ciel, et auxquels ils répondent; enfin dans tout ce qui ellt créé. il '1 en a autant qu'on pourrait en trouver éminemment contenuB en Dieu, 1 Semeur de l'Existence, du Pouvoir, de la Connai~~ance et de l'Amour 1 J. Ainsi par l'enchalnement de la ressemblance et de l'esJlace, par la force de cette convenance qui avoisine le semblable dt assimile les ,Proches, le monde forme chaîne avec lui-mème. En chaque pomt de contaçt oommence et finit un anneau qui ressemble au précêdent et ressemble au luivInt. et de cercles en ceroles los similitudes 8e poursuivent retenant les extrêmes dans leur distanco (Dieu et ia matière), les rappro­chant de manière que ]a volontô du Tout-Puissunt pénètril jusqu'aux ooinsles plus endormis. C'Ctit cette chaloe immense, tendue et vibrante, cette corde de la convenance qu'évoque Porta en un texte de fla M(Jgia naturerk : 1 Quant à l'égard de 8& végétation, la plante convient avec la hète brute, et par aentimtlnt l'animal hruts.1 avec J'homme qui se conforme au reste des 1I.8tres par Bon intelligence; cette liaison procède tant proprement qu'elle aemble une corde tendue depuis la première cause jusqu'aux choses hasses et infimes, par une liaison réci­proque et continue; de sorte que la vertu IUpérieure épandant 8es rayons viendra à ce point que ai on touche une extrémité d'icelle, elle tremblera et fer. mouvoir le reste 1 ». Ln seoonde forme de lIimilitude, C'61It l'aemulcJtio : une lIorte de convenance, mais qui lierait .tTranchie de la loi du lieu, et jouerait, immobile, dans la distance. Un peu comme si ]a connivence spatiale avait été rompue et que les anneaux de la chaîne, détachés, reproduisaient leurs cercleB, loin les uns des autres, selon une ressemblance sans contact. li y a dllDS l'ému· lation quelque chose du reflet et du miroir: par elle les choses dispersées à travers le monde se donnent réponse. De loin le -vÎ!;age est l'émule du ciel, et tout comme l'intelleat de l'homme reflète. imparfaitement, ]a sage.'1ge de Dieu, de même les deux yeux, avec leur elartfl bornée, réfléchissent la grande illumina· "tion que répandent, dans le ciel, le soleil et III lune; la bouche elll Véuus, pui~que par elle passentles baisers et]es paroles d'amour; le nez donne la minuscule image du sceptre de Jupiter et du caducée de :Mercure '. Par ce rapport d'émulation, les choses peuvent s'imiter d'un hout à l'autre de l'wûvera sans encha!­nement ni proximité: par sa réduplication r.n miroir, le monde abolit la dista.nce qui lui est propre; il triomphe par l!l.dulieu 1. T. Gamponella, R~Qt!. phtlo.opflla (Francfort, 1623), p. 98. 2. G. Porto, Magie flalure/ld (trad. trançaJie, ROUilll, 1650), p. 22. 3. U. Aldl'QYlIudJ. Mo,,,lrorum hutoria, p. 3.
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    La pros6 duTnOIiM 35 qui est donné à chaque chose. De ces reflets qui parcourent l'e9paoo, quels sont les premiers? Où ut ]a réalité, où est l'image projetée? Souvent il ~'est .pAS possible de le dire, cal' l'ému]atirlll est une sorte de gemelhté naturene des cho~esi elle Dait d'une pliure de l'être dont les deux côtéll, immédiatement, se font face. Paracelse compare ce redoublement fondamental du monde à l'image de deux jumeaux Il qui se ressemblent parfaitement, saD& qu'il soil possible l personne de dire lequel a apporté à l'autre sa similitude 1 •• Pourtant l'émulation ne laisse pas inertes, l'une en face de l'autre, les deux figures réfléchies qu'elle oppose. Il arrive que l'une soit ]a plus faible, et accueille la forte influence de celle qui vient. se refléter dans son miroir passif. Les étoiles De l'em­portent- elles pus sur les herbes de la terre, dont elles sont le modèle sons changement, la lorme inaltérable, et sur lesquelles il leur est donné de secrètement déverser toute la dynastie de leurs inf1uence~? La tel'l'e sombre est le miroir du eielsemé, mais en cette joute les deux rivaux ne sont ni de valeur ni de dignité éga.les. Les clnrtb de l'herbai 8ans violence, reproduisent la. fonne pure du ciel : Il Les étoiles, dit Crollius, 80nt la matrice de toutes les herbes et chaque étoile du oiel n'est qU6 la spiri­tuelle préfiguration d'une herbe, telle qu'elle la rer.résente, et tout ainsi que cllRque herbe ou plante est une étOIle terrestre regardant le ciel, de môme aussi chaque étoile est une plante céleste en forme spirituelle, laquelle n'est ditTérente des ter­restres que pal' la seule matière. .. , les plantes et les herbes célestes sont tournées du côté de la terre et regardent directe­ment les herbes qu'elles ont procréées, leur influant quelque vertu particulière 1 •. MalS il arrive aussi que la joute demeure ouverte, et que le calme miroir ne réfléchisse plus que l'image des « deux soldats irrités.. La ,-iroilitude devient alors le combat d'une forme c0!1tre une Rutre - ou plutôt d'wle même forme séparée de 801 pal' le poids de]a matière ou la di&tanc6 des lieux. L'homme de Paracelse est, COlUlD6 le firmament, «coostellé d'ast.res •• mais il ne lui est pas lié comme Il le voleur aux gal(,rel5, le meurtrier à la roue, le poi85on au pêcheur, le gibier à celui qui le. chasse li •• n appartient ou firmament de l'homme d'être • h~re et pUISsant Il, de Il n'oMir fi. aucun ordre 1, de «n'être régi pOl' aucune des aut1'68 créatures •• SOIl ciel intérieur peut êt1'6 autonome et Ile reposer qu'en soi-même, mais à condition que par sa sagesse, qui est aussi savoir, il devienne semblable li. !. Pa1"1lC1!l186. Lllltr Prrramirum [lmd. Gril")l rie Givry, Pari~, 1!l13!, p. 3. ~ Crllllhu:, Trailt d,. 6lgl/Qlllru (trad. Jr;uII;OIiee, Lyon, 1624), p. 18.
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    36 l'ordre dumonde, le reprenne on lui et fasse ainsi basculer dana Ion nrmament intemo celui où scintillent lOI visibles 6toiles. Alors, cette sagesse du miroir enveloppera en retour le monde où elle était pIncée; son grnnd annMU toW'llem jusqu'au fond du cie], et au-delà; l'homme décollvrira qu'il contient 1: los étoiles à l'intérieur de soi-mime ... , et qu'il porte ainsi 10 flmul .. ment avec toutes ses influences 1 1. L'êmIl1~tion se donne d'abord sous la forme d'un simple refiet, furtif, lointain; eUe parcourt en silence les espaces du Inonde. Mais la distance qu'elle franchit n'est pas annulée par sa subtile métaphore; elle demeure ouverte Jlour la. visibihté. Et dans ce duel, les deux figures affrontées s'emIl81'Cnt l'une de l'autre. Le sembllble enveloppe le semblable, qui li. Bon tour Je cerno, ~t peut-èlre sera-t-il à nouveau enveloppé, par un redoublement qui a le pouvoir de se poursuivre à l'infini. Los nnnellux de 1'6mulat,ion Deforment pas une chaine comme les éléments de la COJlVlmlUlCe : mais plut.ôt deI cercles concen­triques, réfléchis et rivaux. Trois.tème forme de similitude, l'analogie. Vieux concept familier dejb. à la science grecque et l la pensée médiévale, mais dont l'u!l8ge ost devenu probablement ditIérent. En celte analogie se superposent ooll96nienlÏB et aamulatw. Comme ceUe-ci, eUe assure le merveilleux affrontement des ressem­blances à tra.vers l'espace; mais ello parle, comme celle-là, d'ajustement.s, de liens et de jointure. Son pouvoir est immense, car les similitudes qu'elle traito ne sont pas celles, visibles, massives, des choses elles-mêmesj il suffit que ce soient les l'es" semLI~lIces plus subtiles des 1'8.pports. Ainsi a.llégée, elle Jleut tendre, il partir d'un même point, un nombre indMim do parentés. Le rapport, pal' exemple, des astres au ciel oia ils scintillent, on le retrouve aussi bien: de l'herbe à ]8 terre, des vivallts au globe qu'ils habitent, des minéraux et des diQmants aux roobers où ils sont enrouis, des organes des sens a.u visage qu'ils animent, des t.aches de 1. peau au corps qu'elles mOTq1lcnt Bocretemsnt. Une analogie peut aussi se retourner Bur elle-même sans litre pour autant contestée. La vieille ana­logie de ]a plante à l'animal (le végétal est UDS bête qui se tient ]a têto en bas, la bouobe - ou les racmes - enfoncée daoa 1. terre), Césalpin ne la critique ni ne l'efface; il la reoforce au contraire, il la multiplie pal' eUe-même, lorsqu'il découvre que la plante, c'cst un animal debout, dont les principes nutritifs montent du bas vers le sommet, tout au long d'une tige qui .'étend comme un corps et s'a.chève par une tate, - bou'!uet, J. Paraoelac. loc. cU.
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    La pro., dumonde 37 Beurs, feuilles : .!appo~ inverlte, mais .non contradi.ct?Ïre, .avec l'analogie prema~re, qUI pla~e .la r~C1ne il la partae IDf~neure de la plante, 1/ tige hla partIe aUpél'leure. car chez les amma.ux, le r~eau veineux commence aWllli à la partie inférieure da ventre ot la veine principale monte vora le coeur et. la tête 1 .. CeLte rêversibilité, comme cette polyvalence, donne Ill· ...... logie Wl cbaDl~ universel d'application. Par elle, toutes los figures du mondo peuvent se rapprocher. n elÛste cependant, dans co~ ospace sillonné en toutes les direotiont, UD. point pri­vilégié : il est saturé d'analogies (chaeune peut y trouver l'un de ses points d'apInü) et, en paSl!ant par lui, les rapporta .'inversent SaDS s'alLérer. Ce point, o'est l'homme; il ost en proportion avec le ciel, comme aveo les animaux el. los plantes, commo Ilvec la terre, les métaux, les stalaotites ou los orages. Dressé entre les faces du monde, il a rapport au firmament (SOll visage ost. à 80n corps ce que la face du ciel est à l'éther; Ion pouls bat dans ses veine.'!, oomme les astres circulent selon leurs voies I,ropres; les sept ouvertures formcnt dans son visage ce quo lIont les sept planètes du ciel); mais tous ces rapporls, il les fllit basculer, et on les retrouve, similairlls. dans l'analogie de l'animal humain avec la terre qu'il habite: la ehair est ulle globe, ses os des rochers, ses veines de grllndsfleuves; sa ...· 6S:!ie. o'ost. la mer, et ses sept membres principaux, les sept métaux qui sc cac}leot au Iond des nüoes a. Le corps de l'homme est toujours la moitié possible d'lUl atlas universel. On" sait com­ment Pierre Belon a tracé. et. jusque dans le détail, la première plauche comparée du squelette hwnain et de celui des oiseaux: on y vôit • l'aileron nommé apptmwx qui est on proportion en l'aile, au lieu du }Jouce en la maiu; l'extrémité de l'aileron qui Cl!t comme les doigts en nous ... ; l'os dODIlé pour jambes aux OIseaux correspondant à notre talon; tout ainlii qu'avoDs ([uatre orteils es pieds, ainsi les oiseaux ont quatre doigts desquels celui de derrière est donné en proportion comme le gros orteil en DOUS 1 •• Tant de proeillion n'6IIt anatomitt comparée que pour un reganl armé des connaissances du XIX! siècle. li se trouve que la grille à travers laquelle nous laissons venir jUS(lU:à notre savoir les figl1l'es de la ressemblance. recoupe eD ce pomt (et. presque en ce seul point) celle qu'avait disposée sur les ChOS6S le savoir du XVIe siècle 1t!~ili. J~ d~cr!pt.ion de Belon ne relève li vrai dire que de la POSltiVJ~ qUl 1 a rendue, à son époque possible. Elle n'cs't ni plus rationnolle, ni plus scientüique que telle observation d'Al- I. C~~lpin, De pl/Jn/ï. lillri XVI ()583). 2. CloWus. TI'aitt du "gllaluru, p. 88. 3. P. Belon, m,loi,.. de III 1I/IItU'I du olleaUII (PUll, 1555), p. 37.
  • 33.
    38 LM mot.et le. chOlltlll drovandi, lorsqu'il compare le!! parties basses de l'homme aux lieux infeota du monde," l'Enfer, à ses ténèbres, aux damn6s qui lIont. commo les excréments de l'Univers 1; elle appartient Il la même cosmographio analogique que]. comparaison, classique à l'époque de Crollius, entre l'apoplexie et la tempête: l'orage commonce quand l'air s'alourdit et s'agite, la crise au moment où lcs pensées deviennent lourdel, inquiète6; puis les nuages s'amonccUent, le ventre sc goufle, le tonnol'l'O éclate et la vessie se rompt; les éclairs fulIUÎnent tandis que los yeux brillent d'un éclat terrible, la pluie tombe, )a boucho écume, la loudre se déchaîne tandis que les esprits font éclater la peau; mais voilà que le temps redeviont clair ct que la raison se rétablit chez le malade 1. L'espace des analogies est au fond un espace de ra)'onnemwt. Do toutes parts, l'homme ert concerné par lui; mais ce même hornmo, inversement, transmet les ressem­blances qu'il reçoit du monde. n est le grand foyer des pro­portions, -la centre où les rapporta viennent s'appuyer et d'où ile sont rllfléchis Il nouveau. Enfin la quatrième fonne de ressemblance est assurée par le jeu dcsll1Jmpalhiu. Là nul chemin n'est déterminé à l'avance, nullo distance n'est 8upposée, nul enchalnement prescrit. La sympathie joue à l'~tat libre dans leli profondeurs dLL monde. Elle parcourt en un instant les espaces les plus vastes : de la planète à l'homme qu'elle régit, la sympathie tomba de loin comme la foudre; eUe pCLLt naltre au contraÏro d'un seul contact, - comme ces l' roses de deuil et d6Squtlllcs on S8 sera servi aux obsèques JI, qui, par 10 seul voisinage de Jn mort, rendront toute personne qui en respire le parfume triste etmourante a •• :Mail tel est son pouvoir qu'elle ne 80 contente pas de jaillir d'un unique contact et de parcourir les espaces; elle suscite le mouvement des choses dans le monde et provoqne Je rappro­chement des plua diatantes. Elle est principe de mobilité: eUe .ttire los lourds vers ln lourdeur du sol, et les légers V01'S l'éther sana poids; elle pousse les racines vers 1'eau, et eUe fait virer avec la courbe du soleil )a grande fleur ja.une du tourneso). Bion plus, en attirant les choses les unes vers les autres par un mouve­ment extérieur ct viSlole, elle suscite en secret un mouvemont intérieur, - un déplacement des qualités qui prennent la relève ]es unes des autres: ]e feu parce qu'il elt chaud et léger s'élève dans l'air, vers lequel ses flammes inlassablement se dressent; mais il perd sa propre sécheresse (qui l'apparentait à la terre) et acquiert ainsi uue humidité (qui le li. Il l'eau et 11 l'air); il 1. Aldrovanùi, MonllrOf'um "',(orla, p. 4. 2. Crolllui. l'ralf~ du ,ignolUrll. p. 87. 3. G. PorLa, Magie nl1lunJlt. p. 72.
  • 34.
    dirlpurllit. alors en16g~re vap-:ur. en fum~e bleue, en nuage: i! est duvellu air. La sympat.lllll ~t. une mstance du M,J.".. Il forte eL !.Ii pressante qu'dle nB le content.e pas ~'~l~ u~e ~'I fnrmcs du semblable; tille a le dangereux pouvOIr d asa,m,"', de rendre les cho!1C5 idunt.iques letI.ulI~l!.aux ~ut.rell,delesm6Ier, do lill faire di:!paraitre. elL leur. llldlVldualité, --:- donc de lea rendre ét.rangè~ à cc qu c1~. ..'1. 1 éL~lent. L~ sympathie transforme. Ellc ultère, IDIIIS, dal,ls Iii tbrecLIQIL de Ildentlque,. de .so~le que si sun Jlouvoir n éta1t pus bnlnnc6, le monde tie redwralt • un poinl, li une m~ssc h01:nogèn~, li la morue fi~e ~u MAIne: toutes fies parties se tllmdraJont et. cOIlUnumqucr&J8nt. entre elles I!iUlS rupture ni dist.ance, «:omBle ces chl1tncs de métal sUSl1tlodues par sympa t. h·l e a" l"a t.ttrance d'u n seu lR'i man1t . C'Clit pourquoi la sympathie est compens6e pal' sa figure jwoclle, l'ant.ipathie. Celle-ci maintient. les choses en leur isole· Illimt et. empêche l'assimilation; Illle enferme chaque espèce daos 8a dilIérence obstiDéc et Sil propension li. persévérer en C6 qu't:lle t:st : c Il e!lt assez connu que les plantt'.5 ont haine entl'e ellt!s ... on dit que l'olive et]a vigne baient le chou; le concombre fuit l'olive ... Entendu qu'elles croiueot par III ch.Ieurduaoleil et l'humeur de la terre, il est. nécessaire que tout arbre opaque et. épais soit. pernicieux aux autres et aWisi celui qui a plulieun racines l ». Ainsi li. l'infini, à travers le temps, les êtres dUlDonde Ile )uw-ont. et cont.re toute sympathie DUlintit!ndront leur féroce appétit. f[ Le rat. d'Iude est pernicieux au crocodile cm: Nature le lui a donné pour ennemi; de sorle que lorsque ce violent. s'égaie au solt:il, il lui drelille embûche et flness8 mortelle; apercevaut que le crocodile, endormi en ses délices dort la gueule bée, il entre par là et se coule par le large gosier dans le venue d'icelui, duquel rongtlUllt Ills entrailles, il sort eafin par le venue de la bête occitie. , Maill li son tour les ennemis du rat le guettent car il est en discord avec l'araignée, et ! comb~t.tant. souventes lois avec l'aspic, il meurt J. Par ce leu de l'antipathie qui lCII dispCl"sc, mais tout autant les attire nu co,!,bal, les rend Inllurtrières et. les expose li. leur tour li. la mort, il se trouve que les choses et les Mtcs et toutes les figures du monde dt:meurtmt ce qu'elles sont. L'identité des choses, le fait qu'elles peuvent ressembler aux autres et Il' a pprocher d'elles, mais sans s'y engloutir et en prieer­vunt. leursingularitê,-c'cstle ba.lancementconstantdelaaym­pnt~ le et de l'antipathie qui en répond. n explique que le. cho/lel crOissent, se d6veloppent, le mélanpnt, dispara.illient, meure ... t ~. G. PorLa, /I1l'lflit narurotlle, p. 72 2. J. Cardan, De la "'II/Ili/. (&rad. frBDGlllHo PuIs, 166ti), p. 164.
  • 35.
    40 mais indMinimentse retrouvent; bref, qu'il y ait un espace (qui pourtant n'est JM'S sans repère ni répétition, sans havre .le similitude) et un temps (qui pourtant laisse r6aPPfrallre ind6finiment les mi!rnes figures, les mêmes espèces, les mllmcs éléments). c Conlbien que d'cux-mêmes lell quatre corps (etlu, .ir, feu, terre) soient simples ct ayant leurs qualités distinctes, toutefois d'autant que le Créateur Il ordulUlé que des éléments Dlêlés aeront composés les corps élémentaires, voilà pourquoi leun convenances et discordances lont remarquables, ce qui ae conna.U par leurs qualités. L'élément du feu est chaud et see; il a donc antipathie aveo ceux de l'eltu qui est froide et humide. L'air chaud est hwnide,la terre lroide esL sèc:hc, c'est antipathie. Pour les Ilccorder,l'air a été mis entre le feu et l'eau, l'eau entre la terre et l'air. En tant que l'air cat chaud, il voisine bien avec le feu et son llllmiùiLé s'accommode avec celle de l'eau. Derechef, pour ce que son humidité est tomJlérlic, elle modère la chaleur du feu et on reçoit aide aussi, comme d'autre part par sa chaleur mMiocre, il attiMit la froidure humide de l'cau. L'humidité de l'cau C!lt chauffée par la chaleur de l'air et soulage la froide aécherc!ise de la terre 1 •• La souveraineté du couple sympathie­antipathie, le mouvement et la dispersion qu'il prescrit donnent liou à toutes les formes .de ressemblaDce. Ainsi se trouvent reprises et expliquées les trois premières similitudes. Tout le volume du monde, tous les voisinages de la convenaQce, tuus les échos de l'émulation, tous Ills encha.tnements de l'analogie sont supportés, maintenus et doublés par cet espace de la sympa.tbie et de l'antipathie qui ne ceue de rapprocher les choses et de les tenir à distance. l)ar ce jeu, le monde demeure identique; les ressemblances continuent à être ce qu'elles sont, et. k Ile ressembler. Le même relile le mtime, et verrouillé SUI' lOI. IL LBS SIGIU.TURBS Et pourtant le système n'est pus clos. Une ouvorture demeure : par elle, tout le jeu des ftlSsomblances risquerait de s'échapper il lui·m~me, ou de domeurer dans la nuit, IIi une figure nouvelle de la similitude ne venait achever le cercle, -le l'Cndre à la fois parfait ct manireste. COnlll!Runtia, tu1mulnlio, analogie et 81JmpalAr.e noU!! disent 1. S. G. 5., Annolaflon. GII Grrllld l.firoir du MOI/III! d, Ducll,.n" p. 498.
  • 36.
    La pr088 dumoRd. comment le monde doit se replier BtU' lui-mOrne, 80 redoubler, se réOécJ!ir ou s'enchaîner pour que les ohoses puissent 8C ressem­bler. Elles nous disent les chemins de III similitude et par où ils passcut; non là où clic est, ni comment on la voit, Di il quelle marque un la recollnaît. Or, peut-être DOUS arrivernÎt-ii do traveI'licr tout ce loi:lonnement merveilleux des ressemblances, snn!l même nous douter qu'il est préparé depuis longtemps par l'ordre du monde, et pour notre plus ~and bienfait. Pour savoir que l'aconit guérit D08 maladies d'yeux ou que ]a noix pilée uvce de l't:sprit de vin so.igne les maux ~e tête, il faut. bic!l qu'unc.marque nous en ~vertlsse : sans .quol.ce se~!et rest.c~R1t indëfimmllut en sommeil. Sauralt-on lamaIS qu il y a d un hommc à sa plauèlo un rapport de gémellité ou de joute, s'il D'Y avait sur son corps et parmi les rides de son visage, le signe qu'il est rival de Mars ou apparenté li. S.tW'ne? n faut que les similitudus eillouies soient signlliéeli à la 8W'face des choses; il est bc!;oin d'Wle marque visible des analogies invisible!. 'l'uute ressembluIlce n'est-elle pas, d'un même cuup, ce qui Cllt. le plus manifeste ct cc qui est. le mi"ux caché? Elle n'est. pas eOI1lVo­s6e en etTet dc morceaux juxtaposés, -les UllS identiques, IIlI autres difJércnts : elle est. d'un 8eul ttlnant une similitude qu'oD voit ou qu'on ne voit. pas. Elle serait dono sans oriLère, s'il n'y avait en eUe - ou au-dessus ou li. 0616 - un blêment d. dëci:;ion qui transforme son scintillement douteux cn claire certitllde. TI n'y a pas de ressemblance sllns signature. Le monde du similaire ne peut être qu'un monde marqu6. c Ce n'est pas la volonté de Dieu, dit. Paracelse, que ce qu'il crée pour le bénéfice de l'homme et ce qu'il lui a donné demeure caché •.• Et même s'il a caché certaines choses, il n'a rien laissé sans signes exté­rieurs et visibles avec des marques spéciales - tout comme un homme qui Il enterré un trésor en marque l'endroit aûn qu'il puisse ]e retrouver 1 li. Le savoir des liimilitudes se fonde SUl' le relevé de CCI signatures et sur leur déchiffrement. Inutile ~e s'arrêter à l'écorce des plantes pour connaître leur nature; li .faut a~er droit à leW'8 marques, - c li. l'ombre et image de Dlcu qu ellt:s portent 011 à la vertu inteme, laquelle leW' Il été donnée du ciel comme par dot naturel, ••• vertu, dia-je, Inque~le se reconnult plutOt par la signature S Il. Le syst.ème des SIgnatures renverse le rapport du visible à l'invisible. La ressemblance l:tait la forme invisible de ce qui, du fond du monde, rtmùait 165 choses visibles; mais pour que cet.te forme t. 1 •• Paraet<I>e, Die " Bû~l/~r d~r Na!uflJ Ruum (CEuuru, 6<1. SuhdorlJ. IX, p. 313). 2. CrulliuJI, TruiU de • • ignQluru, p. 4.
  • 37.
    à Bon tourvienne jusqu'à la lumlère, il faut une figure visible qui la tire de sa profonde invisibilité. C'est pourquoi le visage du monde est couvert de bla~ons, de caractères, de chiUre8, de mots obscurs, - de c hiéroglyphes Il, doeait Turner. Et l'es­pace des immédiates ressemblances devient. comme Wl grand livre ouvert; il est hérissé do graphismes; on voit tout au long de la page des figures étrangea qui s'entrecroisent et. parfoia 8e répètent. li n'est plus que de les déchitrrer : c N'est-il pas vrai que loutes Jes herbes, plantes, arbres et autres, provenant deI entrailles de la terre 80nt autant de livres et de signes magiques 11. Le grand miroir calme au fond duquel les choses Be miraient et se renvoyaient, l'une l'autre, leurs images, cst en réalité tout bruissant de paroles. Les reflets muets sont doublés par dos mots qui les indiquent. Et pal' la grâce d'une demièrc fOl'IDe de ressemblance qUI enveloppe toutes ies autres et les enferme en un cercle unique, le monde peut se comparer l un homme qui parle: « de même que les secrets mouvements de lion entendement sont manilestés par la voix, de même ne semble-t-i! pas que le.' herbes parlent au curieux médecin par leur signat.ure, lui découvrant .•• leurs vertus intérieures cacllées 80US le voile du silence de la nature 1 1. Mais il faut s'attarder un peu sur ce langage lui-môme. Sur les signes dont il est formé. Sur la manière dont ces !;igncs ren­voient à ce qu'ils indiquent. li y a sympathie entre l'aconit et les yeux. Celte alflnité imprévue resterait dans l'ombre, B'il n'y avait sur la plante une Biguature, une marque et comrue un mot dislmt qu'elle est bonne pour les Jnüllldies des yeux. Ce signe, il est parlai­tement. lisib]e dans ses graines: ce sont de ~etits globes sombres onchAssés duns dos pel1ioules blanche!!, qUI figurent il peu près ce que )09 paupières sont aux yeux 1. De même pour l'affinité de la noix et de ]a tête; ce qui guérit • les plaies du pMi­crAne J, o'est l'épaisse écorce verte qui repose sur les 09 - sur ]a coquille - du fmit : mais les maux intérieurs de la tête lIont prêvilnus par le noysu lui-même 1 qui montre tout à fait le cerveau 4. Il. Le signe de l'affmité, et ce qui la rend visible, c'est tout simplement l'analogie; le chiffre de la sympathie réside dans la proportion. Maia la proportion elle-même, quelle signature portera-t-elle pour qu'il soit possible de la recollIlsU.re? Comment pourrait-on 1. Crolllus, Traité du BignolurU, p. 6. 2. Id., ibid., p. 6. S. Id., ibid., p. 3:'!. 4. Id., Il/id., p. 33-34.
  • 38.
    lA. pro" dumonde savoir que les pli. de la main ou )81 rides du front de8Binea.t sur le corps dos hommea ce que sont los penchants, les accidente ou les traverses dans le grand tissu de la vie? Sinon parce que la sympathie fait communiquer le corps et le ciel, et transmet 10 mouvement des elanêtes aux aventul'eS des hommes. Sinon aussi parce que la ~l'Ièveté d'une ligne~flètel'image sim~led'une vie courte, le croisement de deux plis, )a rencontre d UD ob .. taclo, le mouvement ascendut d'une ride, la montée d'un homme vors le succès. La largeur est signe de richesse et d'im­portance; la continuité marque la fortune, la. dillcontinuit6 l'infortune 1. La. grande analogie du corps et du dftstÏD est signée par tout le Iystème des miroirs et des attirances. Ce sont les sympathies et les émuiatioDS qui sigoaJllnt)es analo­gies. Quont lI.1'6mulat.ion, on peut la recoIlllattre li. l'analogie.: lOI yeux sont dos étoiles parce qu'ill répandent la Inmière sor le8 vi9ages comme les ast.res dans l'obscurité, et parce que lea aveugles sont dana 10 monde comme les olainroynnts au pIns sombre de la nuit. On pout la reoonnattre aussi à la convenance: on finit, depuis les Grecs, que les animaux forts et courageux ont l'extrémité des nlembres large et bien développéo comme ai leur vigueur s'était communiquée aux parties les plus loin­roines de leur corps. De la même façon, 10 visage et ln main de l'homme porteront la l'OSSomblaneo de l'lÎmo li. laquelle ils lont joints. La reconnllissanco des similitudes les plus visibles se fait donc sur fond d'une découverte qui est celle de la conTenance deI choses entre elles. Et si l'on songe maÎnteoant que la conveoance n'est (l8S toujours définie par une localisation actuelle, mais q11C bien des êtres se conviennent qui Bont séparéa (comme il arrive entre la maladie et BOU remède, entre l'homme et Bea astres, entre la pIaule et le sol dont elle a besoin), il va falloir à Jlouveau Wl Bigne de la convenance. Or, quelle autre marque y n-t-il que deux choses sont. rune à. l'autre encbafnées, sinoll qu'elles s'attirent réciproquement, comme le soleil la Deur du tounle!!ol ou comme l'eau la pOUIlle du concombre " sinon qu'il y a entre eUes affinité eL comme sympathie? Ailllli le cercle se ferme. On voit cependant pal' quel système de redoublements. Les ressemblances exigent une signature, car ~upe d'entre elles ne pourrait être remarquée ai elle n'était lislhlement marquée. Mois quels sont ces signes? A quoi recOn­na! t·on parmi tous les aspects du monde, et tant de 6gures qui s'entrecroisent, qu'il y a ici un caractère auquel il convient. 1. J. CardYD, Mj/opolCupr,l (6d. de 1858), p. 111-.111. 2. Ilacon, HI.lolr. IItI/urdle (!.rad. Inncalu J881), p. 221
  • 39.
    de 8'8~ter, parcequ'il indique une secrète et essentielle rel­semblunce? Quclle forme constitue le Bigne dans sa singulière valeur de signe? - C'est la ressemblance. n signifie dans la mesure où il a ressemblance avec ce qu'il indique (e'est-li·dire l1. une similitude). Mais il n'est pas cependant l'homologie qu'il signale; car son être distinct dc signature s'etJllcerait dans le visuge dont il cst Bigne; il ut une autre re9semblance, une similitude voisine et d'un autre type qui sert à reconnettre la pre­mière, maia qui est décelée à son tour par une troisième. Toute resl:ieolLlllIlce reçoit uoe signa.ture; mll,is cette signature n'est qu'wie forme mitoyellDe de ]a même ressemblance. Si bien que l'ensemble des ruarques fait glisser, sur le cercle de:5 similitudes. un second cercle qui redouhlel1lit exactement et point par point le premier, n'était ce petit décalage qui lait que le signe de III sympathie réside dans l'analogie, celui del'ana.logie dalls l'ému­lation, celui de l'émulation dans la convenance, qui requiert à son tour pour être reconnue ]a marque de la sympathie .•• Ln signature et ce qu'elle dlisigne sont exactement de même nature; ils n'obéissent qu'à une loi de wllt.riliution dilIérent.e; le découpage est le même. Forme lIignante et forme signlle sont dos ressemblances, maÎII d'à cÔté. Et c'est en cela Mns doute que ]a ressemhhlDce dana Je savoir du XVIe .iècle est ce qu'il y a de plus universel; k la (ois ce qu'il y a de pIns visible, mais qu'on doit cependant chercher li. découvrir, car c'est le plus cacM; ce qui détermine la .forme de I~ connaissance (car on ne connatt qu'en suivant Jes cbeIuins de la similitude), et ce qui lui garantit ]a richesse du son contenu (ClU', dès· qu'on soulève ]el signes et qu'on regarde ce qu'illl indiquent, on laisse venir au jour et étinceler duns lI8 propre IUIlIièl'e la Ressemblance elle-même). Apvelons herméneutique l'ensemble des counaissance! et des techniquetl qui permettt:Jlt de faire parler les signes et de décou­vrir leur sellS; appeloD8 séuliologie l'eu~emble des connais­sances et des teclmiques qui permettent de di:stillguer où sont les signcs, de d6finir ce qui les institue cUlwue Bigues. de con· naître leurs liens et les lois de leur enchaInement: le XVII! siècle Il lIuperposé sémiologie et herméneutique dans la furme de la similitude. Chercher le senll, c'est mettre au jour ce qui se res­semble. Chercher la loi des sigues, c'est découvrir les cboses qui sont semblables. La grawmaire de~ êtres, c'est leur exégèse. Et le langage qu'ils parlent nll raconte l'jeu d'autre que la syo­taxe qui le!! lie, La. nnture des choses, leur coexÏi!tence, l'en­chaiuement qui les attache et par quoi elletl communiquent, n'est pas différente de leur resseinblllulle. Et celle-ci n'aIlparai que dam le rëseau de. signes qui, d'Ull bout à l'autre, parcourt
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    45 le monde.La c nature J est prise dans la mince ép&i5scur qui tient, l'uue au-deBSu! de l'autre, semiologie et herméneutique; elle u'e5t mystérieuse et voilée. eUe ne s'offre à la connaissance. CI."'eUe déroute parfois, que dans la mesure où cette luperpo!ii­tlOn ne va pas sans un léger décalage des ressemblances. Du coup, )a grille u'est pas claire; la transparence se trouve brouillée dès lu pnmuère donne. Un espace sombre apparlÙt qu'il va falloir progresHivemeut éclairer. C'est Il qu'est. la c nature J et c'est cela qu'il faut. ,'employer li. connaît.re. Tout. serait.immudiat et évidlmt si l'herm~ueu tique de la rell!ieuaLlauce et la sémiologie des signat.ures çoÜlcidaient Slins la. luoilldre oscillation. Mais parce qu'il '1 a Wl c crau J ent.re lfi similitudei qui forment graphisme et ceUes qui forment. discours, le savoir et lion labour infini reçoivtmt là l'elipace qui leur est propre: ils auront li .illonner cetta dillt.uuce en allant. par un z.l~a~ indélini, du 8emblable il co qui lui est semùlable. Ilf. LES LUUTIl8 DU MONDB Telle est, dllns son esquisse la plus générale, l"pütémè du XVIe siècle. Cette configuration emporte avec soi un certain nombre de conséquences. Et d'abord le caractère li la. fois plét.horique et absolument pauvre de ce savoir. Pléthorique puisqu'il est illimité. La res­semblance ne reste jllllUlÎs stable en elle-même; eDe n'est fixée que si elle renvoie Il une autre similitude, qui en app"lle à 8011 tour de nouvelles; de sorte que chll.que rell~UÙJlance n8 vaut que par l'accwnulation de toutes lei autr!:I, et que 10 monde entier doit être parcouru pour que la plus uUnc8 des analogies soit justifiée, et apparaisse enfiu çomllle certaine. C'est douo un savoir qui pourra, qui devra procéder par entassement infini de coumwations s'appelant lCII un8li les autres. Et pal' lA, dè.'1 ses fondations, ce savoir sera lIabluJmeux. La soulo forme de liaison poti~ible entre les éléments du savoir, c'ost l'addition. De là ces immenses çoloones, de là Illur monotonie. En posant comme lien entre le Bigne et ce qu'il indique la ressemblance (il la fois tierce puiiisance et pouvOIr unique puisqu'elle habite de la même façon la marque et le contenu), le savoir du XVIe siècle l'e~t condamn6 la. ne connattl"6 wujours que la même chose, malS la. ne III connnttre qu'an terme jamais atteint d'un parcoun indéfini.
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    46 Le. moLtet les eh06ll' Et c'est III que fonctionne la catligorie, trop illustre, du miorocosme. Cette vieille Dotion a IaIlS doute été ranimée, II traveN le Moyen Age et dès le début de la Renaissnnce, pIlr une certaine tradition néo-platonicienne. Mais eUe a fini par jouer au XVIe siècle un l'Ôle fondamental dans le savoir. Peu importe qu'elle soit, ou Don, commo on disait jadis, vision du monde ou Weltanschauung. En fait, elle a une ou plutôt deux: fonctions très precises dans la conflgurationépistémologique de cette époque. Comme catAgori8 de pens/Je, elle applique à tous les domaines de la nature le jeu dos rC88emblancos redoublécs; elle garantit à l'investigat.ion quo chaque chose trouvera sur wle plus grande échelle son miroi,. et 60n assurallce macrocos­mique; eUe affirme en retour que l'ordre visible des sphères les plu8 hautes vieudra se mirer dans la profondeur plus sombre de la terre. Mais entendue comme t!(Jnfiguration glnémlo de la nature, elle pose des limites réelles, ct pour ainsi diretangiblc8, au chtllnincment inlassable des similitudes qui se relaient. Elle indique qu'il existe un grand monde et que lion périmètre trace la limite de toutes les choses créées; qu'à l'autre extrémité, il existe unn créature de privilège qui reproduit, dans ses dimen­sions restreintes, l'ordre immense du ciel, des astres, des mon­tagncs, des rivières et des orllbreSj et que c'est eutre les limites efTectives de cetto analogie constitutive que se déploie le jeu des ressemblances. Par ce fait. même, la distance du microcosme a.u macrocosme ft beau être immense, elle n'est pas infinie; le. etres qui y séjournent ont beau êt.re nombreux, ou pourrait à. la limite les compterj et par consliquent 18s similitudes qui, par le jeu des signes qu'e11cs exigent, s'appuient toujours les unes sur les autres, ne risquent plus de s'enfuir indéfiniment. Elles ont, pour s'appuyer et se renforcer, un domaine parfaite­ment cl08. La. nature, comme jeu des signes et des r6ssem­blucos, se referme sur elle'Blême selon la figure redoublée du cosmos. Il faut douc se garder d'inverser les rapports. Sans aucun doute, l'idée dll microcosme est, comme on dit,lIimportantea au XVIe siècle; parmi tOlltes les formulations qu'une enqu~te pourrait recenser, eUe serait probablement l'une des plus fré­quentes. Mais il ne s'agit pas ici d'uue 6tude d'opinions, que seule une analyse statistique du matériau éel'it permett.rait de mener. Si en revanche, 011 iutorroge le Bavoir dll xv.' siècle à Ion niveau srchéologique - c'est-à-dire daDs ce qui l'a rendu possible -, les rapports du macrocosme et du. microcosme apparaissent comme un "imp1e elIet de surface. Ce n'est pas parce qu'on croyait li. de tels rapporLli '{"'on s'est mis à rech61'­cher toutes les analogies du monde. MalS il y aTHit au coeur dll
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    47 I!avoir unenécessité: illalJait ajuster l'infinie richesse d'une ressemblance introduite en tiers entre les signes et leur sen!!, et la monotonie qui imposait le même découpage de la rcssem­hlance nu signifiant et à ce qu'il désignait. Duns une épüU"" où signes et similitudes l'enroulaient réciproquement selo11 UDe volute qui n'avait pas de term." il rallait bieu qU'OD pensât dans Je rapport. du microcosme au macrocollme la garantie de co savoir et 10 terme de sou épanchement. Par la même néoossité, ce savoir devait accueillir Il la fois et sur le même plan magie ot érudition. Il nous semble que les connaissances du XVIII siècle étaillnt const.ituées d'Wl mélange instable de savoir rationnel, de notions dérivées des pratiques de la magie, et de tout un héritage culturel dont la redécouverte des textes anciens avait multiplié les pouvoirs d'autorité. Ainsi conçue, la science de cette époque apparatt dotéo d'uoe struc­ture faible; elle De serait que le lieu 1ibêral d'un affrontement entre la fid6lité aux Anciens, le gotlt pour le mel'Veilltlux, et une attention déjà éveillée sur cette !louvcraine rationalité en laquelle nOU5 nous reconnaissons. Et cette époque trilobéo le réfl6chirait au miroir de chaque oeuvre et de chaque esprit partagé ... En fait ce n'est pas d'une insuffisance de structure que loutlre le savoir du XVI- siècle. Nous avons vu, au contraire, combien sont mêticuleUlles les coniigurations qui défmissent 80n espace. C'cst cette rigueur qui impose le rapport à ]a magie et à l'érudition - non pas contenus acceptés, mais formes requises. Le monde est couvert de signes qu'il faut déch~firerJ et ces signes, qui révèlent des rc8l!lemblances et dei affinités, ne Bont eux-mêmes que des fonnes de la similitude. Connaître sers donc intcrpréter : aller de la marque visihle l ce qui se dit il travers elle, et demeurerait, !!ans eUe, parole muette, ensom­meillée dans les choacs. 1 Nou!! autres hommos nous découvrons tout ce qui est caché dans les montagnes par des signes et des correspondances extérieure,; et c'cst ainsi que nous trouvons tOhtcs les propriétés des herbes et tout ce qui est dans lei pierre.~. n n'y a rien dans la profondeur des mers, rien dans 1" hauteurl du firmament que l'homme ne loit eapllhle de découvrir. n n'y a pas de montagne qui loit assez ... aste pour cacher au l"!g&rd de l'homme ce qu'il y .. en ene; cela lui est :r6v61ê par des 81gnes correspondants 1 _. La divination n'est pas UDe forme concurrente de la connaissance; elle fait corps avec Ja connais­sance elle-même. Or, ces signes qu'on interprète ne dé!ignent le caché qne dans la mesure ort ils lui r8uemblent; et on n'agira pas !Ul" les marques saDS op&er en m8me temps !IUt ce qui est, 1. PUBcel!e • .Arclaidod. DHlgicG (lrad. franÇ8ll1ft. 11109), p. 21-23.
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    par eUes, secrètementindiqué. C'est pourquoi les JJhtut.es qui représClnteut.la tête, ou les yeux, ou le coeur, ou le foie auront ellicllcit.6 sur un organe; c'est pourquoi les bôt.es ellermêm". lierunL BCnliibles aux marqueR qui lC8 désignent. « Dis-moi dlmo, demande Paracelse, pourquoi Je serpent en Helvét.ie, Algorie, Suédie comprend les mots grecs Osy, 08ya, Oay ... Duus quelles açadémies lUIi out-ils appris pour qUEl, )e mot à peine eutllndu, ils retournent. aussitôt. leur queue, afin de ne pas l'ent.endre d. Douveau? A peine ont-il. ouï le mot, Donobstan leur Dat.ure et leur esprit, ils relltent immobiles, et n'empoisonnent perlionne de leur blessure venimeulle 1. Et qu'on nt disc pliS que C'CIlt. l~ eeulement. relIef. du bruit. des mots prononcés : 1 Si tu écris, en temps favorable, ces seules paroles sur du vélin, du parc:he­min, du papier, et que tu les imposes au serpent, celui-ci ne restera pas moins immobile que ai tu les avais articulées Il haute voix 1. Le projet. des «Magies naturelles., qui occupe une large placo ilIa fin du xv.' siècle et s'avance tard encore en plein milieu du XVlle, n'ea;t. pas un efTet résiduel dans la conscience européenne; il a été ressuscité - comme le dit expresllément campanella 1 - et. pOUl' des raisons contempo­l'sines : pa,rce que Ja configurat.ion fondamentale du savoir ren­voyait les unes aux autres Jea marques et les .ùoilitudes. La. forme magique était inhérente ilIa manière de conDaUre. Et par le fait môme l'érudition: car, dans le trésor que DOUS • transmis l'Antiquité, Je Jangage vaut comlUe le Bigne des cboses. Il D'y a pas de différence entre ces marques visibles Il.ue Dieu a déposées Bur la surface de 111 terre, pOUl' noua en 11tU'fJ coDDait.re les secrets intérieurs, et lesmot8 lisiblcs que l'Écriture, ou los sageli de· l'Antiquité, qui on~ été éclairés par une divine lumière, ODt dépolié!> en ces livres que la tradition ft sauvés. Le rapport. aux textes eIIt de même nature que le rapport aux cholles; ici eL là, ce BODt dea signes qu'on relève.l(ais Dieu pour exercor notre sagesae n'a semé la nature que de figures lA déchifTrer (et c'est en ce BeDS que la connai~S8nce doit être di",natio), tandis que los Anciens ont donné déjà des interpréta­t. ions que nous n'llVOnll plus qu'à recueillir_ Que nous devrions BCulement recueillir, s'il ne fallait apprendre leur langue, lire leurs textes, comprendre ce qu'ila 01! dit.. L'héritage de l'Anti­quité est comme la naturo ~l1e-luGme, un va61.e espace à inter­préter; ici et là il faut relever des signes et peu li peu lei faire parler. En d'autres termes, Divinatw et Eruaitio sont. Wle même herméneutique. Mais elle 90 développe, Belon des figures sem­blables, à deux niveaux différents : l'unu VIl de la marque 1. T. Camanellll, D.,1I/J8U mu", d ma,ia (Fl'lnc:rorL, 1620J.
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    49 muette lAla OhOM el1e-mêmc (et elle fnit pnrler la natu1'e); l'autre va du grapbismeimmohile à la claire parole (elle redonne vie nux. langages CD sommeil). Mais tout comme les signes naturels sont liés li. ce qu'ils indiquent par le profond rapport de ressemblance, de même le di!!cours des Anciens est à l'image de ce qu'il énonce; s'il a pour nous la valeur d'un signe pré­cieux, c'est purce que, du Cond de SOn être, et par la lumière qui n'a cessé de le traverser depuis sa naissance, il est ajusté aux cboscs m~mes, il en {orme le miroir et l'émulation; il cst lA la vérité étemelle ce que les signes sont aux secrets de la nature (il est. de cette parole la marque à déchilIrcr); il a, avec les choses qu'il dévoile, une aflinité sa us âge. Inutile, dODC, de lui deman­der ~on titre d'uutorité; il est UD trésor de signes liés par simi­litude à ce qu'ils peuvent désigner. La seule différence, c'est qu'il s'agit d'un trésor au second degré, renvoyant aux Dotll­tiODS de la nature, qui, ellcs, indiquent obscurément l'or fin des choses elIe!l-mêmes. Ln vérité do toutes ces marques - qu'elles traversent la nature, ou qu'elles s'alignent SUl' les parchomins et dans ]u bihliothèques - est panout ln même: aussi a1'Chnique que l'institution de Dieu. Entre les mArques et les mots, il n'y a pal! ]a différence de l'observation à l'autorité acc~ptée, ou du vérifiable à la tradi­tion. n D'y a partout qu'un même jeu, celui du signe et du simi­laire, et c'est. pourquoi la nature et le yerhe peuvent s'ennecroi­sel' à l'infini, formant pour qui sait lire comme un grand texte unique. IV. L'tCRITURB DES cnOSBS . Au XVIe siècle, le langage réel n'est pas un ensemble de 5Ïgnes 1ndêllend8nts, uniforme et lisse 011 les choses 'viendraient se refl~tep comme dans un miroir pour y énoncer une à une leUJ' vérIté singulière. n est plutôt chose opaque, mystérieuse, re~e1'Dléc sur elle-même, masse fragmentée et de point en point éwgrnatique, qui se mèle ici ou là aux figures du monde, et l'enchevêtre à elles : tant et si bien que, toutes ensembles, ~Ues fonnent un réseau de marques où chacune peut jouer, et Joue en ~fTet, par rapport à toulesles autres, le rÔle de contenu o~ de Slgne, de secret ou d'imlicatÎolI. Dans son être brut et. hlS~oriqlle du XVIe silcle, le langage D'cst pas un système arbi­traIre; JI est déposé dans le monde et il en {ait. partie à la fois
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    50 parce queles choses elles-mêmes cachent et manifestent leur 6nigmo comme un langage, et parce que les mots se proposent aux hommes comme des choses à déchiffrer_ La grande méta­phore du livre qu'on ouvre, qu'on épeUe et qu'on li~ pour connnttre la nature, n'est que l'envers visible d'un autre trana­fert, beaucoup plus profond, qui contraint le langage à rêsider du cô~~ du monde, parmi les plantes. les herbes. les pierres e lei anunaux. Le langage fait partie de la grande distribution de. simili­tudes et des signatures. Par conséquent il doit être étudié lui­nlême comme une chose de nature. Ses éléments ont, comme les animaux, les plantes ou les étoiles, leurs lois d'affinité et de convenance, leurs analogies obli~ées. Ramus divisait sa gram­maire en deux parties. La prcJDlère était consacrée à l'étymo­logie, ce qui ne vout pas dire qu'on y cherchait le sens origi­naire des mou, maia bien les c propriétés» intrinsèques des Ict.treR, des syllabell, enfin dell mots entiers. La scconde partio tl'aitait de la f!YDt8xe : son propos était d'enseigner c le bâti­ment des mots entre eux par leurs propriétés l, et elle consistait c presque leulement en convenance et mutuelle communion des propriétés, comme du nom a~e le nom ou avec le verbe, de l'adverbe avec tOUI mots auxquels il est adjoint, dela conjonc­tion en l'ordre des choses conjointes 1 li. Le langage n'est pas ce qu'il est parce qu'il a uo sens; BOO contenu représentatif, qui aura tant d'importance pour les grammairiens du xvue et du xvm8 siècle qu'il servira de fil directeur il leurs anal)'lle8,n'a pas ici de rOle là jouer. Les mots groupent des syllabes, et les syllabes des lettres puree qu'il y 8, déJH!5êes en celles-ci, des vortus qui les ropprocbcn1j e1; 10a dll!joigneol, exactement commo dans le monde les marques s'opposent ou s'attirent les unes les autres. L'étude de la grammaire repose, au XVIe sièole, sur la même disposition épistémologique IJUB la soience de la nature ou les disciplines ésotériques. Seules diJTêrences : il y a une nature et plusieurs langues; et dans l'és~térisme les pro­priétés des mots, des syllabes et des lettres sont découvertes par un autre discours, qui, lui, demeure secret, alors que daDs la grammaire, ce sont les mots et les phrases de tous les jours qui énoncent d'eux-mêmes leurs propriétés. Le langage est à mi-chemin entre leI figures visibles de la nature et les conve­DIUlC8S secrètes des discours ésotéciques. C'est une nature mor­celée, divisée con~re elle-même et altérée qui a perdu sa traDB­puence première; c'est un secret qui porte Bn lui, mais II 1& surface, les marques déohillrabl611 de ce qu'il veut dire. n est 1. P. namui. Grummain (paril, lin). p. 3 et p. 125-1'28.
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    51 lA laloisl-évélltioll enrouie et révélation qui peu à peu se l'e~titl1e daJls une clart6 montante. Sous sa forme première, quand il fut donné aux hommee par Diou lui-même, le langage ét.ait un signe des cllOse! abaolu­ment certain et tran~paront, parce qll'il leur restiemblait. Les Iloms etuient déposés sur ce qu'ils désignaient, comme la force est écrite dans le corps du lion,]a royauté dllDs le regard de l'aigle, cooune l'influence des planètes est marquée sur le front des hommes: par la forme de la similitude. Cette transparence Iut détruite il Babel pour la punition de8 hommes. Lei langues ne furent séparées les unes des autres et ne devinrent. incompa­tibles que dans la mesure 01'1 fut efTacOe d'abord cette l'eII­semblance aux choses qui avait été ]a première raison d'ûtre du langage. TouLesleti langues que nous connaissons, DOUS De Ica parlons maintenant que sur fond de r,ettc similitude perdue, et dans l'espace qu'eUe a laissé vide. Il D'y a qu'une langue qui en garde la m6moire, parce qu'elle dérive tout droit de ce premier vocabulaire maintenant oublié; parce que Dieu n'a pas voulu que le ohâtiment de Babel échappe au souvenir des hommes; parce que cette langue a dllaervÎr à raconter la vieille Alliance de Diell avec Bon peuple; parce qu'enfin c'est dan a cette langue que Dieu s'es1 adressé à ceux qui l'écoutaient. L'hébreu porte dono, comme des débris, leI> marques de la nomination première. Et ceB mots qu'Adam avait prononcés en les imposant aux animaux, ils sont demeurés, au mows en partie, emportant avec eux daDs leur 6.1?Rislleur, comme un fragment de silvoir silencieux, les proprIétés immobiles des êtres: 1 Ainsi la cigogne tant louée à çause de la cbarité envers ses pères et mères est appelée en hébreu Chaaida, c'est-à-dire débonnaire, charitable, douée de pitié ... Le cheval nommé Su.. est estimé du verbe Hastu, si plutôt ce verbe n'en est dérivE, qui signifie s'élever, car entre tous les animaux li quatre pieds, cestui-Ià. elt fier et brave, comme Job]e décrit au chapitre 391 •• Mais ce ne 1I0nt plWl là que des monwnents fragmentaires; les Butres langues ont perdu ccs lIimilitudes radicales, que seul l'hébreu conserve pour montrer qu'il a été jadis ]a langue commune à Dieu, à Adam, et aux animaux de la première terre. Mais ai le langage ne ressemble plus immédiatement aux choses.qu'il Dommo, il n'est pas pour autut. séparé du monde; il CQnt~ue, sous une autre forme, à être Je lieu des révélatioDs et à Iaue partie de l'espRce où la vérjté, à la fois, se maoifeste d~ I:é~onee. Certes, il n'est plll!~ ]a nature dans sa visibilité OrIgme, mais il n'est pas non plus un wstrument. mystéritlux J. Couda Durel, Trûor d, rlllllolre da '.nllllU (Cologne, 1613), p. 40.
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    62 dont quetques-uo8seutement, privilégiés, connatt1'llient les pou· voirs. n e~t'plutôt la figure d'un monde en train de se racheter et !le mettant enfm à l'écoute de la vraie parole. C'est pourquoi Dieu a voulu que le latill, langage de son église, se répande sur tout le globe terrestre. C'est pourquoi tous les langages du monùe tels qu'on a pu les commUre grâce à celte conquête forment ensemble l'image de la vél'ité.L'e5paco oùilssed6ploient et leur enchevêtrement libèrent le signe du. monde sauvé, tout comDle la dillposition des premiers noms ressemblllicnt aux: cboses que Dieu avait. mises au service d'Adam. Claude Duret. fait remarquer que les Hébreux, les Cananéens, los Samaritains, les Chaldéens, les Syriens, les Égypt.ien!!, lcs Puniques, les Carthagilloi~, les Arabes, 1f'.!I Sarrasins, les 'furcs, les Mores, les Persans, les 1'01'101'05 écrivlmt de droite à gauche, suivant ainsi c le cours ct mouvement journal du premier ciel, qui est très parfuit, suivnnt l'opinion du grand Aristote, approchnnt de l'unité.; Ics Grecs, les Georgioniens, les :Maronites, les Jaco­bites, les Cophtitcs, les Tzervinns, les P01.TlonienR, et bien sar les LntÎJl8 ct tous les Européens, écrivent de gauche à droite, suivant c le eou1'9 et mouvement du deuxième ciel, ensemble des sept planètes Il; les Indiens, Cathaios, Chinois, Japonais, écrivent de haut en ha!!, conformément à 4C l'ordr~ de la nature, laquelle a donné aux hommes la tête baute et les pieds bas 1; c au rebours des susdits Il, les Mexicains écrivent $oit de bas en baut,soit en c lignes spirales, telles que le soleil les fait panon cours anuuel sllr le Zodiaque •• Et ainsi ft pa.r ces cinq diverse. aortes d'écrire les secreh et mystères de la croisée du monde et de la forme de la croix, emiemble de la rotondité du ciel et de la terre, 5011l proprement. dénotées et exprimées 1 JI. Les langue. lont avec le monde dans un rapport d'analolZie plus lJ.Ue de lignificatioo; ou plut.ôt. leur valeur ùe signe et reur fonctIon de redoublement se superposent; elles ùisent.le ciel et la terre dont ellcs sont l'imogcj eUes reproduisent dans leur architecture la plus matérielle la croix dont elles almonccnt l'avènement, - cet av~ncment qui il Bon tour s'établit par l'~criture et la Parole. Il y ft une fonction symbolique daos le langage: mais depuis te dé.'1llstre de Babel il ne faut plus ]a chercher - à de rares exceptions près t - dans les mots eux· mêmes mai!! bien dans l'existence même du langage, dans son l'apport total à la totalité du monde, dan!! l'entrecroisement de son espace avec les lieux ct les figures du cosmos. J. D,m't, loc. cil. 2. G~II~r, daUII Mi'''rlda',,,, clt. évidemment, mals 6. tt1'9 d'oxcepLioD lei Dnomalopl:cs (2° éd. Tlgurt, 1610. p. 3·t).
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    lA prOB' dumonda 53 De là la forme du projet oncyolop6dique, toI qu'il appnratt à la fm du XVIe siècle ou dans les premières ann~es rIu siècle suivant: Don pu refléter ce qu'on sait dans l'élément neutre du langnge -l'U!l~ge de J'alph?het co~me ordre encyclopédique arbitraire, ruaIs elTIcuce, .n npparultra que dans la seconde lnoitié du XVllU siècle 1_, mlli!l reconstituer par l'encbainement des mots et par leur disposition dans l'espace l'ordre même du lOonde. C'est ce projet qu'on trouve chez Grégoire dans son SyrltnToeon artis mimbÏlü (1610), chez Alstedius avec son EnC1jcJopfwilia (1630); ou encore ehez ce Christophe de Savigny (Tabr.P.a" da 101U lBs am lwtfraux) qui parvient à 8pati~Liser ICI connai!SnnCtlS à la fois lelon la forme cosmique, immobile et pal'faitc du cercle, et ceUe, sublunaire, périssable, multiple, et dÏ.j~ée de l'arbre; on le retrouve al1ssi chez La Croix riu Maine qui imagine un csrHlce à 111 fooe d'Encyclopédie et de Biblio­thèrtue qlli permettrait do disposer 16s textes écrits !lelon les figures du voisinage, dels parenté, de l'analogie et de la Bubor­dina. tion fIlle prescrit le monde lui-môme 1. De toute façon un tel entrela.cement du langage et des choses, dans un espace qui leur serait commun, suppose lm privilège absolu de l'écriture. Ce privilège a dominé toute la Renaissance, et sllns doute a-t-il été un des grands événements de la eulture occidentale. L'imprimerie, l'arrivée en Europe des manuscrits orientaux, l'apparition d'une littérature qui n'était plus faite pour la voix ou la rcpré~entation ni commandée par ellel', le pal' donné à l'interprétation des textes religieux sur la tradition et le magis­tère de l'Église - tout cela témoigne, sans qu'on puisse faire la part des effets et des causes, do la place fondamentale prise, en Occident, par l'Écrit.ure. Lelanbrage a désormais poUl' nature première d'être écrit. Les 50ns de la vuix n'en forment que la traduction trausitoire et précaire. Ce que Dieu a déposé danl le monde, oe sont. des mots écrits; Adam, lorsqu'il a imposé leurs prenùers Doms aux bêtes, D'U fait que lire ces marquel vÏ!lihles et silencicusn.'l; la Loi a été confiée à des Tables, non pas à la m6moire des hommes; et la vraie Parole, c'est. flans un livre qu'il faut la retrouver. Yigenère et Duret 1 disaient. l'un et l:autrc - et en termes à peu près identicptes - quI' récrit aVlut toujours précëdé le parlé, certainement dans la nature, 1. Sml' pour 11's InngllP1l, plll~'1"e l 'alphllhrL CS~ le matériau du langage. cr. le chaplLro Il du Mil/lriclcrlt'3 de G1!~neJ'. I.A première Ilnr.yr:l0llédie alpha­bHltlue e~l le Gmnd D(cllollflulra hÜl!H'iqlle do Moreri (16701). 2. 1.8 Croix du Mo.lnc, Lei c~lIIs BufTas puur dmlU' une blbllol"~qu. porfnile (1583). D 3. Blul", de Vigl'n~re, TraiM deI chifT"'" (PAri!, 1587), p. 1 et ? Claude urel, TrtMI' de j'AiRoire du (u/lgur., p. 19 et 20.
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    54 peut·être mêmedans le savoir des hommès. Car il se pourrait bien qu'avant Babel, qu'avant le Déluge, il y ait Cil une f!c1'Ïture composée des marques mêmes de la. na.ture, si bien que ces cnractères auraient eu pouvoir d'agir directement sur lea ohoses, de les attirer 011 de les repousse!', de figurer ItmN prfr priétés, leurs vertus et leurs sccret.'1. Ecriture primitivement naturelle, dont peut·êt.re (!erL~ins savoil's ésotériques, et la cabale BU premier chd, ont conservé la mémoire dispersée et tentent do ressaisir les Jlouvoirs depuis longtemps eudormis. L'êsotérifime QU XVIe siècle est un phénomène J.'{n:rit.ure, non de parole. En tout cas, celle-ci est dépouillée de ses pouvoirs; elle n'est, disent Vigenère et Duret, quela l'urt [emelle du lan­gage, comme son inellcct pas~i{; l'ECriture llle, O'eiit l'intelleot agent, le c principe môlo» du langage. Elle seule déLient la vérité. Cette primauté de l'éCl'it explique ]a présence jumelle de deux formes qui sont indis.'1ociobles dnnsle savoir du XV~ siècle, malgré leur opposition Apparente. TI s'agit d'abord de ]a non­distinction entre ce qu'on voit ct ce qu'on lit. entre l'obsct'V6 et le rapporté, donc de la constitution d'une nappe uniC'(Ue et li85e où le l'egard et ]e lanp:age s'entrecroisent li. l'infini; et il s'agit auslii, à l'inverse, de la dis!lociation immédiate de tout langage que dédouble, sans jamais aucun terme allsignable, le ressal1semeut du commentaire. Bufioll, un jour, s'étonnera qu'on puisse trouver chez un naturaliste comme Aldrovandi un mélange inext.ricable de des­criptions exaotes. de citatiolls rapportées, de fables sans cri­tique, de remllrques portant iodiJIéremment lIur l'anatomie, les blasons, l'habitat, les valeurs mythologiques d'un animal, sur les usages qu'on peut en faire dans la médecine 011 dans III magie. Et en effet, 100"Squ'on se reporte à l'Historia 86rpemam et drlJCOnum, on voit le chapitre, DI1 Serpent en général. se déployer selon les rubriques suivantes: équivoque (c'est-à-dire les différent.'1 sens du mot ilerpent.), synonymes et étymologies, différence!!, forme et description, anatomie, nature et moeurs, tempérament, coït et génération, voix, mouvements, lieux, nourriture, physionomie, antipa.thie, sympathie, modes rie CRp· ture, mort et blessures par le serpent, modes et signes de l'em­poisonuernent, remèdes, épithètes, dénominations, prodi"'es et présages, Jllonstres, mythologie, dieux auxquels il est cor:;acré, apologues, allégories et mystères, hiéroglyphes, emblèmes et symboles, adages, monuaies, miracles, énigmes, devises, signes héraldiques, faits historiques, songes, simulacres et IItatues, usages dans la nourriture, usages daus la médecine, UlSgeS divers. Et Buffon de dite: cqu'on juge après cela quelle pOl"-
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    55 tion d'histoirenaturelle on peut trouver danll tout ce fatras d'écriture. Tout cela n'est pal description. maie légende ». En effet, pour Aldrovandi et ses contemporains, tout cela est ~genda - cho~ei li. lire. M.is 1. raison n'en est pas qu'on pré­fèr8l'a~ torjté des hommes li. l'exactitude d'un regard non pré­venu mais c'est que la nature, en elle-même, est un t.issu ioin­terru: Opu de mots et de marques, de récits et de caractml, de discourlô et. de formes. Qwmd on a à faire l'hutoir~ d'un animal, inutile et impossible de choisir entre le métier de naturaliste et celui de compilattlur : il faut recueillir danl une seule et mêwe lorme du !lavoir tout ce qui a ,té PU et entendu, tout cc qui B été rar.ontA par la nature ou les hommes, par le langage du monde, des traditione ou des poètes. COnDailre une bête, ou UDe plante, ou une chose quelconque de la terre, c'est recueil­lir toute l'épaisse couche des signes qui ont pu être dépollés en eUes ou lur ellesi c'est retrouver BWlSi toutBS les coustellationl de formes où ils prennent valeur do blason. AldrovBndÎ n"tait ni meilleur ni pire obsenateul' que Buffon; il n'était pas plua crédule que lui, ni moins attaohé ilIa fid61it6 du regard ou li. la rationalité ùes choses. Simplement BOn regard n'était. {Jas lié aux cbosea par le même système, ni la même dispositIOn de l'~pûUmi. Aldrovandi, lui, contemplait méticuleusement une nature qui élait, de fond en comble, écrite. Savoir CODliite donc à rapporter du langage Il du langage. A restituer la grande plaine uniforme des mots et des cbolBs. A. tout faire parler. C'~lt-lI.-d.ire à faire naltre au-de!1Sus de toutes les marques le ditlcours second du commentaire. Le propre du tiBvoir u'est ni de voq. ni de démontrer, mais d'interpréter. Commentuire de l',Éçrjture, conunentaUe des Anciens, commen­taire ce qu'ont rapporté les voyageurs, commentaire des légendes et d8li fables: 00 ne demande pas à. chacun de ces discours qu'on interprète son droit à énoncer une vérité; on ne requiert de lui que la possibilité de parler sor lui. Le langage. en lui-même ~OD principe intérieur de :pro1il6ration. c Il y • plus à faire l lIlterpriter lca interprétations qu'à interpréter la chosee; et p1?-B de livres SUI' les livres ~e Bor tout autre sujet; DOW! ne fa~8,!ns Cl}'e nous entregloser ». Ce n'eet point Ill. le comtat de fall~te d une culture ensevelie sous ses propres monuments; lllalS l!l définition d~ rapport inévitable que le langage du XVI" Siècle entretenait avec lui-même. D'un côté. ce rapport permet un moutonnement fi l'infini du langage qui ne cessI! de se déve!opper, de se reprendre, et de faire chevaucher ses formel! sUCCeSS1VCs. Pour la première fois peut-atre dane 1. culture 1. Montaigne, B,ICIÛ, Uv. III, chlp Xlii.
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    56 occidentale sedécouvre cette dimension absolument ouverte d'un. langage qui ne peut plus s'arrêter, parce que, jamais enclos dans UIle parole définitive, il n'énonoora 6a vérité que dans un discours futur, tout entier COJlSDCré à dire ce qu'i! Bum dit; mais ce discours lui-même ne détient pas le pouvoir de s'arrêter sur soi, et ce qu'il dit, il l'enferme COlnme une promosse, léguée encore à un autre discours... La tAche du commontaire, par définition, ne peut jamais èl.re acbevée. Et pourtant le cODUlaenlaire est tout entier tourné vers la part énigmatique, murmurée, qui se caohe dans le langage commenté : il fait uatt.re au· dessous du discours existant, un autrc discours, plus fondamental et comme «plus JIl'tnniot'» qu'il se donne pour tâche de restituer. Il n'y a commentaire que si, au-dessous du langage qu'on lit et déchilTre, court la souveraineté d'un Texte primitif. Et c'est ce texte qui, en fondant le commentaire, lui promet comme récompense sa découverte finale. Si bien que la prolifération nécessaire de l'exégèse est mesurée, idéalement limitée, et pourtant sons cesse animée par ce règne silencieux. Le IllDgage du XVIe siècle - entendu non pas comme un épisode dans l'histoire de la langue, mais comme une expérience cultureUe globale - s'est trouvé pris sans doute dans ce jeu, dant; cet int.erstice entre le Texte premier et l'infini de l'Interprétation. On parle sur loud d'une écriture qui fait corps avec le monde; on parle à l'infini sur eUe, et cbacun de ses signes devient à son tour écriture pour de nouveaux discours; mais chaque discours s'adresse il celte prime êcritW'8 dont il promet et décale en même temps le retour. On voit que l'expérience du langage 8pportiont au même J'éSClau archéologique que la connaissance des obosils de III nature. Connattre c~s choses, c'était déceler le système des J'ellsemblnnces qui les rendaient proches et solidaires les uneti des Butres; mais on ne pouvait relever les similitudes que dans la mesure où un ensemble de signes, à leur surface, formait. le texte d'une indication. péremptoire. Or, ces signes eux-mêmes n'étaient qu"un jeu de ressemblances, et ils renvoya.ient il la tâche infime, nécessairement macbevée de cooosÎtre le simila ire. Le langage, de In même façon, mais il un renversement près, se donne pour tâche de restituer un discours absolument pre­mier, mais il ne peut. l'énoncer qu'en.l'approcLant, en essayant de dire à Ion propos des choses semblables à lui, et en faisant Dallre ainsi à l'infini les fidélités voismes et similaires de l'in­terprétation. Le commentaire ressemble indéfiniment. il ce qu'il commente et qu'il ne peut jamais énoncer; tout cUWJoe Je IiavQir de la nature trou~e toujOur8 de nouveaux liigooe à la
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    La prOIe dumonde 57 ressemblance Jlarc~ que la n:ssemblau08 ne peut ~tre connue par elle-même, mms que lOB sagous De peuvent être autre choSI! que des similitudes. Et de même que 08 jeu infini de la nature trouV(: SOIl lien, SB forme et sa limitation dans le rapport du JnÎcrocoslI1e au macrocosme, de la mOrne façon la tAohe infinie du commeutuire 9C rassure par la promesse d'un texte eiTec­tivement bcrit. que l'interprétation un jour riv61cra 8n Bon entier. v. L'ATRB DU LA.I'IG.AGB Depuis le stoïcisme, le système des signes dans Je monde occidental avait lité ternaire, pUÏlSqU'Oll y reconnais!lait le signifiant, le signifi6 et la te conjoncture Il (le WnOE'VQ'I). A partir du xvne siècle, en revancbe, la disposition des signes deviendra. binaire, puisqu'on la définira, avec Port-Royal, par la liaison d'un signifiant et d'un signifié. A la Renaissance, l'organisation est différento, et. beaucoup plus complexej elle est ternlire, puisqu'clic fait appel au domaine formel des marques, au contenu qui se trouve signalé par elles, et aux similitudes qui lient les marques aux. choses déllignêes; mais comme la ressemblance est aussi bien la forme des signOl que leur contenu, les trois é16ments distincts de cotte diatribut.ioJ1 Ile résolvent en une figure unique. Cette disposition, avec le jeu qu'elle autorise, 8eretrouve, mais inversée, da.ns l'expérience du langage. En elIet, celui-oi existe d'abord, eu. Ion être brut et primitif, sous ]a forme silDple, matérielle, d'une écriture, d'un stigmate sur ]08 ohoses, d'une !Darquo répandue par le monde et qui fait panie de 80S plus lndIaçables figures. En un sens, cette couche du langage est unique et ablOlue. Mais elle fait nattre aussitôt deux autres formes de discours qui se trouvent l'encadrer: au-dessus d'elle, le commentaire, qui reprend les signes donnés dans un nou­veau propos, et au-dessous, le texte dont le commentaire sup­pOse la primauté cl1cMe au-dessous des marques visibles à tous. De là, trois niveaux. de langage, à partir de l'être unique de l'écriture. C'est ce jeu oomplexe qui va disparaître avec ]a 6n de la Renaissance. Et ceai de deux· façons : parce que les figures qui oscillaient indé6niment entre un et trois termes vont être fixées dans une forme binaire qui les rendra stables; et parce que 10 langage, au lieu d'exister comme l'écriture IIUlté-
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    58 Lu motset ka c/wS48 rioUe des cllOS8S, ne t.rouvera plus son espace que daDsle r~gime général deB lignes repr6selltatifs. C~Ùe nouvelle dÎtil'usit.ion entraine l'apparit.ion d'un nou­veau prublème, jusque·là inconnu: en effet on s'était demandé comwent reconllu1Lrll qu'un signe désignait bien ce qu'ilsigxü­jjuit. j li. partir du xvue liièele on se demandera comment un signo peut être lié li. ce qu'il signifie. Question à laquelle l'âge clas~iqul) ropondra plU" ramdy:ie de la reprélScntation; et à laquelle la pensée moderne répondra PlU l'~lIalyse du lIeUIi ct de la signification. Milis du fait même, le langage ne liera. rien de plus 'l.u'un cas particulier de la représent.ution (pour ItHI clas­siques) ou de la l:iignificat.ion (pour nous). La profonde appar­tenance du langage et du monde se trouve défaite. Le primat. de l'écriture est suspendu. Digparatt.IlIOl·s cet.te couche uniforme où s'entrcct'Oi~8ieJt indelinirncnt. le PU eL le lu, le villible et l'énonçable. Les choses et les mots vont IHl s6parer. L'oeil .era destiné à voir, et li voir seulement; l'oreille li. seulement entendre. Le discours aura bien pour tAobe de dire ce qui est, mais il ne sera l'ien de plus que ce qu'il dit. Immense réorganisat10n de la culture dont l'âge classilJUe a ét.é la première étape, la plus importunte peut-être, pUIsque Cl'est eUe qui est responsable de la nouvelle disposition dans laquelle DOUS sommes encore pris - puisque c'est elle qui nous sépare d'une cult.ure où la signification des signes n'exia­tait Fas, car elle était résorbée dans la souyeraÏneté du Sem­hlable; mais où leur être énigmatique, monotone, obstiné, primitif, sciutiJlllit dans une dispersion à l'inûni. Cet ôtre, il"Il'y a plus rien dans notre savoir, ni dans notre rl:flexion pour DOUS en rappeler maintenant le lIouverur. PlU! rien, sauf peut-être la littérature - et encore d'une manière plus allusive et diagonale que directe. On peut dire en un sens que )a "littérature l, 1.Il1iu qu'elle s'est constituée et s'est désignée comme telle au seuil de l'âge m(lderne, mllJlÜest.e la réapparition, là où on De l'attendait ].las, de l'être yif du langage. Au XVI~ et au xvme siècle, 1 existence propre du langage, sa vieille solidité de cholle inscrite dans le monde étaient dissoutes dans le fonctionnement de ]8 représen­tation; tout langage vala.it comme discoUl'S. L'art du lan­gage était une manière de 1 faire signe lt, - à la (oia de lignifier quelque chose et de disposer, autour de cette chose, dl:s lignes : un art donc de nommer et puis, par un redou­bltllnenl li. la fois démonstratif et décoratif, de capter ce nom, de l'enfermer et de le celer, de le désigner à son tour par d'autres noms qui en étaient la présence difIérée, le sigue second, la figure, l'apparat rhétorique. Or, tout au long ÙU XIX. liiècle
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    La pr03e dumondft 59 , lUtiqu'lt nous encore - de Holderlin il Mallarmé, A Antorun Arwud -, la littérature D'a exisu, dans son autonomie, elle ne s'est détachée de tout autre langage par une coupure pro­fonde qu'en formant une sorte de 1 contre-discows " et en rcmonl~nt ainsi de la fonct.ion représentative ou signi6ante du lanbragll à cet être brut oublié depuis le XVIe siècle. Ou croit avoir atteint l'essence même de la littérature en Ile l'interrogeant plus au niveau do cc qu'elle dit, ruais dans sa fOrIDe signifillnte : ce faisant, on en reste au statut cillssique du langage. A l'âge modeme, ]a littérature, c'est ce lJ.UÏ com~ense (et non ce qui confirme) le fonctionnement slgliificatIf du langage. A trnvers elle, l'être du langage brille à nouveau aux limites de la culture occidentale - et en tion coeur - car il est, depuis]e XYle sièc1e, ce qui lui elt le plua étranger; mais depUlI ce même XVI- 8iècle, il est au centre de ce qu'elle a recouvert. C'est pourquoi de plus en plus la littérature apparatt comme ce qui doit être peusé; maia iussi bien, et pour la même raison, comme ce qui ne pourra en aucun cas être pensh à partir d'une théorie de la Bignificatiou. Qu'on l'analyse du côté du signifié (de ce qu'elle veut. dire, de Be8 • idées :J, de ce qu'elle promet ou de ce li. quoi elle engage) ou du côté du signifiant (k l'aide de schémas empruntés à la linguistique ou à la psychanalyse), peu importa: ce n'est là qu'épisode. Dam un cu comme dauB l'tlutre, on la cherche liors du lieu où, pour notre culture, elle n'a cesBê, depuis un siècle et dllIlli, de Dattre et de B'imprimer. De tels modes de déchiffrement relèvent d'une situation classique du langage - celle qui a régné au XVlle sillcle lorsque ]e régime des signea devint Linaire et lorsque la signification fut réOéchie dans 1. forme de la représentation; alors la littérature était bien faite d'un sigrùfiant et d'un signifié et méritait d'être analysée comme telle. A partir du XIX' siècle, la littérature remet au jour le langage en son être: mais non pli! tel qu'il apparaissait encore li la nn de ]a Renaissance. Car maintenant il D'y a plua cette parole première, absolument initiale par quoi se trouvait fondé et limit~ le mouvement infini du dillcours; désormai. le langage va croltre saDS départ, uns terme et. Bau. promesse. ~'e~t le plll'cours de cet espace vain et fondamental qui trace e JOur en jour le texte de la liUérature.
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    CIIAI'ITRB III Représenler 1. DON QUICHOTTB Aveo leurs tours et leurs détoul'S, les aventures de Don Qui­chotte tracent la limite : en elles Jin.ill8ent les jeux ande ... de la :ressemblance et des signes; là se nouent déjà de llouvea,WI: raPJHlrtB. Don Quichotte n'est pu l'homme de l'extravagance, mais plutÔt 10 pèlerin méticuleux qui fait étape devant toules les marques de la similitude. li est le héros du Même. Pas plu quo de son étroito provmce, il ne parvient à. s'é1oigoer do la p'loÎno familière qui s'étalo autour del'Anulogue. Indélùûment 11 la parcourt, Bans franchir jamuis les frontières nettes de la difTèrence, ni rejoindre le coeur de l'identité. Or, il est lui-même à. ln ressemblance des signes. Long graphisme maigre comme une lettre, i1vicnt d'échapper tout droit duhAilIementdeslivres.l'out 80n être n'est quolangage, texte, feuillets imprimés, histoÏl'e déjà. transcrite. n est fait de mots entrecroisés; ç'est de l'écrit.ure errant. daDsle mondo parmi ]n ressemblaRce des chosos. Pus t.out à. fait cependant: car en lia réalité de pauvre hidalgo, il ne peut devenir le chev.wer ({U'en écoutant de lom l'épopée s6culaire qui formule la Loi. Le livre est moins son existence que Bon devoir. Sans cesse il doit le consulter ~fin de sQvoir que faire ct que dire, et quels signes donner à lui-même et aux autres ].l0ur :montrer qu'il est bien de même nature que le texte dont il est illsu. Lus romans de chevalerie ont écrit une fois pour toutes la prescription de lion aventure. Et chaque épisode, chaque d';ci­siou, ohaque exploit. lieront sigues que Don Quichotte est en effet semblahle à tous ces ognes qu'il a décalqués. Mais s'il veut leur être semblable, c'est qu'il doit les prou­ver, c'est que déjà les signes (lisibles) no sont plus à. la rossem­b11lDC8 des êtres (visibles). Tous ccs textes écri18. tous ces romanI extravagants sont justement sans pareila : nI&l dans le mODdene
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    Repri84RÜr 61 leura jamais ressembl6; leur langage infini reste en suspens, sans 'aucune similitude vienne jamais le remplir; ils peuvent brtl­Wr tout et tout entiers,]a figure du monde n'en sera pas changée. En ressemblant aux textes dont il est le témoin, le repré~entant, le réel analogue, Don Quichotte doit fournir la démOllstration et apporter la marquc indubitable qu'ils disent vrai, qu'ils sont bien le langage du monde. n lui incombe de remplir la promesse dea livres. A lui de refa.ire l'épopée, mais en sens inverse: celle· ci racontait (prétendait raconter) des exploits réels. promis à la mémoire; Don Quichotte, lui, doit combler de réalité les signes sans contenu du récit. Son aventure sera un déi:hilIre· ment du monde: un parcours minutieux pour rolover sur toute la surface de la terre les figures qui montl'ent que les livrel disent vrai. L'exploit doit être preuve: il confliste non pas à triompher rêellement - c'est pourquoi la victoire n'importe pal> au fond -, mnis à. transCormer la réalité en signe. Ensigne que les signes du langage sout bien conformes aux choses elles­mêmes. Don Quichotte lit le monde pour démontrer les livres. Et il ne se donne d'autres preuves que le miroitement des rCII­semblances. Tout son chemin est une quête aux similitudes: les moindres analogies sont sollicitées comme des signes assoupis qu'on doit réveiller pour qu'ils se mettont de nouveau à parler. Les trou­peaux, les servantes, les auberges redevienn~nt le langage des livres dans la mesure imperceptible où ils ressemblent aux châ.teaux, aux dames ct aux armées. Ressemblauce toujours déçue qui transforme )a preuve c1lerchée en dérillion et laisse. indMiniment crellse la parole des livres. Mais la non-similitude elle-même a son modèle qu'elle imite servilement: clle le trouve dans la métamorphose des enchanteurs. Si bien que tous les indices de la non-ressemblance. tous les signes qui montrent que les text.es écrits ne disent pas wai, 1'e!!semblent à ce jeu de l'cn~orcellemeut qui introduit par ruse ]a différence dflns l'in­dubl~~ le de la similitude. Et puisque cette magie a été prévue et decnte dans les livres, la dilIérence illusoire qu'clle introduit ne sera ja,mais qu'une similitude enchantée. Donc un !ligne BUP­plêmental1' 6 que les signes ressemblent bien à la vérité. I.P,?R Quiclwllll de~sine le négatif du monde de ]a Renai3sance; ecrlt~ a. cessé d'être la pl'Ose du monde; les res~emblances et I,:~ signes ont déuou6 leur vieille entente; les similitudes d~ço!vel1t, tournent à la vision et audélirej les choses demeurent o stmément dans leur idcntitlt ironique : elles ne sont plus que ce qu'clles sonti lcs mots errent li. l'aventure, sans contenu, IIhns res~emLlanee pour les remplir; ils ne marquent plus les c osesj ils dorment entl'e les feuillets des livres au nülieu de
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    62 la poussière.La magie, qui permettait le déchiffrement du monde en découvrant Jes ressemblances secrètes suus les signes. ne sort plus qu' .. expliquer SUl' le mode déliraut fOlUquoi 186 analogies sont toujours d6çues. L'érudition qui b~uiL oonune un texte unique 1. nature et les livres est renvoy68 à 61lS chi~ mères: déposés aur les pages jaunies des volumes, les signes du langage n'ont plua pour valeur que la mince fictiou de CfJ qu'ils représentent. L'écriture et les choses ne se ressemblent plus. Eutre elles, Don Quichotte erre à. l'aventure. Le langage pourtant n'est pu devenu tout à. fait impuis8ant. n détient désormais de nouveaux pouvoirs, et qui lui sont propres. Dans la seconde partie du roman, Don Quichotte rencontl'e des pe1'llonnages qui ont lu I~ premiàre partie du t8xte et qui le reconnaÎIIllent, lui, hOlDDle rêel, pour le héros du livre.. Le texte de Cervantes Ile replie Bur lui-même, s'enfonce dans sa propre épaÏStieur, et devient pour soi objet de IOn propre récit. La promière partie dei aventures joue dans 1. seconde le raIe qu'assumaient au début les l'Omans de chevale­rie. Don Quichotte doit être 6dèle à ce livre qu'il e.t riellement devenu; il a àleproté~erdeserreul"S,d41S contrefaçoIlIi,denuites apocryphes; il doit ajouter les détails omis; U doit maiutenir sa vérité. Mais ce livre, Don Quichotte lui-même ne l'a pai lu, et n'a pas à le lire, puisqu'il l'est en ohair ot en os. Lui qui, à force de lire de. livres, était devenu un signe 8frlUlt daua un monde qui ne le reconnaissait pas, le voüà devonu, malgré lui et 88DS le a.voir, un livre qui détient sa vérit6, relève exacte­ment tout ce qu'U a fait et dit et vu et pensé, et qui pormet enfin qU'OIl le recunnaisse tant il ressemble à tous cos signes dont il. laissé derrière lui le sillage inelfaçable. Entre la pre­mière et la seconde parLie du roDUUl, dans l'interstice de cas deux volumes, et par leur suul pouvoir. Don Quichotte Il pria aa réalit6. Réalité qu'Une doit qu'au lallbrage, et qui reste entiê­rement int6rieuro aux mots. La vérit.é de DOIl Quichotte, eU. n'est pas dans le rapport des mola IU1 muude, mais daus cette mince et constante relation que lell marques verbales tissent d'ellea-mêmes à elIes-mêmtlS. La. fiction déçue des épopées est devenue le pouvoir representlltif du langage. Les moLli viennent de se refermer sur leur nature de signes. Don Quichotte est la premiôre des wuvres modernes puisqu'oD y voit la raison cruelJe des identités et des difIérences lie jouer à l'infini de. signes et des similitudes; puisque 18 langage '1 rompt 8. vieille parenté avec les choses, pour entrer dana cette souve~ineté 8oliuw-e d'où il ne rénpparaJtra, en son êt.re abrupt, que devenu littérature; pui~que la ressemblance 8ntre là dans un âge llui etlt pour elle celui de la déraison et de l'imagination-
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    63 La similitudeet les signos Wle foia dénouêa, dewt expériences peuvent se constituer et deux penoDJlagea apparaître faceâ face. Le fou entendu non pas oomme malade, mais CODWle déviance coullc.i~ée et. entretenue, comme fonct.ioD oulturelle indi8JIeo­sable est devenu, dans l'expérienCB occidentale, l'homme dea rcs"e:nblances lauvages. Ce p01'8onnage, tel qu'il eat dOllllin6 daJ~s les romans ou le théAtre do 1'6poquo baroque, et. tel qu'il s'est illititutionnnlisê J'lBU à peu jusqu'à ]a psychiotrie du xrx8 siècle, c'est celui qui s'est. alUnA dans l'lIMlogiIJ. n esL )e joueur déréglé du M~rne et de l'Autre. Il prend ]es choses Jlour ce qu'ellcs ne sont pas, et les gens les uns pour les autres; il ignore scs amis, reconnatL les étrangers; il eroit démasquor, et. il impose un masque. Il inverse toutes les valeurs et toutes les proportions, Ilarce qu'il croit Il eltacru6 iilstant déehiflrer des lignes: pOUl' lui les oripeaux font un roi. Dans la perception culturelle qu'on a eu du fou jusqu'à la fin du xvm8 siècle, il n'est le Di1!éreDt que dans la mesure où il De connait pas la DitTérence; il De voit partout que ressemblances et signes de la :ressemblanCB; toua les signes pour lui se res­semblent, et toutes 16s ressemblances valent cOlome des IÛgnes. A l'autre extrêmité de l'espace culturel, mais tout proche par S8 symétrie, 10 poète est celui qui, au-dessous des di1!6-0 rences nommêes et quotidiennement prévues, retrouve les parentés enfouies des choses, leurs similitudes dispersées. Sous les signes établis, et malgré eux, il entend un nutre discours, plus profond, qui J'Ilppelle le temps 01 les mots scintillaient dan~ la ressemblance universelle des choses : la Souveraineté du M~me, si difficiie à énoncer, effaee dans son langage la dis­tinction des signes. De là sans doute, dallS la culture occidentale modeme, le face à face de ]a poésie et de la folie. Mais ce n'est plus le vieux thème platonicien du délire inspiré. C'est ]a maTqUe d'une nouvelle expérience du langage et des choses. Dans les marges d'un savoir qui sépare les êtres, les signes et les simili­t? dcs. et comme pour limiter IOn pouvoir le fou assure la fonc­tion de l'homoelmalIIislIIII : il rasaemble tous les signell, et les comble d'uut! ressemblance qui ne cesse de proliférer. Le poète assure la fonction mverse; il tient le rôle alligori''"i sous le, langage ~es sigues et BOU8 le jeu de leurs distinctions bien decoup~es,. il lie ruet. à l'écoute de l'c autre langage I, celui, sans ~OI.8. ru ditlcours, de la ressemblance. Le poète fuit venir ]a ti~IllIhtude jWiqu'aux Bignes qui la disent, le fou charge tous les tilgnes d'une re8semblance qui finit por]88 etTacur. Ainsi ont-ils tous lea deux, au bord extérieur de notre culture et au plus proche de 8es partagea esaentie1a. cette situation 1 à la limite _
  • 59.
    - posture mllrginaleet silhouette profondément archatque - oà leurs paroles trouvent sans cesse leur pouvoir d'étrangeté et. ]n ressource de leur ccmtcliLation. Entre eult s'ost. ouvert. l'espace d'un savoir où, par une rupture cssent.ielle dans le monde occidental, il ne sora plus quest.ion des sjmilitl1de~, maia des identités et des différences. n. L'OHOR. Le sotut des discontinuités n'est pas facile li. établir pour l'histoire en général. Moins encore sans doute pour l'histoire de la pensée. Veut-()n tracer un partage? Toute ]imite n'est. peut-titre qu'une coupure arbitraire dans un ensemble indéfini­ment mobile. Veut-on découper une période? Mais a-t-on le droit d'établir, en deux points du temps, des ruptures symétrique9, pour faire apparattre entre elles un système continu et unitaire? D'où viendrait alors qu'il se constitue, d'où viendrait ensuite qu'il s'efface et bascule? A quel régime pourraient bien obéir à la foill son existence et sa disparition? S'il a on lui son principe de cohérence, d'où peut venir l'élément étranger qui peut le récuser? Comment. une pensée peut-cllo s'esquiver devant autre chose qu'elle-m8me? Que veut dira d'une 'açon générale: ne plus pouvoir peuller une peuslle? Et inaugurer une pensée nou­velle? Le discontinu -le fait qu'ou quelqur.s années parfois une culture cesse de penser comme elle l'avait fait jusque-là, et lie met à peuser nutre chose et autrement - ouvre sana doule sur une érosion du dehors, sur cet espace qui est, pour la pensée, de l'autre cOt6, mais où pourtant elle n'. cessé de penl!er dès l'on­gmo. A ]a limite, le problème qui se pose c'est celui des rapports de la pensée h ]a culture: comment se fait-il que ]a pen~6e ait un lieu dans l'espace du monde, qu'elle Y ait comme une ori­. gine, et qu'clle.ne cesse, ici et là, de commencer toujours à nouveau? Mais peut-être n'est-il pa! temps encore de poser le prob]j>.mej il n-ut probablement attendre que l'arch601ogie de la pensée se soit davantage assurée, qu'elle ait mieu pris la me-'I1Jre de ce qu'elle peut décrire directement et positivement, qu'eUe ait défini les systèmes singuliers et les enchatnement8 internes auxquels elle s'adresse, pour entreprendre de faire le tour de la pensée et de l'interroger dans la direction par où elle .'échappe à eUe-même. Qu'il BuffiBC donc pour l'inetant d'ao-
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    Rtp'ü"" cueillir cesdillconlinuités dans }tordre empirique, ilia fois ~vi­dent et obscur, où elles se donnent. ÂU début. du. xvne siècle, en celte période qu'à tort ou li. rai- 80n 00 ft appelée baroque, la pensée cesse de se mouvoir dans l'élément de la re&liembl~Dce. ~a simi~itude n'est plus la foJ'tne du savoir, mais I,lutôt 1 occasion de 1 erreur, le danger auquel on s'expose quand on n'examine p8S le lieu mnl éclairé des conlu!lion~. 1 C'est une habitude fréquente Il, dit. Descartes aux premil:res lignes des Regulae, dOrsqU'OD découvre quelques l'eS­lem},] ance.'I entre deux choses que ii'att.ribuer à J'une comme li. l'autre, même SUI' lBS points où elles Bont. en réalité différentes, ce que l'on a reconnu vrai de l'une seulement des deux 1 •• L'ige du semblable est on train do se refermer sur loi-même. Derrière lui il ne laisse que des jeux. Des jeux dont les pouvoira d'en­eb~ ntement croissent de cette parenté nouvelle de la resllem­blaoce et de l'illusion; partout. sc dessinent les chimères de la similitude, mais on sait que ce sont des chlmères; c'est le temps privilP.gié du trompe-l'reil, de l'illusion comique, du tlléâtre qui le dédouble et représente un théâtre, du qtÜproquo, dès songes et visions; c'est le temps des sens trompeun; c'est le temps où les métaphore!!, les comparaisons et les allégories définis­sent l'espace poétique du langage. Et par le fait mGme le lIavoir du XVIII siècle laisse le souvenir déforme d'ODe connais­! lance mêlée et sans règle où toutes les choses du monde pou­wient se rapprocher au hasard des expériences, des tradi­tions ou dei crédulités. Désormais leI belles figU1'68 rigOUl'euses et contraignantes de ]a similitude vont Gtre oubliées. Et on tiendra les signes qui les marquaient pour rêveries et charmes d'un lavoir qui n'ét.ait pu encore devenu raisonnable. On trouve déjà, chez Bacon, une critique do la ressemblance. Critique empirique, qui De concerDe pas les relations d'ordre et d'égolité entre les chosea, mais les types d'esprit et les fonnee d'illusion auxquelles ils peuvent atre BOjets. n s'agit d'une doctrine du quiproquo. Les similitudes, Bacon nc les dissipe pas par l'évidence et ses règles. n les montre qui scintilleot devant les yeux, s'évonouissent quand on approche, mais ~e recomposent il l'instant, un peu plus loin. Ce sont des idolBB. Lès ÎfÙJles de III ClJ96I'M et celles du théâtre nous foot croire que}e5 choses ressemblent l ce que nous avons appria et aux théoDes que nous nous sommes formées; d'autres idoles nous font croire que les choses se ressemblent. entre elles. c~'esprit humain est naturellement porté à suppoller dans les e oses plus d'ordre et de renemblauce qu'il n'yen trouvei et 1. Descartes, oetlllm philoropllilluu (Purls, 1M3], " l, p.77.
  • 61.
    66 tandis queJa nature est pleine d'exceptions et de ditJ6rencel, l'esprit voit partout harmonie, accoM et similitude. De là cette fiction que tOUB les corps céJestes décrivent en se mouvant des cercles parfaits» : telles sont les idoùlI de la. tribu, fictions spontanées de l'esprit. Auxquelles s'ajoutent - effets et pur­fois causes - Jes confusions du langage: un seul et même nom l'applique indifféremment à des choses qui ne Bont pas de même nature. Ce sont les idow du forum 1. Seule la prudenoe de l'esprit. peut lea diSsiper, s'il renonce à sa hâte et à sa légè­ret. é naturelle pour devenir 1 pénétrant Il et percevoir entin Je' dilTérenees propres à la nature. La critique cartésienne de la ressemblance est d'un autre type. Ce n'esL plv" la pensée du XVIe siècle !l'inquiétant. devant elle-même et commençant à se déprendre de SilS ligures les plus familièros; c'est la pensée classique excluant Ja ressemblance enmme expérience fondamentale et lorme première du BIlVOir, dénonçnnt en olle un mixte confus qu'il faut analyser en ter­mes d'identité et de dillérencos, de mesure et d'ordre. Si Descartes r6cose la ressemblance, ce Q' est pas en excluant de ]a pensée rationnelle racle de comparaison, ni en cherchant à ]e limiter, mais ou contraire 8ul'universalisant et en lui donnant p-.r là sa forme la plus pure. C'8St eo. effet par la compamison que nous retrouvons. la n".,. .. re, l'étendue, le mouvement et autres semblables» - c'est-à-dire les Datures simples - dans toua les sujets où elles peuvent être présentes. Et d'autre part, dans une déduction do type • tout A eit. B, tout B est C, donc tout A est C », il est clair que l'esprit Il compare entre eux le terme cherché et le terme donné, savoir A et C, BOUS ce rapport que l'un et. l'autre sont B •• Pal' conséquent, si on met à parti l'intuition d'une chose isolée, on peut dire que toute CODDaiS- 8ance • s'obtient pal' la comparaison de deux ou plUllieurs choses entre elles 1 D. Or, il n'y a de connaissance vraIe que p-.r l'in­tuition, c'ost-l-dire par un acte singulier de l'intelligence pure et attentive, et par la déduction, qui lie entre elles los 6vidences. Comment ]a comparaison, qui est requise pour pl'Osque toutes les connaissanoes et qui par définition n'est pas une évidence isolée ni unB déduction, peut-elle autoriser une pensée wnie? «Presque tout le travail de la l'Bison humaine consiste Sllns doute à rendre cette opération possible S 1. n existe deux formes de comparaison, et il n'en existe que J. F. Bacon, NODUtIJ 'l'fallum (Uad., Parts, 184'1), UY'. l, p. III e 119, 145 el 55. 2. D~arles, Re,ulae, XlV, p. 168. 3. IlIid., XIV, p. 168..
  • 62.
    RflprûenIM deux: lacomparaiHon de la mesure et celle de l'omre. On peut mel!urer des grAndeurs 011 de. multiplicités, c'est-à-dire des grundeurs continues ou discontinues; mais, dans un cas comme daml l'aul.re, l'opération de mesure suppose qll'à la dit!érence du compte qui va dc.c; éléments vers la totalité. OD considère d'abord le tout, ct qu'on le divise en parLies. Cette division abou~it il des unités, dont los unes sont de convention ou • d'emprunt» (pour Ie.q grandeurs cont.iuull5). et dont les autres (pour los multiplicités ou grandellrs .lisûontinue.) sont. la unités de l'urithmétique_ Comparer deux gmndeura ou deux l1lulti­plicités exige de toute façon qu'on applique lI.l'anlllylie de l'une et du l'autre une unité commune. AÏnsiJa comparaisonetIectuéo par la mesure se ramène, dans tous les CIlS, aux relat.iou arithmét.iques de l'égalité et de l'inégalit.é. La mesure permet d'analyser le semblable selon la forme calcu1able del'identit6 et de lu différence 1. Quant à l'ordre, il s'établit sans référence lune unité exté­rieure: 1 Je reconllais en ellet quel est l'ordre entJ:8 A ct.B sau rien considérer d'autre que ces deux termes extrêmes li on ne peut connaitre l'ordre des choses «en leur nature isolélDcnt_, mais cn découvrant culle qui eat la plus simple, puis celle qui an est Ja plus proche pour qu'on .puilille accéder néces.'Iairemont il partir de là jusqu'aux cllOses les plui complexes. Alurs que la comparai!lOn par mesure exigeait d'abord une division, puil l'application d'une unité commuoe, ici comparer et ordonner ne font qu'une seule et même chose: la comparaison par l'ordre est un acte simple qui permet. de patiser d'un terme à l"autre puis li. un troisième, etc .• par un mouvement « absolument inin­terrompu a ». Ainsi ."êtablisscmt des séries, où le terme premier eal une nature dont on peut avoir l"intuition indépendamment de toule autre; et. où les autres termes sont éabli. selon des différences croilli8ntes. Tels sont. donc les deux types de comparaison: l'une analyse en uni Lés pour établir des rapports d'égalité et d'inégalité; l'autre 6tablit des éléments, les plus simples qu'on puisse trou· "er, et dispose les ditIérences selon les degréa le plus faibles possible. Or, on peut ramcner la mesure des grandeurs et. des mult.iplicités, li. l'établill8cwent. d'uo ordre; les valeU1'S de l'arithmétique sont toujours ordoonables selon une série : la multiplicité des unités peut donc «se disposer selon un ordre tul que la difficulté, qui appartenait li. la coJUtaÏssallce de la mesure. finisae par dépendre de la aeule considération de 1. Ibid., fi. l~. 2. Ibid, VJ, p. 102; VII, p. 109.
  • 63.
    68 l'ordre 1•• Et c'est en coci j11stement que conl'istent la môthodo et 80n • progrès. : rnmener toute mesure (I.oule détermination par l'égalité et )'égalit6) à une mise en lIérie qui, partant du simple, lait Rpp81'8itre les ditTérllnces comme .les degré.' de complexité. Le sembJ8blll, nprès s'âtre analysé selon l'unité et les. rapports d'égnlité 011 d'iruignJit6, s'unalyse selon l'idenlitë évidente et les difrérences : diflërll1&CBIt qui peuvent êt.re pen­aées dans l'ordre des inférenoe. •. Copendnnt. cet ordre ou com­paraison gênéralisée ne s'étnblit qun d'après l'enchaînement dans la connaissance; le caractère ab!oll1 qu'on reconnatt Il co qui est simple ne concerne pas l'être des chosos mais bien la Inonière dont elles peu 'ent "tre COnnllr.lI. Si hien qu'li no chose peut être absolue I;OUII lUt certain rappnrt et relutive 80UB d'autl'es 8; l'ordre peut être li. la [ois néccssairo ct naturel (pnr ropport à la pens6c) et arbitraire (par rapport aux choseR), pl1i!lqu'uoe mArne chose solou la mallière dont on la considère peut être placée en un point ou en un autre cIe l'ordre. Tout ceci a été de grtlndo cOllsélluonc8 pour la pens~ occidentllle. Le semblable qui avait ét.é longtemps catégnne fondament.ale du SAvoir - à ]A foill formo et contenu de la connaissance - se trouve dissocié ~an8 une Ilnalyse faite en termes d'identité et dn ditTérence; do plus. ut soit indirecte­ment par l"intermédiaire de la ntfl!llll"C, soit directement et comme de plain-pied, la comparaison est ropporLée à l'ordre; enfin la comparaieon n'a plus pour rôle de révéler l'ordonnance du monde; elle se fait selon l'orrlre de la pens6e et en allant naturellement dl! simple au complexe .. Pal' là, touto l'épisttfmi de la culture occidentale se trouve modinr.e dans ses dispo­sitions fondamentales. Et en particulier le domaine empi­rique où l'homme du XV18 &iècle voyait encore sc nouer les parenté!!, les resscmblances et les affinités et où s'entrecroi­aient sans fin·]a Jang-dge et les choses - tout. ce champ immenso va prendre unD conOgurdlion nouvelle. On peut bien, si on ."eut, la d~signerdu nomdeuot.ionalismu; on peut bien, si 00 n'a rien dons ln tête quo des cOllcept& tout faits, dire que ]exTnesièclernarque la dispnrit.iondes vieilles croyance.'1 supers­titieuses ou magique!I. et l'entrée, enfin, de la nalure dans l'ordre scientifique. Mais ce (['Itil faut soisir ct eSl'Rye." de rest.ituer, ce lonl. les modifications qui ont altéré 10 savoir lui-même, à ce niveauarchaique qui rendpossiblesJes connaissances et le modo d'être de ce qui est à savoir. Ces modifications peuvent se résumer de la manière suivante. 1. negll/tu, XIV, 11. 182. Il. Ibid., V J. p. lOa.
  • 64.
    ReprbenUr 69 D'abord.substitution del'analysoll. lahiërarchieanalogique: au xVIe siècle, on admettait d'abord le syst.ème globul des cor­respondances (1a terre et le ciel, ICB planètes 010 le visage, la microcosme et le macrocosme), et ohaque similitude singulière venAit S6 loger à l'intérieur de ce rapport d'ensemblo; déKormnis toute Tc~semblance sera soumise li. l'épreuve de la com{lRraizon, c'est-à-dire qu'elle ne sern admi.'1e qu'une fois trouvée, par la mesure, l'unité commune, ou plus radicalement par l'ordre, l'identitê et. la série des différences De plus le jeu des simi­] itudes êtait autrefois infini; il était toujours p()~sibI8 d'en dêcouvrir de nouvelles, et la setùe limitation vennit d8 l'or­donnance des choses, de la finitude d'un monde l'Ilflsp.rrê cntre le macroOO!mlC et le microscome. Maintenant une éou­m6ration complète va devenir possible: soit IOUS le forrne d'un recensement exhausLÏf de tous les éléments qui cons­titue l'ensemhle envillOg6; soit sous la forme d'une mi~e en cntégories qui articule dons sa totalit6 10 domaine étudip.; soit enfin sous la forme d'une analyse ù'un certain nombre de points, en nombre suffisont, pris tout au long de la série. La comparaison peut donc attemdre une certitude parfaite : jamais achevé, et toujours ouvert sur de nouvelles éV6J1tlla­lit6l!, 10 vieux système des similitudes pouvait bien. par voie de confirmations succeSllivu, devenir de plus 81 plus probable; il n'était jamais certain. L'énumération complète et la pos~ibjlité d'assigner en chaque point le passage nêcetlsairo au suivant permet une connaissance absolument certaine des identités et des différences: «l'énumération l'cule peut nous permettre, quelle que lIoit la question à laquelle noui nous appliquons, de porter toujours sur eUe un jugement Yl'Qi et certain 1. •• L'activité de l'esprit - et c'est le quatrième poiot - ne consistera dono plus à rapprocher les choses entre elles, li. partir on quOte do tout ce qui peut déwler eu eUes comme une parenté, une attiranco, ou une nature secrètement partagée, mais au contraire li. discerne,.: c'est-à-dire à établir les identités. puis la nécessité du passage li. tous les degrés qui s'en éloi­gnent. En ce sens, le discernemnnt impose à la. comparaison 1. :recb6J'che première et fondamentale de la différence ~ se don­ne; .par l'intuition une représentation distincte des choses, et SalSll' clairement le passage nécessaire d'un élément de 1. série à. celui qui lui succède immédiatement. Enfin, dernière consé­quence, puisque connaitre, c'est discerner, l'histoire et la ecieuce vont ~e trouver sépuêes l'une de J'autre. D'un ·côté, il y aurt. l'érudition, la lecture des auteurs, le jeu de leurs opinions; 1. Regulae, VII, p. 110.
  • 65.
    70 celui-cl peutbien, parfois, avoir valeur d'indication, moins par raccord qui s'y forme que par la mésentente : c lorsqu'il .'agit d'une IJUIIIlt.ion diflicile, il est plus vraisemblable qu'il s'en soit trouvA peu et DOD beaucoup, pour découvrir la vérité li. son sujet 1. En face de cette histoire, et sans commune mesure avec elle, se dressent 1611 jugements 89surés que nous pouvonl faire par lcs intuitioDs et leur eDchalnement~ Ceux·là et eux seul. conlltituent la science, et quand bien même JlOUS aurions Ilu tous ICA raisonnements de Platon et d'Aristote, ••• ce ne lont point des sciences que nous aorione apprises, semble-t-iI, mail de l'histoire 1 1. Dès lors, le texte cesse de faire partie des .iguell et des 'ormes de la vérité; le langage n'est plus une des figures du monde, ni la si~nature imposée aux choses depuia le fond dei temps. La vérIté trouve sa manifestation et son aigne dUlll la pereeption évidente et distincte. II appartient aux. mota de la traduire s'ils le peuvent; ils n'ont plus droit à en être la marque. Le langage se retire du milieu des êtres pour entrer dans son âge de transparonce et de neutralité. C'est là un phénomène général dans la culture du mIS siècle, - plU8 g6néral que la 'ortune singulière du cartésianisme. Il 'aut en elfet distinguer trois ohoses. Il ya eu d'un 06t6 le mécanisme qui pour une période en somme assez brllve (1a seconde moitié du :ltTJ1e sièole à peine) a propos6 nn Inodèle théorique à certains domaines du savoir comme la xnédecinc ou la physiologie. Il y Il eu aussi un effort, assez divers en ses formes, de mathémaÏsation de l'empirique; cons­tant et continu pour l'a6tronomie et nne part do la physi­que, il fut spol'fldique dans les autres domaines, - parfois tenté réellement (comme chez Condorcet), pariois proposé comme idéal universel et horizon de la recherche (comme chez Condillac ou DORutt), parfois aussi récusé dans sa possibilité même (chez ButTon, par oxemple). Mais ni cet effort ni les essais du mécanisme ne doivent être confondus avec le rappurt que tout Je Bavoir classique, en sa forme la plus générale, entret.ient avec la mathe.tÏ8, entendue comme science universelle de la mesure et de l'ordre. Sous les mots vides, obscnrémentmagiquelf, d' 1 inOuence cartésienne :. ou de 1 modèle newtonien a, les historiens des idées ont l'habitude de mêler CC8 trois oho~, et de dll6nir le rationalisme classique par la tcntation de rendre la nature mécanique et calculable. Les autrcs -les demi­habiles - s'eJJorcent de découvrir SOUI ce rationalisme le jeu de 1 foroos contraires. : celles d'une nature et d'one vie qui ne le laisllent réduire ni à l'algèbre ni ilIa physique du mouvement 1. Relu/al. ur, p. 88.
  • 66.
    Reprutmw 71 etqui maintiennent ainsi, au fond du classicisme, la ressource du non rationalisElble. Ces deux formes d'analyse sont aussi iJl~u1Iisantes rune que l'autrtl. Car le fondamental, pour l'épis­témè classique, cc n'ost ni ]e succès ou l'échec du mbcanismc, ni le droit ou l'jmpo~sibilité de mathématiser la nature, mais biell un. rapport à la malhe8i,., qui jusqu'à la fin du xvme siôc]e demeure constant et inaltéré. Ce l'apport present.e deux carnc· tères c~nieJ1tiels. Le premier c'est que le~ relations entre les êtl'es seront. bien pen~ées sou!lla forme de l'ordre et de la mesure, mais avec Cil déséq uilibre fonda mental qu'on peut t on jours rame­ner les problèmes de la mesure à. ceux de l'ordre. De sorte que le rapport. de toule connaissance il la mathesis se donne comme la pos~ibilité d'établir entre les choses, m~me non mesurables,·une aur.r.e~sion ordonnée. En ce sens l'analys8 va prendre très vite valeur de mél.hode univer!lt:llc; et le }lrojet leibniticn d'établir une mathématique des ordres qualitatifs se trouve au coeur même de la p~nsél! clntisiquc; c'est autour de lui que tout entière elle gravite. Mais d'aut.re part ce rapport à la mal1l&is comme science générale de l'ordre ne signifie pas une absorption du savoir dans leB mllthématiquell, ni le fondement eu elle. de toute connaissance possible; au contraire, cn corrélation .ne la recherche d'une rntIÙlMi." on voit apparatt.re un certain nombre de domaines empiriques qui jusqu'à pr6sent n'avaient été n.i lormés ni définis. En aucun de ces domaines, ou peu s'en faut, ilu'est possible de trouver trace d'un mécanisme ou d'une mathématisation; et pourt.ant, ils se lIont tous consti· ~u~s sur (ond d'une science possible de l'ordre. S'ils relevaient bien de l'Analyse en général, leur instrument particulier n'était paa la mulJllxu algébrique maia le ~slèm.e du aign68. Ainsi sont apparues la grammaire générale, l'histoire naturelle, l'analyse des richesses, sciences d~ l'ordre dans le domaine des mots, des êtres et des besoins; et toutes ces empiricitf:s, neuves à. l'6poque classique et coextemives à Sa durée (elles ont pour pumts de repères chrollologiques Lancelot et Bopp, Rayet Cuvier, Pctty et Ricardo, les premiers écrivant autour de 1660, les seconds autoul' des ann6es 1800-1810), n'ont pu se cooati­tuer sans le rapport que toute l'BPLstbnè de la culture o·coiden­tale 0 entretenu alors avec une science univC1'Selle de l'ordre. Ce rapport. il l'Ordre est aussi essentiel pour l'Age clall8Ïque que le fut pour la Renaissance le rapport à 1'1 ntm'pr&oewn. Et tout comme l'interprétation du XVIe siècle, superposaDt une sémiologie à une herméneutique,6tait essentiellement uno connaissance de la similitude, de m~me, la muo on ordre pat' 10 moyen des signes constitue tous les savoirs empiriques comme savoirs de l'identité et de la ditIérence. Le monde à la fois indé6ni
  • 67.
    '12 et fermê,plein et tautologique, de la ressemblllnce se trouve diasociê et comme ouvert en IIOU milieu; lUI' 1W bOI'd, on trou­vera les signes devenus wtrwnents de l'anltlyle, luarques de l'identité et de la difrércnce, principes de III uUl!e en ordre. clefs pour une taxinomie; et sur l'autre, la ressemblance eznpi­riqu. et. murmurante des ohoses, cette similit.ude sourde qui au-dessous de la pensée foumit. la matière infinio des putagea eL des distributions. D'un CÔté, III théorie g6n6ra1e dea signes, des di"iaionl et des classements; de l'autre le problème des l'Cssemhlances immédiates, du mouvement spontané de l'ima­gination, des répétitions de la nature. Entre les deux, les savoirs nouveaux qui t.rouvent leur espace en cette dist.ance ouverte. III. 1.. RBPRÉSBI'ITATIOI'I DU SlGI'IB Qu'clll-ce qu'un signe à l'âge classique? Car ce qui Il cbangê dans ]a première moitié du XVIIe siècle, et pour longtemps - peul-être jusqu'à nous -, c'est le régime entier des signes, les conditiuu5 IOUl lesquelles ils exercent leur étrange fonction; c'est ce qui, parmi tant d'autres choses qu'on sait ou qu'on voit, lt,S drellie soudain comme signes; c'est leur être même. Au seuil de l'Age classique, le signe cesse d'être une figure du monde, et il cesse d'être lié à ce qu'il marque pal' les liens soli­des et secrets dll la l'eltiemhllUlce ou de l'nffinitê. Le classicisme le définit selon trois variables 1. L'orIgine de la liaiRon : un sib'lle peut être naturel (comme le reflet dans Ull miroir désigne co qu'il reOète) ou de convent.ion (comme un mot, pour un groupe d'hoDlIneli, peul signifier nlle idée). Le type de la liaison: un signe peut apparleJùr à l'ensemble ~u'il détlibrne (comme la bonne mine qui fait partie de la santé qu elle manifeste) ou en ~tre sép"ré (comme lei> fibrures de l'Ancien 'l'estamcnt. sont les signes lointu.ins de l'lucar'laLion et du Rachat). La certitude de ]0 liaison : uu signe peut être si constaut qu'on est s4r de sa fid6lité (c'est aillllL que la respira­tion désigne la vie); mais il peut être Sioll'lclIlent. probable (comme la pâleur pour la grossesse). Aucune de ces fONnes de liaison n'implique nécessairement la similitude; le signe naturel lui-même ne J'exige pu : lea cris sont les signul:! spont.an6s, oillis Don analogues, de la peur; ou encore, comme le dit Berkeley, les senlalions visuellllll Bont des signes du touchor inst.aurés par 1. Lp,rqu, '" Port-Roya', l'· parUe, cbup. IV.
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    ReprktnMr 73 Dieu,el pourtanl elles ne lui ressemblent. eD aucune manière1• Ces trois variables ae sub,tit.uent l la ressemblance pour définir l'efficace du sigue daDl Je domame des cODllaissancos empiriques. i. Le sicne, puisqu'il est toujours ou certain ou prob.ble, doit trouver Ion espace ~ l'intérieur de la connaissance. Au :UI' siècle, on considêl'llit bien que le. signes avaient été déposés sur les choses pour que les hommes puissent mettre au jour leurs secrets, leur nature ou leurs vertus; mais cette découverte n'était rien de plus que la fin dernièro dcs signes, la justificat.ion de leur pré~enee; c'était leur utilisation possible, et. la moilleure SIUl5 dou.tei mais ils n'avaient. pas besoin d'6tre connus pour exister: même s'ils restaient silencieux et si jamais pe1'6onDe ne les apercevait, ils ne perdaient rien de leur consistanoe. Ce n'était. pas 1 .. connaissance, mais le langage m~me des OhOS68 qui les instaurait dans leur fonction signifiante. A partir du :xvue siècle, tout le domaine du signe se distribue entre 1. certain et )e probable: ç'clit-l-dire qu'il ne saurait plus y avoir de signe inconnu, powl de marque muette. Non pas que les hommes soiont en posse1lsion de tous le!! signes possibles. Mais c'cst. qu'il n'y a dll signe qu'à. partir du moment. où se trouve COMI.Ul la posaibilit.ê d'un rapport do substitution entre deux éléments déjil connus. Lu signe n'aUend pas silencieusement la venue de celui qui peut le reconDait.re : il ne lie constit.ue jamais que par un acte de connaissance. C'est là que le savoir rompt sa vieillo parent6 avec la dÎvi­nntio. Celle-ci supposait toujours des signes qui lui étaient antérieurs: de sorte que la connaissance se logeait. tout. ent.ière daM la bélUlcc d'un signe découvert ou affirmé ou secrètement transmis. Elle avait pour tlche de relever un langage prb­lable réparti par Dieu dans le monde; c'est en cc sens que pal' UDe implicatioD. essentielle elle devinait, et elle devinait du divin. DéaonDIIÎs c'est ll'ÏDtérieur de la connaissancc que le signe commencera il signi&er : c'est Il elle qu'il empruntera. certitude ou III. probabilité. Et si Dieu utilise encore des aignes pour noUl parler il travers )11. nature, il se sert de notre connai .. sance et des liens qui l'établissent. entre les impressions pour inaaurer dans notre esprit UD rapport designification. Tel est le rôle du sentiment chez Malebranche Oll da la lensation chez !Jerkeley: duale jugement naturel, dans le sentiment, dausles l~preastons vi8UeUes, dans la perception de la troisième dimcn­BIon, ce sont des connaissances hâtives, confuses, maia pl'6ll- 1. Berkeley. B.roi d'une lIDuudl. ffllOl'ie de la l1i,ion (OEulII'U elloufu# 'rlld. Leroy, Paril, 1944, L J, p. 163·UH).
  • 69.
    7' Lu motset la Ch08t.8 sant.es, inévitables ot contraignantes, qui servent de signes li. des connaissances discursives, que nous aulres, parce quo 110US DO sommes pa!! de purs esprits, nous n'avous plus le loisir ou la permi!l.'1ion d'atteindre nOlis-mômes et par Ja seule force de Dotre csprit. Chez Malebranche et Berkeley, le signe ménagé par Dieu, c'cst la superposition rusée et prévenante de deux eonnaissanr.c!l. Il n'y a pills là de dipinatio, - d'iJlscrtion de la connaissance dans l"cRpne6 6nigmatiquc, ouvert et ancré des signes; mais une connaissance brève et. ramassée sur elle-même ]0 repli d'UDO longue suito de jugements dans la figure rapide du signe. On voit aussi comment, par un mouvement en retour, la connaissance, qui a emermé lcs BignOB dans 80n espace propre, va pouvoir mnintenant .,'ouvrir à J. prob[1bilité : d'wle impression il une autre le rar,port.llera de signe à siguifié, c'est.-à-dire un rapport qui, il la manière de oolui do suocess~on, B6 dél)loiera de la plus 'Ilible Pl'Obabilit6 à la plllS grande certitude. « La connexion des idées implique Don pas la relation de cause à effet, muis seulement celle d'lm indice ct d'un signe li. la chose signifiée. Le leu que l'on voit n'est pas la CRll!l6 de la douleur dont je souffre si j'en approche: il en est l'indice qui me prévient de cette douleur 1,. A la eonnaissan«le qui devinait, au hal/Ard, des signes absolus 'et plus anciens qu'elle, s'est substitué un réseau du signes bâti pas à pas par la connaissance du probable. Uwne CIIt devenu pos­sible. 2. Seconde variable du Rigne: la forme de sa liaisoD avec ce qu'il signifie. Par le jeu de ]n conVCDWlce, de l'émulation, et de l~ sympatbie surtout, la similitude au XVIO siècle triomphait de l'espace et du temps : CBI' il appartenait au signe de rame­ner et de réUllir. Avec le clRs!IÏelsrnc, au contraire, le signe se caractérise par son essentielle dispersion. Le monde circulaire des signes convergents est remplac6 pal' un déploiement à. l'infini. En oet espace, Je signe peut avoir doux positions : ou bien il fait partie, à titre d'élément, de ce qu'il sert à désigner; ou hien il en est réellement et actuellement sll.paré. A vrai dire cette alternative D'est l'II!! 1'8.dicalej car le Signe, pour fonctionner, doit être à la fois inséré dans ce qu'il signifie et distinct de lui. POUl' que le signe, en effet, soit ce qu'il est il a. rallu qu'il soit donné à la connaissance en même temps que ce qu'il signifie. Comme le fait remarquer Condillac, un son ne deviendrait jamais pour un enfant le signe ... erbal d'une chose s'il n'avait été entendu, pour le moins, une foia 1. Berkole) .. , Prlndpu de la c:ormaûllUlu lIumain. (Qi'1IlII'CI choral." t. r, p.2671·
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    Reprl.enter 75 aumomllnt où cette cholle est perçue 1. Mais pour qu'un élément d'une perception en prusse devenir le signe, il ne suffit pas qu'il en fasse partie; il faut qu'il lioil distingué il litre d'élément et dêgagé do l'impression globale à laquelle il était Clon[usément liê; il faut donc que celle-ci soit divisée, que l'atten­tion tie !loit port6e sur l'une de CliS régions enchevêtrées qui la composent et qu'elle l'en ait isolée. Ln constitution du sir"rne est donc inséparable de l'analyse. n cn est le résultat puisque, SIlIlB elle, il ne saurait apparaître. Il en est aussi l'instrument puis" qu'une fois défini et isolé, il peut être reporté sur de nouvelles im11l'essions; et là, il joue pa1'rappol't il elles comme le rôle d'une grille. Parce que l'e~prit analyse, ]e signe apparaît. Parce que l'esprit di~posc de signes, l'ana.lyse ne cesse de se poursuivre. On comprend pourquoi de Condillac il Destutt de Tra.cy et il Geraodo, la doctrine générale des signes et ]a définition du 'Pouvoir d'analyse de la pensée se sont très exactement mper­posées dans Wle seule et rn!hne théorie de la connaissance. Lo1'!lrpto la Logique de Port-Iloyal disait qu'un signe pouvait être inhéront li. 00 qu'il désigne ou séparé de lui, elle montrait que le signe, à l'âge classique, n'est plus chargé de rendre ]e monde proche de soi et inhêrent li S65 propres forme!!, mais au contraire de l'étaler, de 10 jmttaposer selon une surface indéfmi­ment ouverte, et de poursuivre Il partir de lui le déploiement BanS terme dlls suhstituts dans lesquels On le pense. Et o'est ~ar là qu'on l'ofTre à la fois à l'analysa ct il la combinatoire, qu on le rend, de bout en bout, ordonnable. Le signe dans la pcnlloo clas­sique n'efface pas les distances, et n'abolit }las ]e temps: an contraire, i] permet de les déroulcr ct de les parcourir pas li. pas. Par lui les choses deviennent distinctes, sc conservent en leur identité, se dénouent et se lient. La raison occidentale entre dans J'âge du jugement. 3. fi l'elite une troisième variable: celle qui pP.Ut prendre les deux valeurs de la oature et de la convention. On sa.vait depuis longtemps - ct bien avant Je Cralyle - que les signes peuveot être donnés par la nature ou constitués par l'homme. Le XTle siècle ne l'ignorait pas lui non plus, et recolUlai!lsait. dans les langues bumaines les signes d'institution_ Mais ]~s signel artiliciels ne dtlvaient leur pouvoir qu'à leur fidélité auxsiglles na.lurt:ls. Ceu.'(·ci, de loin, fondaient tous les autres. A partir du XVIIe siêclo, on donne Wle valeur inverse à la nature et ~ la convention: naturel, le signe n'est rien de plus qu'un 61ê­ment prélevé sur les chosoo, ct. constitué comme liigno par 1. Condillnc, Es!oÎ "Ir rorigine du conlltli_nee6 numaÎna (OEullrea, l'lIrÏ!, 17<Jb, t. l, p. 1~2()S).
  • 71.
    16 la connaissance.Il est donc presc1'Ït, rigide, incommode, et l'e!lpl'Ït ne peu.t s'en rendre mnhre. Au contraire lorsqu'on établit un signe de convention, on peut toujours (ct il Cnut en elIet) le choisir de telle 50rte qu'il soit simple, facile il rappeler, applicable à un nombre indéfini d'éléments, RUS­ceptible de se diviser lui-même et de se eOmpMCrj le signe d'institution, c'est le signe dans la plénitude de son fonction­nelllent. C'ts!. lui qui trace le partage entre l'homme et l'''lÙmlll; lui qui tral~8Iorme l'imagination p.n mémoire volon­taire, l'attention spontanét cn réflexion, l'ÎlL'itinct en connai,­slUlce ruisonnable 1. C'est. lui encore dont Itard a. découvert le dtifau~ chez le te Sauvage de.l'Anyrou 1. De ces signes de conventiou, les sib'lleS lUlt.urelli ne !:jont que l'esquisse rudi­IDontaire, 10 dtlssiu lointain qui ne sera achllvé que pur l'ilL:!­tallration de l' arbi trllire. Mais cet arbitraire est mesuré par sa (onction, et ses règles très exactement dMinios par elle. Un système arbitraire de signes doit permettre l'analyse des chuses daWi leurs éléments les plus simplesj il doit décomposer jusqu'à l'ori:;iDe; mais il doit ausiO montrer comment sont possibles les combinuisulls de ccs élilffient!l, et permettre la genèse idéale de III complon.6 des choses ... Arbitraire:t ne S'OPPOllC à .. naturel 1 quc si on veut dé~igner la manière dont les signes ont été éta.blis. Mais l'arbitraire, c'est aussi la grille d'analyse et l'espace combina­toire à. travers lesquels la nature va se donner en ce qu'ellc cat, - "U ras des impressions originaires et dans tout cs les formes possibles de leur combinaison. En sa perfection, le sys­tème des sib'tUlS, c'est cette langue simple, absolument trans­parente qui est capable de nommer l'élémentaire; c'est aussi cet oUMcmLle d'opératiollll qui définît toutes les conjonctions )lossibles. A llUS regards, cette recherche de l'origine ct ce c!llcul des groupomonts paraissent incumpatible!!, et 110US les déchif­frons volontiers comme UDe arubigu',té dlWti la peusée du. xy,,!! et du xvme sillcle. De même, 10 jeu eutre le Itystème el la nature. En fait, il n'y Il pour elle aucune cuntradiction. Plus précis~ment, il existo une disposiLion nécessaire et unique qui traverse toute l'épÏ3t8mè clasllique : c'e.<;t l'appartenance d'un calcul universel et d'une rechllrche de l'ülémunLaire dans un système qui est a.rtificiol, ct qui, par là-même, plluL faire appara.Ître la nature depuis ses éléments d'origino jusqu'à la simultanéité de toutes leur8 combinaisons possibles. A l'âgo clas­Bique se servir des signes, cc n'est pas, comme aux siècles pre­cédcnt&, essayer de retrouver nu·dessous d'eux le texte primitiC 1. Con~l1Il1c, BIMt" 6U" rurtglnc dt. comlldnanct. humalnn, p. '75.
  • 72.
    Repmentfr 77 d'undi!lcours tenu, et retenu, pour toujours; c'est tenter de découvrir le langage arbit.raire qui autorisera le déploiemeot de la Jlature en son espace, les termes derniers de son ana­lyse et. Jes lois de sa composition • .Le sa.voir o'a plus il désen­sabler la vieille Parole duos les lieux incoDDus où elle peuL se c[lcher; il lui faut fabriCJ1:ler une langue, et qu'elle Boit bieo faite - c'est-à-dire quc, analysante el. combinanle, eUe lIoit réelldmont la langue des calculs. On peut dëfuùr maintenant Ics inst.ruments que prescrit à Ja pensée classique le système des signes. C'est lui qui. int.roduit dans la connaissance la probabilité, l'analyse et la combinatoire, l'arbitraire justifié du système. C'cst lui qui donne lieu il la fois à la recherche de l'origine et à la c.lculabilitéj Il la constil.u&ion de tableaux fixantles compositions possibles ct à.]a restitut.ion d'une genèse Il partir des éléments les plus simples; c'est lui qui rap­proche tout savoir d'un lugage, et cherche Il substituer il toutes les langues un système de symboles artificiels ct d'opérations do llature logique. Au niveau d'une histoire des optnions, tou ceci appnraltrait sans doute comme un enchevêt.rement. d'in­fluences, où illaudrait. bien 58DS doute faire apparaître la part iodividuelle qui revient. à Hobbes, Berkeley, Leibniz, Cqndillac, al,pt Idéologues. Mais si on interroge la pensée classique au niveau de ce qui archéologiquement.l'a rendue po~sible, on s'aperçoit que la dissocintion du signe ct de la ressemblance au début du XVll' 5iècle a fait appa1'llitre cos figures nouvelles que BOOt. la probaLililé, l'analyse, la combinat.oire, le système et la langue universelle, non pas comme des t.hèmes succeSlliCli, s'engendrant ou se chastiant les uns les autres, mais comme un réseau unique de nécessités. Et. c'est lui qui a rendu possibles ces individua­lités que nous appelons Hobbes, ou Berkeley, ou Hwne, ou Condillac. IV. LA REPRÉSENTATION RBDOUBLÉE Ccpr.ndant 1ft propriét.é des signes la plus fondamontale pour l'épÏ81émè classique n'a pas été énoncée jusqu'à présent. En effet, que le signe puisse être plus ou moins probable, plus ou moins éloigné de ce qu'il si:;?Ùfie, qu'il puisse être Dat.urel ou arbitraire, sans que sa nat.ure ou sa valeur de signe cn soit affectée, - tout cela montre bien que le rapport du signe il BOil contenu n'est pas assuré dana l'ordm des choses elles-m&mel.
  • 73.
    78 Le. mot.el lu eh08t. Le rapport du liigniliant .u .;gnifiê se loge maintenant danl un eB)la~ où nulle figure intermédiaire n'assure plu. leur rencontre : il est, li l'intérieur de la connai,~ance, le lieD ét.abli cntre l'idk d".&nB chaRs et.l'idé8 d'uM aulrs. La Logiql~ de Po,'-Rnynl 10 dit : c le signe enferme deux idées, l'une de la r,hORC qui repréRcnte, l'autre de la chose représentée; et sa nature consiste à excit,er la première pur la lIeconde 1 1. Théorie ducne du signe, qui s'oppose Bans équivoque li l'or­ganisation plus complexe do la Renaissance; alors, la théo­rie du !li~ne impliquait trois éléments parraitement distincts: ce qui était marqué, ce qui était marquant, et 00 qui permettait de voir en ceci la mArque de cela; or ce dernier élément, c'était la ressemblance le signe marquait dans la me!IUre où il était 1 presque la même chose 1 que ce qu'il désignait. C'est ce système U:lIitaire et triple qui disparait en même temps quo la 1 pensée par ressemblance l, et qui est remplacé par Wle organisation strictement binaire. Mais il y a une condition pour que le signe aoit bien celte pure duolit6. En son être simple d'idée, ou d'image, ou de percep· tion, associéo ou substituée il une autre, l'élément signifiant n'est. pas signe. Il no ]e devient qu'à la condition de manifester, en outre, le rllpport qui ]0 lio li. co qu'il signifie. Il faut qu'il repré­l'lente, mais quo cette repmscntotion, à Bon tour, se trouve repr~sentée en lui. Condition indispensable il l'organiaation binaire du signe, et que ]u LogiqU8 de Pore-ROt/al énonce avant m~me de dire ce que c'ost qu'un signe: 1 Quând on ne regarde un certain objet que comme en représentant un autre, l'idée qu'on en Il est une idée de signo, et ce premier objet s"appelle si~rne 1. Il L'idée signifiante se dédouhle, pui!lque li l'idée qui en remplace une autre, se superpose l'idée de SOD pouvoir repré­sentatif. N'aurait-on pas trois termes: l'idée signifiée, l'idée signifiante et, à l'intérieur de celle-ci, l'idée de son rôle de repré­sentation? Il ne s'agit pas cependant d'un retour subreptice li. un système ternaire_ Mais plutôt d'un décalage inévitable de la figure il deux termes, qui recule par rapport à elle-même et vient. se loger tout entière ft l'intérieur de 1'61ément. signi­fiant.. En fait 10 lIignifiant n'a pour tout contenu, tout.e (onc­tion ct toute détermination que ce qu'il représente: il lui est ent.ièrement ordonné et transpllrent; mais ce contonu n'est indiqué que dlln~ une représentation qui se donne comme telle, et le signifié se loge saDS -résidu ni opacité lA l'intérieur de la représentation du signe. Il est caractéristique que l'exemple 1. Logique dt Porl-Rogal. lM parU", oh.p. lV. 2. Ibid.
  • 74.
    ReprMenler 79 premierd'un signe que donne la Logique de Port'Royal, ce ne lioit 11i le mot, ni 10 cri, ni )e symbole, mais la repr(:senlation spatiale et graphique, - le d08sin : corto ou tableau. C'est. qu'en elTet le tnblenu n'a pour contenu que cc qu'il repr6sante, cl pourtant cc contenu n'lIpparaÎt que représent.é pnr une repré­sentation. La dispo~ition binaire du signe, telle qu'elle apparatt au XVIIIl 3ièclt~, se 9ub!ltitue li. une organiSAtion qui, sur des modes différents, avait. toujours été terri aire depuis les stoïciens et même depuis les premiers grammairiens grecs; or, cette dj~p05itjon suppose que le signe est une repré.,entlllion dédou­hlée et redoublée sur elle-même. Une idée peut être !liJrllc d'uilc aut.re non seulement parce qu'entre. elles peut !l'établir un lien de représentation, mais parce que celte représentation pul1t toujOUf$ se représenler à l'intérieur de l'idée qui repré­scute. Ou encore porço que, en son essence propre, la repré- 8cntul.ion est. toujours perlJtlDdiculaire la elle-même: elle est à. lu fois indiculion. et apparattre; rapport la un objet el manifes­tation de soi. A partir de l'üge classique, 10 signe c'est. la repri· lumlati"Ïld de III représentation en tant. qu'elle est repré$8,llab~. Ceci a des conséquences d'un gr-.lDd poids. D'abord l'impor­tance des signes dans la pen9ée classique. Ils êLaient autrefois moyens de connaitre et clefs pour un savoir; ils sont maintenant coextensifs à 10 représentation, c'est dire li la pouée tout entière, ils sont logés en eUe, mais ils ]0 parcourent selon t.ouLe son étendue : d~ qu'une rcpré~eDtat.ion est 1iéo la une autre et représente en elle-même ce lien, il y 8 signe: J'idée abstraite llilmi6e lR perception concrète d'où elle a lité formée (Condillac); l'idêe générale n'est qu'une idée singulière servant de signes aux: autres (Berkeley); les imaginations sont signes des perceptions dont elles sont issues (Hume, Condillac); If'_'1 sensations sont "ignes les unes des aulres (Berkeley, Condillac) et il se peut finalement que les sen5atiollS soient elles-mêmf'-s (comme chez Berkeley) les signes de ce que Dieu veut nous dire, ce qui ferait d'elles comme les signes d'UD ensemble de signes. L'analyMl de la représentation et la théorie des signes Be pénètrent ab~olument l'Wle l'autre: et )e jour oiL l'Idéologie, à. )a fin du xvme siècle, s'interrogera IIlll' le primat qu'il faut donner à l'idée ouau signe, le jour où Destutt reprochera à Gerando d'avoir fait une théorie des signes avant d'avoir défini l'idée l, c'est que déjà leur immédiate appartenance commencera à se brouil­ler et que l'idée et le signe cesBeront d'être parfaitement trans­parents l'un li l'autre. Seconde conséquence. Cette extension universelle du sigue 1. Deatutl de Traey, Bilmenli tl'I/Uologir (Perl., ln XII, 1. Il, P. 1.
  • 75.
    80 Les motset ~ Cl1OS6S dans le champ de la représrntation, exclut ju~qu'à la possi­bilité d'une théorie de la signification. En elIet s'interroger sur ce qlle c'est que ]a signification suppose que celle-ci soit une figure déterminée dans ]a conscience. Mais si les phéno­mènes ne sont jamais donnés que dans une reprélentation qui, en elle-même, et. par sa représentabililé propre, est tout enlière signe, ln signification ne peut faire probl~me. Dien plus, elle n'apparaît même pas. Toute1J les représentations 60nt liées entre elles comme des signes; à elles toutes, elles forment comme un immense réseau; chacune en sa transparence se donne pour le signe de ce qu'elle représente; et cependant - ou plutôt par le fait même - nullo activité spéoifique de la conscience ne peut jamais constituer une signification. C'cst 88ns doute parce que la pensée classique de la représcntation exclut l'aualyse de la signification, que nous outres, qui ne pensons Jes signes qu'à partir de celle-ci, nous avons tnnt de mal, en dépit de l'évidence, à reconnnttro que ln philosophie classique, de Malebranche à l'Idéologie, n été de rond en comble une philosophie du signe. Pas de sens extérieur ou antérieur au signe; nulle présence imJllicite d'un discoul'!! préalable qu'il raudrait restituer pour mettrc au jour le sens autochtone des choses. Mai!! non plus, pail d'acte consLit.uant do Ja signification ni de genè~e intérieure à la conscience. C'est qu'cntre le signe et son contenu, il n'y a aucun élément intermédiaire, ct aucune opacité. Les signes n'ont donc pas d'autre!! lois que celles qui peuvent régir leur contenu: toute analyse de signes est en même temps, et de plein droit, déchiffrement de ce qu'ils veulent dire. Inversement, la mise au jour du signifié ne sera rien de plus que la réflexion sur les signes qui l'indiquent. Comme au XVIe siècle, 4( sémiologie" et Il her­méneutiquc li sc superposent. Mais dans une Corme différente. A l'âge classique, elles ne se rejoignent plus dans le tiers élément de ln ressemblance; elles se lient en ce pou"oir propre de la représentation de se représenter elle-même. fi n'y aura dono pas une théorje des signes dilIérenle d'une analyse du sens. Pour­tant le système accorde un cerLain privilège à la premillrc sur la seconde; puisqu'elle ne donne pas à ce qui est. signifié une nature différente de celle qu'elle accorde au signe, le sens ne pourra être plus que la totalité des signes déployée dans leur enchaînement; il se donnera dans le tableau. complet des signes_ Mais d'autre, part le réseau complet des signes se lie et s'arti­cule selon les découpes propres au sons. Le tableau des signes sera l'imagB des choses. Si l'êtoo du sens est tout entier du côté du l'igne, le fonctionnement est. tout entier du côté du signifié. C'est pourquoi l'analyse du langage, de Lancelot â
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    81 Destutt. deTracy, le lail à partir d'une lhéorie ah5traÎte de. !li~es verbaux et. dallS la forme d'une grammaire générale: m~is elle prend touJours pour fil direct.eur le sens des mots; c'e5t pourquQi aussi l'histoire nat.urelle se prltsenle comme annly!le dm; caraatèrcs des êtres vivants, mais que, même ani· fiddles, les taxinomies ont toujours le projtlt de J'Cjoindre l'Qrdrc nnturel ou tIe le disflocier le moins possible; c'e.o;t pour­quoi l'analyse des nt:hesscs st' fait n partir de la monnaie et de l'échange, Ulais que ln valeur est toujours fond6e sur le besoin. A l'âge" oln~Riqlle, la sr.ience pure des signes vaut comme le disr.ollr!l immédiat du signifié. Enfin, dl~rnir.re cOTl!Céqucnec qui s'étend sans doute jusqu'à nous : la tllt~oric binaire du signe, c-'!l1e qui fonde, depuis Je XVII~ siècle, toute ]a science générale du signe, est liée, selon un rapport fondamental, à une théorie générale de la représen­tation. Si le signe, c'est ]a pure et simple liaison d'un signifiant et. d'un signifié (liai~on qui est arbitraire ou non, volontaire ou imposéc, individuelle ou collect.ive), de toute façon le rap· port ne peut être établi que dans l'élément général de la représen· tation : le signifiant. et. le signifié nc sont liés que dans la mesure où l'un et l'autre Bonl (ou ont étu ou peuvent être) représentés, et où l'UIl repré~onte act.uellemcnt l'autre. n était. donc néces­! iaire que la théorie classique du signe se dODDe pour Conde­m" cnt ct jus.ification philosophique une. id6010gie~, c'est· à-dire "une analyse générale de toutes les Cormes de la rcpl'6sontation, depuis la sensation élémentaire jUllqu'à l'idée abstraite et complexe. Il" était hien nécessaire également que l'etrouvant le projet d'une sémiologie générale, SausruJ'C ait donnê du siee une définition qui ft pu parattre c psychologiste ~ (liaison d un concllpt ct d'une image): c'est qu'en fait il redécoUTl'llit là la condition cla~sique pour penser la nature binaire du signe. v. L'IMAGINATION DE LA. RESSBMBLANCB Voilà donc les signes affranchis de tout ce fourmillement du moude où la Rcnaj~!l8Jlce les avait autrefois répartis. ns sont logés dê~ormnis à l'intérieur de la représentation, dans l'in­terstice dc l'idée, en ce mince espace où elle joue avec eUe-mê~e, 50 décomposant et se recompo5ant.. Quant. à la similitude, elle n'a plus de~ormajs qu'à retomber hors du domaine de la connais­sance. C'cstl'eml)jrique sous lia forme la pluli fruste; on ne peut
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    82 pluil C1- regarder comme faisant partie de la p)lilollopltie 1 IJ il moins qu'elle ne soit elTacéo duJlS Bun inexactitude de res­semblance et transformée par le savoir en Wltl relation d'6ga­l. ité ou d'ordre. Et cependant pour la culUlltissance, la simlli­tude elt une indispensable bordure. Cllr une égùité ou UDe relation d'ordre ne peut être étahlie 8I1re dllux choses que si leur ressemblance a été au moins l"occasion de lei comparer: Hume plaçait la relation d"idclltit6 parmi celles, c philo8&' pbique&! 1, qui lupposent la réllexion; alurs que la resaem­hl; mce appartenait pour lui aux relations naturelles, ~ celles qui contraignent not.re esprit selon une 1 force calme 1 mais inévi­table 1. 1 Que le phiiOtiophe se pique de précision autant. qu"ille voudra ••• j'ose pDurtaut le défier de fau'e un seul pal dBJlS sa carrière IBns l'aide de la relsemblance. Qu'on jette un coup d'oeil Bur la face métaphyaique dei sciences, mAmé lcs muÏDs abstraites; et qu'on me dUe si les inductions générales qu'on tire des faits particUliers, ou plutôt si les genres mêmeti, les espèces et toutes les notioDS abstraites peuvent Sil formerauLre­ment que par le moyen de la ressemblance:l 1. A l'ourlct ext~ rieur du savoir, la similitude, c"e5. clllte forme à peine dtlSsinée, ce rudiment de relation que la counaill5ance doit recouvrir dans toute la largeur, mois qui, indéfwiment, demeure au-dessous d'eUe, à la lDanière d'une n6ce5~i1.6 muette et ineffaçable. CoDuue 8U XVIe siècle, ressemblance et signe s"appellent fata.­lement. Mais sur un mode nouveau. Au lieu que la similitude ait belluin d'une mllrque pour que lIoit levé IfUn lecret, eUe est maÏD.tenant lu fond indiil'érencié, mouvaut, ÎIllItable sur quoi la connaissance peut établir ses. relations, &es melurea et 1169 identités. Double renversement por conBé~uellt : puisque c'eat le signe et avec lui toute la connaissance discursive qui exigent un fond de sjmilitude, et puisqu'il ne s"agit plus de manifester un contenu prialable à la connaissance, muis de donner un contenu qui puisse olIrir un lieu d'application aux forme!! de la connaissance. Alors qu'au XVIIl sièele, la l'Casemblance était le rapport fondamental de l'être à lui-même, et la pliure du monde, e]Je est ill"age claasique la forme la plus aimple BOUS laquelle Apparaît ce qui est à connaitre et qui est. le plus éll>Îgné de la connaissance eUe-même. C'est par elle que la représentation peut 6tre connue, c'eat-li-dire comparée avee celles qui peuvent être Similain:I, aualyaée en éléments. (en 1. Hobbes, LOflqu (trad. Destutt de TraCT, IlUmlll" Il' ltUologl" PlIne. 1806, 1.. Ill, p. 699J. 2. Hum", E"ai ...,. la MIIIN '''illw/n, (trad. Leroy, Parill. 1946), L r. p.75·80. a. Keriaa, RI/faio". pltil_phifUu .ur ,. '''_'''llnel (1767), P. 3 el 40
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    RtJprhBnUr 83 êl6mentsqui lui lont communa avec d'autres représentations), combinée avec celles qui peuvent présenter des identités par­titllles ct dirtribu60 61Ullement en un tableau ordonné. La similitude daDs ln philoliophie classique (o'ost-Il·dire dans une J1hilo~ophie de l'analyse) joue un l'Ôle symétrique d~ celui qu'assurera le divers dans la penlée critique et daules phi­losophies du jugement. En cette position de limite et de condition (ce Bans quoi et' en deçà de quoi on ne peut conna1tre), la ressemblance 88 situe du côté de l'imagination ou, plui exactement, eUe n'ap­pUI'ait que par la vertu de l'imagination et l'imagination en retour ne s'exerce qu'en prenant appui sur elle. En efTel, si on liuppose dans la chatne jninterromputJ de la représenta· tion, des impressions, leB plus simples qui soient, et qui n'au­raient ~s entre elles le moindre degr6 de ressemblance, il n'y aurait aucune possibilité pour que III seconde rappene la première, la fasse réapparaltre et BuLoriae ainsi 8a re·pré· scntlltion dans l'imaginaire; les jmpressions Be luccéderaient dnnB la ditTérence la plus totale, - si totale qu'eUe ne pourrait même pas être perçue pui!MJUe jamais une représenta­tion n'aurait l'occasion de se figer sur place, d'en rcasusciter une plul ancienne et de se juxtaposer II elle ~UI' donner lieu II une comparaison; la mince identité nécessau." à toute difI6- renoiation ne serait même pal donn6e. Le ohangement perp6- tuel Ile déroulerait SBDS repère dans la perpétuelle monotonie. Maia s'il n'y avait pas dans III représentation l'obscur pou­voir de ae rendre présente li. nouveau une mpression palsée, aucune iamaïa n'apparattrait comme semblable .. une prêcé­dente ou dissemblable d'eUe. Ce pouvoir de rappeler implique au moinl la possibilité de faire appualtre comme quasI sem­blables (comme voisines et contemporaines, comme existant presque de la même façon) deux impressions dont l'une pour­tant est présente alors que l'autre, depuis longtemps peut-être, a cess6 d'exister. Sanll'imagination, il n'y aurait pas de ressem­blance entre leB choses. Oll voit le double réquillit. Il faut qu'il y ait, dans leI ehoses représentées, le murmure insistant de la reaaem­bl~ ce; il faut qu'il y ait, dans la reprillentation, le repli touJours possible de l'imugination. Et ni l'Wl ni l'autre de ces. ~équisits ne peut Ile dispenser de celui qui le complète et !Ul fait face. De là, deux directions d'BIUlIyae qui .e lont mamtenues tout au long de l'âge classique et n'ont ceBI' de d rapprooher pour 6noncer finalement dans la dernière moiti' u XTIl18 siècle leur vérité comm1D1e d8D8 l'Idéologie. D'Wl CÔté, OD trouve l'analyse qui reDd compte du renversement de
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    Lu ma" etlu cf,osu ]. série dos rcpréllentntions en un tablllau inactuel mois simu1- "ané de comparaisons : analY80 de l'impression, de la rémi­nisconce, de l'imagination, de la mémoire, de tout ce fond in,,'olontaira qui est comme la mécanique de l'image dana le temps. De l'autre, il y fi l'analyse qui rend compte de la rell­semblnneo des choses, - de leur rellScmblonce avant leur mise en ordre, lour décomposition en éléments identiques et dif[é­rents, la répartition en tableau de Jeun similitudes désordon­nées: pourquoi donc les choses se donnent-eUes dans un ~he-· Tauchement, dans un mélange, dans un entrecroisement où leur ordre essentiel est hrouillé, mais assez visible encore pour qu'il transparaisse sous forme de ressemblances, de similitud08 VRbrues, d'oocasÎons allusives pour UDe mémoire en werte? La première série de problèmes correllpond tin gros à l'analytique ds l'imagiMti.on, comme pouvoir positif de trcinsronner le temps linéaire de la représentation en espace simultané d'éléments virtuels; la seconde correspond en gros à l'analyse de la nalure, avec les laClmes, les désordres qui brouillent le tableau des êtres et l'éparpiUent en une suite de représentations qui, vaguement, et de loin, se res~emhlent. Or, ces deux. moments opposés (l'un, négatif, du désordre de la nflture dans Jes impressions, l'autre, positit, du pouvoir de reconstituer l'ordre à partir de ces impressions) trouvent leur unité dans l'idée d'une « genèse ». Et ceci de deux façons possibicli. Ou bien le moment négatif (celui du désordre, de la vague ressemblance) est mis au compte de l'imaginutioD eUe-m~me, qui exerce alors à elle seule une double fOllctioD : si elle peut, par le seul redoublement de la représentation, res­tituer l'ordre, c'est dans la mesure justement où ~lle empê­cherait de percevoir directement, ct. duns leur vérité analy­tique, les identités ct les diiI6rcnees des choses. Le pouvoir de l'imagination n'est que l'envers, ou l'autre fnce, de son dêfnut. Elle est dans l'homme, li. la couture de l'âme et du corps. C'est là que DeSCArtes, Malehranche, Spinoza l'ont en effet 8naly­sée, à la fois comme lieu de l'erreur et pouvoir d'accéder à Ja vérité même mathématique; ils ont reconnu en elle le stig­mate de la finitude, que ce soit le signe d'une chute hors de .l'étén:due intelligible ou la marque d'une nature limitée. Au contraire, le moment positif de l'imagination peut-être mis au compte de la ressemLlance trouble, du murmure vague des similitudes. C'est le désordre de la nature dO. à sa propre his­toire, li. lieS catastrophes, ou peut-être simplement il sa plu­ralit~ enchevêtr6e, qui n'est plus oapable d'otTrir à la repré­sentation que des cholles qui se l'68Somblent. Si bien que la l'8proeentation, toujours 8nohatnée à des contenus tout proches
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    Rep,kem., 85 lesuns des autres, BO H:~te, Be rappelle, se replie naturelle­ment Bur Boi, fait renattre des impressions presque identiques et engenùre l'imagination. C~e9t dans ce moutonnement d'une nature multiple, mais obscuH:ment et 8ans raison recommencée, dans le fait énigmatique d'une Dature qui avant tont ordre se re8l!emhle lA elle-même. que Condillac et que Hume Ont cherché le lien de la ressemblance et de l'imagination. Solutions stnc­tement opposées, mais qui répondent au même problème. On comprend on tout cas que le second. type d'anal~5e se soit facilement déIlloyé dans la forme mythique du premIer homme (Rousseau) ou do la conscience qui s'éveille (Condillac), ou du spectateur ét.ranger jeté dans le monde (Hume) : celle genèse­III fonctionnait 8Xllctement aux lieu ut place de la Genèse elle­même. Une remarque encore. Si les notions de nature et de nature humaine ont lA l'Age olassique une certaine importance, ~ n'est pllS parce qu'on a d6couvert brusquement CODlme champ d" nlcherclle5 empiriques, cette puisslWce Bourde inépuisablement. riche qu'on appelle la nature; ce n'est pUB non plus pareo qu'on a isolé Il l'intérieur de cette vaste nature une petit.e région singulière et complexe qui serait la nature hUDlaine. En fait ces deux concepts fonctionnent pour assurer l'appar­tenance, le lien réciproque de l'imagination et do la ressem­blance. Sans doute l'imagination n'est-e1le en apparence qu'une des propriétés de la nature humaine, et la ressemblance un des effets de la nature. Mais à suivre le résenu nrchêologique qui donne ses lois à la pensée classique, on voit bien que la nature humaine 8e loge dans ce mince débordement de la représentation qui lui permet de se re-présenter (toute la. nature hUIllaine OlSt là : juste assez à l'extérieur de )a repré­sentation pour qu'eUe Be présente à nouveau, dans l'espace blanc qui sê.l'are la présence dela représentationet le • re- - de S8 répétition); et que la nature n'est que Pinsaisillsablebrouil­lage de la représentation qui fait que la ressemblance y est sensible avant que l'ordre des identités ne loit visible. Nature et nature humaine permettent, dans la configuration générale de ~'épisI6m8, J'ajustement de la ressemblant.'9 et de l'imagi­n. ahon, qui fonde et rend postiililes toutes les sciences empi­l" lques do l'ordre • . Au XYle siècle, la ressemblance était liée à un système de Sls,.neSj et c'était Jeurinterprêtation qui ouvraitle champ dus con­n8Jlisances coner~teg. A partir du XYUe siècle, la ressemblance est repoussêe aux confins dn savoir, du cOté do ses frontim-es les plus bRsses et les plus humbles. LlI, elle se lie li l'imaginlltion, aux répétitions incertaine8, aux analogies embuées. Et au lieu
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    86 d'ouvrir sllrune science du l'interprétation, elle impliclue unu geni'lse qui remonte de ces lonnes frustes du Même aux grandI tableaux dl! savoir développés selon les lormes de l'identité, de lu dilTêrence el. de l'ordre. Le projet d'un~ science de l'ordre, tel qu'il fut fondé au XVIIe siècle imIlliquait qu'il soit douL16 d'une genèse de la connaissance, comme il le fut effect.ivement. et sons interruption de Locke Il l'Idéologie. VI. IlllA.TREilS. ET • T"XI1'tOMU 1 PI'Ojet d'wle science généralu de l'orare; th6orio des siemes analysunt III représlmtMtiuD; dispullitiuD lm tableaux ol'do~nés dUI ideut.ités et des difI6reucIl8 : ainsi Il'etiL const.itué Il l'âge clussique Ull "tipac" d'eJnpirieit6 qui n'avait. IIUS existé jUllqu'è. la nu de la Renllilllluee et qui Bera vou6 à dispnrattre dès le début du XIX' liiècle. n est pour DOUS mllintenant si difficile lA. restit.uer, et. si profondément recouvert pal' 16 . .système de positivités auquel appartient notre savoir, que longtemps il est palillé inaperçu. On ID déCorme, on le Dl0sque-A travers des oet,6gorius ou un d600upage qui sont les nÔtres. On veut.· reconstituer, paraIt-il, ce qu'ont. 6té BU X'Yue et au x'Yltle' siècle les c sciences de la vie l, de la c nature. ou de l', homme J. Oubliant simplement que ni l'homme, ni la vie, ni la nat.ure ne sont des dornainuB qui s~ollrent spont.anément et passivemcmt à la curiosité du savoir. Ce qui rend possible l'ensemble de l'~pi8thnè' classique, c'est d'aboM le rapport à une connaissance de l'ordre. Lortl'lu'.ils'agit. d'ordonner les natures simples, on ft recours à une malhuï. dont la métbode tmiverselle est l'Algèbre. Lorsqu'il l'agit de mettre en ordre de! natures complexes (les l'eprésentatioDil en général, telles qu'elles sont données dan. l'expérieuce), il faut. commuer une t.oeinomia et pour ce faire msaurer un système de signes. Les signes sont à. l'ordre des naures composées ce qu'est l'algèbre à l'ordre des natures .imples. Mais dans la mesure où les représentations empiriques doivent :pouvoir s'ana­lyller en nat.ureli simples, on vuit quD la taa;inumw. Be 1'8pporte tout entière à la malh"~i en revanche, puisque la perception des 6viden~ea u'elt qu'un cas particulier de la représentation 8U général, on peut dire Ilwsi bien que ]a mathe.Ï8 n'est qu'~ cas particulier de la toeinomia. De mflme, les signes que la peDl!ée établit elle-même coDiltituent comme UQfI algèbre deI repr6sentations complexes; et l'algèbre inveraement est uno
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    87 méthode pourdonner des .igues aux natures .imples et pour opérer ,ur ce •• ignes. On a dong la dillpolition suivante: Science général!! de l'ordre Natures simples 04 Représentations complexes .J. • ". ."- • ltI aUwsu " oz mom&a t . t Algèbre +~---------+) Slgues Mais ce )l'est pas tout. La ta:z:ûwmEa implique en outre un certain COlltwUWll des choses (une non-di1icontinuité, une plônilude de l'être) et une certaine puis~auce de l'imagina­tion qui rait appnrattre ce qui n'est pas, mais permet, par là-môme, de mettre au jolll' le continu. La p05liwilité d'une SciCUC6 d"t; ordres empmques l'Clquiert dono une analyse de la cOIWaissance, - analyse qui devra ulUntl'tlf OODlWtlnt la continuité cachée (et comme brouillée) de l'être peut S6 recoos­tituer à trv.vel'& le lien temporel de représentations disconti- 11ues. De là la nécessité, toujours manlCcst6e au long de l'âge classique, d'interroger l'origine des connaissances. En fait, ces analyses empiriques De s'opposent pal au projet d'une mathesia universclle. comme un scepticisme à un rationalisme; elle8 étaient ennlolJpées daUIi les réquisits d'un savoir qui ne se donne plus cowwe expérience du Même, mais comme établissement de l'Ordrt:. Aux ù~ux Ilxtr6witéa de l'éputimè clas1Iique, on a dono une mathlUlU comwe science de l'ordre calculable et une genùa comwe analyse de la COWiLitutioD des ordres à partir des suites empiriques. D'un côt.é OII. lI.liliso les symboles des opérations pUliliiblcti SUI' dcs identn6s et des différences; de l'autre, on ana­lyse 1611 marques progressivement défOsées par la ressemblance des oho~es et les retours de l'imagmation. Entre la mathu;' et la glJllèBe, s'ëtend la Jjgion des signes, - des Signll8 qui tra­vere eut tout ]e domaine de la représentat.ion empirique, mais DU la débordent jamais. Bordé par le calcul et la genèse, c'est l'e~pace du tableau. En ce savoir, il s'agit d'affecter d'UD sigue tout ce que peut nous offrir notre représentation: perceptions, ~D8éeS, _ désirsi ces signes doivent valoir comme caractères, ç .t:II~-à.-dire articuler l'ensemble de la représentation en plages ~ILm6le.II, séparées les UDes des autres par des traits assignables; 1Is aut.oriSent ainai l'établissement d'un système simultané selon ]equelJes représentations énoncent leur proximité et Jeur éloi­r~ ent., JeUl' ,!oisiaage et leurs écarta. - donc I.e réseau qui, on; cluulIologlc. mauiCclte lcur parenté et rc!:!tltuc dans uo
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    88 espace permanentJeun relations d'ordre. Sur ce mode peut se dessiner le ta.bleau des identités ct des différences. C'est dans cette région qu'on rencontre l'lr.ütoire naturelte,_ science dl'ls caractères qui a.rticulent la continuité de )a nature et. son enr.hevêtrement. Dans cette région aussi qu'on rencontre la tlléor; .. de la monnaie et de la valeur, - science des siJp1es qui autorisent l'échange et permettent d'établir des équlva~ lences enlre les besoins ou les désirs des hommes. Là onfin que se loge la Gmmm"ire ginérale, 5cillIlce des signes par quoi los howroes rtlgroupent la sillb'Ularité de leurs perceptions et découpent le mouvemeut continu de leurs pensées. Malgré leuTS ditrércnoo~, ces trois domaines n'ont oxitit6 à l'âge classique quo duns la mesure où l'espace fondamental du tableau s'est instauré entre le calcul des égalités et la genèse des représen­tations. On voit que ces trois notions - math6.!Ï8, tlJ3:inomÙJ, gerW6t - no désignent pas tellement des domame.q séparés, qu'uu réseau solide d'appartenances qui définit la configuration géné­rale du savoir à l'époque classique. La ta:J:inomia ne s'oppole pas à la mathUÎ6 : elle se loge en elle et s'en distingue; car eUe aussi est une science de l'ordre, - une malllesu qualitative. Mais entendue au sens strict, )a mathesis est seience des égalités, donc des attributions et des jugements; c'est la science de la YiriUj la toeinomia, elle, traite des identités et des diffé­rences; c'est la science des articulations et des classes; elle est le savoir des êtres. De même la genèse se loge à l'intérieur de la tazinomia, ou du moins trouve en eUe sa possibilité première. Mail! la ta:ûnomia établit le tableau des dilI'6rences visibles; la genllso 8uppose uno série successive; l'une traita les signes dans leur simultanéité spatiale, comme une syn­taxe; l'autre les répartit dans un analogon du temps comme une chronologie. Par rapport à la mathesis, la taxinomia rone­tionne comme une ontologie en face d'uno apophantique; en face de la genèse, elle fonctionne comme une sémiolo­gie en face d'une histoire. Elle définit donc ]a loi générale des êtres, et en même temps, les conditions sous lesquelles on peut les connaître. De là, le fait que la théorie des signes à l'époque clauique ait pu porter à la fois une science d'allure dogmatique, qui se dowlait. pour la connais5auce de la nature elle-wême, et une philosophie de la représentation qui, au cours du temps, est dovenue de plus en plus nominalÏlite et de pluR en plus sceptique. De là aussi le fait qu'une pareille disposition aiL disparu au poiut que les âges ultérieurs ont perdu jusqu'l la mémoire de Bon existence: c'est qu'après la critique kan­tienne, et tout ce qui est paesé dans la culture occidentale à J.
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    89 L! duXTtIai' siècle, un partage d'un nouveau type s'est l•i ns ta..... • d'un côté la mat14t1a"" s'est regroupee conllt•l tuant ID ~~. l' , 11 . • , une apophantique ct une onto ogle; c est e e qUi JUsqu il nous a régné sur les disciplines formelles; d'un autre côté, l'histoire et )a 8~miologie (celle-ci o~s~rb.~ d'aille,1:'l's par cel!e-Ià) s~ sont rejointes dans ces dlllCJphnes de 1 mterprétatlon qUl ontdérou16 lour pouvoir de Schleiermacherà N iet:r:sclleetàFreud. En tout cas, l'ipistlmè clossique peut se défmir, en sa disp.r silion )a plus gbnéra,le, par ]e systèm~ articule: d:une malhesÏ$, d'Wle taxinnmia et. d une analyse géndt'que. Les sCiences portent toujours avec clle8 ]~ proje1.l1}ême loin~ d'une mise en ordre exhaustive: elles pOJOtent touJours ~~ISSl vers la ~éoouverte des éléments simples et de leur composition progressIVe; ct en leur milieu elles Ront tableau, étalement des oonnaiRsancos dans un systèn:e contemporain de lui-même. Le centl'e du 8Ilvoir, au xvu& et au nUle siècle, c'est le tableau. Quant aux grands débats qui ont occupé l'opinion, ils se logent tout naturellfl­meut dlln~ les pliures de cette organisation. On peut bien écrire une histoire de la pensée à l'époque claesique, en prenant ces dl:bats pour points de départ ou pour thèmes. Mois on ne fera alors que l'histoire des opi­nions, c'est-à-dire des choix opérés selon les individus, les JDilieux, les groupes sociau."'(; et c'cst toute une méthode d'en­quête qui est impliquée. Si on veut entreprendre une analyse archéologique du savoir Ini-même, alOI'5 ce ne sont pas ces débats célèbres qui doivent servir de fil directeur et articuler le propos. n faut reconstituer le' système général de pensée dont le rt8eau, en sa positivité, rend Jlossible un jeu d'opinions simul­tan~ s et apparemment contrudictoires. C'cst ce réseau qui définit les conditiOn! de possibilité d'un débat ou d'un pro­hlème, c'est lui qtü est porteur de l'historicité du sovoir. Si le :monde occidental s'est battu pour savoir si la vie n'était que D?IlVemellt ou si la nature était assez ordonnée pOUl' prouver Dieu, ce n'est pas parce qu'un problème a été ouvert; c'est Jlltrcequeaprès avoir dispersé le cercle indéfini des signes et des l'e!isemblauces, et avant d'organiser les séries de la causalité ct de l'hi5tOire, l'épÏ$thn~ de la culture occidentale a ouvert un espace en tableau qu'elle n'a cessé de parcourir depuis les Io~es calculables de l'ordre jusqu'à l'aualyse des repré­~ tatloDS les plus complexes. Et ce parcours, on ca perçoit le bjllnge à la surface historique des thèmes, des débats, des pro-èmes .et des préférences de l'opinion. Les connaissances ont t~ave~e de bout en bout un « espace de savoir J qui avait lIt6 diSpos: d't,!ll coup, nu xvne siècle, et qui ne devait être referm6 que cent cmquante ans plus tard.
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    90 Lu mo'"et la choIe, De cet espace en tableau, il faut entreprmldre mailltenallt l'analyse, là oil il appurait. sous sa forme )11 plus eillirü, c'e.~t­à- dire dan8 la théorie du langage, de la ela!1sification et de la monnaie. On objectera peut-être que le seul fait de vouloir aJlRl)'sel' à la foil!l et d'un scul tenant, la grammaire bréllémle, l'hist.oire naturelle et l'économie, en les ral'portant à une théorie géné­rale des signes et de la représontation, SUIJJ,ose une question qui ne peut venir que de notre siècle. SaD5 doule l'ilge classique, pas plus qu'aucune autre culture, nia pu circonscrire ou norn­mer le système général de son savoir. Mais ce système a été assez contraignant pour que ]es formes visibles dts cOlwais­Bances y esquistlent d'elles-m~mes leurs parentés, comme Iii ltlti méthodes, les concepts, les types "d'onalyse, les expériences acquises, les esprits et finalement les hommes eux-mêmes l'étaient déplacés au gré d'un réseau fondamental qui d6fini .. - sait l'unité implicite maia inévitable du savoir. De ces d6pla­cements, l'histoire a montré mille exemples. Trajet tant de fois parcouru entre la théorje de la connnissllnce, colle des signes et celle de la grammaire : Port-Royal a donné .a Grammaire en complêment et comme suite naturelle de 88 Logique à laquelle elle .e :rattache par une commune analyse des signes; Condillac, Destutt de Tracy, Gerando ont articulé l'une sur l'autre )a décomposition de ln connais­sance en ses conditions ou Il éléments lt et la réflexion sur ces signes dont le langage ne forme que l'applicatiun et l'usage l8S plus 'YÏsibles. Trajet aussi entre l'analyse de la représen­tation et de. signes et celle de la riobesse; Quesnay le Physio­crate a éerit un article «Évidence 1 Jlour l'EncyclupAdie; Condll· lac et Destutt ont l,lacé dans la ligne de Jour théorie de la connaissance et du langage celle du commerce et de l'écunomie, qui avait pour eux valeur de politiTle et aussi de morale; on lait que Turgot a écrit l'article 1 Etymologie li de l'Encyclo­pédie et le premier parallèle lIystématique entre la monnaie et lei mota; qu'Adam Smith a écrit, outre Ion grand ouvrage f:conomique, un cssai sur l'origine des langues. Trojet entre la théorie des classifications naturelles et. celles du longage : Adanson n'a pas voulu 8eulBment créer une nomendatpre li. la fois mificiene et cohérente dans le domaine de la botanique; il visait (et il a en partie appliqué) toute uneréorgaoillRtioude l'6criture en fonction des données phonétiques du langage; Rousseau a JaisBé panni Iles oeuvres posthumes dBS éléments de hotani'Jue et un trail~ sur l'origine des langues. Ainsi se dessinait comme en pointill6 le grand réseau du savoir empirique : celui des ordres non quantitatifs. Et
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    Reprl.se~r 91 peUI.êtrel'unité l'Coulée mais jn!listnnte d'une Ta:r:inomia UlIijJ6r.rralü apparalt·clle en toute clarté choz Linné. quand il projette de retrouver on tous les domaines concrets de lu nature ou de ]a 6ociêté, les mêmes dIStributions et Ir. môme ordre 1. La limite du savoir, ce serait la transparence parfaite dC1l rcpJ'ê. sontatioM aux signes qui los ordonnent. J. LiDné, Phifo8(1phl. botaniqrlt, § Hi5 ~l 256.
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    CHAPITRB l'Y Parler 1. CR1TIQ":B :BT COJUIBl'CTAIRB L'existence du langage il l'ûge classique eat à ]a loia souve­raine et discrète. Souveraine, liuisque Jes mots ont reçu la tâche et Je pouvoir de «représenter la pensée.». Mais représenter De veut pas dire ici traduire, domler une version visible, fabriquer Wl double matériel qui puisse, sur]e 'Yersant externe du corps, reproduire la .pensée en son exact.itude. Représenter est à entendre au Buna stnet : le langago rcpr6sente la pensée, comme la pemée 56 l'tlprésente elle-même. II n'y ft pas, pour constituer le langage, ou I!0ur l'animer de l'intérieur, un aote essentiel et primitif de SIgnification, mais seulement, au coeur de ln repré~entatioD, ce pouvoir qu'elle détient de sc représenter elle-même, e'est­à ·dire de s'analyser en se juxtaposant, partie par partie, sous le regard de la réflexion, et de se déléguer elle-même dans un substitut qui ]a prolonge. A l'âge classique, rien n'est donn6 qui lie soit donné à la représentation; mais par le fait même, nul signe ne surgit, nulle parole ne s'énonce, aucun mot ou aucune propositioll ne vise jamais aucun contenu si ce n'cst par le jeu d'une représentation qui se met à distance de soi, 80 dédouble et se réOéclüt en une autre représentation qui lui est éCluivaJente. Les représentations ne s'enracinent pas d,an." un monde auquel eUes emprunteraient leur sens; elles Il'ouyren d'eUes-mêmes sur un espace qui leur est propre, et dont la. nervure interno donno lieu au sens. Et. le langage est. là, eu ce écart que la représentation établit à aoi·même. Les mols n6 forment donc pas ]0 mince pellicule qui double la ,onsée du côté de )0 façade; ils la rappellent, ils l'indiquent, malS d'abord vers l'intérieur, parmi toutes ces représentations qui ell repré­sentent d'antres. Le langage classique est b68ucoup plu8 proche
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    Ptlrkr 93 ,0- croit de la pensée qu'il est chargé de manifester; mais q')u onlu i ..e. st pas paroUe•le; .1 o•st p.rl5 daos 50n ér seau e't tlSS c~ d ans i Dt~lDe môme qu'eUe dÔroule. Non pas effot extérieur de. la sensée mais pens6e elle·mêmo. P Et, par là. il so lait invisible ou pl'C~que. Il est en tout cas devenu si transparent à la repr6senta~lOn qu.ft son 6tre ce~e do {aire problème. La Renaissance a Brr&talt devant le fait brut qu'il y avait du languge : dans l'épaisseur du monde, un graphisme mêlé aux chosca ou courant au-dessous d'elles; dei sigles déposés 8ur les ~a,!uscrits ou sur ~es feuillets des livres. Et toutes ces marques mSI!tantes appelaient un langage Bocond _ celui du commentaire, de l'exégèse, de l'érudition -, pour laire parler et rendre enfin mobile ]e langage qui lommeillait eu elles; l'être du langrt~ précédait, comme d'un entêtement muet, ce qu'on pouvait llJ'e en lui et les paroles dont on le lai­IIIlÎt résonner. A partir du xvu· siècle, c'cst cette existence massive et intrigante du langage qui le trouve élidée. Elle n'apparaît plus celée dans l'énigme do la marquo : elle n'appa­l'IÛt ~s encore déployée dans la théorie de la signification. A la limite, on pourrait dire que le langage classique n'existe pas. Mais qu'il fonctionne : toute son existence prcnd place dans .son rôle représentatif, s'y limite avec exnctitude et finit pal' s'y épuiser. Le langage n'a plu8 d'autre lieu que ]a repré­sentation, ni d'autre valeur qu'en elle: en ce creux qu'eUe a pouvoir d'aménager. Par Il, le IllDgêlgc classique découvre un certain rapport à ltii·m&ne qui jUliqu'a}ors n'avait ét.é ni possible ni même conee­vablo. A l'égard de soi. le langage du XVIe siècle était dan. une posture de petpétuel commentaire: or, celui-ci ne peut s'exer­cer que s'il y a du langage, - du langage qui préexiste silen­cieusement au discours par lequel on essaie de le faire parler; pour commenter, il laut le préalable absolu dll texte; et inver­sement, si le monde est un entrelacs de marques et de mots, comment en parler sinon sous la forme du commentaire? A purtir de l'~ge classique, le langage se déploie il l'intérieur d!, la représentatIon ct. dans ce dédoublement d'eUe-mllme Tli la creuse. p~or~ai6, le Texte premiel' s'effaeo, et nv~c lu!, tout Je fond lnepUlliablo des mots dont l'être mu ct était msemdans ~es c~oses; lioulo demeure la rcpréllentation se déroulant danl e:, Blgnes verbaux qui la manifestent, ct devenant par ]à rfiscour!_ A l'énigme d'une parole qu'un second langage doit IQterp!eter s'est substituée Ja Wscllrsivit6 essentielle de ]8. repré- 8en~tlon : possibilité ouverte, encore neutre et indifférente, OUB que III discours aura 'pour tâche d'accomplir et de fixer. /:'. quand ce discours deVIent à lion tour objet de langage, OA
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    9' lAs mof3ee lu chose. no l'interroge pas comme s'il disait quelque chose sons le dire, commo s'il était un langage retenu sur lui-môme et une parole close; on ne cherohe plus Il faire lever le grand propos ênigma. tique qui est caché sous ses signes; on lui demande comment il fonctionne: quelles représentations il désigne, quela éléments il découpe et prélève, comment il anal)'Se et compose, quel jeu de substit.utions lui permet d'assurer son rltle de représenta. tion. Le commentaird ft fRit place Il la crit.iqlM. Ce rapport nouveau que le langAge instaure Il l'égard de lui­m~ me n'est ni simple ID unilatéral. Apparemment, la critique s'oppose au commentaire comme l'analyse d'une forme visible Il la découverte d'ml contenu caché. Mais puisque cette forme est ceUe d'une représentation, la critique ne peut analyser le 11111· gage qu'en termes de vérit6, d'exacti.tude, de propriété ou de valeur expressive. De là, le l'Ole mixte de la critique et l'ambi­guIté dont jamais eUe n'a pu se défaire. Elle mterrobre le llWgap GOmme s'il était pure fonction, ensemble de mécanismes, grand jeu autonome des signes; mais elle ne peut manquer en même temps de lui poser la question do sa vérit.6oudesonmensonge, de 8a transparence ou do 90n opacit6, donc du modo de présence de co qu'il dit dans les mots ~Rr lesquels illoreprésllnte. C'est Il partir de cette double nécosslté fondamentale que l'op· position du fond ct de la forme s'est peu à peu fait jour et a occupé finolement la place que l'on sait. Mais cette oppo­sition sans doute ne s'est cOllllOlidée que tardivement, lors­qu'au XIXe siècle le rapport critique s'est à son tour fragilisê. A l'époque classique, la critique s'exerce, SBns dissociation et comme d'un bloc, sur le rôle représentatif du langage. Elle prend alon quatre formes distinctes quoique solidaires et arti­culées l'une aur l'autre. EUe se déploie d'abord, dans l'ordre riOexif, comme une critique des moU : impossibilité de bâtir une scienoe ou ODe philosophie avec le vocabulaire l'8ÇUj dénon­ciation des termes ç6n6raux qui confondent ce qui est dictinct daD.8 la représentatIon et dB8 termes abstraits qui séparent ce qui doit rester solidaire; nécessité de constituer le trésor d'une langue parfaitement analytique. Elle 89 manifeste aussi dans l'ordre grammatical comme une analyse des valeu1'8 re{'résen­tatives de la syntaxe, de l'ordre des mots, de la constructlon des pm8!eS : est-ce qu'une langue est plus perfectio~née lorsqu'dIe a des déclinaisons ou un système de prépositions? est-il pre. férable que l'ordre des mots soit libre ou rigoureusement déter­miné? quel est le régime des temps qui exprime le mieux let rapports de succelsion? La critique S8 donne aussi son espaoe dans l'examen des fOnDU de la rhétorique: analyse des figuJ'Ù, c'elt·à·dire des typel de diacoun avec la valeul' expressive de
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    Porter 90 chaCUD,81l81y!!6 des Iropes, c'e.,t-t-dire des clifléreuta rappol'ts ur. It's mot.lI pcu,:ent entl'cteUll'. avec un mê"!6 cont~nu re~l'(r. ~nr.ntif (désignation par la pa~le ou le tout,l essenLlel ou lac­ces! lOirc l'événement ou la CircOnstance, la chose eUe-même ou ·&CS ~n!llo~tJ~s). Enfin la critique, en f~ce ~Il langage elt~­tant ct déjil é~rJt., 96 d,,?nne pOUl' tache ,de definar le rapp~rt qu 11 entTtlLicnt avec ce qu t1 représent.e : c est de colLe mawè1'8 que l'exligè~e d~s text.ell religioux: s'etit chargée à partirdllxvu6 sièole de mél.h(ldes critique9 : il na s'agissait. plus· on elret de redire ce qui avait été déjh dit en eux, muis de définir à travers quelles figures et images, en suivant qoel ordre, li quelles fins exproe­lIIives et pour dire quelle v6ri1.6, tel discours avait été tenu pBl" DitlU ou par les Pl'ophèt.e.'1 sous ln fonne qui nous a été transmIse. Telle e!!t dRn!! !ID diversité, la dimension critique qui s'ins­taure nllcessairement IO!MJUe le IBngage s'interroge lui-même li partir de sa fonction. Depuis l'Age classique, commentaire et critique s'opposent profondément. Parlant do langage eu tennes de représentations et de vérité, la critique le juge et le profane. Maintenant )e langage dans l'j1'l'Uption de son être et Je questionnlUlt en direction de 80n secret, le commentaire s'arrêle devant )'e!'earpement du texte préalable, et il se donne la tâche imJWIssible, toujours renoovelée, d'en répétel' en aoi la naissance : il Je sacralise. Ces deux façons pour le langage de fondel' un rapport à lui-même vont entrer dbormaiB dans une rivalité dont nous Ile sommes point sortis. Et qui peul-être se renforce de jour en joUI'. C'est que la littérature, objet privilégié de la critique, n'a ceBBé depuis Mallarmé de Be rapprocher de ce qu'est le lallgage en Bon 6tre même, et par là elle soUicite UD langtlge second qui ne soit plus en forme de critique maïa de comm~ntaire. Et en effet toua les langages critiques depwsle XlXe SIècle ae Bont oharg6ll d'exégàse, un peu comme les ex6- ~e!J ll'époque classique s'étaient cbargoos de méthodes cri­tIques. Cependant, tant que l'appartenance do langage ,. la reJl~!lr.ntation ne sera pas dénouée dans notre eolture 00 du mOiDS contournée, tous les langages seconds seront pris dans l'altemative de la critique ou du commentaire. EtiJsprolifêre­l'ont à l'inrmi ùans leul' indécision. Il. LA. an .... "M.Ul. GBNi.AL. ti L'existence du langage one lois êüdêe,seulsuhsiste sou fonCo OllDcment dans ]a représentation: sa nature et ses vertus d.
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    96 Lu muuet lilS C'IO!lU dUcoun. Celui-ci n'est rien de plus que la reprê5entation die­m6me représentC:e por des signes verbaux. Mais '{.,clle C5t dOllg la particularité de ces lignes, ct cet otrange pouvoir qui Jour permet, mieux que tous les autres, de notor la représentation, de l'analyser et. de la recoJllposer? !'arnù toules sysLèlllos de signes, quel est le propre du laugage? Au premier examen, il est. possible de d6Hnir les mots par leur arbitraire olllellr earaeL~rc collectif. En sa racine première. le langage est fait, comme dit Hobbes, d'un Bystème de notes que les illdividus ont. cboisies d'abord pOUl' eux-mêmes : par oes marques, ils peuvent rappeler les représentations, les lier, les dissocier et opérer sur cllos. Cc sont ccs notes q'.l'une conven­tion 011 une violence ont imposées à la collectivité 1; mais d6 toute façon le Bens des mots n'appartient qu'à la représentatiou de cbacun~ et il a heau être accept6 par tous, il n'a d'autre exis­tence que dans la pensée des individus pris un il un : c C'est des idées de celui qui parle, dit Locke, que les mots sont les signes, et personne ne peut les appliquer immédiatement comm. aignes à autre chose qu'aux idëes qu'il a lui-même dans 1".­prit 1 ». Ce qui distingue le langnge de tous les autres signos et lui permet. de jouer dans la représentation un rôle décisif, ce n'est donc pas tellement qu'il soit individu.el ou ~ol1eetjf, Jl3.tu­rel ou arbitl'llire. Mais qu'.il analyse la représentation Belon un ordre nécessairement successif: les sons, en eiret, no peuvent être articul~s qu'un à un; le lllllgage ne peut pas représenter la peusée, d'emblée~ en sa totalité; il faut. qu'il la disposo partie par partie selon un ordre lilléaire. Or, celui-ci est étmngor à la l'8présentation. Certes, les pensées se succèdont dans ]e temps, :lI1ai8 chacuno forme une unité, soit qu'on admotte aven Condil­lao a quo tous lea élémenta d'une représentation sont donnés en un instant ct que seule lu réllexion peut les dérouler un il un, Boit qu'on admette avec Destutt do Tracy qu'ils se succèdent. avec une rapidité si grande qu'il n'est pratiquement pas pos­Blnle d'en observer ni d'en retenir l'ordre t. Ce sont ces repré· sentations, ainsi resserrées sur elles-mr:mes, qu'il taut dérouler dans les propositions: pour mon regard, c l'éclat e!lt intérieur li. la J'Ose Ij dans mon discours, je ne peux évitcr qu'il la précède ou la suive 6. Si l'esprit avait pou"oir de prolloIlcer les jùéea 1. Hot.lJes. 1.1)111'111', "Je. cU., p. Il07-6OS. 2. Loçko, ESlIllf ,"r '·En/llle/.mini humain (lr:ad. Coste, 2" ,..d •• Amslerrllm, l'nll) , p. 321)·321. 3. Comlill:tc, Grammaire (oellrr~ .• , l. ..... p. 39-10). 4. Deslult ù" Trac)', J111n1t111, rl'1Uiolu!Ji" l. 1 (l':orli, lUI IX). 5. U. J)omerguD, Grammaire g~ntral' ulllllytique (l':lrls, BR VII), (. r, p. 10-11.
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    Parler 97 «cOIIIOle il lClI a}Jcl'çoi, -, il ne lait aucun duute qu', U lei pro­noncerait. toutes Il la foie 1 -. Alai. O'lIst cela justement qui n'e&t pas possible, car, si .la pen. est une opérat.ion .imple -, « son énollcintiQu est une opération succeSliivo 1 _. Lk réside le propre du languge, Ce qui le distingue Il la fois de la reprêsentat.lun (dvnt iln'ellt pourtant" son tour que la représentation), ct. dOR 8igrll~s (uuxquels il appartient sans autre privilège singulier). Il ne s'0)lpuso pas à la pemée comme l'extérieur Il l'intérieur, ou l'expl'tJ~siun à la réflexionj il ne .'oppose pas aux autres signes _ gestes, pantomimes, versions, peintures, emblèmes a - commc l'arbitraire ou le collectif 8U naturel et au singulier. Mais à tout cela comme le successif au contemporain. n est ù la pensée ct aux sigues ce qu'est l'algèbre à la géométrie: il liubstitue Il la cOlnparaisun simultanée de!! parties (ou des grandeurs) un ordre don.t on doit parcourir les degrb les un. apri:1I les autres. C'est en ce sens Itrict que le langage est arllllyse de la pensée: uon pas simple découpage, mais instaura­tion prufonde de l'ordre dans l'espace. C'est là que se situe ce domaine épistémologique nouveau qUI! l'âge classj'Iue a oppelé 10 , grammaire générale J. Ce serait CUlltn:seJlS d'y voir seulement l'opplicalion pure et simple d'une logique il la 1.héorie du langage. Mais contreseus êgalemeut de vuuloir y déchifIrer comme la p1'éliguration d'unu linbruÎs­lique. La Grammaire gé,urak. c'es' l'éluds dB L'ordre parbal daM srm rappurt ri la $itUldtIJrJéi~é qu'.Jla li polJ1' charge da représente,.. Pour ubjet. propre, elle D'a donc ni la pensée ni la langue : wais le dillcuurs eulendu comIRe suite de signes verbau."C. Cetta suite Ilst artificielle par rapport à la simultanêité des représen­t. atioHs, et dao. cette mesure le langage s'oppose ft la pcnsée comDlllle réfléchi à l'inuuédiat. Et pourtant cette suite u"est pas la mêmu dans toutes les langues: certaines placent l'action au nù1ieu de la phrase; d'autres à la finj certaines nomment d'abord l'objet principal de la reprêllelltatioD, d'autres lei cir­cOllstancos accessoires; comme le [ait remarquer l'Ellcyclopéd,~, ce qui rend les langues 6traugères opaque» les UIleS aux autre. et. si dilliciles à traduire, plus que la dillérellce des Illotsl c·ellt l'weowllatibilité de leur succtssiOIl c. Par rapl,ort. à l'ordre évi­dent, nécessaire, universel, que la sciencel at sw.,,"Ulièremeüt l'algèbre, introduisent dans la représentat.ioll, le lauguge eIIt 'pon.tané, il'1'éfléchij il est comme Dl1tureL U est aussi bien, et 1. Condillac, Grammaire (OEulR'u, L V, p. 3!~G). 2. Abbé Slel1rd, eitmenl, de I"lmmlJlre /lln/Nlle (So ~d., Pllrl~, 1809), 1. U, p. 113. 3. G.r. Destutt. de Trally, Ellmenl. d'Jdlologic, L 1 p. ~GI·2G!). 4. I!.nc!;clupldit, llr~ll:hI • Lunilui o.
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    98 Lu mots,r les chose selon le point de vue sous lequel on l'envi9age, une représenta­tion déjà analysée qu'une r6tlexion li l'étl1t souvage. A vrai dire, il est le lien concret de la représentation à la réflexion. Il n'est pas tant l'inst.rument de communication des hommes entre eux, que le chemin par lequel, nécessairement, la repré­sentation communique nvec la réflexion. C'est pourquoi la Grammaire générale a pris tant d'importance pour 10 philosophie au cours du xvm8 siècle: elle était, d'un seul tenant, la (orme IIponlanée de la science, comme une Jogique incontrôlée. de l'espri1.1 et la première décomposition réfléchie de la pensée: une det; plus primitives ruptures avec l'immédiat. Elle constituait comme une philosophie inhérente à l'esprit - «quelle méta­physique, dit Adam Smith, n'a pas été indispensable pour for­mer le moindre des adject.ifs 2 JI. - et ce que toute philosophie devait reprendre pour retrouver, à travers tant de choix divers, l'ordre nécessaire et évident de lu représentation. Forme init.iale de toute réflexion, thème premier de toute critique: tel est le langage. C'e!11; cette choso ambiguë, aussi large que la connais­sance, IDIlis toujours intérieure li. la représentation, que la Gramrnai.ra générale prend pOUl' objet. Mais il faut tout de suite tirer un certain nombre de consé· quences 1. La première, c'est qu'on voit. bien comment se par­tagP. nt à l'époque classique les sciences du langage: d'un eût#: la Rhét.orique, qui traite dcs figures et des tropes, c'est-à-dire de la manière dont le langage se spatialise dans les signes ver­baux; de l'autre la grammaire, qui traite de l'articulation et de l'ordre, c'est-à-dire de la manière dont l'analyse de]a représen­tation se dispose selon une série successive. La Rhétorique définit la spatialité de la représentation, telle qu'elle IlaU avec le langage; la Grammaire définit pour chaque langue l'ordre qui répartit daos le temps cette spatialité. C'est pourquoi, comme onle verra plus loin, la Grammaire suppose la nature rhétorique des langages, même des plus primitifs et des plus spontanés. 2. D'autre part, la Grammaire, comme réflexion sur le lan­gage en général, manifeste ]e rapport que celui-ci entretient avec l'universalité. Ce rapport peut. recevoir deux formes selon qu'on prend en consid6ration la possibilité d'une Langus uni­~ ar8elle ou d'un Discours universel. A l'époque classique ce qu'on désigne par la langue universcllc, ce n'est pas le parler primitif, inentamé et pur, qui pou1Tait restaurer, Bi on le retrouvait par-delà ]es châtiments de l'oubli, l'entente d'avant Babel. TI s'agit d'une langue qui serait susceptible de donner à chaque 1. ConniJIac, Grammaire (OEuvru, t. V, p. 4-5 et 67-73). 2. Adam SmiUl, C6Midirolion. lIur l'originr dia formation du lllngue.. (trad. lrançab., 1860), p. ·HO.
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    Parler 99 représentationet à chaque élément do chaque représentation le signe par lequel Hs peuvent être marqués d'une façon uni­voque; oUe serait capable aussi d'indiquer de quelle manière les éléments se composent dans une représentation et comment ils sont Iiéll les uus aux autres; possédant les instruments qui permetteut d'iudiquer toutes les relations éventuelles entre les Icgment.s de la représentation, eUe aurait par le fait même le pouvoir de parcourir tou le6 ordres possibles. A la fois Caraco téristique et Combinatoire, la Langue universelle ne rétablit pas l'ordre des anoiens jours: elle invente des signel, une syntaxe, Ulle grnmmoiro où tout. ordre concevable doit trouver Ion lieu. Quant au Discours unive1'8el, il n'est pas non plus le Texte uuique qui conserve dans le chilIro de SOD seoret la clef dénouant tout savoir; il est plutôt la pussibilité de définir la marche nat.urel1e ct nécessoU'e de l'esprit depuis les rop,6t1entations le8 plus simples jusqu'aux analyses les plus fines ou aux combinai SOp.s les plus complexes : ce discours, c'est le savoir mis dana l'ordre unique que lui prescrit son origine. Il parcourt tout le chalnp des connaissances, mais d'une manière en quelque sorte souterraine, pour en faire surgir la possibilité Il partir de la représentation, pour en montrer la naissance et en mettre à vif le lien naturel, liuéaire et universel. Ce dénominateuJ' commun, ce fondement de toutes les connaissances, cette origine mani­festée en un discours continu, c'est l'Idéologie, un langage '{Di redouble sur toute 8a longtaeur le fil spontané de la connats­sance : 1 L'homme par 88 nature tend toujours au résultat le plus 'prochain et le plus pnHisant. Il pense d'abord à ses besoins, enswt.o à ses plaisirs. n s'occupe d'agriculture, de médecine, de guerre, de politique pratique, puis de poésie e~ d'arts, avant quo de songer à la philosophie; et. lorsqu'il fait retour sur lui­mÔme et qu'il commence à réfléchir, il prescrit des règles li. son jugement, c'est la logique, à ses discours, c'est la grammaire, .. ses d69Ïrs, etest la morale. Il 80 croit alors au sommet de la tMorie Il; mais il s'aperçoit que toutes CBS opérations op.t c une Bouree commune _ et que 1 ce cent.re unique de toutes le. vérités est la connaissance de ses facultés intellcct.uelles 1,. La Caractéristiqueunivcrscllc et l'Idéologie s'opposent comme l'uni.vcrsalité de la !angue e~ général (elle déploie tous les ordres possibles dans la sIDlUltanéitè d'un seul tableau fondamental) et l'universalité d'un discours exhaustif (il reconstitue la genèse Unique et valable pour chacun de toutes les connaissancea pos­sibles en leur enchalnement). Mais leur projet et leur commune tl0ssibilité résident. dans un pouvoir que l'âge classique prête au 1. Dest.utt. de Trac" SlémIJrI" d'/d'al0l_, préface, L J, p. '"
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    100 Lell motset les c1uMe, langago : celui de donner des signes adéquats à toules les repr'" Bcntations quelles quOelles soitlnt. et dOéta'blir entre elles tous les liuns possibles. Dans la mesure ot! le Jangage peut repré. sonter toutes les représentations, illl!it de plein droit l'élément de l'universel. Il doit y avoir un langage au moins polisible qui l'ecucillc entre ses mots ln totalité du monde et mven .. ment, lc monde, comme totalité du représentable, doit pou­voir devenir, en son ensemble, une Encyolopédie. Et le grand rève de CLaries Bonnet rejoint là ce qu'est 10 langage dants son lieu et SOli appartenance à la représcntat.ion : c Je me plais à envisager la multitude innombrable des Mondes comme autant de livres dont la colltlclioll compose l'immense Bibliothèquc de l' Univers ou la vraie Encyclopédie universelle. Je conçois que la grndat.iun mervuilleuse qui est entre ces diJTérents mondes fac.:i1ite aux intelligences supérieures à qui il a été donn6 de les parcourir ou plutôt de los lire, l'acquisition des vérités de tout genre quOil ren(erale et met dan» leur connaissance cet ordre eL cct tlUllhatnoOlent qui en foot la principale beauté. Mais ces Encyclopédistes célestes oe possèdent pas toua au Dl~me degré l'Encyclopédie de l'Univers; les WlB o'eo possèdent que quelques branches j d'alltres en possèdent un plus grand nombre, d'autres en saisissent davantage oncore; mail! tous ont l'éter­nit6 pour accroître et perfectionner leurs counaissançes et déve­lopper toutes leurs facultés 1 •• Sur ce fond d'WleEncyclopédie absolue, les humains constituent des fonncsinterlllédiaires d'uui­' V'crsalité composée et limitée·: Encyclopedies alphabétiques qui logent la plus graode quantité possible de connaissances dana l'ordre arbitraire des lettres; pasigraphics qui permettent de transcrire selon un seul et même système de figures toutes les langues du monde 1, lexiques polyvalents qui établissent les Il)'llonymies entre un Donilire plus ou Dloins considérable de languelii enfin les encyclopédies raisonnées qui prétendent • exposer autant qu'il est possible l'ordre et l'enchatDemcnt des l:unnaissl1nees h1.UDilines:t en examinant .Ieur généalogic et; leur filiation, les causel qui ont dû les faire naître et les carac­tères qui les dist.inguent a :t. Quel qu'ait été )e caractère partiel de tous cet; projou, quelles qu'aient J)U êl1-e les circonstAnces empiriques de Jeur entr6yrise, 10 fundemeut de leur p05sibi­liLê dans l'6pia&émè claSSique, c·etit. que, Iii l'être du langage était. tout entier ramoné à Bon !oucLionl'1Clllent daus la repré- 1. Ch. BIIWlet, Conlempluliun. de la nalure (lEullr" coml'l;Ju, . IV, p. 136, not.e). 2. cr. DefLuU. de TrllCf, Mbnofru de ""'cudllmie d" Sclrtl'" ffllJralt' cl poli/iq"t., l. III, p. !i35. 3. V'AlIUILed, bUI:Il11n prélimi,."irc de l'Encyclopédie.
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    Parkr 101 Icntat.ion.celle-ci n'avait. en revanche de rapIlor, <l a'uluver­sel que par l'intermédiaire du langage. 3_ COlwaissance et. lan~age lont. strictement elltrecroÜiés. Ils ont, dans la représentBtlOn, même origims et mÙllle J)rincil'c de {ullct.ionuement; ils s'appuient. l'un l'uutre, se complètllut eL se critiquent incessamment. En lour Lorme la plllll g{mérule. connRttro et parler consistent d'ubord h analyser le silllultaué de la rcprétitmtation. à cn distinguer les éléments, à établir les relations qui los combineut. les successions possibles selon les­quelles on peut les déruuler : c'ellt dans le même mOUVllwellt que l·c~prit. pUI-Ie et conuait, c c'est l'ur les nH~mf'.s procédos qu'oll apprend à parh:r et qu'ou découvre ou les principes dll Iyst.èmc du monde ou ceux des opérations de l'esprit humain, c'est-à-dire tout ce qu'il y a de iublime dans nos connais­Bances 1,. M'ais le langage Il'elit cowlaissance que sous une forme irréfléchie; il s'impose de l'extérieur aux individus, 'Ju'il guide hon gré mal gré vers des uotious concrètes ou abstraites, exactes ou peu fondées; III connais:.ance. ell revanche, est comme un langage dont cbuIJUIs mot aUl'llit été examiné et chaque relation vérifiée. SavoU', c'est parler CUlwne il Caut et comwe le prescrit la démarche certaiue du l'esprit; parler, c'erst lIavoir comme on {leut et sur le mudèle qu'imposent. ceux dont on partage la naISsance. Les scienoos sout des laugues bieu Iaiteli, dans]a mesure même où les langues son~ de:; scielll':es ell friche. Tout.e lawgue est donc à reluire: c'est-à.-ilire à expli­quer et à juger ell partant de cet ordre analytique que nulle d'untre eUu5 ne suit exactement; et à réajuster ovuut.uellemel1t pour que la chalue des coDIlaissllnces puisse apparaltre en toute clarté, saIlli ombre Ili lacune. Ainsi, il appartient à la nature Dlome de la grammaire d'être prescriptivc, non pas du tout pan"e qu'elle voudrait imposer les Ilormes d'un beau langage, fidèle aux règltlli du gollt, mais paree qu'eUe réfère la possibi lit.é radicale de parler à la ID.Û;C en ordre de la représentation. De~tutt de Tracy devait Wl juur remarquer que les meilleurs tt'alLés do Logique, au xvm8 siècle, avaient. été écrits par des ~~uUlHirjens : c'est que lCI:i presCl'Ïptiouli de la grammaire etaleut d'ordre analytique, 11011 ~thétiquç. Et cct~e appartenunce do la langue au savoir ljbère tout. un champ }lIstonque qui n'avait pas ~xhMl aux él'0quc~ précé­deu~ eB. Quelque chose COUlme une histoire de la coullaillSnnce deVient possible. C'est que Bi la langue est une science .pon­taIlée, obscure à elle-même et malhabile, - elle eat en retour perfectionnée par leI connaissances qui Ile peuvent lie dépo!'er 1. De5tull di! Traçy, ItCëmCIll' fl' lJMogic, l. J, II. 24.
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    102 dans ltml'5J1'Jots san!! y laissor JOlll' trace, et comme l'empla. cement vide de leur contenu. Les langues, &avoir imparfait, sont la mêmoire fidèJe de son perfectionnement. Elles induisent Ch erreur, mais eUes enrew!ltrent co qu'on a appris. Daus Jeur ordre d6sordollllê, elles ront nnttre de fausses idées; mais les idées vraies déposent en elles Ja marque inclTaçable d'Wl ordre Clue )e husal'd n'aurait pu il lui senl disposer. Ce que nOllll laissent 118 civilisations et les peuples comme monum6ots de leur peusée, ce ne SOlit pas tellement les textes, que les voca­bulaÏ1' cs et ]es synt.axes, les son!!! de Icurs lunguos plutÔt quo les paroles ~U'jj5 ont prononcée!!!, moins Jeurs discours que ce Clui Jes rendit possibles: la discul'!'ivilé de Jeur langage. 1 La langue d'un peuple donne son vocabulaire, ct Bon vocabulaire est une bible uStiez fldèle de toutes les connaissances de ce pcu. pIc; snI' ]n seule comparaisou du vocabulaire d'unc nation en dillércnf,8 tem(ts, on se formerait uue idée de ses progrès. Chaque science fi Bon nom, c]Jaque notion dans la science 8 le sien, tout ce qui cst connu dans ]a Dature est désigné, ainsi que tout ce qu'on invente dans les arta, et les phénom~nC8, ct les manoeuvre!l, et les instrumental/l. De là, la possibilité de faire une histoire de la liberté et do l'esclavage à partir des langues', ou encore une histoire des opinions, des préjugés, des super­Itilions, des croyances de tout ordre dont les écrits témoignen' toujours moins bien que les mots eux-même5 1• De là aussi le projet de Caire une encyclopédie Il des sciences et des arts 1 qui ne suivra pas l'enchll!nement des connaissancos elles-mêmes, mais se Jogera dans la forme du langage, h l'intérieur de l'es­pace ouvert dans Jes mota; c'est là que les telllos à venir cher­cheront nécessairement ce que nous avons su ou pensé, car los mots, en leur déeoupage mute, sont répartis sur cette ligne mitoyenne JlOT quoi la science jouxte ]8 perception, et la l'éRexion lcs images. En eux ce qu'on imagine devient ce qu'on sait, et cn revanche, ce qu'on sait devient ce qu'on se repré­sente tous Ics jOlll'B. Le vieux rapport au tt.r:te pal' quoi ]a Renaissance définisBait l'érudition s'est maintenant. trans­formé : il est devenu à l'Age classique le rapport au pur 61ément de la kmgus. On voit ainsi s'éclairer 1'61ément lumineux dans lequel Çom- J. Diderot, Article. Encyclopédie, IÙ rEn~rlopUl., l. V, p. G:l7. U 2. nOU1scau, Huai,ur foriginc dt' langue, (OEuvres, Paris, JS26, l. XI , p. 220-221). 3. cr. ltlichaelis, De l'jnfluuae. dei oplnlom ,ur le langagfJ (1159; trad. française, P:lrls, 1762) : OD snit pal' le seul mot de ao;oe que IllS Grecs IdeDtI­Rent Ja glolro et l'oplnloJl; eL pa, l'expre.'I3ion da Clsbs OeIt·ilItr que lai Germains cro:yeient. !lUX Tllrtu8 fbndllltei de l'orngfl (p. 24 et. 40).
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    Parler 103 .lIont de plein droit langage et connaissance, discours ~unl~it ut savoir, langue universelle et analyse de la pensée, !~~ ire des hommes et sciences du langage. Même lorsqu'il ~15.~ destiné li la publication, le savoir de la ReIUlillBance s,e d~~l o!luit selon un espace clos. L' Il Académie - êtait. un cercle f;;!;lê qui PT?jctait à la surface des c0!1fi~ratious sadules l!l f rme osseutlellemellt secrète du laVOir. C est que ce savoll' 8~lIit our tâche première de faire parler d.es sigles muets : il lui fullait en r,econnattre les fo~mes, les lDterpr6t~r et. les retranRcrire en d autres traces qUI k leur tour deVluent. êt.re déchilfrêt'Si de sorte que même la déeouverte du secret n'échap-oit pHS li cette disposition en chicane qui l'avait rendue k 1. fuis si dillicile et IIi précieuse. A l'Age classique, connattre e parler s'enchevêtrent dan. la même trame : il s'agit pour le savoir et pour le langage, de donner li. la représentation des lignes par le~quels on puisse la dérouler selon un ordre néces­laire et visible. Quand il était énoncé, le savoir du xvt8 siècle 6t.ait un secret mais partagé. Quand il est caché, celui du XVIlO et du XVIIIe siècle ost un discours au-dessus duquel on a ménag6 un voile. C'est qu'il est de la nature la plus originaire de la soience d'entTer dans le syatème des communications verbales 1, et de celle du langage d'être connaissance dès son premier mot. Parler, éclairer et savoir sont, au sens strict du t~rme, du m_ ordre. L'intérêt que l'Age classique porte à la science, la publi­cité de ses débats, Bon caract.ère fortement exotérique, son ouverture au profane, l'astronomie fontenellisée, Newton lu par Voltaire, tout ceci n'est sailli doute rien do plus qu'un phi­Dowme sociologique. n n'a pas provoqué la plus petite alté­ration dans l'bistoire de la peusée, pas modifié d'un pouce le devenir du savoir. n n'~li~e rien, sauf bien sllr au niveau doxographique où en effet il faut le situer; mai. sa condition de possibilité, elle est Ill, dan. cette appartenance réciproque du .sav~i.r et. du langag~. Le xrxfl siècle, plus tard, la dénouera, et il lm aravera de laisser l'ml en face de l'autre un savoir refermé lur lui-même, et un pur langage, devenu, en son être et sa. fonction, énigmatique, - quelque ohose qu'on appelle, deP!l1s c!ltte époque Littérature. Entre lOB doux S8 déploieront ~ l'Infini les langages intel'lDédiaircs, dérivés ou ai l'on veut échus, du savoir aussi bien que des oeUVl'9s. qUI. ~n coo!ildilre (Cf. par exemple Warburwn, B.1fi ml' lu "llroglgp~$. • ti&voll des Anciens et lI1II'Out dllll ~t.iens n'I pRI éU d'allurcl :~~~fUbIiC/. mals que d·abord bU! encommun.l1tu~ell,ulte eonllaqu6 du .avo~ ~YesU par Illa plit~ L'êIotéri!me, Jolnd"1oIIl la forme premi~ftl Ir, n eu. eaL qUI la perversion.
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    104 Lt!-I muuet lu chUllu 4. Paree llU.'ilc:it devenu all81yse et ordre, le Ir.tngagu hOUe aVeG lu temps dus rappurta jus'Iue-Ià. inédits. Le XVIii siècl .. admettait que 1l1li langues 118 .u.ccwaient. dans l'histoire et. pouvaiont s'y engendrer l'wie l'aut.re. LeI plu. anciennes 6tnitlt les langues mères. De tout.es la plus archaïllue puisquu c'étaiL la longue de rÉtllmel qUllnd il s'lldreSlilJit (mx hommeti, l'hé­breu plissait pour livoir dOJlIlê uaisHaUle au syriaqullI et li rarabe. puis venait ]e grec dont lu copte êtait issu ainsi que l'ébryptiell~ le lotin aV8i~ dans 50 filiation rit.aliefl, l'espagnol et le françai~: enfin du « teutonique - d6rivaiont l'llUewaud, l'anglais et. I~ Damand 1. A panir du xvue siècle, le rapport du langage au temps s'inverse: celui-oi no dépose plus lus parlers à tout' do rôle daIllll'histoire du monde; ce sont les langages qui déroulent les représentations et les mots selon une succession dont. eux­l11~ U1eS définissent la loi. C'est par cet ordre interne et l'empla~ WUl81lL qu'elle réserve aux mots que chaque langue dêfinit 88 spécific:ité. Et Don plus pauaplace dans uncsériehistoriquc. Le telUpli ~t pour le langage 80n mode intéricur d'analysci 116 n'el:!t pu IiUU lieu de naissance. De là le peu d'intérêt que l'üge c1aSlii'lue a porté à la filiation chronologique, nu point tlil Dier, coutre toute« évidence - - c'est de ln nÔtre ~l1'il s'agit - la {'BrllULu de l'italien ou du français avec le latin • A de tellf'.S sénes qui exilStaieut au xne siècle et réapparaîtront au X.IX", on substitue des typologies. Et ce sont celles ùe l'ordre. Il y a le groupe des langues qui placeut ù'abord ]e 9uje~ dont on parle; pma l'action 'lui est entreprise ou subie par lui; enlin l'agent sur lequol il l'exeroe : témoios, le rran~ais, l'anglais, l'espagnol. En faoe, lit groupe des langues qui font 1 précéder tantôt l'action, tant.6t. l'objet, tant6t. la modification 011 la circonstance»: le latin par exemple ou r «elil:lavon. dans lea­quels la fonction du mot n'est. pail indiquée par sa place mois 8a Jlexion. Enfin, le troisième groupe est. Carmé par les langues mixtes (comme le gree ou le teut.onique), 1 qui tiennent des deux autres ayant un article et dea oas Il _. Mail:! il faut bieD çOlIJpren~e que ce n'est pas la presence oul'~sence desJlexi~ns qui défiuit pour chaque langue l"ordre possible 01 néce3SUll't) de »88 mots. C'est l'ordre comme analyse et alignewent su~· ceasif de. représentationa qui forme le préalable et presel'It J. E. Guiehard, l1armonie ~lgmo/ogifl1t: (1606). Cf. des e11WlnC8U~nB. dl memo t.ypo dans Sçaligllr (Diatribe de Europaeorum Iingul8) ou Wilkins, ..4/1 _fi .toll'Gl'd6 ,etJi dr/JNelu (Lundre!i, 16118), p. 3 Jq. . 2. Le Dilln, Thb1rie nouueiMJ al la plU'IIlfl (ParhI, .750). Le latin n'aurait. &nDliUUS t .'1t.alleu, à l"e8papol et au fran!;llÎa qu", c J'hériLage do qutllqUei PlOU.. , 3. Abb6 Girard, lM Yroll PrIRl:i~. d.'a langue /,lInW611t. (Paria. 1741" L 1. p. 2'l--2!i.
  • 100.
    Parler 105 d'utiliserdes déçli~ailo.ns ou des a~~icJes. Les lang,ues q~iluiveDt l'ordre 1 de l'imagmation et de IlDt~rêt » n~ detenmnent pas de place constante poUt' les mots : ellos dOivent !e~ marque~ l' des flexions (ce .ont lei langues 1 tranlposlt.lves .). S. :: reVAnche elles 8uivent J'ordre uniforme de la réflexion, il leur suffit. d'indiquer par un article le nombre et le genre des 8ubstanifs' ]a place dans l'ordonnance analytique a en elle­m6me une 'valeur fonctionnelle : ce sont les langages 1 ana­logues 1 •• Les langues s~apparentent et ~ distinguent s~r le 81,loou des types possIbles de SUCcesSIOn. Tableau qw est einmlLaué, mais qui I!uggère queUes ont été les lllngues los plus anciennes: on pout admettre eu elTet que l'ordre le plus 81,on­tané (c~lui d~s images et des passions) a dft précéder 10 plus réfléchi (celui de ln logique) : la datation externe est eommand6e par les formes internes de l'analyse et de l'ordre. Le temps est devenu intérieur au langage. Quant à l'histoire mÔme des langues, eUe n'est plus qu'éro­sion ou accident, introduction, rencontre, et m6langes d'él~ ments divers; elle n'a ni loi, ni mouvement, ni nécessité propres. Comment la langue grecquc, par exemple, 8!;t-elle formée? Il Co BOnt des marchands de Phénicie, des aventuriers de Phrygie, de Macédoine et d'Illyrie, des Galates, d66 Scythes, des bandes d'exilés ou de fugitifs ~i chargèrent. le premier fond de la langue grecque de tant d espèces de particules innombrable~ et de tant de dialectes 1 Il. Quant nu français, il est fait. de Doms latins et gothiques, de tournures et de constructiolls gauloises, d'articles et de chiffres arabes, dc mots emprunt.és aux anglais et aux italiens, à l'occasion des voyages, des guerres ou des conventions de commerce -. C"est que les longues évoluent J,ar l'elTet des migrations, des victoires et des défaites, dl1s modos, des échanges; mais Don point par la lol'CC d'une historicité qu'clics détiendraient d'eUes-mêmes. Elles n'obéisstmt li aoeun princi~e int~mc de déroulement; ce sont elles qui déroulent Jo long d IIne ligne les repré5entations ct lcu1"5 élément!!. S'il y Q J'ïur .Ic!'l l;'ln~e5 llll temps qui o~t positif, ilue faut pa!! le du:r-d Ç mr a l'extérieur, du côté de l'histoire, mais dans l'ordOlllHlJlCC es mots, au creu.~ du discours. 1 On peut c!rcoDScrüc maintenant. le champ épistémologique de a Gramnu.nre gén6rala, qui est apparu dans la seconde moitié m~i~su; ce problèll!e el tes discussions qu'il a I01IlllYles, cr. D!I'IZM. Gram­l'int. tr~o"U: (Pans, 1767); abbé BaUeux, NOWH:lcmmen du prijugt de (paris, 1;71)~ris, 1767li abb6 d'Olive', BtlJflZlTlU" ,ur la ltmgue/ran,ai .. ~.• t:b~o,I !'...J ac.l,U Chpe., 2L3a. Aféaznil[tlc fi" lDngu" (ritld. de 1811), p. 16.
  • 101.
    106 du XVIIesiècle et s'est effacé dans les dernières années du siècle suivant. Grammaire générul~n'elt point grammaire comparée: les rapprochements entre los langues, elle nc les prend pas pour objet, olle ne les utilise pas comme méthode. C'est que sa- géné­ralité ne consiste pas à trouver des lois proprement grammati­cales ~i seraient communes à tous les domainlls linguistiques, et forolOnt apparaître, en une unjt.é idéale et contraignante, la st.ructure de toute langue po~sible; ai elle est générale, c'est dana la mesure où elle entend faire apparattre, au-destious des règles de la grammaire, mais au niveau de leur fondement, la fonct.ion représentat.ive du discours, - que ce soit la fonction verticale qui désigne un représent.é ou celle, horizontale, qui le lie sur le môme mode que la pensée. Puisqu'elle fait apparultre le langage comme une J."eprésentation qui en articule uno autre, elle est de plein droit c générale 1 : ce dont elle traite, c'est du dédoublement intérieur de la représentation. Mais pui."'que cette articulation peut 86 faire de bien des manières différentes, il y aurll, paradoxalement, diverses grammaires générales : cene du français, de l'anglais, du latin, de l'allemand, etc. 1. La grammaire générale ne vise pas à définir les lois de toutes les langues, mais à traiter, il tour de rôle, choque langue particu­lière, comme un mode d'articulation de la pensée sur eUe·même. En tout.6 langue prise isolément la représentation se donne de! • caractères -. La gramlllllire générale définira le systèmo d'identités et de diflérenccs que supposent et f!.U'utilisont ces caractères spontanés. Elle établira la ta:r:inom&6 de chaque langue. C'est-à-dire ce qui fonde cn chacune d'elle la possibilité de tenir un discou1'5. De là ]es deux directions qu'olle prend nécessairement. Puisque le discours lie ses parti cs comllle la représentation ses éléments, la grammaire générale devra étudier le fonctioIUlI'I­meut représentatif des mots les uns par rapport aux auucs : çe qui suppose d'abord une analyse du lien qui noue 101i naots ensemble (théorio de la proposition et singulièrement du verbe), puis une analyse des divers types de mots et de la Inanière dont ils déoolll,ent la représentation et IiC -distinguent ent.re eux (théorie de l'art.iculaLion)_ Mais puisque le discours n'est pas liiwplement un eDllemble représentatif, mais une repré­sentation redoublée qui en d6signe une autre - celle-là même qu'elle reJIlêsente -la gralDluaire générale doit étudier la 1. cr_, par exemple, Bumor, G1'IlIIllPlain frvJ,,~ist (porla, 1723, nouVIlUe Mition). C'IlIi!. pourquoi, 61a Bn du :II:YUI·, on prerërer& 1·BXPreuiun.~3m­maire philllsophiqul! 1 fi celle do grnmmllire génénl .. , qui l5emlL clllie dl toutes les )lIJIgUC8 a; D. Thlébault., G1'Ilmmllll't philOIIOphi'luC (l'ariS, 1802J. L. J, p. 6 et 7.
  • 102.
    Parler i07 manillredont les mots délignent ce qu'jls disent, d'abord dans leur voleur primitive (théorie de l'origine et do la racine), puis dans leur capacit6 permanent.e de glissemont, d'extension, de réorgllnill8tion (théorie de l'espace rhétori'lue ct de la déri­vation). ur. LA TBt01UB DU vBnas La proposition est au langage ce que la reprêsent.ation elt l la pensée: sa forme à la foisla plus générale et la plus élémen­taire, puisquo, dès qu'on la décompose, on ne rencont.re plua le düicoul'9, mais lies éléments comme autant de mlltérulla dillperses. Au-dessous de la proposit.ion, on trouve bien des mots, mais ce n'est pas eu eux ~e le lauga~ s'accomplit. Il est vrai qu'à l'origine, l'homme n ft poussé que de simples cris, mais ceux-ci n'ont commencé à ~tre du langage que du jour où i1s ont enlermé - ne tilt-ce qu'à l'in1.6l'ieur de leur mono­syllabe - un rapport lJui était de l'ordre de la proposition. Le hurlement du primltif qui se débat no se fait mot véri­table quo s'il n'est plus l'expression laté1'81e de sa liouffrance, et s'il vaut pour un jugement ou une déclaration du type : c j'étouffe 1.. Ce qui érigo le mot comme mot et le dresse debout au-dessus des cris et des bruits, c'est la proposit.ioD cachée en lui. Le sauvage de l'Aveyron, s'il n'est pns parvenu à parler, c'est que les mots sont restés pour lm comme les lDarquc5 sonores des choses et des impressions qu'cne." fai­saient en son esprit; ils n'avaient pomtl'eçu valeur de propo­sition. n pouvait bien prononcer le mot .: lait. devant le bol qu'on lui offrait; cc n'était là que 1 l'expression confuse de ce liquide alimentaire, du vase qui le contenait et du désir qui en était l'objet 1.; jalnais le mot n'ost devenu Bigne repré­sentatif de la chose car jamais il n'a VOulll dire que le lait était chaud, ou prêt, ou attendu. C'cst la proposit.ion en elfet qui dôtaelae 10 signe sonore do sea immédiates valeurs d'expres­Bion, et l'instaure souvel'llÏnement dans sa possibilité linguis­tique. Pour la. peDSée clossi,ue, le langage commence là où il y 8, non pas expression, malS discours. Quand on dit. non " on ne traduit pas son refus par UD. cri; on resserre en un mot 1. DelltllU de Trocy, SUmm& d'llUolQ,ie, 1. n, p. 87. 2. J. Hard, Rapport ~ur /" ftQUt'«llfU dtNlOppemenll d. Y;dor de r ANyrora (1806). Réédition ln L. MaIson, Lu EII/urll •• aulHJllt' (Paria;, 1964), Po 208.
  • 103.
    108 LM mot.et Ils Ch08fJI Ir une proposition tout entière: ... je ne sens pas cela, ou je ne croie l'OB cela 1 1. e Allons droit à la proposition, objet e9sentiel de la gram. maire 1 1. Là, tontes les fonctions du langage sl)nt reconduites aux trois senls élémonts qui sont fndi!Jpensnbles pour former une proposition : le sujet, l'attribut et leur lien. Encore le sujet et l'attribut sont·Hs de même nature ruisquo la propo- 5ition affirme que l'un est identique ou appnrtient li l'autre: îlleur est donc possrble sous certaines conditions d'éc}lnnger leurs lonctions. Ln seule dj([érenee, mais eUe est décisive, c'est eelle que manifeste l'irréductibilité du verbe : 1 dans toute proposition ,I, dit Hobbes', c il y a trois choses li. considérer: SQYOlr les deux noms, sujet et prBdicat et le lien ou la copule. Lès deu.'C. noms excitent dans l'esprit l'idée d'une seule ct même ChOBO, mois la copule fait nottro l'idée de la cause par laquelle ces noms ont été imposés li. cette chosDs JI. Le verbe est la condi­tion indispensable li. tout discours: et là o~ il n'existe pas, au moins de façon virtuelle, il n'ost l'as possible de dire qu'il y ft du langage. Les propositions nominales recèlent toutes la pré­sence invisible d'un verbe, et Adam Smith 1 pense que, SOUIl sa fonne primitive, Je langage n'était compos6 que de verbes impersonnels (du type: «il pleut », ou c il tonne .), et qu'à par­tir de ce noyau verbal toutes les autres parti cs du discours se sont détachées, comme autant de précisions dérivélls et secondes. Le seuil du langage, il est là où le verbe surgit. li faut donc traiter ce verbe comme un être mixte, à la fois mo~ parmi les mots, pTis dans les mêmes règles, obéissant comme oux aux lois de régime et de concordance; et puis en retrait d'eux tous, dam uue région qui n'est pas creUe du parlé, mais colle d'où on parle. Il est au bord du discours, à la couture de ce qui est dit et de ce qui se dit, là exactement. où les signes sont eu train de devenir langage. C'est. eu cette fonction qu'il faut. l'interroger - en le dépouil­lant de ce qui n'a cessé de le sureharger et de l'ob~eurcir. Ne pas s'arrêter avec Aristote BU fait que le verbe signifie Jus temps (bien d'autres mots, adverbes, adjectifs, noms, peuvent porter dos significations temporelles). Ne pas s'arrêter non plus, comme la faisait Scaliger, BU fait qu'il exprime des actions ou des passions, tandis que les noms d6signent des choses, et permanentes (car. il y a justement ce nom même d' «action .). 1. Del!lult de Tracy. ~/tmenl. d'Idlologl" t. U, p. 00. 2. U. Domergue, Gra/llmaire gûltrale tmlJllItlClue, p. 34. 3. Hobbes, LogIl[ll1, lut. cll., p. 61!0. 4. Adam Smit.b, Con.ltlll'fllillM .ur fgrigine el la lormalion du langues, Po 4~1.
  • 104.
    Parvr 109 Nepn~ oUReller d'jmlwrtouce, comme I~ Faisait Buxtorf, a~ dirTi:rentes personnes du verbe, car certains pronOIllS eux aussI oat ]0 Tlropriété de les d.ésigner. ~ais fairo venir t.out de suite on plr.inc Ilirniè~e ce qUI le c0l!stIt.uc : ~e verbo nflirms, c'est­à. dire qu'il indique c que le dl~cours ou ~e mot c.Ü employ6 est. le diHcours d'un homme qUI oc conçoit pas seulement les noms mnil! qui le!! juge 1 Il. Il Y a proposition - et discours - lon~'on uliirJOc.entre deux ~ho~es un ~ien d'attribution, lors­qu'on dit que cecI f1st celn 1. L e~pèce entière du verbe se mmène au seul qui signifie : ëtre. Tous les autres se servent secrète­Dlllnt dr. cette fonction unique, mais ils l'ont recouverte de déterminations qui la cachent : on y a ajouté des attributs, et nu lieu de dire k je suis ohantont Il, on dit. • je chante ltj on y a ajouté des inùication~ de. temps, e~ au lieu de di~e: autrefois, je suis chAntant, on a dit. : le chantol!>; enfin cenames langues ont int.q"rré aux verb:s le sujet lui-mArno, ct c'est. alllsi que les Latins ne disent pas: ego vivit, mois yiyo. 'l'out ceci n'8IIt que d~pùt et sédimentation autour et au-dessus d'uns fonction verhale ohsolumellt mince mAis e.'lsenticlle, c il n'y a que le verbe être ... qui soit demeuré dans cette simplicité Il J. L'essence entière du langage se recueille en ce mot singlliier. Sans lui, tout sernit demeuré silencieux, et les Jlommes, comme certains animaux, aU1'aient bien pu faire usage de )eul' voix, aucun de ccs cris lancés dllns la forêt. n'aurait jamais tioué la grande chaîne du langage. A l'épo'TuC èla!1Sique, l'iUre brut du langage - cette masse de s~1'Ile~ déposés dans le monde pour y exercer notre interroga­tion- s'est effacé, mais 10 langage a noué avec l'être de non· veau.""( rapports, plus difficiles à saisir puisque c'est pal' on mot que ]e langage l'énonco et le rejoint; de l'intérieur de lui·mi!me, il l'atlilmcj et pourtaut il ne pourrait pas exister comme langage si ce mot, il lui tout seul, ne soutenait par avance tOll1 discours possible. Snns une manière de désigner l'être, point de langage; mais sans langage, point de veroeêtre, qui n'eu est qu'une partie. Ce simple mot, o'est l'être repré­senté dans le langage; mais c'est Bussi bifln l'âtre représentatif du langa~e, - ce qui, en lui permettant d'an1nner ce qu'il dit, le rend susceptible de vérité ou d'erreur. En quoi il estdilIérent de tous les signes qui puuvent être conformes, fidèles, ajustés 1. Logique de Port-ROI/al. p. 106-107. 'l. Cow1illllc, Gmmmaire, p. lUi. 3. LO!liqu~ d" Porl·n"yal, p. 107. - Cf. Gond1l1ac, Grammaire p. 132- la4. Jhn~ J.'Origine da Clmnuinancl&, l'histoire du verbe esl onalys* de ra~on 1111 pell olllTérenlc, mali non 53 '"uellon. - D. Tbi.lbaull, Grammair" pJ,jtosup~iqul! j.Pll1i~, I~U'.!), l. 1, p. 216.
  • 105.
    HO ou nonli. ce qu'ilB désignent, mail oe 800t jamais vraiB ou fauz. Le laQga~e est, de fond en comble, diaco",,,. par ce singulier Jlouvoir d'WI mot qui enjambe le système d. signes vers l'ttre de ce qui est signifié. . Mais d'où vient ce pouvoir? Et quel cst ce liens qui en débor­dant les motl, londe la proposition? Les grammairiens do Port. Rorfl disailmt que le sen." du verbe être était d'aHirmer. Ce qUI indiquait. bien en quelle région du langage était son privilège absolu, mais non point en quoi il consistait. Il ne faut pas comprendre que le verbe être contient l'idée de l'amrmation, car ce mot même d'atflrmation, et le vocable oui. la oontiennent aussi bien lj (l'est donc plutôt l'affirmation de l'idée, qui S8 trouve assurée par lui. Mais affirmer une idée, est-ce énonC'.er Bon existence? - C'est bien ce que pense Bauzée qui tl'OUVe l~ ime raison pour que le verbe ait. recueilli en Ba fonne les varia­tions du temps: car l'essence des choses ne change pas, seule leur existence apparatt et disparait, seule elle a un y'8Saé et un futur 1. A quoi Condillac peut faire remarquer que 1. l'existence peut êt.re retirêe aux cboses, o'est. qu'eUe n'est rien de plu qu'un attribut, et que le verbe peut atlirmer la mort aUllli bien que l'existence. La seule chose qu'aIHrme le verbe c'est la aowsteoce de deux l'eprêsentatioDs : celle par exemple de la verdeur et de l'arbre, de l'homme et do l'existence ou de la mortj c'est pourquoi le temps des verbes n'indique pas celui ota los choses ont existé dans l'absolu, mais un système relatif d"antériorité ou de simultanéité des choses entre elles'. La coexistence, en eITet, n'est pas un attribut de ]a chose eUe­même, mais elle n'est rien de plus qu'une forme de la représen­tation : dire que le vert eL l'arbre coexistent, c"est dire qu'ill lont liés dans tout.es, ou dans ]a plupart des impressions que je reçois. Si bien que le verbe titre aurait essentiellement pour 'Imctioll de rapporter tout langage à la repré.entation qu'il désigne. L'être vel'! lequel il deborde les Bignell, ce o'est ni plus ni moins que l'être de la pensée. Comparant le langage à un tableau, un grammairien de la tin du XVllle siècle définit les noms comme des forme., les adjectirs comme des couleurs, et le verbe comme ]a toile eUe-même 8ur laquelle e)] .. ,s apparaissent. Toile invisible, entiàremeDt recouverte par I"éclat et le dessin des mots, mail qui dOlme au laugage le lielt où faire valoir sa peinture; ce que le verbe désign~, c'est finalement le caractère représentatif J. Cf. Loglqur '" Pori.Rogal, p. 107 et Abb6 Gtrard, Lu Yrak PrlncfpiJJ de la Jangue /ran,ai,t, p. 56. 2. IlBuzé"" Gmmmairc gtn"rale, l, p ... ~ el "1. 3. CondIllac, Grummaire, p. 181J-1S6.
  • 106.
    Parkr tu dulangage, le fait qu'il ait 80n lieu dan. la pensêe, et qu'e le eeu1 mot qui pUÎ!!se franchir la limite dei .igues et les fonder en .,ériw n'atteigne jamais que la représentation elle-même. Si bien que la Ionction du verbe se trouve identifiée avec le mode d'existence du langage, qu'elle parcourt en tou.te sa longueur : parler o'est tout à la fois repr6senter par des slgnes,et. donner à des ~ignes une forme synthétique commandée par le verbe. Comme le dit Destutt, le verbe, o'est l'at.tribution : le support. et la forlne de tous les attributs: 1 le verbe être se trouve dana toutes les propositions, parce qu'on ne peut. paa dire qu'une chose est de telle manière sans dire pour autant qu'elle est. ••• Mais ce mot est qui est dans toutes les propositions y fait tou­jours partie de l'attribut, il en est toujours le début et la base, il est l'attribut général et commun 1 J. On voit conunent, parvenue à ce point de généralité, la lono­tion du verbe n'aura plus qu'à se dissocier, dès que disparaîtra Je domaine unitaire de la grammaire générale. Lorsque la dimen­sion du grammatical pur sera libérée, la proposition ne sera plus qu'uno unit.is de syntaxe. Le verbe y 6gurera parmi les autres mots aveo Bon système propre de concordance, de flexions et de régime. Et à l'autre extrtlme, le pouvoir de manifesta­tion du langage réapparalt.ra dans une question autonome, plus archaique que la grammaire. Et pendant tout le XIX!! siècle, le langage Bera interrogé dans sa nature énigmatique de Y6riHI : là où il est le plus proche de l'être, le plus capable de le nommer, de transmettre ou de faire lIointiller son sens londamental, de le rendre absolument manifeste. De Hegel li. Mallarmé, cet étonnement devant les rapports de l'être et du langage, balan­cera la réintroduction du verbe dans l'ordre homogène des fonctions grammaticale .. IV. L' 4BTICU L4TIOl'C Le .verbe être, mixte d'attribution et d'affirmation, croisement. d~ ~8COUrs sur la possibilitA première et radicale de parler, delinit le premier invariant de la Rroposition, et le plus fonda­rnen~ L A côté de lui, de part et d autre, des éléments: partiea du discours, ou de }', oraison J. Ces plages sont inditTérentes ~coro et ~ëterminées seulement par la figure mince, presque ImperceptIble et centrale, qui désigne l'être; eUes fonctionnent, 1. Ue.luU de Trac)', Elimen" d'Idio/n!/I., t. Il, p. eL
  • 107.
    112 autour dece 1 judiealeur Il, comme la chose li juger - le jr.t.dL­candit, et. la chose jugée -le jutliClll.l. Coounent. ce pur dessin de la ProlJoliiLion peut-il se transformer eo phraBlls dist.inotes? Comment. le discours peut-il énoncer tout le contenu d'une reprlisontaLion? Parce qu'il elôt Cail de mots qui nom"uml, partie par partie, ce qui est nonn6 li. ]a ~eprésentation_ Le moL désigne, o'est-li-dire qu'en sa nature il est nom. Nom propre puisqu'il est pointé vers teUe représentation, et vers nulle autre encore_ Si bien qu'en face de l'unirormité du verbe - qui n'e!lt jamais quo l'ûnoncé universel de l'at.tribution­les noms fourmillent, ot. li l'infini. Il devrait y cn avoir autant que de choses à nommer. Mais ohaque nom serait alors si rorte­moot at.taché à ]a seule représentat.ion qu.'il désigne, «111'on ne pourrait pas même formuler ln moindre attribution; et le lan­gage retomberait au-dessous de lui-même: 1 si nous n'avions pOUf Ilubstant.ifs que des noms propres, il les faudrait multiplier sans fin. Ces mots, dont la multitude surchargerait. la mémoire, ne met.traient aucun ordre dans les objets de nos connaissances ni par conséquent. dans nos idées, et tous nos disOOUfS seraient dans la plus grande contusion 1 1. Les noms De peuvent. (ooc­tionner dans la phrase et pennettre l'attribution que si l'un des deux (l'attribut nu moins) désigne quelque élément conunun à plusieurs représentations. La généralité du nom est nussinéces­lIaire aux parties du discours que la désignation de l'être à la forme de la proposition. CeUe généralité l'eut être acquise de deux manières. Ou hieu par une articulation horizontale, groupant les individus qui ont ontre eux certaines identit.és, séparant ceux qui sont cliJTé­rents; elle forme alors une généralisat.ion successive des groupes de plus Cil plus larges (ct de moins en moins nombreux); ella peut aussi les subdiviser presque li l'infini par des distinctions nouvelles et rejoindre ainsi le nom propre dont elle est partie 3; tout l'ordre des coordinations et. des subordinations se trouvo recouvert; par 10 langage et chacun de ces points y figure avec Bon nom: de l'individu à l'espèce, puis de celle-ci au genre ct à la classe, le langage s'articule exactement sur ]e domaine des généralit~s croissantes; cette fonction taxinomique, ce 1I0nt les substantifs qui la manifestent danl1e langage: on dit uo ani­mal, un quadrupède, un chien, un barbet. •• Ou bien par une 1. U. Domergue, Grammair, pn/raltana/gliglU, p. 11. 2. Condillllc, Gramtrlllln, p. 1~2. 3. Id., ibid., p. 105 . .J. Id., ibldo, p. lü3. cr. éj;alemen~ A. SmiLb, C~r.$irlérfllioRA IUt' L'tN'igillf ct la lormalion du la1llUA. p. 408-410.
  • 108.
    Parkr 113 articulationverticale -liée lIa première, car elles sont india­pen!! ablcs l'une à l'autre; cette seconde articulation dist.iugue les choses qui subsistent par elles-mêmes et ceUes - modifica­tions traits, accidents, ou caractères - qu'on ne peut jamais rcnc~ntrer à l'êtat indépendant: eD profondeur, les substances; il la superficie, les qualités; ceUe coupure - ceUe m6taphy­sique, comme disait Adam Smith 1_, elle est manifestée dans le disoours par ]a présence d'adjectifs qui désignent dans la représentation tou L ce qui ne peut pas subsister par soi. L'arti­culation prcmi~re du Inn gage (si on met il part le verbe être qui cst condition aut.ant que partie du dillcOUl'S) se fait donc selon delL'c: axes orthogonaux: l'un qui va de l'individu singulier au générnlj l'autre qui va de ]a lIubstance il la qualité. A leur croi~ement réside le nom commun; Il une extrémité le nom propre, à l'autre l'adjectif. Mais ces dcmc types de représentation ne distinguent les mots entre eux que dans la me~ure exacte où ]a représentation est analysée sur ce même modèle. Comme le disent les auteurs de Port-Royal: le!t mots Il qui signifient les chosess'appellenl noms .",bstlJnti{s, comme tll"e, soleil. Ceux qui signi6ent les manières, en marquant en même temps le sujet auquel eUes conviennent, s'appdlellt nowa adjectifs, comme bon, just", rond a It. Entre l'articulat.ion du langage et ceUe de la repmentation, il y a cepenùant. un jeu. Quand on parle de • blancheur J, c'est hion une qualité qu'on désigne, mais on la dés~ne par un substantif: quallù on parle des • humuios J, on utilise un adjectif pour désigner des individus qui subsistent pal' eux-mêmes. Ce dêca­lage n'indique pas que le langage obéit li d'autres lois que ]a représentation: maIs au contraire qu'il n, avec lui-même, et dans son épaisseur propre, des rapports qui sont identiques à ceux de la représentat.ion. N'est-il pas en effet one représenta­tion dédoublée, et n'a-t-il pas pouvoir de combiner, avec les éléments de ]a représcntation, une repré!lentation distincte de la première, bien qu'elle n'ait pour fonction eL sens que de la représenter? Si le discours s'empare de l'adjectif qui désigne une modification, et le fait valoir à l'intérieur de la phrase co~me la 8ubslance même de la proposition, alors l'adjectif deVIent suhslantü; le nom au contraire qui se comporte dans la p~sc comme un accident devient. li 8011 tour adjectif, tout en tleslgnant, COllUlle par le passé,- des substances. c Parce que la substance est ce qui subsiste {Jar Boi-même, on Il appelé substantifs tous les mol! qui 8ub~lstent par eux-mêmes dans 1. À. ï;milb, ID(. cir., p. -410. 2. Lor;i'l1Jf de l>ort-Iltlgul, p. 101_
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    114 Les motset IfJ8 C/'08C3 le WSCOU1'S, encore mème qu'ils signifient de!! aecidents. Et au cont.raire. on a appelé adjectifs ceux qui signifient des sub. stances. lUl'8que. en leur manière de sigllifier. üs doivent êt.re joinl.s à d'autres noms dans 10 discours 1 1. Les éléments de 1. proposition ont. entre eux des rapports idenLiques à ceux de la reproselllaLionj nIai, cette idenUt6 n'est pas assurée point par point de aort.e que toute substance serait désignee par un substantif et. tout. accident par un adjectif. Il Il'agit d'wu, identité globale et de nature: ln proposition flst une repr(:scnlll" tioni elle s'arLicule sur les mêmes modes qu'elle; maill il lui appartient de pouvoir articuler d'une façon ou d'une autre la représentation qu'tille transforme Cil discours. Elle est. en tille­même, une représelltat.ion qui en articule une ouLre. avec une possibilité de décalage qui consûtue à la fois la liber Lé ùu discours et la diITérence des langues. Telle est la première couche d'articulation: la plus super· ficielle, en tout cas la plus apparente. Dès maintenant. tout peut devenir discours. l'tlais dans un langage CUC01'O peu dilIé· 1'8uoié : pour relier les noms. OD ne dispose encore que de la monotonie du verbe être et de sa fonct.ion attributive. Or, les él~mllnt8 de la représentation s'articulent selon tout un réseau de l"Ilpports complexes (succession, subordinatioD, consé­quence) qu'ü faut faire passer dans le Illng-olge pour que celui-ci devienne réellement. représentatif. De lk tous les mots, syllabes, lettres même qui, circulant entre les noms et les verbes, doivent désigner cel idées que Port-Royat appelait c acces­loires 1 '; il faut des prépositions et des conjonctions; il faut deI lignes de syntaxe qui indiquent les rapports ù'ident.ité ou de concordance, et ceux de dépendance ou de régime 1 : marques de pluriel et de genre, cas des déclinaisom; ü faut enfin des mots qui rapportent leti nom! communs aux individus qu'ils désignent, - ces 81'ticlos ou ces démonstratifs que Lemercier appelait • concrétiseura 1 ou • dés abstracteurs & 1. Une telle poussière de mots constitue une articulation inférieure li. l'unité du nom (substantif ou adJeotif) teUe qu'elle était requise par la forme nue de la pro~sitlon : nul d'entre eux ne détient. par­devers lui et à l'état Isolé, un contenu représentatif qui soit. fixe et dét.erlninéi ils ne recouvrent une idée - même acoessoire - qu'une lois liél il. d'autres motl; alors que le! Doms et los verbes 1. Lngfqut dt PM-RQII"r, p. 59-60. 2. Ibid., p. JOI. 3. Du~lU1i. Commenl,lÏre ct ra Grommalr. de Port-no)'al (Parli, 1754), p. 213- ... J.-B. Lemercier, Lelin 6U" III poulll"iU de Iain d, ,. grClmmaire "If ArI-S,jemc (Paria, UIOS), p. 63-65.
  • 110.
    Parkr us IOnt.des c signifioat.if. absolus " ils n'ont, eux, de signl6cation que Bur un mode relatif 1. San, doute "lIdresseDt.-il. ilIa reprê­. entation· ils D'exist.ent que dau la mesure où ceUo-ci, en "analY51i~tJ laisse voir le rélellu int.érieur de CBII relo.tioDB; maïa cUX-lnêmes n'ont de valeur que par l'ensemble grammatical dont ils font partie. Da ét.ablisllent daJJsle langage une articula­tion nouvelle d de nature mixte, à la {ois reprétlcntative et graluDiaLicale, sans qu'auollD de !lei deux ordres puisse le rabattre exactement sur l'autre. Voilà que ]a phrase se peuple d'éléments I)'ntaxiquea qui sont d'Wle découpe plus fine que les figures larges de la pro­positiou. Ce nouveau découpage met la grammaire générale devant. la nécessité d'llD choix: ou hien poursuivre l'analyse au-de~8oUS de l'unité nominale, et faire apparattre, avant la signillcllLion, les éléments insignifiants dOl~t elle est bâtie, ou bien réduire par une démarche régrellsive cette unité nominale, lui recoJUlIÛLl'e des mesures plus restreintes et en retrouve!' l'eflicacité représentative au-dessoui des mots pleins, dau lei particules, dausles syllahes, et jusque dans les lettres mêmes. Ces pot;sibilités sont oUertes - plus: lout prescrites - dès le moment où la théorie des langues 8e dOWle pour objet le dk~ouJ"lj et l'aualyse de sea nleurs représentatives. Elles défi­nillHent le pUillt d'lidrui. qui partage la grammaire du x'nu8 siècle. c Supposerons-nous, dit Harris, que toute significatioD est, COIllRle le corps, divÏtiible en llDe infiuité d'Qutreli signitications, divisibles eUBIi-mêmes la l'iofuü? Ce serait. une absurdité; il faut doue nécessaÏl-ement. admettre qu'il y a des sons signifi­catifs dont aUCUDe partie ne peut par elle-m~me avoir de signi­fication S J. La signilication disporatt dès que sont dissociées ou 8uspeDdues leli valeurs représentatives des mots : appa­raissent, en leur .indépendance, des matériaux qui ne s'articulent pas sur la pensée, et dont les liens ne peuvent se ramener à ceux du discours. Il y a une 1 mécanique 1 propre au.': concordances, aux ré~imes, aux flexions, aux syllabes et aux BOllS, et, de ceUe m~caruque! aucune valeur repréientative ne peut rendre compt.e. n faut ~ralter la langue comme ces machines qui. peu à peu, 88 perfectionnent a : en 80 forme la pluli simple, la phrase n'est CO~P?!ée que· d'un sujet, d'lJJ. verbe, d'un attribut; et tout8 addllion de sens exige une nouvelle et entièrtl proposition; "f~; rH1 arr, ls. Hamù. p. 3()'31 (ct. au&91 A. Smltb, COlllidtNtiOIU IUt" ror;- • e. fln,un. p. ~OS.-i09l. 2. ld., Ihld., p. 57. ~. A. ::iU1llb, CQlI8idéralloru lur rorigi/Je du lunfjuu. p. 430-4.31.
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    fi6 aillsi lesplus rudimentaires dos machines supposent des prin­cipes du mouvement qui dinèrent pour chacuIl de leurs organes. Mais lo~qu'elles se perfectionnent, elles 80umettellt li un seul et même principe tOUII leurs organos, qui n'en sont plus al01'8 quo les intormédiaires, les moyens de transformat.ion, les points d':IPplication; de m~mc, cn S8 perfectionnant, les langues font pusser le seus d'une proposition l'lor des organes grammati­caux «ui n'ont pas en eux-mêmes de valeW' reprêsentat.ive, mois ont. pour rOle de la prêciser, d'cn relier los éléments, d'en indiquer les déterminations actuelles. En une phrase, et. d'un seul tenant, on peut marquer des rapports de temps, de consé­quence, de possession, de localisation, qui entrent bien dons la sl!rie sujet-verbe-attribut, mais ne peuvent êtM comés par une distinction aussi vDste. De là l'importance prise dcpuisBouzéc 1 par les tMorics du complément, de la subordination. De là aus~i le rôle eroillllont dc la syntaxe; à l'époque de Port-Royal, celle-ci était identifice avec la const.ruction et l'ordre des mots, dono avec le déroulement intérieur de Ja propo!:iilion 2; avec Sicard elle est. ùevenue mdépendnnte : o'est. elle 1 qui commande à chaque mot sa lorme propre a •. Et ainsi l'autonomie du gram­maLical s'esquissc, telle ~'c1lc sera définie, tout li fait l)a fm du siècle, par Sylvestre de SacÏ, lorsque, le premier avec Sicard, il distingue l'analyse logique de la proposition, et ceDe, gram­mnt. icalc, de la phrase 1. On comprend pourquoi des analyses de cc genre sont demeu­rées en susJlcns tant que le discours fllt "objet de la gram­maire; dès qu'on atteignait. une coucbe de l'articulation où. les valeurs rcprllsentat.ives tombaient en pOU9sière, on pas­sait de l'autre côté de la granunaÏre, là où elle n'avait plus prise, dans un domainA qui était. oelui de l'usage et de l"bistoÏl'o, -la syntaxe, au xvme siècle, était. considérée comme le lieu de ]'urhiLraire où se déployaiooL en leur fautaÎliie les habitudos de chaque peuple 1- En tout cas, elles ne pouvaient être, au xvme siècle, rien de plus C{ue des possibilités abstl'aites, non pas préfigurations de ce q1ll allait être la philologie, mais branohe non privilégiée d"un choix. En Iace, à partir du même point d'hérêsie, on voit 1. Doude (Grammaire gtnéralc) emploie pour III prew1l1r. Ms le lermodD .c:omJlI~ment '. 2. l.ogiql/t de Part-Royal, p. 117 el ~q. 3. Abbé Slcard, E.ltrntRIlI de la gramnull" gitrlrale, l. H, p. 2. 4. S)'lvestr. de SlIcI, Printipu di! grammaire gln;ral, (ti!l9). cr. IIUssi U. Domergue, Gl'Omnralrll gint/tlte analyli']"" p. 29-30. D. cr. pal' exemple abbé Gll'IU'd, Les Vruil Prj,.,;ipu de la langue frGn,ai'll (Pllrl!i, 1747), p. 82-83.
  • 112.
    Parkr i17 aed~'elopper une r6flexionl qui, pour nous et la science du langage qU8 nouS «yollll ~Iltie dep~!lle xne 8iècl~, est~6pour. vue de valeur, mSls qUi p61'metlalt alors de maintenIr toute l'analyse de~ signes verbaux à l'intérieur du discours. Et qui par ce recouvrement exact faisait partie des figllres positives CIu savoir. On recherchait l'obscure fonction nominale qu'on peRSnit invesLie et cachéo dans ces mots, dana ces syllabes, dans ces flexions, Jans caq lettres que l'analyse trop liche de la proposition laissait passer li. travers sa grille. C'est qu'après tout, comme le remarquaient. les auteurs de Port-Royal, toutes les particula'l de liaison ont bien un certain contenu puisqu"ellcs représentent la manière dont les objets sont liés et celle dont ils .'encbntnent dallll nos représentatioIlsl.. Ne peut-on pas supposer qu'ils ont été des noms comme tous lei aut.res? Mais au lieu de so substituer aux objets, ils auraient pris la place des gestes pat' quoi lea hommes les indiquaient ou simulaient leul'lliiens et leur 8uccession '. Ce sont ces mota quioubien ont perdu peu à peu leur sens propre (celui-ci, en e1Jet, n'ét.ait. pas toujours visible, puisqu'il était lié aux gestes, au corps et à la situation du locuteur) ou bien se sont incorporés aux autres mots en qui ils trouvaient un support stable, et à qui ils four­nillllllient en retour tout un système de modifications '. Si. hitm que tous les mots, quell qu'ils loient, sont des noms endor­mis : les verbes ont joint des noms adjectifs au verbe êtrej les conjonctions et les prépositions IOnt les noms de gestes désor­mais immobiles; les déclinaisoIlS et les conjugaisons ne sont rien de plus que des noms absorbés. Les mots, mnintenant, peuvent s'ouvrir ct liMrer le vol de tous les noms qui s'étaient déposés en eux. Comme le diaait Le Bel à titre de principe fondamental cle l"analyse, 1 il n'y a pas d"assemblagc dont 188 parties n'aient existé s~porément avant d'être assemblées 4 " ce qui lui permettait de réduire tous les mots à des élé­ments syllabiques où réapparaissaient enfin les vieux Doms oubliés, -les seuls vocables qui eurent la possibilité d'exister à cOlé du verbe être: Rornulu8, pal' exemple s, vient de RofJUJ et moliri (bâtir); et Roma vient do Ra qui désignait la force (Robur) et de Ma qui indiquait la grandeur (maglius). De la mam.e façon Thiébaull déc;ouvre dans 1 ~~andonnel'» troÏl signi- 5cabons latentes: a qUl. présente lldée de la ttludaace ou de la destinatioIl d'une chose vers quelque autre chose li; ban 1. Logique dt Port-Rollal, p. 59. 2. BIlLleux, NOII~l e:r:amt!n du P"'/fl91 de rlnlJUJiOR, p. 23-2{. 3. III., ibid_, p. 2<1-28. :. Le nel, Analomle dt la "'RtI- lafine (Paria, 1784), p. 24 • • Id., i6id., p. 8.
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    us qui cdonne l'idée de la totalité du corps lociall, et do qui indique. l'acte par lequel on 8e dessaisit d'une choie 1 1. Et ,'il faut eu arriver, ou-dessous de syllabes. jusqu'aux leUres JUêU1CS, on y recueillera eneom les valeurs d'une nooû­Dat. ion ruùimelliaire. A quoi s'est employE. merveilleusement Court do Gébeliu, pour sa plus grande gloire, et la plus péris­sablo; « la t.ouche labiale, la plus aisée à meUre en jeu, la plus douce, la plus gracieuse servait à désigner les premiers-êtres quo l'hommo COlwatt., coux qui l'environnent et à qui il doit tout 1 (papa, maman, baisor). En revanche, • les denta sont aussi fermes que los lèvres sont mobil. et .o.exibles; les intonatiollB qui en proviennent sont lorles, sonores, bruyante!! •.• C'cst par la touche dentale qu'on tonna, qu'on relBntit, qu'on dtunnBj par elle, on désigne les tambOW'6, les timbalu, les trompetw8 1. Isolées, les voyelles à leur tour peuvent déployer le secret. des noms millénaires sur quoi l'usage les a reformées : A pour la posseSliioIl (avoir), E pour l'existence, 1 pour la pUiStlBnCe,O pour l'HoDDeme11t (les yeux qui s'arrondissent), U poUl' l'humidité, dODO pour l'humeur '. Et peut-être, au creux le plus ancien do notre hilltoire, consonnes et voyelles, distinguées seulement selon doux groupes encore confus, Cormaient-elles comme les deux seuls Dowa qui aient articulé le langage humain : les voyellos chantantes disaient les passions; les rudes consonnes, les besoins a. On peut encore disûnguer les parlers rocailleux du Nord - lorÔI. des gutturales, de le faim et du froid - ou les langues méridionales, toutes de voyelles, néeaJela matinale rencontre des hergors, quand Il sortaient dll pur cri.tal des fontaines, les premiers feux de l'amour 1. Dans toute son épaisseur, et jusqu'aux sons les plus archaTquee qui pour la première fois l'ont arraché au cri,le lan~age conserve 118 fonction représentative; en chaonne da ses artIculations, du fond du tel"ops, il a toujours nommL Il n'est en lui-même qu'UIl immense brwssement de dénominations qui S6 couvrent, se res­serrent, se cachent, se maintiennent cependant pOUl' permettre d'analyser ou de composer les représentations les plus complexes. A l'intérieur des phrales, là même où la signifiea tion para it pren­dre un appuimuet BUl' des syllabes insignifiantes, ü y a toujours une nomino tion en BOIDDleil, une forme qui tient enclol entre Se8 parois sonores le reflet d'une représentation invisible et pour­tant ineffaçable. Pour la philologie du XlXe siècle, de paieillea 1. D. Tblllbault, GraRl/llllln phllo.ophlque (Parfll, 18(2), p. 1'l20178. '2. CourL tic GC:belln, HtltoiN nolure/{, de la purel. ('11. 1816). p. 98-10.&. 3. Ruul!lIeilu. EltIllli ,ur foriglnt du ItInguetl (<8ullrllll, ~ lM'ai, L. XlJJ, p.HH51 e~ 188-192).
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    119 analyses sontrestées, au sens strict du terme, 1 lettre morte •• Mais non point pour toute une expêrience du langage - d'abord ésot6rique et mystique li. l'époque de Saint-Maro, de Reveroni, de Fabre d'Olivet, d'OEgger, puis littéraire lorsque l'énigme du mot resurgit en son être massif, avec ~faUarmê, Roussel, Leiris ou Ponge. L'idée qu'en détruisant les mots, ce ne sont ni des hruits ni de purs éléments arbitraires qu'on retrouve, mais d'autres mots qui, à leur tour pulvérisés, en libèrent d'autres,­cette idée est à la fois le négatif de toute la science moderne des langues, et le mythe dans lequel nous transcrivons les plus obscurs pouvoirs du langage, et les plus réels. C'est sans doute parce qu'il est arbitraire et qu'on peut définir à queUe condi­tion il est signifiant, que le langage peul devenir objet de science. Mais c'est parce qu'il n'a pas cessé de parJer en deçà de lui-même, parce que rIes valeurs iuépuil!ables le pénètrent aussi loin qu'on peut l'atteindre, que nous pouvons parler en lui tians ce mur­mure à l'infini où se noue la litt6rature. Mais à l'époque clas­sique, le rapport n'était point le mômu; les deux figW'es se recouvraient exactement : pour que le langagu soit compris tout entier dans la forme générale de la proposition, il rallait que chaque mot en la moindre de ses parcelles soit une nomi­nation méticuleuse. .... LÂ DÉSIGNÂTI0N Et pourtant, la théorie de la 1 nomination généralisée:t découvre au bout du langage UI1 certain rapport aux choses qui est d'une tout autre nature que la Iorme propositionnelle. Si, au fond de lui-même, le langage a pour fonction de nommer, c'est-à-dire de faire lever une représentation Ou de ]a montrer COmme du doigt, il est indication et DOD pas jugement. Il se lie aux choses par une marque, une note, une figure associée, un g~ste.qui désigne: rien qui soit réductible à un rapport do pré­dIcatIon. Le principe de la nomination première et de l'origine des mots. fait équilibre à la primauté formelle du jugement. Comm~ 81, de part et d'autré du langage déployé dans toutes s? artIculations, il y avait l'être dans son rôle verbal d'aUriliu.­tlon, et l'origine dans son rôle de désignation première. Celle-ci ~rmet de substituer un signe il ce qui est indiqué, cclui-l!t de her uu contenu à un autre. Et on retrouve ainsi, dans leur OPposition, mais aussi dans leur appartenance mutuelle, les deux COllctions de lien et de substitution qui ont été données au
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    120 ligne eng~néral avec son pouvoir d'analyser la repréllentatioQ. Remettre au jour l'origine du langage, a'est retrouver le moment primitif où il était pure désipmtiollo Et par là on doit li. la fois expliquer Bon arbitraire (puisque co qui déllÎgou peut être aussi ditIérent de ce qui montre qu'un ge&te de l'objet vers quoi il tend), et ion rapport profond avec OB qu'ii nonuu8 (puisque telle syUabe ou tel mot ont toujours ôté choisis pour désigner telle chose). A la première exigenoo rejJoud l'aoa­lyse du langage d'action, à la seconde l'étude des racinea. Mais eUes ne s'opposent pas comme dalllie Cratyle l'explicaLiou pur la Il nature]t, et celle par la 1 loi 1; eUes sont. au contruire absohunent indispensables rune à l'autre, puisque la premiùre rend compte de la substitution du signe au désigné et quo la seconde justiiie le pouvoir permanent de désignation de ce signe. Le langage d'action, c'est le eorps qui )e parle; et pounant, il n'est pas donné d'entrée de jeu. Ce que la nature permet, c'est sowemt'nt que, dans les diverses situations où il se trouve, l'homme ÎOflse des gestes; son visage est agité de DlouVemen1.sj il pousse des cris inarticulés, - c'est-il-dire qui DC sont 1 frappés ni avec la langue ni avec les lèvres 1,. Tout ceci n'est encore ni langage ni mème signe, mais effet et suite de notre animalité. CoLte luaniresle agitation a cependant pour elle d'Iltre univer­sclle, puisqu'elle ne dépend que de la conCormation de nos organes. D'où la possibilité pour l'homme d'en 1'8IIl8l'quer l'iJenLité cbez lui·même et ties compagnons. Il pout donc associer ail cri qu'il entend chez l'autre, Il la grimace qu'il perçoit sur son visage, les mêmes représentations qui ont, plusieurs fois. doublé ses propres cris et ses mouvement.s à lui. n peut recevoir cette mimique comme la marque et le substitut de ]0 IJlmsée de l'autre. Commo un signe. La compréhension commonce. Il peut en retour utiliser cette mimique dovenue !!i~ne pour susciter chez ses partenaires. l'idée qu'il éprouve I"j.mêmo,lcs ticnsations, les besoins, les peines qui sont associés d'ordinairo à de loIs gestes et à de tels lions: cri jeté à desscill en {ace J'outrui et. en Jirection d'un objet, pure int.erjeotion :1 • .Avec cet lL..C8ge concerté du signe (expression déjà), quelque cbose comme un langage est en. train de naître. On voit, par ces analy5es communes à Condillac et à Destutt, ql.le le langage d'actioD relie bien par une genèse le langage li. la nature. Mais pour l'en détacher plus que pour l'y elU'lIcincr. 1. Condillac. Grammaire. p. 8. 2. TouLea Jes parLies du di5cour. DO ~raien~ alors qUI les lragm~nta d~comJlotiés et combinés de ceUe IDlerJeclion initiale (Destutt. de Tr'l.cy. 6/émenl. d·ld~f}lol1le. L U, p. 'iS).
  • 116.
    Parler 1.21 pourmarquer sa différence ineffaçable avec le cri el ronder ce qui constitue Ion arti6ce. Tant qu'elle elt le simple prolonge­ment. du corps, raction nia aucun pouvoir pour parler: elle n'est paB langage. Elle le devient, mais au terme d'operations d6finies el complexes : notation d'une analogie de rapporta (le cri de l'autre ell li ce qu"il Aprouvo-l'incoDnue-cequele mien est l mon appetit ou Il ma frayeur); inversion du tem.ps e&. usage volontaire du aigne avant la représentation qu'il déSIgne (avant. d'éprouver lIDe lIensation de faim assez forle pour me faire crier, je pousse le cri qui lui est 81900i6); en6n dessein de faire uartre chez l'autre la représentation col1'e!lpondant au cri ou au geste (mals aveo ceci de particulier qu'en poussant un ori, je ne fais pa8 nattre et n'eolends pas faire naiue la sen!Ultion de la faim, mais la reprêseolation du rapport entre ce signe et mon propre désir de manger). Le langage n'est possible que sur fond Cie cet enohev6trement. 11 ne repolie pas lur un mouvement naturel de compréhensioo ou d'expression. mais sur les rap­ports réversibles et analysables des sigoes et des repr~enta­tions. Il n'y a pas langage lorsque la représentation s'extério­rise mais lorsque, d'uue raçoo concertée, eUe détache de soi un signe et se fait représenter par lui. Ce n'est donc pas à titre de sujet parlant, ni de l'intérieur d'un langage déjà. lait, que l'homme découvre tout autour de lui des signel qui lieraient comme autant de paroles muettes Il déchiffrer et. à l'ondre audibles de nouveau; c'est parce que la représentation se donue des signes, que des mots peuvent naltre et avec eux tout un langage qui n'est que l' orgamsation ultérieure de signes sonores. Malgré son nom. le • langage d'aetion:l fait surgir l'irréductible réseau de signes qui sépare le langage de l'action. Et par là, il fonde en nature son artifice. C'est que les élé­m~ nts dont ce langage d'action est composé (sons, gcstos, grImaces) sont proposés successivement par]a nature, et cep en­? ant, ils n'ont. pouda plupart, avec ce qu'ils désignent,aucune ldentité de coutenu, mais surtout des rapports de simultanéité ou de succession. Le cri ne ressemble pas à la peur, ni la main tondue à la sensation de faim. Devenus concertés, ces signes restero~t saDS • fantaisie et 8anli caprice 1 _, pWs'lu'ils ont été UDe fOIS pour toutes instaurés par la nature; rouis ils n'expri­meron: pas la I;lIture de ce qu'iL; d6ligneot, car ils ne 80nt point k 80n Image. Et à parti!' de là, les hommes pourront établir un l~gage conventionnel : üs disposent maintenant d'allsez de Ilgnes marquant les choses poUl' 80 fixer de nouveaux qui analysent et combinent les premiers. DansleDiscour6 .url'ori· 1. Conc11l1ac, GramIRalr., p. 10.
  • 117.
    122 Le, motset lt!8 choses Slne de l'inigalité 1, Rousseau laisait valoir qu'aucune langue ne peut reposer lIur un accord entre les homme~, puisque celui-ci Buppose déjà unlangage établi, reconnu et pratiqué; il faut dono l'imaginer reçu et non bâti par les hommes. En fait le Jungage d'action confirme cette nécessité et rend inutile cette hypo­thèse. L'homme reçoit de la nature de quoi faire des signes, et ces signes lui servent d'abord à s'entendre avec les autres hommes poUl' choisir ceux qui vont être retenus, les valeurs qu'on leur reoonnaltra, les règles de leur usage; et ils sorvent ensuite à formel' de nOUVe8L~ signes sur la modèlo des premier~. La première forme d'aocord consiste li ohoisir les signes sonores (plus faciles li. reconnaître de loin et seuls utilisables la nuit), la seconde à composer, pour désigner des repre~entntions non encore mal'qUées, des sons proches de celL't qui indiquent des reprillentations voisines. Ainsi se constitue le langage proprement dit, parWle série d'analogies qui prolongent latéralement le lan­gage d'action ou du moins BQ partie sonore: il lui ressemble et • c'est cette ressemblance qui en facilitera l'intelligence. On la nomme analogie .•• Vous voyez que l'analogie qui nous fait la loi ne nOU8 permet pas de choisir les signes au haliard ou arbitrairement Il ». Ln gen~se du langage à partir du langage d'action échappe entièrement à l'alternative entre l'imitation naturelle et la convention orbitraire. Là où il y a nature - dans les signes qui nai.Qgent !!pontanément à travers notre corps - il n'y a nulle ressemblance; et là où fi y a utilisation desl'Cssemblnnces, c'est une fois êtab1i l'accord volontaire ent1"e Jes hommes. La nature juxtapose les différences et les lie de lorce; ln réflexion découvre les ressembJaDce.'1, les analyse et Jes développe. Le premier temps permet l'artifice, mais avec un matériel imposé d'une façon identique à tous les hommes; le second exclut l'arbitraire mais ouvre à l'analyse des voies qui ne seront pas exactement superposables chez tous les hommes et dans tous les peuples. La loi de nature, c'est la différence des mots et des choses -le partage vertical entre le langage et ce qu'au-des- 80US de lui il en chargé de désigner; la règle des convention~, c'est la ressemblance des mots entre eux, le grand réseau hon­. zontal qui forme les mots les uns li partir des autres et les propage à l'infini. On comprend alors pourquoi la tMorie des mcines ne contre­dit en aucune manière l'aoelyse du langage d'action, mais YÏent ]. Rousseau, DilC(Jor. aar forfgine d4 rl1l6galilt (cf. ConrllUac, Grammoire, p. 27, n. ]l. 2. Cond11lac, GNlmmaire, p. 11-]2.
  • 118.
    Parler 123 trèseXACtement se loger en elle. Les Moines, ce sont des mots rudimentaires qu'on trouve, identiques, dons un grand nombre de langues - dans toutes peut-être; elles ont été imposées par la natUre comme cris involontaires et utilisées spontanément pur le langage d'action. C'est là que les hommes sont .nés les chercher pour les faire figurer dans leurs langues convention­nclle~. Et ~i, t.ous les peuples, dans tous les climats, ont choisi, pamli le m8tr.~au du .Iungag~ d'act.i,!n, ~es sODor~tés élémen­tnirt-' ll, e'c5t qUIIII y decouvralent,mals dune maruère seconde et réfléchie, une re~!lllmblance uvee l'objet qu'ils désignaient, ou la possibilité de l'appliquer à un objet analogue. La ressem­blance de la l'8cine à ce qu'olle nomme ne prend sa valeur de IIÎ!!ne verbal que par ]0 convention qui a uni les hommes et ré'gl~ en une langue Jeur langage d'action. C'est. ainsi que, de l'intérieur de ]11 reprÎl~entntion, les signes rejoignent la nature même de ~ qu'ils Maignent, et que s'impose, de façon identique, à toutes les langues, ]e tré!lOl' primitif des vocables. Les racines peuvent !le fonner de plu~ieurs façons. Pal' l'ono­matopée, hien silr, qui n'est pas exp~~ion spontanée, mais articulation volontaire d'un siWle l'e9!1emblant : c faire avec BIl voile Je mllme bmit que rait l'objet qu'on veut nommer 1 •• Par l'utilisation d'une ressernhlance éprouvée dans les sensations: c l'impression de ]a couleur rouge, qui est vive, rapide, dure à.la vue, sera très hien rendue par le son R qui fait une impres- 810n anaJogue 5ur l'ouie S JI. En imposant aux organes de la voix des mouvements analogues à ceux qu'on a le dessein de signifier: c de sorte que le son qui résulte de la forme et du mouvement nat.urel do l'organe mis en cet état devient le nom de l'objet" : ]a gorge racle pour désigner le frottement d'un corps contre un autre, elle S8 CreU!l8 intérieurement pour indi­quer une surfulle conl'.ave a. Enfin en utilisant.pour désigner un organe los sons qu'il prodUlt naturellement : l'articulation ghen a donné son nom à )a gorge d'où elle provient, et on se 8er~ des .dentales (d et t) poUl' désigner les dents 4. Avec ces artlculutlClDs conventionnelles de la ressemblance, chnquelangue pe,;,t S8 donner son jeu de raemes primitives. Jeu restreint, pu!Squ'elJes sont presque toutes monosyllabiques et qu'eUes e~lsteMnt en très petit nombre - d~ux cents pour la langue hebralque selon les estimatioDS de Bergier 1; encore plus res- 17!5)De Brosses, Traité dt! la farmalion mttanique dl:8 langua (Parla, , p, 9. j 2, Abbé Cllpinp.ntl, R""li .ynlhllique .lIr rOl'igine t:I la f/lrmation du c"'gu~ (Parlll, 1774), p. 3<1.35. ~. rd ~!lMSJ TNlirt de la fllrmlJliort mkarti'llle dl!S langueiI, p. 16-18. • "Ibid., t. l, p. loi. . Eergier, Lea EMmellU primitif. dl!5 langua (PariB. 17641. p_ 7-8.
  • 119.
    121 treint sil'on songo qu'ollci sont (il cause de ces rapports de ressemblance qu'elles instituent) communes à la plupnrt des langnes : de Rro!lse& ponse que, pour tous les dialectes d'Europe et d'Orient, 0llc9 ne romplissent pas à ellell toutes c une pogo de papier de lettl'e8l. Mois c'est à partir d'elles quo chaIJuelang1.l8 en 88 particularité vient à se former: c leur développement ost prodigieux. Telle une grrtine d'orme produit 11n grand arbre qui poussant de nouveaux jets do chaque racine produit li. la longue une véritable forêt 1 •• Le langage l'eut se déployer mainlenant daus sa généalogie. C'csstollc que deBro9s6svolllllit étnlurdansIIJlesf18cede filirtti()ns continues qu'il oppelait r cArchéologuo univer.;el! J. En haut de cct esplice, Oll écrirait 1eR racines - hien l'CU nombl'euses­qu'utilisellL JeB langues d'Europe et d'Orient; au·dessous de ohaouno on placerait les mots l'lus compliqués qui en dérivent, mais on Jlrennnt. ~ojll demeUre d'abord ceux qui en sont les plus proche:!. et. do suivre un ordre assez serré pour qu'il y ait eutre les mot.s sucoo8Bifs la l'lus petite distance p()~8ible. Ou coUSû­t. uerait ainsi des séries parfaites et. exhaustives, des cbaines absolument continues où les ruptures, si elles existaieut, indi­queraient incidemment. la place d'un mot, d'un dialecte ou d'une langue aujourd'hui di=:;jlarus 3. Cette grande nappe sans couture une Fois constituAe, 011 aurait un espace il deux dimon­. ions qu'on pourrait J1ureourir ell absçisses. ou en ordonni-.es : à la verticale on Rurllit)o filiation complète de chaque racine, à l'horizontale le.~ mots qui sont utilises pur une langue donnée; plus OIl s'éloignerait des mcinos primit.ives, plus compliquées, et, sans doute, plus récentes seraient 1ll&langues délluies par une ligne transversale, mais en même temps, plus les mols auraient d'llUicaoiLé et de fiuesse pour l'nnnlysedes rcpr~entation5. Ainsi l'espace historique et le quadrillage de ln pensétl seraient exac­tement superllOséIJ. Cette recherche des .. acines peut bien lIppnraitre llomme un retout' il l'histoire et à la tbéorie des langues-mères que le classieisme, un instant, avait paru tenir en suspens. En réalité, l'analyse des rlloines ne rellJace paIS le langllge dans une histoire qui serrtit comme son milieu de naissance et de traJl5rormntion. EUe rait plutôt de l'histoire le parcours, par étapes successives, du découpage simultoné do la représentation et des mots. Le langage, à l'époque classique, 00 n'tlst pas un Iral,!lIlent d'his­toire qui autorise à tel ou tel momeut. un mode défmi de pensée J. ne 131'05SeI, Trait. de la '''rmlllion mlcanllfUll·d~ lfl"Qu~,. t. 1. p. 18. 2. 111., 'Md., p. Il, p. 49O-t99. 3. Id., ibid., &. 1, 11"irace, p ...
  • 120.
    Parler 125 eLde ré!1cxion; c'es .. un espace d'analyse sur lequel le tenlp. eL le savoir des hommes déroulent. leur parcoun. Et que le langage ne Boit. pas devenu - ou redevenu -, par la t.béo­rie de!! racines, un 6tre bist.orique, on en t.rouverait. bien aisé­ment. )a preuve dans la manière dont, au XVlIIe siècle, on a recherché los étymologies. On ne prenait pas oomme fil dire"" teur J'étudo des transformations matérielles du mot, mai» la COliS tance des significations. Cette recherche avait. deux aspects : définition de la racine, jj;olement des désinences et des préfIXe!. Définir III racine, c'est {aire une étymologie. Art qui a Iles règles codifiées 1; il faut dépouiller )e mot do toutes les traces qu'ont pu déposer sur lui Jes combinaisons et los Owons; arriver à un élément monOllyl· Ji/bique; suivre cet élément dans tout le passé de la langue, à travers les anciennes 1 chartes et glossaires 'i remonter à d'autres langues plus primitives. Et tout au long de cette filière il Iaut bien admettre que ]e mOllosyllabe se transforme: t.outes los voyelles peuvent sc substituer les 1UleB aux autres dans l'histoire d'une racine, CBr les voyeUes, o'est la voix elle-môme, qui est sans discont.inuité ni ru~tUl'O; les CODSOnnes en revanche se modifient. selon des voies pnvilégiées : gutturales, linguales, palatales, dentales, labiales, nasnles forment des Camilles de consonnes homophones à l'intérieUl' desiuelles le font, de préférence mais saDS aucune obligntion, cs changements de prononciation 1. La seule constante ineffaçable qui alsure la continuitk de la racine tout au long de son histoire, c'est l'unité de sens: la plage représentative qui persiste ind6finiment.. C'est que 1 rien pcut-être ne peut borner les inductions et. tout peut leur servir de fondement depuis]a res!lemblnnce totale jUllqu'aux re.·;jiemblnnces]es plus légères.: le sens des mots es 1 la lumière ]a plus sare qu'on puisse c()Jl5ulter 3 Il. VI. LA DtSlVAT101'l Comment !le fait-il que les mots quj, en leur essence première lont DOIlll et désignations et quj s'articulent comme s'analyse 1. cr •• urtoul Turgot, arUcie • ~tymOIOgl8' de l'Enrgdopldit. 2. Ce sont, avec quelques varumU!a acceMOires, lei IeUlCB lois de variaUoDs pbunéUques reconnues por d. BIO!!IieI (De 1. formaliOll mécanlqu. dulan", .. , p. 108-123), Hergllll' (EIIPlltn16 primfllf' du l/Ulguu, p. "fJ.8:1), COu,", da Géhelln (Billoire nalureU. de la ptII'OIe, p. 69-64), TW'(Io& (Adiele • et1TllG­logle .). a. l·urgot, nrUela • ~~ymolocle • clIl'Encycloptdic. cr. de Br06IIi, p. "20.
  • 121.
    126 la t'eprésenlationelle-même, puissent s'éloigner irrésistible­ment de leur signification d'orJgine, acquérir un sens voisin, ou plus large, ou plus limité? Changer non seulement de forme, mais d'extension? Ac~érir de nouvellos sonorités, et aussi de nouveaux contenus, SI bien qu'h partir d'un èqwpement pro­bablement identique de raeines, les diverses langues ont form6 des sonont6s différentes, et en outre des mols dont le sens ne se recouvre pail? Les modifications de forme sont snns règle, lA peu pris indé­finies, et jamais sta1!les. Toutes leurs causes sont externes : facilité de prononciation, modes, habitudes, climat -le froid favorit18 1 le sill1ement labial,., la chaleur Ilos aspirations gut­tumlos 1 1. En revanche, les altérations de sens, pUIsqu'elles 80nt limitllos au point d'autoriser une !Icience étymologiquo, sinon absolument certaine, du moins «prohable» 1 - obéissent h des principes qu'on peut assibrner. Ces principes qui fomentent l'histoire intérieure des langues sont tous d'ordre &patial. Les uns concernent la ressemblance visible ou le voisinage des ohoses entre elles; les autre9 ooncernentlelieuoüsedérosentlelangage et la forme selon laquolle il 6e conserve. Les figures et l'éori­ture. On connait deux grands types d'écriture : ceUe qui retrace le sens des mots; celle qui analyse et restit.ue les SODS. Entre elles, il y a un parlnge rigoureux, soit qu'on admette que la seconde a pris chez certains reuplesla relève de la première à la Buite d'un véritable «coup de génie 3 », soit qu'on admette, tant eUes sont différentes l'une de l'autre, qu'oUes sont apparues à puu prês simultanément, la rremière chez les peuples dessi­nateurs, la seconde chez les peuples chantours t. Représenter graphiquement 1" sens des mots, o'est b.l'origino faire le dessin exaot do ]a chose qu'il désigne: à vrai dire, c'est à. peine une écrituro, tout. au plus une reproduction pie1.urale grâce à quoi on ne pellt guèt'e transcrire que les récits ICI! plus cOllcrets. Selon Warbllrton, les Mexicains ne connaissaient gll~l'O que C8 pro­cédé Il. L'écriture véritable a commencé lorsqu'on s'ost mis à représenter non plu8 ]a chose eUe-même, mais un dos élément!! qui la constituent, ou bien une des circonstances habituelles qui la marquent, ou bien enCGre une autre chose à quoi elle res­semble. De là trois techniques l'écriture euriologique des 1. DII BrolS@8, Trailé dt ln fOl'malion m'-t:an''1ulI/Û' langutl, t. l, p. 66-67. 2. Turr:o, orLicle • g~ymoltlgie • de I·Bncyrloptttie. 3. Duclo!!, Remarque,'1ur la grammaire ginérulfl, p. 43-44. 4. De~Lul~ de Tr.Icy, ËMmmr. d'ldl(llogill, Il,'p. 307-312. 5. Warburlon, Essai sur le. hih'fJIIUpllu de. Ewplien. [traduction fran­caise, 'Pam, 1744), p. 15.
  • 122.
    Parkr 127 tgyptiens,la plus grossière, qui utilise c la principale circons­taoce d'uo aujet pour tenir lieu de tout. (un ore pOUl' une bR Laille, une écbelle J10ur le liège. des ~ités) i p,!i~ les hiéroglyphes c tropiqur.s • un peu pl!lS per(e~tlonnes. qUl u~lblent ~ne ~lrcons­Utllce remRrquable (pU1sque Dlell est tout-pUissant, 11 sRlt tout, cl. il peut flurveiller les ~ommes.: on le représentera par un oeil); cnfin l'écriture symboh'{!le '1w se sert de ressemblances plus ou moins cachées (le soleil qw se lève est figuré par la Ute d'un crocodile dont. les yeux ronds affieurellt juste à la surface de l'eau) 1. On reconnait là les trois grandes figures de la rhéto­rique : synecdoque, métonymio, cal.achrèae. Et c'est en sui­vant la DC"Ure qu'elles presorivent '.lue ces langages doublés d'uue écriture symbolique vont pOUVOll' évoluer. :ua se chargent peu à peu de.pouvoirs poétiques; les premières nominatiOIlll deviennent 18 point de départ de longues métaphores: ceUea-ci S8 compliquent progressivement et sont bientôt ai loin de leur point d'origine qll'il devient difficile de le retrouver. Ainsi noiijsent les suporsLitiollK qui laissent croire que le soleil est un crocodile ou Dieu un grand oeil qui survcille le monde; ainsi na~sent également les &avoirs ésotérique. chez ceux (les prêtres) qui se tran."mettcnt de génération en génération des métaphores; aiDlli naissent les allégories du discou.rs (si fréqucntes dans les littérature' les plus arcllaiqlles), et aussi cette illusion que le savoir consiste à connalue les ressemblance •• Mais l'histoire du langage doté d'une écriture 6gul'ée est vite arrêtée. C'est qu'il n'estgu~re possible d'y accomplir des progrès. Les signes ne S8 multiplient pas avec l'analyse méticuleuse des reprélsentations, mais avec les analogies los pllll lointaines : de sorte que c'cst l'imagination des peuples qw est favorisée plus que leu!, rénexion. La crMulité, non la science. De plus la conJlajs~allce n.écessite deux apprentissages • celw des mot. d'abord (comme pour tous les langages), celui des sigles enswte qw n'ont pas de rapport avec la prononciation des mota; une vie humaine n'est pos trop longue pour cette double éducation.; el si on a eu, de surcroît, le loisir de raire quelque découverte, on ne dispose pas de signes pour la transmettre. Inversement, un signe transmis, puis,(U'jl n'entretient pas de rapport intrin­sèque aveu le mot qll'il figure, demeure toujours douteux : d'âge en Ago OD DO peut jamais être sill' que le même son habite la même figure. Les nouveautés sont donc impossibles et les tradiLions compromises. Si bien que le seul souci des savants est de garder c un respect. 8upenlitieux _ pOUl' les lumières reçues des ancêt.res, et pour les institutions qui en gardentl'M- 1. WnrburLnn. /?ssai .ur Ics hiirfJglyphu du Sgyp/tms. p. 9-23.
  • 123.
    128 l'ltage :c ils sentent que tout chang/!ment dans lell moeul':l en apporte dans la langue et que tout changement dans la langue conCond et anéantit toute leur science 1 •• Quand un peuple ne PQss~de qu'une écriture figurée, sa politique doit exolure l'histoire, ou du moins touto histoire qui ne serait pas pure et simple col15ervation. C'est là, dans ce rapport de l'espace au langage, que sc situe, selon Volney s, l'essentielle différence entre l'Oriellt et l'Occident. Comme li la disposition spatiale du langage prulicrinit la loi du temps; comme .i Jeur langue ne venait pas aux hommes li. travers l'hiatoire, mais qu'inver­. ement ils n'aBcédaient à l'histoire qu'à. travers le sY!ltèmè de leurs signes. C'&,jt dans ce noeud de ]a représentation, des mota, et de l'espace (les mots repré!entant l'espace de la repréMlnu­tion, et se représentant lIeur tour dans le templi) que se forme. ailenciewement, le dest.in des peuples. Aveu l'écriture alphabétique, en efTet, l'histoire des hommes cbange entièrement. Ils transcrivent dansl'espaoe non pas leurs idées mais Jessons, et de ceux-ci ils extmient les éléments COm· muns pour former un petit nombre de signes uniques donUa com­hinaillon permettra do former toutes les syllabes et tous les motl possibles. Alors que l'écriture symbolique, en voulant spatiali.'4ef les repnisentations elles·mêmes, suit la loi confuse des simili­tud& ï,et CaitgIisser lelnngagehors des Cormes de Ja pensée rifle;· chie, l'écriture alphabétique, ellrenonçant à dp.ssincr la représen. tation, transpose dans l'ana lyse des roBS les règles qui valent pOUf la mison elle-même. Si bien que les lettres ont beau ne pas repré­senter dos idées, eUes se combinent entre eUes comme Jes idées, et les idées se nouent et se dénouent comme les lettres de l'al­phabet. s. La rupture du parallélisme exact entre repr6sentation et paphisme permet de Joger la totalité du langage, m~lDe écrit, dans le domaine général de l'analyse, et d'appuyer l'un lur l'autre 10 1)1'ogrès de J'écrituro et oelui de Ja pensée '. r .. es mêmes signes graphiqUe! pourront décomposer tous les mot.'I nouveaux, et transmettre, saRS crainte d'oubli, chaque découverte, dès qu'eIlts aura été laite; on pourra le servir du mame alphabet pOUl' transcrire difTérentes langues, et laire pllssël' ainsi Il un peuple les idées d'un nutre. L'apprentissage de CIII; alphabet étnnt très laciIe à. cause du tout petit nombre de ses éléments, chacun pourra consacrer Il la réOexion et " l'analyse des idées Je temps que les autres peuples gaspillont 1. DUIlLuLt de Tracy. Elr.lmllf6 d'Iddorr;g", t.. H, p.284-300. 2. VOlllllY, Lu Ruina (Paris 1791). ohsp. XlV. 3. Cnnrllllnc, Gramm"ir., chap. 2. ~. Adilm Smith. Co",id~ralion. "zr rorlginc " fa larmallon du '"npuu, p. C4.
  • 124.
    Parur 129 •apprendre leBleltres. Et c'est ainsi qu'II.l'int6rieur du langage, très exactement cn celte pliure de·. mot.s où l'analyse et l'ClIpace .e rejoignent, nalt 1 .. possibilit.41 première mail indéfinie du pro-rès En Ba racloe, le progrês, tel qu'il elt défini au :Evm- siècle, :'est plIS un mouvement. intérieur à l'histoire, il est le résultat d'un rapport fondamental de l'etlpace et du langage: 1 Les signes arbitraires du Inngog8 et de l'écriture, donnent aux hommes le lDo)'en de s'assurer la possession de leurs idées et de les commu­niquer aUX autres ainsi qu'UJ1 héritage toujourl augmoulê dei découvertes d.e. chaque sièole; et le ~enre ~UDl8in comidéré del'uis lion orJgule paratt aUlt yeux d UD. philosophe UIl tout immense qui lui-m~me a, comme ohoque individu, son eneaDCe et 8es progrèa 1. » Le langage dOIlIl8 à la perp6t.uelle rupt.ure du temps la continuitê de l'espac:e, et c'est daus la mesure où il aDalyse, arlicule et d~coupe la représentation, qu'il a le POil­' t'oÏr de lier h travers le tempa la connaissance des choses. Âvec le langage, la monotonie eonfusede l'espace 8C fragmente,. tandis que s'uoifie la diversité des SUCCCSS1ons. Il rest8 cependant un dernier 'problème. Caf l'êcriture est hien le suppurt et le gardien toUJours é"eill~ de ces analyses progressiV8went pluli fines. EUe n'en est pas le principe. Ni le mouvement. premier. Celui·ci, c'est un glissement. commun .. l'attention, aux signu .t aUlt motl. Dans une repl'ésenta­lion, l'esprit pllut s'attaeh.r, et attacher un signe verbal, il un élément qui cn {ait. partie, li. Olle circonatance qui l'accompagne, li. une autre chose, absente, qui lui ed semblable et revient à cause d'elle lia ml:moire l • C'est. bien ainai que le langage s'est dheloppé et, petit li. petit, a ,P!JUJ'Suivi 118 dérll-e li. partir des désignations premières. A l'orJgme, tout. avait un num - nom propre ou singulier. Puis le nom s'est attach6 li. Wlseul élément de cette chose, et s'est appliqué Il tous les autres individus qui le contenaient également: ce n'est plustel chêne qu'on a nommé arbre, mois tout ce qui contenait au moins tronc eL branches. Le nom Il'eRt aussi attaché li. une circonstance marquant.e : la nuit a désignê non pa!! 1. fin de ce jour-ci, mais la trancha d'obscurité qui sépan tous les couchers de soleil de toutes los aurores. Il s'est attaché enfin à des analogics: on 8 appelé fBUill. tout ce qui était mince et Iislle comme une feuille d'arbre 1. L'l!Wl.lyse progressive et l'articulation plus pouss~e du langage qw pennettent de donner un seul nom à plusieurs chosea se IOnt faites cn suivant 18 fil de cell figures fondamentales que LaI. Turgot, Tabftall du progrü 6u,cu~r/' de fupril humaIn, 1'150 (OEUII,., ~. SebeUe, p_ 215)_ :- COndillIlC, Er.cd .ur rllrlglne d. connaluunrll (OEuvra, t. 1), Po '5-87 • ... Du ~11ln;:Wi, l'mllt tltllropea ((!dllloQ dll 1B1l), P 1ü()'151.
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    f30 la rhétoriqueconnait bien : lIyneodoque, métonymie et cata­ohrèse (ou métaphore 8i l'analogie est moins immédiatement sensible). C'est qu'eUes ne 80nt point refret d'uu raffinement de style; clles trahissent, au contl'oiro, )a mobilitê propre li. tout langage dès qu'il cst Bpontan~ : Il il se fait plus de figures un jour de marché à la Halle qu'il ne s"cn fait en plusieurs jours d'assemblées académiques J. ». Il est bien probable quo cette mobilité était même beaucoup plus grandc à l'origine que main­tenant: de DOS jours, l'analYlle est li fine, le quadri1lage si 8crré, les rapports de coordination et de subordination si bien établis, que les motll n"ont gul!rc l'occasion de bouger de Jeur place. Mais aux commencements de l'humanité, quand les mots étaient rares, que les représentntions étaient encore confuses et mal ana­lysées, que les palsions les modifiaient ou lesfondaient en8emble, lcs mots avaient un grand pouvoir de dêplacement. On peut mÔme dire que les mots ont été figurés avant d'être propres : c'es-à-dire qu'ils avaient Il peine leur statut de noms singulie1'8 qu'ils s'étaient déjl répandus sur le8 représentations pa.r la force d'une rhétorique Bpontllnêe. Comme le dit Rousseau. on 8 Bans doute parlé de géants avant de d6signer des hommes 1. On Il d'abord désigné les bateaux par leun voiles, et l'âme, la «Psyché I, reçut primi.tivement la figure d'un papillon '. Si bien qu'au fond du langage parlé ClOmme de l'écriture, ce qu'on découvre, c'est l'espace rhétorique des mota : cette liberté du ligne de venir se poser, selon l'analyse de ]a représentation, lur un élément interne, sur un point de IOn voisinage, Bur une figure analogue. Et si lcs langues ont la diversité que nous constatons, si Il partir de désignations primitives, qui ont sans doute été communes Il cause de l'universalité de la nature humRine, elles n'ont OO8sé de se déployer selon des formes diffé­rentes, si eUes ont eu chacune leur histoire, leu1'8 modes, leurs habitudes, leurs oublis, c'est parce que les mots ont Jeur üeu, Don dans le temJV, mais dans un Blpace où ils peuvent trouver leur site onginai'te, se déplacer, se retourner lur eux-mêmes, et. déployer lentement tout.e une courbe: un espace tropolo­gique. Et on rejoint ainsi cela même qui avait servi de point de départ à la réOexion sur le langage. Parmi tous les signes, le langage avait 1& propriété d'être suooessif : non parce qu'il aurait appartenu fui-même Il une chronologie, mais parce qu'il étalait en sonorités successives le simultané de la repmentation. Mais cette 8ucçelsion qui analyse, et 'ait apparattre les uns aproe les aut.rea des éléments discontinus, parcourt rapace que 1. Du ~fan;als, Tram dell Iropta, p. 2- 2. Rouesenu, Bual ,~,. ra"l/ine du ltJnguu, p. 15?-153. 3. De BroSi!I!8, TraiU de ,. "rollOnclaUlln mtcllIIiqu" p. 267.
  • 126.
    Parkr 131 larepré!lcntation oOEre au regard de l'esJl!Ït. ~i bien Tl8 le !an­gage ne fait que mettre dans un ordre hnéalre les dispersions roprésenLécs. La propositi.on déroule e fait entendre la 6gure que la rhétorique rend i:le~llble ou regard. Sans cet espace tropolo-ique le langage ne serait pas formls de tous CM noms communs ~ui p~rmettent d'établir un rappo~ d'attribution. Et sa'!scette analyse des mots, lei figures seraient restées muettes, luatan­tauées et, aperçues daua l'incandescence de l'instant, elles seraient tombées aUl8it6t daDl Ull8 nuit oil il n'y a même pu de temps.. .• • , ell d 1 d • Depuis ]a tMorle de. la proP'!B1tiOU JUSqu à cee a én: vation, toute ]a réflCloon classique du langage - tout ce qUI s'est appelé la 41 grammaire génlsrale IJ u'est que le CODUnen­taire serré de cette simple phrüsa : 1 le langage analyse IJ. C'est là qu'a bascull:, au XVIIe siècle, toute l'expérience occidentale du langage, - eUe qui avait toujours cru jusqu'alors que la langage parlait • .,JI. LB QU,A,DRII.,A,TSRB DU I.,A,"OACB Quelques remarques pour terminer. Les quatre théories­de la proposition, de l'articulation, de la désiguation et de la dérivation - forment comme les segments d'uu quadrilatère. EUes s'opposent deux à deux .t deux à deux le prêtent appui. L'articulation, c'est ce qui dODUe contenu à la pure fonne verbale, vide encore, de la proposition; elle la remplit, mais s'oppose à elle comma une Domination qui ditTérencie les choses s'opPOlie il l'attribution qui les relie. La théorie de la d~signatioD manifeste le pomt d'attache de toutes les formes n?mlDales quel'8I'ticulation découpe; mais elle s'oppose à celle­Clt CODUDe la désignation instantanée, gestuelle, perpendicu- 181r~ s'oppose au découpage des généralités. La théorie de ]a ténvat}O;U mont~e le m~l1Vement continu des mots à pnrtir de ~Ul' ongme. UlalS le ghllSement à la surface de la représenta­tion s'oppose au lien unique et stable qui attache une raciue à U!,~ 1'8prés.entation. Enfin la dérivation fait retour à la pro­P08rt1(~ n, pwsque saDS elle la désignation demeurerait repliée B~I' 801 e.t no pourrait pal acquérir cette généralité qui auto­l'ISe un lien d'8ttn"bution; pourtan.t la dérivation Ile (ait selon une figure spatiale, alors que la proposition lie déroule lelon un ordre successif. n faut Doter qu'entre les sommets oppos6a de ce rectangle,
  • 127.
    132 il existecomme des rapports diagonaux. D'abord entre articu­I. tion et dérivation: s'il peut y avoir un langage articulé, avec des mots qui se juxtaposent, ou .'emboUent, ou s'ordonnent les UDS aux autres, c'est dans la mesure où, à partir de leur valeur d'origine et. de l'acte simple de désignat.ion qui les a fondés, les DlOtll n'out cessé de dériver, acquérant Will uxten. sion variable; de là un axe qui traverse tout le quadrilatère du langage; c'est le long de cette libme que se fixo l'état d'une langue : sos CEl'pocités d'articulation 60n prescrites par 10 point de dérivatlon auquel elle est parvenue; là sc définissent .. la fois 81l posture historique et Bon POll·oir de discrimination. L'autre diagonale va de la proposition Il l'origine, 'c'est·/l·dire de l'aIIirmation enveloppée en tout acte de juger Il la d~igna. tion impliquée por tOlltoote de nommer; o'est le long de cet axe que s'établit le rapport des mots li. ce qu'ils rcprusentent : il apparatt là que les mots ne disent jamais que l'ètre de la représentation, mais qu'ils nomment toujours quelque chose de' représenté. La première diagoDale marque le progrès du lan­gage dans 80n pouvoir de spécification; la seconde, l'enroule­ment indéfini du langage et de ]a représentation, -le dédou­blement qui fait que le signe verbal représente. toujours une représentation. Sur cette dernière ligne, le mot fonctionne comme substitut (avec son pouvoir de représenwr); sur la pre­mière, comme élément (avec son pouvoir de composer et de décomposer). Au point de croisement de ces deux diagonales, au centre du quadrilatère, là où le dédoublement de la représentation le découvre comme aualyse, et où le ~ubstitut a pouvoir de répar­tir, là où se logent par conséquent la possibilité et le principe d'une taxinomie générale de la représentat.ion, il y a Je mm. Nommer, o'est, tout Il la fois, dODIler la repré:leutotion ver­bale d'une représentation, et la placer dans un tableau géné­ral. Toute la théorie classique du langage s'organise autour de cet être privilégié et central. En lui se croisent toutes les fonc­tions du lan~age, puisque c'est par lui. que les représcntation~ peuvent venar figurer dans une proposltlOn. C'cst dono par lUI aussi que le discours s'articule sur la connaissance. Bien entendu, seul le jugement peut être vrai ou faux. Mais si tous les noms étaient exacts, si l'analyse SUI" laquelle ils reposent avait été parfaitement réfléchie, si la langue était c bien faite Il, il n'y aurait aucune difficulté à. prononcer des jugements vrais, 8t l'erreur, danl le cal où. elle se produirait. serait IlU99i facile !t déceler et aUlSi évidente que dans un calcul algébrique. Ma~1J l'imperfection de l'analyse, et tous les gwsements de la déri­vation. out. impo5é des nODl6 è. des analyses, il des abstraction.
  • 128.
    Parle,. 133 ouà des combinaisons illégitimes. Ce qui serait sans inconvé­nient (comme de prêter un Dom aux monstres da la fable) ai le mot ne ~e do~ait comme représentation d'une r~pré6ent.a­tion : .i bIen qu on ne peut penser un O1Ot- aUIISI abstrlUt, général et vide qu'illioit - sans affirmer la possibilité de ce qu'il repré~eDte. C'est pourquoi, au'milieu du quadrilatère du langage, le nom appOl'Illt il Ja fois colDDle le point vers lequel oonvergent toutes 1011 structures de la langue (iJ est sa figure la plus intime, ]0 mieux protégêe, le pur résultat. intérieUl' de toutes ses conventions, de toutes ses règles, de toute Bon his­toire), et comme le point il pnrtir duquel tout le langage peut entrer dans un rapJlort il la vérité d'où il sera jugé. Là 118 noue toute l'expérience classique du langage: le enraa­tère révet;'ible de l'analrse. grammaticale qui est, d'on seul tenant, JClence et prescnptJon, étude des mots et règle pour les bâtir, les utiliser, les rérormer dans leur fonction représen­tative; le nominalisme fondamental de ]a philosophie depuis Hobbes jusqu'à l'Idéologie, nominalisme qui n'est. pas sépara­ble d'w18 critique du langage et de toute cette méfiance à l'égard des mots généraux et abstraits qu'on trouve chez Male­branche, chei: Berkeley, cllez Coudillac et chez Hume; la grande utopie d'un langage parfaitement transparent où les c1105eS elles-nlême1l seraieut nommées saUlI brouillage, soit par Wl sys­tème totalement arbitraire, mais exactement réUéc}ù (langue artificielle), soit par uu langage IIi naturel qu'il traduirait la pensée comme Je visage quand il exprime ulle passion (c'est de ce langage fait de signes immédiats que Rousseau a rêvé au premier de Iles DiaIoglJ88). On peut dire que c'est le Nom qui organise tout le discours classique; parler ou écrire, ce n'est pas dire les choses ou s'exprimer, ce n'est pas jouer avec le langage, c'est s'acheminer vers l'acte souverll1n de nomination. nller, à travers le langage, jusque vers le lieu où les choses et les mots se nouent en l~ur essence commune, et qui permet de leur donner un nom. Mais ce nom, une fois énoncé, tout le Ja~gage qui a conduit jusqu'à lui ou qu'on ft traversé pour l'at­teindre, Be résorbe en lui et s'efTace. De sorte qu'enson essence pro.r0!lde le discours classique tend toujours à cette limite; mais il ne subsiste que de la reculer. li chemine dans le l!llspens 8~ns cesse II}uintenu du Nom. C'est pourquoi, tIans sa possibi­lité même! Il y est lié il la rhétorique, c'est-à-dire à tout cet espace qw en~oure le nom, le fait osciller aulour de ce qu'jl iprésente! 1!U8l1e apparaître les éléments ou le voisinage ou ~s analogieS de ce qu'iJ Domme. Les figures que traverse le 1 SCOIU"8 assurent le retard du nom qui vient au dernier moment ea combler et les abolir. Le Dom, c'nt le terme du discours.
  • 129.
    t3' Et peut-êtTetoute la Iitt~rnttD'8 ola!lsi~e se loge-t-eUe en cet espaçe, dana ce mouvement pour at.lewdre un Dom toujolU'l redoutable parce qu'il tue, en l'épuisant, la possibilité de pu- 1er. C'sst. ce mOllvement qui a emporté l'exp6rieoce du lauHage depuis l'aveu si retenu de la PrinCUIIB da ClAp" jusqu.'à 1 ill'l­mMiate violence de Juliett6. Ici, ]a nomination so donlle enfin dans BD nudité la plua .imple, et les figures de la rhétorique, qui jusqu'olorl la tenaient en suspens, basculent 9 deviennent )ea figures indéfinies dll déBir que les mêmes noms toujours répétés s'épuisent iii parcourir .ana qu'il leur sOR jamais donné d'en atteindre la limite. Toute la littérature clauique se loge dans le mouvemen' qui va de ]a figure dll nom 811 Dom lui-même, passant de la Uche de nommer encore la même chose par de nouvellBS figures (c'est la préciosité) Il celle de nommer pllr des mata eni .. jUltes, ce qui ne l'a jamall été ou elt demeuré en lJommeil dana )es plis de mots lointains : tels ces seorets de rime, cea impre.s­. ioDi nées ~.la limite des choses et du corps pour lesquels le langage de la CinquièmB PromflTllltÙJ 8'est rendu spontanément limpide. Le romantisme croira avoir rompu aveo l'âge précédent parçequ'il aura appris à nommer los choses parleur nom. A dire 'Ynli tout le classicisme y tendait: Hugo accomplit la prome8Se de Voiture. Mais du fait même, le nom cesse d'lUre la récom­pense du langage'; il en devient l'énigmatique matière. Le B8Ul moment - intolérable et longtemps enfoui dans le secret - oà le nom rut ilIa lois accomplissement et substance du langage, promesse et matière brute, ce fut lorsque, avec Sade, il fut t1'8- vel'Ré dans toute Ion étendue par ]e désir, dont il était le lieu d'apparition, l'a8BOUvitillement et l'indéfini reoommUDcement. De là le fRit que l'oeuvre de Sade joue dans notre culture le rôle d'un incessant murmure primordial. Avec oette viulence du nom enfin prononc6 pour lui-même,le 18nga~e émerge danB Ba brutalité de chose; les autres. parties de l'oraIson 1 prennent li leur tour leur autonomie, elles échappent li la souveraineté du nom, ce!lsent de former autour de lui une ronde acoessoire d'ornements. Et puisqu'il n'y a plus de beauté singulière l • ,retenir 1 ]e langage autour et au hord du nom, il lui fa~e Dlontrer ce qu'il ne dit pas, il y aura un diacoun non discursif dOllt le rOle sera de manifc!lter le lanioage eu Ion êt.re brut. Cet être propre du langage, c'est oc qua e XlXe liècle appellera le Verbe (pal' opposition au c verbe. des classiques dont la fonC'" tion est d'épingler, discrètement mais continllment, le langage • l'être de Ja représentation). Et le discou1'II qui déûcDt cet "re et. le libère pour lui-même, c'est la littêrature. Autour de ce privilège clauique du nom, 16s aegmenta thêo-
  • 130.
    Porlelr 135 •e9 (propotlltlon, articulation, désignation et dérivation) d:ltnïlSent la bordure de ce qui fu~ alorl, l'~~rien~ du langage. En. .lel.analysant pa- ~ pliS, 11 no 1 a~18l8lt pomt d. f ' Il une histOire de" llonceptaflO5 grammatlcalel du xyue ~Irdu xVIIIe siècle, ni d'ét'lblir le profil général de ce que lei heomm~es .aVlil ent pu penser ~ propos d u 1a ngage. li. »' agt.l ll8~. t de détermintlr à quelles tOndltlons le langage }louvait. deveOll' objet d'un Bavoir et entre quoUelllimitell B! dépl,oyait. ce dowaine épistémologique, ~on pa~ çalcule~ le deno~a~e~ CO~lO des opiniOll8. maiS définir à partir de quoI il etcnt. posllible qu'il eQ.t. des opinions - telles ou tel1~ - sur le langage. C'est pourquoi ce rectangle dcssine une périphéri" plus qu'uue figure intérieu1'6, et. il montre comment le langage s'enchevêtre aveu ce qui lui 6:it extérieur et indispensable. Ou a vu qu'il n'y avait langoge que par la vertu de la proposition: Bans la J.'résenoe, au moins implicite, du verbe êtrtt et du rapport d'attribution qu'il autori~e, ce n'est pas à du langage qu'on aurait affaira, maia il des signes comme les autres. La forma propositionnelle pose comme condition du langage l'affirmation d'un rapport d'iden­tité ou de dilléreuco : on ne parle que dans la mesure où ce rapport est po~sible. Mais les trois autres segments théoriques enveloppent une tout autre exigence: pour qu'il y ait dériva­tion dlltl mota à partir de leur origine, pour qu'il y ait déjà appart.enance uriginaire d'une racine à sa signification, pour qu'il y ait. enfin Wl découpage' articulê des représentat.ions, il fllut qu'il y ait, dèlll'expérience la plus immédiate, une rumeur alUllogique des cho~e5, detl ressemblances qui se donnent. d'en­trée de jeu. Si tout. était. absolue diversité, la pewsée serait vouée à la singularité, et comme la st.atue de Condillac avant qu'elle ait cOlIWlencé à 80 souvouir et il comparer, eUe Berait vouée à la dispersion absolue et. li l'ab~olue monotonie. Il n'y aurait ni mémoire ni imagination po~sable. ni réflexion, plU' conséquent.. Et il serait·impossible de comparer les choses e.Dtre elles, d'en. définir les traits identiques, et de fouder un nom commun. li n''1 aurait pas de langage. Si le langage exillte, c'est qu'a~·d~sHOUS detl identités et des dillérences, il y ft le fond des contmultéli, des ressemblances, des répétitions, de8 entrecroi­Beme! lh naturels. La ress6mblaDce, qui est exclue du savoir d,epuli le début du XV1l8 siècle, constitue toujours le bord exté­rieur du langage: l'anneau qui entoure le domaine de ce qu'on peut aoalytler, mettre en ordre et coonaltre. C'est le murmure que le dÎticour,s dissipe, mais sans lequel il ne pourrait. parler. On peut 81usir maintenant queUe est l'unité Bolide et ras­ief! ée dd~ langage dansl'expérieuce classique. C'est lui qui, 'par e leu uoe désignation .rtiçulée fttit entrer la f'ell8emblanoo
  • 131.
    186 dans lerapport propositionnel. C'est-à-dire dans un système d'identitês et de différences, tel qu'il est fondé pilf le verbe ~tre et manifesté par le réseau des 7IOm8. La tâcbe fondamentale du «discours Il classique, c'est cfaUribU8r un nam auz chosB8,et ,n te nom. th Mmmer leur être. Pendant deux siècles, le discours occidental fut le lieu de l'ontologie. Quand il nommait l'être de toute représentation en général, il était philosophie: théorie de la connaissanoe et analyse des idées. Quand il attribuait il chaque chose représentée le nom qui convenait et que, sur tout le champ de la représentation, il disposait lerêsenud'unelaDgUe bien laite, il élait science - nomenclature et taxinomie.
  • 132.
    CB.PITBB V Classer J. CE QUB DISBNT LBS BISTOJUBNS Los histoires des idêes ou des sciences - eUes ne 80nt dési­gnées ici que sous leur profil moyen - font crédit au XVII' sièc.le, et uu xVIIIe 8urtout, d'une curiosité nouvelle: celle qui leur fit, sinon découvrir, du moins donner une ampleur et une précision jusque-là insoupçonnées aux sciences de la vie. A 00 phénomène, on prête traditionnellement un certain nombre de causes et plusieurs manifestations essentielles. Du côté des origines ou des motifs, on place les privilèges nouveaux de l'observation: les pouvoirs qui lui set'Qient attri­bués depuis Bacon, at.les perfectionnements techniques que lui aurait apportés l'invention du microscope. On y range égaIe­ment le prestige alors récent dus sciences physiques, qui fournis­saient un modèle de rationalité; puisqu'on avait pu, par l'expéri­mentation ct la théoria, analyser le8 lois du mouvement ou ceUes de la réUexion du rayon lumineux, n'était-il pas normal d6 chercher, par des expériences, des observations ou des calculs, lcs.1~is qui pourraient organiser le domaine plus complexe, mais VOl!!ln, dcs 6tl'es vivants? Le mécanirnle cartésien, CJUi fut par la suite un obstacln, aurait été d'abord comme l'mstrument d'u.n tr~n~f6rt, ct. il aurait conduit, un peu malgré lui, ~e la r!ll;ioD,-!lite mécanIque à la d~couverte de cette autre ratlOnll­I1te. qw est celle du vivant. Du côté des causes encore, les bis­t~ Mens des idées mettent, un peu pêle-mêle, des attentions d.lverses : intérêt économique pour l'agriculture; la Physiocra­tie en fu~ un témoignage, mais aussi les premiers efforts d'une a~nomlc; à mi-chemiu de l'économie et de la théorie, curio­sl, te ~IUJ' les plantes et les animaux exotiques, qu'on essaie d acchmater, el donl le8 grands voyages d'enquAte ou d'explo-
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    ration - eeluideTOUl'neFort au Moyen-Oriont, celui d'AdaoBon au Sénégal - rapportent descriptions, gravures eL spêcimeDII; et puis surtout la valorisation hhilJue de la nntu1'8, avec tout. cemouvement, ambigu en son princ:lpe, par lequel on 1 investit .. - qu'on soit aristocrate ou bourgeois - argent et sontiment dans une terre que longtemps les époques prér.édentes avaient dêlai8ll6e. Au coeur du X"·lIIe siècle, ROWUllBlI herborise. Au registre des manifestlltions, les historiens marquent ensuite les fonnes variées qu'onL prises ces sciences nouvelles de la vie, et 1'. 8.'1prit J, comme on dit, qui les a dirigée!!. Elles auraient été mécanistes d'abord, BOUS l'influence de Descartes, et jus­qu'à la fin du XYlIC siflole; les premiers efforts d'une chimie à peine ~qlli~sée les 8urllÎent alors marqu~es, mais tout au long du XVllle siècle, les thèmes vitalistes auraient pris ou repris leur privilège pour se fonnuler enfin duns une doctrine unitaire - ce 1 vitalisme. que >lOUS des tonnes un peu dilléreutes Bonleu et Barthez profe!!~ent à Montpllllier, Blumenbach en Allemagne, Diderot puis Biehat à Paris. S011S ces dillérenls régimeti théoriques, des questlons, pre.lqne toujours les mêmes, auraient été poséell, recevant chllqne fois des l'tolutiolls difTé­rentes : possibilité de clallser les vivants, - 1eR uns, comme Linné, tenant que toute la nature peut entrer dans une taxi­nomie; les autres, comme Buffon, qu'elle e!!t tl'Op diverse et trop riohe pour s'ajuster à un cadre aussi rigicie; processus de la génération, avec ceux, plus mécAnistes, qui sont pltrtis9ns de la prMonnotion, et les autrell qui croient l un développement spécifique des germes; analyse des fonctionnements (la circu­lation après Harvey, la sensation, la motricité et, vers la 6.n du siècle, la respiration). A travers ces Jlroblèmes et les discussions qu'ils font nnître, c'est un jeu )lOur les historiens de reconstituer lel' grands débats dont il est dit qu'ils ont pnrtagé l'opinion et les passions des hommes, leul' raisonnement aussi. On croit ainsi retrouver trace d'uo conflit majeur entre une tlloologie qui loge, BOUS cha quo forme et dans tous les mouvements, la providence de Dieu, la Bimplicité, le mystère et)o soli ici tude de ses voies, et. une science qui cherche déjà à définir l'autonomie de la nature. On retrouve aussi la contradiction entre une science trop attacb6e à la vieille préséance de l'astronomie, de la mécanique et de l'op­tiPIe, et une autre qui soupçonne déjà ce qu'il peut y avoir d'IrrMuctible et de sp6cifique dus les domaines de la vie. Enfin les ht'ltoriens voient se dessiner, comme BOUilleurs regards, J'op­position entre ceux qui croient à l'immobilité de la nature-lia manière de Tournefort et de Linn6 surtout - et ceux qui, avec Bonnet, Benott de Maillet et Diderot, pressentent déjà la grande
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    139 uissonce créatricede la vie, son inépuisable pouvoir de traDS· fonnution, sa plasti~ité et cette dérive J'laI' InCJ!lelle elle enveloppe toutes scs productIon!',' nous-mêmes .camP:ls, dRns un temps dont nul n'cst maitre. Blfln avant Dal'Wln et bien avant Lamarck, ]e grand déhut de J'évolutionnisme aurRit été ouvert par le T"Uiamr41 Ja Pulin,giné.,ie et le, Rêge ~ lf Akmbm. Le méca­nisme et la théologte, appuyés 1 un SUI' 1 autre ou se contestant S8~S ce~se, maint.iendraient l'Agit classique au plus près de IOn origine - du cÔté de Descartes et de Malebranche; en faoe, l'irréligion, et toute une intuition confuse de la vi.e,. à leur to~ en conflit (comme chez Bonnet) ou en complicIté (comme chez Diderot) l'attireraient vers son plus proche avenir: vers ce Xlx.e si~cle dont OD suppose qu'il a donn6 aux tentatives, encore obscures et enchatnées du XVI ne, leur accomplissement positif et rationnel en une science do la vie qui D'a pal eu besoin de sacrifier la rationalité pour maintenir au plus vif de sa con9cience la spécificité du vivant, et cette ohaleur uo peu IOU­terraine qui oircule entre lui - objet de notre connaissance - et nous autres qui 80mmes là pour le coDnattre. Inutile de revonir Bur les présupposés d'une telle méthode. Qu'il suffise d'en montrer ici les conséquences: la düliculté à lai sir le réseau qui peut relier les unes aux autres des recherches aussi diverses que les tentatives de taxinomie et los observa· tions microscopiques; la nécellsité d'enregist1'er comme faita d'obsel'Vation les conflita entre les fixistes et ceux qui ne le sont pal, ou entre les méthodilltes et les partisans du système; l'obligation de partager le savoir en deux trames qui s'enohe­vêtrent bien qu'elles soient étrangères l'une la l'autre: la pre­mière étant définie par ce qu'on lIavait déjà et par ailleurB ~'hé­ritage aristotélicien ou scola.tique, le poids du cartésiamsme, le prestige de Newton), la seconde par ce qu'on ne Bavait pas enco1'e (l'évolution, la spêoificit.ê de la vie, la Dotion d'organisme); et surtout l'application de catégories qui Boot rigoureu8~ ment anachroniques par l'apport à ce saY'oir. De toute! la plus importante, c'est évidemment celle de vie. 00 veut faire des histoires de la biologie 8U XVIIIe 8iOOle; mais on ne se rend pas compte que la biologie n'existait pas et que ]a découpe du sovoir, qui nous est familière depuis plus de cent cinquante 8W1, n? peut pas valoir pour UDe période antél'ÏeUl'6. Et que si la bJologie était inconnue, il y avait à cela une raison bien simple : d'est que la Vie elle-même n'e:z:ist,ait pas. Il existait seulement es ~tres vivants, et qui apparaissaient à travera une gcille du saVOir constitu6e par l'hUtoir. narur8lla.
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    1'0 II. L'BUTO!RB 1'( 4TURBLLB Comment 1'4ge Qlassique a-t-il pu définir ce domaine de l' «histoire natureUe _, dont l'êvidonce maintonant et l'unitA même nous paraissent IIi lointaines et comme déjà brouillées? Quel est ce champ ob. la nature est apparue assez rapprochée d'eUe-même pOUl' que les individus qu'eUe enveloppe puissent être classés et assez éloignée d'ene-même pOUl' qu'ils doivent l'être par l'analyse et la reHexion? On a l'impreSsion - et on le dit bien souvent - que l'his­toire de la nature a dO. apparatt1'e sur la retombée du mécanisme cartésien. Quand il se fut révélé finalement impossible de faire entrer le monde entier dans les lois du mouvement rectiligne, quand la complexité du végétal et de l'animal eurent assez rbisté aux formes simples de la substance étendue, alors il a bien Callu que la nature se manifeste en sa richesse étrange; et la minutieuse observation des êtres vivants serait née Bur cette plage d'où le cartésiauisme à peine venait de le retirer. Malheu­l'eU8OmBnt, l8S chose. ne se passent pal avec cette limplicit6. n le peut bien - et encore ce lerait à examiner - qu'uoe aciencenaissed'uneautrejmais jamaisunescienconepeutnaitre de l'absence d'une autre, ni de l'échec, ni même de l'obstacle rencontré par une autre. En fait la possibilité de l'histoire natureUe, avec Ray, Jouaton, Christophe Knaut, est contem­pOl'aine du cart6sianisme et non de 80n éohec. La même dpi.­iémè a autoris6 ot la m6canique depuis Descartes jusqu'à d'Alem­bert et l'histoire naturello de Tournefort à Daubonton. Pour que l'histoire natll1'611e appa1'8Îsse, il n'a pas fallu que la nature s'êr.aississe, et B'obscul'oiss8, et multiplie ses méca­nismes jusqu ft acquérir le poids opaque d'une histoire qu'on peut seulement retracer et décrire, sans pouvoir la mesu1'6l', la calculer, ni l'expliquerjil a fallu, -et c'cattout le contraire­que l'Histoire dëvienne Naturelle. Cc qui existait au XVIe siècle, et jusqu'au milieu du xvn8 , c'était des histoires: Belon avait écrit une Histoire de la nature de.' OisBaU3:; Duret, une Histoire admirable du Plantes; Aldrovandi, une Histoire des Serpents oe des Dragons. En 1657, Jonaton publie une Histoire naturelle du Quadrupèdu. Bien 8111' cette date de naissance n'est pas l'Îgou~w;e 1; elle n'est 1. que pour symboliser un repère, et 1 • .J. Ray, en 1686, écrit encore une HIs'oria planlGram ,Mn/r..
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    141 signaler, deloin, l'énigme apparente d'un 6v6nement. Cet bé­nement, c'est la soudaine décan~ati~n, dans le dom~ine de l' HÎ$loria, de deux ordres, dllsortnals différents, de connaiSsance. Jusqu'à Aldrovandi, l'Histoire, c'était le tÎlllu inextricable, et. parraitement unitaire, de ce qu'on voit des choses et de tous les signe!! qui ont été découverts en elles ou déposés sur elles : fnire l'histoire d'une plante ou d'un animal, c'était tout· autant dire quels sont !l1'.9 éléments ou ses organes, que les ressemblances qu'on peut lui trouver, les vertus qu'on lui prête, les légendes cl. les histoires auxquelles il a été mêM, les blasons où il figure, les médicaments qu'on fabrique avec sa substance, les ali­ments qu'il lournit, ce que les anciens en rapportent, ce que le. "oyageurs peuvent en dire. L'histoire d'un être vivant, c'était cet. être même, à l'intérieur de tout le réseau sémantique qui le reliait au monde. Le partage, l'our nous évident, entre ce que nous voyons, ce que les autres ont observé et traW!mis, ce quo d'aulres enlin imaginent ou croient naïvement, la grande trillHrtition, I!i simple en apparence, et tellement immédiate, do l'Obs8r1'aliQn, du DfHmment et de la Fable, n'existait pas. Et ce n'cst pos parce que la science hé6itait entre une vocation rationnelle et tout un poids de tradition nnTve, mais pour une raison bien plus precise, et bien plus contl'oignante : c'est que les signes faisaient partie des choses, tandiS qu'au xvue siècle, ils deviennent des modes de la représentation. Quand Jonston écrit son His'oiJ'6 naturelle dU QrurdrupèM., en sait-il plu!! qu'Aldl'Ovandi, un demi-siècle plus tôt? Pas beau­coup, affirment les historiens. Mais là n'est pas la question, ou si on veut la poser en ces termes, il faut répondre que JODllton en sait beaucoup moms qu'Aldrovandi. Celui-ci, à propos de tout animal étudié, déployait, et au même niveau, la descrip­tion de son anatomie, et les manières de 10 capturer; Bon utili­aation allégorique et Bon mode de génération; Ion habitat et les palais de S8S légendes; sa nourriture et la meilleure façon de le mettre en 118UC6. Jouston subdivise Bon chapitre du cheval en douze rubriques : nom, parties anatomiques, habitation, Ages, générat.ion, voix, mouvements, sympathie et antipatbie, uti­lisat. ions, usages médicinaux 1. Rien de tout cela ne manquait chez Aldrovnndi, mais il 'Y avait beaucoup .plus. Et la diffé­' renee essentielle réside dans ce manque. Toute la sémantique animalo est tombée, comme une partie morte et inutile. Le. Inots qui étaient entl'elacés à la Mte ont été dénoués et BOUI­traits: et l'être vif, en son anatomie, en sa fonne, en ses moeurs, en lia naissance et en la mort, apparaît comme" DU. L'histoire 1. JODiton, BlIrarfllntJfareUllfeflllJ/lrlpflllftla (AmBterclam, 16&7). p. 1.lL
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    142 lA. mouet lu cholli!s naturelle trouve Ion lieu dans cette di. tance maintenant ouverte entre 1. cboses et les mots - di.tance silencieuse,.pure de toute sédimentatiolL verbale et pourtant articulée selon les élément. de la représentation, ceux-là même qui pourront de plein droit être nommé •• Les choses abordent jusqu'aux. rives du discours parce qu'elles apparaissent au creux. de la raprétientation. Ce n'cst dono pas au moment 011 on renonce il calculer qu'on se met enfin li observer. La constitution de l'histoire naturelle, avec le climat empirique où elle le développe, il ne faut pas y voir l'expérience forçant, bon gré, mal gré, l'accès d'une connais­sance qui guettait ailleurs la vérité de la nature; l'hi:rtoire natu­relle - et c'est pourquoi elle est apparue précisément li ce moment-là-, o'est l'espace ouvert dans la représentation l'Ill' une analyse qui anticipe Bur la possibilité de nommer; o'est la pOBBibilil.é de poil ce '(u'on pourra dire, mais qu'on ne pourrait pas dire par la suite Dl voir li distance .i leI chosel et le. motll, distinots les unI des autres, ne communiquaient d'entrée de jeuenunereprésentation.L'ordredescriptifqueLinné,bienaprèa JonBton, proposera à l'histoire naturelle, OBt très oaraetéris­tl, ue. Selon lui, tout chapitre coneernant un animal queloonque dOit suivre la démarche suivante: nom, théorie, genre, espèee,· attributs, usage et, pour terminer, LiItBral'Ï4. Tout le langage déposé pal' le temps sur les choses est repoussé Il la dernière limite, comme un supplément olt le discours se raconterait lui.même et rapporterait les découvertes, les traditions, les croyances, les figures po~tiques_ Avant ce langage du langage, c'est. la chORe elle-même qui apparatt. dans ses caractères propres maia à l'intérieur do oet.te réalité qui a été. d'entrée de jeu découpée par le nom. L'instauration li l'âge classique d'une soience naturelle n'est pas l'eRet,dil'cct ou indirect du transfert. d'uue rationalité fonnêe ailleurs (li. propoadela géom6tr!eoude la mécanique). Elle eltune formationdistinote, ayant sonal'ch éo­logie propre, bien que liée (mais sur le mode de la comlation et de la simultanéité) il la théorie générale des signes et 8" projet de ~Ï$ universelle. Le vieux mot d'histoire change .101'8 de valeur, et peut· Am retrouve-t-il une de ses significations areharques. En tout caB, s'il est vrai que l'historien, dans ]a pensée grecque, ft bien I:tê celui CJUi voit et qui raconte à partir de son regard, il n'en a pal touJours ét.6 awsi dllDII notre culture. C'est même Basez tard, au seuil de l'Age eIaasique, qu'ü a pria ou repris ce rôle. Jusqu'au milieu du xvue sièole, l'historien avait pour tâohe d'établir le grand l'e6Ueü des documents et des signes, - de 'ou~ ce qui, à travers Je monde, pouvait former comme une marque. C'était lui qui était charg6 de redolUl8l' langage Il toulles mots
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    143 enfouis. Sonexistence ne 8e défioil8ait pas tant par le regard ue par la redite, par une parole seconde qui prononçait li nou­~ eau tant de paroles Balourdies. L'Age classique donne à l'hi8- toire un tout autre seDII : celui de pOler pour la première fois un regard minutieux sur lell choses ellea·mêmes, et de mos­crire en~uite ce qu'il rtlCueilJo dllDI deI mota lisses, neutralisêa et fidèles. On comprend que, dilua cette • purification ,,. la première forme d'histoire qui 110 loit oolUltitu~e ait été l'bistoire de la nature. Car elle n'a besom pour Ile bâtir que de moU appliqués sans intermédiaire aux chollet! mêmes. LeB.doeumenti de cette hiatoire neuve ne sont pas d'autre8 woh, des textes ou des archives, mais des espaces clairll où les choses Ile iuxta­poReot : des herbie1'!, des collections, des jardins; 10 lieu de cette hi~toiro, c'est un rectangle intemporel, où, dépouillés de tout commentaire, de tout. langage d'alentour. les êtres se pfésenwnt lils uua à. côté de" autres, avec leurs surfacel visiblel, rapprocMs selon leurs traits communs, et par lh déjll virt.uel­lement ana!yséB, et porteurs de leur seul nom. On dit. Bouvent que la constit.ution des jardins botaniques et des collectiolUl zoologiques traduisait une nouvelle curiosité pour les plantes et les bêtes exotiques. En fait. depuis bien longtemps déjà, celle9·ci avaient sollicité l'intérêt. Ce qui a changé, c'est. l'es­pace o~ on peut les voir et. d'où on peut. les décrire. A la Renais­sance, l'étrangeté animale était un spectacle; elle figurait dans des fêtes, dans dos joutes, dallB de. combats fictifs ou réels, dans des reconlrtitutioDs légendaires, où le bestiaire déroulait ses fables sons Age. Le cabinet d'hÎllt.oire naturelle et le iardin. tels qu'on les aménage à l'époque classique, substituent au défilé circulaire de la c montre J l'étalement dei ohoses en 1 tableau J. Ce qui a'est gliMê entre ces tbéât.r88 et. ce catalogue, ce n'est pas le d6sil' de savoir, mals une nouvelle façon de nouer le9 choses il la fois au regard et au discours. Une nouvellomanière de faire l'histoire. Et on Mit. l'importance méthodologique qu'ont prise cel espaces et ces distn'butionl c naturelles • pour le classement, à la fin du XYlltl! !liècle, des mots, deI langues, des racinet!, dei dl:!c!1IDents. des archives, bref pour la conrtitution de tout un milieu d'histoire <au sellll maintenant familier du mot) où. le XIXe ~i~cle retrouvera, après ce pur tableau des cboses, la possiblhté renouvelée de parler sur deI mots. Et d'en parler nqoun, plus • dans le style du commentaire, mais sur un mode . ou estimera aussi positif, auslli objectif que celui de l'bis­totte naturelle. La ~onservat1on de plu! OD plus complète de l'écrit, rios­' tauratlon d'archives, leur classement., la réorganisation. des
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    144 bibJioth~'lllCS, rétablissementde catalogues, de répertoires, d'inventaires représentent, lia fin de l'Ige cla8l!ique, plus qu'une sensibililii nouvelle au temps, à son pallsé, la l'épaisseur de l'his­toire, une manière d'inLroduire dana le langage déjà déposé el; dans les traccs 'lu'il a laissées un ordre qui est. du 1Il6me type que ceJui qu'on établit entre les vivants. Et o'est. dans ce tempa classé, dan!! ce devenir quadrillé et spat.ialisé l{ue les historiens du XIX! siècle entreprendront. d'écrire une histOIre enfin c vrAio. - c'est-à-dire libérée de la rationalité classique, de !Ion ordon­nance et. de sa théodlc6e, une histoire restituée à la violence irruplive du temps. UI. LA STRUCTURE Ainsi dispol'r.e et entend ne, l'histoire naturelle a pour condi­tion de possibilité l'appartenance commune des choses el. du langage li Ja représentation; mais elle n'existe comme tAohe que dons la mesure où choses et Jangage se trouvent séparés. Elle devra donc réduire cette distance pour awener le tangage nu plus près du regard et les choses regardées au pl." près d~ mots. L'histoire naturelle, ce n'est rien d'autre que la nomina­tion du visible. De là son apparente simplieité, et cette aUuro qui de loin parait naive tant eUe est simple et imposée par l'évidence des choses. On a l'impression qu'aveo Tournefort, avec Linné ou Bulron, on s'est enfin mis Il dire ce qui de tout temps avait été visible, mais 6tait demeum muet devant une lort.e de distraction invinoible des regards. En fnit, ce n'est pas Ulle inattenLion miUénnire qui s'flllt soudain dissipée, mais un champ nouveau de visibilité qui s'est constitué dans toute son épaiaseUl'. L'histoiro natll'Ml1e n'eRt pas devenue possible parce qu'on a regardé mieux et de plus près. Au sens strict, on peut dire que l'âge cJosRiqllc s'est ingénié, sinon à voir le moins possible, du moins li re!ltreindre volontairement Je champ de son exp~' rience. L'ob:lcrvation, à partir du XVIIe siècle, eat une connais­sanCle sensible assortie de eGnditions systématiquement néga­tives. Exclusion, bien sdr, du oui-dire; mais exelusion aussi du goQt et de la saveur, parce qu'avec leur incertitude, avec Jeur variabilité, ils ne permettent pas une analyse en éléments dis­tincts qui soit universellement acceptable. Limitation très étroite du toucher lA la désignation de quelquos oppositions assez évidenteB (comme celles du lies. et du rugueux)j privilège
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    i45 sque exclusifde la vue, qui est le Bens de l'évidence et de f.~e!ldue et par conséqueot d'une analyse parle, utm plll'tU dmise p~r tout le monde: l'anugle du xvme siècle peut bien :tre géomètre, il ne sera p~s naturalillte l, Et eocore, tout n'est-il pas utilisable dans ce qUl Il'Offre au regard : leI ~ouleurs! en particulier ne peuvent guère fonder de compar.usons utiles. Le chomp de visibilit6 où l'observation va prendroBespouvoin n'est que le. résidu de ces exclusions: une visibilité délivrée d. tout.c autre charge sensible ct passée de plus la la grisaille, C. champ, beaucoup plus que l:o~cuetl enfin ~t~~ntif au.~ ~bo~ ellcs-mêmes, défimt la conditIon de poSSibilité de 1 histOlre naturelle, et de l'apparition de scs objets filtrés : lignes, sur­faces, formes, relief!, On dira peut-être que l'usage du microscope compense cee restTiction8; et que si l'expérience sensible Be restreignait du côté de SIlS marges les plus douteuses, elle s'étendait vers les objets nouveaux d'une observation techniquement contl"Ôlée, En {ait, C'f,;st le même ensemble de conditions négative!' qui a limité le domaine de l'expérience et rendu possible l'utilisa­tion des instruments d'optique. Pour entreprendre de mieux observer à travers une lentille, il faut renoncer à connaître par les autres sens ou par le out-dire, Un changement d'échelle au niveau du regard doit. avoir plus de valeur que les conéla­tions entre les divers témoign.ages que peuTent apporter les impressions, les lectures ou lei leçons, Si l'embottement indé­fin. du visible dans sa propre étendue s'offre mieux au regard par le microscope, il o'en est pas aUranchi. Et la meilleure preuve en est sans doute qu8 les instrument.s d'optique ont 8!ll'tout été utilisés pour résoudre les probillmos de la généra­tlO~ : c'est-à-dire pour découvrir comment les formes, les dis­POSltloJ18, les proportions caraotéristiques des individus adultes et de leur espèce peuvent S8 transmett1"6 à travers les âges, en, comervant lour rigoureuse identité, Le microsoope n'a pas ~te ~p'p~l~ pour ,dépasser les limites du domaine fondamental e v1Sibd~té,. malS poUl' résoudre un des problèmes qu'il posait, ~ le malQtle~ au fil des générations des formes visibles. L usage du IWcro~cope s'e~t fondé sur un rapport non instru­rn~ ntal entre les choses et les yeux. Rapport qui définit l'his­tOire ?~lurelle, Linné, ne disait-il pas que les No.turaUIJ, pal' OpPOSItIon aux Coerestia et aux Elem"ntIJ, étaient destinés à nQ~sDlderot, ull".1U' Ita al.'~ug/~. Cf. Linnlt: • On doiL rejeter,_ toutes laçL • 1l(~:.~lIt~1I~5 qui ,!'exislent dilD5 la Piaule ni pour )'oeil, ni pour le ""'''p'He b()/an"l'u:. p. :!5~l,
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    1.46 Il'Oftri ..directement aux sens l? Et Tournefort. pel1llait que pOUl' connattre les plantas, 1 plutôt que de scruter chacune de leura 'Variations avec un scrupule reügioux », il vuluit. mieux les ana­] y~e .. c telles qu'elles tombent 80U8 lcs yeux 1 ». Observer, c'est donc se cont.enter de voir. Do voir systéma­tiquement peu de choses. De voir ce qui, daD8 la richesse Ull peu confuse de la rcpr~entation, peut s'analyser, être reconnu par tous, et recevoir ainsi un nom que chacun pourra entenùre : c Toutes les similitudes obscures, dit Linné, ne sont introduitea qu'à III honle de l'art a. » Déployées elles·mêmes, évidées de toutes ressemblances, nettoyées même de leurs couleurs, les représentatiou8 visuelles vont enfin donner 11 l'hi!ltoire natu­relle ce qui conditue 1100 ol,jet propre: cela même qu'elle fera passer dUIlB cet.te langUI! bien faite qu'elle entend bâtir. Cet objet, c'est l'étendue dont sont constitués le, êtres de la nature, - étendue qui peut être alfectée de quatre variables. Et de qUAtre variables seulement: Corme de!! êlémenb, quantité de ces éléments, maniôre dont ils se distribuent dans l'espace les uns par rapport aux autres, grandeur relative de chacun. Comme le disait Linné, dons un texte capital, _ toute note doit être tirée du nombre, de la figure, de la proportioD, de la situation ~ •. Par exemple, quand on étudiera 108 organes BlIXu"l, de la plante, il sera sulJisant, maia indispensable de dénolDbrer étamines et pistil (ou éventuellement de constater leur absence), de définir la forme qu'ils affectent, aelon quelle figure géomé­trique ils 80nt répartis dans la fleur (cercle, hexagone, triangle), quelle est leur taiUe par rapport aux autres organes. Ces quatre variables, qu'on peut appliquer de la même manière aux cinq parties de la plante - racines, tiges, feumes, fleurs, fruita­spécifient assez l'étendue qui ,'olire à la représentation pour qu'on pUÏllS8 l'articuler en une descripûon acceptable pour toua: devant le Dl~me individu, chacun poorra faire la même description; et invorsewent, à partir d'une telle description, chacun pourra reconnnttre les individus qui y correspondent. En cette artioulation fondamentale du visible, le premier affron· tement du langage et des cboses pourra s'établir d'une manière qui exclut toute incertitude. 1. Linné, Sysftma IIIlturae, p. 214. Sur l'ullllt.ê llmfL6e du mlcro.cope, cr. ibid., p. 22!J..221. 2. TourntrurL, II1fJ!l()(If ln nm h,.,.barlam (l71g), traducttnn ln Becker­TourneforL (pariS, IUb6), p. 295. BuJluo reproche à la mHhode linnéenne de l'eIHlller ~ur de~ CBT'1icUJrea ai ténos qu'olle oblige" uWiMlr le micru,;eO~ D'un n~turlili.Le ll'.um, le reprocbe de lie servir d'un InstrumOlIL d·ujJ~ique • VBli!ur d'okljecLlon tb60rlque. 3. Unn6, PhIiOlop"/c bo/tmlqu .. 1 299- 0&. Id., ibid., li 167, cr. BUset 327.
  • 142.
    Chllque partie, vi.iblementdistincte, d'une plante ou d'un nimal est donc desoriptible danllie mesure où elle peut prendre a too suries de valeurs. Ces quatre valeurs qui aJieotent un =ane ou éltment quelconque et le déterminent, c'est ce que les Botanistes appellent sa structure. c Par la structure des par­ties des plantes, on entend la composition et l'a~S6mblage ~eB pièces qui en forme le corps 1. » .Elle per;met aussltô.t de dêo~ ce qu'on voit, .et de deux maDlères qut ne 80nt ru oontr~dlc­toires ni exclusives. 1.0 nOll)bre et la grandeur peuvent touJours être assignés par un compte o~ p~r une mesure; on peut donc les exprimer cn tennes quontltntlfs. En revanobe, les formes et les dispositions doivent être décrites par d'autres procédés: soit par l'identification à des formes géométriques, soit par des analo(l'ies qui toutes doivent être c de la plus grande évi­dence 1 •. C'est ainsi qu'on peut décrire certaines formes assez complexes à partir dit leur très visible ressemblance avec le corps humain, qui sert comme de réserve aux modèles de la visibilité, ::t fait spontanément charnière entre ce qu'on peut "oir et ce qu'on peut dire a. La struct.ure, en limitant et en 6lt.rant le visible, lui permet de 86 transcrire dans le langage. Par elle, la visibilité de l'ani­mal ou de la plante passe tout entière dans le discours qui la l'tlcueillo. Et peut-êt.re, à la limite, lui arrive-t-il de se restituer elle-même au regard à travers les mots, comme daJ18 ces calli­grammes botaniques dont rêvait Linné '. Il voulait que l'ordre de la description, sa répartition en paragraphes, et jusqu'à ses modules tyt!Ographiqucs reproduisent la figure de la plante elle-même. Que le texte, daus Bes variables de fonne, de dis­posit. ion et de quantité, ait une structure végétale. c TI est beau de suivre la nature: de paBser de la Racine aux Tiges, aux Pétioles, aux Feuilles, aux Pédoncules, aux Flems.» Il fau­drait. qu'on sépare la description en autant d'alinéas qu'il existe de parties duns la plante, qu'on imprime en gros caractères ce qui concerne leB plll'ties principales, en petites lettres, l'ana­lyse des « parties de parties D. On ajoutera ce que par ailleurs on connatt de la plante, à la manière d'un dessinateur qui com­tlèt~ Ion esquisse par des jeux d'ombre et de lumière:« l'Adom-ratIon contiendra exactement toute l'histoire de la plante J. T?urner!!rt, Slbrrenl, de bolaniqut, p. 558. 2. LlOné, Phlla.ophie bolanique 1 299. h 3. Unu6 (Pfliloeuphie bulunJqu;, § 331) 61lll1l1ènJ les par~(es du corps t.U:lQ(D qul peuvent servir d'aroh6types, 1I0it pour les dimensions, MIL !lUI'­Il~ m:~ur es formllll : cheveux, ongles, pouces, palmee, oeil, ort!iIIe, doigt, n, pénis, vlIlve, mamollo. 4. JIl, ibid., 3~29.
  • 143.
    148 comme Bellnoms, sa structurei son ensemble ext&ieur, sa uture, SOD usage. Il Transposée dans le langage, la plaote vient ,'y graver, et, 80U8 les yeux du looteur, eUe recompoae .8 pure forme. Le livre devient l'herbier des structurea. Et qU'OD ne dise pas que o'est là rêverie d'un aystématicien qui De repré­sente pas l'histoire naturelle en toute 800 extension. Chez Buffon, qui fut advel'!laire constant de Liuu6; la mOrne strue­tU1' e existe, et elle joue le même rôle : c La méthode d'inspec­tion se portera sur la forme, sur la grandeur, sur les dilTérentel parties, 8ur leur nombre, sur leur position, 8ur la 8ubstance même de la chOie '. Il BufIon et Liollê pOBent la mOrne grille; leur regard occupe 1lU' les choses la même 8urface de contact; les mêmes cases noires Jn61logent l'invisible; les mêmes plages, claires et distillctes, s'ollrent aux mots. Par la structure, ce que la représentation donne confus6- ment et dana la forme de la simultanéité, se trouve analysé et olIert par III au déroulement linéaire du langage. La des­cription, en eiTet, est il l'objet qu'on regarde ce que la proposi­tion est Il la représentation CJ.u'cllc exprime: sa mise en sllri., éléments après êlêments. MalS on se souvient que le langage sous 8a rorme empirique impliquait une théode de la proposi­tion ot une autre de l'articulation. En eUe-même, la propOIIÏ­tion demeurait vide; quant li. l'articulat.ion, eUe ne formait véritablement discours qu'à. la conditioD d'i!tre li6e par la fono­tion apparente ou 8ecrète du verbe ê're. L'hist.oire naturelle est une science, c'elt-l-dire une langue, mais fondée et bien faite : 80n déroulement. propollitionnel est d. plein droit une articulat.ion; la mise en liérie linéaire des éléments découpe la représentat.ion sur un mode qui est évident et univel'lel. Alol'l qu'une même représelltat.ion peut dOlUler lieu à un nombre considérable de propositions, car les noms qui la remplissent l'articulent sur des modes différents, un soul et même animal, uno seule et même plante, seront déerita de la même façon, dans la meSUl'e où de ]a représentation au langage règne la structure. La tMorie de la .'rllctüre qui parcourt, dans toute 80n étendue, l'histoire naturelle li. l'âge classique, superpose, dans une seule et m~me fonction, les rôles que jouent dans le langage la proposition et l'areû:,dation. Et c'cst par là qu'elle lie la possibilité d'une histoire natu­relle à la m.athesi.. Elle l'amène, en elIet, tout le champ du visible à un système de variables, dont toutes Ica valeurs peuvent être assignées, sinon par une quautit6, du moin8 par 1. BuitOD, Manr", de 'f'fJfi"l'll"'ofrc lIDfurtlic (OEalll"U compUta, t. l, p. 21).
  • 144.
    Clauer 149 unedescription parfaitement claire et toujOU1'8 finie. On peut donc entre les êtres naturels, établir le système des iden­tit. és 'et l'ordre dei diJJérences. Adanson estimait qu'un jour on pourrait traiter la Botanique comme une science l'igou­reUBement matbématitlUe, et qu'il serait loisible d'y poser des problèmes comme on fait en algèbre ou en géométrie: • trouver le point )~ plus sensible qui ét.ablit I~ ligne de séparation ou de diSCUSSIOn entre la famille des sCllbleuses et ceUe du chèvre­feuilles _; ou encore trouver un gOIlnl de plantes connu (natu­rel ou artificiel, n'importe) qui tient le jusLe mili6U entre la famille des Apocws et celle des BuurrucLlls 1. Lu grande pro­lifération des êtres li. la surCace du globe peut entrer, par la vertu de la structure, il la fois dous lu Bucc~sion d'un langage descriptif, et dans le champ d'une mathesÏ3 qui serait science générale de l'ordre. Et ce rapport constitutif, 8i complexe, l'instaure dans la simplioité apparente d'un vi8ible dicrit. Tout ceci est d'une grande importance pour la définition de l'histoire naturelle dans son objet. Celui-ci est donné par des surfaces et des lignes, non par des fonctionnements ou d'in­visibles tis!us. La plante et l'animal se voient moins en leur unité organique que par la découpe visible de leurs organes. Ils soot pattes et sabots, fleurs et fruits, avant d'être respiration ou liquides internes. L'histoire naturelle parcourt un espace de variables villibles, simultanées, concomitantes, saua rapport interne de 8ubordÏnation ou. d'organisation. L'anatoIJÛe, au XnIl! et au XYlUU siècle, a perdu. le rôl., recteur qu.'elle avait à la Renaissaoce et qu'eUe retrouvera à l'époque de Cuvier; ce n'est pas que la curiosiLé ait diminué entre-temps, ni le savoir régressé, mais la disposition fondamentale du vWble et de l'énonçable Ile passe pIul! par l'épaU!s8U.r du corps. De 1/l la préséance épistémologique de la botanique : o'eet que l'espace commun aux mots et aux chosos constituait. pour les plantes Ulle grille beaucoup plus accueilllll1te, beaucoup lIloins 1: noire. que pour les animaux; dans la mesure où beau­coup d'orboanes constitutifs sont visibles SUI' la plante qui ne le sont pllS cLez les animaux, la connaissance taxinomique Il partir de variables immédiatement perceptibles a été plus riche e~ plus cohérente dans l'ordre botanique que dans l'ordre zoolo­gique. Il faut donc retourner ce qu'on dit d'ordinaire: ce n'est Cs p~rce qu'au XVIII! et au xvme siècle on s'est intére!lé à 1 • . tawque, qu'on a porté l'examen sur lell méthodes de cl .. - allication. Mais paroe qu·OD. ne pouvait savoir et dil'O que dana 1. Ad81150n, Famille du pllllllet, l, pr6tace, p. CCI.
  • 145.
    150 Les moLset 1. chosea un espace taxinomique de visibilité, la connaissance des plantel devait bien l'emporter IOl celle des animaux. J ardiIUI botaniques et cabinets d'histoire naturelle .étaient, au niveau des institutions, les corrélatils néces!aires de ce découpllge. Et leur importance, pour la culture clauique, ne tient pas essentiellement il ce qu'ils permettent de voir, mais il ce qu'ils cachent. et à ce que, par cette oblitération, ils laissent surgir: ils dérobent l'anatomie et le fonctionnement, ils occultent l'organisme, pour susciter devant des yeux qui en attendent la vérité, le visible relief des {ormes, aveo leurs élé­monts, leur mode de dispersion et leurs mesuros. Ils sont. le livre aménagé des structures, l'espace où S6 combinent los caractères, et où se déploient les classements. Un jour, à la fin du XYllle siècle, Cuvier fera main basse sur]es bocaux du Muséum, il le! cassera et disséquera toute la grande conserve classique de la visibilité animale. Ce geste iconoclaste, auquel Lamarck, jamais, ne se résoudra, ne traduit pas une curiosité nouvelle pourunsecret qu'on D'aul'Bit eunile souci, ni le courage, ni la possibilité de connattre. C'est, bien plus gravement, une mutation dans l'espace naturel de la culture occidentale: la fin de l'histoire, au sens de Tournefort, de Linné, de Buffon, d'Adanson, au sens également où Boissier de Sauvages l'en­tendait quand il opposait la connaissance hü!orique du visible à celle philosophique de l'invisible, du caché et. des causes 1; et ce sera aussi le début de ce qui permet, en substituant l'ana­tomie au classement, l'organisme à la struct.ure, la subordi­nation interne au caractère visible, la séria au tableau, de pré­cipiter dans ]e vieux monde plat, et gravé noir sur blanc, des animaux et des plantes toute une masse profonde de temps il laquelle on donnera le nom rcnouvelê d'h&8toire. IV. LB C.t..lACTÈRB La structure, c'est cette d~signation du viaible qui, par une sorte de tri prélinguistique, lui permet de le transcrire dans le langage. Mais la description ainsi obteuue n'est rien de plos qu'une manière de nom propre: elle laisse il chaque être 80n individualité stricte et n'énouce ni le tableau auquel il appar­tient; ni le voisinage qui l'entoure, ni la place qu'il OCCUpll. Elle 1. Doissirr de Sa uvegr-I, NtJlOlogl, m6thodlqul! (trlld. fr8n~8Ise, Lyon, 1712), ,. l, p. 91-92.
  • 146.
    t5t e!t pureet simple d~.signation. Et pour que l'billtoire oaturelle d~Vllnne langage, il faut quo )a detlcription devienne c nom commun J. On a vu comment, dans le langage spontané, les premières dêsignRtions qui ne concernaient que dell reprégeo­tationH singulières, après avoir pris lel.ll' origine dans le lao­gage d'action et oans les racines primitives, avaient acquis peu à peu, pilr la force de la dérivation, des valeurs plus généralell. Mais l'histoire naturelle est une langue bien faite: elle ne duit pas accepter la contrainte de la dérivation et de sa figure; elle ne doit prèter crédit à aucune étymologie 1. Il faut qu'elle rêuni~~e en une seule et marne opération ce que le langage de tous les jours tient séparé : elle doit il la fois désigner très pré­cisément tous les êtres naturels, et les situer en même temps dans le système d'iùentités et de difIérences qui les rapproche el les di~tingue des aulres. L'histoire Daturelle doit assurer, d'un seul tenant, une dbignation certaine et une dérivation maîtrisée. Et comme la théorie de la structure rabattait l'une sur l'a~tre l'articulntion et la proposition, de la mame façon, la théorie du clmv.têre doit identifier leti valeurs qui désignent et )'esp!l.ce daM lequel elles d6rivent. 1 Connaltre les plantes, dit Tournefort, C'Mt savoir précisément les noms qu'on leur a donnés JlRr rapport Il la structure de quelqu8(o!-unes de leurs parties ... L'idée du ca1'&et!re qui distingue essentiellement les plantes les unes des autréa, doit ~tre invariablement unie au nom de chaque plante ' .• L'étRbliSliement du caractère est Il la fois aiHé et difficile. Aisé, puisque l'histoire naturelle n'a pas Il établir un système de DOIDS à partir de représentations ditliciles Il analyser, maia à 1.: fonder sur un langage qui ,'est déjà déroulé dans la des­cription. On nommera, non pal il partir de ce qu'on voit, mais à partir des éléments que la structure a déjà fait passer ~ l'in­térieur du discours. 11 s'agit de bâtir un langage second à parl~r de ce langage premier, mais certain et universel. Mais a!ls5ltôt apparatt une dilliculté majeure. Pour établir les iden· tlté;! et les diJTérenccs entre tous 1811 êtres naturels, il faudrait temr .compte ùe chaque trait qui Il pu être mentionné dans une de~crlption. Tâche infinie qui reculerait l'avènement de l'his­tOire naturelle dans un lointain inaccttSSible, s'il n'existait des techniques pour tourner la dilliculté, et limiter le travail de Compar-dison. Ces techni'tles, on peut, il priori, cODlllaterqu'elle!l Son~ de ~ellx types. Ou bien faire des comparaisons totales, mais .lit l'Iutérleur de groupes empiriquement coDlltit.ués où le nombre ~. Ltnnè, Phi/o'''phie botanique, § ~s. 2. Iouru~rurt., EUmell/e dt! l/I!laniqri', p. 1-2.
  • 147.
    i52 dei reesemblancesest manifestement si êlev6 que l'énumération des diBérence& ne liera pas longue il parachever; et ainsi d. proohe eu proche, l'ütablissement des identit.6s et des distinc­tions pourra 6tre assurü. Ou bien choisir un ensemble fini, et relativement limitü, de tralts dont on étudiera, chez tous ]os individus qui se J1~eutent, les constances et les variation.'1. Ce demier procédé, c'est ce Q1l'OD a appelé le Système. L'antre, Ja Méthode. On les oppose, comme on oppose Linné il BuITon. il Andonson, il Antoine-Laurent de Jussieu. Comme on oppose une conception rigide et claire de la nature, à J. perception fine et immédiate de ses parent~. Comme on oppose l'idée d'une nature immobile. il celle d'uue cuntinuité fou.rmillante des êtres qui communil{1lent entl'8 ew::. se confondent et peut­etre se transforment les uns dBnaloli autres ••• Pourtant, l'esseo.­tieln'est pas dans ce conflit dm! grund8l! intuitions de la nature. D est plutôt dans 1. réseau de n6cessit6 qui en ce pow.t a rendu pOlllible et iudispenll8ble le choix entre dew:: manières de coua­tituer l'histoire naturene comme une langue. Tout 10 reste D'est que conséquence logique et inévitable. Le Sy.tème délimite, parmi les t:léments que SB desori,Ptioll juxtapose avec minutie, tels ou tels d'ent.re eux. 118 d6linis8eo.t la slruolure privilégiée et à vrai dire exclusive, à ;p'rop08 de laquolle on étudiera J'ensemble des identités ou des ditférenoes. Toute dilIérenoe qui ne portera pas sur un de ces éléments sera réputée imli1Jérento. Si, comme Linné, on choisit pour .note caractéristique. tout.es les parties différentes de la fructifica­tion 1 If, liDO dilIérence de fouille, ou de tige ou de racine ou do ~tiole, devra être systématiquement négligée. De même toute Identité qui ne sera pas celle de l'un de ces élément.s n'aura pas de valeur pour la définiLion du caractère. En revanche lors quo, chez deux individus, eus éléments sont semblables, ils reçoi­vent une dénomination commune. La struoture choisie pour être ]e lieu dos identités et des difIérences ptlrtio.entes, c'est ce qu'on appelle 10 CtII'act61't1. Solon Linné, le caractère 110 composera dec la descril.tion la plulIl!oigniie de la fructification de la première espèce. Tout.csles autres ospèces du genre sont comparées à la première, en bannitl!lont tout.es lus notes dis­cordant6ll; enfin, après ce travail, le oaractère S8 produit 1 •• Le système est arbitraire en son point de départ puisqu'il Déglige. d'Wlo façGn cODcertéa toute différence et toute idoD:' titi qui De porte pas sur la structure privilégiée. Maiarion n'em­pêche OD droit qu'ou puillO UD jour. à travers cette technique, 1. LlnnA. Phillltflllh'c ""'onrque., 1 192. 2. Liune. l'hil~lOphic enlunique. 1193.
  • 148.
    CItuH,. 153 découyrirun .yst~me qui serait ~aturel; ll ~outes ]es différences dolUl le caractère correspondraient. les différences de même Y81eur dans la .tructure générale de la pla~lte; et invel'lemeut toue les individue 011 toutos 188 espèce, réunas .0111 UA caractère conUJIun auraient bien en chacune de leun partieslemême rap-rt de ressemblance. Mais on ne pellt. aceéder au eyltême raturel qu'oprèl avoir êtabli avec certitude un système arti­ficiel au moiDleu certains domaines du monde végétal ou animal. C'est' pourquoi Lirmé ne cherche pa.1 dana ~'iDlD16diat Il établir un système naturel c aV8nt que SOlt parfaitement 4lOnnu tout ce qui e.',t pertinent 1 • pour son système. Certes, la méthode naturelle constitue c le premier et le dernier voeu des botanistes-, et tous ses c fragments doivent être recherchés avec le plus grand laiD 1., comme Linné l'a fait lui-m~me dana ses Claue. Plan­Ial'um · mais il défaut de cette méthode naturelle encore Il venir danl ~8 forme certaine et aehevée, c les systèmes artificiel • • ont absolument nécesiaires ' •. De plus le système est relatif : il peut fonctionner avec la précision qu'on désire. Si le caractère choisi est formé d'une structure large, avec un nombre de variables élevées, les différences apparattront trèl tOt, dès quO on passe d'un individu è un autre, même s'Hlui est tout l rait voisin: le caractère est alol'1 tout proche de la pure et limple description '. Si au contraire la stn1eture privilêgiêe est étroite, et comporte peu de variables, les difl'érences Berout rares et les individua Beront woupês en masscs compactes. On ohoisira le caractère en fonc­tion de la finesse du clasaement qu'on veut obtenir. Pour fonder les genres, Tournefort a choisi comme caractère la combinaison de la fleur et du fruit. Non p'RS comme Césalpin, parce que c'étaient les parties les plus ullies de la plonte,muÏBparcequ'ils ptlnnettaÎent une combinatoire qui était numériquement satis­faisante: les éléments empruntés aux trois outres parties (racines, tiges et feuilles) étaient en effet ou trop nombreux ai on les tTaitait ensemble ou trop peu nombreux si on les envisageait lI~parément 1. Linné a calculé que les 38.organes de la généra­tIon, comportant chacun les quatre v8rJablc8 du nombre, de la figure, de la situlltion et de )a proposition, autorisaient 5776 configurations qui suffisent à définir les genres '. Si on 1. Linné, Sg.r,ma nalurat, ! 12- 2. LllWé, PllilOM/plaie bollU/ique, § 77. 3. Linné, Sg"~ma lIu'urat, § 12. "II· • Le C111'Reüre naturel de l'IIpke est la description. (Llnnf, Philo­. op It bota";qu" § 193). 6. T?umerort. &tlnenr. de &erllJÛ4UI, p. 17. ç. LmD6, PllilulOphie bolanilJUt, 1 167.
  • 149.
    154 U6 mo"et les ChOIM veut obtenir des groupes plus nombreux que les genres, il faut. faire appel li. des caraotères plus restreints (c caraotères factices convenus entre les botanistes JI), comme par exemple les seules étamines ou le seul piliLil : on pourra aÏOaii diatinguer les classes 011 les ordres 1. Ainsi le domaine entier du rllgne vég6tal ou animal poul'1'a être quadrillé. Chaque groupe pourra recevoir un nom. Si bien qu'une e!lpèce, sans aVOir li. être d6crite, pourra être dési­gnée avec la plus grande précision par les noms des dilT6rents ensembles daJls lesquels elle est emhoitée. Son nom complet t.raverse tout le réseau des caractères qu'on étahlit jusqu'aux classes les .plus élevées. Mais, comme le fait remarquer I.inné, ce nom, pour la commodité, doit rester en partie c silencieux Il (on ne nomme pas la c1as6e et l'ordre), mais l'autre part doi~ être 1 sonore 1): il faut nommer le genre,l'espèce, el la variétés. La plante ainsi reconnue dOIls lion carclctère essent.iel el désignée à partir de lui énoncera en même templl que oe qui la désigne précisément, la parenté qui la lie li. celles qui lui ressemblent et appartiennent au même genre (donc li. la même lamille et au même ordre). Elle aura reçu Il la fois son nOnt propre, et toute la série (manifeste ou cacbée) des noms eOmtDWlS dans lesquels eUe se loge. c Le nom générique e!lt pour ainsi dire la monnaie de bon aloi de nom république botanique 1. » L'histoire natl}1 relie aura accompli la tâche fondamentale qui est 1 ]a dispo­sition et la dénomination' 1. La Méthod. est une autre technique pour résoudre le même problème. Au lieu de découper dans la totalitp. décrite, les élé­ments - rares ou nombreux - qui serviront de caractères, )a mêthode consiste klell déduire progressivement. Déduire est ici à prendre au sens de soustraire. On part - c'ellt oe qu'a fait Adanson dans l'examen des plantes du Sénégal 6 - d'Wle espèce al'bitraÏ1'emont choisie ou donnée d'abord par le hasat'd de la rencontl'e. On]a d6crit entièrement selon toutes ses par Lies et en fixant toutes les valeurs que les variables ont prillos en elle. Travail qu'on recommence pour l'espèce suivante, elle aussi donnée par l'arbitraire de la reprêsentation; la description doit être aussi totale que la première fois, li. ceci près cependllnt que rien de ce qui a été mentionné daDII la description première Jle 1. Lbmê, S/1stelM 6f!I:!Jll d~ vlI'-'nllz, p. 21. 2. Linné, Phiio/1O[Jhle botalliqut, • 212. 3. Id., ibid., § 284. 4. Id., iOid., § 101. - Ces d.u~ 1000&lon8, QIlI Bont garanUoI par le C8l'11dènl, Wlrt!llllOndent exactement. aux foncLions de d6eignaLioR eL d~ dériva Lion qui ionl aslurée., dUIII la langage, par le nom commun. ft. AdaDBon, Rillaire nllfurrUe d" Sbllgal (Pmi, 115i).
  • 150.
    Classer i55 doitêtre rép~t6. dans la sec.o~de. Seules sont mentionnées les différences. AII~Sl pour l~ tT?ISlem~ par rapport aux deux autres, et ceci indéfimment. SI bien qu au bout du compte tous les traits difTé~nts. de tous ,les vég.étaux ont été mentionnés une fois mais lamaiS plus d une fOIS. Et en groupant autour des pre:nières descript.ions celles qui ont été faites par la suite et qui L'l'allègent Il mesure qu'on progresse, on voit se dessiner Il travers le chaos primitif le tableau général des parentés. Le caractère qui distingue chaque espèce ou chaque genre est le lIeul trait mentionné sur le fond des identités silencieuses. En fait une pareille technique serait sans doute la flus sQre, mais le nombre des espèces existantes est tel qu'i ne serait pas poosible d'en venir li. bout. Cependant l'examen des espèces rencontrees révèle J'existence de grandes 1 familles., c'cst-à­dire de trèl! larges groupes ,dans lesquels les espèces et les genres ont un nombre considérable d'identités. Et si considérable, qu'ils 8e signalent par des traits fort nombreux, même au regard le moins analytique; la ressemblance entre toutes les espèces de Renoncules, ou celle entre toutes les espèces d'Aconit tombe immlldiatement IIOUS le sens. A ce point, il faut, pOUl' que la tAohe ne soit pas infinie, renverser la démarche. On admet les grande9 familles qui BOnt évidemment reconnues, et dont les premières doscriptions ont, comme à l'aveugle, défini les grands mits. Co 80nt ces traits commull! qu'on établit. maintenant d'une façon positive; puis chaque fois qu'on rencontrera un genre ou une espèce qui en relève manifestement, il suffira d'indiquer pal' quelle différence ils 6e distinguent de8 autres qui leur servent comme d'un entourage naturel. La connais­sance de chaque esp~ce pourra être acquise facilement à partir de cette caractérisation générale: 1 Nous diviserons chacun des trois l'ègncs en plusieurs familles qui rassembleront tous les êtres qui ont entre eux des rapports frappnnnr, nous passerons en revue tous les caractères généraux et particuliers aux êtres contenus dans ces familles ,; de cette manière c on Jlourrs être assurê de l'apporter tous ces êtres à leurs familles naturelles; c'ellt ainsi qu'en commençant par la fouine et le loup, le chien et. .l'ours, on connaltra suffisamment le lion, le tigre, l'hyène qUi sont de!! animaux de la même famille 1 l, On voit tout. de suite ce qui oppose méthode et système. Il ne peut y avoir qu'une méthode; on peut inventer et appli· quel' un nombre oonsidérable de systèmes: Adanllon en a dl:üni soi:tante-ciuq 1. Le système est. arbitraire dans tout son ~' Adllrt~ ... Courll d'1!is/o!re nafureUe, 1712 (édit.iOD de Is(5), p. 17. AdanSlln, .f'umilll'JJ du pllJnlu (l'ans, 1783).
  • 151.
    i56 déroulement, maisune fois que le Bf.stAme des variables -1. caractèro - Il été défini nu déport, il n'est plus possible de 1. modifier, d'" ajouter ou d'en retrancher mêlne un élément. La méthode ~lIt imposée du dehors, par 16s l'8ssemblances globales qui 0ppRrentent les choses; elle t1'8D.Scrit immédiatement la perception dans le discours; elle demeure, en BOil point de départ., au plus près de la description; maia il lui esL toujours possible d'apporler au caractère g~nérnl qu'elle a d6fini emli­riquement lea modilications qui s'imposent : un trait qu 00 croyait enentiel à un groupe de plantes ou d'animaux l!eut tria bien n'être qu'une }lorLicuhlrilé de 'l."elques-uI18 sion en découvre qui, BaDIl le posséder, appartiennent d'une manière évidente li. la même famille; la méthode doit touj ours être prête A se rectifier elle-mAme. COlrune le dit Adanson, le système eat comme 1 10 règle de fOU8se position daus le calcul. : il résulte d'une d6cision, mais il doit être absolument cohérent; la méthode au eontraire est 1 un arrangement quelconque d'objets ou de faÎta rapprochés par des convenances ou dea ressemblances quelconques, que l'on exprime par une Dotion générale et appli­cable à toU!! ces objets, Bons 6el'enrfant regarder cette notion fondamentale ou ee principc comme absolu ni invariable, ni ai général qu'il ne pui!4!'lo souffrir d'exception. •• La méthode ne dillère du système que par l'idée que l'auteur attache à sea principes, en les regardant comme variables dans la méthode, et comme abliolus daDB le système 1 ». De plu8, le système ne peut reconnaître entre le!! lItruotures de l'animal ou du végétal que des_ rapports de coordination: puisque le caractère 8lit choisi, non pas à raison de son imIJ:Or­tance foncLiofiDolle, WIlÎII à ra.i~oI1 de $OD e1Iicacité combinatoi1'8, rien ne prouve que daus la hiérarchie intérieure de l'individu, telle forme de pistil, telle disposition des étamines entraîne telle struetnre:-si le germe de l'Adoxa est entre le calice et la corolle, si dana l'arum, les ét..'lmines sont disIJOsées entre les pistila, ce ne sont là ni plus ni moins CJue des 1 struotures singulières s» : leur peu d'importance ne Vlcnt que de leur rareté, alors que l'égale division du calice et de ]a corolle n'a d'autre valeur que sa fréquence *. En revanche la méthode, parce qu'elle va de. identités et des clifIêrences les plus générales il celles qui le IIOJ1t moins, est susceptible de faire Rppal'aitre des l'apports verticaux de subordiuaLion. Elle penuet, en effet, de vOir quels soot les oaractèreB aSliez importants pour n'être jamais démentis dam 1. Adan60n, Famlll" do. plrm'u, t. l, pr6fllC:e. 2. J.lnn6, Philosophie lIo/aRifJ/ll, § 100. 3. Id., ibid., 1 9-'.
  • 152.
    Classer 157 neIamille donnée. Par rapport ail système, le renversement ~t très important: les caractères Jes plus eSBentiela permettent de distinguer lei familles les plus larges et les plus vÏlliblemeot distinctes, alors que pour Tournefort ou LÙUlé, le caractère essentiel définÏIIsaÎt Je gen.'e; et il sum~ait à la 1 convention. de naturaIistrni de choisir un caractère factice llour distinguer les classes ou les ordres, Duns la méthode, l'orgallll!8tion générale et. ses dépendances internes l'emportent sur la translation laté­rale d'un équipement constant de variables. Malgré ccs difTérunces, système et mbthode reposent sur le ml1l1le socle épistémologique. On peut le définir d'un mot, en dÎllunt que dans le savoir clas&Ïque, la connaissAnce des indi­vidU!! empiriques ne peut être acquise que sur le tableau continu, ordowlê et universel de toutes les difIérences l'0s~ibles. Au XVI' siècle, l'identité des plantes et Jes animaux était assurée par la marf{ue positive (souvent visible mais cachée parfois) dont ils étlllent porteurs: oe ~ui, par exemple, distinguait les diverses espèces d'oisenux, ce Il étalent point les difIérences qui étaient entre elles, mais le fait que celle-CI chassait la nuit, que celle·HI. vivait sur l'eau, que toile autre se 110urrÎsssit de chair vivante 1. Tout être portait une marque eL l'elpèce le mesunit lll'étendue d'un blason commun. Si bien que chaque espèce S8 .ignalait par elle·même, énonçait !Ion individualité, indépen· damment de toute. .. les autres: celle..,-ci auraient très bien pll ne pas exister, les critères de dêfinition n'oo auraient pas ét6 modifiés pour les seules qui seraient demeU1'ées visibles. Maia à partir du XVIIe siècle, il ne peut plus y avoir de signes que daua l'analyse des' représentations selon les identiMs et lcs diffé­rences. C'est-à-dire que toute désignation doit se faire par un certain rapport à toutes les autres désignations possibles_ Connnitre ce qui appartient en propre à un individu, c est avoir par devers soi le classement ou la possibilité de c18s~er l'en­semble des autrell. L'identité et ce qui la marque se dé6ni!lsent par le ,~êsi~u des différences. Un animal ou une plante n'est pas ~c q!llDdJque - 011 trahit - le stigmate qu'on découvre UJ~prJmé en lui; il est co que ne sont pas les autres; il n'existe en lUl·~èlIle qu'à la limite de ce qui s'en distingue. Méthode et systeme ne sont que les deux moniêres de définir les identités par .le ri~eau général des différences. Plus tard, lA partir de C!-,v.ler, 1'1d6ot~té des espèces se fixera aussi pu un jeu de dif!erences, mais celles·ci apper8ttront SUI' le fond dei! grandes uru( téi organiques BrRot leurs systèmes intemes de dépendances aque eUe, respiratloD, circulation) : les invertébrés ne seront J. cr. P. Belon, Hidolrc de (q llO/ure dCf "i~Quz.
  • 153.
    LeI mo~ .tlfi choa" pas d6finis seulemont pnr l'absence do vertèbres, mais par un certain mode de respiration, par l'existence d'un type de circll­lotion et pnr toute u ne cohésion organique qui dessine une unité positive. Les lois internes de l'organisme deviendront, li. la place des caractères différentiels, l'objet des aciences de la nature. La classification, comme problème fondamental et constitut.if de l'histoire naturelle, s'est logée bistoriquemcnt, et d'une façon nécessaire, entre une théorie de 1. marque et une théorie de l' orBarmms. v. LB CONTlftV KT LA CATABTROPBB Au COEU1' de cette langue bien faite qu'eat devenue l'histoi1'8 naturelle, un problème demeure. Il se pourrait après tout ~e la transformation de la stl'uoure en 'oaractè1'8 ne soit jamais possible, et que le nom commun, jamais, ne puis8e nattre du Dom propre. Qui peut garantir que les descriptlon8 ne vont pas déployer des éléments si divers d'un indivldu au suivant on d'une espèce à l'autre que toute tentative pour fonder un nom commun serait. ruinée il l'avance? Qui peut anurer que chaque structure n'est pas rigoureusement isolée de toute autre et qu'elle ne fonctionne pas comme une marque individuelle? Pour que le caractère le plul simple pWsse apparaitre, il faut qu'un ~lémont au moins de la str>lcture d'abord envisagée Be rêp~te dans une auLre. Car l'ordre général des difJérences qui permet d'établir la disposit.ion des oepèoes implique un certain jeu de similitudes. Problème qui est isomorpbe à celui qu'on ft rencontré déjà r. propos du langugu 1 : pour qu'un nom commun fût possible, il fallait qu'il y cQt entrsles ohoses cette ressemblance immédiate qui permettait aux éléments ligniJiants de courir le Jong des "eprésentations, de glisseJ' à leur surface, de .'accrocher à leul'9 similitudes pour former finalement des désignations collectives. Mnis ponr dessiner cet espace rhétorique où les DOms peu à peu prenaient leur valeur générale, il n'était pas besoin de déterminer le statut de cet.te ressemblance ni si eUe était. fondée en vérité; il suffisait qu'eUe prête Bssez de force à l'imagination. Cependant pour l'histoire naturelle, langue bien faite, cee analogies de l'imagination ne peuvent. valo.ir comme des K8ranties; et le duute radical que 1. cr. ,apm, p. 14.'l.
  • 154.
    Clouer 159 Humelaisait portnr sur la nécesllÏté de la répétition dans l'expé­' enee il Iaul bien que l'histoire naturelle, qui en est menacée ~IU mè;no tiLre que .tout )a!,g~ge, trouve le moyen de le contour-ner. Il doit y avol~ contInUIté da~ la n~ture. . Cette exigence d Wle nature contanue n a pas tout il rait la même Corme dans les systèmes et dans les méthodes. Pour 181 s)·!tématici~ns, ]a con,tit;tuité n'est ~aite que de la juxtapo­sition sans (aane des differentes réglODB que les carnotores permettent de distinguer clairement; il suffit d'une gradation minterrompue des valeurs que peut prendre, dans le domaine Bntier des espèces, la structure choisie comme caractère; à partir de ce principe, il apparattra que toutes ces valeurs seront occupées par des fltres rêeIs, même si on ne les connait pas encore. 1 Le système indique les plante!, même cellel! dont il n'a pas (ait mentionj ce que ne peut jamais faire l'énumération d'un catalogue 1. , Et sur cette continuité de juxtaposition, les catêgories ne seront pas simplement des convcntioDII arbitraires; elle8 pourront correspondre (si elles IOnt êtablies comme fi faut) à des régions qui existent dùtin.c­Wnem sur celte nappe ininl8"DmpUe de la nature; elles seront des plages plus vastes mais aussi réelles que ]es individus. C'est ainsi que le système sexuel a permis, selon Linné, de découvrir des genres indubitablement (ondés: 1 Sacbe que ce n'est pas 10 caractère qui oonB1.itue le genre, mais le genre qui constitue le caractère, que ]e oaractère découle du genre, non le e;enre du caractère 1. , En l'flvunohe, dans les méthodes pour qUl 181 ressemblances, lous1em forme mauive et évidente, sont données d'abord, la continuité de la nature ne sera pas oe p08tulat purement négatif (pas d'espace blanc entre les caté­gories distinctes), mais une exigence posiLive : toute la nature forme une grande t.rame où les êb'es ae reasemblent de proche en pro'.lhe, où les individuB voisins sont infiniment lemblables 81,ltre eux; si bien que toute coupure qui n'indique pas l'infime dift~rence de l'individu, maïa deI catégories plus larges, eRt toul4?UTS imc11e. Continuité de fusion où toute généralité est nOlDUlnle. Nos idées générales, dit Buffon, 1 sont relatives à une échelle continue d'objets, de laquelle nons n'apercevons net­t~ ent que les milieux et dont les extrémités fuient et échappent touJoun de plus en plus il nos considérations ... Plus on augmen­tera le nombre des divisions des productions naturellfls, plus on approchera du vrai, puisqu'il n'existe réellement dans la nature que des individus, et que les genres, les ordres, les classes !. LlIIIIA. PIIUotopld. bol/lllifJIJc 1 156 • .. Id., ibid., § 169. '
  • 155.
    160 I.e. motset lM cho,e. n'existent que dans notre imagination 1 J. Et Donnet disait. dan a le même Bens qu' c il n'y a pas de sauts dans la nature: tout y est gradué, nuancé. Si enlre deux êtres quelconques, il exiatait un vide, que1e serait la raison du passage de l'Ull fl l'autre? Il D'ost dOliC point d'être au·de~!lus et au·ùestlous dU(lUel il n'yen ait qui s'en ra pprocllent parquelques car-.lctèrell, et qui s'en éloignent. par d'autres J. On peut. donc toujours découvrir des 1 ~roductions moyonnes J, comme lu polype entra le végétal el. 1 animlll, l'écureuil volllnt entre l'oiseau et le quadrupède, le Bingo enlre le quadrupède et l'JlOmme. Pal' Clonséquent, nos distributions en espèces et en classes « sont purement nomiriales 'i elles ne repre8entent rien de plus que des « JIl()yons relatifs Il nos besoins et aux bornes de nos oonnais­BanceB. 1. Au xvm8 8iOO1e, la eontinuit6 de la nature est exig6e pal' toute histoire naturelle, c'est·ll-dire pRr tout eiTort pour ms­taurer dans la nature un ordro et y découvrir des catégories générales, qu'elles soient réelles et prescrites par de8 distinc­tions manifeetes, ou commodes et simplement d~eoupée8 pRr notre imagination. Seul le continu peut garantir que la nature ae répète et que la structure, pat' conséquent, peut devenir caractère. Mais aussitôt cette exigence se dédouhle. Car s'il était donné à l'expérience, dans son mouvement ininterrompu, de parcoudr exactement pas après pas le continu des individus, des variétés, des espèces, des genres, des classes, il ne serait pus besoin de constituer une science; les désignations descrip­tives se gépéraliseraicnt de plein droit, et le langage des choses, par un mouvement spontané, se constituerait en discours scien­tifique. Les identités de la nature s'olIriraient comme en toutes lettres fi. l'imagination et le glissement spontané des mots dans leur espace rhétorique reproduirait en lignes pleines l'identité des IInes dana leur généralité croissante. L'histoire naturelle deviendrait inutile, ou plutbt, eUe serait déjà faite plU' le langage quotidien des hommes; la gra.mmaire générale serait en m~mc temps ln t.a:r:inomi8 universelle des êtres. MaÏII si une histoire naturelle, parfaitement distincte do l'analyse des mots, est indispensable, c'est que l'expérience nonouslivl"6 pas, tel quel, le continu de la nature. Elle le donne il la fois décbi­queté - puisqu'il y a bien des lacunes dans la série des valeurs effectivement occupées par les vnrinbles (il y 8 des êtres poe­. ibles dont on constate la place mais qu'on n'a jamais eu l'oc- 1. BulTon, Dluour. lur la maniÙl de lnIiru rhilloUe JIt1/unlIe (OEu/1l'U eomplltea, t. l, p. 36 eL 39). 2. Ch. Bonnot, Gonltmplalion d. la "alun, l'· partla (CBullr81 eomplilu, t. IV, p. 3;"'36).
  • 156.
    161 casion d'observer)- et brouillé, puisque l'eRpace r~l, gé0- graphique et terrestre, où nous nous trouvons, nous montre les êtreS enchevêtrés les uns avec les autres, dans un ordre qui, al' J'8pport li. la grande nappe des ta%inomiu, n'est rien de =lu8 que hasard, ùés~rdre ou perturbati?n. Linné faillai~ remarquer qu'en 811110c18nt sur les mêmes lieux le Jerne (qw est. un animal) et la conserve (qui est. une algue), ou encore l'éponge.et le corail, la nature ne joint pas, comme le vou­drait l'ordre des classifications, 1 les plantes les plus parfaites avec les animaux ap~elés très lmparfllits, mais elle combine 1811 auimaux imparfalts avec les plantes imparFaites 1.. Et Ad8W1on constatait que la nature «est un rn61ange confus d'êtreli que le hasard semble avoir rapprochés: iei l'or est mê16 avec un. autTe mêtal, aveo une pierre, avec une terre; là la violette croit li. côté du chêne. Parmi ces plantes errent 'égale­ment le quadrupède, Je reptile et l'insecte; les poissons se confondent. poUl' ainsi dire avec l'élément Bqueux dans lequel ils nagent et avec les plantes qui croÎsgent au fond des eaux ..• Ce mélange est même si génêral et si multiplié C[U'll parait être une des lois de la nature 1 •• Or cet enchevêtrement est le résultat d'une série chronol ... gique d'événements. Ceux-ci ont leur point d'origine ct leur premier lieu d'application, non pas dans les espèces vivantes elles-mêmes, mais dam l'espace où elles se logent. Ils se produÎBen1. dans le rapport de la Terre au Soleil, dans 1. l'ê~ime des climats, dau le8 avatars de l'écorce terrestre; ce ~u ils atteignent d'abord, ce 80nt les mera et lei continenta, c est 111 lIunace du globe; les vivanu ne sont touoh61 que par contrecoup et d'une manillro seconde: la chaleur les auire ou leB chasse, les volcans les détruisent; ils disparaÏlI8ent avec lea terres qui s'efTondrent. n se pout, pal' exemple comme le 8UpPO­lait Buffon 8, que la terre ait été inoandescente â l'origine, avant de se refroidir peu à peu; les animaux, habitués à vivre dans les températures les plus élevées, 8e sont regroupés dans la seule région aujoul'd'hui torride, tandis que les terres tempérée! ou froides sc peuplaient d'espèces qui n'avaient pas eu l'occasion d'apparaître jusqu'alors. Avec les révolutions dans )'histoirede la terre, l'c.."pace taxinomique (où les voisinages Bont de l'ordre du caractère et non du mode rU "ie) s'est trouvé réparti dans un espace concret qui le boulenrsait. Bien plus: il a sans doute été mor­celé, et beaucoup d'espèces, voisines de celles que nous Clonnai .. 1. Linné, PllilfllDplli. fIolllnlque. . 2. MGDSOn, Cour. d'hi,'olr, nalUI'Ilk, 1712 (M. Pans. 18.(5), p. 4-t. 3. Bulfon, Ili.'oi" de la T'1ft.
  • 157.
    162 sons ouintermMioires entre des plages taxinomiques qui nOUI son1; familières, ont dd d isparaltre, ne It!isllant derrière ellee quo des traces difficiles à déchiffrer. En tout cas, c:eUe série hia­torique d'événements s'ajoute à la nappe dea êtres: eUe ne lui appartient pas en propre; elle se déroule dans l'eMpllee réel du moude, non dans celui, analytique, dos classifications; c:e qu'eUe met eu question, c'est le monde comme lieu des êtres, et non pali Jes êtres en tant qu'ils ont lu propriété d'être vivants. Uno bill Lorjci té, que symbolisent les récits bibliqueII, air Ilote direc­tomont. notre !lys .ème as tronomique, indirectemont leriseau taxi· Domiquo des ellpècellj et outre la Genèse et le Déluge, il se po ...... ruit bien quo. liotre globe ait subi d'autres révolutions qui ne DOUS ont pus été révéJéeli.ll tient à tout le système astronomique et les lioiSQns qui uWlIl!ent ce globe aux autres corps célestes et en paniculier BU Soleil et aux. comètes peuvent avoir ét6 la source do beaucoup de révolutionl dont il ne reste aucune trace sensible pour nous et dont leB habitants des monde. voisins ont eu peut-être quelquea COJUlaiaeBnCes l J. L'histoire naturelle 8Up~1I6 donc, pour }lQuvoÏr existe!' comme science deux ensemble8: l'un d'entre eux ell consti­tué par le réseau continu des êtres; cette continuité peut prendre diverses fonnes spatiales; Charles BODllet la penso tantôt SOUI la forme d'une grande écheUe lin6u.ire dont 1. extrémités lont l'une très 8UJJple, l'autre très compliquée, Bveo au centre une étroite région médiane, la Beule qui 110US 8()it dévoilée, tantôt BOUS la forme d'un tronc c811troll dont partiraient d'un côté une branche (celle des coquillages avec lei crabes et 1611 éereviases comme ramifications supplémentaires) et de l'autre la série des insectes lur quoi s'embranchent ÏDIIoote8 et grenouilles s; Buffon définit cette même continuité 1 comme une 1ar~e trame ou plutôt Ull faisceau qui d'ÎnterTal1e en inter­vallejotte des branches de côté pour se réunÏravec desfaiseeaus d'un autre ordre 1 J; Pallas songe li. une figure l'01yédriquc 'i J. Hermann voudrait constituer un modèle li. trola dimensions, composé de fils qui partant. tous d'un point commUll, Ile séparent les UllS des autrcs • 80 répandent par un très grand nombre de rameaux latéraux JI, Jluis se ra1l8embleu.t de nouveau i. De ces configurations spatiales qui décrivent "haçons li. Ba manière la conlu,uité taxinomique, se distin",D'Uola série deI! événements; celle-ci est discontinue et différente en chacun de ses épisodes, 1. Ch. llnnnr.l, PallRg~n~ie p~lio.ophlqu, (OEIlW'U, t. VII, p. 122). 2. Ch. UI)WI~t, Conttmplalion de la nalu,." çhap. XX, p. 130-138. 3. Buffon, HMoire nulur~lIe du Oi6~alU: (l77U). t. l, p. a~ . ... Palla6, Elmchu, ZOOph!llorurn (171:16). 1). J. lIermaDll, Tabulae olflnilulunl ollimuliulfi (Strlliboul'!f, 1783), p.2",
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    163 JIlllis sonensemble ne peut dessiner ...' U'une ligne simple qui ut celle du temps (et qu'on peut concevoir comme droi8, brisée ou ciroulaire). SOUI la forme concrète et dans l'épaisseur qui lui eat propre, ta nature 8e loge tout entière entre la nappe de la lazinomkl et la ligne da révolut.ion!l. Les • tableaux • qu'clle forme sous les yeux des bonuues et que le discours de la !lcience est cha1'gé de parcourir Bont Jel fragments de la grande Burtace dea espèces vivantes, tel qu'il eat découp6, boulevenlé et figé entre deux révoltes du tempe. On voit combien fi est lIuper6cie1 d'opposer, ClOIDJDe deux opinions diIJérentes et offrontées dons leurs optiom fondamen­talcs, un 1 fixisme 1 qui se contente de clallaer lei êtres de la nature en un tableau permanent et une sorte d'. évolution­nisme 1 qui croirait l une histoire imm6morwe de la nature et il une profonde poussée des êtres l travers sa continuit6. La solidité sana lacunes d'un réseau des espèces et des genres et la série des événements qui l'ont brouillé font 'partie, et à un même niveau, du aocle épistêmologique l partir duquel un lavoir comme l'histoire naturelle. été possible à l'Age claBllique. Ce ne sont pos deux manières de percevoir la nature radicalemen.t opposées parce qu'engagées daDa des choix philosophiqu81 plus orieux et plus fondamentaux que toute sciencej ce sont deux exigences simultanéea dans le réseau archéologique qui définit li. l'Age classique le savoir de la nature. Mais ces deux exigences 80nt complémentaires. Donc irréductibles. La lérie temporelle ne peut pos s'intégrer li. la gradation des êtres. Les époques de la natu1'8 ne prescrivent pas le 'fII1I~ intérieur des êtres et de leur continuité; eUes dictent. les inlflmpirie. qui n'ont cessé de les disperser, de les d~truire, de les mêler, de les séparer, de les entrelacer. Il D'y a pas et il ne peut. y avoir même le soupçon d'un évolutionnisme ou d'un transformisme daos la p~JlIIée classique; car le temps n'cst jamais oonçu comme prin­cipe de développement pour les êtres vivants dallllieur organi­lIation internc; il n'elt. perçu qu'à titre de révolution possible dans l'espace extérieur où ils vivent. y •• KONSTRB& ET l'OSSU •• ~ objectera qu'il ~ eut, bien aYant Lamarck, toute une pen~ .de type évolutionniste. Que lion importance fut grande IIU nulleu du XVIII!! siècle et jusqu'au coup d'arrêt qui fut IIlarqué par Cuvier. Que Bonnet, lolaupertuil, Diderot, Robinet,
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    f6li Le. mouet les CMII!' Benott de Maillet ont fort clairement articulé l'idée que Jes formes vivantes peuvent passer les unes dana les autres, que les espèces actuelles sont sans doute le résultat de transforma­tions anciennes et que tout le monde vivant se dirige peut-Otre vers un point futur, si bien.qu'on ne pourrait assurer d'aucune forme vIvante qu'elle est définitivement acquise ct st."lbilisêe pour toujOUl'!. En fait, de telles analyses sont incompatibles avec ce que nous entendons aujourd'hui pnr ]a pensée de révo­lution. Elles ont en effet poUt' propos le tableau des identités et des différences à ]a série des événements successifs. Et pour penser l'unité de ce tableau et de cette série, eUes n'ont Il Jeur disposition que deux moyens. L'un consiste à intégrer à la continuité des êtres et ft leur distribul.ion en tableau la série des successions. Tous les êtres que la taxinomie a disposés dons une simultanéité ininterrom­pue Bont alors soumis 8U temps. Non pas en ce sens que la s6rie temporelJe Cerait nuttre une multiplicité d'espèces qu'urt regard borizontal pourrait ensuite disposer 8elon un qua­driJ1age ol8ssificoteur, mais on ce 81)D8 que tous les points de la taxinomie sont affectés d'un indice temporel, de sorte que 1'« êvolution 11 n'est pas autre chose que ]e déplacement soli­daire et général de l'échelle depuis le premier jusqu'nu dernier de ses éléments. Ce syrtème est celui de Charles Bonnet. IL implique d'abord que ]a chatne des ~trcs, tendue par une série innombrable d'anneaux vers la perCection absolue de Dieu, ne ]a rejoigne pas !tctuellement 1; que la distance soit encore infinie entre Dieu et ]a moins dHectueuse des créatures; et que, dans cette distance peut·être infranchissable, toute la trame ininterrompue des êtres ne cesse de s'avancer vers une 'pIns grande perfection. Il implique aussi que cette • évolution 11 maintienne intact ]e rapport qui existe entre les ditTérentes espèces : si l'une en Be perfectionnant atteint le degré de complexité que Jlossédait par avance celle du degré immédiate­ment supér3eur, celle-ci n'est pas rejointe pour autant, cnl', emportllo par ]e même mouvement, elle n'a pas pu De pas S8 perfectionner dans une proportion équivalente: 4( Il Y aura un progrès cont.inuel et plus ou moins lent de toutes les espèces vers une periection sup~rieure, en sorto quo tous les degrê! de l'échelle Beront continuellement vnriublcs dans Wl rapport déterminé ct constant .. _ L'homme, transporté dans un séjour plus assorti à l'éminence de ses facultés lais!:Iera au singe et ~ l'éléphant cette première place qu'il occupait parmi les aDJ' 1. Ch. Bonnet, Cont,mplatlon de Id nalure, 1" parLie (OEuurtl computa, t. IV, p. 34 ''1.).
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    165 DlaUX denoUe planète ••• TI y aura des Newton parmi les Binges et des Vauban parmi les castors. Les hutt1'es et les polypes Beront par rapport aux espèces les plua 61evées C6 que les oiseaux et les quadrupèdes sont ill'hoIDDle 1• lt Cet 1 évolution­nisme Il n'est pal une manière de concevoir l'opparition des êtres les uns à partir des autres; il est, en réalité, une manière de généraliser le principe de continuité et la loi qui veut que leB ~tres forment une nappe laDS intemJption. n ajoute, dans un style Jeibni!!ien', ~e ~~ntinu du tem~~ au. continu de l'csp,ace ct à l"inilnl6 multipliCité des êtres, 1 Infini de leur perfectIon­nement. Il n6 s'agit pus d'un~ hiérarchi!ation progressive, mais de la pou~séc constante et globale d'une hiérarchie tout ins­taurée. Ce qui suppose finalement que le temps, loin d'être un principe de I~ ta:tirwmia, n'en soit qu'un des fac~eurs. Et qu'il soit. préétabli comme toutes les autres valeurs pnses par toutes les autres variables. Il faut donc que Bonnet soit préformation­nillte - et ceci au plus loin do ce que nous entendons, depuille XlX8 siècle, par« évolutimmismc'j il est obligé de suppotierque les avatars 0'1 le~ catastrophes du glohe DDt été disposés à l'avance comme autant d'occlIsions pour que la chatne mfinie des êtres s'achemine dans le sens d'une infinie amélioration : Il CeB évolutions ont été prévues ct inscrites dans les germes des animaux dès le premier jour de la création. Cor ces évolutions Bont liées avec des révolutions dans tout le système solaire que Dieu a aménngées à l'avance. 1 Le monde en son entier a 6té larve; Je voici chrysalide; un jour, 88nll doute, il deviendra papillon 3. Et toutes les espèces seront emportéell de 1~ même façon par cette grande mue. Un tel système, on le voit, ce n' eat pas un évolutionnisme commençant à bouleverser le Vieux dogme de ]a fixité; ç'est une ta:rinomia qui enveloppe, de plus, le temps. Une classificlltion générdlitiée. L'nutre forme d', évolutionnisme J consÎtlte à raire JOUeT au ~mps ~ rôl~ t.OI!t oppol;é. Il ne sert. pllU> à déJ,lacer sur la lIgne. fiOle ou mliDle du perfectionnement l'ensemble du tableau clls~uficateur, DUlis à faire apparuttre les unes après les autre Il toutes les Clt~es qui, ensemble, formeront le réseau continu d~.s e!lpèces. Il lait. prendre successivement aux variables du vivant. ~out.e8 les. vül(urs possibles: il est l'instance d'une caractensatlOn qUise fRit petit li petit et comme éléments après p. li.;~i,~~nnr:l, PaTingblhie philf)8f)pJalq/Jc (OE/Juru tOmpmf~, L VU, • ~. Ch. Honll"l (OErll"ll3 tOmpl,~I'", t. III, p. 173) cite une letre de LelbDlz 3. arman .ur lu llbullJ~ dèS ~~res .. Po l~~' Bonnet., Pallnlllnùre pfuloallpltlqlM (OEu_ complèlu, LVII,
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    i66 éléments. LesreBilemblBDC~' ou les identit~s Plll'tiellos fui soutiennent ln p08llibilité d'une I4:J:ÏnomÎa seraient alors 01 mRrqucs étalées dans le présent d'un seul et même être vivant. persi"tant li. travors los uvatars dela nature et remplissant par là toute" les possibilités qu'olIre à vide le tableau taxiDllmiCJ:';le. Si lea oiseaux. fait remarquer Benoit de MaiUet, ont dos ades COIDIDe les poissnns ont. des nugeuires, c'est qu'ils ont étll, il l'époque du grand reflux des eaux premières, des dlluradesHssé­chées ou des da uphills pa ssês pour toujours il une patrie aérienne • • La aemencede ces pOissons, port.6e dans des mHrais, peut avoir dODDélieu à 1. premièretransmigru tion de l'espèce du séj our de la m8l' en celui de la terre. Que cent millions aient péri saDI avoir pu 8D oont.ractel' l'habitude, il suffit que deux. y Boieut parvenus pour avuil' donné Jieu à l'espèce 1 .. Les ohangements danslea oonditions de vie des êtres vivants semblent, là comme clau cortainos formes de l'évolutionnisme, ent1'fllner l'apparitioD d'eapècoB nouvelles. MaÏli le mode d'action de l'air, de l'eau, du clüriat, de la terre sur les animaux n'est pas celui d'un nülieu aur une fonction et SUl' 1. organes dans lesquels eUe s'accom­plit; les éléments ext6rieurs n'interviennent qu'à titre d'occa­aion pOUl' faire apparattre un caractère. Et cette apparition, ai elle est chronologiquement conditionnée par tel événement dll globe, est rendue a priori possible par le tableau général dea variables qui définit toutes les formet éventuelles du vivant. Le qua.i-êvolutionnisme du xvm8 siècle semble présager aussi bien la variation spontanêe du caractère, telle qu'oD la trouvera chez Darwin, que l'action positive du milieu telle que la décrira Lamarck. Mais c'est une illusion rétrospedive : pOUl' cette forme de perUiée, en efTet, la Buite du temps ne peut jamais deBlliner que la ligne le long de laquelle se succèdent toutes lee valeurs pUllsibles des variables préétAblios. Et par conséquent il faut définir un principe de modification intérieur à l'être vivaDt, lui permettant, il l'occasion d'une p6ripéLie naturelle, de prendre un Douveau caractère. On se trouve alors devant. un nouveau point de choix: soit supposer chez le vivant une aptitude spontanée il changer de forme (ou du moins il acquérir Hvec les générations un caractère légèrement diiIérent de celui qui était donné il l'origine, si bien que de proche CD J!,l'Ocho il fiuira par devenir méoonnaiSliable), soit encore lui attribuer la recherche obscure d'une espèce ter­minale qui pOlôsédcrait les caractères de toute! celles qui l'ont précédée, mais à un pluB haut degré de complexité et de per­fection. 1. BenoU de Mulllet, Te/liamed ou lu Ilntl'Blielll d'un pIIiloeopfl. cllÙlliI, auec un miuiollllui" frullful. (Alliliterdam, 174t!J, p. 142.
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    Clauer 167 Lepremier système, c'est celui des 8l'l"8Ul1 ll'Ùl6IÙ - el qu'on 10 trouve chez Maupe~uia. L~ tabl.u cl~1 4!'pècetl !IU8 l'histvire naturelle peut ~tabhl't aurai' 'té aoqws pu'tce • plèoe ur l'équilibre, cOWitant danala nature, entre une mémoire qui ~SIlul'8 le continu (maintien des espèces dans le tempa et res­! I~mblance de l'une la l'autre) et un penchant l ~ déVlation qui &Ssure à la foi. l'histoire, les ~iflérencos et la ~spersion. Mau­pertuis suppose que les particules de la matière aont douées d'activité et de mémoire. Attirées les unes pal' les autres, les moins actives forment 10' substances mi!lêrales; los plua act.ive~ dessinent ]e corps plus complexe des .arumaax. Ces formes, qw Bont ducs la l'attraction et au hasard, dispal'8iS!lênt si eUes ne peuvent subSister. Celles qui se maintiennent donnent nai .. Bunce la de nouveaux individus dont la mémoire maintient 188 caractères dn couple parent. Et ceci jUllqu'à ce qu'une dévia­t. ion des pRrticules - un hllsard - faillie nattre une nouveU. espèce que la force obstinée du souvenir maintient à son tour: «A force d'éCArts répétés, serait veaue la divenit4 infinie des animaux 1. 1 Ainsi, Cie proche en proche, 101 ttra vivante acquièrent pal' variations IJUccoslives tous les oaractères que nous leur connaissons, et la nappe cohérente et solide qu'ils iorment n'est, lorsqu'on les regarde daulll dimenaion du temps, que le ré..'!ultat fragmentaire d'un continu hoaUCOLlp plus Berri, beaucoup plus fin : un continu qui a été tillé d'un nombre incalculable de petites dift'érl'uces oubliées ou avortée.. Lea ellpèces visibles qui s'offrent à notre analyse ont été découpées 8UJ' le fond incessant de moQIrtrUosités qui appal'BÏBsent, scin­tillent, vont à l'abime, et paHois se mamt.iennent. Et ç'eat Il le point fondllmental : la nature n'a une bistoire que clau la mesure où elle est susceptible du continll. C'est parce qu'eUe prend il tour de rôle tous les caractères possibles (chaque valetoe de tout:c! les variables) qu'elle se présente BOUS la forme de la succession. Il n'en va pas autrement pour le sys~me inverse du proto­type et de l'a.pèce terminale. Dana ce cas,'n faut supposer, avec ~.-B. Robinet, que la continuité n'est pas aSSUNe pal' la iélUOIre, mais par un projet. Projet d'un être complexe vers eq,uel la nature s'achemine en partant d'éléments simples qu eUe compose et arrange peu à peu: c n'abord les éléments le combinent, Un petit nombre de principes simples sert de bas:.! li. to~ le., corps .; ce 1I0nt eux qui président ~c1usivement à 1 urgamsatlun des .minéraux; puil «la magwficence de la p.l.il~UPl!rttlù. EIIl.d .ur la formatioll .. oerp; O/'gfUIIIi, (BerUD, 1754',
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    t68 nature ftne cesse d'augmenter «jusqu'aux ~tres qui sc pro mènent sur la surface du globe Jt; «la variation dcs organes ca nombre, en grandour, en finesse, en texture interne, en figllre externe donne des espèces qui se divisent et se subdivisent il l'infini par do nouveaux: arrangements 1 a •. Et. ainsi de suite jusqu'à l'arrangemont le plus complexe que nous connais­. ions. De sorte que la continuité enlière de la nalure se loge entre un prototype, absolument archaïque, ellroui plus pro­fondément. que tGute histoire, et l'extrême complication de ce modèle, telle qu'on peut, au moins sur le globe terrestre, l'observer en la personne de l'être humainS. Entre ces deux extrêm81i, il y a tous les degrés pOSllibleli de complexité et de combinaison: comme une immenllo série d'elllais, dont cer­tains ont persisté sous ln fonne d'espèoes coo.stantes et dont les autres ont été engloutis. Les monstres ne sont pas d'une autre « nature Il que les espèces elles-mêmes: « Croyons que los formes les plua bizarres en appnrence. •• appartiennent néces­sairement. et eSlientiellement nu plan universel de l'être; que ce sont des métam()rphoses du prototype auni naturelles que les autres, quoiqu'ulles nous olTrent des phénomènes différents, qu'clles servent de passage aux: formes voisines; qu'tilles pré­parent et aménagent ICI combinaisons qui les suivent, COlume elles sont nmtln6es pu celles qui les précèdent; qu'olles oonlri­buent à l'ordre des choses, loin de le troubler. Cc n'cst peut-être qu'à force d'ôtroe que la nat.ure parvient li. produire des êtres plus réguliers ct d'uue organisation plus symétrique 8. » Chez RobinetcommecbezMaupertui.,lasuccessionetl'histoirenesont pour la Rature que des moyens de parcou.rir la trame des varia­tions infinies dontello 8t!t susceptible. Ce n'est donc poslo temps ni la durée qui il travel"S la diversit.é des milieux assure la conti­nuité et la spécification dos vivant., mais sur le fond continu de toutes les variations possibltls, le templ deslline un parcours ob. les climats et la géographie prêlèveut. seulement des régions pri­vilj.. giées et. destinées li. se maint.enir. Le continu, ce n'est pRsle silll1brtl vÏtiible d'une histoire fondamentale où un même prmcipe vivant se débattrait avec un milieu variable. Car le continu pré­cède le temps. li en est la condition. Et par rapport il lui, l'histoire ne peut jouer qu'un rôle négat.if : elle prélève et lait subsister, ou elle néglige et laisse disparaltre. A cola deux conséquences. n'abord la nécessitê de faire inter- 1. J.-B. Rul,inet, De la nature (3- t!d., 1766), p. 26-28. 2. J.-B. Robinet, Co,.,ldlra/ion. pltilOBop"tquu lur la gradalt'IR "arurell, du forme, de 1'~1n (Porfll, 1768), p. 4·5. 3. Id., ilJid., p. 198.
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    169 eoir lesmonstres - qui lont. comme le bruit de lond,Ie mur­~ ure ininterrompu de la nat,:,re. ~'il faut en elIet que le temps, ui est. limité, parcoure - ait déjà parcouru peul-être - tout j!, co~tinu de la nature, 00 doit admettre qu'un nombre consi­dérable de 'Iariations possible~ ont. été ~ro!5éos! puis. bilTées; tout comme la cotastrophe geologJqu~ eta~l neceSlaJl'e .pour qu'on puj5~e rem?nter du t!lbleau tu!nornJque 311; oontlnu ft. travers une e;cPérJ~nce brouill/ie, CI130tlque et. ~échiquet6e, ~e même la prolifération de monstres 6!mSlelldema.n cstnécesemftl pour qu'on puis!!e redescendre du c~ntinu ~u tableau à trave~ une série temporelle. Autrement dIt ce qUJ dons un seos dOit être lu corn nie drame de la te1'l'e et des eaux, doit ~tre lu, dans l'autre sens, comme aberration 81'parente des fonnes. Le monstre assure dam le temps et pour notre savoir th~orique une continuité que les déluges, les volc8m et le!! continents effon­dres brouilleut dans l'espace poUl' notre expérience quotidienne. L'autre cons(:quence, c'est qu'au long d'une l'oreille bistoire, les signes de la continuité ne sont plus que de l'ordre de ]a res­sombluDce. Puisque nul ral'port du milieu à l'organisme 1 ne d6Jinit cette histoire, les formes vivantes y subiront toutes les mêtamorphoses possibles, et ne laisseront. derrière eUes comme marque du trajet parcouru que les repères des similitudes. A quoi peut-on reconnaitre, par exemple, que la nature n'a cessé d'ébaucber, à partir du prototype primitif, la figure, provisoi­nlmcut termina·le, de l'homme? A ce qu'eUe a abandoDIJé SUI' 80n parcours mille formes qui en dessinent. le modèle rudimeo­taire. Combien de fossiles lIont, pour l'oreille, le crllne ou 1. parties sexuelles de l'homme, commc des statues do plâtre façoIUlécs un jour et délaissées pour UDC forme plus perCoc­tionnée? c L'espèce qui 1'C98crnblc nu coeur hUm&lO, et qu'on nomme à cause de ooln Anthl'Opoeardite ..• mérite une attention parliculière. Sa substance est un caillou nu-dedans. La fonne d"uncoeurestaussibienimitéequ'ellepuisscl'~tre.Onydist.ingue le tronc de la veine cave, avec une l'ortion de ses deux tranches. On voit aussi sortir du ventricule gauche le tronc de la grande artère avec sa partie inférieure ou descendante'.» Le fossile, avec sa nature mixte d'animal et de minéral est le lieu privilégié ~'une ressemblance que l'historien du continu exige, alon que 1 espace de la tazinomÎ4 la décomposait l"Ïbroureusement. Le monstre et le fossile jouent tOUI deux un rolo très pdcis cr lGs' g" l'in-:xlslenC8 de la nollon biologique de • mUieu • au X,"III' liiècle, 2 j B,~lI~em, Le Connar .. 1UICe delIlDi.(P8rie,~l!d •• 1965), p.121H54. df;fn':: .... ohmel, COlUjfUra';OIll phU/Moplriguu 6fJl' la grallGlion IIrJ1lJNll • . ~ N,CI .... "lire, p. 19.
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    t70 dan. oetteconfiguration. A partir du pouvoir du continu que détient la nature, le monstre fait apparaltre Ja différence : celle-ci est encore sa ni loi, et Bans .tructure bien définie; le mon.tre, c'est la IInuche de la sp6cificatioD, mais ce n'est qu'uae IOUll-esl,èee, dans l'obstinatioD lente de l'histoire. Le fossile, c'est ce qui laisse subsister les re8semblaDces à. travera toute. les déviations que la nature 8 parcourues; il fonctioue comme une f?Mle lointaine et approximative de l'identité; il mas:que Un qUBsl-clU'8ctère dans le bougé du temps. C'eet que le mODstre et le f08sile De sont rien d'autre que la 'Projection en arriêre de çe. différences et do ces identités qui définissent pour ]8 ~inomÏG la structure puis le caractère. li!! forment, entre le tableau et le continu, la régioD ombrewe,mobile, tremblee où ce que l'a nalyse définira comme identité n'est encore que muette analogie; et ce qu'elle définira comme dillérence aS91gnable et constante D'est encore que libre et hallardeuse variation. Mais la. vrai dire l' hü:eoÏTe à4la Mture est BÏImposswleà.pénaerpourl'laür.o'fenoewflUe, la disposition épistêmologique dessinée par le tableau et le continu eat si fondamentale, que le devenir ne peut avoir qu'une place intennêdiaire et mesurée pal' 161 "ulea exigences de l'ens'emble. C'est pourquoi j} n'in'tel'YJont que pour le pRSsage nécessaire de l'Uil .It. l'autre. Soit comme un ensemble d'intempéries étran­gères ~ux vhrants et qui ne leur advielUlent jamais que de l'extérieur. Soit comme un mouvement Balll cesse ébauché mais arrêt6 disl Ion esquisse, et perceptible seulewent lU" lea borda du tableau, dalll! sea marg611 négligées: et aiDai lUr le fond du continu, le monstre raconte, comme en caricature, la genèse des dillérenCe6, et le fossile rappelle, danal'incertitude de !lei rea­Hmblanceli, les premiel'8 entêtement. de l'identité. vil. LB »IICOV •• DB 1.... n"''l'UBa La théorie de l'histoire Daturelle n'est pas dissociable de celle du langage. Et pourtant, il ne l'agit pal, de l'une kl'auUe, d'un transfert de méthode. Ni d'une communication de OODcepts, ou dei prestiges d'un modèle qui, pour avoir c reu88i • d'un cat6 lerait euàyé dans le dOl~Dine voi.in. Il ne s'agit pas non plus d'une rationaJitb plus générale qui imposerait desformeaiden­tiquel li. la réflexion Bur la grammaire et à la Ca.1:inomia. Mais d'une disposition fondomentale du savoir qui ordonne la coDDaissance des êtrel li. la possibilité de lei représenter dans un syltème de Doml. Sanl doute, il y eut, dans cette régiOD que
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    tU nOUII appelonsmaintenHnt la vie. bien êl'autres recherches que les efforts de olulisificaion, bien d'autres analyses que oelle des identités et des dilIérenco •• Mais touLes reposaient sur uI;e sone d'a priori historique quiles autorisait. en leur dispp.l'!lion, en leW'8 projet!! singulitlrB eL divergents, qui rendait également posllible!l t~U!l lll~ dllbllta d'op~ons dont. elle~ étaient le lieu. Ce" Il priorI, il n est. p88 const.ltu6 par un éqUIpement de pro­blèmetl CODlltonts que le8 phénomènes concrets ne cel.eraieQ. de présenter comme autant d'ilnigmesllla curiosité de!l bOlJllllel; il n'ost. pl8 fait non plui d'un certain état des connaÏIIll8Qcol sédimenté au cour8 des Ages précédenta et servant. de 801 aux progrèl plus ou moins inégaux ou rapides de 1. rationalité; il n'eKl même pas IRnl doute détermin6 par ce qu'on appellel. mentalité ou leI 1 cadrel de pensée» d'une époque dODDée, l'il fllut entendre par là le profil historique des int.érêts .~u­lalifs, des crédulités ou deI grandes oplioll8 t.héoriques. Cet a priori, c'elt ce qui, à une é~ue dOQQ~ déeoupe dall8 l'expériencfl un champ d. lavoir polSible, définit 1. mode d'être de. objets qui y appal'llisllent, ume le re~rd quo­tidien de pouvoirs théoriques, .t dêfinit les conditloDB dona leequellea OD peut t.enir lUI' leI choses un discours reoonnu pOur TnlÎ. L'a priori hiatorique, qui, au XTIll8 aièole, a fond6 le. recherches ou les dêbats sur l'existence des genres, la ltabilit6 des el!pècea, la tral18wÎ8sion des ear8ctèresll travers les ~néra­tiOWl, c'ezt l'existence d'une histoire naturelle: organi8atÏou d'UQ certain visible comme domaine du savoir, dé6nition de. quatre variables de la description, constitution d'un espace de voisinages où t.out. individu quel qu'il soit peut veDir se placer. L'histoire naturelle Il l'age olassique ne correspond pa. Il la pure et simple découverte d'UD nouvel objet de curiosité; elle recouvre une série d'opération. complexes, qui introduÏllent dans un ensemble de repré5entatioll8 la pOlsiliilit6 d'un ordre co!lltant. Elle constitue comme cle8Crip,i"t. et. onlonnabl. à la fOl! tout un' domaino d'em?iricité. Ce qui l'apparente aux thêo~es du langage, la distmgue de ce que nous entendons, depU!B le XlX8 siècle, par biologie, et lui fait. jouer dans la pe~e~ c~Bsique un certain r61e crit.ique. cl L hllltoue DBturelle est contemporaine du langage : elle est .8 même niveau que le jeu llpontané qui analyse les rep1'êaenta­t~ on8 daule louvenir, fixe leurs éléments communs, 6tablit du IJgzUlIIll partir d'eux, et impose finalement des noms. ClasRer et: parler trou!ent.leur lieu d'origine daDB C6 même espace que la représentation ouvre à l'wtêrieur de soi parce qu'elle est vouée rhl!~"!ps, Il la mémoire. il 111 réflexion, h la continuité. Mais Ife naturelle ne peut et. ne doit 6XÏster comme langue
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    172 ind~pendante detoutes les autrtlS que si eUe est langue bien faito. Et universellement Y8lable. Dans le langAge spon­tané et 1 mil! fait '. les quatre éléments (proposition, arti. culation, désignation, dérIV8tion) laissent entre eux des interstices ouverts : les expériences de chRcuo. les besoins ou les pussions, les habitudes, les préjugés, une attentivn plus ou moins éveillée ont con!tÎtl1é des centaines de langues difTérentes. et qui ne se distingllcnt pns seulement par la forme des mots, mais avant tout pnr la Inanière dont ces mots découpent la représentation. L'histoire naturelle ne sera une langue bien faite que si le jeu est !erm6 : si l'exactitude descriptive rnit de toute proposition un découpage constant du réel (si on peut toujours attribuer à la représentation ce qu'on y artiCl.k) et li la dé.,ignation de chaque ~tre indique de plein droit la place qu'il occupe dans la dilpolition générnle de l'en· semble. Dans le langage, ]a fonction du verbe est univcl"lIelle et vide; elle prescrit seulement la forme la plus génémle de la proposition; et c'est à l'intérieur de celle-ci que les noms font jouer leur système d'sniculntion; l'hi!toire naturelle regroupe ees deux fonctions dans l'unité de la Mtructure qui articlIle les unes aux autres toutes les variables qui peuvent être attribuées à un être. Et alors que dans le langage, la désignation, en sou fonctionnement individuel est exposée au hasard des dériva­tions qui donnent leur ampleur et leur extension aux noms communs, le caractère, tel que l'établit l'histoire naturelle, permet à ]a fois de marquer l'individu et de le situer dans un espace de gén6ralit6s qui s'embottent les unes ICI autres. Si bien qu'au-de98us des mots de tous les jours (et à tra­vers eux puisqu'on doit bien les utiliser pour les descrip­tions premières) se b&.tit l'édiGce d'une langue au second degr6 où ~gnent enfin les Noms exacts des choses: c La méthode, Ame do la science, désigne à première vue n'importe quel corps de la nature de telle Borte que ce corps énonce le nom qui lui est propre. et que .ce nom rappelle toutes les connaissances .qu! ont pu être acqwses BU cours du temps, Bur ]e eorps amI! nommé : si bien que dans l'extrême confusion se découvre l'ordre souverain de la nature 1. Il Mais cette nomination ell.'lentielle - ce passage de la stru~­ture visible au caractère taxinomique - renvoie à une eXi" gence coûteuse. Le langage sponoeno, pour accomplir et bou­oler la figure qui va de la fonction monotone du verbe eu:e ilIa dérivation et au parcours de l'espace rhétorique, n'avaIt. besoin que du jeu de l'imagination : c'est-ll-diredesressemblaDces 1. Lbmê, SM'ftma nar_ (1766), p. 13.
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    Clouer 173 irnmêdiates.En revanche, pour que la ta.l:tnomÉe soit possible, il faut que la nature soit réellement continue, et OAns Ila plé­. tude même. Là où le langn~e demandait la similitude des ~l'res9ionll, la c1a9~j~cntion demande le prir.cipe de ~a plus etite diffr.rcnce pos!ubl6 enLre les c,hos~s. Or, ce c?ntlRuum, P j apparaît ainSi au Cond de ln nommatton, dans 1 ouverture i!:issée entre la description et ln disp~sition, il est supposé bien nnnl Je Inn gage, ct comme lin condltl?n. Et. non ~a!5 seuleme~.t parce qu'il peut (onder un langage bien CUit, mais pareo qu il rend compte do toullangage en génnl'tll. C'est III continuité de la nature snn~ doute qui donne à hl mémoire l'oocasion de s'exer­cer, lorsqu'une représentat.ion, pnr quelque idcntit./i confuse et JDal perçue, en r:lPl'ello une autre et permet d appliquer à toutes deux le signe arbitraire d'un nom commun. Ce f'{lIi dllns l'imllgination ge donnait comme une similitude aveugle n'était que la trace irrMléebie et brouillée de la grande trame ininter­rompue des identités et dos différence!'. L'imagination (ee~le qui, en permettant de comparer, autorise le langage) formlut, sBn~ qu'~m le sache alors, le lieu, a~i~ c.Ù la c.on~i~ui~éruiné!, muUl inSUltante, de ln nature reJoagnalt la contmwte VIde, maIS attentive, de la conscience. Si bien qu'il n'aurait pas été possible de parler, il n'y aumit pas ell place pour le moindre nom, si au rond des choses, avant toute représentation, la nature n'a'Y8it pas Hé continue. POUl' établir le grand tableau sans faille des espèces, des gemes, et des olasses,ila [alluquel'histoireoatureUe utilise, critique, classe et finalement reconstitue à nouveaUll: frais un langage, dont la condition de possibilit6 r6sidait j~ tement dans ce continu. Les choses et les mots Bont très rigou­reusement entrecroisés: la nature ne se donne qu'à travers la grille des dénominations, et elle qui, sans de tels nom9, resterait muette et invisible, scintille au Join derrière eux, contind­ment présente au-delà. de ce quadrillage qui l'ollre po1ll'tant au savoir et ne la rend visible que toute traversée de langage . • C'est pourquoi sans doute l'histoire natureU", à l'époque clas­filque. ne peut· pas se constituer comme biologie. Jusqu'à la d n du X'YIU~ siècle, en efIet, la vie n'existe pas. Mais seulement es êtres VIvants. Coux-ci forment une, ou plutôt plusieurs clB~seS dans la série de toutes les choses du monde: et si 00 peut parler do la vie, o'est seulement comme d'un caractère - ~o sens taxinomique du mot - dans l'universelle distl'i., butlon des êtres. On a l'habitude de répartir les ohoses de la Ftur~ en trois classes: les minél'8.ux, auxquels on recollDatt il ~rOlssauce, mais sans mouvement ni sensibilité; les v6g6taUll: qw PCUYCIlt croltre et qui BOnt susceptiblea de sensation; lei
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    17~ Les m0f8" lu cJUISU animaux qui se déplacent spontan6ment 1. Quant à la vie et au seuil qu'elle iOllLaure, on peut, selon les critères qu'on adopte les faire glisser tout au long de cette échelle. Si, avec ~8uper! tuill, on la définit par ]. mobilité et les relat.ions d'affinité qui attirent les êlérnllIll.8 les uns vcrs les autl'es et. les mllintiennent attaché!!, ill.ut loger la vie dans les particules lcs Illu9 simples de la matière. On est. obligé de la situer beaucoup plus haut daQI la série IIi on ]a définit. par un caractère chargé et complexe, comme le faisait Linn6 quand il lui fixait comme critères la miBliance (pal' semence ou bourgeon), la nutrition (par intus­susception), le viemissement, le mouvement extérieur, la p~ puhiion interne des liqueurs, les maladies, la mort, la prêlltnce de niBseaux, de glandes, d'é.pidermoB et d'utricules '. La vie ne constitue pas un seuil mamfeste li partir duquel des lormes entièrement DOUVelles du savoir 80nt. requises. Elle ellt une catégorie de classement, relative comme toutes les autres aux critères qu'on se fixe. Et comme toutes les aut.res, souuùse l certaines imprécisions dès qu'il s'agit d'en fixer 188 frontières. De même que le zoophyte est ilIa frange ambigu~ des animau et des plantee, de même les fossiles, de même les métaux se logent à cette limite incertaine où on ne sait s'il faut ou Don parler de la vie. Mais la coupure entre le vivant et le non vivant. n'est jamais un problème décisif '. Comme le dit. Linné, le lIaturalisle - celui qu'ü appelle llulorieM naturali.t - 1 dis­tiogue par la ?Ue les parues des corps mturell1, il les décrit oonvenablement selon le nombre, la figure, la pOilition et la proportion, et illell nomme' J. Le naturaliste, c'est homme du visible structuré et de la dénomination caractéristique. Non de la vie. n ne faut donc pas rattaoher l'histoire naturelle, telle qu'ene l'est déployée pendant l'époque classique, li une philosophie, même obscure, m&me encore balbutiante, de la vie. Elle est, en réalité, entrecroisée avec une tMorie des motll. L'histoire naturelle est 8ituée l la fois aYant et après le langage; elle défait celui de toua les jours, mais poUl' Je refaire et découvrir ce qui l'a rendu possible li t1'8vers les ressemblances aveuglcs de l'imagination; eUe le critique, mais poUl' en découYJ'Ïr le 1. Cf., par exemple, Linné, Sud,ma nalura, (17561, p. 215. 2. Linné, PAilu.ophie bDtuRil]Ut, 1 133. cr. BuAl s,.rêm. ,"ud du Pig#­loul:, p. 1. S. Dunnet. aclmettalt uue tUvlliion qllltdrlpAl't.Ite dan. la nature : I!l~ lIrula InorganilP.a, i:trell orrnnla66 1l1llnimell (v~g'l:iwc), êtres Org;:IIÙEëIl .ru­mé8 (animaux), OU8Ii orKanilléll anim~ et railOlUlllblea (bommal). cr. conrem­pItItion de la IIfflure, Jlo part.le, chap. 1. 4. Und, SglfemlJ nalurat, p. 21~.
  • 170.
    175 fondement. Sielle le reprend et veut l'accomplir dana sa pe .... fection, c'est qu'aussi bien eUe 1'8toume à Ion origine. EUe enjambe ce vocabulaire quotidien qui hû len de sol immédiat et en deçà de lui, elle va chercher ce qui a pu constituer s. rai.on. d'être; mais invel'lement eUe se logtt tout enLière dans l'espace du langage, puisqu'elle est eSlientieilement un usage concerté dOl noms, et qu'elle a pour fin dernière de dODner aux cho.'IeS leur vraie dénomiontion. Entre l, langage et la théo­rie do la nature, il existe dono un rapport qui est de type cri­tique; connaître la ~atul'!" c'e;'t en etTe~ bAtir Il partir d~ !an­gage un lallguge vraI malS qui découvrIra Il quellos conwllons tout lonaage est polsible et dans quelles limites il peut avoir un domaine de validité. La question critique a bien oxisté au XVIIIe siècle, mais liée à la forme d'un savoir détenniné. Ponl' cette ruison, elle ne pouvait acquérir autonomie et valeur d'jntcrrogation radicale: elle n'a cessé de rôder dans une région où il était question de la ressemblance, de la force de l'imagi­nation, de la nature et de la nature humaine, de la VIlleur des idées généralf'.8 et abstraites, bref des rapports entre la percep­tion dela similitude et la validité du concept. A l'âge classique - Locke et Linné, Butlon et Hume en portent témoignage -, la question critique, c'est celle du fondement de la ressem­blance et de l'existence du genre. A la fin du xvme siècle, une nouvelle con6guration apparattra qui brouille1'8 définitivement pour des yeux modernes le vieil espace de l'histoire naturelle. D'un dté la crit.ique se déplace et se détacbe du 901 où elle avait pris naissance. Alors que Hume faisait du problème de la causalité un 088 de l'intorrogation générule Bur les 1'essemblances l, Kant, en isolant la causalité, re?V6J'88 la quf',stioD; là où il s'ogisMit d'établir les rellitions ~'Jd~tité et de distinction sur le fond continu des similitudes, Dü ralt 8ppBrattl'e le problème inverse de la synthèse du divers. u !Deme coup la question critique se t!'Ouve reportée du concept. au lugement, de l'existence du genre (obtenue par l'analyse des l8(»résentations) à la possibilité de lier entre elles leit rerré­den~ ti0!l8, dl! droit de nommer au foodement de l'attributIon, e 1 articulatIon nominale à la proposition elle-même et au :e~b~ être 'Tui l'établit. EUe &e trouve alors absolument géné­aldee. Au lieu de valoir à. propos dos seuls rapports de la nature :! tee la nllt~re humaine, eUe int.erl'oge la possibilité même de II oonnalssance. Mais f3.'un aut.re côt6, il la même êpoque, la vie prend son llutonOlDle par rapport aux concepts de )a classification. EUe . Hume, E .. llf .ar III MrlUl humllÏne (Irad. Leroy), t. It p. 80 et 239 sq.
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    176 IJchnppe ilce l'apport critique qui, au X'YJlle sil!cle, était conllti­tutif du savoir de la natU1'8. Elle échappe, ce qui veut dire deux choses : )a vie devient objet de connaissance parmi 1611 autres, et il ce titre elle relève de toute critique en général; mais eUe résisle aussi à cette juridiction critique, qu'elle reprend à Ion compte, et qu'eUe reporte, en 80n propre nom, Bur toute conoaiBsance possible. Si bien que tout au long du XIX9 sièole, de Kant à Dilthey et à Bergson, les pensées critiques et les philosophies de la vio se trouveront daM une posit.ion de reprise et. de cont.estation réoiproques.
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    cn .... ITREVI ÉcTUJnger 1. l.',UULYSK DB& lUCUK&5EII Pas de vic li. l'~poque claBSique, ni de scieDce de III vie; pBS de philologie DOD plus. Maïa une histoire naturelle, maia une grammaire générale. De mOme, pos d'éCQnomie' politique, porco quc, dans l'ordre du savoir, la production D'existe pas. En revanche, il existe au xvue et au XYIIlII siècle, une notion qui nous cst demeurée fomilièrebien qu'elle ait perdu pour nous S8 précision essentielle. Encore D'cst-cc pas de c notIOn J qu'il faudrait porler li. son sujet, car elle ne prend pas place il 1'inté­rieur d'un jeu de concepts économiques qu'eUe déplacernit'légè­rcmcnt, en ]cur confisquant un peu de leur sens ou en mordant sur leur extension. TI s'agit plutôt d'un domaine général: d'une coucho très cohérente et fort bien stratifiée qui comprend et loge comme autant d'objets partiels les Dotions de valeur, de prix, de commerce, de circulatioD, de rente, d'intérêt. Ce dOUl!JinC, sol.et objet de l' « économie 1 à 1,'Age classique, c'est cehll de la r~Bse. Inutile de lui pOiler des quelltioll5 Yenuea d'une économie de type différent, organisée, par exemple, autour de )a. production ou du travail; inutile également d'analyser a~s dIvers concepts (même et surtout si leur Dom, Pm: la luite, d est perpétuê, avec quelque analogie de seos), saru; terur compte u système où ils prennent leur positivito. Autant vouloir analyser Je genre linnéen en dehors du domaine de l'histoire da~~ue, ou la théorie des temps chez Bnuzée san9 tenir compte .u aJdt que )a grammaire gênérale en était la condition histo­rIque e posaibililé. li ~l faut donc é!Ïter une lecture rétrospective qui ncpr~terajt . 1 analyse claSSIque des richesses que l'unité ultérieure d'une ec:onomie politique en train de se constituer à tâtOM. C'e~t sur ce mOde, pourtant, que les historiens des idées ont coutume de
  • 173.
    178 restituer ]anaiss~ce énigmntiCJuo de ce savoir qui, dans la pensée occidentale, aurait surgi tout. armé et déjà périlleux il l'époCJUe de Ricardo et de J.-B. Say. Ils supposent qu'une éconooue scientifique avait été rendue longtemps impossible pal' une problématique purement morale du profit et de la rente (théorie du juste prix, justification ou condamnation de l'intérêt), puis par une confusion systématique enue monnaie fit richesse, valeur et prix de marché: de cette aSliimilation, le mercantilisme aurait été un des principaux responsables el 1. manifestation la plus éclatante. Mais peu à pou 10 X"YllIe siècle aurait assure les distinctions essentielles et. cemé quelques-uns deI grands problèmes que l'économie posit.ive n'aurait cessé par 18. suite de traiter avec des instruments mieux adaptés: la moonaie aurait. ainsi découvert Ion caractère conventionnel, bien que non arbitraire (et ceci à travers la longue ditlcussion entre les' métallistes et les aIitimétallistes : panni les premiers il faudrait compter Child, ·Petty, Locke, Cantillon, Galiani; parmi les autres, Barbon, Boisguillebert, et surtout Law, puis plul dillcrètement, après le désastre de i720, Montesquieu et Melon); on aurait aussi commencé - et c'est l'oeuvre de Contil­Ion - à dégager l'une de l'outre ln théorie du prix d'échange et celle de la valeur intrinsèque; on aurait cerné le grand K paradoxe de la valeur» en opposant li l'inutile cherté du dia­mant le bon marché de cette· eau sans laquelle nous ne pOUVODl 'YÏvre (il est possible en effet de trouver ce problème rigoureu­Bement fonnulé par Galiani); on aurait commencé, préfigurant ainsi Jevons et Menger, à. rattacher la valeur à une théorie générale de l'utilité (qui est esquissée chez Galiani, chez Graslin, chez Turgot); on aurait compris l'importonce des prix élevés pour le développement du commerce (c'e3t le «principe de Becher» repris en France par Boisguillevert et par Quesnay); enfin - et voilà le3 Physiocrates - on aurait entamé l'analyse dU: méeaniame de la production. Et ainsi, de pièces et de mor­ceaux, l'économie politique aurait a.ilencieusement mis en place ses thèmes essentiels, jusqu'au moment où, reprenant dans un autre seos l'analyse de ln pl'OductiOD, Adam Smith aurait mis au jour le prooessus de la division croissante du trayoil, Ricardo le l'Ole joué par le capital, J.-B. Say quelques-unes des lois fon­damentulos de l'économie de marché. Dès Ion l'économie poli­tique se serait mille à exister avec 80n objet propre et B8 cohé­rence intérieure. En fnit, les concepts de monnaie, de prix, de valeur, de cir­culation, de marché, n'ont pas été pensés, au xvn8 et au XYllle siècle, à partir d'un futur qui les attendait dans l'ombre, mais bien sur le 1101 d'uue disposition épistémologique rigou-
  • 174.
    179 reuse etgénérale. C'est cetto dilpositioD qui loutient dans sa n6cessité d'eJl~e.mble l' c ~nalyse des ri~hesses ... Celle-ci est ll l'économie pohtlque ce qu p.st la grammal1'8 génerale à la philolo­gie ce qu'est à la }liologio l'hÏlJtoil'e Daturelle. Et pas plus qu'~n ne peut comprendre la th60rie du verbe et du nom, l'unillysc du langage d'action, 00110 des racin~ et de leur déri­wtion, sons so référer, à travers la grammaue générale, ll ce réseau archéologique qui les rend possibles et n6ce1lllairee, pa. lus <{'l'on DO peut. comprendre, 8808 corner 10 domaine d. f.histolre naturelle, ce qu'ont été ]a description, la caracté­rillation et ]a taxinomie classiques, non plu que l'opposit.ion entre système et méthode, ou c fixisme - et c évolution l, d. la même façou, il ne serait pas possible de retrouver le lien de nécessitê qui euchuwe l'Ilnalyse de la mOlUlllie, des prix, de la nleur, du commerce, si OD ne portait pas à la lumière ce domaine des richesses qui est. le lieu de leur simultanéité. Sans doute l'nnlllyse des richesses ne l'est pas conatituée selon les mêmes détours, ni sur le même rythme que la gram­maire générale ou l'histoire naturelle. C'est que la réflexion sur la monnaie, Je commerce et. les éehaDges est. liée à uue pratique et à des institutions. Mais lion peut oppoler la pra­tique à la spéculation lIUre, l'une et. l'autre, de toute façon, reposent sur un seul et m~me savoir fondamental. Une réforme de la monnaie, un ll~age bancaire, uno pratique coIDIDvciale peuvent. bien se rationaliser, se développer, 88 maint.enir ou disparaltre 8elon des fonnes propres; ils sont toujours fond. aur un certain lavoir: savoir obscur qui ne 88 manifeste pas p?ur lui-même en un diaCOur9, mais dont les nécesBÏtéIJ Bont. Identiquement les mêmes que pour les théories abstraites ou le. spéculations 8ans rapport. apparent il la réalité. Dans une cult.ure et à un nloment. dOlUlé, il D'y a jamais qu'une ~piIJ.. tAmè, qui définit. les oondiLioDl de possibilité de tout savoir. Que .ce sl!it. celui qui 18 IWIJÙCeite en une théorie ou celui qui est sllencleusement. investi dans une pratique. La réforme moné­~ prescrite par les J!:tala généraux de 1575, les mesur811 !mi ercantilistes ou. l'expérience de Law et lia liquidation ont même aocle archéologique que les thllDries de Davanzatti, .6 Bouteroue, de Petty ou de Cantillon. Et ce sout ces néees­BItés fondamontalos du savoir qu'il Iau.t. faire parler.
  • 175.
    180 Il. K01UIAIBaT .RIX Au XVIe siècle, )a pena6e 6collomique est limitlle, ou peu .'en faut, au problème des prix ~t à celui de la substance monbtaira. La questioll des prix. concerne le C81"actbre abtiolu ou relatif de l'enchérusement des denrées et l'eRet qu'ont pu avoir lIur lei prix les dêvaluations successives ou l'aillux des m6taux américains. Le problème de la substance moné­taire, c'est celui de ]a nature de l'étaloo, du rapport de prix entre les différents métaux utilisés, de la distorsion entre le poids des monnaies et leurs valeurs noulioales. Mais ces dellX 16ries de Ï'foblèmes étaiellt liées puisque 10 métal n'apparoia­.. it. comme 8lgna, et comme signe lD6surllnt. des ricbcsl!eS, qu'autant qu'il êtait.lui·même unc richesse. S'il pouvait signi­fier, c'est qu'U était une marque réelle. Et tout comme les mols avaient la même réalité que ce qu'ils diwent, tout comme les marques des êtres vivants étaient mscriLll1I BUl' leur corps • la manière de morques villibles et positives, de même le. lignes qui indiquaient 1118 richesses et les mesuraient devaient en porter eux-mêmes la marque réelle. Pour pouvoir dire le prix, fi fl1l1ait qu'ils soient précieux. Il fallait qu'ils fWllent rares, utiles, dél>irables. Et il fallait aussi que toutes ces qua­lités fussent s'ables pour quo III marque qu'ils imposaient {dt uue véritable signature, univcn!ellement lisible. De III cette corrélation entr., le problème des prix et la nature de la monnaie, qui constitue l'objet privilégié de toute réflexion Bur les richesses depuis CopernIc jusqu'Il BodiD et. Da'f8nzatti. Dans la réalit6 matérielle de la monnaie se foudent leS deu; fonctions de mesure commune entre les marc:hanwseB et de substitut. daosle mécunisme d'échange. Unomesure est stable, reconnue par tOU9 et valable en tous lieux, si eUe a pour êta­Ion une réalité assignable qu'on puisse comparer à. la divel'" .it6 des choses qu'on veut mesurer : ainsi, dit Copernic, la toise et le boisseau dunt la longueur et le volume matériels servent d'unité 1. Par cOWlêquent. la monnaie ne mesure 1'I'8i­ment quo si BOU unit6 est une réalité qui existe r6ellemeot et à laquelle ou peut rHérer n'ùuporle quelle marchundUïe. En ce sens le XYle lIiècle revient sur la théorie admise au moins 1. Copernic, Dlno"" •• ur la trappe du monnalft (ln J.-Y. Le Braucbu, kit. nPlublu 'UI'I/I IfIDMGf .. Parle, 11134, l, p. 16J.
  • 176.
    181 pendant unepartie du 1Ioyen Age et qui laissait au prince on encore au comentement populaire le droit de fixer le valor impositUl de la monnaie, d'en modifier le taux, de démonA.­tiller une catégorio de pièces ou tout mbtal qu'on voudra. n faut quo la valeur de la monnaie soit. réglée par la muse métal­lique qu'elle. contient.; c'est-~-dire T"o~e rovienne la c~ qu'!llIe 6lHit RutrerOI~1 lorsque les prmces n aVaient pas encorelDlpnmé leur elligie ni leur sceau sur des fragmenta métalli'tues; la ce moment-là. c ni le cuivre, ni l'or, ni l'argent n'étalent mon­nayés, mailJ se.ulem81~t estimé.- d:après leur poids 1»; ~n ne faisait pus valOIr des Blgnes arbItraires pourdcs ma~uesreeUea; la monnllio était une juste mesure puisqu'elle ne siguifiait rien d'autre que son pouvoir d'étalonner les richesses la partir d. ,a propro réalité matérieUo do richesse. C'est sur ce fond épistémologique que les reformes ont 6U. opértes au xv .. siècle et que les débats on~ pris leurs ~e.n. sions propres. On cherche la ramener les signes mqnétau'es il leur cxactitude de mesure: il faut que les valeurs Dominales portécs sur les pièces soient conformes à la quantit6 de mêtal qu'on n choisi pour étalon et qui a'y trouve incorporérla mon­naie n10rs ne aignifiera rien de plus que sa valeur mesurante. Dans cc sens, l'auleur anonyme du Com~ndÛJIU demande que c toute la monnaie actuellement courante ne le soit plus à pal'­tir d'une certaine date J, car les 1 surhaussements J de la valeur Dominn le en ont altér6 depuis longtemps 108 {onctions de mesure; il faudra que les pièces déjà monnayées ne soient plua accep­tées que 1 d'oprès l'estimation du métal contenu Ij quant il la nouvelle monnaie, eUe aura pour valeur nominale lion propre poids: «à partir de ce moment seront seules courantes l'an­cienne et III nouvelle monnaie, d'apre. une même "aJour, un m~m8 poids, uno même dénomination, et ainsi la monnaie Beru-t-clle rétablie li son ancien taux et à son ancienne bonté 1 J. On ~Il sait pas si le texte du CompendiolU, qui n'Il pus été puhli6 aVllnt 1581, mais qui a certainement existé et circul6 en ~~anuscrit un~ trentaine d'années auparaYant, a inapiré la }lQlitl.que monétaIre SOU8 le règne d'f;lisabetb. Une chose est Ct;rlalne,. c'est qu'après URe série de «surhaussementll. (de deval.uatlOns) entre 1544 et 1559, la proclamation de mars '1561 « abwS88 J la valctII" nominale des monnaies et la ramène à la rua~titê de mêtal qu'elles contiennent. De même en France, es 1 tatll génêraux de i575 demandent. et obtiUWlent la BUp- B~/·hDOnYllle •. Compmdlruz (lQ ",-rl II:mmtll de 9I'elgII., plain'" (In J.-Y. L. ... Cl u, op. er/., Il, p. 117). .. d., Ibid. p. 155.
  • 177.
    182 Les mot.3et lM chose. preuion des unités de compte (qui introduisaient UIle troisième définition de )a monnaie, purement arithmétique et a'ajoutant li. la définition du poids et à. celle de ]a valeur IlolIlÎlutle : cu rapport aupp]émentnire cacbait aux yeux de ceux qui en élaient mal instruits le sens dcs manipulations sur la mOMaie); l'édit. de septembre 1571 établit l'écu d'or à, ]a fois comIllU piècft réelle et. comme unité de compte, décrète la subordination à l'or de toUIlles autres métaux-do l'argent cn particulief,qui garde valeur libératoire mais perd son immutabilité de drOit Ainsi Jes mOllDaies se tl'Ouvent. réétalonnées li. Pllrtir de leur poids métallique. Le signe qu'ellel portent --le Mlor impo- 4ittul- n'cst que la marque exacte et trunsparente de]a mesure qu'eUes constituent. Mais en mÔme temps que ce retour est exÏL,ré, parfois accom­pli, un certain nombre de phénomènes lont mis au jour qui lont propres li. la monnaie-aigne et compromettent peut-être détinitivement son rôle de mesure. D'abord le fait qu'une mon.­naie circule d'autant. plua vite qu'elle est. moins Lonne, tandis que leB pièces li. :haute teneur de métal se trouvent cachées et ne figurent pas. dans le commerce: c'est la loi dite de Grea­ham 1, que Copernic 1 et l'auteur du Compendi.ous 1 connais­Baient déjà. Ensuite, et Burtout, le -.. apport entre 1118 faib! moné­taires et le mouvement des prix: c'est par là que la monnaie est apparue comme une marohandise parmi les autres - non pu étalon absolu de toutes les équivalences, mais denrée dont la capacité d'échange, et par cOlllJéquent la valeur de substi­tut dans les éohanges se-modifient. selon sa fréquence et. sa rareté : la monnaie eUe aussi a SOn prix. Malestroit' avait fait remarquer que malgrA l'apparence, il n'y avait pas eu augmentation des prix au cours du XVIe siècle : puisque les marchandises BOnt. toujours ce qu'eUos Bont, et que la monnuie, en 8a n.ature propre, est un étalon constant., le renchérissement des demées ne peut être da qu'à. l'augmentation des vaJeurs Dominales portées par uae m&me masse mét.allique : mais, pOUl' une meme quant.ité de blé, on donne toujOUl'6 un même poids d'or et.d'argent. Si bien que. rien n'est enchbri. : comme l'écu d'or Talait en monnaie de compte virigt Bol8 tournois 80UB Philippe VI et ~u'il en vaut maintenant cinquante, il est. bien nécelliaire qu une aune de velours qui coQ.tait. jadis quatre lines en vaille dix aujourd'hui. c L'enchérÏ5aement de 1. GrnbaM, Ar/i, de SÏ1' Th. Grur."rn (in J.-Y. Le Branchu, op. ciro, L Il, p.7 et. 11). 2. Copem1o, DI,cou,. 'lU' ltI frtIpPi d. 111l1IIIIlIi., Ioc. cil., l, p. 12- 3. Cornpendie,., tllC. cjl_, II, p_ Ui6. 4. Mlleitroit., Le pfll'fMlotl:ll ,ur le Id ddI_IIIIGI. (Pull, Iri6S).
  • 178.
    Échanser t83 touteschoses ne vient pas de plus bailler, mais de moins rece­voir en quantité d'or et d'argent fin que l'on avait accou­tumé. li ~["Ü; à partir de cette identification du rôle de]a mon­nnie à ]a m8!llIe de métal qu'elle fait circuler, on conçoit bien qu'die ut soumise aux mêmes variutions que toutes les autres mllrchandi~es. Et si Malestroit admettait implicitement que la quantité et la valeur marchande des métaux restaient stabl6s, Bodin, bicn peu d'années plus tard 1, constate une augmen­tation de la masse métallique importée du Nouveau Monde, et par conséquent un enchérÏ8sement réel des marchandises, puisque Jes prinoos, posséùant ou recevant des particuliers dos lingots en plus grande quantité, ont frappé des pi~ce.s plus nombreuses et de meilleur aloi; pour une même marchandise, on ùonne donc une quantité de métal plus imp<lrtallte. La montée des prix a dono une 1 cause principale, et pre.!lque la seule que per!Onne jUilQu'ici n'a touchée. : c'est .1'a!Jondaoce d'or et d'argent ., 1 l'abondllnce de ce qui donne estimation et prix aux choses •. L'étalon des équivalences est pris lui-même dans le système des échanges, et le pouyoir d'achat de la monnaie ne siJ:Jnifie que la ~aJeur marchande du métal. La ml.rque qui wlitingue la monnaie, la détermine, la rend certRine et acceptable pour tous est donc réversible, et on peut la lire dans les deux saIllI : el1'!J renvoie à une quantitè de métal qui est mesure collstante (ç'est ainsi que la ùéchilrre Malestroit); mais elle renvoie IlUllsi à. ces marchandises yariables en quantité et en prix qui sont les métaux (c'est la lecture de Bodin). On a là uoe disposition analogue à celle qui caractérise le régime général des SIgnes au XYIe siècle; les signes, on s'en souvient, étaient constitués par des ressemblances qui à leur tour, pour être reconnues, nécessi­taient des si!:,rncs. Ici, le signe monétaire ne peut définir sa valeur d'échange, ne peut se fonder comme marque que sur Une masse métallique qui à son tour définit la yaleur dans l'ordre des autres marchandises. Si on admet que l'échange. dans le système des besoins, correspond à la similitude dans ~Iui des connaissances, on voit qu'une seule et même configura­tIOn de l'épistémè a contrôlé pendant la Renaissance le savoir Ide la na~, et la ré1lexion ou les pratiques qui concernaient 8 monnaIe. ~t .de même que le rapport du microcosme au macrocosme êt81t Indispensable pour arrêter l'oscillation indéfinie de la !'eS­semh! ance et du Bigne, de la même façon il a fallu poser un certain rapport entre métal et marchandise qui, à la limite, 1. BlJdin, La Iltpome QUI: paradoeu cû M. cû Malulrvit (1568).
  • 179.
    permeLtait do fixer]a valeur marchande totale dos métaux. précieux et]lU' suile d'étalonoer d'une CBljOn certaine et défi. DÏtive le prIX de toutes les denrées. Ce rapport, o'est celui qui • été établi par la Providence lorsqu'elle a cnConcê dons la terre JOli mines d'or et d'argent, et qu'elle les Cait croître lentement, comme sur la terro pUullllent IC8 plantes et se multiplient les animaux. Entre toutes les cboses dont l'homme peut avoir hellom ou déSir, et le! veilles scintillantes, cachées, où croissent obscurément les métaux, il :t a une correspondance abaolue. 1 La nature, dit Dovanzutti, a lait bonue8 touta les choses terrctltrellj la somme de celle8-ci en vertu de l'accord conclu par les hommes vaut tout l'or qui se tranille; tous les bommell désireut donc tout pour acquérIr toutes les choses •.• Pour Cons­tater chaque jour la règle et proportions mathématiques que ICB abOlIes ont. entre elles et avec l'or, il faudrait, du baut du ciel ou de quelque observatoire très élevé, pouvoir contempler les choses qui exillteut. et. qui se font sur terre ou bien plut.ôt le1.U'S images reproduites et réfléchies dans le ciel comme dans un fidèle mirui ... Nous abandonoerions alon tOU8 nOll cul culs et nous dirioJlll : il y a sur la tene tant d'or, tant do chotle5, taut d'hommes, tunt de besoins; dans la me!lure où c:baque chose satisfait des belKlins, !la valeur sera de tant de choses ou de tant d'or 1. J Ce calcul céleste et exhaustif, nul aut1'8 fJU8 Dieu ne peut le faire: il correspond l cet aut.re calcul qUl met en rapport chaque 61ément du microcosme et un ~Iément du macrocosme - à cette seul., différence près que celui-ci joint le t.errestre au céleste, et. va des cboses, de. animaux ou d., l'Lomme iwqu'aux étoiles; 1l10l'S que l'autre joint la terre il S88 cavernes et li. ses mines; il fHit correspondre les choses qui Baissent entre les mains des hommes et lei trésors enFouis depuis la création du monde. Les ma~es de la similitude, parce qu'elles guident la connaissance, 8 adreuent il la perFec· tion du ciel; les signel de l'échange, parce qu'ils aatisfont le désir, s'appuient sur le scintillement noir, dangereux et maudit du m6tal. Scintillement équivoque, car il re:produit au (ond de la terre celui qui chante li. l'extrémité de la DUlt: il:t réside comme une promesH iuversée du bonheur, et parce que le métal res­semble amt astres, le savoir de tous ces périlleux: trésors est en même temps le savoir du monde. Et la réflexion Bur les richesses bascule aiOlli dam la grande spéculation sur le cosmos, tout comme • l'inverse la profonde eono.issanee de l'ordre du monde doit conduire au .ecret des métaux et • la pOlille!sioD 1. DlIVantllLU. L'Son ,ur lu IJIIJRIIU1. (III J.-Y. Le Branchu, .p. ~il .. Po 230-231).
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    t85 des richesses.On voit quel rileau lerré de nécessités lie au XYle siècle les éléments dlol .avoir : comment la cosmologie des .. uCI double et londe finalement la réfiexion lur le. prix et la m~nnaie, comment eUe autorise aussi une .p~culat.ion t;éorique et pratique sur les métaux. OODWlellt eUe lait commumquer lei romcs..qes du désir et ceDes de la colUlllÏ»sance. do la mêm~ ~lImière que Be répondellt et le rapprochent pu de lecritel alfinités le. métaux et. 1. astres. Aux confU18 du laToir. Il où il se fait tout. puissant et qu&ai divin, trou grandes fonctiona le rejoignent - ceUoe du BIJBu"",. du PhilolOpho. et du MiIld­lico,. Mais tout. comme ce savoir n'., donn6 que par fragmu ... et dans l'éclair attent.if de la oef'ÏniMio, d. même, f.0ur 1 .. rap­portl sin(,ruliers et. partiels des choses et du méta. du désir et des prix, la cOWlllÏIIsance divine, ou celle qu'on pourrait. acquérir c de quelCJue observatoire êlev6» n'est pas donn~e h l'~ooune. Sauf par mstants et comme pSf chance aux Cllpntl qw lavent guetter: o'cst-l-dire aux marchands. Ce ~e les J.w',., étaient au jeu ind6fiDi des ressemblances et des SJgnes, les m41'chantù le sont au jeu, toujours ouv.ert lui aussi, des éohanges et d. lJIflnnllics. 1 D'ici-bal nous découvrons li. peine le peu de chOl!eII qui nous entourent et nous leur donnons un prix selon que nous les voyous plus ou moins demandées en chaque lieu et en chaque temps. Les marchands en. sont promptement et fort bien aver1.Îll, et C'lst pourquoi ib connaissent admirablemeDt le prix des oholln 1. » III. LB •• XC4NTII.I ••• Pour que le domaine des richesses se constitue comme objet de rélloxion dans la penl~e classique, il a Callu que se dénoue la confil,'Ur8tion établie au xv .. sièclfl. Chez les 1 économistes» de )a Ren~issance, et jusqu~à Davanzatti lui-même, l'aptitude de la m~ruuu., à mesurer les marchandises et son écbangeabilitê J'epo- 881.e~t sur sa valeur intrinsèque : OD savait bien que les métaux ~':Ccle~ avaient peu d'utilité en dehors du monnsyR17e; mai. -, J)S &vlllent été choisis comme étalons, li 'ils étaient utili~6s dana 1 échange, li pal' ,conséquent ils atteignaient un prix êlevé, c'est pa~ que dans 1 ordre naturel, et en. eux-mêmes, ils avaient un priX ahllolu, fllndamenta.I, plus élevé que tout autre, auquel on 1. DaY.oulU, ~ 'ur 'U mennaiu. p. 231.
  • 181.
    i86 Lu mot.., lu choau pouvait: référer la valeur de cbaque marcbandise 1. Le ben .. mêtal était, de soi, marque de ]a richesse; Bon éclat enfoui indi­quait oSIez qu'il était à la. fois prMence cachée et visible siçna­ture de toutes les richesses du monde. C'lIst pour cette r11lson qu'il Rvait un pri:&; pour cette raison aU!I9i qu'illllMI,rait tous les prix; pour cette raÎllon enGn qu'on pouvllit l' tichang/jr contre tout co qui avait. un prix. il était le précülUJ par excellence. Au xvIIe si~clo, on attribue toujours ces trois propriétés à la monnaie, maia on los fait reposer toutes trois, lion plus sur 1& première (avoir du prix), mais sur la dernière .(5e substituer à ce qui a du prix). Alors que la Renaissance Condait les deux fonctions du m~tal mounayé (mesure et suhstitut) sur le redou­blement de !Ion auacl.ère intrinsèque (le fait. qu'il était précieux), le XTl1e siècle fait basouler l'aoalysc; c'est]a (onction d'échAnge qui Bert de fondement aux deux autres caractères {l'aptitude à mesurer et la capftcitê de recevoir un prix apparaiasant alortl comme des qualité8 dérivant de celte (unction). Ce renversement, il est l'oeuvre d'un eosemblo de réOexioDB et de ,Pratiquel qui se distribuent tout au long du XYUe siècle (depuIS Scipion de Grammont jusqu'à Nicolas Barbon) et qu'oo groupe BOUS le terme un peu approximatü de «mercantili.'!me 1. HAtivement, on a coutume de le caract6rÏA8r par un Il monéta­risme 1 àbsolu, c'est-à-dire par une confusion systématique (ou obstin~e) dos riches80s et des espèces monétaires. En lait, co Jl'est pas une identité, plus ou moins confuse, que le c morcan­tilisme li instaure entre les unes et les autres, mais une arLicwa­tion réfléchie qui fllit de la mQnnaÏe l"instrument de rel,r(:senta­tion et d'analYse des richesses, et fait, en retour, des richesses 10 contenu reJll'êsenté par la monnaie. Tout comme la vieille configuration circulaire des similitudes et des marques !J'était dénouée pour se déployer selon les deux nappes corrélatives de la représentation et de~ signes, de même le cercle du 1( précieux li se déCait à l'époque du mercantilisme,les richesses se dêpIoient comme objets des hesoins et des désirs; elles se divi!lent. et 18 substituent les unes aux autres par le jeu des espèces mQD,­nayées qui les signifient; et les rapports réciproques de Ja monnaie et de la richesse s'établissent sous la forme de la Cll'" culation et des échanges. Si on a pu croire que le mercantilisme confondait richesse et monnaie, c'e!t sans doute parce que la monnaie ft pour lui le pouvoir de représenter toute riches!IC pos~ aible, parce qu'elle en ellt l'ÏQstrument universel d'analyse et de 1. Cf. cncore au·début du XTII' .illcle celte proJloeiLion d·Anl.oinc de La Pir.rre : • La valeur eS!lCntlclle dK espèces deR IQ(lnnHies d'or et d'lIrg~~~ ~t fondée Bur lu matière précieuB8 qu'eUIlI cODUt:wllnL. IDe la nloeurli .. II ,MmtRr) (5. J. JI. d.).
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    &1uJngtlr t57 rerésentat.ion, porce q:u'elle couvre sanl risidu rensembl~ d~ JO~ domaine. Toute nchesse est monnayable; et c'est 81nlll 'elle ent.re en circulation. C'était de la même façon que tout itre naturel étoit caracUris{Jble, et qu'jl pouvait entror daDa une ttJ:dlwmiej quo tout individu était nommabk et qu'il pouvait entrer dans un langag, articulé; que toute représentation était aignifWbla et qu'ollo pouvait entrer, pour êtl'e connue, dans un .y~tbno tl'identith " dB diffirencu. Mais ceci demande la être examiné de plus pl'ès. Pamü toutes les choses qui existent daDa le monde, quelles sont celles que le mercantilisme va pouvoir appeler" richesses I? Toutes celles qui, étant représentables, BOnt de plui objets de désir. C'est-la-dire encore ceUes qui sont marquées par "la nécessité, ou l'utilité, ou le pluisir ou la rareté 1 ;,. Or, peut-on dire que les métaux CJ.ui servent li. fabriquer dos pièces de mOlUlaie (il ne s'agit pas Ici du billon qui ne sert que d'appoint dans certaines contl'ées. mais de celles qui sont utilisées dans le commerce extérieur) fas98nt partie des ricbesge9? D'utilité, l'or et l'argent n'en ont que très peu - « autant qu'on poUl'l'8it s'en servir pour l'usage de la maison Ij et ils ont beau être rares, leur abondance excède encore ce qui est requis pour ccs utilisations. Si on les recherche, si les hommes trouvent qu'ils leur font toujOUl'll défaut, .'iIa creusent des mines et s'ils se font la guel'l'8 pour s'eu emparer, c'eet que la fabrication des monnaies d'or et d'argent leur ont donné une utilité et une rareté que ces métaux ne détiennent pus par eux-mêmes. "La mOlUlaie n'emprunte point sa valeur de la matière dont eUe est composée, mais bien de la fOrlDe qui est l'image ou la marque du Prince 1 •• C'est parce que l'or est lDonn~ie qu'il est précieux. Non pas l'inverse. Du ooup Jo raJ;l­port III étroitement fixé au XVIe siècle est retourné: ]a monnaie (et jusqu'au métal dont. elle est faite) reçoit 158 valeur de SQ pure fonction do signe. Ce qui entraîne deux conséquenc6tl. D'abo~ c,~ n'es~ plus du métal que viendra la valeur desch08es. Celle-cI s etablit par elle-même, SanI! référence à la monnaie, d'après des critères d'utilité, de plaisir ou de rareté; c'est par 1'8PPOrL les unes aux autres que les choses prelUlent de la valeurj le métal permfttra seulement de représenter cette valeur, c0m"me un nom représente une ima~e ou une idée, mais Ile la constitue pas: « L'or n'est CfUe le Bigne et l'instrument u8l!el p,?ur mettre en pratique la valeu!' des choses; mais la Traie es~lIUatlon d'jcelle tire sa source du jugement humain et de "a~g· t~~IP(II~ .de Grammont., Le D.nier roI/fll, will; eul'ieua Ü rtll' el· d. 2. . n~s, 1(120), p. 48. Id., 161d •• p. 13-14.
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    188 cette facultéqu'on Domme estimative 1 •• Les riobe~ses !lOut lea richesses parce que noua les estimona, tout comme nos idee. IODt ce qu'elles sODt parce que DOUS noua les repr6sentons. Le. aigDes monétaires ou vuhaux s'y ajoutent de surcroît. Mais poul'fJUoi l'or et l'argent, qui eD eux-mêmes ne sont qa'à peine des richesses ont·ils reçu ou pris ce pouvoir !ligrü• fiaDt? On pourrait bien, sans doute, utiliser une autre marchan. diae à cet effet« pour si vile et abjecte qu'elle loit ·1. Le cuivre qui, dllJl& heaucoup de nations reste à l'état de matière bon marché, De devient précieux cllez certaines que dans la mesure où on le vaus(orme en monnaie i. Mais d'une façon gtnél"'dle on se 8ert de l'or et de l'argent parce qu'ils recèlenL en eux. mêmes une 1 perfection propre •• Pcrfection qui n'est pas de l'ordre du prix; mais relève de leur capocit6 indéfinie de repr6- aentation. Ils 80nt durs, impérissables, inaltérabl68; ils peuvent se diviser en parceUes minuscules; ils peuvent l'Ilssernbler un grand poids 1I0U8 un volume faible; ils peuvent Ôtl'C facilement transportés; ils sont faciles à percer. Tout ceci fait de l'or et. de l'argent 'un instrument privilégié pour représenter toutes les autres richesses et eD {aire par analyse une comparai8on rigou. reuse. Ainsi se trouve d6fini le rapport de la monnaie aux richesses. Rapport arbitraire puisque ce n'en pas la valeur intrinsèque du mêtal qui donne le prix aux cho!lcs; tout objet même sans prix peut servir de monnaiei mais il faut encore qu'il ait dei quahtés propres de repréllentation et des capacit61 d'analyse qui pennettent d'établir entre lei richesses des rap­ports d'égalité et de différence. Il apparalt alors que l'utili· sation de.l'or et de l'argent est justement fondée. Comme le dit Bouteroue. la monnaie, lo'est une portion de matière à. laqueUe l'autorité publique a donné un poids et une valeur certaine pour servir de prix et êgaler dans le commerce l'in6- galit.6 de toutes choles« 1. Le c mercantilisme 1 a à la fois lihér6 la monnaie du postulat de la valeur propre du métal - • folie de ceux pour qui l'argent est une marchandise COJDJDB une. autre 6 , _ et établi entre eUe et la riCIU:1I66 un rapport rigoureux de representation et d'analyse. c Ce qu'on regarde J. SciJlion de Grammont, Le INnl", l'filial.""", eurleuz de rOI' cl de tar­gen' (Paris. 1620), p. 4~7. ~. Id., 'l/Cd., p. 14. 3. &.hroerlf'r. Fa,.,UirJlc Sthafz un411cnlkllmmer, P. J Il. Montanarl, Ddll ",onela, p. 35 • .c. BUUleroUB, Il"r.crdlea t:wiDIHI d. IfIOnnaf. de Frunce (Paris, 1666). p.8. fi • .JOBU& b Gee. CtltUltUl'at/olII ,ur le comm,/U (trad. 1749), p. 13.
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    ÉehnngtT 189 dODlIlomOnDaie, dit !Jarbon, ~e n'es~ pas, tel1e~eDt ]a ~antité d'argent qu'elle contient, malS le fait qu elle 81t cours •• On est d'ordinaire injuste, et deux lois, avec ce qu'il est convenu d'appeler ]e c mer~tiltsme:l : soit ~u'f!n dénonce eo )li ce qu'il n'a cess6 do critiquer (la valeur Jntrtn.'1èque du métal comme principe de richeRse), Boit qu'on découvre en lui UDe série d'jmmédiate.'1 con~radictj~ns : n'a-t-il ,I!8S défini la monnaie dans sa J1ure fonction de sIgne, alors qu Il en deman­dait l'accumulation comme d'une marchandise? n'a-t-il pns reconnu l'importance dr.s fluctuations quantitatives du numé­raire et méconnu leur action sur le!! priX? n'a-toi] J'la!! été pro-tectl. O' nru-ste, tout en 1o nd ant sur l" cc hange le m'p. cam. sme d'a e-croi~! lcmcnt des richesses? En lait ces contradictions ou ces Msitations n'existent que si on pose au mercantilisme un dilemme qui ne pouvait pas avoir de sens pour lui : celui de la monnnie mnrchandise ou signe. Pour la pensée classique en train de S8 constituer, la monnaie, c'est ce qui permet de repré­IIcntn' ]es richesses. Sans de tels signes, les richessesresteraient immobiles, inutiles et CODlDle silencieuses; l'or .,t l'argent sont en ce sens créateurs de tout ce que!'holDJDe peut convoiter. Mais pour pouvoir jouer ce rôle de représentation, 11 faut que la monnaie prêsente des propriétés (physiques et non pRS écono­miques) q1li ]0 rendent adéquate à sa tàche, et partant pre­deuse. C'est à titre de signe universel qu'eUe devient marchan­dise rare et inéwtlement répaJ'tie: 1 Le cours et valeur imposés à toute monnaie est la 'Vl'IIie honté intrinsèque d'icelle 1. It Tout comme dans l'ordre des représentations, les signes qui lc8 rem­placent et les analysent doivent être eux aussi des représenta­tions, ln monnaie ne peut signifier les richesses sans être eUe­même une richesse. Mais elle devient richeslle parce qu'eUe est signe; alors qu'une représentation doit être d'ahord representM peur ensuite devenir signe. De Ill, les apparentes contradictions entre les Jlrineipes de l'accumulation et les règles de la circulation. En un moment donné du temps,]e nonihre d'espèces qui existent est détenniné; Colbert penslÛt même, malgré l'exploitation des mines, malgré ]e métal américain, que c la quantité d'argent qui roule en Europe est constante li. Or c'est de cet argent qu'on a hesoin pour représenter les ricllesses, o'est-à·dire les attirer, les faire apparaître en les amenant de l'étranuer ou en les fabriquant sur plaCtl; c'est de lui aussi qu'on a hes~in pour les faire passer de 16~}N. BOl'bOn~ ~ diltourte concernlng colninglhentIDmonq lighrtr (Londres, "" , Dnn pRglDe. 'l. DumoullD (ci1~ pDr Gonnard, HU/oire du Ih~rfu monllafru, l, p. 1 iJl.
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    190 main enmain dans les processus d'échange. n Iaut donc impor­ter du métal en le prenant aux Stats voisins: • n n'y a ,UO le commerce seul et tout ce qui en dépend qui puissent prodwre ce grand ettet 1. ,. La législation doit dono veiller à delL'C chose., : 1 interdire le transfert du métal 111'étr8ngerou8oll utilisation à d'autl'llS fins que le monnayage, et fIxer des droits de douene tels qu'ils permettent 11 la halance commerciAle d'être toujours positive, favoriser l'importation des marchandises bru~es, pré­venir autent que possible cene d'objets fabriquês, exporter les produits manufacturé!! Jllutôt que les denrées elles-m~mes dont )a dillparition amène]a di!lctte et provoque]a montée des prix' •. Or, Je métal qui s'accumule n'est pas destiné Il s'engorger ni li dormir; on ne l'attire dans un état que pour qu'il y IOlt consommé par l'échange. Comme Je disait Becher, tout ce qui est dépenlle pour l'un des partenaires est rentrée pour l'autre 1; et Thomas Mun identifiait l'argent comptant avec ]a fortune c. C'est que l'argent ne devient richesse réelle que dans l'exacte mesure OIi il accomplit sa fonction représentative: quand il remplace les marchandises, quand il leur permet de 5e déplucer ou d'attendre, quand :il donne aux matières brutes l'occasiou do devenir consommables, quand il rétribue le travail. Il nt, a donc pas Il craindre que l'accumulation d'argent dans un ttat y fasBe monter les prix; et le principe établi par Bodiu que la ~ande chertt: du XTJfI sièole ôtait due Il l'atllux de l'or améncam n'est pas valable; s'il e~t vrai que la multiplication du numéraitoe fait d'abord monter les:prix,il stimule le commerce et les manufactures; la quantité de J'lchesses crolt et le nombre d'éléments entre lesquels se répartissent les eBp~ces se trou.n augmenté d'autant. La hausse des prix n'est pal' Il redouter: au contraire, maintenant que les objets précieux se 80nt mul­tipliés, maintenant que les bourgeois, comme dit Seipion de GramoJont, peuvent Jlorter« du satin ct du velours ., la valeur des choses, même les plus rares, n'a JIU que baisserparrllpport Il )a totalité des autres; de même chaque fragment de métal perd de sa valeur eu face des autres à mesure qu'augmente la masse des espèces en circulation 1. Les rapports entre richesse et monnaie s'établissent dOM daU8 la circulation et l'écbange, non plus dans la • préciosité 1 dll métal. Quand les biens peuvent circuler (et ceci grâce à la mou- 1. C}('mf'nt. L~llrf~t inllrurlinn. el mtmllir~" de Cdlbf.rl, Le VIT, p. 2.19. 2. Id., ibid., p. 2S-S. cr. lIu~si nOllU,foue, IItr:l'UC/IU euriculu, p. 10-11. 3. J. B...eher, Poli/i,clrer Di.lrun(1668) • •• Th. Mun, Engbmd TretJlUre bU ,~relf1n Irade (16641. cbap. Il. 'j. Scipion de Grammont, Le Denier N'liaI, p. 116-11l~.
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    191 ie) il.se mulLiplitlnt et. lei richesses augment.ent; quand les :plJ~es deviennent plui nombreuses, par l'eflet d'une bonne ïrculation et d'une balance favorable, on peut attirer de c ouvelles merchandiaes et multiplier les cultures et les fabriqueL il faut. donc dire avec Homeck que l'al' et l'argent. sont 1. lus pur de notre sang, la moelle de nos forces 1, • lea inatru­~ ent.81es plus indiapellBables de l'activit6 humaine et de notre "exist.euee 11. On retrouve ici la vieille mbtaphore d'une monnaie ui serait fi. la aooiêté ce quo le sang est au corps·. Mai. chez ~avallZlllti, les espèces n'avaient pas d'autre rôle que d'irri­guer les diverses parties de la nation. Maintenant que mOQlUlie­et richesse lont prises toutes deux Il l'intérieur de l'espace des échanges et. de la cireulation, le mercantilisme peut ajuster SOIL analyso lUI' le modèle récemment donné par Harvey. Selon Hobbes '. le circuit veineux de lAl monnaie, c'est celui des impÔts et des taxes qui prélèvent lUI' les marchandiaes trau­portées, achetées ou vendues, une certaine masse métallique; celle-ci ellt conduite jusqu'au coeur de l'Homme-Léviathan, - o'est-b.-dire jusqu'aux cotTres de l'ttat. C'est là que le métal l'eçoit. le • principe vital • : l'Jl:tat en elIet peut le foodre ou 1. remettre eu circulation. Seule en tOut cu, Ion autorité lui don­nera cours; et redistribué aux particuliel"ll (lOua forme de pen­lions, de traitements ou de rétribution pour dei fournitures achetées par l'~tat), il.timulera, danale second cirouit, main­tenant artériel, la échangllll, les fabrications et les cultures. La circulation devient ail18i une des catégories fondamentales de l'aualyso. Mail 10 traD8fert de ce modèle physiologique n'a été rendu posllible que par l'ouverture plua profonde d'un espace commun à la monnaie et aux signee, BUX richesses et aux repré­lenllitiollS. La métaphol'O, tellement assidue daue notre Occi­dent, de la cité et du corps, n'. pris, au xvnl siècle, sea pouvoira imaginaires que SUI' le fond de néce8Bités archéologiquel bien p1us radicales. A travers l'expél'icnce mercantiliste, le domaine des ricbess .. se constitue SUI' ]e même mode que celui des représentations_ On ~ vu que cellc8-ci avaient le pouvoir de se représenter k ~Drt.!r d'eUell-mêmes : d'oum CIL soi un espace où elles s'ana­yS,!" lent et de fOl'Dler avec leurs propres éléments des .uhstitute IJUl permettaiènt ilIa fois d'établir un syatème de eignes et un tableau des identités et des diJlérencea. De la même façon, 1. 1. Horneek, Ourerrricl& Qw fllla, INItia • miU (168&). p. 8 el 188. • 2. ,Cf, . DavallZ8UI, Lqpn .ur la mofIIUIic (cité par J.-Y. L. Srauchu, p. t ., t. Il, p. 230'. 3. Tb. Hobbea, l.flllialhan (M. 19CN. Camllddp" p. 1711-180.
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    192 richesses onLle pouvoir de s'r.changer; de s'analyser en PRrties qui Ilutoril!ent. des rapports d'égalité ou d'inégalité; de sesigni. tier les unes los autres par ces éléments do richoeses parfaitement comparables que sont les métaux précieux. Et tout comme le monde ent.ier de la repr~sentation Be couvre de repré5entfltiol1l au second deJ,rré qui les représentent, et ceci eD une chatne ininterrompuc, de même toutes les richesses du Dlonde sont en rapport les unes avec les autres, dans ]a mesure où elles font partie d'un sY!ltème d'échange. D'une représentation Il l'autre il n'y a pas d'acte autonome de signification, mais une 8impl~ et indéfinie possibilité d'échange. QueUes qu'en aient. été les déterminations et les conséquences éconOmiques, ]e mercanti. li5rue, si on l'interroge au niveau de l'lpÏ8ldmA, apparatt comme le lent, le long eJJort pour mettre la réflexion SUl" les prix et la monnaie dans]e droit fil de l'analyse des représentations. na fait surgir un domaine des 1 riohesses Il qui est eonnexe de CellÛ qui, vers la môme époque, s'cst ouvert devant l'hi5toire natu· relie, de celui également qui s'est déployé devant la grammaire gên6rale. Mais 8]Ol'S que duns ces deux derniers cas, la mutatiOQ s'ost faite brusquement (un certQin mode d'être du langage se drosse soudoin dans la Grammaire de Port-Royal, un certam mode d'être des individus naturels se manifeste presque d'un ooup avec Jonston et Tournefort), - en revanch~ le mode d'Otre de la monnaie et de la riehe$se, parce qu'il était Iii à toute une prtJ3:Ü, à tout un ensemble ilUltiLutiuDDel, avait un indice de viscosité historique beaucoup plus élevé. Les êtl8l naturels et le langage n'ont pas eu besoin de l'équivalent de ]a longue opération mercantiliste pour entrer dans le domaine de la représentation, se soumettre à ses loi8, recevoir d'elle S611 ligue. et ses principes d'ordre. IV. LB GAGB BT LB PRIX ta théorie classique de la monnaie et des prix s'est élaborée il travers des expériences llistoriques qU'OD connait bien. C'est d'abord la grande prise des sigues monétai~s qui a commencé assez tôt en Europe au xvn8 siècle; faut-!l en voir une premi6re prise de conscience, encore margt­nale et allusive, dans l'affirmation de Colbert. que la ma~S8 métallique est stable en Europe et que les apports américalDS
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    i93 auvent êtrenégligés? En tout cas, on Cait l'expéraence, il la ~n du siècle, que le métal monnayé ost. trop rare: régression du copUJlcrco, bai!se des prix, d!mc~It.é9 pour payer ~es dettes, les rente!! et. les impôts, dévalorisation de ln terre. D où la grande lI~rie des dévaluations qui ont lieu en France I,endant Je. quil17.c premières annéc~ ~u ~mfl siè~~e pou~ mullip~ier 1. numérnire; les onze·~ dlmmutlOn!!. (reevaluauons) qw sont échelonrti:cs du 1er dccembre 1713 nu 1er septembre 1715, et qui 80nt desl.Ïnées - mais c'est un échec - à remettre en cir­eulation 10 métal qui se cache; toute une suite de mesures qui diminuent. le taux des rentes et en réduisent le capital Dominai; l'appnrition des billets de monnaie en 1701, bieJLtôt rem­placés pnr des renLos d'.f;tat. Parmi bieD d'autres conséquences, l'expérience de Law a permis la réapparition des métaux, l'aug­mentation dcs prix. la réévaluation de la terre, la reprise du conlTncrce. Les édits de janvier et de mai 1726 instaurent, pour tout le XVIIIe sii.'Clc, Ulle monnaie métallique stable: ils ordonnent la Cabrication d'un louis d'or qui vaut, et vaudra jUlIqu'à la Révolution, vingt-quatre livrllS toumois. On 8 l'habitudo de voir dans ccs expériences, dans leur t".ontexte théoriquo, dans les disc(L'Isions Iluxquclles elles ont donné lieu, l'allmntcmcnt des partisans d'une monnaie-signe ,:ontre ceux d'Ilne monnaie-marchandise. D'un côté on IRet t,nw, bien enf,endu, avec Terrasson 1. Dutot l, MontesqUieu '. Je ctlllv!!lier de Juucourt t; en face, on J'flnge, outre Paris­Duvern'}", le cham~clicr d'Aguesseau " CondiUac, Destutt; entre les deux groUpl'.5, et comme sur une ligne mitoyenne. il faudrait mettre ~felon 7 et Graslin '. Certes, il serait iutéres­sant de foire le décompte exact des opinions et. de déterminer comment ellcs se sont distribuées dans les dilIérents lP'Oupes sociaux. :fais si on interroge le savoir qui les a, les unes et les uutre~. rendues possiLles eu même temps, on s'aperçoit que l'opposition est superficielle; et que li elle _t Déeeuaire, c'est à par!ir d'une disposition unique qui ménage seulement, eD un pomt déterminé, la [Durche d'un choix iowspeDBable. 1 1. Terrasson, Tl'fli. lerrrea .ur le "/JUl/oeII ,"g.Ume du plltlnca (Pari" ;20). -. 2. Dutot, mflrzion • • ur le CIlmmeI'U d lu flnancu (Paris, 1738). 3. ~~"ntp.lIfJuil'U, L'E.pril clu loi., Uv. XXll, cbap. ll. oC. !illr!Jr1"pldit, nrUcle • Monn:.ie •• 11 f1• i'1I.i .. Ouvemey, b'zamen du rlpc:don. poliliqua 'ur lu flnancu (La hye. 17.10). 1-6,., ~'~tS5tnu, CUllliduallcln. 'UI' la monnGl., 1718 (OEuuru, Paria, , ". Xl· ~. ~elo~, E,wf JHjliliquc .,.r le cammuoe (PUil, 1734) • • .... rallan. a"lIi ana/yl;V," 8111' lu rldla,u (Londret, 1787).
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    19' Le. motset lu ch o •• Cetle disposition unique, c'est celle qui définit la mon­naie comme un gage. D6fiDÏtion qu'on trouve chez Locke, et un peu avant lui ohez Vaughan 1; puis chez Melon - «l'or et l'argent sont, de 6ODvenl.ion générale, le gage, l'équiva­lent, ou )a commune mesure de tout ce qui lIert à l'usage dlll hommes 1 • -, ohez Dutot - c ICI richesses de confiAnce Ou d'opinion ne 80nt que représentatives, comme l'or, l'Argent, )e bronze, le cuivre 1 • -, chez ForLbonnais - «le point impor­tant. dans les richesses de convention conl'iiste • dans l'aRRu­rance où sont les propriétaires ùe l'argent. et. des denrées de les échanger quand ils le 'Voudront. •• sur le pied établi par l'usage' ». Dire que la mODDaie est. un gago, c'est. dire qu'elle n'est rien de plus qu'un jeton reçu de coDllentement commun - pure :fiCtiOD par coDSéquent; mais c'est dire aUBsi qu'elle vaut exac­tement ce contre quoi on J'a donnée, puisqu'fl SOIl tour elle pourra être échangée contre cette mllmequontiLé de marchandise ou Bon équivalent. La monnaie peut toujours ramener entre les mains de son pl'Opriêtaire ce qui vient d'être échangé 60ntre ollo, tout comme, dans la représentation, un s4,'118 doit pouvoir 1'8IDener ft. la peaaée ce qu'il rep1'ésente. La monnaie, c'est une solido mémoire, une représentation qui se dédouble, un échange dilféré. Comme le dit Le Trosne, le commerce qui 8e sert de la monnaie cat un perfectionnement dans la mesure même où il ost c un commerce imparfait 1 IJ un acte auquel manque, pendant un temps, celui qui le compense, une demi­opération qui promet et attend l'échange invene par lequel le gage se trouvera reconverti en son contenu effectif. Mai. comment le gage monétaire peut-il donner cette assu­rance? Comment peut-il échapper au dilemme du signe 80DS valeur ou de la marchandise analogue Il toute!! lils autres? C'est là que so situe pour l'analyse classique de ln monnaie le point d'hérésie, - le choix qui oppolle aux partisans de Law Bes adversaires. 011 peut concevoir, en effet, que l'opération qui gage la monnaie est. assurée par la 'Yaleur marchande de la mutière dont elle est. faite; ou au contraire par une autre mar­chandise, li cHe extérieure, mais qui lui serait liée pnr le COUllen­tement coUectif ou III volonté ùu prince. C'est cette seconde 1. VRu~.n, A dlKou"H of coin and cc/nage (Londrell, 1671)), p. 1. Locke, CUnllidmlliCl". DI flIC lOUJel'lng 01 int_k (Wor"", Lundrell, 1801, ... V, p. 21-231. 2. )teloR, B"al pollliquc .ut' k I:OIIImuct (in Doire, EcoRom"'" el fIM1J" cu,.. du XVlll" ,(<<le, p. 161). 3. Dulot, IUflt:lliOM 'ur la e~e d lu pnancu, iloid •• p. 905·90-;. 4. Vrroll.de Forlbonnli8, Ëlbntnll de CClmmtrt:t, L lI, p. 91. Cf. aueel li,clltrdlq ,1 ccn.idtl'fJ/ion. IUt' It~ ritllulU d' la FMrIC', Il, p. mm. li. 'Le TroIiDe, De flnftrft _ial (in Doire, Lu PlIg.iocrtll., P. 908t.
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    195 IUlion quechoisit Law, la cause de la rareté du métnI et des 10 l'Iluu'ons de S8 valeur marchande. Il pense qu'on peut 'aire Ol'JlC'C uler une monnaI'e de papi'er "qws eralt gagé e par l a pl'Oprl' é t é f~ncière : il ne s'ugit alor~ q~e d'ém~ttr~ 1 des billets hrP0thé. qués sur le~ terre:! et qUI dOlvent li étemdre par des paiements annut:ls .. , ccs billets circuleront comme de l'argent mGnnayé pour la v~leur qu'ils expriment 1 J. On sait que Law fut obligls de rtluonc~r il ceLLe technique dans son expérience française et qu'il lit llSsurer le gage de la monnaie pur une compagnie de comlllerce. L'échtlO de l'entreprise Il'a entamé en rien la théo· l'je de la monnaie-guge qui l'avait rendue pObibte mais· qui rendai. égalementpo:!swle toute réflexion.ur la monnaie, même oppOliée aux conceptions de Law. Et IOl.'lqu'unemonnaie métal· )j'lue 8lab10 lIora instaUJ'ée eu 1726, le gage Bera demandil à la 8ubstance même de l'espèce. Ce qui 8saure à la monnaie son échllllgeabilité, ce sera la valeur marchande du métal qui ,'y trouve présent; et Turgot critiquera Law d'avoir cru que c la monnaie n'est qu'une riches~e de signe dont le crédit est Condê sur la marque du prince. Cette marque n'est là que pour en certifier le poids. et le titre ... C'est dono comme morchlUldise que l'argent est non pas le signe, mais la commune mesure des autres marchandises ... L'or tire son prix de sa rareté, et bien loin que ce soit un ma] qu'il soit employé en même temps ct comme marchandise et comme mesure, ces deux emplois sou­tiennent son prixz •• Law, avec seS partisans, ne s'oppose pas li son siècle comme le géoial- ou imprudent - prêcurseur des monnaies fiduciair ..' S. Sur le même mode que ses adversaires, il définit )a monnaie comme gage. Mais il pense que le fonde­ment en sera mieux aS!luré (à la 'oi. plws abondant et plus stable) par une marchandise extérieure à l'espèce monétaire eU.e-même; ses advel"8l1ires, en revanche, pensent qu'il sera DIJeux assuré (plws certain et moins soWD.Ï& aux spéculations) par la 8ubs~ncu mél.allique qui con.st.itue la réalité mutérielle d~ lu monRale. Entre Law et ceux qui le critiquent, l'opposi. tion ne concerne que 18 distance du ~geant au gaaê. Dans UD cabans, ]a rnon~e, allégée en eUe-rnê~e de toute ~aleur mar­c de, mau ilsaurOO par une valeur qui lui est extl!rieure, est ce 1 par quoi;,on écbonae les marchandises 1. dans l'autre cas, la monnaie ayant en s~ un prix est il la Cois 'ce 1 par quoi. et ce 1 pour quoi • on échange les richCllses. Maia dans un cas ,1. Law, COlIIidirallon. IUJ' 1, nDmUalre (In DaIre, ~nomilfee el /ùlrm­CI~ du XV1JIOlllill:l" p. 61IJ). p, i4~~f,ï~' Suund~ ldlre li l'abbi de Ci~, 1'''9 (OEuv1'U, M. Schelle, t. l, 3. Law, Canaidb-aliom IUf le numll'a/re; p. 472 If.
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    196 Les mouet lM Ch03Cb comme dons l'autre, ]a monnaie permet de fixer le prix des ohoses grâce il un certain rapport de proportion avec Jes richesses et ~n certain pouvoir de les faire circukr. En tant. que gage, ]a monnaie désigne une certaine richcsse (actuelle ou non) : elle en établit le prix. Mais le rapPOrt. entre la monnaie et les marchandises, dOllc le système des prix, se trouve modifié dès que la ~uantité de monnaie ou ]a quantité de marchandises en un pornt du temps sont, elles aussi, altérées. Si la morwaie est. en petite quantité par rap­port aux biens. elle aura une grande valeur, et les prix: seront bas; si sa quantité augmente au point de devenir abon­dante en (ace des richesses, alors ulle aura peu de valeur et les prix: serout hauts. Le pouvoir de représentation et d'analyse de la monnaie varie avec la quantité d'espèces d'une part, et avec la quanlit.é de richesses do l'autre: il ne serait conlllant que si les deux: quantités étaient stables ou variaient ensembl., dans une même proportion. La «loi quantitative» n'a pns été «inventée 1 par Locke. Bodin et Davonzatti savaient bien au XVIO siècle déjà que l'ac­croissement des masses métalliques cn circulation faisait monttll' le prix des marchandises; mais ce mécanisme apparais­sait lié li une dévalorisation intrinsèque du métal. A la fin du XVIIe siècle, ce m~me mécanisme est défirù à partir de la (OIlC­tion représentative de la monnaie, « la quantité de la monnaie étant en proportion avec tout le commerce!J. Davantage de métol- et du coup cbaque marchandise existant au monde pourra disposer d'un peu plus d'élémenb représcntatÜli; davau­tage de marchandises et chaque unité métallique sera un peu plus fortement gagée. nsuffit de prendre une denrêe quelconque comme repère stable, et le phénomène de variation appurait en toute clarté: ft Si nous prenons, dit Locke, le blé pour DlCllure fixe, nous trouveruns que l'argent a essuré dUDs sa valeur les mêmes variations que les autres marchandises ... La l'Uisoll en est sensible. Depuis la découverte des Indes, il y a dix {ois plu~ d'argent dans le monde qu'il X en avait alol'8; il vaut aUSSl 9/10 de moins, c'est-à· dire qu il faut en donner 10 fois p~us qu'on en donnait il y Il 200 ans, pour acheter la même 'l.uanti.t~ de marchanditles 1. ,. La baisse de ]8 valeur du métal qw est le! invoquée ne concerne pas une certaine qualité précieuse qui lUI apparLiendrait en propre, mais son pouvoir général de représen· tation. 11 faut considérer les monnaies et les richesses COlDlue deux: masses jumelles qui se correspondent néce8soirem~nt : «'Comme ]e total de l'une est au total de l'autre, la partie de 1. Locke, Con,idtralion. 01 ICHLoering of inlerul., p. 73.
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    197 l' e!lera Il la partI•e d c l'a ut re• •• S'inl 'y aval' tqu' u ne mat'C h ail-d~ divisible comme l'or, la moitié de cette marchalldiserépoll­d~~ lia moitié du tGtal de l'autz;e cOté 1. 1 A suppo~er qu'il n'y Ilt qu'un bien au monde, tout 1 or de la terre serait III pour le :epre!lenter' et invc1'8cmcnt si les hlmunes ne disposaient l eux touS que d'~e pièce de mGnnaie, tou~s les ric~eSlies,quinaissent de la noture ou sortent .de leura ma~ns d~,·raJ.en.t 6 e~ p~rLager les subdivisions. A partir de cetLe 81tuatloo-lirmte, SI 1 argent se met Il amuer - les denrâcs restant. égales -. la valeur de chaque partie de l'espèce diminuera d'auLant 1; en revanche c si l'industrie, les arts et les sciences intrGduisent dans Je cerele des échanges de nouveaux. objet! ••. il faudra appliquer, • la Douvelle valeur de ces nouvelles productions, une portion d88 signee rcpl'éseotatüs des valeurs; cette portion Atant J'Irise Bur la mosse des signes diminuera S8 quantité relative et 8ugmen­tera d'alitant Sil valeur représentative pour faire race li. plus do valeurs, sa fonction étant de les représenter toutes, dans les proportions qui leur conviennent 1 1. 11 n'y a donc pal de jllste prix: rien dans une marchandise quelconque n'indique par quelque caractère intrinsèque la quantité de monnaie par quoi il faudrait la rét.ribuer. Le bon marché n'est ni plus ni moins exact que la cherlé. Pourtant il eXÙlte des règles de commodité, qui permettent de ber la quantité de monnaie par laqueUe il est souhaitable de représen­ter les richeges. A la limite chaque chose échangeable devrait avoir son équivalent - C Ba désignation» - en espèces; ce qui lerait sans inconvénient dans le cas où la monnaie utilisée serait de papier (on cn fabriquerait et on en détruirait, Bolon l'id60 d. Law, à mesure des besoins de l'échange); mais ce qllÎ I18raÏt gênant ou même impossible si la monnaie est métallique. Or, une lI~le et même unité monétaire acquiert en circulant le PO~VOLr de représenter plusieu1'8 chogel!; quand eUe change d. maLD, elle est tantÔt le paiement d'un objet Il l'entrepreneur, tantôt celui d'un salaire à l'ouvrier, celui d'1D1e denr6e au marchand, celui d'un prodllÎt au fermier, 011 encore celui de la rente all propriétaire. Une seule masse métallique peut au fil di ~emps et selDn les individui qui la reçoivent représenter S u.q1e.urs choses équivalentes (un objet, un travail, une mesure c hIe! unI) part de revenu), - comme un nom commun a 1. pOU~Olr do représenter plusieurs chosa, ou un caractère taxi­nor~ lIqUQ celui de représenter plusieurs individus, plusieurs espèces, plusieurs genres, etc. Mais alors que le caracLère ne ~: ~~n~p.sqQI.elJ •. L'J?,pI'Ir du tol8, Uv. XXIT, ch.p .• n. s n, 1~1I6111 unal!JlI'lUe .1'1' lu riclrasu, p. 64·56.
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    fUS LB. motaet lu choae8 couvre une généralité plull grande g:u'en devenant plus lIimple, la monnaie ne représente plus de richeaaes qu'en circulant plus -vite. L'extension du caractère se dé6nit par le nombre d'Ilspècea qu'il groupe (donc par l'espace qu'il occupe dllllS le tubleau)' la viLesse de circulation de la monnaie par le nombre de m8~ ent.re lellqueUe8 a patill" avant. de revenir à Ion point de d6w part (c'at pourquoi on çhoiait comme origine le paiement .. l'agriculture des produits de aa récolte, parce qu'ou a là. dea cycles annuels absolument çertaWs). Oll voit dono qu'à l'exten­. iou taxinomique du oaraotère dana l'espace simultané du tablellu correspond lu. vitesse du mouvement. monétaire pen­dant un temps défini. Cette vitesge a deux limites : une vitosse in6niment rapide qui semit celle d'un échange immédiat où la monnaie n'aurait )J8S de rèlle li. jouer, et une vitesse infiniment lente où chaque élément de richesse aurait son double monétaire. Entre ces deux extrêmes, il y a des vitesses variablcs, auxquelles correspondent les quantités de monnaiea qui les rendent possibles. Or, les cycles de la circulation sont commandés par l'annuité des récoltea : il est donc possible, Il partir de celles-ci et en tenant cornI' te du nombre d'individus qui peuple un :E:tat, de définir la quantité de monuaie nécessaire et .uJlisante pour qu'elle paue entrtl wuttlS lea maills et qu'elle y repre8eute au 1llOWa la Bubü.tance de ohaoUD. On comprend comment se BODt trouvées liéell, au xym8 siècle, les analyses de.lu. circulation à partir dea revenus agricoles, le problème du développement de la popula­tion, et le calcul do la quantité optima d'1l8pèce8 m01lD.ayées. Triple question qui se pose BOUS une for.1D8 normative: car le problème n'est pas de Bavoir par quols mécanismea l"argeut circule ou stagne, comment il S6 dépense ou 8'accumule (de telles questions ne sont possibles que dans une économie qui )Joserait les problèmes de )a production et du capital), mai, quelle est la quantité nécessaire de monnaie pour que dans un pays donné la circulation se faBse assez vite en passant par un auez grand nombre de mains. Alors les prix seront non p~' intrimièquement c justes., mais exactement ajustés: les diV'­. iODS de la mall'e monétaire analyseront les richesses selon UIle articula tion qui ne sera ci trop lâche ci trop serrée. Le c tableau 1 lera bien luit. CeUe vroporLion opLima ll'est pu la même si on envisage un pays Ïtiolé ou le jeu de son commerce extérieur. En s .. ppoBa.n~ un J!:t.ut qui soit cllpablu de viV1'8 sur lui-même, la quanbte de monnaie qu'il faut mettre en oirculuLioIl dépend de plu­aieurs variable8 : la quantité de marohandiseB .qui en:r~.daD~ le s)'stèmedcs échanges; 10 part de ces marchandises qUi n eLuu'
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    199 . d·o-ibuêe ni rétribuée par le système du troc doit être, à un ni 18own t quelconque da Bon parcoUl'll,. repruJBoel.b.e 8 plll' d a 1a lHomnllie. la quW1t.ité ùe métal l laquella ~eut. S6 subsûtuer la JllOicr ~~rit· enfin la rythme auquel dOivent .'ellautuor lea pilPcmeup :'il n'elt plia inditJérent, comme le fait rtmUll'quer t:~ltillon l, que lOI ouvrie~s lIoient payés h la. 8emni~e ou ~ la ·ouruée que lua fOntes 10lent versêes 8U terme de 1 année, ou llutbt ~omme c'es' la coutume, à la fin de chaquo trimestre. La vaieun de ces quaue variables ~tant définies poU!' un pays dODDé, on peut. définir hl quanti th optima. d'espèces mM.al1iq~ell. Pour faire un calcul de ce genre, Cantillon part de la productIon de III terre dont toutes les richolll68 lont issues directement ou inùil'eCtem'ent. Cetta production se divise en trois rentes entre les mainll du lermier : la rent.e payée au propriétaire; celle qui elt utilisée à l'entretien du fermier, ft celui des hommes et des chevaux; enfin 1 UIle troÏl!ième qui doit lui demeurer pour faire profiter Ion entreprise Il. Or, seule la premièN rente et uno moitié environ de la troisième doivent ltre versées en ellpèces; 1. autres peuvent !tre payées IiOUS la formo d'échanges directll. Eu. tenant compte du fait qu'une moitié da la population réside dlUl& leB villes et a de8 dépellB68 d'entretien plus élevées que les pay­sane, on voit que la masse monétaire en circulatioll devrait etre presque égale aux 2/3 da la production. Si du moins toua les paiements se faisaient une lois par anj mais en fait la lente foncière est acquittée chaqùe trimestre; il suffit dono d'una quantité d'espèces ëquinlent ~ i/6 de la production. De plus beaucoup de paiements se font l la journée ou li. la semaine; la quantité de monnaie requise eat donc de l'ordre de la neu­vimue partie de la production, - c'est-à-dire du if3 de la l'Ilnt.e dca propriétaires s. Mais ce calcul n'est exact qu'à ]a condition d'imaginer une nation isolée. Or, la plupart da l1&.ats entretiennent les uns avec les autre, un commerce où.lea seuls moyens de pai8lllent SOnt le troc, 10 métal estimé d'après Ion poids (et non pas lei bPèc~ avec leur valeur nominale) et éventuellement les dIets .1lIlC8lres. DaD8 ce cu, on peut calculer aUlili la quant.ité rela­tive d., .monnaie qu'il O!t souhaitable de mettre ou. cirew..tion : toutefol~ cet~ estimation no doit pu prendre pour référence 1. ProductIon foncière, mais un certain rapport dea salaires et p. 1';3~·lIlWJu, ~U(J/ 6ur IcA nalure du cllmmerçc 'R glnlra/ (WlUOll de 195'2). !I.l . IIdd ., f&./d• , P. ."." ". ..a, g• 1 Utu·e d'·'f'fb'ld. Pdly donnait III proportion analogue 12'- ( .. tnulomle pou. r undc). 10
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    200 LAs molset les choses de8 prix avec ceux qui sont pratiqués dans le!t pays étrangers En effet dans une contrée où les prix 80nt relativement pe~ élev~8 (à raison d'une faible qUllntité de mOlUlaie), l'argent étranger est attirl! pal' de largos possibilités d'achut : la quantité de métal s'accroit. L'~tat, comme 011 dit, devient II riche et puissant '; il peut entretenir unD DoUe et une armée, achever des conquêtes, s'enrichir encore. La quantité d'espècclS en cir­culation fait monter IU3 prix, tout en dOlUlant. aux particuliers la faculté d'acheter à l'étranger, là où les prix sont inférieurs. peu à peu le Iùétal disparaît, et l'€tat de nouveau s'appauvrit: Tel est le cycle que décrit Cantillon et qu'il formule en un prin­cipe général : «La. trop grande abondance d'orgent, qui fait tandis qu'elle dure la puissance des ~tatB, les rejette insensi: blement et naturellement dans l'indigence 1. » Il ne serait sans doute pas possible d'éviter ces oscillations, s'il n'existait. dans l'ordre des choses une tendance inverse qui aggrave sons cesse la mill~re des nations déjà pauvres et accroit au contraire la prospérité deli États riches. C'est que les mouve. ments de ln population se dirib'8Dt dans un sens opposé au numéraire. Celui-ci va des États prospères aux régions de has prix; les hommes, eux, sont attirés vers les salaires élevés, donc vers les pays qui disposent d'un numéraire abondant. Les pays pauvres Gnt donc tendance à 80 dépeupler; l'agriculture et l'industrie s'y détériorent at la misère augmeute. Dans les pays riehe5, au contraire, l'aftlux de la main-d'oeuvre permet d'exploiter de Douvelles riches.'Jes, dont la vente accrott en pro­Jlortion la quantité de métal qui circule l, La ·politique doit donc chercher à compo~er ces deux mouvements inverses de la population et du numéraire. n faut que le nombre des habi­tants croisse pell à peu, mais sans arrêt, pour que les manufac­tures puissent trouver une main-d'oeuvre toujours abondante; alGI'8 les salaires n'augmenteront pas plus vite que les richesses, ·ni les prix avec eux; et la balance commerciale pOW'rR rester favorable: on recoDnIlIt là le fondement des thèses population­nistes 1. Mais d'autre part, il faut aussi que la quantité du numéraire Boit toujours en légère augmentation: seul moyen pour que los productions de la terre ou de l'industrie soient bien rétribuées, pour que les salaires loient suffisants, pour que la population ne lIoit pas mÎl!érahle au milieu des richesses 1. ClInlillnn, ll'lc. cil., p. 76. 2. Dutot, Ittjluion.r sur If commtre! die, flllonru, p. 862 et 906. t 3. cr. Vêron ùe FurtbonnaiB, tUrnen!. du eommercl, t. J, p. 45, et surtoï Tucker, QunllulII impurlanl~ • .rur le evmmercc (L1"Ild. Turgot, oeurr~, , p.33&).
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    F.chOongtr 201 ,lIe fait naître : de la toutes les mesures pour 'a'l'on!le1' le cp.:merce extérieur et maintenir une balance positive. CO Ce qui assure l'équilibre, et. e~pêche ,le., profondes osci11atio!,-, entre lA richesse et lB Jlau~rete,. ce D est don~ pas un cerbn~ statut. définitivement acqws, mais wle compositIon - à )a (OIS nturelle et concertée - de deux mouvements. Il y a prospé­: ité dans un Btat, non J'lIIS quand les espèces y 80nt nombreuses ou les prix ~Ievésj moi!! quand lei! espèce8 en lont à ce stade d'augmentation - qu:i1 fnut po~voir proloDger indéfiniment­qui pennet de soutemr les ~alalres sans augmenter encore lei rix: alors la JXlPulation croit,régu1ièl"fllll~nt, Bon travail pro­Suit toujours davantage, et 1 8uf!Jllentation consécutive dei espèces se r~partissant (selon la loi de représentativité) entre des richcsses peu nombreu!le.'!, les prix n'augmentent pas par rapport à CClIX qui I!ont pratiqub Il l"ét1'8nger. C'est soulement & entre J'accMis8ement de la quantité d'or ct ln hou!lse dos prix que l'accJ"f)!sscmcnt d~ la quantité d'o~ et.d'argent es~ fnvo~b~e à l'indllStl"lC, Une natIOn dont le numC1'fl1re est en vOIe de diIOl­nution e.~t, 8U moment. où on fait la compD1'8i~on, plus faible e plus misérable qu'une autre qui n'en possède pas davantage, lnais dont le numéraire est en voie d'accroissement 1 J. Ces ainsi que s'explique le désastre espagnol : la pO!lse!l~ion des mines en effet avait augmenté mUliivement le Duméraire - et pal" .,oie de conséquence, 108 prix - IllJIlI que l'industrie, l'agri­culture et la population aient eu le temps, entre cause et effet, de se développer en proportion: il était fatal que l'or américain se répande 8Ul' l'Europe, y achète des denrées, y fasse crotl.l'e les manufactu1'ell, y enrichisse les fermes, laiiSsant l'Espagne plus misérable qu'eUe n'avait jamais été. L'Angleterre, en :revanche, si elle a attiré le métal, ce fut toujours pour en faire Jl!Ofiter le travail, et non le seul luxe de ses habitants, c'est-à­dire pour accroître, avant toute hausse des pl'Ï."t, le nombre de les ouvriers et. la quantité de Iles produits s. ~e telles analYSe!! sont importantes parce qu'eUes intro­d~ nt la notion de progrès dans l'ordre de l'activité humaine. MaiS plus encore paNe qu'elles affectent le jeu des signes et des iP~se~~tions d'uD indice temporel qui définit pOUl' le p~ a condition de sa possibiliU:. Indice qu'on ne trouve daDB aucune 8utr~ région de la théorie de l'ordre. La: monnaie, en effet, teUe que la conçoit. la pensée clauilJUe, De peut pas repr~ p.li9-~:e, De III MUIaliOll mon!taÜ"e (<B.ret I!COllOmiquu, tnd.lrauçailll, ~ Vt~D de Fortbonnals, danl Jes ru~ du umm_ (t. 1. p. 51-52). e lIti hUIt. règle, fondalllBnlaJee du commeree anglais.
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    202 eenter larichesse 9ans que ce pouvoir ne Be trou.ve, de l'intérieur. modifié pal' le temps - soit qu'un cycle spontané augmente. aprêsl'avoir diminuée, 118 capacité do représenter lei richesses, Boit qu'un politique maintienne, Il cou~ d'efforta concertés, la CODlitaDc:e de sa représentativité. Dans 1 ordre de l'histoire natu­relle, le;s caraclù~, (les faisceaux d"idllntités choisis pour repr6- 80ntor et dist.inguer plusieurs espèces ou plusieurs genres) 8e logeaient à l'intérieur de l'espace continu de la nature qu"ils déooupaioDt en un tableau taxinomique; le temps n'intervenait que de J'extêrieur, 'pour houlevetller la continuité des plus petites difrérences, et. le. wsperaer selon les lieux déchiquetés de la géographie. Ici, au contraire, le temps appartient li. la loi inté­rieure des l'8presentatioDl, il fait corps avec elle; il suit et altère stlns interruption le pouvoir que détiennent les richesses de se représenter eUes-mêmes et de s'.nalyser dan a un système lnonétaire. L' où rhistl'ire naturelle découvrait des plagee d"identités séparées par des différences, l'analyse des richesses découvre des c différentielles 1, - dos tendances A l'accroisse­ment et li. la diminution. Cette fonction 'du. temps dan. la richesse, ü était néce .. • aire. qu'eUe apparaisse dèa le moment (c'l:tait l la fin d1l xnle siècle) où la monnaie ét.ait définie comme gage et. alli­milée au crédit: il fallait bion alors que la durée d. la créance, la rapidité avec laquelle elle venait Il échoir, le nombre de maina entre lesquelles elle pall98it. pendant un t6mps dODDé, deviennent des variables caractéristiques de son pouvoir reprit­Bontatir. Mais tuuL cela n'était que la conséquence d'uue forme de réflexion qui plllçait )e ligne monétaire, pur rapport li III richeSBe, dans une posture de rlJprûentatio" 8U sons plein du terme. C'est par conséquent le rn~me réseau arcMologiquo W aoutient, dans l'analyse dei riches!!eS, la thAorie de la monM~ repri.wntian, et dans l'histoire naturelle, la théorie du c:arac­tère- repri,entalion. Le caractère dè$igne le8 êtres tout en les .ituant dans leur voisinage; le prix monétaire dé!ligne 168 richesses mais dans le mouvement de leur croissance ou de leur ~inution. T. LA. JPORK.A.TION DB I.A. TA.J.BUB La tbllOne de la monnaie et du commerce répond li la que..'1o 'tion : comment, daDs le mouvement de. échanges, les prix peuvent-ibi caractériser les choses, - comment. la monnaie peut-
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    203 .Ille él.8bJirentre les richesses un système de signes et de dési­gnation? La théorie de la valeur répond à une question qui croise celle-ci, interrogeant. comme en profondeur et li. la verticale la plage horizontale où les échanges s'accomplissentindéfiniment: pourquoi y a-t-il des choses que les hommes cherchent à échan­ger Jlourquoi los unes valent-elles plus que les autre", pourquoi ceriaincs, qui sont inutiles, ont-elles une valeur élevée. alors que d'ButTes, indispensables, sont de valeur nulle? TI ne s'agit donc plus de savoir selon quel mécanisme les richesses peuvent S6 repré!cntcr entre elles (et par cette richesse uui"ersellernent repré$entativ~ qu'cst le lI}étal précieux), ~ais I?ourquoi les objets du dé~Jr et du hesom ont à être representes, comment on po~e la valeut' d'une chose ct pourquoi on peut affirmer qu'elle vaut tant ou tant. Valoir, pour la pensée clasAique, c'ost d'ahord valoir quelque chose, être substituable à cette chose dans un processus d'échange. La monnaie n'a été inventée, Jes prix ne se sont fixés et ne se modifient que dans la meS1Jre où cet échange existe. Or l'échange n'est un phénomène simple qu'en appa· reDce. En effet, on n'échange dans le troc que si" chacun des deux partenaires reconnatt une valeut' à ce que détient l'autre. En un sens, il faut donc que ces choses échangeables, avec Jeur valeur propre, existent à l'avance entre les mains de chacun pour que la double cession et la double acquisition se pr~ duisClll enfm. Mais d'un autre côté, ce que chacun mange et boit, cc dont il a besoin pour vivre, n'a pas de valeur tant "qu'il Dole cède pas; et ce dont il n'a pas besoin est également dépour­vu de valeur tant qu'il ne s'en sert. pas pour acquérir quulque chose dont il auroit besoin. Autrement dit, pour qu'une chose puis5e en représenter une autre dans un échange, il faut. qu'elles existent déjà chargées de valeur; et pourtant la valeur n'exis~8 qu'à l'intérieur de la repré~flntation (actuelle ou possible), c'est-à-dire li. l'intérieur de l'échange ou de l'échangcahilité. De là deux p09!1ibilités simultanées de lecture ~ l'une analyse la valeur dans l'acte m~me de l'échango, au point de croisement du donné et du reçu; l'autre l'analyse comme ontérieure il l:êchange et comme condition première pour qu'il puisse avoir heu. Ces deux lectures correspondent, la première à une ana­lyse qui place et enfenll6 toute l'cssence du langage àl'intérieu~ de la proposition; l'autre à une analyse qui découvre cette même e!iS6IlCe du langage du côté des désignations primitive. -langage d'aclion ou racine; dans le premier cas, en elIet, Je langage trouve son lieu de possibilité dans une attribution aesurée par le verbe -, c'est-li-dire par cet élément de langage en retrait de tous les mots mais qui les rapporte les uns aux
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    2M autres; leverbe, tendant possibles toua les mots du langage k partir de leur lien proposiûonnel, corresponct à l'échange qui fonde, comme un acte plus primitif que les autres, ln valeur des choses échangéell et le prix contre lequel on 1611 cède' dilDa l'autre forme d'analyse, le langage est enruciné hors de lui­mîlmu et comme dans la nature ou les analogies deI! choses· la rnoine, le premier cri qui donnait naissllnce aux mots 8V:u.t. même que le langagç soit. n6 correspond li III formaûon immé­diate de la valeur avant. 1'6chunge eL les mesures réciproque. du besoin. Mais pour ]n grammaire, ces deux Cormes d'annlyse - l partir de la proposition ou li. partir ùes raoines - sont padai­tement distinctes, parce qu'olle a alfaire au langage-c'est­la- dire à un !I)1stèmc de représentations qui est charr;l;é 11. la foia de désigner et de juger, ou encore qui a rapport li. la Cois à un objet et à une vérité. Dans l'ordre de l'économie, cette distinc­tion n'existe pas, car pour le désir, le rapport li. son objet et l'alIirmation qu'il est désirable ne font t'fU'une seule et même cholle; le désigner, c'est déjà poser le lien. De sorte que là GiA la grammaire disposait de deux segments théoriques séparés et ajustés l'un li l'autre. formant d'abord une analyse ùe la pl'Oposition (ou du jugement) puis une analyse de la délligm:ilion (du ge!rte ou do la racine), l'{:t)~nomie lie connait qu'un seul segment théorique, mais qui ellt susceptible simult.anément de deux lectures faitos en sens inverse. L'une analyse la valeur à partir de l'échange des objets du besoin, - des obje.t8 uiillJ4; l'autre à partir do la formation et de la naissance des objets dont l'êchanJ;te définira enlluite ln valeur, - lA partir de la prolixité de la nature. On reconnutt, entre ces deux lectures po.sibles, un point d'hérésie qui nous est familier: il sépare ce qu'on appelle la «théorie psychologique It de Condillac, de Galiani, de Graslin, de cclle des Physiocratcs, avec Quesnay ~t son école. La Physiocratie D'a 880S doute pas l'importance que lui ont attribuée les économistes dans la première partie du XIX. siècle, quand ils cherchaient en elle l'acte de fondation de l'économie politique; mais il serait aussi vain sans doute de prêter le même rôle - comme l'ont lait les marginalistes-:­il l' c école psycl1010gique '. Entre ces deux modes d'analyse, Il n'y fi d'autres dillêrences que le point ù'origine et la direction choisis pour parcourir Wl réseau de· nécessité qui demeure identique. • P01ll' qu'il y nit valeurs et ricliesses, il taut, disent les Physu~­cra1ell, qu'un échange Boit possible: o'est-à-dire que l'on ~It l H di~positioo un superflu dont l'autre S8 trouve avoir beSOIn. Le fruit dont j'ai faim, que je cueille et. que je mange, c'est. un
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    205 b. uem'olIre ]a nature; ü n'., Dura riehusa que li les fruits ,en ~uu arbre sont. assez nombreux pour excéder mon appét.it. ~r .... faut-ü qu'UD autre ait faim et me les demande. 1 L'air J!.DCOno...u S respl"r OIlJ, d"I t Quesna)y, 'e au que noua pws.O.Q.S .Il la ~~iëre et tous los aut.res biens ou richesses surabondant.os et lDIDunes ll1.OUS les hommes, ne sont pas commerçablos : ce co nt des biens, non des richesses 1 •• Avant l'échange, il n'y a ~:e ceue réaliLê, rare ~u abondante, q,:,e .fournit ,la nature; seules la demande de 1 un et la renonciatIOn do 1 autre lont eapabie5 do laire apparaître des valeurs. Or, les échanges ont récÏsliment pour fin de répar~i~ les excé~ont.s de manière qu'ils ~oient distribués à cuux à qUI lis (ont. dolaut. lJs no 80nt dono c richMsl1s. qu'à titre provisoire, pendant. le temps oil, présents chez les uns et absents cbe:.: les autres, ils commencent et aecom­plis~ ent le trajet. qui les amenant cbez les consommateurs les restituera r..leur no ture primitive de biens. 1 Lo but de l'échange, dit Mercier de La Rivière, est. la jOUÜlsancc, ID consommation, de Borte quo le commerce peut. ôtre défini sommairement: l'échnnge des choses usuellOli pour parvenir Il leur distribution entre lr,s moins de leurs consommateurs 1 •• Or cette constitu­tion de la valeur pDr le commerce B ne peut pas se laire sans une soustraction de biens : en elfet, le commerce transporte les ohoses, entra1ne des frais de voitul'oge, de conservation, de transrormation, de mise en vente' : bref, il en coûte une cer­tnine consommation de büms pour que les bÛJns eux-mêmes aoient transformés en ricMsst'oS. Le seul commerce qui ne coQterait rien serait le troc pur et simple; les biens n'y sont riohess611 ot valcurs que le temps d'un éclair, pendant. l'instant de l'êobange : 1 Si l'échange pouvait être rait immédiatement el tla08 Irais, il ne pourrait ~t.re que plus avantageux aux deux écb8~eurs : aussi se trompe-t-on bien lourdement quand on prend pour le commerce mihne les opérations int.ormédiaircs qui servent li fnire le commerce ' •• Les Physiocmtos ne se donnenL que la réalité matérielle des biens: et la formation de la v~leur .dans l'éc~ange devient alors cotiteuse, ct s'illllcrit en dcducllOn des bIens existant.s. Former de la valelll', ce n'est dOllc pUll satisCaire des besoins plus nombreux; o'est sacrifier ~," QUel'!,ay, arllcle • Hommel • (ln Dllllre, Let Phy .• jIJCI'Illtll, p. 42). (1 -D~~~rcler de La Blviêre, L'OTtIr, naturel et usenlitl du ~cil'.t(id 1",liIi'luea '1 lOIn', Lu Phg.iocrutel p. 709). le ~"l' Eu 1116 ~o .. sid~runL ~mme de!! riclle'!les cOlnrnE'r~AlJl~, le blé, III fllr, U~I rlol, le dl:IlDanL sont "gal"menl des riclte5S4!S dout!:1 valeur no cou5i~LIi q • d~11!J le prIx, (QlJesnay, arLiele • HommOi " toc. CIl., p. 1;1:1). 5' S Uponl Ile lIiemuul'$, Ittp6r11e oematulte, p. 16. • .lnl.-P~r-dvr, JOLll'na' d'agricullur" décembre 1765.
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    206 IJBI motset les Ch08eB des hien~ pour en échanger d'autTes. Les valeurs fonnent le négatif des biens. Mai, d'où vient que la valeur puisse ainsi se former? QueUe est l'origine de cet excédent qui permet aux biens de 8e trans_ former en richesses sans pour autant s'effacer et disparaître à force d'échanges successifs et de circulation? Comment se rait­il que le coilt de cette formation inceSs8nto de valeur n'épuulI~ pas les biens qui sont à la disposition des }lOmmes? EBt-ce que le commerce peut trouver en lui-môme ce sup­plément néoossaire? Certainement pliS, puisqu'il so propose d'échanger valeur pour valeur et solon la plus grande égalité poslIible. «Pour recevoir beaucoup, il faut donner be8uéoup' et pour donner beaucoup, il faut recevoir bcallcoup. Voil~ tout l'art du commerce. Le commerc!'" de sa nature, ne fait qu'échanger ensemble des choses de valeur égnle 1. » Sa.ns doute une marcbandi!le, en gagnant un marché éloigné peut s'échan­ger pour un prix supérieur à celui qu'clic obtiendl'8it sur place: mais· cette augmentation c~rrespond aux dépenses réelles de transport; et si elle ne perd rien de ce fAit, c'est que la marchan­dise stagoante contre quoi elle s'est échangée a perdu ces Crais de" voiturage sur son propre prix. On a beau promener les mur­chandise8 d'un bout du monde à l'autre, le coùt de l'échange est toujours prélevé sur les biens échangés.' Ce n'est pas le commerce qw a produit ce superflu. Il a Iallu que celte plé­thore existe pOUl" que le commerce soit possible. L'indlll:trie, elle non plus, n'est pas capable de rétribuer le c011t de formation de la valeur. En elfet, les produitH des manu­factures peuvent être mis en vente solon deux régimcE. Si les prix'sont libres, la conCUl'l'Once tend à la {nire hai!;ller de sorte qu'outre la matière première, ils couvrent nu 'Plus juste le tra­vail de l'ouvrier qui l'a t1'onsformée; conformément 11. In défini­tion de Cantillon, ce salaire correspond à ln sub9istnnce de l'ouvrier pendant le temps oll il tTavllille; sam; doute Caut-il ajouter encore la subsistance et les bénéfices de l'entrepreneur; maia de toute façon l'accroissement de valeur dû à 10 maDU­facture représente la collSommation de ceu." qu'elle rétribue; poUl" fabriquer des richesses, il a fallu sacrifier des biens: • L'artisan détruit autant en subsistance qu'il proùuit par SOD travail 1. Il Quand. il y a un prix de monopole, les prix de vente des objets peuvent s'élever considérablement.. Mais ce n'est pns alors que le travail des ouvriers soit mieux rétribué: la concur­rence qui joue entre eux tend à maintenir leurs salaires au 1. SRfllt-P~rnvy. JlJurnal d'agritullrrN', dér.embre 17r.5. 2. Mrurlllt6 Ile goul'UlltllJtnr (In DaIN, QP. dl., p. 2S9).
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    207 . dece qui est juste indispensable pour leur subsistance 1; Pl'ea: aUX b~néfices dei entrepreneurs, il est vrai que les prix :rl~~onopole les ro~t croUre, dans la m~ure où augmente. la el ur des objets mis sur le marché; malS cette augmentatloD :~;t rien d'autre que la b8ÏBs~ proportionnelle de la valeur d" chnnge des autres marchandises : 1 Tous ces entrepreneurs n: ront des fo~~ que )?afce que d'autres Eont des dépe~es •. » Apparemment, Imdustne augmente les. valeurs; en faIt, eUe prlilève Bur 1'6change lui-même le pri:' d'u,ne ou de plusieurs sub~i~tances. La valeur De se [~rme DI ne 8 ~cçroit par;la p~. ducLioll mais par ln consorwoatlon. Que co 80lt ceUe de 1 ouvrle~ qui IIss:u.e sa suhsistanll6, de l'entrepreneur' qui retire des bénéfices, de l'oisif qui achète: 1 L'accroillsement de la valeur vénale qui est dtl à la clas!!e stérile e~t l'ellet de la dépense de l'ouvrier, et non pas celui de son travail. Car l'homme oisif qui dépellse !JaIlS travailler produit à cet égurd le même ellet '. » La vnleu.r n'apparaît que là où des biens ont disparu; et le travail fonctionne comme UDe dépeDse : il forme un prix de la subsistallce qu'il a lui-m~me consommée. Ceci est. vrai du travail agricole lui-même. L'ouvrier ~ laboure n'a pas un statut différent de celui qui tisse ou qui transporte; il n'est qu'un c des outils du travail ou de la culti­vation t • - outil qui a besoin d'une subsistance et. la prélève Bur les produits de la terre. Comme dans tous les autres cas, la rétribulion du travail agricole tend à s'ajuster exactement à aUe subsistance. Pourtant, il a un privilège, non pas éçono­nÙ( lue - daDlle système des échanges - mais physique, dans l'ordre de la production des biens; c'est que la terre,lonqu'elle est travaillée, fournit une quantili de subsistance possible bien supérieure à ce qui est nécessaire au cultivateur. En tant que travllll rétribué, le labeur de l'ouvrier agricole est donc tout aussi ni:~,.ati( et dillpendieux: que celui des ouvriers de oelllUlfac· ture; ~is en tant que c commerce physique. avec la nature 1, fi suscite chez eUe une fécondité imm6DSIl. Et s'il est vrai que celte pl'!'lixité est ri:tribllée il l'avance par les prix: de labour, de semailles, de Jlourriture pour les animaux, on sait bien qu'on t~llvera. un épi là où ~n a Bemê une graine; et les troupeaux c s.engralssent. chaque Jour au temps même de leur repos, ce qui ne peut êLrc dit d'un ballot de soie ou de laine dans les ~- ~t!!?l. IiIrralon. aur la formalio" du riche"e., 1 6. 3' M:lblllU de ,."n:~Nlmlenl (ln Da1re, op. cil_. p. ~9). C· '1" Y. P.~[]. l'hilUlOpJ,ie rural,. p. 66. ~; '.1., .lm1., p. 8 . . Dupont d!I NllmounI, Journal agricole, mai 1766.
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    208 magasins 1•• L'agriculture, o'est I&Beul domaine oi. l'a('!croi!~e­ment do valmlt' dl! la la production o'est. pas équivale~i k l'entretien du producteur. C'Cllt qu'à vrai dire, il y a un produc­teur invisible qui n'a besoin d'aucune rétributionj c'~t à lui que J'agriculteur se trouve associé sans 10 98voir; et au moment. nù le laboureur consomme autant qu'il travaille, ce même tra­vail, pal' la vertu de 90n Co-Auteur, prodtÜt. toU!! les biens Bur lesquels sera prl!levée Ja formation des valeurs: c L'Agriculture est une manufacture d'inBtitution divine où le fabricant. a pour associê l'Auteut' de la nature, le Producteur même de toU8 les biens et de toutes les riohesses 1 .• On comprend l'importance théoriq1le ct pratique que le!! Physiocrates ont accordée à' la rente foncière - et non pas au travail agricole. C'est que celui-ci est rétribué par une consom­mation, alors que la renle foncière représente, ou doit représen­ter, le produit net: la quant.ité de biens que la nature fournit, en 8US de la subsistance qu'elle assure au travailleur, et de la rétribution qu'elle demande eUe-même pour continuer à pro­duire. C'est cette rente qui permet de transformer les bi6IJS en valeurs, ou en nchot'lses. Elle fournit de quoi rétribuer tous los autres traV8UX et toutes los consommations qui leur corres­pondent. De là deux soucis majeurs: mettre à sa disposition une grAnde quantité de numéraire pour qu'clio puisse alimenter le travail, ]e commcrce et l'industrIe; veiller à ce quesoit proté­gée absolument la part d'avance qui doit revenir à la terre pour lui permettre de produire encore. Le programme ëconomique et politique des Physiocrates compGrtera donc, de toute nécessit6 : une augmentation des prix agricoles, mais non pas des SAlaires à ceux qui travaillent la terre; le prélèvement de Wllsles impÔts sur la rente foncière elle-même; une abolition des prix de monopole et de tous les privilèges commerciaux (afin que l'!n­dustrie et le commerce, contrôlés par la concurrence, mBm­tierw. ent forcément le juste prix); un vaste retour de l'argent à la terre pour les avances qui 80nt nécessaires aux récoltes futures. Tout 18 systèmo des ~changes, toute la formation cotîtellse des valeurs sont reportés à cet échange déséquilibré, radical et primitif qui s'établit entre les avances du propriétaire et la génêrosité de la nature. Seul cet 6change est absolu meut béné­ficiaire, ct c'est à l'intérieur de ce profit net que peuvent êtr:e prélevés les frais que néccssite choque échange, donc l'appari· tion de chaque élément de richesse. Il serait. faux de dire que 1. Minlhr-J!tJ, Philoeophil rlUale, p. 37. 2. Jd., ibid., p. 33.
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    201} roduit spontanémentdes valeUl'l; mais eUe est la la D~ti~R~5ablc des bieua que l'é~hBnge transforme en ':QI~urs, lIOurc:o dé enses ni CODlommatlon. Quesnay et ses dISCIples J1unl S::t.IJ'riche5ses à partir de ~e q~i se donne dana l'échange onac~5'.b..dire de co auperllu qw existe 8a~s '"!lIeur auct~ne, - . i devient valeur en entrant dans un Cll'eUlt de substltu­t~ UIS quu' il devra rétribuer chacun de ses dép1acements, cba- 110/111. d0e ses transfonnatl•o Dl par des ala a'ir es, d e la nourri' tu re, cduu nlea sub~istalJce, bref par une }?art'l e de cet exc..L. d ent Ruque l 1'1 rtl'ent lui-même, Lea PhySiocrates commencent leur ana-luypsIe'a yJllr I~ cllo,se cllc:m&me qw' ade trouév~ 'sig ne• e da ns 1a 1 Ur mOIS qui nrécxlste au système des rIchesses, Il en est vdae em ê,m e des gr'am"ma.ir i,e ns l orsqu' il• a ualy .ent 1c a mo.•.- . .A.. IIrtir de lu racine. du rapport inunédiat qui unit un Ion et une ~ho:'le, et de~ abstractions Bucccalives par quoi c:ette raeiu. devient un nom dans une langue. VI. L'UTILIT4 L'onalyse de Condillao, de Gu1iani, de Grsslin, de Destutt correspond à ]0 théorie grammntioale de la proposition. Elle choisit pour point de déport, non pos 00 qui est donn6 dans un échonge, mais ce qui est revu: ln même chose, Il vrai dire, maÏtl envisagée du point de we de celui qui en a besoin, qui la dtIJDande, et qui accepte de renoncer Il ce qu'il possède pour obl.tlnir cette outre chose qu'il estime plus utile et à laquelle fi attache plus de valeur. Les Physjocrates et leurs adversaires parcourent en fait le même segment thêorique, mais dans DB lenl opposé: les uns se demandent li. quelle condition - et li. qud co~t - un bien peut devenir une valeur dlUll un système d:é~aoges, les autre., il quelle condition un jugementd'appré­CI, atlon peut se transformer en prix dan. ce même système d «bunges. On comprend pourquoi ln analYlea des PhylÏo­crate~ et. ceIles des utilitaristes lont BOuvent li procbea, et ~~rr~'8 complémentaire&; pourquoi Cant.i1lon a pu être raven­e~ v,e par les uns - pour sa thêorie des trois revenus fonciers UDporLance qu'il accorde Il la terre - et par les autres - pour I?n analyse des circuits et le rôle qu'il fait jouer Il la :aonnn;.:' i pourquoi Turgot 8 pu être fidèle li. la Physiocratie de G l' .o~dmlJtion el la dimibution du richu.u, et fort proche a lêlDl ons Valeur st Monlllli& 1. CanLWulI, Bilai 'ur le commerce en ,~n6rlll, p. S8, 6D et 73.
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    21.0 Supposons laplua rudimentaire des situations d'êch~e . un homme qui n'a que du mais ou du blé, et en lace de lui' u~ autre q~ n'a que ,du .vin ou du ~ois. Il n'y a encore 8UCU~ pl'lX fixé, ru aucune eqwvalence, ru aucune commune mesure Pourtant si ces hommes ont ramas lié ce hois, s'ils ont semê e~ rêcolt61e mais ou le hM, c'est qu'ùs portaient sur ces choses u'n certain jugement; sans avoir à le comparer li quoi que ce Boit, ils jugoaient que ce hlé ou ce hois pouvait. sBtisfuire un de leurs hesoins, - qu'il leur serait utits:c Dire qu'une chose vaut c'est dire qu'elle est ou que nous l'estimons bonne à quelque ~uge. La valeur des choses est donc fondée sur leur utilité, ou ce qui revient encore au même, sur l'usage que nous pouvons en faire 1. 1 Ce jugement londe ce que Turgot appelle c vaillur estimative» des choses 1. Valeur qui est absolue puisqu'elle COIlcerne chaque denrée individuellement et sans comparaison avec aucune autre; elle est pourtant relative et changeante puisqu'elle se modifie avec l'appétit, les désin ou le be~oia des hommes. Cependant, l'échange qui s'accomplit sur le !ond de ct'.!I uti· lités premières n'en est pas la simple rêduction à un commun dénomiuateur. Il est en lui-même créateur d'utilité, puisqu'il offre à l'appréciation de l'un ce qui jusqu'alon n'avait pour l'autre que peu d'uülité. Il y a, à ce moment-là, trois possibilitr-s. Ou bien le « surabondant de chacun l, comme dit Condillac 8_ ce qu'il n'a pas utilisé ou ne compte pal utiliser immédiate· ment - correspond en qualité et ea quantité aux besoins de l'autre: tout le surplus du propriétaire de blé se révèle, dans la situation d'échange, ut.ile au propriétaire de vin, et réciproque· ment; dès lors, ce qui était inutile devient totalement utile, par une création de valeu1'8 simultanées et égales de chaque côté; ce qui dans l'estimation de l'un était nul, devieDt potlitif dans celle de l'aut1'6; et comme la situation est symétrique, les valeurs estimatives ainsi créées se trouvent être automatique­meat équivalentes; utilité et prix se correspondent sansrési~u; l'Bppréciatioa s'ajustant de plein droit à l'estimation. Ou bleD le surabondant de l'un ne suffit pas aux besoins de l'autre, et celui·ci se gardera de donner tout ce qu'il possède; il en ré:lervera une port pour obtenir d'un tiers le complément indispensable ft son besoin; cette port prélevée - et que le partenaire cberchc ft réduire le plus possible puitlqu'ù a besoin de tout le slIperllu du premier - fait apparattre le prix: on n'écbange plus le trOp 1. ColldillBC, Le Comm~rte d le ftllmernemenr (OEtlUru, t. IV, p. 10). 9. 2. Turgot., YalBur el mannaie lOEu~1U cumpltles, éd. Schdle, t. III, p .• 1 92). 3. Condillac, Le Comm,.rec elle gtIuucrnrmcnl (OEuvres, l. IV, p, oe).
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    tcllanger 211 deblé contre le trop de vi!1' mais li la suite d'un.e altercatioo! on d e tant. de muids de VlD contre tunt de !etlers de blé. DlrII.­OnD ue cclui qui donne Je plus perd dans l'échange sur la valeur td- onc eqq u'ilp05~éd"u lûNonpomt,cnrc6superf i uC8tpour l U'I Bans ~'lité ou en tout cas, puisqu'il a accept6 d'cn faire l'ôchange, U,I.t b" '1 en J,aree qu'il accnrde plus de valeur li cc qu'il reçoit c e',à ce qu'il abandonne, E' nf i n, trOJ"S,le me h ypOLh ès c, n'e n n , est :5:snlumcnt sllperflu pou~ personne, car eh8~un des de?x parte­nllires sait. qu'il peut utililler, à plus ou mOins longue echéance, ]a totalité de ce qu'il possède: J'état de besoin est général et chRque parcelle de prorri~té devi~nt.riches!le. Dès,lors, les deux pnrtenuirtlli peuvent trcs bien ne rien ecbaoger; malS chacun peut égalemenL esl.imer qu'une part de la lOarchandise de l'autre lui sllmit plus utile qu'une port. dola, sienne propre. L'un cL l'a';lt~e établissent - et chacun llOUl' SOI, dOliC selon un calcul dilIe­rcnt - ulle inégalité miruma : tant de mesures de mais que je n'ni pus, dit l'un, vaudront pour moi un ]Jeu plus 1ue tant de mr"sures de mon bois; telle quantité de bois, dit 'autre, me sera plus précieuse que tant de mals. Ces deux inégalités estima­tives définissent pour chacun la valeur relative qu'il accorde Il ce qu'il possède et à ce qu'il ne détient pa8. Pour ajuster ces deux intig-.ilités, il n'y a pas d'autre moyen que d'établir entre elles l'égalité de deux ra:pports : l'échange se fera lorsque le rapport du mais au bois pour l'un devient égal au rapport pour l'autre du bois au maïs. Alors que la valeur estimative se ~éfinit. par le seul jeu d'un besoin et d'un objet - donc par un u;t.té~êt unique ~hez un individu isolé-, dans la valeur appré­cla. tave, telle qu elle apparutt maintewmt, « il y a deux bOIDIDe& qui comparent et il y Il quatre intérêts comparés; mais les deux intérêts particuliers de chacun dos deux contractants ont d'a.bord été comparés entre eux à part et ce sont les résultat. qu~ 8on~ elll!uit.e' comparés ensemble, pour former une valeur e.stlmative moyenne.; cette égalité du 1'8pport permet de dire pa~ exemple que quatre mesures de maIs et cinq brosses de billS ont Ul:'8 valeur échangeable égale l, Maïs cette égalité ne YJut pas dire qu'on échange utilité contre utilité par portions ~e~bqu~; o~ échange des inégalités, c'est·à-dirc que des deux t~~S -: et bien que chaque élément du marché ait eu une u Ih~é ~ntrins~que - on acquiert plus de valeur qu'on n'en possediilt,. Au lieu de deux utilités immédiates, on en a deux auges qUi sont censées satilifaire des besoios plus grands. et de l!:Uhel! analyses montrent l'enl.recroisemeot de la valeur e cange: o.n .n'échangerait pas, .'i1 D'existait des valeur_ J. TlIlgtl, Vafeu/' et mcnnaie (OEul/ru, t. 111, p. 91-99),
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    212 1•1 IlIDéd1' 8tel - c' Gdst.·à· "1rei s l n ' eX•I sta•J t d ans Ics choses c Un attribut qui leur eal accidentel et qui dépend wûqucruent deI besoins de l'homme, comme l'elJet dépend de au cnuse 1 1 Muis l'échange à Bon t.our crée de la valeur. Et ccci de de~ manières. 11 rllnd d'abord ut.iles dcs choses qui sallS lui seraient d'utilit.é faible ou peut-être nulle: un diüllUlnt., que pCul-il 'Voloir pour les hommes qui oot faim ou besoin do se v~lir? Mais il suffit qu'il oxi~to au moude uue !enuoe qui désire.plaire, et un commerce susceptible de l'apport.er eot.re ses mains, pour que la pierre devienne 1 richosse mdirecte pour son proprié­taire qui n'cn a pas besoin ... la valeur de cet objet est pour lui une valeur d'échange Iii et il pourra se nourrir en vendant ce qui ne sert qu'à briller: de là l'importance du luxe', de là le fail qu'il n'y a pas, du point de vue des richesscs, de différence entre besoin, commodité et agrément •• D'autre pllrt, l'é~Lange fait. naitre un nouveau type de valeur, qui est « appréciative» : il organise entre les utilités un rapport réciproque qui double le rapport au simple besoin. Et surtout qui le modifie: C'eI51. quo, dans l'ordre de l'appréciation, donc de la comparaison de chaque valeur avec toutes, la moindre création nouvelle d'uti" lité diminue la valeur relative de celles qui existent déjà. Le total des richesses D'augmente pas, malgré l'apparition de DOU" 'VMUX objets qui peuvent satisfaire les besoins; toute produc­tion fait naitre seulement. un nouvel ordre de valeurs relali· vement à la masse des richesses; les premiers objets du bOlioin auront diminué de valeur pour faire place dallS la masse il la nouvelle valeur des objets de commodité ou d'agrément' •. L'échaDge, c'est donc ce qui augmente les valeurs (en faisant apparaître de nouvelles utilités qui, au moins indirectement, 8alil(onl des besoiD8); maïs c'est également ce qui diminue les valeurs (les unes par rapport aux autres dans l'appréciüt.ion qu'on porte à chacune). Par lui, le non-utile devient utile, et dans la même proportion, le plus utile devient moins utile. Tel eJ;1. le rôle couslitutLf de l'échange dans le jeu de 'Valeur: il donne un prix à toute chose, et abaisse le prIx de chacune. On voit que les éléments tbéor~ques sont les mêmes ch.e~ les PhysiocrnttlS et c)lez leurs Iidvers'lI.res. Le corps des proposl1.lOn, fondnmentales leur est commun: toute richesse natt de la terre; l.a valeur des choses est li6e à l'échange; la monnaie vaut comme 1. Gr8~lln, Ruai ana/yrIque 6ur la rlellult, p. 33. lZ. M., 1 ~Id., p. 45. 3. H ume, De la cireuialfull ,rum~lal" (OEUL'/'f irotll)rniqu~, p. 41). 4. Gr,,~lin ml end pMr besuln -la nOcelisiLll,l'utWlé, le foOt et l'agrélDtQt' (Eulli tJllulylique Mur /a riclru,e, p. 2-4). fi. Cratilill, QP. cil., p. 36.
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    213 18 rüeDtotioDdes richelSu eD circul!1tion :.la circulation ~. ltre auui simple et. oomplète que possible. Mau ces segmenta t:~iqueillont dJllposés pa.r leI. Physiocrates et. chez le~ 1 uti-l, 'Ltm 1 duoi un ordre qw CIIt IDVerse; et pauUlte de ce leu du ItanB " • 1 -Al' if d' ê 'f d, l'tl'ons ce qui pour es WlI a UDru e poSlt eVlont D gat.1 r. 8urp lt:Os aSutr'e s. Condi'lGluc,a l"la Ul. Gr asl I'D partent d e lié c ha nge utilités comme 'ondement subjectif et positif de toutes lea ~e"-' wut ce qui satisfait le besoin a donc une valeur, et VILI ... a,. . d' toute transformation ou t.o'.'t. transJ!Oft qui permet e • satll-fwire de plus nombreux b080UlS. çODlltI:ue une augm?n~tlon de nleur • u'est cette augmentation qw permet de retrJbuer les ouvrie"; cn leur donnant, prélevé sur cet accroissement, l'équi­villent d'e leur subsistance. Mais tous ccs élémeuts positiC$ qui constituent. la valeur reposent sur un certain état. de besoin cbez Ica hommes, donc Bur le caractère fini de la fécondité ùe III IUIture, Puur les Pbysiocrates, la même série doit être par­courue lll'enven : toute transformation et tout travail sur les produits de la terre sont rét.ribués pur la suhslstuoce de l'ou­vrier; il. ,'wscriveot donc en diminution du total des bieus; la vuleur nc Dait que là où il y a consommation. Il faut dono, pour que la valeur apparaisse, que ]a Dature aoit. douée d'une (écullÙi Lé iudéfiwe, Tout ce qui est perçu p08itivemont et comme eu relie[ dallB Wle des deux lectures, est perçu en creux, n6ga­tivcJueut, dans l'autre. Les c utilitaristes 1 fondent. aur l'arti­culalilJfl des échanges l'aUrtbution aux choses d'uno certaine valeuri les Physiocratos expliquent par l'e.%"'tence des richesses 10 découpage progres!lif des valeurs. Mai. chez les uns et les autros, la théorio de la valeur. comme celle deJa structurs dans l'h~toirc naturelle, lie le moment qui attrib~ et celui qui ",tlCUÛl. Peut'être aurait-il étê plus limple de dire que les Pbysio­c! Btcs représentaient les propriét.auel fonciers, et lea 1 utilita­rlst~" les comme~ants el les entrepreneurs. Que ceux-ci, pal' cuwequentt croyaient k l"augwentation de la VIdeur lorsque les,produ~tlon!' naturelles le transformaient ou Ile déplaçaient; qu d,1 étalent, par la force dtllJ choses, préoccupés par une éco­nQolwe de marché, où les besoiu8 et les désirs faisaient la loi. • U6 leti ?hysiocrales en revanche ne croyaient qu'ft la produc­! Oiitgrlcule et qu"ils revendiquaient pour eUe Ull8 rét.ribut.ion ci~r eurei qu"étant propriélail'8l!, ils at.tribuaient. à la re.o.te fOD­poli:' UQ ~ndemen~ ndurel, et que, revendiquant le puuvoir d Ique, ils l.IOub;nlllieut être les seuls sujets souuùs à l'impôt l.o:l.urLeura des. droits qu"il confère. Et sall8 doute ft traver.: écODO~~ence ddes mtill'6ts, on retrouverait les grandes OptiODI Iques es WUi et des autreL Mais si l'appartunaDce li.
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    214 un groupesocinl peut toujours expliquer que tel ou tel . h . . è dl' (lit C OIS! un syst me 0 pensêo p utÔt. que 1 autre, ln conditi pour que ce système oit ét6 pensé ne résiùe jonmis dans l'e"111 tence de cc groupo. Il faut distinguer avec soin deux forms-et d eux ni•v eaux d'l". lud c!. L" une soralt wle eDqu~tc d'opinione ~ pour savoir qui au XVIIIe siècle a 6té Physiot.Toto, et qui a éJ AntiphY!lioerate; quels étnient les intérÔts en jelli quels Curent les points et les arguments de la polémique; comment s'on déroulée la lutte pour le- pouvoir. L'autre consiste, sona te~it compte des personnages ni de leur histoire, li. définir les condi. tions il partir desquelll's il a été possible de penser dllns des forme!! co.héren!t;s e~ simultanées, .Je savoir 1 phy~iocratiqu() J et le savOir. ul.tlttarlste J. Ln premlère analy~e relèverait d'une doxologie. L'archéologie ne peut reconnuttre et pratiquer que la seconde. VII. TA.BLG ... V GÉI'IBRA.L L'organisation générale des ordres empiriques peut être main· tenant dessinée dans Bon ensemble 1. On constate d'abord que l'analy" des richesses oMit à la même configuration que l'histoirs natllreUe et la ~rammaire ~~nérale. La théorie de la valcQI' permet, en etTet, d expliquer lsoit par la carence et le be!!oin,soit par la prolixité de la nature) comment certaills objets peuvent être introduits dons lB sys­tème des êchanges, comment, par le geste primitif du troc, une choire peut ~tre donnée pour équivalente à une autre, comment l'estimation de III première peut être rapportée à l'estimation de ]8 seconde selon Wl rapport d'égalité (A et D ont la même valeur) ou d'analogie (la valeur de A, détenu par mon porte­naire, est à mon b6110in ce qu'est pour lui la valeur de B que je possède). La valeur correspond donc à la fonction attribu· tive qui, pour la grammaire générale, est assurée par le verbe, et qui, faisant apparott.rc la proposition, constitue le seuil premier à partir duquel il y ft 18ngu.~e. Mais lOl'lique la valeur appréciative devient valeur d'estimatlOD, c'est-à-dire lorsqu'eUe Be dHinit et se limite à l'intérieur du système constitué par toUS les échanges possibles, alors chaque valeur se trouve posée et découp6e par toute~ lei autres : de ce moment, la valeur assure le rôle articulatoire que la grammaire générllÙ recoo· 1. cr. schéma, p. 2'15.
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    215 " 'tà tous les blêments non verbaux de la proposition D~I!I~~_diro auX noms et à chacu,! des m,!ts qui, visiblement (c est cret détiennent une fonction nommale," Dans le sys- CD se , ., t:me des échanges, daDs le Jeu qUI, perm~t ~ caque part de "1 ... de sicrni6er les autres ou d ~tre 81gmnêe par elles, la l'IO1d elr.. .e. .,t à l"a 'fo.IS Y/fruJ.e et nom, pOUVO•I l' d e 11" er et pn"nC.lp e d?o:lysc, attribution elo découpe. La l'ale",,., daDs .l'~oalyse des richesses, occ~p.e d~DC exactement la même p~Sltlon. que la ,truetur/J dans 1 hUltOIl~ ~tureUe; c0l'!lme C!lle-cl, elle, J01~1: en une seule et même oper.ation la• fonctIon qw •p ermà et d atm- buer un Bigne à un autre Bigne, une representation une autre et celle qui penn~t d'art.iculer les élém~nts qui ~ompos~nt l'en­lemble des representatIOns ou les slgDes qUI les decompo- "nD~e 800 côté, la théorl"c de 1a mOnD'ale et d u commerce exp1 l" que emnment une matière quelconque peut prendre uue fonction signifiaute en se rapportant à un objet et en lui servant de aibrrle permane~t; elle expli~e.aus~i (par 10 je~ ~u commerce, de l'augmentatIOn ct de la dunmutlon du Dwueraue) comment ce rapport d~ signe à signifié puut s'altérer. Slins dis~lll"~ître jlllllais, comment un même élément mouêtaue peut signifier plus ou moins de richesses, comment il peut glisser, s'étendre, se rétrécir p!lr rapport aux valeurs qu'il est chargê de repré­& enter. La théorie du prix monêtaire correspond dODe à ce qui dans la rrrammaÛ'e ginérate apparatt sous la forme d'une analyse des racines et du langage d'action (fonction de déaignalion) et à ce l{1;'i apparaît sous la forme des tropes et ·des glissements de sens (fonction de dérivation). La monnaie, comme les mots, a pour rôle de désigner, mais ne cesse d'osciUer autour de cet ":0 vertical: les variations de prix sont à l'insta1l1'9.tion pnr DUère du rapport entre métal et richesses ce que sont les d6pla­CeD! e~ts rhétoriques à la valeur primitive des signes verbaux. tllll~ l~ Y a plus: en assurant à partir de ses propres possibilités Il d~~lgnntOn des richesses, l'établissement Jes prix, la modi­fihillon des valeurs nominales, l'appauvrissement et l'enri­e ~se.ment des nations, la monnaie fonctionne par rapport af rlchet;se5 comme le carar:tire par rapport aux êtres natu-l~ il : elle permet à la Coia de leur imposer une marque singu-l'h :re I-·t .le 1 . di . . u eur ln quel' une place sans doute proVlSoue uans .tl!Ipace act.uellement. défini par l'ensemble des choses et des :~es dont on dispose. La théorie de la. monnaie et. des prix th~~ :ans l'analyse des richesses ]a même position que la niè rle!1 U ':H:-,ctère daus l'histoire naturelle. Commo cette der­de ~ne e JOln~ en une seule et même fonction la possibilité nef un signe aux choses, de faire reprêsenter une chose
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    216 par uneautre et la possibilité de faire glisser un signe par 1'1 port la ce qu'il désigne. P-Les quatre fonct.ioDs qui définissent en ses propriétés aiugu lièr~ le ligne verbul et le distinguent de tous les autres !Iign • que la l'epraentation peut se donner àelle-mi!me,lul'etrouve~: dono dans la aÎgnaliaation théorique de l'histoire DatUl'f)lle et dans l'utüiaation pratique des signes monétaires. L'ordre deI l'ichll8sell,l'ordl'f:1 des êtres natu1"llb s'wstaurent et. S8 d6couvrellt dans la mesure 00. on établit enLre les objl.lt& du htlaOin, entre 1 .. individus visibles, des systèmes de sib'lles qui pennettent. la désignation des représuntutions les lWCti pllr lU8 autres, III déri­vation des représontations si~nifialltes par rapport aux signi. fiées, l'orticulation de ce qUI est l'6prêsent6, 1 attribution ùe certaines représentations il certaines Ilutroe. En ce scnll, 011 peut dire que, pOUl' la pensée classique, les systèmes de l'his­toire naturelle et les théories de ln monnaie ou du commette ont leI mêmes conditions de possibilité que le langage lui-mêllle. Ce qui veut dire deux choses : d'ahord que l'ordre dana la nature et l'ordre dans les richesses ont. pour l'expérience ela$­aÏllu~, Je même mode d'Ure que l'ordre des reprbcntations tel q u'iJ est. maaifesté pal' les mots; ensuite que les mots forment uu sysLèrne de signel! suffisamment privilégié. quand il s'agit de {élire apparaître l'ordre des choses) pour que l'histoire natu­relle si elle est bien faite, et. pour que la monnaie si elle Ml bien réglée. fonctionnent à la manière du langage. Ce que l'algèbre est. Il la rnalhellU, les Bigncs. et. singulièrement ICII motd, 10 60Ut. à la Ca:ri,wmia : cOllstitution et mrwiE&lJtation évidcnte de "unire dus choses. Il existe çopendant une difIérence majeure qui empêche la classification d'être' le langage spontané de III nature et .lel prix d'Ôtre le discours naturel des ricbuslles. Ou plutôt il eXISte deux difrérences, dont l'une permet. do wdtwguer les domaiD'" des signes verbaux de celui de9 richesges ou des êtres naturllis. et dont l'autre permet de distinguer la théorie de l'bi.toire natu' relie et celle de la valeur ou des prix. _ • Les quatre moments qui défirussent le9 fonotlons essentit;lles du lungage (attribution. articulation, désignation, dérivation) sont solidement liés ~ntre eux puisqu'ü9 sont. rcqu!s les .is par les autres à partir du moment où on a frunch., aVJ~ el verbe, le seuil d'existence du langage. Mais dans lu gtluèse _r,,1:I1~ deslaugues. le }Iarcours ne se fait pus dans le même sens nl,~ve la même rigueur: à partir des désignations primitivt:s, IIDl~­g! natioD des hOI,!IUtl$ (5elon les cli~ats où ils vivent, ~~ c0"t.: ti0n;' ,de leur e~15tence, leur~ lentime!l~ e~ leurs ~at;s.OD9'tTê­e. xpcrlcm:Q qu'ils lont.) IUllclte dés derlvatlons qUI sont dl
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    217 t avecles peuples, et qui expliquent 8ans doute, outre ]a rend' e8ité des langues, la relative ioetabilité de chacune. En un Ive~pt. dono6 de cette dérivation, et il ),intérieur d'une langue JJ}o~Jière Ica hommes ont il leur disposition un ensemble de lan LS de ~om!l qui s'articulent les uns sur les autres et découpent Jmors' -pré.~eotatioDII; mais cette analyse est si imparfaite, elle JeAuis se .s..u bsister tant d" nnpn_;C.1I.S" I,?DS et. tant d e ch eV8~~ }I Inuent. qu'avec les mêmes representallons Jes hommes utilisent. des moLS divcrs et. formulent des propositions différentes leur. rét!l:xion n'c5t pas il 1'IlLri de l'erreur. EntTe la dé15ignation etla d6rivation, Jes glissements de l'jmoginationsemuJtiplient; entre l'articulation et. l'attribution, prolifère l'erreur de la réllexion. C'est pou"l1loi il l'horizon peut-être indéfiniment reculé du JI1Djlsge, 00 projette l'idée d'une langue universelle où la valeur repré.~cnt8tÏ·e des mots I18rait a5sez IHltt.ement fIXée, assez bien fondée, assez évidemment reconnue pour que la réflexion puisse délJÏùcr en toute clarté de la vérité de n'importe queUe ProlJOsition - par le moyen de cette langue « les payssns pour­raient. mieu.'t jugar de la vérité des choses que DB font main­tenant les philosophes l _; un Jan..auge parfaitement distinct permeumit un discours entièrement clair: ccUe longue semit en clle-même UDe Ars combioowria. C'est pourquoi également J'exercice de tout.e langue réelle doit être doublé d'une Ency­clopédie qui définit le parcoUl'S des mots, prescrit lcs voies les plus naturelles, dessine les glissements légitimcs du sA.voirr codifie les relations de voi.'!inoge et de rel!scmblance. Le Dic­tionnaire est lait pour cODtrôler le jeu des dérivations à par­tir. de la désignation première des mots, tout comme la Langue u!"ve:sell~ est faite pour contrôler, à partir d'une articulation ~Ien elablie, les erreUl'!l de la réflexion quand elle formule un Jugement.. L'Ars combinntoria et l'Encyclopédie se dpondent de ra.rt ~t d'autre de l'imperfection des langues réelles. la L. hI9tol~naturelle, puiaqu'ilfaut bien qu'elle soit une scienl'e, CIrculatIon des richesses, puisqu'elle est une institution créée par, I~ h~mmes et. contr6lée par eux, doivent échapper à. ces pénis 1n1!eren~ aux langages spootanês. Pas d'erreur possible :er ir a,,!-lcuJatlon ct attribution dllDS l'ordre de l'histoire natu­: e?WSque la structure Ile donne daus une visibilité immé­~ 'Pha) s Don plus de glis8ements imaginaires, pas de fausses D• ..a..t.u ermel an.'es ' de v O.l S'mag.es lD congms qm' p1 aC'.e'ral ent un être le sie co!feCtement désigné dans'un espace qui ne scrait pas ayltè 0, PU1~que le caractère est établi BOit par la cohérence du 1Q8,SOlt par l'exactitude de la méthode. La structure et le 1. De.~rles. LeLlre à MeJ'5enne, 20 novelÙl'8 1629 (A. T., 1, p. 76).
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    218 caractère assurent,dans l'histoire naturelle, ]a fenneture théo­rique de ce qui reste ouvert dans le Jnnp:o~e et fuit nllître SI ses frontières ]es projets nt d'arts essentiellement inach~véR mêrn? .la. valeur qui d'.estin~ntive devient !lutom~tique~lIm: 8ppreclallve. la mOnIUlitl qUI par sa quantité crol~IIRnte ou décroisllaDte provuque mais linùte toujours l'oscillRtion des Jlrix, garantissent da us l'ordre des rjche~s68 l'aj1L'ttement de l'attribution et de l'articulation, cillui de]a débignation et de la dérivation. La valeur et les prix assurent la fermeture pratique des St".gments qui demeurent ouverts dam! le langage. La struc­ture pormet à l'bistoire naturelle de se trouver tout desuitedans l'élément d'une combinatoire, et le caractère lui permet d'éta­blir li propos des êtres et de leul'll rCt~scmblnnc('.s une poétique exacte et définitive. La valeur comhine les richesse!! les WU!II avec lcs autres, la monnaie pcrmct leur êcbange réel: Là oÏl l'ordre désordonné du langage implique le rapport continu à 11.0 art et à scs tâche!! infinies, l'ordre de la nature et celui des riche"ses se mani(estent dans l'exi!ltence pure et simple de la structure et du car!lctère, de la vnll!ur et de ]a monnaie. Il faut pourt.ant noter que l'ordre naturel !le fonnule dans une théorie qui vaut comme]a juste lecture d'une série ou d'un wbJeau réd : aussi bien la structure des êtres e!lt-elle à la fois la forme immédiate du visible et son articulation; de même le caractère désigne et Iocalitl8 d'un seul et même mouvement. En revanche, la valeur estimative ne devient. appréciative que pal' Wle transformation; et le rapport initial entre le métal et la marchandise ue devient que peu à peu un prix: sujet à vaMa­' tions. Dans 10 premier OOS, il s'agit d'une superposition exacte de l'attribution el de l'articulation, de la désignation et. de la dérivation; dans j'autre cas, d'un passage qui Ilst lié à la Dature des choses et à l'activité des hommos. Aveo le langage, le système des signes est reçu pn!lsivemcnt en son imperfection et seul un art peut le rectifier: ln théorie du langage est immé­diatement pres cript ive. L'bistoire naturelle instaure d'elle­même pour dé!!igner les êtTes un système de signes et c'es~ pourquoi elle est une théorie. Les ric11esses 90nt des signes cr.u sont produits, multipliés, modifiés par les hommes; la théorHt des riche!SCs est liée de part en part ayec une politique. Cependant. les deux autres côtés du quadrilatère fODd~en.tal demeurent ouverts. Comment peut-il se faire que la déslgllBtl0: (acte sinbrulj~r el ponctuel) ~ermett~ une articulation dil nature, des rlche!llles, des representat.lons? Comment peut- (de (aire d'une façon générale que les deux segments opposés u jugement et. de ]a signification pour le langage, de la strUct;j11l et du caractère pour l'histoire naturelle, de la valeur et es
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    219 • pourla tMorie des riche~ses) se rapportent l'un à l'autre pnx 'orisent ainsi un langage~ un ayltème de la nature e le eL au erDent ininterrompu des richesses? C'est là qu'il faut bien xnOuV sel '1U6 les reI)ré~entation8 se reuemblent entre elles et ::P~llellent Jcs unes les autres dana l'j."!8ginatioll; que les être., naturels SOllt dans un rapport de vOIsInage et de resllem­blance (lue Ics btllioins des hommes se correspondent eL trouvent ~ se ~tisr8ire. L'enchaînement des représentations, lIA nappe IBOS rupturc des êtres, la prolifération de la nature 50nltoujQurs is poUf qu'il Y ait du langage, pour qu'il y ait une histoire :furelle et )lOur qu'il puisse y lAvoir ricbesses et pratique des richllsses: I.e continuum de la nprésentation et de l'être, ulle outologie délinie négativement comme absence de néant, une re)lrê~,mtabilit6 générale de l'être, et l'être manifestA por la prellence de la représentation, - tout ceci fait part.ie de la configuration d'ensumhle de l'lpÙlt.8,ni classique. On pourra reconnBItl'C, dans ce prjncipe du continu, le moment métaphy­siquement fort do la l'OIlSé6 dOl! XVUO et XVIIIe siècles (ce qui permet Il la formc de ln proposition d'avoir un sens effectif, à la structure de s'ordonnor cn caractère, it la valeur des choses de se cnlculol' en prix); tundis que les l'Ilppol'ts entre articulation et attribution, désignation et dérivation (ce qui fonde le juge­ment. d'une part et le sens do l'outrel ]a structure et. le caractère, la valeur ot les prix) définissent pour cette pensée le moment scientifiquement fort (ce qui rend possibles la grammaire,l'his­tuire nuturello, la scienee des richesses). La mise en ordre de l'elDJliricité BC trouve ainsi liée à l'ontologie qui caractérise la pensée classique; celle-ci se trouve en cftet d'entrée de jeu ~ l:intérjeur d'une ontologie rend.ue transparente par le fait que 1 ~tre est donné snns rupture à la repré5entatioll; et. à l'inté­rlour d'.une représentation illuminée par le lait qu'elle délivre le contmu de l'être. QuaD~ à la mutation qui s'est produite vers la fin du X~lIe 8,lècle dans toute l'épidémi occidentale, il est possible des 1D8IDte~an: de la caract€:r.ÎBer .de loin en disant ~'un ~om~nt sCleutJflqucment fort a'est cOllstitué lit où 1'~p~mè e Il!,,lque conllaissait un tempa métaphysiquement fort; e~ : e~ ~V8Ilche. un espace philosophique s'e.'It dêgagê Ill. où le .oi~dIClËe avaIt. établi ses serrures épistémologiques les plull no:.v es. n elTet, l'analyse de la production, comme projet rnent88U de li DOuvelle c 6conomic politique 1 a essentielle­prix. de 1=.: ~on~pts d'organismes et d'organi!lation, les méthodes Daisllim~ DUel~omparée, bref tous les thèmes de la c biologie. lour rû e d'analyser le rapport entre Ja valeur et les exp lqueut comment des Btructures observables sur
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    220 des individu~peuvent val"ir à titre de caractères génêrllux po d~ genres, des famille~, de!! embranchements; enfin pOur u:r fier lc~ di~positi?~~ formelles d'un 18!lgage (s~ capacité il COIIstt tuer de!! proposlt.IOn!!) et le sens qUI appartient à SCB mots la « phi~ologie» êt~diera non plus les fonctions repréRentali~C:9 du dl.SCOurS, maIS, un, ensem~le d~ cO~!ltnn~es m,orphologiques soumIses à ulle histone. PhilologIe, bIOlogIe et economie prJJj. tique ~e constituent lion pas 11 la place de la Grammaire génërak de l'Iluloire naturelle et. de l'ATlafyse du ric/res,'08, mais 1/: où ces savoirs n'exilltaient pns, dans l'espace qu'ils lai~Sllielit blanc, dans la profondeur du sillon qui séparait lcul'!l grands segments théoriques et que l'emplissait ]a rumeur du continu ontologique. L'objet du savoir au Xlxe siècle se {orme là même où vient. de Be taire la plénitude classique de l'~tre. Invorsernent, un espace philosophique nouveou va se libérer là où se défont lel! objets du savoir classique. Le moment de l'attribution (comme forme du jugement) et celui de l'articu­lation (comme découpe gén6mle des êtres) se séparent, faisant Battre le problème des rapports entre une Bpophantique et nne ontologieio1'l1'lelles; le moment de ln désignation primitive et celui de la dérivation à travers le temps se séparent, ouvrant un espace où se pose la question des rapports entre Jo sens originaire et l'histoire, Ainsi se trouvent mises en place les dcux grandes formes de la réflexion philosopbique moderne, L'une interroge les rapports entre la logique et l'ontologie; eUe procède par les chemins de la formalisatiQu et rencontre sous un nouvel aspect le problème de la malhesis. L'autre interroge les rapports de la signification et du temps; elle entreprend un dévoilement qui n'est et. ne sera sanl,! doute jamais achevé, et elle remet BU jOllr les thèmes ot. les méthodes de l'in~rpré­fation. Sans doute 10 qUOlition la plus rondamen~al6 qui puis5e alors sc poser fi 10 philosophie conceme-t-eIJe le rapport entre CCR deux {ormes de réRexion. Certes, il n'appartient pas à l'ar­chéologie de dire si ce rapport est pos,clible ni comment il peut Be fonrier; mai..'! elle peut désigner III région où il cherclle à ~e nouer, en quel lieu de l'épi3témè la philosophie moderne essate de trouver son unité, en quel point du savoir e11e découvre son domaine le plus large: ce lieu, c'est celui où le rortll~l (de l'apophantique et de l'ontologie) rejoindrait le signifi'!lltlf yI qu'il s'éclaire dans l'interprétation, Le pl?bli:me cssentlOl de 8 pensée classique se logeait dans les rapports entre le ~m et l'ordre: découvrir une nomenclature qui (lt une ta%ÎnomLe, ou enco~e i,nstauror un système de signes qui ltU tr:llI.~parcnt à 1~ contmulté de l'être. Ce quo la ponree moderne va mettre {on damentalement en question, c'est le 1'8pport du sens arec
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    JJ.cllfmgt'r 221 lede ln vérité et la COrIDe d~ l'êt.re : au ciel d.e Dotre ln fof'!l è c un di~r.ollrs - un discours peut-être loaccea­~ 11f!l(lOIl, url" ~n,it d'un seul tenant. une ontologie et une séman­Il. Ib e - Lqe structuïdh"llme. n e st pas une me•t . h0 Il e nouveI le ," 1'1 UfJu1e . onL'cÏence e'vie lcle 'et" m·'lU·lo ...... d11 sa v'oUI' mol e rDe. e.t 1 C VitI. LI:: D'srn F:T LA REI'RÉSENT"'TION L1ltl hommes du XVIIe et du XVIIIe siècle ne peM6n~ pB~ la riçhc,,-~e lu nature ou les langlles avec 00 que Jeur avait Ja18sé les ii~('.s·'précédents et dans la lign.e d~ ce qll.i a)J8.i~ Atre bient.Ôt Ut!cOllvert; ils les pensent à partir dune dlspnsltton géné""l~ qui ne leur prescrit pas seulem~!lt ,:onef1lt8 et !'létbodes ~alli qui tlus fondamcntlllelDent, definlt un certAIn mode d "tre pm:r e lungllge, lm; ùldividus de la nature, les objets du be80in et du dtlllir; cê mode d'être, c'est celui de la représentation. Dès lors tnut un sol commun arparait, Otl l'hÏ!toire des scifmces figure comme Wl elTet de Burfut:e. Ce qui ne veut pas dire qu'on pflUt. la laÎs86r d('$omlais de côté; mais qu'une réflexion sur l'historique d'Wl savoir ne 'peut plus se contenter de suiv,"" à travers la Buite des temps la filière des connaissances; celle~-ci eu elIet, lie sont pas des phénomènes d'héréùité et. de tradition; et on ne dit pas ce qui les a rendues possibles en énonçant ce qui était connu avant elles, eL ce qu'eUes ont, comme on dit, • 8p(lOrlé de nlluveau Il. L'hi,;l.oire du savoir DO peut être Caite qu'à }llrtir ùe ce qui lui a été contemporain, et non paB certes e!l termes d'iullutlllce réciproque, mois en termes de condi­t! OnR et d'~priori constitUÔll dans Je temps. C'est en ce sons que 1 :ir~lll'ologte peut rendre compte de l'e.. r :i.t!ence d'une grnmmaire geï~~lcJ d·.Wl~ histoire naturelle et d'une analyse desrichc~scsJ et Ibercr ~lllS1 un espace sllns fissure où l'histoire des sciences, celle ùes Idées et des opinions poutTont prendre si elles le vculent, leurs ébats' , . Si les analyse:' d~ la rep~_qentation, du langage, des ordres ~~1jrt!l.s ct des rlc~cssC~ sont parfa!tement ~hé~"!ltes et homo­C. tti entre elIcs, Il eXIste toutefoIS un désequlhbre profond. gn~: Jue .Ia ~erréscntation commande le mode d'être du lan-ly s-c 'd fi el.a'l indiV. idus. d.e la nature et du hesom lui-même. L'ana les d • represcntnbon a doue valtmr déterminante pour tom. toute°m~lnes empiriques. 'fout le système classique de l'ordre, pDr le ce te ~ndc taxinomia qui permet de connattre les chm.es système de leurs identités 80 déploie dans l'espace ou .. art
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    c6rémonie 8U pluljuste (il appelle les cboses par leur nom IItriCL. défaisant. ainsi tout.l'tlllpace rbëtorique) et il rallonge il l'infllli (en nommant tout, et eans oublier la moindre des possibilités, car elles 80nt toutes parcourues selon 11 Caractéristique Uqj_ versel1e du D6sir). Sade parvient au bout du discol1l'8 et de la penslle classiques. Il règne exactement à leU!' Iimit.e. A partir de lui, la vio1ence, la vie et. la mort., le désir, la 8exualit6 Vont étendre, nu-dessous de la représentation, Wle immense nappe d'ombre que nous eRsayons maint.enant de reprendre commo nOll9 pouvons, en notre, discours, en notre liberté, en 'notre penllée, Mais notre pensée ost. si courte, notre liberté sisollmi!le notre discours si reS!laS98nt qu'il faut biell noulS rendre compt~ qu'au fond, cette ombre d'ell dessous, c'est la mer lA hoire. Let prospérités de JulÜllte sont. toujours plus solitaires. Et elIes a.'ont pas de terme.
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    XVII' XVIIl' IllcIeJ. XIX' &lêcll Il Il ............ II. No. hIoir.-'o IoRo ...............
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    222 Lu matiet le, cha,~ lll'inlérieur de soi par la représentation quand elle se représente elle-même: l'être et le m6me y ont leur lieu. Le langllge n' t que la reprllsentation des motsi Ja nature n'cst que la re rêse~ talion des êtresi Je besoin n'est que la représentation du hC!4)in: La f~n de la pensê~ cJas,sique - ~t d~ cette épi..ttimè qui a rendu possibles grammaire gnn{!ralf'., histOire naturelle et 8citmr.o dus richesses - coïncidera avec le retrllit de la représentation 011 .plutôt avec J'affranchissement, à l'égard de la repré&entntÎon, du Jan~Rge, du vivant et du besoin. L'eRprit obscur rna.i!l ent"té d'un peuple qui parle, la violence et l'elTort inCt:sliant de la vie, ]a force sourde <les be~oins échapperont au mode d'âln.: de la représentation. Et celle-ci !ieta doublée, limitée, bord~e mystifiée peut-être, régie en tout cas de l'extérieur par l'énoMIl~ poussée d'uno liberté, ou d'un désir, ou d'une volontû <Jlli !tl donneront comme l'envers métaphysique de la COIISClence. Quelque cbose COmme un vouloir ou une fOret! va surgir dans l'expérience moderne, -la consLituant'peut-être, signalallt en tout cas que l'âge,c1assique vient de se terllliuer et. aVllc lui le règne du discours représllntatif, la dynalllie d'une reprÔtlenta­tion se signifiant ell~lIIêlJl6 et énonçant dans la Buite de Set! mots l'ordre dormant des cholles. Ce renvo1'5llJnont, il est oont.emporain de Sade. Ou plutat. cetto oeuvre inlussable manifesta le prilcaire é'Iuilibre entre la loi Buns Joi du désir et l'ordonnance métiouleuse d'une repré­sentation disoursive. L'ordre du discours y trouve sa Limite et 88 Loi; mais il a encore la force de demeurel' c06xistensif à cela même qui le régit. Là Sflns doute est le principe de CI! • libertinage » qui fut le dernier du monde occidental (après lUi cornmcnr.e l'âge de ]a (lcxunlité) : ]e lihel'tin, c'est celui qui, eu obéis.'lant il toutes les fantai~ies du dé!lir et à chacune de sel fureurs, peut mais doit aussi en éclairer]e moindre mouvement par une représentation lucide et volontairement mise en oeu':re. n y a un ordre striot. de la vie libertine: toute représent.:t~~n ~O!t s'~lIimer aussitôt dans le c,orps vivan~ du désir, t!lut de~L dOIt. s'enoucer dans la pure luuuère d'un dl:;COUrs reprC5on~a~1 De là cette succession rigide de III scènes B (la 8cène, chez ~a 8, c'est Je dérèglement. ordonné à la représentation) et, à .lant rieur des scènes, l'équilibre soigneux entre la combinatOln: es COl'ps et.l'slIchtlincment des l"ùisons. Peut-êt.re JUStilUl et JI/lulla, li. la naissance de ln cu1t1J1'8 moderne. sont-elles daus ln mèm." position que Don Q,,,i,chotte entre 13 Ren8i!l~auce et le c1assl; cisme. Le héros de Ccrvan~!I,.1isant les ~JlPorts.du. monde er du langnge comme on le fal~8tt 8U XVIe sli!cle, ùi:lchitTnlnt. ~ le seul jeu de la re!lSemblance des châtcoux dans les auber 18 et des dames dans les filles de fenne, s'emprisonnait slUll
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    223 • lemode de la pure représentation; mais puisque IBVoir dll:entation n'avnit pour loi que la similitude, elle n8 cetl~ ~~aJlquer d'apparp.ttre sous la fOnDe d~jlloire du dlll~ poUV1l 10 lIeeondo partie du roman, Don QUichotte recevait Or, OliM ode représenté SR vérité et sa loij il n'avait plus qu'Il de ce JI1° de ce livre 0"1 il était né, ou'il n'avait. pas lu maill atUlIIOre d -, - • 1 •• . d' • dont il devait suivre le cour;;, un ~stlD qw If etait. esOmlall1 • r, nBr les aut.res. Il lUi sullisalt de S8 lall1er VIvre en un unl~t: r' •• li' • f li d 1 h'tesu où lui-même, qUI avnlt p netre J'ar la 0 e anl e c a do de la pure représentation, devenait bnalement pur et m'mnnp le personnage dans l' artl·6 c e d' une repre, sentatl.o n. Le 8 81,.rsollllllg4'.11 de Sude lui répondent il l'autre bout de l'âge cla .. r~e c'est-à-dire au moment. du déclin. Ce n'est plus le triomphe ironique de la repr,étlentat!o!' 8U~ I~ rellsemblancej. C'!lIt l'obs­curu violence répêl~ du deslr qUI Vlopt battre les IlJwtes ~e la repré~p.ntalion. J/.4Iitme co~re!!Jl0ndr~lt b. la ~econde partul de Don Quit:hnue; elle est objet mdéfim du désll' dont elle est la pure origine, comme Don QuiClhotte est mnlgré lui l'objet de la repré;!entntioll qu'il est lui-même en son être lIrofond. En Jus­tine, Je doeir et la reprl!sentation ne commumquent que par la pré.~8nce d'un Autre qui se représente l'héroine comme objet. de désir, cependant qu'ene-même ne connalt du désir que la forme légère, lointaine, extérieure et glacée de la repré."entation. Tel est. sun malhelI' : son innocence demeure toUjours en tieN ontre le dé8ir et la représentation. Juliette, elle, n'est rien de plus que le sujet de tous les désirs possibles; mais cee désira IOnt repris sans ré15idu dans la représentation qui les fonde raiMnnablement en dÎ$cour. et les transforme volontairement en 3t:è~ •• De sorte que le grand récit de la vie de Juliette dêploie, tout. au long des désirs, des violences, des sauvageries et de lu mort, le ~b!eau 5~int.iUant de la représentation. Mais Cf'J tu~I~81J est SI mlDee, lU transparent li. toutes les figures du désll' ~Ul mlo8~hlemellt s'accumulent en lui et se multiplient par rft seule ~orce de leur combinatoire qu'il est aussi déraisonnable 6 cel~l de Don Quichotte, quand de similitude en similitude j. croyait ~vRncer à travers le8 chemins mixtes du monde et des lVres,.mals s'enfonçait dans le labyrinthe de ses propres repré-lIf!~ t8t'OIIS. Julietl<l exténue cette épaisseur du représenté pour ~or d'meuri] sans le moindre défaut, ]a moindre réticeuce, ]e En re ':'01 e, toutes Ics possibilités du désir. Dun QI~h ce ~cil ~ferme l'Age classique sur lui-même, comme I.nga t'te oU~ l aV81t ouvert. Et s'il est vrai qu'il est le demier ~t lel!:ci en~re .contempo1'8in de Rousseau et de Racine, l'il ~ire denuer dlsCQurs qui entreprend de • représentel'., c'est· e n01llmer, vu sait bien que tout à la fois il réduit cette
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    Ca.A.PITRB VII Leslimite! de la reprûenI6tÏon. 1. L'AGE DB L'aISTOIRB Les dernières années du xvm8 siècle sont rompues par une discontinuité symét.rique de ceUe qui avait. brÏié, au début. du XVII". la pensée de la ~enai5s~n~~; alor~~ le.s gru,!-des û.gures cinlulaires où s'enfermalt la similit.ude s etaient disloquees et ouvertes pour que le tableau des identités puisse 611 déployer; et ce tableau maintenant va se défaire à son tour, le savoir 80 logeant. daus un espace nouveau. DisconLiuuitit aussi énigma­tique daus 80n principe, dans son primiLif déchirement que celle qui sépare les cerclOII de Paracelse de l'ordre cnl'lésien. D'où vient bl11squement ceLLe mobilité inattendue des 'dispositions ~piSlém()logiquC$. la dérive des positivités les unes par rapport aux aut.res, plus profondément encore l'altération de leur mode d·Ot.re? Comment 110 fait-iL que la penséo se détache de ces plag08 qu'elle habitait jadis - grommnire générale, histoire Da!-m'eUe, richesses - et qu'elle laisse basculer dans l'erreur, la c:himère, dans le non-savoIr cela même qui, moins de vingt ans .up~vnnt, était posé et affirmé dans l'espace lumineux de la eonnal;8!11lDCe~ A quel événement ou à quelle loi obéissent. ces :ÙU~tlOns qw font que soudain les choses ne sont plus perçues, fa altes, énoncées, caractérisées, classées et sues de la même çon, et. que dans l'interstice des mots ou sous leur trampa­rre~ ce., ce ne sout plus les richesses, les êtres vivants, le discours s olfrent BU savoir, mais des êtres radicalement düIérents? l.our Uue archéologie du savoir, cette ouverture profonde dans le~npr des continuités, si elle doit être analysée, ct minutieu­par~ n , D~ peut être 1 expliquée" ni même recueillie en une -ur te Uwque. Elle est un événement radical qui S8 répartit à pa:ite l!l surlacQ visible du savoir et dont on peut suivre pas es Signes, les secouues, les effets. Seule la pensée se res-
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    230 saisissant. cllc-mêmeil Ja racine de son histoire pourrilit 10 1 son6 uucun doute, ce qu'a éLé co ellc-même 10 v6riti: tioli~' ~I', de cel. uvéllement. a .. , L'nrchéologic, eUc, doit parcourir J'événement. selon sa di~ ,ition Ulaniftl~t~j. e~lo dira COJWI~C~~l les conligurlltiows )lrlIÎ,lr:»­à chnque l'0tilllvite se sont. 1IL0dlliees (pllr exclllpt!! elle ulnl ~ scm, l'OUf la grummuirc, l'cffaccment. du l'ole nmjt:ltr prèt.6 ;r­nom, ct.l'i.rDl'C!rluJLce nouvcl~e ùus systèmes de flexion; ou I!IH:(~IJ la 9ubOl'dulIltlon, d~ns le Vivan", dLl caractère à la rUIICliflU)! elle anulysera l'altération des ètres em(liriquc~ qui peul,I~IIL It~ positivités (la 8L1bstilution des lungues au discours, Ùl) hl pro­duction aux richoslics)j clle étudiera le déplacement do.:,; posi­tivités les unus pnr l'apport ume: nut.reli ()Jur exemple, lu l'I!lali~Q nouvelle entre ln biologie, les science::; du luogag., o.:t l'~colllJllli'!l. eofin et surtout, elle moutrera que l'espaeu gc;ll':rol du ... ~,'Jl; u'est plus cdui des iJuntiLés ct des clifrüruuclIs, ct:!ui des IJrdrtlli non qUHutitlltifil, celui d'uoe caractérisation universelle, d'une ta:tinomia générale, d'wle m",llesis du non-mesul"'clble, mai. UII espace (ait d'organisations, c'est-à-dire da rapports inter .. !:. entre des élément.s dontl'ensemble assure une fonctiou; el1ell100.. t1'era que ces orgllnuations sout discontinues, qu'ullesDe forIllent dono pus un tat.leau de simultanéités sans rupturus, mais que certaines SODt de même niveau tandis que d'autres tracent des séries ou des suites linéaires. De sorte qu'on voit !1Ifl,oir, comme priucipea organisoteu1'8 de cet espace d'lImpiridld, l'Analogill et la Succu&i.on : d'ulle organisation à l':lIIlre IG lien, en cfFet, ne peut plus être l'identité d'un ou plusieur~ éI~­menta, mois l'identité du rapport entre les ëlémentt; (où la viii­bilité n'a plus do l'ôle) et de la fonction qu'Us a~surcnt; de 1,lus, l'il arrive à ces org-olnintions de voisilJer, par l'cf Tet d'uDe don" sité singulièrement gruude d'anulogies, ce n'cst pUI qu'eI}es occupent des emplacements proches duos un espace dIS c:ltlSIÛ· ca tiOlI , c'est parce qu'eUes ont été formél.'s rUile en môme ~el/lp' que l'autre, ct l'une aUSllitôt après l'uutre tians le devemr t.ld lIuccession!. Alors quo dausla pensée clnssiq ue, la suite des chr(/" nologies ne faisait quo purcuurir re~pnce préalable et plus rï"­damental d'un tableau qui en IJrésentoit à l'"vancu lO'!ttlll t cS p09sibiJil.és, désormai8 le8 ressemblances uonlcmpurume5 obsorvubles .imultanément dans l'esp~ce ne. seront IJU~, ~ formes déposées et fixées d'une lucces:1Jon qUI procède d lin:: logie en analogie. L'ordre classique distribuait en. w~ e:!)Ju~i p~rm8!,ent les i~eo~ité!l et le6 djlIéren.ce~ non quantlt.a~IVe; ~i' sepnrment et UDJSll8lcnt les ohoses: c'etalt cct unIre qUI ;"lléi. souverainement, maÎl chaque fois selon des formes eL ~lt:Ia légèrement différentes, sur le discours des hommes, le ta
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    Les limiles tÙl6 r/lprtfsernatwn 231 tres naturels et 1'6change des richesse!!' A partir du des è. è 1 l'Histoire va déployer dans tlne série temporelle les :lU". 81, C a'ui rapprochent les UDes des autres los orgunisations .~RJ,OglleS qc'C!t. celte Histoire qui, progressivement, imposera. dl9tllD~ eàs'l'II[JIll~Se de la proùuction, à celle des,6tres orgaui-aClI O..I S Ile en n des groUpllti lU' Igu,ls.tlq ues. L'IIIsl"ol·r1e .cw-nne ,,f,s' .. .,c eo rrranÎsstlO. Ds anal og'lq ues. tout COIlIlIlC 1'0n-1u-e ouvrai' t IclU_ 1a uIn.'I.D.. "d es ideutl' tés et d os ditIc' rences .!UCce88W' 8IJ, le lCit leis on voit bieD qu' H'I stOl"f O n est pas à cntend ro 'II J,l comme le r:cucil des successions d~ lait, !.elles qu'elles ont ~~ ~~re (''ODstitu6c sj c'est le, llIode d être f!-md~mentRI. des e,mpIrlCltes, il partir de quoI eUes Bont allirlnees, posees, dl~poséu8 et rcéep Arties dans l'espace du sav'oir pour d" even t ne1 1 es connai' s-lanCOS et pour des IIcieuces possibles. Tout comme rOrdrednns 18 p6~ée classique n'ét~it pn~ l'harDionie vis~l~ des choses, leur ajustement, leur regul81'Ité ou leur &ymetne constnté.~, muis l'espaoe propre de lellr être et ce qui, avant toute conMis­lumceeIJectivc, let! établissait dans le savoir, dt: même l'Histoire, il partir du X1X8 8iècle, définit le lieu d., DaÎli1!&llCe de ce qui est ewpirique, ce en quoi, en deçà de toute chronologie établie, il prend l'être qui lui est propre, C'est pour cela sans doute que l'Histoire, si t.ôt, s'est partagée, selon UDe équivoque qu'il n'est sans douta pas possiblt: de maîtriser, entre unu scieuce eUlpi­riqlle des événements et ce mode d'être rddical qui prescrit leur destin la tous les êtres empiriquC.'l, et la COli êtres singuliers quu nou~ BOlWDetI. L'Histoire, on 10 sait, c'est. bien la plage la plus érudite, la plus avertie, la plus év6ÏlIée, la lJlus eDl:ow­brée peut-être de notre mémoire; mais c'est él1alelllent le fund d'où tuu51C11 elres viennent à leur existence et"à leur sein­tillt! ment précaire. Mode d'être de tout ce qui nous est donné' daD!! l'expérience, l'llistoire est ainsi devenue l'incontournable ~e n?tre pensée: en quoi sans doute elle n'est pas si différente e l,Ordre classique. Lui aUlIsi,on pouvait l'établir dans un ~volr concerté, mllÏB il était. plus fondamentalement l'C.'l~aoo 011 t?lJt être vellait à la connaissance' et la métaphYSique 1,~:'llle de logeait précisément en ceU~ distance de· J'ordre il 1 Nre, es classenltlnts à l'Ideutité, des êtres naturels il ~ aturej ~ref de la perception (Ota de l'imagination) des 10' mth:s à 1 cntel!dement et li. la volonté de Dieu, La phi­rH~ P I~ au XIx!! SIècle se logera dans la dist.ance de l'histoire à décIh!ilrleo lre' ddes é ve-neme nt s à 1'0r l.g,w e, d e 1" evol tab' on au preuu, er plus M~:n~ e,Iasource, de l'oubli au Retour, Elle ne serad?l1c et. nêces fi ySlque que dans la mesure où eUe sera Mémolfll, savoir cesa.areme,nt elle reconduira la pensêe il la question de que c est pour la pensée d'avoir une histoire. Cette
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    232 que~tion inlusliahlementpressera la philosophio de He 1 NietzscJle et "u-delà. N'y voyons pal la fin d'Ulle rétlgc .• philosophique autonome, trop matinale et trop fièro poQXJOI1 poocher, exclusivement, sur ce qui fut dit avant eUe e':: 80 d'autresj n'en prenons pas prétexte pOUl' dénoncer une p,,~ impuissante à se tenir toute seule debout, et toujours contrai 3~ li. s'enrouler SUl' une pensée déjà accomplie. Qu'il 8Um~e nd Il recon.naître là. une philosophie, déprise d'une CtlftuÏne mélue physique parce que dégagée de l'espace de l'ordre, Inais VOUQ - au Temps, lA lion flux, à ses retours parce que prise dans le blOO: d'être de l'Hiltoire. Mais il faut l'evenÏl' avec un peu plus de détail SUI' ce qui s'ost pass'; au tOlU'nant du xvme et du XIX' siècle: lUI' cette muta. tion trop rapidement dll8siuée de l'Ordre à l'Histoire, ct sur l'altératIOn fondamentale de ces pusitivitiss qui, pendant près d'un siècle ~t demi, avaient dOIUlé lieu il tant de suvoirs vOIsina - nnalyse des rcprÎll;entationll, grammaire générule, histoire nalurelle, réflexiuns aur les richesses et le commerce. Cornment ces manières d'ordonn6l' l'empiricilé que furent le discours, le IlIbleau, les échangea, ont.-eUes été elJaeUes? Eo quel autro espace et selon <}.uelles figures les mots, los ntrtlB, les objeLs du besoin ont-ils pris pInce et Be sont-ils distribués les uni par rapport aux autres? Quel nouvenu mode d'âtre ont-ils dft recevoir pour que tous ces changements aient été possibles et pour que soient apparus, au terme de quelques années il peine, ces savoil'!! maintenant familiers que nous oppelons depuis le XIXe si~ultl pl,ilulugie, biologie, économie poltllqueJ Nous nous imuginoOli vuluutiel'lS que si CilS nouveaux domaines ont été définis au 8i~çle dernier, c'est qu'un peu plus d'objectivité dons ln connnÏli­san~ e, d'cxacLitude dans l'observation, de rigueur dans le rdi· SOliDement, d'organisation dans la recherche et l'informal.Ïon ScitlnLifique, - tout cela aidé, avec un peu de chance ou ~e génio, par quelques découvertes heureuses, nous a lait t>orl1r d'un âge préllistodque où le savoir halbutiait encore avec la Gmmmair6 d/J Purt-Rayal, 1MB clu5sificalioU5 de Linné et les théories du commerce ou de l'agriculture. Mais si, du !JoiDt de vue de III rationalité dlls coDnaisijances, 011 peut bien Ilfl~ler ~e préhistoire, pour los vositivités, 00 oe peut parler que d'histOire tout court. Et il a bien fallu un événement fondamental- u.n des plus radicaux sans dout.a qui soit arrivé à la cultura OCCI­dentale pour que se dMssse la potlith'ité du savoir classi([Ue, et que se constitue une positivité dont DOUS ne somwes sans duute pas entièrement sortis. • Cet événement, SBns doute paree que nous sommes prIS encore dans son ouverture, nous échappe pOUl' Wle grande part.
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    233 ~eur lescouches proroodes qu'il a atteintes, toutes 1. Son. ~"!réa q~'i1 a pu bouleverser et recomposer, la puissanoe PU,.La~ine qui lui a permis de traverser, et en quelques aDoées lou1ve ent l'espllce entier de oolre culture, tout ceci ne Dourrait ,eU elU, ., d' ê .. , I!-• -at.I'mb et m611ure qu au terme une enqu te quasI lDlwle 6tr'e n -e concernenu"t ni lp u"s m m01l1ll que l'ê tre m"... me d Il ootre qu~ernité, La coDlititution de tant de sciences positives, l"appa­JJ. I.: n dB III littérature, le repli de la philosophie sur son propre "d e.v.0 e nir, l'r.mex;gence d ~ l'h'J ~~O,~ ! à 1a fO'IS ~omme 8aVO,! r et comme mode d êLre de 1 e!l'plrlol~e, oe ,Ioot qu,autant de sagtl4!B d'ulle rupture proronde, Signes disperses dans 1 espace du AVOir plli~qu'ill se loissent apercevoir dans la formation ici d'une philo­Iv~ ie là d'une économie politique, III encore d'une biologie. Dis­pt) rsi~D aussi daos la chronologie: certel, l'ensemble du phéno­mène le situe eotre dei dates aisément. allSignables (les pBÏnts ~xuêmes 80nt les aDnées 1775 et 1825); mais 00 peut recon­naitre, en chacUII des domaines étudiés, deux phases sucee&­sivl! i qui s'orticulent l'une sur l'aut.ro II peu près autour des .oies 1795-1800. Dans la première de ces phases, le mode d'être fondamental des positivités ne change pal!;learichessesdes hommes, les espèces de la oature, les mots dont.leslaogues lon peuplées demeurent encore ce qu'ila étaient li. l'Age classique: des représentat.ions redoublées, - des représentatioDs dont le rôle est. de désigner dos représentations, de les aoolYller, de 1 .. composer et de les décomposer pour 'ai1"8 sur~ir en elles, avec le système de leun identités et de leurs dilférences. le principe général d'un ordre. C'est dans la secondo phale seule­ment. que les mots, les classes et les richesses acquerront. un mode ~'être 'lui n'est plus oompatible avec celui de la repré- 8t:nlatlon. Eo revanche ce qui se modi6e très tat, dès les ana- 1r.ses d'Adam Smith, d'A.-L. de Jussieu ou de Vicq d'Azyr, à l,epoque de :1~~el ou d'Anquetil-Duperron, c'est la configura­: IO~ ~es pOSIt.IVltés : la manière dont, li l'intérieuJ' de chacune, es eJements ~pré&entatirs fonctionnent les uns par J'apport aux d?tr~, dO!IL I1s assurent leur double rOle de désignation et. soartlcul~lJo~ ùont ils pumennent., par le jeu. des comparai­êt nd~ ,A etaLhr un ordre. C'est cette première phase qw sera U lee dans le présent chapitre. 11. J.~ MESURB DU TR"'V~IL ti~~ ~s'de volontierl qu'Adam Smith a fondé l'économie poli- 10 erne - on pourrait dire l'économie tout courL - en
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    23~ introduisant daDlun domaiJle de réflexion qui ne le connai . pas encore le concept de travail: du coup toutes Jes ,/:"It analyses de la monnaie, du commerce et de l'êchange our:! el été renvoyées il un âge préhistorique du savoir, _ à 1" ~e~t exception peut-être de la Physiocratie Il gui on fait mérite d'avoir tenté au moins l'analyse de III production agricole, n est vrai qu'Adam Smith rê(ilre d'entrée de jeu la notion d richesse à celle do tl'avaU : .1.. 0 travail onnuel d'une nation ,.s~ le fonds primitif qui fournit il la consommation annuelle lOllt~ les choses néceSl!aires et commodes il la viei et cos chose~ Sont toujours ou le produit imm~.diat de ce travail ou achetées dt'll autres nations avec ce produit 1 Ij il est aussi vrai que Srnith rapporte la • valeur en usage Il des choses au besoin dcs hornrnoe et ]0 Il v~leur en échange 1 il la quantité de travail applirruêe , le prndll11'e : c La valeur d'une denrée quelconque pour celui qui la po~sède et qui n'entend pas en user ou la consommer lui­même, mais qui a l'intention de l'échanger pour autro chose est éj:(ale à ]a quantité de travail que cette denrée le met en état d'acheter ou de commander 1. » En lait la différence ent.re let analyses de Smith et celles de Turgot ou de CantiUon est moitlB grande qu'on ne croit; ou plutôt eUe ne réside pas III où on l'imagine. Depuis Caotillon, et avant lui déjà on distinguait parfaitement la valeur d'usage et la valeur d'éehangej depuis Canl..iUoo également on se servait de ]0 quantité de travail JlOur mesurer cotte derniorc. Mais la quantité de tm.vail inscrite dans 10 prix des chose.o; n'était rien de plus qu'un instrument de mesure, li ln fois relatif et réductible. Le travail d'un homme en effet, valait la qu.ontité de nourriture qui était nér.essaire,à lui ct il sa famille, pour les entretenir pendant le tcmp~ que durait l'ouvrages. S1 hi en qu'en de1'Dière instance, le besoin­la nourriture, le vêtement, l'hahit.ation -c!Minissait la mesure absolue du prix de marché. Tout au long de l'âge c1IlSllique, c'est le besoin qui mesure les équivalences, la valeur d'us!l~e qui sert de référence absolue aux valeu1'8 d'échange; c'-;~t la nourriture qui jauge les prix, donnant. à la production agricole, au blé et à la terre, Je },rivilège que tous leur ont reconnu. Adam Smith n'a donc pas inventé le travail comme concept économique, pUlllqu'on le trouve déjà chez Cantillon, chez Ques­nay, cllez Condillac; il ne lui fait même pas jouer 110 rôle ïOu-veau, car il s'en sert lui aussi comme mo.'I11r8 de la VB 6ur 1. A. Smith, Ruhtrche. 'ur la rich_ de. nulioM (trad. fr8n~nisp, Pari', 1843), p. 1. 2. Id., IbId •• p. 38. 3. GRDUUon, Bilai 'rU' le commeru en ft_al, p. 17-18
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    1~.s lirnitu dela reprlstlntatioh 235 , 1 Le trllvoil est la mesure rêelle do Id valeur 6cbllD­d'éc~ 8n~e 'toute marchandise 1,1& Mais il h. d6place : il lui geab ~e "toujours la fonction d'an~lyse deb richesses 6~han­c: oll6C ,cette analyse cepenùant n est I!lub un pur et aunple ~l,blcst pour ramener l'échange au beSOin (et le commerce au JDO~~Uurill1iti{ du troc); elle déc()uvre une unité de mes!ll'e irré-dge, 'bVIe, indépassable et absolue, Dt.. coup, 100 rlohesses 'uéetUub liront plus l'ord r,e 'm lerne de 1e u!", équ'lV 8 1c o!*, ~ar D omnnraition de.'; objets à échange., n1 pal' une estImatIOn du ne c ouv,,o,.i r propre à ch acun de te·pr'es entcr un 0 bJ' et de bu, Jn' (et en dernier recours le plul> fondamental de tous, la ~Ol 1 1 " d '1 M'turc)' elles se décomposeront se on es unites e naval nio lesu Orll,t réellement pro dUl't ~8. L es n.e h e sses sont touJ' ours ~~ élêments repr<:sentaûls qui lonctionnent : mais ce qu'ils revri~cnttmt fina,lcm(mt, ce n'est plUill'objet du dësir, c'est le travail. Mais aUlisitôt dcux objOOlilJDS Be .présentent : comment le travail peut-il être mes~re fixe du 'pfiX nat~el des choses alors que lui·Jllêm~ a un prIx -:- el, qUl esl vanable? Co~meot .Ie travail peul-Il être une umtâ mdêpassuble, alors qu 11 change de romle et que le progrb. dt'.5 manufactures le rend sans cesse plus productif en le divisant toujours davantage? Or, c'eat Justement à travers CCli objections et comme ~ar leur tru­cLeDlenl qu'on peut m"Ure au jour l'irréductibilité du travail et 80n car~ctère premier. Il y 8, en effet, dans le monde des çoutrées et dans une lIlème contrée des moments où Je travail e~t cher: les ouvrierll sont peu nombreux, les salaires élevés; .ilIClU'S ou en d'autres moments, la main-d'oeuvre abonde, on la rétribue mal, le tr~vail esl à bon marché. ~[ais ce qui 88 modifie dans ces alternances, c'est la quantité de nourrituTe qu'on peut se prOCUft,:r avec UIle journée de travail; s'il y a peu de d.enrées, et. beaucoup de consommateur8, chaque unité de t~8vrlll ne sera récompensée que par une faible quantité de aubRlstancc; elle s~ra en revanche hien payée Bi IIlI denrées 8e U;(J1Jve~t en. abondanctl. Ce ne sont là que 165 collSéqusnces dune sltua,llon de mllrché; le t1'8vaillui·même, les heures pas­liées, la ~elUe et la fatigue sont de toute façon les mêmes; et. plus Il faudra dl. ces unités, plus les produits seront co{­teux, 1 L~s q~aDt.ilés é~8les de travail sont toujours êgales POu.r celUi qUI tr"dvaille t, JI ':1 pourtant on pOll1'rait dire que cette unité n'est pas fixe PUltique pOur produire un seul et même objet, il faudra, selon i ~:J~'~dmill" Rt~htrcha lur la rjclru" du nafioru, p. 38, ., t"" ., Pl 4!!.
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    236 )a perfectiondes mflnufacturea (a'est-à-dire lelon la diviai du travail qu'on a inst.aurée), un labeur plus ou moins lonl)[l Mais il dire vrai, ce D'est paB le travail en lui-même ai g. changé; c'est le rapport. du travail il la production dont ~ IUHceptible. Le travail, entendu comme journée, peine et fatigue, est un Dumêrateur fixe : seul le dénominateur (1 nombre d'objets produits) est capable de variations. Un OUVl"i; Cl.ui aurait il faire il lui tout seul les dix·huit opéra tions dis. tmotes que nécessite la fabrication d'une épingle D'en produi­r~ it B0!ls doute po.s l'lys d'Ul~e vin~ai~e da.ns tout le coura d une Journée. MaiS diX' ouvriers qUI n aurausnt à accomplir" chacun qu'une ou deux opérations pourraient. faire entre eux plus de quarante·huit milliers d'épingles dans une journée' donc chaque ouvrier faisant une dixième partie de ce produit peut être considéré comme fai8aDt d8.Dli sa journée quatre mille huit cents épingles 1. La puissance productrice du travail a été multipliée; dans une même unité (la journée d'un salarié), les objets fabriqués lie sont. accrus; leur valeur d'échange va donc baisser, c'est-à-dire que chacun d'entre eux ne pourra à 80n tour acheter qu'une quantité de travail proportionnellement moindre. Le trayail n'a pas diminué pal' rapport aux chos8S; ce sont les choses qui se sont comme rétrécies par rapport Il l'unité de travail. Il est. vrai on échange parce qu'on a des besoins; saOI eux, le commerce n'existernit pos, ni non plus ]e travail, ni surtout cette division 'lui le rend plus productif. Inversement, ce sont les besoins, quand ils sont satisfaits, qui bornent. le travail et. son )'lerfectionnement : 1 Puisque c'est la faculté d'échanger qui donne lieu à )a divi!lion du travail, l'accroissement de cette division doit par conséquent toujours être limité par l'tHe.­due de la faculté d'éclJanger, ou en d'autres termes par l'éten­due du marché 1. » Les besoins et l'échange des produibl !JUÏ peuvent y répondre sont toujours le principe de l'économle.: ils en sont le premier moteur et ils la circonscrivent; le trayall et ]a divi~ion qui l'organise n'en sont que des effets. MaiS à l'intérieur de l'échange, dans l'ordre des équivnlcnccs,ln mesure qui établit les égalités et les difJéronces est d'une autre !I~ture que le besoin. Elle n'est pliS liée au seul désir des iudmdu!I, modifiée aVtle lui, et variable comme lui. C'est ,me mesure absolue, si on entend par là qu'elle ne dépend pas du coe~l' des hommes ou de leur appétit; elle s'impose à euX de l'IIJtte' rieur: c'cst leur temps et c'est leur peine. Par rapport à celle 1. Adom SmlLh, loc. cll., p. 7-8. 2. Id., i.bid., p. 22-23.
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    237 éc.léeesseurs, l'analysed'Adam Smith représente un de .es P~e essentiel: elle disLingue la raison de 1'';change et décrooh~ de l'échangeable, la nature de ca 'lui eat échangé Ja mcsunilt!S qui en permettent la décomposition. On échange el les Il 'on a besoin, et les objets précisément dont on a pllr~ lJ~ais l'ordre des éohanges, leur hiérol'Chio et les dilT6- bt!'OIP'qui s'y manifestent sont établis par les unités du travail rt''!Ctlsr. o'l:' dénro,;ées dans les objets en question. Si pour l'ex- "III on ~ ,'-" • d •• ", . n"c .Ies hommes - au ruvellu e ce qui va mcessammunt n"fle ,., U • 'il éch ' '1 ~'I'I 1 rll,r lu psychologie - ce qu • , angent. c es~ ce qUI .Bur est' ~indisJlen!lnble, commode ou agreable,.' pour 1 éconolRlsto "ui circule sous la f01'me de ChOlies, c est du travan. Non rpAl!u !'' c1lell o.bje ts de beso•m • • te t l 1 ~1 se represen n es ~ms es ~?trest n!lds du temps ct de la, peme, trallB~ormés, cache." oublie!!. Ce dêcrochage est d une grande unportance. Certe.'I, Adam Smith analyse encore, comme sea prédécesseurs. ce champ de po~ilivité que ]e XVIII- aiècle a appelé les c ricllessea 1; et par U., il entendait, lui aUlsi, des objets de besoin - dOM lea objets d'une certaine forme de représentation - 8e représen­tant eux-mêmes dans les mouvements et le8 processus de l'échange. Mais à l'intérieur de ce redoublement, et. pour en zi"ler la loi, les unités et les mesll1'eS de l'écbruage, il formule 1.1I~ principe d'ordre qui eet. irréductibleà l'analyse de la représeu­tHtion: il met à jour Je travail, c'est-à-dire]a peino et 1. temps, celle journée qui ilIa lois découpe et use ln vi" d'un homme. L'{~'luivalence des objets du déllir n'est plus établie par l'inter­mêdiaire d'autres objets et d'autres désirs, mais par un pas­snge à ce qui leur est radicalement hétérogène; s'il y 8 un ordre dans 14'.9 riclleBses, si ceci peut. acheter cela, si l'or vaut deux Fois plus que l'm'gent, ce n'est plus parce que Ip.9 hommes onl dcs désirs comparables; ce n'est pas parce qu'à trovers leur corps ils éprouvent la même faim ou parce que leur coeUI' il tou~ obéit aux m~mes p1'cstiges; c'est parce qu'ils sont tous j.OU!llIS 8U temps, à la peinc, à ln fatigue et, en passant à la .InUte, àla mort elle-mble. Les hommes échangent parce qu"ils eprouvent des besoins et des désirs; mais ila peuvent échanger el ordcmMr ces échanges parce qu'ils sont soumis au temps et à 1!" gnlnde fatalité extérieure. Quant à la fécondité de ce tra­vail, elle n'est pas due tellement à l'habilet.é personnelle ou au C!t1cul des intérêts; elle 18 fonde sur des conditioIlll, elles a~!I!lI,. eltlérieures à sa représentation : progrès de l'mdUlitrie, :Cjltisement de ]a division des tâches, accumulation du capi- 0'; P!I;tage du travail productif et du travail Don productif. IDe 'VOit de queUe manière la réflexion aur les richesses com-nce, avec Adam Smith, l déborder l'espace qui lui était.
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    238 Lu mouet les '''0161 881igné à l'Age cla8sique; on la logeait alors à l'intérieur ~ 1" 1 idéologie» - de l'onalyso de la représentation' dosol'lQn' elle se réfère comme de biais ù deux domaines qui' échap IS l'un comme l'autre aux formeR et aux lois de la décompo"h~nt des idées: d'un côté, elle pointe dp-jà. vers une anthropol IO,n qui met en question l'csscnce de l'homme (sa llnitude o;;e rapport au temps, l'imminence de la mort) et l'objet dans l~qu i il mvcstit les journées de son temps et de lI8 peine sans pouvo~ y reoonnattre l'objet de son besoin immédiat; et de l'nut~r elle indique encore il vide, la possibilité d'une économie P()li~ tique qUI n'aurait plus pour objet l'écbange des richll~es (et le jeu dcs J'6présentations qui le lande), mais leur production réelle: formos du travail et du capital. On comprend comment entre ces positivitâs nouvellement formées - une anthropnlo­gie qui parle d'un bomme rendu étIanger à lui-mOrne et une économie qui pnrle de mécanismes extérieurs à la conscience humaine -l'Idéologie ou l'Analyse des représontations se réduira à n'êtTe plu9, bientôt, qu'wle psychologie, tandis que s'ouvre en face d'elle, et contre olle, et. la dominant bientôt de toute sa hauteur la dimen.'lion d'uno histoire possibill. A partir de Smith le temps de l'économie ne 8era plus celui, cyclique, des appauvrissements et des enrichisscments; ce ne 80ra pas Don plus l'accroi:lsement linéaire des politiques habiles qui en augmentant toujours légèrement les espèces en circuln· tion acc6lèrent la production plus vile qu'ils n'élèvent les prix; ce ser8 le temps intérieur d'une organisation qui croît selon S8 propre nécessité et S6 développe selon des lois 8utochtonea -le temps du capital et du régime de production. 111. L'ORGANISATION DES tTR.ES Dans le domaine de l'histoire naturelle, les rnodificatioD' qu'on peut constater entre les années 1775 et 1795 sO!'-t ,do même type. On ne remet pas en question cc qui est au prtn~lpO des classifications: celles-ci ont t.oujours pour fin do détermmer )e II: caractère J qui bIToupc les individus et les espèces dans des unités plus gênérales, qui distingue ces unités les unes dlls autres, et qui leur permet enfin de s'emboîter de manière à former un tablenu où tous les individus et tous les groupes, connuS ",u inconnus, pou1T<mt trouver leur place. Ces caraotères sont pr~ levé!! sur ln reJlr~8entation totale des individus; ils ~n sode l'analyse et permettent, en représentant ces représentatIons,
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    Lu limites tkla reprüenlGlion 239 l'tuer un ordre; les principes généraux de la Ia3:Ïnomia­coll! :Oûrncs qui avaient cOUllDandé les syllt.èmes de Tournefort ceuùx L'lnué lu méthode d'AdaJlSOn - contilluent à valoir de la mctê meo faç,on pour A.-L , de JU91'11 eu, pour VI' ~q d.'0!.6--1-&' pour J.umarck, pour Candolle, Et pourtant la tecbmque .CJ.UI penn~t d" tablir le caractère, le rapport entre struct.ure vllilble et crl­të; cs de l'identité sont modi6és tou,t comme ,!Ilt été modifiés . r Adam Smith les rapports du besoin ou du priX. Tout au long S~ XVIIIe siècle, les clossificaleurs avaient établi le caractèro Il;la t:omporllisou ,des struc~l1!es. visibles, c'est-à-~e par la ~i9o en rapflort d'élem~ntl! qw et!llent bom~~èn~s pUl~~ue ch~­cun pouvait, selon le prmclpe ordmateur €lm etait ChOISI, servU' il représenter tous les autres: ln seule différence résidait en ceci quo pour les s)'stématiciens les éléments représentatifs 6taient fixés d'entrée de JCII, pour les méthodistes, ils se dégageaient peu à peu d'une confrontation progressive. Mais le passage de la atructUl'C déor.ite au caractère classificateur se faisait entiè~ ment. au niveau des fonctions représentatives que le visible exerçait li. l'égard de lui-même. A partir de Jussieu, de Lamarck el. de Vicq d'Azyr le caractère, ou plutôt la transformation de la structure en caractère, va se fonder sur un principe étranger au domaine du visible - un principe interne irréductible au jeu rëciproque des représentations. Ce princire (aulluel corres-· Jlond, dans l'ordre de l'économie, le travail), c est l'organi,ation. Gomme fondement des taxinomies, l'organisation apparait de quotre façons différentes. 1. D'abord, BOUS la forme d'une biéral'Cbi" des caractères, Si en effet on n'étale pas les espèces los unos à côlé des autres et dallB leur plus gmude diversité, mais si on accepte, pour délimiter tout. de suite le champ d'investigation, les lu~IlS groupements qu'impose l'évidence - comme les gra­lIWlées, les composfics, les crucifères, 181 légumineuses, polir lC;' riantes; ou poOl' 16s animaux, les vers, les poissoDB, les Ollle"clllX, les quadrupèdes -, on voit que certains caraotères lont absolumont constants et no manquent dans aucun des genres, a~~une des espèces qu'on peut y rcconnaitre : par pe~ies'tI!l1 pll"e , lwe•r tion des étamines, leur situation par raplrV"l rt au Domb 'd6rtion d~ ln corolle quand eUe port.e les étamines, le D'a :: e lobes qw accompagnent l'embryon dans la semence. D'at~ .es caractères sont très fréquen.ts daDB UJL8 famille. maia f ~lgnentlas le même degré de constance; ç'est qu'ils sont p~r;::s par cs organes moins essentiels (nombre de pétales, ou du n~ ~ïÏ) absence de la corolle, situation rellpeetive du calice Enfin ~IS : ce soutles caractères. secondaires subuniformes 1. es caractères c tertiaires semi.uniformes 1 Bont tantôt
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    240 constants ettnntbt variables (structure monophylle 011 01 phylle du calice, nombre de loges dans le fruit, litu8tio: l­fleurs et deI Eeuilles, natuJ'6 de la tige) : avec ces caraClèrl!lllem~ uniformes, il n'est pas poslible de définir deI famillos Ou dt­ordrel- non pAS qu'ils ne lOient point capables, si On 1': appliquait à toutes lei espèces, de fonner des entités g6nêral ...1 1 mais parce qu'ils ne concernent pas ce qu'il y a d'e88entiel dan~ un groU}?8 d'êtres vivants. Chaque grande famille nat.urelle 8 des réqUisits qui la définissent, et les caractèrlll qui permettent de la reconuaitre sont leI plul proches de ces conditioDs fonda­lnentalcs : aiDlii la reproductiou étant la fonction majeure de la planle, l'embryon en lera la partie la plua importnnto, et OA pourra répart.ir leI végétaux en trois classes: acotyltidones, mono­cot. ylédones et dit:otyllidones. Sur le rond de ces caractères f'.s~ell­tids et. c primaires l, les autrel pOW'l'Ont apparaltre et int.ro­duire des distinctions plus fines. Ou voit que le caractère n'elt plus prôlevé directement sur la structure visible, et SODI aut~ critllre qlle sa p~sonce ou son absoncei il se (onde sur l'exis­tence de fonotions e9.'Ientielles il l'être vivant, et sur de!, rap­ports d'importance qui ne relèvent. plus soulement. de la des­cription, 2. Les coractères sont donc liés il des IObctions. En un seDII, on revient il la vieille théorie des signatures ou des marrr!eI qui supposaient que ]es êtres portaient, BU point ]e plus viSible de leur surface, le signe de ce qui était en eux le plus essentiel. Mnis ici ICI rapporta d'importance sont des rapports de subor­dination fonctionnelle. Si le nombre de cotylédons est décisif pour classer les végétaux, c'elt parce qu'ils jouent un rôle déter­miné daDl la (onction de reproduction, et qu'ils sont liés, pRr là même, à toute l'orgaDÏsationmterne de la plante; ils indiqllen~ ulle fouction qui commande toute la disposition de l'individu 1. Ainai, pour les auimoux, Vicq d'Azyr a montré que les fone­tiOIl8 alimentaire8 BOnt 8UlI8 doute les plus Wlportalltesj o'est pour cette raison que c dus rapports constants existent entre la structure des dents des carnivores et. celle de leW'5 muscle~1 de leurs doiJlR, do leurs ongles, de lour langue, do leur estomac, dalours mtestins 1 •• Le caractère n'est donc pas établi psr un rBl!port du visible à lui-même; il n'est en lui-même que la pomte visible d'une organisation complexe et hiérarchilée o~ la fonction joue un rôle ellsentiel de commande ct de d6terminatloQ. Ce n'est pas paree qu'il est fréquent dans les St1'l1cturea oblMll'" 1. A.-L. de Ju.leu, Ger/lira planfarum, p. X"III. . 2. Vicq d'Azyr, Sgstbn8 analomi'lJl' du 'luaclrupidfl, 1792, DISCOUrs pr60 Uminaire, p. LXXX'n'.
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    L.;s limilu dela roprûenUUton , caractère est important; c'est pareo qu'il al lODe-vec: 5 qü un nt important qu'on le rencontre souvent. Comme le lionne enlll uer Cuvier, réiumant l'oeuvre des derlùel'll grands It~a rd-~~~ du siècle, li melure qu'on s'élève vers les clasiesles p'lcthû• I~ C les li plus aus~i les propriétés qui restenl. communes T' 11 18. gl'nurLa allles' Ilt comIIlle les raplports cs p 1u s constants Bont on t conl!' . 1 l . 1 8 , appartiennent aux parties es pus unportanles, es Ccux qUI • • J._' '. d L' ..... des diVISions BupQ"Jeures se trouveront tU'ees el !:arac cr",~ C' .• ] 'Ihod l' les plus importantes... est amsi que 0 m,,. e liera I,~r 1e5lle pUlsqu'elle tient compte de l'importance des organes 1». pa3lu. rlOl n comprend dans ces cood 'l ~.l OOS comment ]' d • 8 nollon e VIO devenir indispensable ~ la IDlse en ordre des ~trcs naturels. Êfi~ l'est de,'cnuc pour delL't l'ai5VW$ : d'abord, il fallll!t pouvoir luisir dans la profondeur du corps les rapports qUl hent les ofllunes superficiels k ceux dont l'elÙlltence et ln larme cachée Mblurent les Conctions essentielles; ailllli Storr propose de classer les m8mmjfèr~s d'après la disposition de leurs labots; c'cst que celle'ci est liée aux modes de déplacement et aux possibilités motrices de l'animal; or, ccs modes Il leur tour sont en corrélation avec 111 forme de J'alimentation et les diJIérents organes du "Y5tème di~esliC '. De plus, il peut se faire que les caractèrcs IC$ plus importants soient les plus cachés; déjà dans l'ordre v~gétult on a pu constater que ce no sont pas 14:$ Oeurs et les IruilK - parties les micux visibles de ln plaute - qui 80nt les éléments lIignificatifs, mois l'appareil embryol11laire et dei organes comme les cotylédons. Ce phénomène est plus fréquent encore chez Jes animaux. Storr pensait qu'il fallait définir les grandes classes par lu formes de la circulation; et Lamarck, qui pourtant ne pratiquait pas lui·même ln dissection, récuse pour les animaux: inférieurs un principe de classement qui ne so ionderait que sur la forme visible: c La considération des arti­culations du corps et des membres des crustnc~s les a fait re~~~~cr p~r tous les naturalistes comme de véritables insectes, ~t J Ul mo!·même longtemps sui,·i l'opinion commune Il cet cgard, MalS comme il est reconnu que l'orCl'anisation est de ~~ut':81e~ considérations 1. plus essentielle p01~r guider dans une I!tnh~hon .méthodique et naturelle des animaux ainsi que pour. deternuner parmi eux les véritables rapports, il en résulte que .~s crustacés, respirant uniquement par des branchies li. la i~DI re, des mollU!!ques, et ayant comme eux un coeur muscu­.:: d?lVent ~tr~ placél immédiatement après eux avant les c rudes et]es U1Sec:tea qui l1'oot pas une lemhlablo organisa-p. ~O-~I.Cuvler. Tableau ilimenlaln ri, j'/aislDin naturellt, Paris. an VI, ~ Slo l'r. Prodromu, mellaDdi mcunmaliul1l lTüblngen. 1750), p. 7-20.
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    242 Les matset loe chases tion 1. Il Closser ne sera donc plus réCérer le visible Il lui'rn~ en chargcanll'un de ses éléments de représenter les autres' e, lera, dnns un mouvement qui fait pivoter l'analyse, rappo;te le visible à l'invisible, comme à SR faison profonde, puis remo~r ter de cette secrète architecture vers les signes manifestes qll; en sont donnés à la surface des corps. Comme 10 disnit Pinel d.ans SOD oeu-yre de naturaliste, c s'en tenir aux caractères eltt~: l'leurs qu'asilignenlles nomenclatures, n'est-ce point Ic fermet' la source la plus féconde en insLructions, et refuser pour ainsi dire d'ouvrir le grand livre de la nat.ure qu.'on se propooe cependant de connattre 1 Il. Désormais, le caractère reprend BOn vieux rôle de signe visible pointant vers une profondeur enfouic' mais ce qu'il indique, ce n'est pas un texte secret, une parol~ enveloppée ou une ressemblnnco trop precieuse pour être expo­Béej c'cst l'ensemble cohérent d'une organisntion, qui reprend dans la trame unique de sa souverninetê le visible comme l'in­visible. '- Le parallélisme entre classification et nomenclature .. trouve dénoué par le lait marne. Tant que le classement comi.­tait en un découpage progressivement emboîté de l'espoce visible, n était très concevable que la délimitation et la dénomi­nation de ces ensembles puissent s'accomplir de pair. Le pro­blème du nom et le problème du genre HaieDt isomorphes. Mois mainteoaut que le caractère ne peut plus clalS!er qu'en se réfé­rant d'abord il l'organisation Iles individus, c distinguer 1 oe 8e fait plus scIon les mêmes crit.èrus ut les mames opérations qu~ « dénommer J. Pou.r trouver les ensembles fondamentaux qUi regroupent les êtres Daturels, il faut parcourir cet espace en profondeur qui mèlle des organes superficiels aux plus seoreU, et de ceux-ci aux grondes Jonctions qu'ill assurent. Une bonne nomenclature en revanche continuera li se déployer dans l'es­pace plat du tableau: il partir des caractères visibles de l'indi­vidu, il faudra pnrvenir li la case précise où se trouve le nom de ce genre ct de son espèce. n y a une distorsion rondamentale entre l'espace de l'organisation et celui de ln nomenclature: ou pin­tôt, au lieu de se recouvrir exactement, ils sont désorma!8 pe1" pendiçuIaires l'un à l'autre; et à leur point de joncl1on so trou.ve le caractère manüeste, qui indique en profondeur une fonction, et permet à la surface de retrouver un nom. Cet!o distinction qui en quelques années va rendre caduquos r~I~­toire naturelle et. la prééminence de la ttUinornÏ4, c'cst nu gente 1. Lamn1'Ck, SUI/Ir me du anlmaw: IIIII'I' uerlëlw.IJ (Pari6, 1801), p. 143-14-1; 2. Ph. Pinel, Nouuelle mllhode de dauiflcalion tIti quadrumane.f ( • .JcU./I : 141 Sociül d'hi.loire mlurelle. ~. 1. p. 6Z, cité in Daudill, l.eI ClatiU roB /1" ,igUl', p. 18).
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    Les limitu dela reprdsenlalion 243 II.rck qu'on la doit: dans le Discours préliminaire de la de La;' ançais/l il a oppos6 comme mdicaloment distinctes les Fwra Jches de' la botanique: la c détermination Il qui applique deuX les de l'analyse, et permet de retrouver le nom par le J~ ~g ieu d'une méthode binaire (ou tel carnctère est présent d1mp f'fndividu qu'on examine, et il faut chercher à le situer dons )11. partie droite du tableau; ou il n'est pas présent et il faut d:!her dans la partie gauche; ceci jusqu'à la d6termination d nl'è--)' et ]a découverte des rapports réels de ressemblance, eri sup''p'o' se l'examen d e l' orgBlU.lIo.tIo n entl'"", re d es esp è ces1. L e ~~rn et. les genres, la désignation et la classification, le langage et la nature cessent d'êtTe entrecroisés de plein droit. L'ordre des mots e~ l'ordre des ê!res ne 6~ ~oupent plus qu'o.n ~e ligne 8rtificl~l1ement défiDle.,!.eurvleJ~le 8pparte~8nc~ q1llava!t 'ondl: l'histOIre naturelle à 1 age clusHlque, et qUI avaIt condUit d'un seul mouvement la structure jutlqu'au caractère, ]a repré­sentat. ion jusqu'au nom et l'individu visible jusqu'au genre abstrait, commence à se déCaire. On sc met à parler !lur des choses qui ont lieu. dans un autre espace que les mots. En fai­slInt, et très tÔt, une pareille distinction, Lamarck a clos l'âge de l'histoire naturelle, il a entrouvert celui de la biologie beau­coup mieux, d'une façon bien plus certaino et radicale qu'en reprenant, quelque vingt aus plus tard, le thème déjà connu de I~ série unique des e~pèces et de leur transformation progres­BlVe. Le concept d'organisation existait déjà dans l'histoire natu­relle d!1 xvme siècle- tout comme, dans l'analyse des richesses, )a n?tlOn de travail qui elle non plus n'a pas été inventée ou 8o~ttr de J'âge cJal!Sique; mais il servait alors à définir un CCl'­tnm ~odc de composition des individus complexes à partir de mat~l"l8ux plus élémentaires; Linné, par exemple, distinguait )~ C Juxtaposition li qui fait croltre le minéral et l'. intus!!lIsCCP­~ ou » par laquelle le végétal se développe en se nourrissant 1. ,o.nnet oppo~Ait l'c agrégat» des ( solides bruLs • à la « compo­! Itn::: des soll~es c.rganisés » qui c entrolnce un nombre presque ln de punies, les unes fluides, les aulres solides li J. Or, ce c?ènept d'organisRtion n'avait jamais Beni avant la fia du i! c. e à {onder J'ordre de la nature, à définir son espace ni en li. villltd,.. . ~!gures. C'est à travers les oeuvres de Jussieu, de )a cq ~ .... ~ .. c.t de Lamarck qu'il commence à fonctionner pour preIlllèrc fOIS comme méthode de J. caractérisation: il suhor- 1. Lamarck L F . p. J(C-Cl/. ., a 101'6 trQII~"e (Paris 1778) Discours préliminaire, 2. Linn~ S!l1U 3. llollll~t C me ".xu~l d~ dgHoru: (trad. truoçalsQ, Paru, an VI), p. 1. , antemplalUHI &le lu ncllur'/l (OEulll'u UJmpldu, t. IV, p. 40),
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    244 duone ICIcarlict.èrOllcs un. aux auLres; illes.lie à. des (onctions il les dispose scIon une architecture aussi bien interne qu'extern; et noulnuw invisible que visible; il1e9 répartit dans un espuc e autre que ctlui des nonu, du discours et du langage. Il nu s! ol)ntent.e dono plus de duaigner une catégorie d'êtres pArmi les autres; il n'indique plui sllulllratmt une coupure duns l'e!l'ace taxinomique; il ùffinil pour certains êtres la loi int~ricure qui perllltli. il tello dt) leur» structul'CS de prendre la valeur ùe oaractère. L'ol'gllnÏsation s'iJUlère entre les struutures 'lui arLi­oulent elles cnractèl'e9 qui désignent, - 1ntroo.uill3ut entre eux un C8pUce profond, intérieur, OIIsentiel. Cette mutation importante se joue encore dans l'élément de l'histoire nat.urelle; cllc modifie Itlid méthodlltl et loI!. t.echniques d'une t4:Ilirwmia; elle u'eu rêcuse pus lei! conditions fomlnmco­tales de p08sibilit6; elle ne touche pas encore au mode d'ètr" d'un ordre naturel. Elle ent.ralne cependant une conséquence mlljeure : la radicalisation du partage entre organique et inor­ganique. Dans le tableau des êtres que dêploYllit l'histoire Mtu­relie, l'organisé et le non-organisé ne définissaient rien de plU8 que deux catégories; celles-ci s'entrecroisaient, sans coïncider nécessairement, avec l'opposition du vivant et du non-vivant. A partir du moment où l'organisation devient. concept fonda­teur de 111 caractérisation ntlturelle, et permet de passer dtl III structure visible à la désignation, eUe doit bien cesser de n'être elle-mOme qu'un caractère; elle contourne l'espace taxinomiquo où elle êtait.logée, el c'est. ellc à Ion tour qui douue lieu à uno classification Pllssible. Pur le (ait. même, l'opposition de l'orga­nique et. dtl l'inorgauique devjent fondamentale. C'est, en elT~t, li. partir des 8nnllt:8 1775-1795 que la vieille articulation des trois ou quatro règnes disparuttj l'opposition des deux règnes - organique et inorganique - ne la remplace pas Ilxaclelllcntj elle la rend plutôt impossible en imposant un autre partage, Il un autre niveau et dans un autre eS!IUce. Pallas et Lamarck 1 formulent cette grande dichotomie, avec laquelle vient cotn­eider l'opposition du vivant ct du non-vivant. 1 li n'y a que deux règnes duns la nature, écrit Vicq d'Azyr en 17t1? l'un jouit et. l'autre est. privé de 10 vie '. 1 J...'orgnnique deVient 10 vivant et le vivant, c'cst ce qui produit, eroissant et. se rtpl"O" duisant; l'inorganique, c'e:!t le non-vivant, c'est ee qui .ne 60 développe ni ne se l'eproduit; c'est aux limites de la vie,l'mert., et l'iuCGcond, -la lllort_ Et s'il est mêlé à. la vic, c'est. comme ce qui en die, ttlIld à la détruire et à la tuer. Il Il exi~Le danil 1. LA marck, La Jllure fran,a/,s, p_ 1-2- 2. Vicq d'A~)'I', /'nmiu, diMou,., oMIt/mfquu, 1786, p. 17-18.
  • 238.
    Les limitu de1éJ reprhllJ1llatiun. 21,5 les eLres vivants deux forces puissantes, très distinctes et tou:'ours en opposition entre elles, de telle sorte que chacune r.ïes détruit Ilerpétucllcment les ellets que l'autre parvient fA e oduire 1 •• On 'Voit COmID8nt, fracturant en profondeur 10 P~d tablenu de l'histoire naturelle, quelque chose comme uno f:a!II('1ie va devenir possible; et comment aussi va pouvoir émer­: d~D!5les Dualyses de Bichat l'opposi~ion fondamentale d~ la ~ic et de la mo:t. ~e ne sera pas. le ~rlomphe, 'plu~ ou mOI os recuire d'un vlwhsme sur un JUecamsmej le V1tah~me et son ~ort p~ur définir la spécificité dola v~e De SODt que les eftets de Burface de ces événements archéologIques. IV. LA. PLRXION DBS HOTS De ces événements, on trouve la rlipliquo exacte du cOté des analyses du langage . .Mais sans doute y ont-elles une forme plus discrète, ct aussi une chronologie plus lente. n y a li cela une raison aillée à découvrir; c'est que durant tout l'âge classique, Je langage a été posé et réfléchi comme discours, c'est-à-dire comme analyse spontanée de la représentation. De toutes les fomles d'ordre non quantitatif, il était le plus immédiat, 10 moins concerté, le plus profondément lié au mouvement propre de la repr~sentation. Et dans ~tto mesure, il était mieux'.enra­ciné en elle et en son mode d'être que ces ordres réfléchis- 8avants ou intéressés - que fondaient la c1assifieation des êtres ou l'échange des richesses. Des modificatiollS te.:hniques comme celles qui ont affecté la mesure des valeurs d'échange ou les procédés de la caract~risatioD ont sutU à altérer considé­rablement l'analyse des richesses ou l'histoire naturelle. Pour que la spience du langage subisse des mutations aussi impor­tantes, 11 a fallu des événements plus proConds, capables de changer, dans la culture occidentale, jusqu'à l'être même des représentations. Tout comme la théorie du nom au xvu. ct jU XVIIIe siècle se logeait au plus près de ln représentation et par à commandait, jusqu'à un certain point, l'analyse des struc­tu~ es ct du caractère dallllies êtres vivants, celle du prix et de la Vt c~r dam les richesses, de la même façon, il la fin de l'âge c a$~lque, .:'est elle qui 8ubsiste le plus longtemps, ne sc dMai-p. l:il~~ma.n:k, M~moim de phU'ique el d'hillot,.. IIlllurelle (année 1797'.
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    246 Les mobet les chw" lant que 8ur le tard au moment où la repMentation eUe-même 8e ~odiJi. au mveau le plus profond de IOn régime arché~ logIque. Jusqu'au début du XIX8 siècle, les analyses du langage ne manifest.ent encore que peu de ohangements. Les mots lont toujours jnterrog68 Il parûr de leurs valeurs représent.atives, comUle 616mcnts virtuels du discours qui leur prescrit il tous un même mode d'être. Pourtant, ces contenus reprétllmtatifa ne Bont plus analysés seulement dans la dùncnsion qui la rap­proche d'unooriginc absolue, qu'elle loit mythique ou non. DaM la gl'tIII'lI'nlIÏre gdnél'ak sous sa forme la plus purc, tous les mot.s d'une langue étaient porteurs d'une lignificaLion plus ou moills cachée, plus ou moins dérivée, mais dont la primitive raison d'être résidait dans une désigna Lion initiale. Toute longue, aussi comIllae qu'elle rG.t, se trouvait pllu:ée dans l'ouverture, ména­gée une fois pour toutes, pal' les cris archatqucs. Les ressom­blances latérales avec les aut.res longues - sonorités voiliÎDes recuuvrant des significationll analogues - n'étaient notées et recueillies que pour confirmer 16 rapport vertical de chacwle à ces valeurs profondes, ensablées, presque muettes. Daua le dernier quart du XVIIIe siècle, la comparaison horizontale entre 1. langues acquiert une autre fonction: eUe ne permet plus de savoir ce quo chacune peut emporter de mémoire ancest.rale, quelles marques d'avant Babel sont déposées dans la sOllorité de leurs mots; mais elle doit permettre de mesurer jusqu'à quel point elles se ressemblent, quelle est la densité de It.'urll sinLi­Iitudes, dons quelles limites elles lont l'une à l'autre transpo­rente!'!. De là ces grandes confrontationa de langues divorses qu'on voit apparaître ft la fin du Biècle - et parCois sous la pression de molifs politiques COUllIle les tontat.ives faitos en Russie 1 pour étô:lblir un relevé des langues de l'Empire; en 1787 pal"'dit. à Pétrograd le premier volume du GltMlJ4Jrium comparatil'um totÎus Or6&8; il doit portel' référence à 279 1 HnguCS : 171 pOUl' l'Asie, 55 pour l'Europe, 30 pour l'Afrique, 23 pour l'Amérique 1. Ces comparaisons Be font. exclusivement encore il partir et cn fonction des contenus représentatifs; on confronte Wl mil me noyau de signification - qui sert d'invariant - aveo les mots par quoi les diversel langues peuvent le désigner (Adclung:l donne 500 versions du Pater daoa dus langues et. des diolectes ditrérents); ou bien encore, en ehoiaÏlisaot une 1. Daehllleister, !deo. el d~lderla rlc ItolliglJlldi, linguarum .ptcimenibul (P~truSrod, 1773); Gli1den8t.1tdt, Voyage dans l~ C'IIICIlU. ~. La III'conde M!tlnn en 'Iuslre " ... Iumes pllrnlL eu 1790-171U. 3. P. AdelulIg, Milhrlrlal1ll (" voL, Berlin, 1506-1817'.
  • 240.
    L/18 limite& dela reprlsentatiun 247 ·no comme élément constant à travers des forme. légère­::~ t. variées, on déterm~ne l'êve!ltail des. SCJlB q~'elle pel.lt dl'1S (oe lont les prenuers essaiS de LeXIcographie, comme PÜ: de Bulhet de La Sarthe). Toutes ces analyslIII renvoillnt :u·ours à deux pri~ciplls qui étaient. d~j~ ceux de la gram: Jro gùufrUÙ : celUI d'UDe lungue prlmlt.lve et commWltl qw :urait fourni le. lot initial dus racines; et cclui d'~ne sé,rie d'!vé­nements historIques, étrangers au langage, el qw, de 1 extérieur le ploient, l'usent, l'~lIine~t, l'a5~oup~ssent, en multiplient ~u en mêltmt les formes (invaSIOns, ~gratl0nsJ progrès des connlUs­IliDees liberté Ol.l esclavage pohtlque, etc.). Or ia confrontation des langues li la fin du XVIIIe siècle met BU j~ur une figure int.errnédiairo entre l'articulat.ion des conLe­nUl! et. la valeur de. racines: il s'agit de la flexion. Certes, les grammairiens connaillsaient d~puï.s longtemps les phén0l1!-èn~s flexiounela (tout comme, en hiStOIl'8 nat.urelle, on connalS8alt le COllcept d'organisation avant Pallas ou Lamarck; et en éco­nomie le concept de travail avant Adam Smith); mais les llexioDI n'étaient analysé"s que pour leu1" valeur reprisentative - soit. qu'on les oit considérées comme des reprétientations annexes, soit qu'on y ait vu une manière de 1i8l' Boire eUes les représentations (quelque chose comme un autre ordre des motl). loI"ïa lorsqu'on fait, comme Cwurdoux 1 et William Jones ',la comparaison entre les dillérentes formes du verhe être en saDs· crif. ct en latin ou en grec, on découvre un rapport de constance qui est. inverse de celui qu'on admettait couramment: c'est la racine qui est altérée, et ce sont les nexions qui sont analogues. La série sa n,cri te Mmi, tJ8ir, asti, 8,,"", leha, lanti. correspond exactemeut, mais par l'analogie Hexionoe1le, lIa série latine Burn, u, ut,&Unlft8, u'~, BUnl. Sans doute Coeurdoux et Anquetn­DUJJerron restaient au niveau des analyses de la &rammaire 8~nércJ.e q1land le premier voyait dans ce parallélisme les restes d:une .Ianbrue primitive; et le 8econd le résultat du mP.lauge hllrtorlque qui a pu se faire entre Hindous et Méditerranéens li J'époque du royaume de Bactriane. Mais ce qui était ea jeu dalls cette conjubrailion comparée, ce n'était déjà plui le lien entre syllabe primitive et sens premier, c'était un rapport plus dmplcxe entre les modifications du radical et les ,fonctions e la ~ramma!re; on découvrait que dans deux ~a~gues ~6. d~te.s il r avait un rapport constant entre une sérIe iiétermmée lerations EOl"DleUea et une aérie également déterminée d. p. J6.t~~:7. CoeWOIlX, Mtmoiru tk rAoedlml1l d" IlIIcriplÏolII, L XLIX, 2. w. Jones, Wnr,"- {Landre. 1807, 13 VOl.'.
  • 241.
    248 LfJ8 moueL 188 clMNIe8 fonctions grammaticalea, de valeurs synctactique8 ou de modi. fications de sens. Par le fait même, la grammaire généraù commence à changer de configuration: 8118 wveJ'8 segments théoriques ne s'enchaînent plu8 tout à fait do la mÔme (açon les uns sur les autres; et le réseau qui lOB unit dcstÙne un llafcours déjà légèrement dilié­ront. A 1'6poquo do Bauzée ou de Condillac, le rapport entre ICB racines de formo si labile et le 80ns découl!é dans les repr':.' . sentntions, ou encore le lion entro 10 pouvoU' do désigner el eelui d'articuler, ôtait aBSUra por la souveraineté du Nom. Mointcnant un nouvel élément intervient: du côté du sens 011 de la représentation, il n'indique qu'une valeurneooss()ire, néces­sairement seconde (il s'agit du rôle de sujet ou de complément joué par l'individu ou la chose dl!signée; il s'ogit du temps de l'action) ; mais du côté de la forme, il constitue l'ensemble solide, constant, inaltérable ou presque, dont la loi souveraine s'im­pose aux racines représentatives jusqu'à les modifier elles­mêmes. Bien plW!, cet élément, second par la valeur significative, premier par la consistance formelle, n'est pas lui-même UDe syUabe isolée, comme une sorte de racine constante; c'est un système de modifications dout les divers segments sont soli­daires les UlIS des autres: la lettre 8 ne signifie pas la seconde pcoeounc, comme la lettre e signifiait selon Court de Gébelin la respiration, la vie et l'existence; c'est. rememble des modi­fications m, s, c, qui dOUDe Il la racine verbale les valeurs de la première, deu.xième et troisième personne. Cette nouvello analyse, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, se Joge dans la recherche des valeurs représentatives du langage. C'est encore du discours qu'il s'agit. Mais déj!l. apparaît, à travers le système des flexions, la dimension du grammatical pur : le langage n'est plus constitué seulement do représenta­tions et de SODS qui à leur tour les représentent et s'ordolUltmt entre eux comme l'exigent les liens de la pensée; il est d~ plus constitué d'élément:s formels, groupés en système, et q~ imposent aux sons, aux sylIabp.s, aux racines, un régime qUi n'est pas celui de la représentation. On a ainsi introduit ùans l'aualy~e dl1langage un élément qui lui est irréductible (comme on introduit. le t.ravail dans l'analyse de l'échange ou l'or~'ll· DÎsalioll dans ct:lle des caractères). A titre de conséquence prenüère on peut DQter l'appantionà la fin du xvme siècle d'une phonétique qui n'est plua recherche des premii:res valmlfS expressives, mais analyse des IIOUS, de leurs rapp<>rts et de leur tramformation possible les UDS dans les autres; Helwag eo 1781 d~finit 10 t.riangle vocalique.!, On peut. noLel' aussi l'appa- 1. Helwag-, De (ormalione ltlqut(/U (1781).
  • 242.
    LI'!J limite, dela représentatiQn 'f n des premÎtlres eSlJ11issel de grammaire comparée : on ne rrt 10d plus comme objet de comparaison duns 101 divers el CD es le couplc.lormé par un groupe de let.tres eL par un lien •• ~:~ dos en!lemblr.~ d~ modifications. il valeur grammaticale (conjugai50n!!, di.ocbDllIsons et. a~~atlons). Les lan~el IODt confrontées non plus par ce que dt,"slgnent les mots, .mals par.ce qui Jes lient les Ul.S aux autres; elles vont commulUquW" maan­tenant DOD pRr l'intermMinire de cette pensée anonyme et gim6rale qu'elles ont il r~prése~ter, mais di~ectement d~ l'uDe il l'uutr~, grJce à ce~ !'1IDC8li ~D6trum~n~s d apparence Il fnlgilc muis SI eon~tunts, Il irréducLlblel qUI dillposent le8 moli Je.~ un~ pur fapp .. rt aux autres. Comme le disait lIonboddo : 1 Le mécanisme des langues étant moinl arbitraire ct mieux réJl:lé que ]a pron.meiation des moL" nous y trouvons un exeet Jent critliriwn pOlir déterminer l'affinité des langues entre elle!' C'est pourquoi, q,1Rnd nous voyons deux la~uu"s employer de la m~m" manière .t'lS grands procédés du langage, la dérivatlon, la composition, l'iuOe"ion, nous pouvons en conclure que l'une dérive de l'ilutre 001 qu'elles sont toutes deux des dialectes d'une m~me longue primitive 1. 1 Tant que la langue avait été définie comme didcours, .:11e ne pouvait. avoir d'autre histoire que celle de SIlS rcplisentation., : les idées, les choses, les connai .. sances,les sentiment.s venaient-ils à changer, alors et seulement la langue 80 modifidit et dans l'exacte proportion de sos change ments. Mais il y Il désormais 11n «mécanisme» intérieur des langues qui déterlnine non seulement. l'individualité de cha· Olme, mais ses ressuDlblanr.e., aussi avec les autres: c'est lui qui, porteur d'ident.ité el. de ditTérenee, signe de voisinage, marqu& de la parenté, va d"vellir suppon de l'histoire. Par lui, l'his­toricité pourra s'int.oduire dans l'épaisseul' de III parole elle. même. v •• otOLOGIE ET CRITIQua , Dans la grnmmat.e générale, dans l'histoire natrlriJlle, dans 1 a~ly~e des richeS/Je'" i1 s'est donu produit, vers les dernières :~ecs du ?cyme sièCle, un événement. qui e~t partont de même 1) pe. Le,. SI gncs dODt les rcprr.sentations ét.."lient atTcetêes, l'ana­lyse des Jdentités et Jes d.itTércnees qui pouvait alors S'établir, e tableau à la fois .ontinu et articulé qu'on ill.taurait dans le t. LOrd ){onbo,ido, A •• tienl mdllfl"Ulllu, voJ. IV, p. 326.
  • 243.
    250 foisonnement des8imilitudes, l'ordre défini parmi les muh,ipli_ citês empiriques, ne peuveDt plul désormais se fonder 8Ul' 10 seul redoublement de la représoDlation T,ar rapport. à elle-Dl~rne. A panir de cct ~v6nelDent, ce qui valorise les objets du désir ce ne 80nt plus soulement les autres objetl que le désir peut 8~ représenter, mais un 61llInent irréductible à celte représenta_ tion: le &rawJilj ce qui pormet de caractéria8r un être naturel ee ne lont 1'1118 les éléments qu'on peut analyser lur les reprë! lentatioD.'! qu'on 8e fuit de lui et des autres, c'est un certain rapport intérieur à cet être et qu'on oppeDe 800 ol'ganÏBflLÏo". ee qui pennet de définir une IRnguo, co D'est pns la maniè1o~ dont eUe r~présente les repr~8entations, mais une certaine archi. tecture interne, une certaille manière de ma di lier les mots eux­mêmes • .,100 la posture grammaticole qu'il9 occupent les uns par rapport aux autres: c'est SOD .YRtème flezionrael. Dans tous les cas, le rapport de la représentation à ellc·mÔme et les rela­tion8 d'ordre qu'il permet de déterminer hora de toute mesul'O <J.URntitotive, pallSent maintenant par des conditions exté­l'IeU1' C9 il la repréaentatioD elle-même dans son actualité. Pour lier ]ft représentation d'un seus avec celle d'un mot, il Caut se référer, et avoir recours aux lois purement grammaticales d'UD langage qui, hol'B de tout pouvoir de représenter les représenta­tions, est soumis au système rigoureux de ses modifications pbonétilJUcs et de ses subordinations syuthistiques; à l'âge claa­sique, les langues avaient une grammaire pan:e qu'elles avaient puissance de r/lpré!!enterj maintenant elles représentent à purt.ir de cette grammaire qui eAt pour eUes comme un envers histo­rique, un volume intérieur et nécessaire dont les valeurs repré­sentatives ne sont plus quo la face externe, 8cintillante et visible. Pour lier dans un CAractère défini une 8tructure par­tielle et la visibilité d'ensemble d'un être vivant, il faut mainte­Dont 8e référer aux lois purement biologiques, qui, hors de toutes les ma"Iues signalétiques et comme en retrait por rap­port il elles, organisent lus rapports entre fonctions ct orgtmus; ]C8 êtres vivants ne définissent plus leurs ressemhlances, leurs omnité.'l et leurs CamiIJes à part.ir de leur descriptibilité déployée; ils ont des caractères que le Il1Dgage peut parcourir et. dMinir, parce lJU'ils ont une structure qui est COUWll:: l'envers somb"" volumineux et intérieur de leur visibilité: c'est à la surface claire et discursive de cette masse secrète mais souveraine lJl!e le! caractères émergent, sorte de dépôt extérieur à la périphérie d'organismes maintenont noués sur eux-mêmes. Enfin, lorsqu'il s'agit de lier la représentation d'un objet de besoin à tous ceux: qui peuvent figurer en face de lui dans l'acte de l'échange, il faut avoir recours à la forme et ,. la quantité d'uo travail qui en
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    Les limÏIM dela représentaûon 251 détenninenl la valeur; ce qui hi6rarchise les choses dan!! les o~vement .. continus du marché, ce ne sont pas les But.res bjct.! ni les autres besoins; c'est l'activité qui]es ft pro~uileaet oui silencieusement, ,'est dépnllée en elles; ce sont.lr_'l Journées qt 1:' hfmres n~cessaires à les fabriquer, à le8 extriiit'8, ou à es :mn!pnrt8r qui constit.uent leur pcHant.eur propre, leur solidité marchande, leur loi ?utérieure et. par là ~ qu'on peut. appeler leur prix réel; Il partU' de ce nOy8u esaent.lel les échan~es pour­ront. s'accomplir et les prix de march6, après avoir oscillé, trou­,' eront leur point fixe. Cet événement un peu !nigmatique, cet hénement d'en des~ous qu~ vers la fin d" xvm8 ~iècle s'es~ p!Od"it dans ces trois domumes, les soumettant d un seul trait à. une même rupture, on pent donc maintenant l'assigner dans l'unité qui fonde fiCS Cormes diverses. Cette unité, on voit combien il serait superficiel de la chercher du côté d'un progrès dans la rationalité ou de la découverte d'Wl thème culturel nouveau. Dans le5 dp.rnières onnées du XVIIIe siècle, on o'a Jlns fait entrer les phê­nomènes complexes de la biologie, ou de l'bistoire des langues ou de ln production industrjelle dans des formes d'analyse l'Ationnelle auxquelles jusqu'alors elles étaient demeurêesétran­gères; on ne s'est pas mis non plus - sous ]', influence» d'OD ne sait quel, romantisme 1 naissant - à s'ioté1'el'Ser soudain aux figures complexes de la vie, de l'histoiro et de la société; on ne s'est pal détaché, 80U8 l'instance de ses problèmes, d'un rationalisme soumis au modèle de la mécanique, aux règles ,1" l'analyse et aux lois de l'entendement. 0" plutôt tout ceci s'eet bien produit, wais comme mouvoment de surface: alt6ration et g)ills~ment des intérê~s.cultureI8, redisuiliution des opinions et d~ JIJJ{ements, apparItion de nouvelles formes dans le discoUl'll aCJ6otdique, rides tracées pOUl' la première fois 8ur III face ét;lairée du aavoir. D'une façoo plU8 londameutale, et il ce ,!1.ve.8u où les connaissances s'en1'8.cinent dana leur positivit6. 1 eve.nement concerne non pas les objets visés, analysés et exphqués dans la cOIUlBissance, non Jl8S même la manière de les co~ttre ou de les rationaliser, mais le rapport de 18 repré­Bentat10n ~ ce qui est donné en elle. Ce qui s'est produit avec A,dam Sauth, avec les premiers philologues, aveo Jussieu, Vicq. d A.z}: ou Lamarck, c"est un décalage infime, mais Boeolument essentiel et. qui a fait basculer toute la pensée occidentale : la l'eprhental1on a perdu le pouvoir de tonder, li partir d'elle­même,. dans .~n déploiement propre et par ]e jeu qui la redouble ::1' BOI,.l.es liens qui peuvent unir ael divers éléments. Nulle en 'd~~ltJOn, nulle décomposition, nulle analyse en identités et 1 et'eoces ne peut pll18 juRi&u le lien des représentatioDi
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    252 Lt~ motset lu cfwsea entre ellea; l'ordre, le tableau dUI lequel il se spatialise, les voisinages qu'il définit, lei succesllionll qu'il autorise CODUne autant de parcoul'll p08siblea entre lei points de sa surface De lont plus en pouvoir de lier entre elles les représentations Ou entre eux les élémentll de cbacune. La condition de cea liens, elle réside désormais li l'ext6rieur de la représentation, au-delà de son inunlirliatc visibilité, dans une sorte d'arrière-mondc plus proCone! qu'cUe-mOme et plus épais. Pour rejoindre 10 point où se nouent le9 formes visibles des êtres - la st.ruct.ure des vivonts, la voleur des richesses, 10 syntaxe des mots - il faut se diriger vera cc sommet, vers cette pointe nécessoire mail jamais nCOO!lSible qui s'enf{)nce, hors de notre regard, vers le coeur même des ehoses. Retirées vers leur cs!enoo propre, sié­geant enfin dans la force qui les anime, dans l'organisation qui les maintient, dans la genèse qui n'a ce&lIé de les produire, les choses échappent, en leur vérité fondamentale, à. l'espace du tableau; au lieu de n'être rien de plus que la constance qui dist.ribue selon les mêmes formes leurs représentations, eUes l'enroulent sur elles-mêmes, se donnent un volwne propre, se définissent un espace int.ne qui, pour notre représentation, est à l'e:dérieur. C'est Il partir de l'architecture qu'elles cachent, de la cohésion qui maintient son règne souverain et secret lur chacune de leul'll parties, c'est du (ond de ceLLe force qui les fait naltre et demeure en elles comme immobile mais encore vibrante, quo les choses pal' fragments, profils, morceaux, êcailloe, viennent se donner, bicn partiellement, li la représen­tation. De leur inaccessible réserve, celle-ci ne détache que pièce il. piècc de minces éléments dont l'unité reste t!:lujours nouée là-has. L'espace d'ordre qui servait de lieu. commun à la représentation et aux choses, à la visibilité t:mpiriquc et aUX règles essentielles. qui unis!I8it les Tégularites de la nature et les re!lSemblances de l'imagination dans le quil.drillage des ideo­tités et des différences, qui étalait la suite empirique des repré­sentations dau un tableau simult.ané, et p.mnettait do p~ courir pas à pas selon une suite logique l'ensemble des éléments de la nature rendus contemporains d'eux-mllmes - cet espace d'ordre va être désormais rompu: il y aura leI! choses, avec-leur organisation propre, leurs secrètes Dervur8ll, l'espace qui.l6S articule, le temps qui lns produit; et puis la représentatiOn, pure succession tempol'611o, où ellcs s'annoncent tf/ujours pal"" tiellemont à une subjectivitê, li. une conscience, à l'effort I!i~gu· lier d'une connaislmnce, à l'individu 1 psychologique Il qUI d~ fond de S8 propre histoire, ou li. partir cfe la tradition qu'on lUI a tmnsmise, ellsaie de Bavoir. La représentation est. en vuie de ne plus pouvoir définir le mode d'être commun anx choses et
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    Les limites d6la reprise'lIation 253 l la connoissance. L'être m~me de ce q~ est repré.'Ientê va tomber mointenant hors de )a representation elle-même. Cette proposition, c:epen.d~nt, est imI!rude!1l~. Elle anticipe en tout cus sur une diSposition du savoir qw n est pas encore définitivement établie il la fin du XYlue siècle. Il ne faut pas oublier que si S!1lit~, Juss}eu .et W. Jones se 80nt servis. des notio08 de travall, d orgarusatlon, et de système grammatlC81, cc n'était Iloil1t pour sortir de l'espace tabulaire défini pal' la pensée classique, ce n'était point pour contourner la visibilité des choses et échapper au jeu de la représentation se représen­tont eIle-même; c'était sculenient pour y instaurer une fonne de liai~on qui fût il Ja fois analysable, constant.e et londée. n s'agissnit toujours de trouver l'ordre général des identités et des différences. Le grand détour qui ira qUérir, da l'autre côté de la rcprésentéltion, l'~tre m~me de ce qui est représenté, u'est pas encore accompli; seul est déjll in!ltauré le lieu il par~ir dUIIuel il sera possible. Mois ce lieu figure toujours dans les dispositions illtérieures de 10 représentation. Sans doute, à celLe configuration épistémologique ambiguë correspond une dualité philosophique qui en indique le prochain dénouement. La coexistellce à la fin du XVIIIe siècle de l'Idéologie et de la philosophie critique - de Destutt de Tracy et de Kant - par­tage dllns la forme de deux pensées extérieures l'une à l'autre muis simultllnées, ce que les réflexions scientifiques, ellcs, mnin­tiennent daos une unité promise à so dissocier bientôt. Chez Destutt ou Gerando, l'Idéologie se donne à la fois comme la seule .forme ru tionneUe et scientifique CJUe la philosophie puisse revêtIr eL unique fondement philosophlllOO qui puisse être pro­posé aux sciences en général et Il cho111e domaine singulier de la ~onnnissnnce. Science des idécs, l' déologie doit être une COI;lDBlSsllnco de même type que celles qui sc donnent pour obJllllCl:i ~tros do la nat.ure, ou les mols du langage, ou les lois ~e.la Sllciété. ~llJis dans la mesure même oi'.l elle a pour objet les ld~es, la lDn..ru~ro do lL'S exprimer dans des mots, et de les lier dltn~ des rlusonnemcnts, eUe vaut comme la Grammaire et la LOI.'Ique de toute science possible. L'Idéologie n'interroge pas le rondement, les limites ou la racine de la représent.ation; elle parcow:t le domaine des représbntations en ginéral; eUe fIxe les lIu~ce;'SlOn15 nécessoires qui y apparaissent; elle définit les liens d~l s y n?~ent; ~lle manifeste les lois de composition et de l' composItIOn qUl peuvent y régner. Elle 10"e tout savoir dans f cspace des représentation.o;, et en parcour:nt cet espace, elle orrn.ule le savoir des lois qui l'organise. Elle est en un senil le [a~olr de tOUilles s8voil'S. Mais ce redoublement londateur ne la al pas lIortir du champ de la représentation; il a pour Jin do
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    rabaUre tout snvoirsur une reprb!entation à l'immédiatct.6 de laquelle on n'échappe jamais: c Vous êt .. -voua jamais rend" compte un peu précisément de ce que CI'est que peUller, de ce que vous éprouvez quand vous pensoz, n'importe à quoi? ... Voua dites-vous: je p,ns. UÙI, quand vous avez une opinion, quand YOUS formez un jugement. Effectivemont. porter un jugement yrai ou faux esL un acte de la pensée; cet. acLe consiste à sentir qu'il existe un rapport, une relation ••• PIJ1lSfII', comme 'VOUI voyez, c'ue toujour' .,mir, et ce n'est. rien que sentir1 •• II faut. not.er cependant qu'en définissant la pensée d'un rapport pal' la sensntion de ce rapport ou, plus brièvement, la pensée en général par la sensatioD, Dest.utt couvre bien, SRns en sortir. le domaine entior de la représentation; mais il rejoint. la fron­tière où la sensnt.ioD, comme forme première, absolumentsimple de la représentation, comme contenu minimum de ce qui peut être donné à la pensée, basoule dans l'ordre des conditions phy­siologiques qui peuvent en rendre compte. Ce qui, lu dans un leus, apparaft comme la généralité la plus mince de la pensée, apparait, déchiffré dans une aut.re direction, comme le résultat complexe d'une singularité zooJo,i!lue: c On n'a qu'une connais­sance incomplète d'un animal, 811 on De connatt. pas seslacul­tés intellect.uelles. L'idéologie est une'partie de la zoologie, et c'est Burt out dans l'homme que cette partie est importante et CJ.U'elle mérite d'atre approfondie 1 •• L'analysedelareprésenta­tlOn, au moment où eUe atteint sa plua grande extension. touche par soo bord le plus extérieur l1D domaine qui serait à peu près - ou plutÔt. qui sera. car il D'existe pas encore­celui d'une soience naturelle de l'homme. AUASi différentes qu'elles soient par leur forme, leur aly1e 'Ct leur villée. la question kantieone et. celle df".8 Idéologues ont le même point d'application: le rapport. des représenta1.ioDII cntre elles. Mais ce rapport - ce qui le fonde et le justifie-, Kant ne le requiert pas au niveau de la représentation, môme allé­nuée en son contenu jU!lqu'à, n'êt.re plus, aux confins de la passivité et de ]a conscience. qU8 pure et simple sensntioDj il l'interroge dans la direction de 08 qui le rend possible dans sa gén6ralité. Au lieu de fonder 10 lien entre les repré!lcntatioDI par une sorLe de creusemcnt interne qui l'évide peu à peu Jusqu'à, la pure impression, il l'établit sur les conditions qui e~ d6finis88nt.la forme universellement. valable. Eu dirigeant. aiu!l~ la quotlLioD, Kant contourne ]a représontation et. ce qU? est donné Bn elle. pour s'adresser à cela mÔme à parLir de quoI 1. DIlIILuU. de Tl'llcy, Sl~m'II" 4'Jdtlllo,l., r, p. 33·35. l. Id., Ibid., préface, p. 1.
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    Lu limita dela "p,uentation te réaentat.ion, quelle qu'elle soit, peut êt.re doonée. Ce touent ~ono pas les représentations elI~m~~s. sillon les loie D~ so. u leur appartenant en propre. qw pourraient se déployer d un J:ir de soi et d'un seul mouvement se décompoeer (pu f.a~~lY88) et S8 recomposer (pOl' la Bf.BLhèslI) :. s.8ula des juge-ta d'eXpérir.nce ou des CODstatatlODIi empulqUtlS peuven~ mtl;oDder sur le9 contenus de la représentation. Toute autre Ml' . on IIi elle doit êt.re univel'!lelle, doit se ronder au-delà de toute eIxH ISé riel noe, danl 1, a p.rio.n q.~1 1a rend ibl N "1 .P'OIIS e. on qu 1 , ~II!18 d'un autre monde, maIs des condItions sous lellquellel • eafuOt· exi:lLp.r tOUÙI repr.esent'atlo n du mo!, d8 81é1 g n'er a1 : • P Il Y a donc une conespondanee certamo entre la crItique kantienne et ce qui à la même époque ge donnait. colDIDe la remière Corme il peu près compl~te d'analyse idéologique. Mais l'Idéologie, en étendant sa réflexion sur tout le ohamp de la çl>l1lll1issance - depuis les impressions originaires jus­qu'Il l'économie politique en passant par la logique, l'arithm6- 1.ique, les aciences de la nature et la grammaire -, essayait de l'Bl,reo.dre dans la forme de la représentation cela même qui étuit en train de 8e constit.uer et de se reconstituer en dehors de celle--ci. Cette reprise ne pouvait se faire que sous la fonne qunili Ulythique d'une genèse à la fois singulière et universelle: une conscience, isoMe, vide et abstraite, devait. à partir de la représentation la plus mince. développer peu il peu le grand tableau de tout ce qUI est représentable. En ce sens. l'Idéolo­gie est ]a dernière des philosophies cla.siques . - un peu comme Julielù est le dernier dei récits classiques. Les scènes et lei niaonnements de Sade reprennent toute la neuve violence du dé!lir dans le déploiement d'une représentatiun transparente et I8ns défaut; les analyses de l'Idéologie reprennent dans le récit d'une naissance toutes leI formes et. jusqu'aux plus complexes de la représentation. En face de l'Idéologie, la critique kantienne marque en revanche 10 seuil de notre moder­DiLéj c:lle interro~e la représentation non pas selon le mouve­m~ nt IDdé6ni qUI va de l'élément simple à toutes ses combi­nal~ ons possibles, maia l partir de sca limites de droit. EUe sanctionne aiDsi pour la première fois cet événement de la cul­~ ure eu~pêenne ~ui est contemporain de la fin du XVIIIe siècle: e retr!llt du savoir et de]a pensée hors de l'espace de la repré-aeUt. lil~o~. Celui-ci est mis alors en queationàans!!onfondement, 1O!l.orlgme, et. ses bornes: par le fait même, le champ illi­mite. de la représentation, que la pensée cl~ssique avait. ina­lad' ure. IJue l'Idéologie avait. voulu parcouru selon un pas à pas MI!a!ics unlf fi t SC•l ent'lf i que, apparait comme une métaphYS•i que. COmUle une métaphysique qui ne se serait jamais contour-
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    256 Ull motset lu ChOBM Dée elle·meme, qui 58 serait posée daos un dogmatismo non averti, et n'aurait jomois loit venir en pleine lumière la ques tion de Bon droit. En co sens, 10 Critique fait. resllortir la dimen: Bioo métaphysique que )0 philosophie du xvm' siècle avait voulu réduire pnr ]0 seule analyse de la représentation. Mais elle ou'.. re en même temps )u possibilité d'une autre mét.aphy_ sique qui aurait pOUl' propos d'interroger hon de la repré­sentation tout ce qui en est la source ct l'origine; ene permet CIlI philosophies de ]a Vie, de la Volont.ê, de la Parole que ie xrxe siècle va déployer dans ]e sillago de la critique. VI, LBS SYt'fTRP.SBS ODJECTIVES De là unn sûrie pre s'lue infinie de COD9~qllonces. Do c01l9ê­quence5, en tout cas, illimitées puisque notre pensêe aujour­d'hui appnrtient encore à lour dynAstie. Au premier rang, il faut sans doute placer l'émergence simll1tan~e d'un thùmo tran.'I' cendantal et de champs empiriques nou'eOIlX - 011 du moins dist.ribuês et fondés d'W1f.l manière nouvelle. On a vu comment, au XVIIe siëde, l'apparition de )a malhe3ts comme scienco générale de l'ordre n'avait pas eu seulement lin rôle ronrlateur da os les disciplincs mathématiques, mais qu'elle avait été corré­lative de la formation de domaines divers et purement ~mpi­riques comme ]a grammaire génér,tle, l'histoire naturelle et l'analyse dei riche!lsesj ceux-ci n'ont. }181 olé cOnlltruits 8010n un 1 modèle It que leur aurait prOllcrit. la mathématiAAtion ou la mécanisation de la nature; ils se soot constitués et di!lposés sur le fond d'ulle possibilité gént~rale : colle qui permettait d'établir entre les repr{:solltations un tnbleau O!'donné des identitéll e~ des dilfôr.,oCBs. C'est la dissolution, dau8 les dernières années du xvm8 siècle, de ce champ homogène des représentations ordonnnbles, qui fait apparaître, col'l'élativement, deux formes nouvelles rie pensées. L'une interroge les conditions d'un rap­port entre les représentations du côté de ce qui les rend en gén~ raI possibles : eUe Illet ainsi à découvert un champ transce.n" dantal où le sujet. qui n'est jamai! donné à l'expérience (pULS­qu'il D'C!lt pas empirique), mais qui est fini (puisqu'jJ n'y a pas d'intuition intellectuelle), détermine dans son rapport à un objet = x toutes les conditions formelles de l'expérienco en général; c'est l'analyse du sujet transcendantal qui dégage )e fondement d'une synLhêse possible enm les représentatjOD~. Eu face de cette ouverture aur ]e transcendantal, et symlltn-
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    257 ruent ilelle, une autre formo de p.DII~e interroge les condi­que d'un rapport entre les reprisontat.lons dll c6té de l'être tl~Il!1 e qui l'Y trouve représenté: ce qui, à l'horizon de toute. Ïes ~IlJlrliaentalioD8 a~tueUes, s'indiqu~ de, loi.1!1êm~ c~mmel. fondement de I«:ur u!llté, ~ BO~t ces obJets Ja~lS oblectlvabl,e~, représentations Januul entièrement representables, ces VIIl- bcri.lsi tés àla fOI,s _ma!Wtlc stel et m" VISl' ble s, cei re'a lJ' te1.l l qut• sont en ctrait dans ]a mesure même où elles sont fondatrices de ce r ui le donne ct s'avance jusqu'à noul : la puissance de travail, ~ roree de la vie, le po~v~ir de J?8~ler- C'est li. partir d!S ces formes qui rôdent aux ]IIOI,tes ex~en~ures de l~ot1'e expérJence que la valeur des choses, lorgamsatton des VIvants, ]a struc­ture grammaticale et l'amnité historique des langues viennent jUllqu'à nos reprêsentations et lollicitent de nous la tAche peut-êt.re il16nie de la connaissance. On cherche ainsi les condi­tion! de pos.'1ibilité de l'expérience danll les conditions de pos­. ibilit6 de l'objet. et deson existence, alors que, dans la réflexion transcendantale, on identifie les conditions de possibilité des objets de l'expérience aux: condit.ions de possibilité de l'expé­rieDce elle·m~mo. La positivité nouvelle des sciences de la vic, du langage ct do l'économie est en correspondance avec l'instaurat.ion d'une philosophie traDlcendnntale. Le travail, la vie et le langage apparaissent comme autant de 1 trllIlscendantaux J qui rendent JIOssible la connaissance objec­tive des êtres vivants, des lois de lu production, des formes dll longage. En leur être, ils sont hors connaissance, mais ils BOnt, par cela même, oonditions de connaissances; ils correspondent il la découverte par Kant d'un cllOmp transcendantal et pOUl" tant. ils en dilTèrent sur deux points essent.iels:ils se logent· du côté de l'objet, et en 'luelque sorte au-delà; comme l'Idée dans ]a Dialectique transcendantale, ils totalisent les phéno­~ ènes et disent ln cohérence a priori des multiplicités empi­l! quesi mais ils les fondent dans un être dont. la réalit6 énigma­tique cODstitue avant tout.e cOIlllRissance l'ordre et le lien de c~ I}u.'elle a à connatn-ej de plus, ils concernent le domaine des Verites a pamriori. ct les principes de leur synthèse - et non JI8;~ la ~ynthèse a priori de toute expérience possible. La pre­mlerc dlfT';rence (le fait que les transcendantaux lioient Jogés du c6té de l'objet) explique la naissance de ces métaphysiques qui, ~1l1gre. ~eur chronologie post-kantienne apparais51lnt comme prê~r!tJque!l1l en effet, elles se détournent de l'analyse des cond,ltIons de IR connaissance telles qu' elles peuvent se dévoiler a~ DlVeau de IR subjectivité trall&cendantale; mais ces métaph7.­~: qpes Si dével!>ppent à partir des transcendantaux objectifs a aro e de Dieu, la Volonté, la Vie) qui ne sont possibles que
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    25S Lu moUe& le, clloB"" dons 1. mesure où le domaine de ln rcpré.~cntation 18 tl'Ollve préalablement limité; elles ont donc le même 1101 archéfllu• gique que ln Critique elle-même. La seconde différence (le fBit que cell transccndantaux conccrnent les synthèses a palllario,i) explique l'apparition d'un. positivisme. : toule une couche de phénomènes ellt donnée à l'eX!lérience dont la rat.ionAlité eL l'enchalnement reposent sur un Conde ment objecliC qu'il n'est pns possible de mettre au jour; on peut co~nRilre non pas le, ,subltances, maïa leI phénomènes; non pal les essenccs mai, las loil; Dun pas leI êtres mais leurs régularités. Ainsi s'instaure li. partir de la critique - ou plutOt. li. partir de ce décalage de l'être par rapport à la reJlré~entlltion dont le kantisme est J. premier constat philOlopruque - une corrélation londamen­tale: d'un cOté des métaphysiques de l'objet, plus exactement des métaphysiques de ce fond jamais objectivable d'où viennent les objets à Dotre connui8llllnce lIuperficiello; et de l'autre des philosophies qui se donnent pour tAche la seule observation de cela même qui elt donné Il une connaissonce positive. On voit comment les deux termel de cette opposition le prêtent appui et se renforcent l'un l'autre; c'est dans le trêsor des eonnai,­lance! positivel (et surtout de cellel que peuvent délivrer la biologie, l'économie ou 1. philologie) que leI métaphyeiques des • fonds 1 ou des • transcendantaux - objectifs trouveront leur point d'attaque; et c'est inversement dans le partage entre le fond inconnaissable et la rationalité du connaissable CF,e Jes positivismel trouveront leur justification. Le triaugle entique­poutivisme- métaphysique de l'objet est constitutü de la peosée européenne depuia le début du XlX' siècle jusqu'à Bergsoo. Une telle organisation fit li", daos sa posllibilité archéolo­gique, 1l1'émer~ence de ces champs empiriques dont la pure et simple analyse lDterno de la représentation ne peut plul désor­mais rendre compte. EUe est donc corrélative d'un certain nombre de dispositions prop1"88 1l1'épistAmè moderne. Tout d'abord un thème vient au jour qui jusque·Hl 6tait resté informulé, et Il ft8i dire inexistant. Il peut semblllrêtraoge qu'll'époque classique, on n'ait paa essayé de mathémlltiser les sciences d'ob!ervation, ou leI connaissances gramrnaticalea, o~ l'expérience économique. Comme si la mathématisati0l! gali­léenne de la nature et le fondement de la mécanique 8v81entl eux seula .uffi Il accomplir le projet d'une mothMÏB. U D'Y a à cela rien de paradoxal: l'analyse deI! représentations selon leurs identités et leW'S difIérencel, leur min en ordre dans des tableaux permanents lituaient de plein droit les sciences du qualitatü dans le champ d'une matl..:,i, uIÜverselle. A ln fiD ~u XYllle liècle, un parLage fondamental et DounBU le prodUit;
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    1 JI'.JI limite$de la reprhentalion 259 inteDsnt que le lien des roprê.sentations ne .'établiL plu. ùuos JXlRmouvement même qui lus décompose, les disciplilles ull3ly­~ qutlll se trOuvent épist6mologiquement distiuctos de celles qui d 'vent avoir recours il la 8ynthèse. On aura donc un cbamp deD l seÏences a ~"o• rt•, de 8C'1 ences f 0!IDe IIe s Il t pures, d0 so'!c ncos dtductivc9 qw rel~vent de la logtque et .des mut.hématlques; d'Butre pnrt, 011 VOit se .d,étacher ?Jl ,do~alDe de sCiences a pos­teriori de soiences emplMqur.s quI n utlhsent les formes déduc­tives ~ue par fragments et dans des régions étroi"t!Jmc!lt loooli­sres. Or, ce partage a pour con~équen~ !e, SOU~l épistémolo­gique de retrouver il un autre nIveau 1 umte 'lUi ft été perdue avec ln dis~oeialion de la mathesu et de la science universelle do l'ordre. De là un certain nombre d'eRorts qui caraetéri~ent la réOexion moderne sur les Iciences la classification des dornaines du BBvoir il partir des mathématiques, et la hiérar­cbie qu'on instaure pour aller progressivement vers le plus complexe et !e moi~ exact;.'a réllexion sur}es méthodes empi­riques de l'mductlOn, et 1 effort à la f011 pour les {onder philosophiquement et les jusLifier d'un poillt de vue formeli la tentative poUl' purifier, formaliser et peut-être mathématiller les domaines de l'économie, de la biologie et finalement de la linguistique elle-même. En contrepoint de ces tentatives pour reconstituer un champ épistémologique unitaire, on trouve à intervalles réguliers l'affirmation d'une impossibilité: celle-ci Berait due soit à une Bpécificité irréductible de la vie (qu'on essaie de cerner surtout au déhut du XIX& siècle), soit au eoractère singulier des sciences humaincs qui résisternient à toute réduction méthodologique (cette résistance, on cssaie de la définir et de la mesurer surtout dans la seconde moitié du XlXtI siècle). Sans doute en celte double aflirmatioD, alternée o~ ~imult8né~, de pouvoir et ùe ne pail pouvoir formaliser rem­pu! que, faut-JI reconnattre le tract: de cet événement profond qUI, ,vers l.a fin du XVlllQ lIièclc, a détacbé de l'espace des represen~tlonll la possibilité de la syntbèloe. C'est cet événe­ment qm place ]a formalisation, ou la mathématillation, au coe~r de .tout projet scienLifique moderne; c'est lui également ~w exph~le pour quoi toute mathémat.isation hât.ive ou toute ?rmultsatlo~ ~uüve de l'empirique prend l'allure d'un dogma­tIsme Il précnllque Jt et r6sonne dans Ja peJlllée comme un n'Lour aux platitu~es ùe l'Idéologie. II faud1'lllt évoquer encore un second caractère de l'épÏ8lémè moderne. Durant l'Age classique, le rapport constant et fouda­!", en.tal.du savoir, même empirique, li une malhuis UlIiverselle ~~~tifialt le projet, sans cesse repris sous des formes diverses, Uu corpus enfin unit1ê des connaisSIlIlcesj ce projet, il a pri"
  • 253.
    260 .Lu morset 168 choses tour à tour, mais SODS que 80n londement nit éLü rnodifie l'allure soit d'une scienco générale du mouvement, aoit d'un~ caractéristique universelle, soit d'une langue rélléchie et recona. tiLuée dans toutes ses vlIleurs d'analytlc et dans touteA ses pos­sibilités desyntaxe, soit enfin d'une EncyclopMic nlphab6tique ou analytique du savoir; peu importe que ces tentutives n'aient pas reçu d'achèvement ou qu'elles n'aient. pas accompli entière­ment. ledeaseW quiles avait fait naitre : eUesmanilestaienllOut.ea Il la surfuce visihle des événements ou des textes, la pro [und: unité que l'Age clasllique avait instaurée en donnant pour loele archéologique au savoir l'analyse des identités et. des dilJé­ronces et la possibilité universelle d'uoe mise en ordre. De aorte que Descurtoa, Leibniz, Diderot et. d'Alembert, eu ce qu'on peut appeler leur 6chec, en leur oeuvre suspeudue ou déviêo, demeuraient au plus près de CB qui était conlititutif de la pensée elassique. A partir du XIX" siècle, l'unité de la 1II"'}ie'ï. el~ rompue. Deux lois l'Om}IlIC : d'abord, solon la ligne. qui partage les formes pures de l'analyse ct les lois de la synthèse, d'autre part, selon la ligne qui sépare, lol't1qu'iJ s'agit de fondv 101 synthèses, la subjectivitA transcendantale et le mode d'êtredes objets. Ces deux formes de rupture font Daitre deux séries de tentatives qu'une certaine vislle d'universalité semble pluceren écho des entreprises cartésienne ou leibmzienne. Mailla re~r­der d'un peu plus près, l'unification du champ de la coDDais­Bance n'a et ne peut avoir au XIX. siècle ni les mêmes fonnel, ni lei mêmes prétentions, ni les m~mcs fondements qu'à l'époque clas$ique. A l'époque de Descartes ou de Leibniz, la transparence rbciproque du savoir et de la philosophie était entière, à ce point que l'universalisation du savoir en une pen­Ilée philosophique n'exigeait pas un mode de réOexion 8péc~­tique. A partir de 1<:80t, le problème est tout dilTérent; le savoIr De peut plus se déployer sur le food unifié el unificateur d'une rnaùasBÏ8. D'un cOté se pose le problème des rapports entre le ohamp formel et le champ transceodantal (et. à ce niveau tous les contenus empiriques du savoir soot ml. entre parenthèses et demeurent eD suspens de touLe validité); e.t., d'au~e p~r.t,.'1~ pose le problème des rapports entre le dolnamo deI emplrlClte et le fondement transcendantal dela connaissance (alors l'ordre pur du formel est mis de côt.6 comme non pertinent pour rendre oompte de cette région où se fonde toute expérience même ceUe des formes pures de la pensée). Mais dans un cas ÇOmrDe daus l'autre, la pelUée philosophique de l'universalité D'est pas ~e m~e niveau que 10 champ du savoir réel; ello S6 constitue SOI& comme une réflexion pure s1lceptible de (onder, BoiL comme u,!e reprise capable de dilloikr. La première Conne de philosophie
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    Les limius dew reprkontaûora 261 aniCestée d'abord lIans l'entreprise tichtéenne où 1" tota­s~ e~tr dODlaine transccnduntal est génétiquement déduite des h~e u es universelles et vides de la pensée: par là s'est ouvert ]011 Ph ur p' de recherches où l'on essaie loit de ramener toute U'1ll1 c 'aomn trnnscondantale à l'a na ly S8 d es f orma l'I SOles, 80•l t d e Jd'tél' eXlvrl'r doms la lIubjectivitll transcendantale le sol de pos-ibcTtOu dlei t'o ut formali'smQe. u ant à l'a ut.re ouverture Phl'O) - al Ihl'que ellc ost.III)parue d'abord aveo)a phénoménologie bégé- r.o p nle , u, and lu totali-té du doma'm e empi, ri, que a .1,. te' repri' se ~el~inté:Ieur d'une conscience se rêvêlan~ li. ell~-~êlIle comme ClIprit, o'est-à-dire comme champ h la fOlS emplnque et tralls-cenùantal. • 011 voit comment la tlÎcbc:,phénom{mologique que Hu.sse~l SIl fIXcra bien plus tarJ. est bee, du plus profond de ses POijSI­bilités et de ses impotlsiLilités, au destin de la philosophie occi­dentale tel 'lu'il est établi depuis le XIX" siècle. Elle eSf'aie, en elIet. d'Ullcror les droit. et les limites d'llDe logique lormello daus u~e ré:flexion de type transcendantal, et de lier d'outra part la subjectivité transcendantale à l'horizon implicite des contenus cml,iriqulltl, qu'elle seule a la possibilité de constituer, de maintenir et d'ouvrir I)ar des explicitations infinies. Mais peut-être n'écl1oppe-t-clle pliS au danger qui menace, avant mème la pllénomÎlnologie, toute entreprise dialectique et la fait toujours basculer de gré ou de lorce dans une anthropo­logie. Il n'ost sans doute pas {losslhle de donner valeur tnl.U8- cendantale aux contenus empll'Ïqu88 ni de les déplacer du côté d'une subjectivité constituante, sans donner liou, au moins Bi14sncieusemont, à une anthropologie, o'cst-à-dire à un mode de pensée où les limites de droit de la connaÏs!ance (et par couséquont de tout savoir empirique) soot on même temps les f~rme5 concrètes de l'existence, telles qu'elles 8e donnent pré· cllément dans ce même savoir empirique • • Le~ conséquences les plus lointaines, et pout nous les plus djfficiles à contourner, de l'événement fondamental qui est sur­ven~ à l'épia~~ occidentale vers la fin du xvme siècle,.peuvent 'de rt:sumer ~lIUIl : négativement, le domaine des Eonnes pures e l~ conmussance s'isole, prenant à la rois autonomie et sou­v~ ra,neté p~r rapport. à tou.t savoir empirique, laisant naHre d renlll~re mdêfiniment. le projet de {ormalilier le concret et e COnstltuer envers et contre tout. d85 sciences pures; positi­)' eIO::' 1~8 ,domaines empiriques se liunt à des réUexions sur f· 1 • Jecl1vné, l'être humain et la finitude prenant. valeur et 1:~i~10n dedPhilosophie, aU6:ii bien que de réduction de la pbil~ ue GU e contre-philosophie.
  • 255.
    CBAPITRS Vill Travail,vie, langage '. Las NOUVELLES BMPInICITBS Voilà que nous nous sommes avaucés bien loin au-dclà de l'év6nement historique qu'il s'agissoit de situer, - bien loin au-delà dos bords chronologiques de cetto l'Uptul'O qui partage en S8 profondeur l'dpiBtémè du monde occidentnl, et isole pour nous le commencement d'une certaine manière motkrM de eonnnltre les empiricit6s. C'cst que ]a pensée qui" nous ellt contemporaine et avec laquelle, bon gré mal gré, nOU9 FDSOns, .e trouve encore largement dominée pal' l'impossibihté, mise au jour vers 19. fin du xvme siècle, de fonder les synthèses dana l'espace de la représentation, et pal' l'obligation corrélative, aimultanée, mais aussitôt pllrtagée contre elle-meme, d'ouvrir le champ transcendantal de la subjectivité, et de constituer ÏDvel"l!ement, au-delà. de l'objet, ces c quasi-tramcendantaux 1 que sont pour noui la Vie, le Travail, le Langage. Pour faire surgir cette obligation et cette impossibilité daDS l'âpreté de leur irruption historique, il Iallait laisser l'analyse courir tout ou long do lu pens60 qui trouve lia source en une pareille Mance; il fallait que le propos redouble bAtivernent]e destin ou la pente de la pensée moderne pour atteindre finalement son point ~e rebroussement: cette clarté d'aujourd'hui, encore pAle m~18 'Jlcut-&tro décisiye, qui nous permet, sinon de contourner Aen!Jè­roment) du mOIDs de dominer par fragments. et do Dlallrlser un peu ce qui. de cette pensée formée au seuil de l'dgemoder,ne, vient encore jusqU'à nou8. nous investit, et sert de sol continu à notre discours. Cependant l'autre moitié de l'événement - Ja plus importante sans doute - car elle concerne en leur être même, en leur enracinement, les positivités .ur lesquelles s'ac­crochent nos connailliunces empiriques - est reltée en 8UlpenJ; et c'.t elle qu'il Iaut DlQintelUUlt analyser.
  • 256.
    263 une p'hol1epremière - celle qui chronologiquement DaD; d 1775 fi. 1795 et dont on peut désigner la configuration .'':len rsulus reuvr,~ de Smith, du JUllsicu et de Wilkins-les l travet l1 de travlII.I , d' orgBm.s lfle et dI J ,yst èm e grammat IO ca1 c()n~el)t 'été intToduita - ou réintroduits avec Wl s~tut aingu­j. V"dll:n JOliS l'onalys: des repré.~onLal.iolla esl.dans l'espace tabu­l~ e~;:I'l culle-ei jusqu'à présent SO, déplorait. Sans doute, leur f l 'IOll n'éluit-elle encore que d autorIser cutte analYII~ de ODe 0 .ottr,,!'étHbh!ll!8lUeul d es 1° d enuote. s 0 t d ilS dilIe' rences, e•. de ~er/ll" v 1,)0' d' . ou m·lr J'outil- comm. e aune qua ltatlve - une 1D188 eD 0 • • , ordre. Mois ni 10 travail, ~ le système ~mmatlcal, ~1l1 orga- ·I ... tion vivante ne pouvaient être défirus, ou assures, par 1. sni"m"p le jeu de la ropre"; ;entutlon.1e de' CGmposant, s' a na1 y &an t , 88 recomposant et nID!!1 se represenlant elle-même en un ptoe redoublo/D.eut; l'espace de l'analyse ne pouvait dGno manquer de p,'rdre son autonomie. Dêsormllis le tableau, cessant d'être le 1itl~ dit tous les ordres possibles, la matrice de toua les rap­porta la forme de di:;tribution dit toulles êtres en leur indivi­dI/ oUt' singulière, ne forme plus pour le savoir qu'une mince pellicule de surface; les voiaÏDaglts qu'il manifeste, les identités élémentaires qu'il circon.'!crit et dont. il muntre la répétition, les l'IItlSClublance!I qu'il dénoue eD litS êtalant, lés constances qu"il permet de I,arc:ourir ne sont riell de plus que les eD'els de cer­taines syuthèses, ou organisations, ou syst.èmes qui liègent bien au-delà de toutes les répartitions qu'on peut ordonner Il partir du visible. L'ordre qui se donne au regard, avue le quadrillage permanent de ses distinetions, n'est plus qu'un scintillement luperficiel au-dessus d'Wle profondeul'. L'espace du savoir occidental se trouve prêt maintenant ll basculer: la '(Uirwmia dont la grande nappe Wlivorselle s'éta­lait en corrélation avec la possibilité d'une rnntJae.tü et !{1li eonstituait le temps fort du savoir - à la fois sa possibilité prcn:tièr~ et le terme de sa perfection - va s'ordonner Il une vertl('~hté obscure : celle-ci d6liuira la loi des ressemblance., p,rescma les voiawages et les discontwuiLd, fondera les disposi­tlO,! S perceptibles et. décalera tous les granùs déroulements horlzon~ux de la t~'''f'mia vers la région un peu acceuo~ des consequences. Auw, la culture européenne s'inveDle une p!,oron~e~r où il sera question non pl119 des identités, des carac­te!' Cs dl9tIRCLifs, dus tables perIDunentetl avec tOU8 leurs che­d~ ns ct p&r1.'Ours ]lossibles, mais des grandes [orces cachées d e'i~lopl!eea à purtlr de Jeul" noyau primit.if et inacc85sible, maÏl e ,!rlgtne, de la causalité et de l'histoire. Désormais, les choses ~e ~Iendront. plus à la. repr~sentation que du lond de' cette piUl;seur retlrée en BOl, brouillées peut-être et 1'6ndues plUl
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    264 Lu motaet lu ChWN somùres par son obscurité, mai. nouées fortement à eUea mêmes, assemblées ou partagées, groupées saDS recours pnr I~ vigueur qui se cacbe là-bas, en ce fond. Les fi glues visibles leut'l liens, )415 blancs qui les isolent et cernent leur Prolil_tils ne s'olTriront. plus à. notre regard que tout composés, déjà ul'1iculéa dans ceUe nuit d'on dessous qui les fomente aVIlC le temps Alors - et c'est. l'autre plaallc de l'événement -le savoi; en sa positivité cllonge de lIature et de forme. Il serait faux. - insuffisant surtout. - d'uttribuor cet.te mutation à la décou­verte d'objets encore inconnus, comme le aystèrue grllmmati. cal du sanscrit, ou le rllpport, dllns 10 vivant, entre les dillpolli. tions anatomiques et les plans fonctionnels, ou encore le l'Ôle économique du capital. Il ne sernit pOS plus exact d'imaginer que la grammaire générale est devenue philologie, l'histoire naturelle biologie, et l'analyse des riche!'lBes économie politique parce que tous ces modes de connaissance ont rectifié leurs mêthodes, approché ùe plus près leur objet, rationalisé leura concepts, choisi de IlIt:illeunI modèles de fonnalisotion - bref qu'ils se sont dégagés de leur préhistoire par une sorte d'auto­onal1,8e de la rnil!on elle-même. Ce qui a changé au tournant du Siècle, et subi une altération irréparuble, C'etlt le savoir lui· même comme Diode d'êt.re préalable et. indivis ent.re le sujet qui connalt et l'objot de la connaissance; si OB s'est mis à étudier le codt de la production, et si on n'utilise plus la lIit.ua­tion idéale et primitive du troc pour analyser la formation de la valeur, c'cst parce qu'au niveau archéologique la production comme fil!Ure fondamentale duns l'espace du silvoir s'est lIub,. tituée à l'échange, faisant appa1"Dttre d'un côté uo nouveaux objets connaissables (comme le capital) et prescrivant uel'autre de nouveaux conr.epts et de nouvelles méthodes (comme l'ana· lyse des fonnes de production). De même, si on étuditl, à partir de Cuvier, l'organisation interne des êtres vivants, et si OD uti­lise, pour ce faire, les méthodes de l'anatomie computée, ç'est r.arce que la Vie, COJnme Corme fondamentale du savoir, a ait apparattre de nouveaux objets (comme le rapport du caraco tère à la fonction) et de nouvelles métbodes (comme la r8chercl~e des analoJies). Enfin, si Grioun et Bopp essaient de dêlimr les lois de ralternaDce vOllalique uude lamutation des conSOUDe., c'est pnree que le Discours cumme mode du savoir a été remplacé par le Langage, qui définit des objets jusque-là inapparents (des familles de langues où les sytèmes grammaticaux sont aua· logues) et prescrit des méthodes qui n'avaient pas encore été employées (analyse des règles de transformation des consonoes et de!! voyelles). La production, la vie, le langage - il n'y faut point chercher des objets qui se seraieat, comme par leur
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    265 poids et80US l'effet d'une insistance autonome, impo­propre l'extérieur lA une connaissaDce qui trop longtemps IC8 et81~ négligés; il n'y faut pas voir Don pl ... des concept8 Mtis aura ft peu, grâce lA de Douvelles méthodes, à travers le progrès Pd6U ·enl' .... marchant. vers leul' rationalité propre. Ce sont des eo dSeC.!I! ro-n--damentllux du savo•n' q•ua supportent en leur u'mlé m fissure la corrélation aeconde et dérivée de sciences et de IIUfl' d b' . ~d' La .• d t cliniques Douvellca avec es 0 Jets mt' lts. constltutlon e :;, modes fondamentaux, ell~ est ~aD8 doute enfouie loin dane l'épai~!lour des couches archeo)ogJques : on peut, .cependant, en déeelllf quelqucs signes il trav~rs l~ oeuvres de Ricardo po~ l'écOnomie, de Cuviel' pour la b1010gte, de Bopp pour la phi-lologie. Il. RICARDO DaDa l'analyse d'Adam Smith, le travail devait son privi­lège au pouvoir qui lui était reconnu d'établir entre les valc1J1'8 dus CbOS6S une mesure constante; il penneUait de faire éqùi­valoir daDa l'échange des objets de beaoin dont l'étalonnage, autrement, ent été exposé au chanÇ!lment ou soumi.lI. une es!leD­tieUe relativité. Mais un tel rlIle,lI ne pouvait l'assumer qu'au prix d'une coudition : il rallait supposer que la quantité de travail indispensable poUl' produire une chose {(kt égale à la quuntité de travail que cette chose, en retour, pouvait acheter ~anl le lll'Ocessua de l'échange. 01', cette identité, comment la lllsti6llr, SUE' quoi la fonder .inon auE' una certaine assimila· tion, admise dans l'ombre plus qu'éclairée, entre le travail C~mme ,activité de product.ioD. et le travail comme maJ'Chan­dl~ c qu on peut acheler et vendre? En ce eecond sens, il ne peut pas être utilillé comme mesure constante, cal' il • éprouve autant de variations que les marchandises ou denrées avec JestIuelles on peut le comparer 1 a. Cette confusion, chez Adam SlDlth l avait son origine dane la présbance accordée à la repré- 8~Dt.ntion to~te marchandise représentait un certain mvail, e tout travail pouvait représenter UDe certaine quantité de cInoamrcmh an•d ise.• L'aotivité des hommes et la valeur des choses tal' unl!JURlent daDs 1'èlément transparent de la repré8~D-ra .IOD.dC est I~ que l'analyse de Ricardo trouve 100 lieu et la l80n e SOn IlDportanoo décisive. EJJe o'ost pal la première ~ Ln' Ie8rdo, OEUDrea corl/pUlu (trad. frIIcçaiee, Par/II, 1882), p. fi.
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    méuger une placeimportante au travail dans le jeu de l'éco­Domie; mais eUe {ait éclater l'unité de ]a notion, et dis Lingue pour la première lois d'une manière radicale, cette force cetl~ peiue, ca temps de l'ounier qui s'achètent et se vend~nt e cette acti,-ité qui est à l'origine de la valeur des Ch08IlS.'OIl aura donc d'uu côté le travail qu'offrent les ouvriert, qu'ac­ceptent ou que demandent les entrepreneurs et qui est rétribué pur les aalaires; de l'autre on aura le travail qui extrait les m6taux, produit les denréll8. fabrique les objets, transporte les ~arcllandises, et forma ainsi des valeurs échallgeables qui avant. lui n'existaient pas et De seraient pas apparues nns lui Certes, r,»ur Ricardo comme pour Smith, le travail peut bie~ meSU1'er 1 êquivalonce des marchandises qui palsent par le circuit des échanges: • Dans l'enfance des sociétés. la valeur échangt".able des choses ou la règle qui fixe la quantité que l'on doit donner d'un objet pour un autre ne dépend que de la quaDtité comparative de travail qui a été tllnployée à la pro­duction de chacun d'eux 1. 1 Mais la dilIérence entre South et Ricardo est en ceei : pour le premior, le travail, parce qu'il est analysable en journées de subsistance, peut. sorvir d'uoité commune à toutes les autres marchandisl!8 (dont. les denrêes Décessaires à la subsistance se trouvent elles-mêmes faire partie); poUl' le second, la quantit6 de travail p8l'lIl0t de fixer la valem d'une chose, Don point seulement pArce quo celle-ci était représentable eD unités de travail. mais d'abord et fonda­mentalement parce que le travail comme aetivit6 de production est .la source de toute valeur •• Celle-ci ne peut plus être définie, comme à l'Age classique, à partir du système total des équiva­lences, et de la capacité que peuvent avoir les marchanrull8l de ge représenter les unes les aut.res. La valeur n cess6 d'être un signo, elle est. devenue UD produit. Si ]es choses valent..autaDt que le travail qu'on y a cOWlacré, ou si du moins leur val8~~ est en proportion de ce travail, ce n'eat. pas que le t.ravail.llolt une valeur fixe, CODstante, et écbangeable IIOUS tous les cieUX et eD tous les temps, c'est parce que toute valeur quelle qu'elle soit tire 80n origine du t.ravail. Et la meiUeur~ preuve en ~L q~ïÎ la valeur des clio ses augmente avec la C{uaDu1.é de travail qu faut leur consacrer si on veut les prodUIre; mais elle ne chaoge pas avec l'augmentation ou la baisse dt'.5 salaires contre lesquels le travail s'échange comme toute autre marchandise 1. CJrcu­lant lur les marchés, s'échangeant les unes contre le! aut.I~' ~I valeun ont. bien encore un pouvoir de représentation. 1t &li 1. Ricardo, loc_ ciL, p. 3. t. leL, ibid., p. 24.
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    TrtWa;I, fI~, kmgtJgs267 uvoir, elles le tirent d'ailleurs - de. ce trava}l plus pri­cc. 1!{ t plus radical que toute représentation et qUI par consé­mltJ te e eut pas se définir par l'éohange. Alors que dans la que"/! fi c1~s!liquc le commerce et l'échange servent de fond pu:: ,e S 'lIh1e à l'analyse dcs richesses (et ceci même encore chez lDd pU Smith où la division du travail est commandée par les A 't~~~'s' du troc) de nuis Ricardo, la pOS5wilité de l'échange eat cforIn dcé, e~ Bur le tra, vaill:; et ] a t hll.' on.o d~ 1a p~ ùucl'lo n de'S 0rDl81.8 devrll toujOU1'8 prêcéder celle ,~e la clreul~tl()n, • , De là, trois eon86qu~n~es qu Il faut ~temr; La prenuère, c.est }" swuration d'une serie causale quI est dune (ormo radica­l:~ ent. nouvelle .• Au :'-VlIl.e siècll1 on n'ignorait.past loin de là, le jeu des détcrml1~atlO~ economlques : o~ explIquolt com!flcnt la monnaie pOll;8lt (UlT ou alIluer, les P'I,X monter ,ou boumer, ]a production S nccrottre, Btagner ou dlDl1nuerj mais tous oos mouvements étaient dl:fiuis à partir d'un c.'Ipace en tableau où les valeurs pouvaient se refrésenter les unes les au~rest le8 pm augmentaient I01'8lJuoles él.eme~ts représenta~ts CI'~m.S81e~t plus vile que les éléments rcpresentes; I~ pro.d~tiol,l dlDunualt lors­que let! instruments de représenu,atl~n d~mmu.alent 1!al' rapport BUX choses à représenter, etc, Il 8 aglssalt touJours d une causa­lité circulaire et de Burfnce puisqu'elle ne concernait jamais que les pouvoirs l'éciproquc8 de l'analysant et de l'analysé. Â partir de Ricardo, le travail, décalé par rapport à la représen­tation, et s'installant dans une région où elle n'a plus prise, ,'organise selon une causalité qui lui ost propre . .La quantit6 de travail nécessaire pour la fabrication d'une chose (ou poUl' aa récolte, ou pour son transport) et déterminant sa va]eur dépend des formes de production : selon le degré de division dans le travail, la quantité et la nature des outils, la mas Ile de capital dont dispose l'entrepreneur et celle qu'il a investie dans les in;rtallations de son usine, la production sera modifiée; dans rAlJ"!-81nS cas eUe sera collteuse; dans d'autres elle le sera moins 1. MaIS comme, dans tous les cas, ce codt (salaires, capital et nve~us~ profits) est déterminé p~r du trav;ail déjà accompli et ar~h~~ à. cette nouvelle production, on VOlt naître une grande Bene ~lnCRlfe et homogène qui est celle de la productioD. Tout travl.1I1 n un résultat qui 80US une forme ou sous UDe autre est 8pplul'Ié ~ un nouveau travail dont il définit le codt· et ce nou- V~ea u t raVBI'1 à Wn tour entre dans la formation d'uno 'v alour, etc. 1 tle aC~ul:*tion en 86rie rompt pour la première fois avec les dête"!Jtnatll>DB réciproques qui seules jouaient dans rana~ J'Se clasS1que dea richesses. Elle introduit pal' le fait même la 1. IUtard~. lot. cir" p. 12.
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    268 possibilité d"untemps historique continu, même li en fait çomme nOU8 le velTOna, Ricardo ne pense l'évolution il vem:, que sous la forme d'un ralentissement et, à la limite, d'un lUI! pena totnl de l'Msloire. Au niveau des conditions de posa: bilité de la pensée, Ricardo, en dissociant forma.tion et l'ep; aentativitê de la valeur, a permis "articulation de "économie 8ur l'histoire. Les c richesses J, nu lieu de I!e distribuer en Un tableau et de constituer pal' là un Il)'stème d'équivolcnce s'or­ganisent et s'accumulent en une cha!ne temporeUe : toute ;aletu 8e détermine non pa8 d'après les instruments qui pennettent de l'unulYtier, mail! d'après les conditions de production qui l'ont fait nuttrei el au-delà encore ces conditions sont détenlli­nées por des quantités de travail appliquées li. les produire. Avant m6mu que la réflexion économique soit liée à l'histoire des êvénements ou des sociétés en un discours explicite, l'his. toricité a pénétré, et. pour longtemps sans doute, le mode d'être de l'économie. Celle-ci, en Ba posit.ivité, n'est plus 1iêe è. un espace simultané de différenceB et d'identités, maia au tempi de productions successives. Quant à la !!Bconde conséquence, non moina dêciaive, eDe concerne la notion de rareté. Pour l'analyse clas8ique, la rareté était définie par rapport 8U besoin: on admettait. que la rareté .'accentuait ou se déplaçait li mesure que lei! besoins augmen­taient ou prenaient de.'! formes nouvelles; pour ceux qui out faim, rareté de blé; mais pour les riches qui fréquentent le monde, rureté de diamant. Cette rnreté, les économistes du XVIIIe si~cle - qu'ils {ulsent PhysiOC1'8tes ou non -pensaient que la terre, ou le travail de la terre, pennettait de la sunno&­ter, au moins en partie: c'est que la terre a la merveilleuse propriété de pouvoir t."Ouvrir des besoins bien plus nombreux que ceux des hommes qui la cultivent. Dans la pensée classique, il y a rareté paree que les hommes Ile représentent des objeta qu'ils n'ont pOR; malS il y a richesse parce que la terre produit eD une certaine abondance des objets qui ne sont pas aU.68itôt consommés et qui peuvent alors en repréllenter d'autres duulIles échanges el dans la circulation. RicUl'do inverse les tennes de cette unalyse : l'apparente générosit6 de la terre n'est due en fuit qu'à Bon avance croissante; et ce qui est premier, ce. n'est pas 16 besoin et. la représcntlltion du besoin dans l'e8p~lt ?es hommes, C'6lIt purement et simplement. une carence orlguliure. Le travail en effet - c'est-à-dire l'octivité économique­n'est appuru daIlsl'lûatoire du monde que du jour où les hOIIllneB se sont trouvés trop nombreux pour pouvoir se nourrir des fruits spontanés de la terre. N'ayant pal de quoi 8ubsist,i]' certains mouraient, et beaucoup d'autres seraient morts 1 •
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    269 , taiont.mis li. t.ravailler la tene. E1.lI. meBure que la popu­De .5 é e lIlult.ipliait, de nou.,eUes franges de la forêt devaient )allon baUues dMriebées et mises en culture. A chaque instant ~ue 8n histoi~ l'humaniLé nO travaille plus que BOUS III menace ~e i: mort : to~te ropulntio.n, si e1le !le trouve paB dCl'essources e velles est vouèe à s'/:Lemdrej et Inversement, à meaure que j;UhoIl1J~es se m,!llip)ient, il. e!'tre'prenne~t d~ t.~v!lux plus br"ux plus lomulus, plus dlfficlles. moms Jmmcdllltement nfêocnoln dsIl. Le, surplomb de. 1a Dl0rt S! f 81. S8!"t P1 u s !eo•o utab l e ~.1_-­JII J,rol'ortion où los sU~ls=ances necessalre,s devlcnnent ,Plus ~J[­ficilr. 5 d'accès, le travail, lDversement, dOit croitre cn IntenBlt6 eL utiliser tous les, moye~s de se r~ndre .plus ,proli6que. Ainsi co qui rend l'éconolIlI.e pos~lhle, eL neCell!ialre, c est ,une perpétueU,! el fomhllnentlile Ii1L~at.lOn de rareté: en face d une n~ture qut pAr elle·même ell lDerte et.. sauf pour une part mInuscule, stérile l'homme rillque sa vie. Co n'est plus dau les jeux de la reJlrêll~utalion que l'économie trouve son principe, mais du c6Lé de cette région périlleuse où 10' vie ,'affronte à la mort. EUe renvoie doue li cet ordre de cOllsidératiou assez ambiguë. qu'on peut appeler antbropologiquns: eUe se rapporte en effet aux propriétês biologiques d'uncespêce humaine. dont Malthus, lIa ulême époque que Ricardo. ft montr6 9u'elle tend toujours l crottre si on n'y porte remède ou eontramte; elle S8 rapporte aUllsi à la situation de ces êtres vivanta qui risquent de ne paB trouver dans ln nature qlli ICI entoure de quoi 8811urer leur exia­tenee; clle désignoenfin dans le travail, et dans la dureté mame de cc tTavail. le seul moyen de nier la carence fondamentale et de triompber un instant de la mort. La positivit6 de l'6conomie se loge dons ce creux anthropologique. L'Mm.o o6l:ooomic .... , ce u'est pas celui qui se représente sel propres besoins, et lca objets capables de 108 assouvir; c'est celui qui passe, et use, et perd SB vie li êchapper Il l'imminence de la mort. C'est un être &ni : et tout comme dopuis Kant. la question de la finitude est devenu~ plus fondamentale que l'a';lalyBe de. représentations (celle:C1 ne pouvant plus ~tre que dérivée par rapport à celle·là), dep~~ Ricardo l'économie repose, d'une laiton plus ou moiRB expliCite, sur une anthropologie qui t611.te d'assigner à la fini­tude des formes concretf'.!. L'économie du XTm' siècle était en rapport:à une matltuu comme Bciunce général Il de tous l~ ordre. pO~lblc8i celle du XIX. lIeH réC6rée à WlII anhropolGgle i.mme ·:hsc,.'ours !lU!' la 6nitude naturelle de l'homme. Par le :.a8~ .rnê~e, le besoin, le désir, se retÏ1'tmt du côL6 de la sphère .leetlVe - ~8ns cette région qui li. la même époque elt en 41u "d de devemr l'objet de la psychologie. C'est Ill, précisément. e 81111. seconde moitiê du XIX- siècle, les marginalises iront
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    270 LBs motset lM C1wS68 rechercher 1. notion d'utilité. On croira alors que Condillo ou Graslin, ou Fortbonnais, étaient c déjàl des« psychologisle:' puisqu'ils analysaient. ]a valeur à partir du besoin; et on croi~ de même que les Physiocrates étaient les premicl'!l 8nc~tree d'une économie qui, à partir de Ricardo, a analysé la va]~ur à rarlir des coQts de production. En fait, c'est qU'OIl sera Sorti de a configuration qui rendait. simultanément possibles Quesnay et Condillao; on aura échappé au règue de cette épiatémè qui lon­dait la connaissance sur l'ordre des représentations; et on sera ent.ré dans une autre disposition épistémologique, celle qui distinguo, non sans les référer l'une li l'autre, une psychologie des besoins repr6scntés et une anthropologie de la fuûtude 1laturelle. Enfin, ln dernière cons6quence concerne 1'6volution de l'éco­nomie. Ricardo montre qu'il ne faut pas interpréter comma fécondité de ]a nature ce qui marque, et d'une manière toujOU1'9 plus insistante, Ion essentielle avarice. La rente foncière où tous les économistes, jusqu'à Adam Smith lui-même!, voyaient le ligne d'une fécondIté propre à ]a terre, n'existe que dans la mesure exacte où le travail agricole devient de plus cn plus dur, de moins en moins Il rentable Il. A mesure qu'on est contraint par la croissance Uûnterrompue de la population de défricher des terres moins fécondes, la récolte de ces Douvelles unités de bIll exige plus de travail: soit que les labours doivent être plus profonds, Boit que la surface ensemencée doive être plus large, BOit qu'il :Cuille plus d'engrais; le coQt de la production e5t donc beauooup plus élevé pour C88 ultimes récoltes que pour les pre­mières qui avaient H6 obtenues à l'origine sur des terres riches et fécondes. Or, ces dcnr~es, si difficiloe à obtenir, ne sont pa8 moins indispemables que les autres Bi on ne veut pas qu'une certaine partie de l'humllnité meure de foUn. C'est donc le collt de production du hl/: 8ur les teITes les plus stériles qui déterminera le prix du blé en général, même s'il a ét6 obtenu avec deux ()u trois fois moins de travail. De là, pour les terr:es faciles à cultiver un bénéfice accru, qui pe1'lllet à leurs proprlê­taires de les louer en prélevant un important fermage. La renle foncière est l'efTet non d'une nature prolifique, mais d'une terre avare. Or, cette avarice ne cesse de devenir chaque jour plus sensible : la population, en eITet, se développe; on se met à labourer des terres de plus en plus pauvres; les c06ts do pro­duction augmentent; les prix agricoles au.,crmentent et avec eu~ les l'mlles roncières. Sous cette pression, il se peut hien -). faut bien - que le salaire nominal des ouvriers se mette lUI 1. Adam Smith, Redzutllu tuT la ridtu,~ du naliltnl, l, p. 190.
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    Travail, v~ lmagagB271 • Ii croltre afin de couvrir les frois minimUJJl! de Bubsis­auUI . mais p~ur cette mArne raison, le 8Illoire réel ne pourra wn~~, uement. pBI 8' élever Bu-denus de ce qui est indispensable pra l~ue l'ouvrier s'habille, se loge, le nourri~se. Et finalement, fc°U~fit des entrcpreneul"S baÏ5lera dans la mC!lure même où la e Pte Concière augmentera, et où la r~tribution ouvrière restera ~e. 11 b8is~crait. m~mc .in~éfiniment au p<>int ~e ?i!p8rattr~, . on n'allait veu une hnute : en effet, à partIr d un certain l' oment le~ profits l. nd u stn.e 1 8 seront trop b as pour «p'lonf a sse ~!'IIvaiIle~ de nouveaux ouvriorll; Caute de salaires supplémen­taire- la mnin-d'oeuvre ne pourra plus croJtre, la population devi;~dra swgn[lnte; il ne sera plus nécessaire de dHricher de nou'elle5 terres encore plus infécondes que les précédentes: la renle Concière plafonnera et n'exercera plus Ba pression cou­tumière sur lM revenus industriels qui pourront alol'll se stabi­liser. L' Histoire enfin.deviendra étale. La finùuMdel'hommesera tUfinis-unefois ooW' toutes,c'est-h-dire ponrun tomps indéfini. Paradoxalement, c'est l'historicité introduite dam l' ~CODOmiO f.8r Ricardo qui pennet de penser cette immobilisation do 'Hilloire. Ln pensêe classique, eHe, concevait pour l'économie, un avenir toujours ouvert et toujours cbangeant; mois ils'agis­sait en fait d'une modification de type spatial: le tableau que les richesses ~taient censbes former en se déployant, en s'échan­geant et en s'ordonnant, pouvait bien .'agrandir; il demeurait le même tableau, choque élément peroaDt de sa lurface relative, mois entrant en rclntion avec de DOOTeeux éléments. En revanche, c'est le temps cumulatü de la population et do la production, c'est l'histoire ininterrompue de la rareté, qui à pa~ir ~u Xlxe siècle pennet de pflnsor l'appauvrissement de l'HIs.tOlre, lion inertie progressive, 88 p6t.riJication, et bientôt 60n Immobilité rocheuse. On voit quel ~le l'Histoire et l'an­thro~ logie jouent l'une par rapport li l'autre. n n'y a histoire (travaIl, PMduction, accumulation, et croissance des coQt!! réels) ~! dan~ la me5UJ'e où l'homme comme ~tre naturel est fini : ~t.udo qui se prolonge bien au-delà des limite!! primitives do ~pèce et des hesoins immédiats du corps, mai!! qui no C6SSI1 ~ llcc?1t.lI~ag~er, au moins en 8ourdine, tOut le développement i C.IVJ ISlltiOns. Plus l'homme s'installe au coeur du monde, p U$.l~ avance dans la POSSesSiOIl de la nature, plus fortement :::51 11 ~st .pre~sé par la finitude, plus il s'approche de lia propre li :t. L.l!I~tOlre ne permet pas à l'homme de .'évader.de ses 1 Buta Initiales - sauf en 8pparence, et Bi on donne A limite ~:::le plus lIuperficiel; malS si on coJl8idère la finitude fonda- 10' e de l'homme, on s'aperçoit que 8a situation anthropo-gtque ne cesse de dramatiser toujours davantage eonHistOlre.
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    272 LN mouet lu ch06M de la rendre plll~ r.llrilleu80, el. de J'approcher pour ain~i dire d la propre impossibilité. Au momenl. où eUe toucha à de ~t" conJios, l'Histoire ne peut plus que s'arrêter, "ibrlll' un Îoalan: lur IOn axe, et s'immobiliser pour toujours. Mais c:eci peul. 8 pl'9duire sur deux modes : soi.t qu'elle rejoigne progrelRiv: JUent et avec Ulla lenteur touJours plus marquée un étal. de stabiliLé qui sanctionne, dans l'ind6fini du temps, ce vers ~uoi elle a toujours marché, ce qu'au fond 0110 n'a PUB cessé d'être depuis le début; lIoit. au contraire qu'ello at.teigne I1n point de retournement où elle ne ae fixe que dans la mesure Où elle supprime ce qu'elle avait. été contimlment jusque-là. Dons la première solut.ion (reprbentêe par le 1 pf'_'!limilme • de Ricardo), l'Histoire fonctionne en face dc.'1 déterminatiolls anthropologiques comme Wle sorte de grand mécani8mo compen­sateur; certes, elle se IObre dans la fiuitude humaine, mAis elle "1 apPAralt à la manière d'une figure posit.ive et en l"elillr; elle permet à l'homme de surmonter la rarelê il laquelle il est voué. Comme cette carence devient chaque jour plus rigoureuse, le travail devient plus intenso; la production augmente en chilTn:s ablolus, mais en mêmo temps qu'elle, et. du même mouvement. Jes coQ" de production - c'est.-ll-dire les quantitéll de travail JléCCllSllÎre JlOur produire un même objet. De sorte qu'il doit yenir inévltablement un moment. où le travail n'tilt plus suatenté par la denrée qu'il produit (celle-ci ne colllant plus que la nourriture de l'ouvrier qui l'obtient). La product.ion ne peut plus combler le manlJue. Alors la rarotu va se limiter elle­même (par une stabilisation démographique) et. lu travait YB s'ajuster exactement aux besoins (par uD,a r6parLitioD détu­minée des rich.ses). Désormais, la finitude et la production Yont se super}Klser exactement en une figure unique. Tout labeur supplémentaire serait inutile; tout excédent de populao tion périnut. La vie et. la mort seront ainsi exactement. posées l'une contTe l'autre, surface contre surface, immobilisée! ct comme renforcées toutes deux par leur pou9sêe antagoniste. L'Histoire aura conduit la finitude de l'homme jWlqu'à ce point-limite oà. elle apparattra enfin en 8a pureté; olle n'aura plua de JD8r~e qui lui permette d'échapper à eUe-même, plu. d'ellort à 'aue pour 80 ménager un avenir, plus de t~ n03- velles ouvertes 11 des hommes futurs; 80UI! la grande 6roslpn 1 l'Histoire, l'homme sera peu li. r,eu dépouillé de tout ce qUI Pbiut le cacher à ses propreg yeux; li aura épuisé tous ces POl!1 es qui brouillent un peu et esquivent SOUI les promes98s du !e~es aa nudité anthropologique; par de longs chemins, mais ID VI­tables, mais contraignants, l'Higtoire aura mené l'homme jU8qU~lI. cette vérité qui l'arrête sur lui-même.
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    TrafltJil, flic, langage273 s la seconde solut.ion (représentée par Marx), le rapport de~~fh5toire la la finil~d~ an.thropologique alll déchifIr~ le!on d· cll'on jnverse. L Hlltolre, alors, loue un rôle negallî : lu Irc • 1 . db' . r . c'est eUe en elFet qUi accen~ue es pre.O;Slons u t)som! qw ait crO'tro J.!!! carences, contraignant les hommes li travailler et la I ~ • 1 . 1 roduire toujours davan~ge, lans recevoir" us que ce q~1 eu~ P t indispensable pour Vivre, et. quelqucfols un peu mOlnll. SI br~ n qu'avec le temps, le produit du travails'accumule, écbap-len t sans répil à ceux qUi l'a ccompl I' ssent : ceux-cI. prod w'& cnt m'liniment plu~ que cettc part de)a yaleur qu! leur revian.t~o.us forme de sahure, et donnel~t al!!SI. au. capItal ]a pOSSlblhté d'acbeter à nouveau du travail. Aïolil Croit sans cesse le nombre de ceUX que l' HÏliLoire maintient aux limites de leurs conditions d'eJ;istencej et par là même ces conditiuns ne ce!sent de devenir plus précaires et d'approcher de ce qui rendra l'existence eUe­même impossible; l'accumulation du capital, la crois.,ance des entreprises eL de leur capacito, la pression constante SUl' les salaires, l'excè5 de la production, rétréci8lent le marché du travail, diminuant sa rétribution ct augmentant le chômage. Repoussée par la misère aux confins de la mUft, toute unc classe d'hommes fait, comme il nu, l'expérience de ce que sont le besoin, la faim et. le travail. Ce que les autres at.tribuent à la DBturc ou fi l'urdre spontané des choses, i1a savent y recon­nattre le résultaI. d'une histoire et l'aliénation d'une finitude qui JI'a pSI ceUe lorme. C'est cetle vérité de l'essence bumaine qu'ils peuvent pour cette raison - et qu'ils sont seuls il pou­voir - ressaisir afin de la restaurer. Ce qui ne pourra Atre ~bt~nu. que par la suppression ou du moins ]c renversument de l HistOire teUe qu'elle s'est déroulée jusqu'à présent: alon 8euleme~t commencera un temps qui n'aura plus ni la même fonnc:, Dl les.lnelues lois, ni la même manière de s'êcouler. ~lalS peu ~Iporte san. doute l'alternative entre le 1 pessi­InIsme 1 de Ricardo et. la promesse révolutionnaire de Marx. Un t~l systèm~ d'options ne représente rien de plus que les deux :aDlh~ pos~iblel de parcourir les rapports de l'anthropologie ~e 1 HIstOire, tel. que l'économie le& instaure à travers les jotlons de rareté el de t.ravail. Pour Ricardo,l'IU.toire remplit ;8.l:c reux ménagé par la :flnjl.ude anthropologique et manifesté .une per~ét.uelle carence, jusqu'au moment où. se trouve mll;:/e f.H!lt ~'une stabilisation définiti'Cj selon la lecture rait 1 c.' Ist?lre, en dépoesédant. l'homme de aon traVAil, maté ~u en relie~ la lorme positive de sa finitude - sa vérité cOID~~e te enfi~ libêréc. Certes, on comprend &aIlS difficwté, LUés ..: ' BU r;uveau. de J'opinion, Jes choIX réels ae sunl dislri- • urqUOI certalDS ont opté pour le premier type d'analyse,
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    274 et. d'autrespoUl' le second. Maia ce ne aont. là que des dia' l'Bnoes dérivées, qui relèvent en tout et. pOUl' tout d'une enqu~:; et ~'UD traitement .doxol~gilJUe. A~ niveau profond ·du savoir oCCIdental, le marxIsme n ft IntroduIt. aUCUDe coupure réelle' il s'est logé saDli dilIiculté, comme uue figure pleine, tl'anquUl conFortable, et ma foi, saûsfai8ante pour un temps (le sien) ~ l'intérieur ù'une disposition épistémologique qw l'a accu.,iUi avec faveur (puisque c'est elle justement qui lui faisait place) et. qu'il n'avait en retour Di le propos de troubler, ni surtout le pouvoir d'altllrer, ne fllt-ce que d'un pouce, puisqu'il reposait; tout entier sur ello. Le marxisme est dans la pensée du XIXe siècle comme poisson dans l'eau: c'est-l-dire que partout ailleurs il cesse de respirer. S'il s'oppole aux théories c bourgeoises. de l'économie, et si dana ceUe opposit.ion il projette contre eU. un retournement radical do l'Histoire, ce conDit et ce projet ont pour condition de possibilité non pas la reprise en main de tout.e l'Histoire, maia un év6noment que toute l'arohéologie Caut sit.uer avec précision et qui a ,Prescrit simultanément, sur 8 même mode, l'économie bourgeoise et l'économie révolution­naire du XIX. siècle. Leura débats oot beau émouvoir quelques vagues et delsiner des rides Il 18 surface: ce ne sont tempêtes qu'uu bassin des enfants. L'cssentiel, c'est qu'au début du X1Xe siècle selloit coustituée une disposition du Bavoir où Agurcnt li la fois l'historicité de l'économie (en rapport avec le! formes de production), la fini­' tude de l'existence humaine (en rapport avec la rareté et le travail) et l'échéance d'une fin de l'Histoire - qu'elle soit l'alen­tissement indéfini ou renversement. radical. Histoire, anthro­pologie et BU9peD1i du devenir s'appartiennent selon une Agure qui définit pour la pensée du XiX· siècle un de BeB réseaux majeurs. On sait, par exemple, le rôle que cette disposition a joué pour .. animer le bon vouLoir fatigué des humanismes; on .ait comment il a fait. l'enaitre les utopies d'achèvement. Danl la pensée classique, l'utopie fonctionnait plutôt comme ~e rêverie d'ongine : c'est que la UaÎcheul' du monde deva!t assurer le déploiement idélll d'un tableau où chaque cho~e serait présente en la place, avec aes voisinages, ses différences proprlll, ses équivalences immédiates; en cette prime lumière, les re~rê­sentatioos ne devaient pas encore être détachées de la VIVe, aiguë et selUible présence de ce qu'elles représentent. Au XIX. lIiècle l'utopie conceme la chute du temps plutÔt que sdn matin: c'est que le savoir n'est plua coDstitué sur le mOde dU tableau, mai. sur celui de la série, de l'enchainement, et dU devenir quand viendra, avec ]e soi .. promis, l'ombre U dlmouement, l'érosion lente ou la violence de l'Histoire feronl
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    275 nI' euSOD immobilité rocheule, la vél"it6 anthropologique 18 ,d'~ Dmo' le temps des calendriers pourra bien eontmuer; il de 1 !,~lDe ~iJe, car l'historicitéae sera supe!JlOsêe u:aetement ICr !lllliCe humaine. L'écoulement du devenir, avec t.outel sel l e!!~rce8 do drame, d'oubli, d'aliénation, sera capt.é danl une fi~ de anthropologique, qui y trouve en retour sa manifesta- .OJ ul'lluminée. La fini.tuàe avec sa vérité se donne dans le tlOIl • et du eoup 1c I4Imp' est ,R.m'. La grBO d e aongerl. e d'u n ~~ de l'Hist.oire, c'est l'utopie des pensées causales, comme l:r~vu des origi!1es, o'~tait l'utopie des peII~ées clalsificatrices. CeUe di!lpoliitl~n a ot.é l~ngt~ps cOlltr!l.lgnan~ej ~t ~ la fin du XIX' sièclo, Nletzscho 1 a faIt une dermere fOIS 8clntlller en l'incelldiant. Il a repris la fin des teml)s p'our en faire la mort de Dieu et l'erraDce du dernier homme; il Il repris la finitude anthropologique, moi! pour faire jaillir le bond prodigieux du surhomme; il u repris la grande chaine continue de l'Histoire, mois pour la courber dans l'infini du retour. La mort de Dieu, l'imminence du surhomme, lu promesse ct l'épouvante de la grande année ont Leau reprendre comme terme Il terme les 616rnenls qui 80 disposent dons la peosée du XIX· siècle et en lormeot le réseau archéologique, il n'en demeure l'as moiu, qu'eUes enflamment toutes ces formes Itables, qu elles des­sinent de leurs restes calcinés des visages étranges, impossibles peut-être; ct dans Wle lumière dont on ne sait pas encore all juste IIi eUe mnime le dernier incendie, ou li elle indique l'au­rore, on voit s'ouvrir ce qui peut êtra l'espace de la penalle eontemporaine. C'est Niotzsche, en tout CUB, qui a brlUé pour nous et avant même que nous fussions nés le8 promesses mêléos de la dialectique et de l'anthropologie. 111. CUVIX. Dantl 80n projet d'établir une ciaasificatÎon aussi fidèle qu'une méthode et aus!!i rigoureuse qu'un système, Jussieu avait dêcou­Se~ la r~le de subordination des caractères, tout comme ) IWt~ avrut utilisé la valeur constante du travail pour établir ::'lo.ftX nU1.ur~1 des choses dons le jen des équivalences. Et de po j que, RIC:ardo a atrrllnchi le travail de SOD rôle de mesure gé::rai ladre leantrer, en deçà. de tout échange, dans les (ormel fon ti es e. production, de même Cuvierl. a aJIrancbi do sa fai~ o~ taxmomique la subordiuation des caractères, pour-la ell rer, en deçà, de toute classification. éventuelle, dans les t. cr, lUI' CU'Ï l'~ (Pt,ri*, t!l3UJ. cr. ..Lude remarquable de Daudln.Lee C/a.,t, loolo,f'lUU/
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    276 di,:e1'8. plansd'organisation des êtres vivants. Le lie;). inte qw fait dépendre les struotures les unes des autres n'cst pre situé au soul niveau des fréquences, il devient le {{mdem Us même des, C?rréla.ti~ns. C'es: ce d6~fllflge ~t cette inversion e~t GeolIror Samt-Hllaire devait tradUire un Jour en disant. c L~ e ganisatJOn devient un être abst1'flit ... susccptible de form~ no or­bre!-, ses 1. Il L'espac~ des. êtres vivants pi.vote autour de ce~; n()tlo~, ettout c~ q;w. a,:volt pu appara1tl'e Jusque-Ià à travel'!l le quadrillage de 1 hIstOIre natureUe (genres, espèces, individl18 structures, organes'), tout ce qui s'était donné au regard prend dê&ormais un mode d'être nouveau. Et au premier rang, ce! éléments ou ces groupes d'éléments distincts que le regard peut articuler quand il paroolll't le corps desindivid us, et qu'on appelle les organes. Dans l'analyse des elali­siques, l'organe se définili&aÏt à la lois par sa structure et par la fonction; il étai t comme un système à double en tl'ée qu'on pouvait lire ex.hausti~emen~ aoiU pa!lir du rôle q1;l'iljouait (pm' exemple la reproductIOn) SOit à partll' de ses vllllBblcs morphologiques (forme, grandeur, disposition et nombre) : les deux modes de déchifTrement se recouVl'flient IIU plus juste, mois ils étaient indépendants l'un de l'autre - lepremierênonçant l'utilitabl8, le second l'identifiable. C'est cette disJlOsition que Cuvier bou­leverse; levant aussi bien )e postulat de l'ajustement que celui de l'indépendance, il lait déborder - et largement - la fonc­tion par :rapport li l'organe, et soumet la disposition de l'organe à la souveraineté de la fonction. Il dissout, sinon l'individualité, du moins l'indépendance de l'organe: erreur de croire que 1 tout est impol'tant dans un organe important »j il faut diriger l'attention c plutôt sur les fonctions eUes-me mes que 8U1' )j',s organes J _j avant de définir ceux-ci par leurs variables, il faut les rapponer à la {onction qu'ils as~urenl. Or, ces fonctions sout en nombre relativement peu élevé: respiration, digestion, ciroulation, locomotion ... Si bien que la diversité visible des structures n'émerge plus Bur fond d'un tabler.lU de nrjables, mais Bur iond de grandes unités fonctionnelles susoeptibles de se réaliser et d'accomplir leur but de manières diverses: c Ce qui est commun li chaque genre d'organoo considéré dans touS les animaux se réduit à très pell de chose et ils ne 86 resliemblcDt souvent que pal' l'efret qu'ils produisent. Cela a dll (ra~per surtout Il 1'6gard de III rcspil'fttion qui s'opère dans-les dltTll­rentes classes par des organes si variés que leur 8tructure 08 l. Cité por Th. Cahn, La Vie el roeuvfe d'B. GUlCNJIl Salnl-Hlla/r8 (ParJ •• 1962), p. 138. 2. G. Cuvier, LepJII. d'ano'ollll, Ctlmparh, t. l, p. ~4_
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    'j',aMil, vie, '""BGg.277 . te nucun point. commun • If En con"icl~l'ant l'organe du. l'rl~~e: port Il ln {onction, on voit dODO o,ppar~itl'. des « l'eS­son ~l ~"cs • là Oil il n'y a nul élément « Identique Il; ressem­ffI" m 1 qu' i se constitue par le passage è l'ovident.e inviaibilité dbe n nhrle fonction. Les branch l' es et l es poumOJ~s, pell I' mporte , tout l'ils ont en commun quelques vorlablllll de (orme, adpel ''rtIr ande~lJ r, de nomure 1'1 li, se ~'1semb l ont Pl;'rc? 'lu" 11 ~ 8O~t d~'~~ "llriélés de cet organe lnexlsta~t, nbstrlllt, lrrcel, lDl18S1- . Ile ubtlent. de toute espèce descriptible, présent. pourtant gJ1d' ,1: le' rèune animal en son entier et qui sert il rBBpirll1' BII 6u1n11": rnl On, ,r-e.~taure am• ll• d ans l'a na1 y se du V'I vant 1e s ana1 0 - :ics de' Lype Ilristot6licien : les branchies 1I0n.t à.ln respirn~~n duns l'Cllu ce que lcs powno~ sont à la, resplratlon dans l,air. Certes de pareils rapports étalent parfaitement connus à 1 Age c1l1lsique' mais ils servaient. seulement il déterminer des fonc­tions' on' De les utilisait pas à établir l'ordre des choses daM l'e.~~co de la nnture. A partir de Cuvier, la [onctioD, définie IOUS la Corme non perceptible de l'etIet. à atteindre, va servir de moyen terme constant et pennettre de rapporter l'un à l'autre des ensembles d'éléments dépourvus delu moindre iden­tit. é villiule. Ce qui pour le regard classique n'était que pures et simples dilIérences juxtaposées à des idenlÏt.ês, doit maintenant .'ordonner et se penser à partir d'uDe homog6néité fonction­nelle qui le supporte en secret. Il y a hislairB naturellB lorsque Je Même et l'Aut.re o'appartiennent qu'è un seul espace; quelque choseconWle la biologie devient possible lorsque cette unité de plan COmmence à se déFaire et que les différences sUl'brissont sur rond d'une identité plus profonde et comme plus sérieuse qlJ.'clle. • Ce~~ rérérenc~ à la f~nctioo, ce décroeba,ge enh'e le plan des Identites ct celUI des difTérences Iont surgIr des rnpports nou­veaux: ceme de co~ùtenceJ de hürarchie inlern.e, de dépendaruJs li I:égard du plan d'orstlnisation. La coezislence désigne le fait 'Iu,un orgnne ou U.R système d'organes ne peuvent pas être prClients dans un Vivant, BIUlS qu'un autre organe 011 un autre IYSUuno, d'une naturo et. d'uno fOl'JOe déterminées, le soient ~galemcnt : c Tous les or"aues d'lm même animal forment un S~'l~e unique dont t.ouÏes les parties 6e tiennent, agissent. et ~ea~ssent les unel Sur les allll'esj et. il n8 peut y avoir de modi-calions dons l'une d'elles qui n'en amènent d'analogues dans ~Outeill. 1 ~ l'intérieur du système de la digestion, la (orme de! enta (le fait qu'elles soient trunchuntes ou Dlllsticatrices) varie i g: CUYlcr, 1.ecun. d'anulo'!", r:omparle, t, l, p. 34-35. CUVIer, """plJrlllf"llrI~ue .ur "tlGf Ile. lCitn(t~ nllfureUe., p. 330.
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    278 LM mot.lle~ le, ChOIlM en même temps que ~ lu longueur, les replis, le~ ùilutation~ 1 8ystème I1limculaire .. ; ou encore, pour ùonner un exempl~ dl! coexisteuce entre de!! ayltèmes dilTérent.s, les or"lInc~ de le digestion ne peuvent pas varier indépendltmtnllllt"cie la morfl phologie des membfelS (et en particulier de la [orme dt!! on"Jes): selon qu·i.' y ,aur~ gr~lTes ou Iillbot8 -:- donc que j'unimnl .;)U~ ou DOD sauur et doclllquetore8 nourriture-le canal ulimentuire les c sucs dis801vants J, la forme deI dents no seront pas I~ m6mes·1• Ce sont là des corrélatioD' latérales qui établisBent entre doe élélOents de même niveau de8 J'Upports de COncomi­tance fond':'!! pur dtl~ néce98ités fonctioonolltlS : puisqu'il faut que l'animal se nourrisse, lu naturo de lu proie et son mode de capture ne peuvent pus restor étrangers aux appareils de maR­ticntion et de digestlOn (et réoipro<{uement). Il y n toutefois des étn Rements hit!rarchiq!M',B. On sait eommfmt rannlyse clo!!sique avait étê amcn~e li suspendre le privilège des organes les plus imJMlMonts, pour ne considérer que leur efficacité taxinomique. Maintenant qu'on ne traite plu8 de variables indépendantes, mais de systèmes eomlMndès les UIlI par les autres, le problème de l'importance réciproque se trouve de nouveau pORé. Ainsi )e canal alimentaire des mammifùres n'est pas simplement dans un rapport de covariation éventutlllo avec ·les organes de la locomotion et de la préhension; il est au mDins en partie preserit par le mode de reproduction. Cël1c-ci, en effet, 80U8 sa forme Vivipare, n'implique pas simplement J. présence des oJ'{,'8nes qui lui SOnt immédiatement liés; elle exige aussi l'existence d'organes de la lactation, la présence de lèvres, celle également d'une langue chlU'Due; elle prescrit d'autre part la circulation d'un sang chaud et la bilucularilé du coeur'. L'analyse des organismes, et la possibilitâ d'établir entre eU1C des l'eSsemblances et des distinctions suppose donc qu'on ait fueê )a table, non pas des éléments qui peuvent vlU'ier d'espèce à espèee, mais des fonctions qui, dan8 les vivants eD gèuéra1, Be commandent, se coi1fent et s'ordonnent les unes les autres: non plus le polygone des modifications poSSIbles, mais la pyra­mide hiérarchique des imponanees. Cuvier ft d'abord p~n86 gue les fonctions d'existence pas !laient avant celles do relatto~ (1 car l'animal e3t d'abord, puis li .t~nt et agit.) : il sup~i donc que la génération et la circulation devaient d~~l!ler d'abord un certain nombre d'organes auxquels la diSpoSitIon des autres se trouverait. soumise; ceux-là formeraienlle8 eareç. 1. G. Cuvter, T.t,onll d'analomle camparte, t. l, p. 06. rIn 2. G. Cuvl~r, SuomI mlm"/re 'IIr lu onimoulC d /MIng IIll1nc (Ma,a mcgdopUlqu., Il, p. «1).
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    TrlWail, f1Ü, langtJp279 i.naires ceux-ci les caractères aeeondoire.'11. Puis il a tt~'rr nué Id ~irculation à la digestion, car celle-ci existe chez .u 0 J : aDÎI1l0UX (le corps du polype n'est en son entier qu'une toUS d~apPRrei1 digestif), alol'8 que Je sang et les vai~seaux na sa 50rt~ent • que dans lc9 animaux supérieurs et disparaissent trOU ... ,'vcment dans ceux deI dernière. classe. 1 •• Plus tard, su• c cte -l-e.. système nerveux (av1ec 'e X.i stence ou 1in'e·X·I stence d'u ne ro:e:s d e epino1c) qw' 1U1' est apparu CODlIDe de' ternu. nant d6 toutes dispositions orgllnÏques : 1 li tlIIt au fond l~ tou! de l'aniJ:nnl : Jes autres sy!!tè.mes ue 9~nt là que;pour le lervU' et 1 ~ntr~tenlrl. 1 Cette prééminence d. une .f~nctlO!,- ~ur les Ill!-tres 1D1pbque que l'o""'Ilnisme dans sell WSpOSltiOns Vlbibles obblsse li. un plan. Un tel plaD garantit Je règn~ des fonctioWl e.9senti.,Ues et il y rat: tache, mais avec un degre plu!! grand de liberté, les organes qui 8s..~urellt des (ollcLioWlements moins capitRu.'t. Cooune prin­cipe hiérarchique, ce plan défmit les .fon~tions prééminen!es, dilitribue les éléments anatowques qw ·IUl permettent de 1 eC­fectuer et les inllwUe aux emplacements privilégiés du corpl! : ainsi dans le vasto groupe deB Articulé:'!, la classe des wecttl!l laiase flppnraitre l'importance primordiale des fonctions loc)" motrices et des organes du mouvement; chez les troÏB autres, ce Boot lcs fonctions vitale&, en revanche, qui l'emportent '. Dam le contrOle régional qu'il exerce Bur les organes moins fondamentaux, le plnn d'orgauillat.ion ne joue pas un rôle aussi détenninunt; ilee libér.. lise, en quelque sorte, à mesure qu'on s:éloigne du centre, llutorÏllant des modifications, des altéra­tloos, des changemeote dans la forme ou l'utilisation possible. On lu retrouve, mais devenu plus Bouple, ct plus perméable à d'autres formes do détormination. C'eat ce qu'il est facile de cum.inter ohez les Mammifères li propos du Bystème de loco­DlOt. lon: LeB quatre membres moteurs font partie du plan d'or­~~' 1illiOU, ruai:! li. titre seulement de carao~e secondaire; 1 ~c lont dono jamais supprimés, ni absents ni remplacés, mit l'. • DUlsquês quelquefois comme dans les ailes deI! chauves­IOI:! J8 et,les nageoi1'88 postériOUles des phoques 1; il arrive mêmo qu 1 S SOient. • dénaturés dans l'usage comme dans les nageoires peb clorVales des c:étacês. •• La nature a fait une na.,.eoira avec un raa. ous v oyez qu' iy al to.uJO Ul'a une Borte de cC olUltance dans 1. G. CuvIer S d rin .ncyrlDp '/1" e{:l)ln rMmolrs 'ID' ,. G"I/lUluz. ,ang blanc, 1795 (.laga. 2.. G <, l'l"t. l, p. 441). 3. G:g:~~:· LI!ÇOM d'anatomie ctJmparu, t. III, p. 4-5. L XL". p, '16~ SUI' UII nouueau ropprochc",,1Il à ilablir (Annallll du .fultum. 4. Id., Ibid.
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    280 les caractèressecondaires d'apres leur déguisement 1. 0 comprend conuuent les espèces peuvent à la fois S6 re9Se~blt~ (pour former des groupes comme les genres, les classes et r. que Cuvier appelle les ewbr'dnchemeuts) et so distjngl~er I~" unes dcs autros. Co qui les rapproche, co n'est pas une tcrtuin: quantit6 d'éléments superpo:lsbles, c'est une sorte de foyer d'identité, qu'on ne peut analyscr en plages visihles l'urc'! qu'il définit l'importance réciproque dos fonotions; à partir cie ce coeur imperceptiblc des identités, Jes organes se displ~eot et à mesure qu'ils s'en éloigncnt, ils gagnent en souplesse (!~ possibilités de variations, en caractères distinctifs. Les espèct!., animales diffèrent par la périphérie, clles sc re.qscmblent. par le centre; l'inaccessible les relie, le manifeste les disperse. ElIee; fiO généralisent du côté de ce qui est essentiel à leur vie; elles Ml singularisent. du côté de ce qui est plus accessoire. Plus 00 veut rejoindre dt.'1i groupes étendus, plus il faut s'cnConcer dansl' ... bs· cur de l'organisme, vers le peu visible, dans cette dimension qui échappe au perçu; plus on veut cerner l'individualité, plus il faut remonter à la surface, et laisser scintiller, en leur visibilité, ]00 formes que toucbe la lumière; CGr la multiplicité se voit ~t l'unité 80 cuche. Bror, les ospèces vivantes Il échappent. au. founnillement des individus et des espèces, elles ne peuvent être clnssêes que parce qu'olles vivent et à purtir dé ce qu'eUes cachent. On mesure l'immense renversement que tout cela suppose par rapport à la ta:eil1lJrni.e classique. Celle-ci se bâtis1>ait eutièrt­ment à partir des quatre varIables de descriptioD (rorme~, nombre, disposition, grandeur) qui étaient peroourues, comme d'uo seul mouvement, par le langage et le regard; ct da us cet étalement du visible, la vie apparaissait comme l'clIet d:"o découpage - simple frontière classificatrice. A pnrtirdll CUVIer, c'est la vie dans ce qu'elle a de non-perceptible, de purement fonctionnel qui fonde la possibilité extérieure d'un classement. Il n'y a plus, flur la grande nappe de l'ordre, la classe de cu qui feut vivre; mais venant de la profondeur de la vic, de cc qu'i y Q de plus lointain pour le regard, la possibilité de cIlS­ser. L'ôtre Vlvant était une localité du c]assement naturel; 16 fait d'être clnssuble est maintenant UDe propriété du. vi~a~t. Ainsi disparlltt le projet d'une ta:I:inomia générale; alllSt dIS: parait. la possibilité de dérouler un grand ordre naturel 1'11 trait san!! discontinuité du plus simple et du plus inerte nu P ~~ vivant et au plus complexe; ainSI disparaît la ftlcherche 16 l'ordre comme loI et fondement d'une scienco générale de a 1. G. Cu'ler. SoerlUl mtmoir/! ,ur lu (J/llma/l:r: ct long ~Ian~ (l(1c. ci L)•
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    281 ~insi disp'ul'lltlla1 nalure'-étant. ent~ndu que tout au nolUd'. l'al1e classique, elle Il'a pal ex1sté d'abord comme IO'I'~ e. COD ...... e 1 idée l, comme resSOUI'r.r. indêfinie du savoir, l ."me, ...... d 'd '. d d'oeé 1 . - omlDe espace homogène es 1 entltes et es lu renccl ml:l'~ c rdonno hJes o t s ce• est. mal, Dtenant da.sso'cl6 et comme ouvert en 81)n C~ .eurpDAu Heu d'un champ unitai:e de ~isibililé et d'ordre, déro'8n't~ ~'l"e s 'é léments oot ~ 1e l!r dIs·t·.! ":cl1, ve 1e s uns par rapport autres on a une série d OppOSitions, dont les deux tennes asuontx pliS' de mÔme nn. ·eou: du'n' C''u té ,·1l Y a 1c s organes secon-d: irl:!l, qui 1.I0nt ':~Bible}! ~ la sllrfnce d~ corps et se donnent 8a~s intervention li 1 Jmme~IQte perception, et lei o~ganes pri­maires qui sont essentiels, centraux, ClIchés, et qu on ne peut alh,indre que P'" la dissect.ion, c'est-à-dire ell etlaçant maté­ri., lIement. l'enveloppe colorée des organes lIecondaires. II y a, plus profondément auslli, l'oppo!ition entre les organes en. gélléral qui lIont spatiaux, solides, directement ou indirecte­ment visibles, et lell fonctions, qui ne se donnent pas à la per­ception, maill prescrivent comme par en dessous la disposition de cc qu'on perçoit_ Il y a enfin, à la limite, l'opposit.ion entre identités et diJrérenoee : eHes ne lont plus de même grain, elles ne s'établissent. plus les unes par rapport 811X aunes sur un plan homogène; mais les différences proliCèrent à la surface, cependnnt qu'en profondeur, ellos s'efJacent, se confondent, se nouent. les unes avec les autres, et le rapprochent de la grande, mystêrieuse, invisible unité focale, dont le multiple semble dériver comme par une dispersion incessante, La vie n'est plus ce qui peut. le distioguer d'une façon plus ou moins certaine dy u!écanique! elle est ce en quoi se fondent. toutes les dis­t. m~tlons JIOStilbles entre les ~vants, C'cst. ce passage de la n.ollon taxinomique à la notion synthétique de vie qui est SIMQl!lé, dans la chronologie des idées et des scieuces, par le reJ;:!III, au début du XIXB siècle, des thèmes vitalistes. Du point de vue de l'archéologie, ce qui s'instaure Il cc moment-là, ce sont les conditious de poSt!ibilité d'une biologie. l'h~n ~out. cas, celLe série d'oppositions, dissociant l'ospace de p l~t01r., na~urelle, a eu des conséquences d'un grand poids. 1 o~r la p~tlqUO, c'est l'apparition de deux techniques corré­datIVes, qUI s':-ppuient et se relaient l'une l'autre. La première eU C~!I. tl .. ~hnlqU~S est constituée par l'anatomie comparée : ~e Chi fait lIurgu- un espace jntérieur, limité d'un cÔté par la OUi e aup~~lici,elle de! téguments et des coquilles, et de l'sutre far .n quasI-Invisibilité de ce qui est infiniment petit. Car l'ana­d~ rru~ Co~par6e n'est pns l'approfondissement pur et eimple echruques descriptives qu'on utili!ait. li. l'âge classique;
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    282 elle neIle cODtente Jla~ de chercher li. voir en" dessous, et. miel el de plu. près; elle Instaure un espace qUI n'est Dl celui dIX, caractères visibles ni celui des ~I~ment!l microscopiquell 1 Ü elle fail uppnraltre la disJlosition rêciproque des orguocs 'leu; corrélat.ion, la manière dODt se décomposent, dont ae lI~li.­liscnt, don~ s'ordonn.ent ]es ,!n!l. aux autres. ]~s principaux moments d UDe fonctJon. Et amSl, par opposItIon au regard simple, qui en parcourant les organismes intègres, voit .. dllployer devanllui le foisonnement des différences, l'anatomio en découpant réellemen t les corps, enles fractionnant en pRrce1~ distinctes, en le5 morcelant danill'espace, Cait surgir les gmndea ressemblances qui seraient demeurées invi!lihlcs; ello recOIlll­titue les unités sous-jacentes aux grandes dispersions visibles La rormation des vastes unitês taxinomiques (classes et ordres) était, au XTlle et nu XVIII' siècle, un problème de décolI.pag, lingui.~tLque : il faU8it trouver un nom qui fnt gén~rnl et fondé' eUe relève mlllntenant d'une déaariiculalwn anatomÜrue; il ralli isoler le système fonctionnel mnjeur; ce sont les pru1..nges réels de l'anatomie qui vont permettre de Douer les grandes familles du vivant. Ln seconde technique repose Bur l'anatomie (puisqu'cne cn est le résultat), mais s'oppose ~ elle (parce qu'elle pennet de .'eu dispenser); elle consiste ft étllblir des rnppons d'indica­tion entre des éléments superficiels, donc vi~ibles, et d'n1ltr6S qui sont. celés dans la profondeur du corp5. C'est que, par la loi de s(}lidarité de l'organisme, on peut savoir que tel orgnac périphél'ique et acce8!!oire implique telle structure dans un organe plus essentiel; ainsi, il est permis « d'établir ]a corres­pondnnce des formes extérieures et intérieures qui les unes et les autres font partie int.égrante de l'essence de l'animal 1 •• Chel les insectes, pllr exemple, la disposition des antennes n'a pas de valeur distinctive parce qu'elle n'est en corrélation avec 8ucune des grandes organisations internes; en revanche, ln lorme de ln mâchoire inférieure peut jouer un rôle capital pour les distn1lUcr selon leurs l'elIsemblances ot.lcurs dilJércuce~j car e11e est liée li. l'alimentation, li ln digestion et pur là aux fonc­tions essentielles de l'animal: , les organes de la mastication devront être en rapport avec ceux de ]a nourritU1'C, conséquem­ment uvec tout le genre de vie et conséquemment avec totJte 1. Sur ce l'I!fU8 ou mJCl'QlICOpe, qui eal le mP.me che:L Cuvier eL cheZ Ire anllwmo-palholvglHeë, cl. LflIiCHI' rt'/lIIIIIQmle compar'" L V, p_ ItlO, et Lt lill/ne animal, 1, .p_ XXVIU. ~. G. C'.u'lrr, Le I/~~e animll' diltrf~u~ ~apt'tl #on IIrganllallun. L J, p. XIV.
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    Traj/ail, j/itl, langage283 , j"at.iOfi 1 •• A vrai dire, cette technique dCR indices no 1y o.r gploi l"l forcément •d e III périphérie" visible a.ux fo rmes faise•s de l'inériorit{: orga.n1que : tille reu~ etabhr dos resc~}lx e noooll- . il aUaot de D'Importe que pomt du corps Il n Importe quol 'Il,_ . de sorte qu'uB seul élément peut suffire dons certains ,u ".. , s.u "gérer 1' ahrc 'lt ecture li: é n é ra1 e d' un organi.s me; on pourra C/lC~ Uu DJl/.l.Î trtI un anI• mal tout. 'entie r 1 4[ par un seu os, par une :ule facette d'os: mél.hode qui a dooné de li curieux résultat8 .ur J~ animaux .'os8il~ 1 1. Alors ~e pour ]a pensée du. XYlne sillel" le [o!lSlIo étaIt une préfiguratIon des (onnes a ctuelles, ot qu'il indiquait ainsi la grande contiuuil6 du temps, il sera désormais l'indication de la figure à laquelle réellement il appar­ten(( iL L'anatomie n'a pas seulement brjsé l'espace tabulaÏl'8 et homogène des identités; elle a rompu la continuité suppo­. ée du temps. C'cst quo, du point de vue théorique, les analyses de Cuvier recompusent entièrement le régime des continuités et deI discmntinuitéll naturelles. L'anatowe comparee perDIet en elTet d'établir, dam le monde vivant, deux (ormes de conti­Duité parCaitement distinctes. La première concerne les grandes fonctions qui Be retrouvent dans ]a plupart des cspèces (la rcspiratiou, lu digestion, la circulation, la reproduction, le mou­vewDuL •• ); elle établit dant tout le vivant une vaste r6IJaem­blnDce qu'on peut distribuer selon une échelle de complexit6 déc:roissante, allant de l'holDDle jusqu'au zoophyte; dans 188 etll'èces !;upérieures toutes les Conetions sont présentes, puis on les voit disparaitre les unes après les autres, et chez le zoo­phyte flualeulent, il o'y a 1 plUli de centre de circulation, plus de nl:;III, plus de cenLre de seosation; chaque point semble 58 DOurrlr par succion 1 '. Mais ceUe cQnlinuité est faible. reIn­tivem~ nt lâche, fo~t, par le nombre restreint des [onctions c-~~entlelleli. un Simple tubleau de présences et d'absences. L'autre co~tinuit6 est benucotfp plus surrée : elle concerne la plus ?U iliollls,grande perfeotion des org-dIIes. Maili 00 ne peut é~I~llr à parL1r de là que des séries limitées, des cont.inuités ïglOllllles vito interrompues, et qui, de plus, s'enchevêtrent d~t a~ l'$ l~s aURas dans de! directions dilférenoes; c'est que es dIverses espèces c les organes ne suivent pas tOU5 le n~rre ~rdre de dégradation: tel est Il son plus haut degré de P ectlOu dlUl!! son espèce; tel autre l'est dans une eSFilce rl~~:" ..c~ri!t', !.elIre à 1IartmaRR, clt.ée par Daudfn. Lu Cla". :"(I}(1- ~. G. C ,p.:ro, ft. 1. 3. G. C uYier, HtJN_1 hUIOt'lqu. lUI' ,. "lllleu nalurcllu. p. 3'29-3;lO. uVier. Tulllwu tlimenlsir.s, p. 1) ''l.
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    284 [J6,' mouet lu Ch03U dilTérente 1 J. On a donc ce qu'on pourrait appeler des c miero léries J limitées et. partielles, qui portent moins eur les esp~c'; que lIur tel ou tel organe; et à l'autre extrémité une « macrOsé ri!! J, discontinùe, relàcliée, et qui port~ moins sur les or[la: IIlllUes eux-m.'mes que sur le grand registre fondamental d"'l fonctions. ,~ntre ces de~ conûnlli.t8s qui no 118 !nJJle1'p~sent ni ne Il ajustent, 00 VOlt so répartIr des ~ande6 masses dIscontinues Ellos obéissent à des plnnA d'orgamsation difJ'érents,leti m~me~ fonctions 80 trouvant ordonnées selon des hiérarchies variées ût réoliRées pal' des organes de type divan. Il O,'lt, parexernple' fncile de retrouvcl' chez le poulpe c toutes les (onctions fJui s'cxerccnt dnns les pois.,ons, et cependant, il n'y a nullc re~­sembhmcc, nulle analogie de disposition III. Il faut. donc nna­lyser chacun de ces groupes on lui-même, considérer non PiS le fil étroit des ressemblances qui peuvent le rattacher li lm autre, mais la (orte cohésion qui Je resserre sur lui-même; on 1Ie chercllera pas à savoir ai les animaux à sang rouge sont sur la même ligne que les animaux li. sang blanc, avec, seule­ment, des perfections supplémentaires; on établira que tnut animal à lIang rouge- et c'est en quoi il relève d'un plan autonome - possède toujours une tête osseuse, une colullno ,'ertébrale, des membres (à l'exception des serpents), des arLèrC8 et des veiues, un foie, un pancréas, une rate, des reins 1. Ver­tébrés et invertébr6s forment dos plagos pnrfnitement. isolêcs, entre Jesquelles on ne peut paa trouver de formes interrno­diaircs assurant ]e passnge dans un sens ou dans l'outro: « Quelque arrang~ment qU'OD donne aux animaux li vertèbres et il ceux (lui n:cn ont pas, on ne parviendra jamais à trOlwcr li ·In fin de rune de ceB grandes classcs ni il ln t~te de l'Ilutre, deux animaux qui se ressemblent assez pour servir de lien entre elles t. ,. On voit donc que la théorie des embranchements n'ajoute pas un cadre taxinomique supplémentaire nme: clus­sements traditionnels; eUe est liée à la constitution d'un espllc.o nouveau des identités et des différences. ESI,ace sans conti" nuité cssentielle. Espace qui d'entrée de jeu se donne. dans ~n forme du morcellement.. Espace t1'8versé de ligues qUI porfoll divergent et parfois se recoupent. Pour en désigner la Com.e générale, il faut donc substituer à l'image do l'échelle contI­nue qui avait été traditionnelle au XYUle siècle, de Bonnet l 1. G. Cuvier, l.t,on. d'ana/omI. comparû, L J, p. 59. ~. G. Cu'ier. M'moire '"' It. t'phalnpodt~ (1817), p. 42·43. 3. v. Cuvier, Tallftnu mmulfaire d'hi.toire M'UTelle, p. S"-80'>. 4. G. CUVier, Lleons rI'Qna'omie comparie; &. l, p. 60.
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    285 k cened'un rayonnoment, ou plutôt d'lin ensemble de (.amure ô.' partir desquels se déploio une multiplicité de myons; centrOJ rrai~ ainlli replacer chaque être c daus cet immense ou pou qui con~tjt.ue la nature or~nisée ... ~ail dix ou vingt ::~s I10 lIufliraient pas li. expruner ces lDDombrables rap- • 1 poCrt'se stJ .t oute l'expérI•e nce cl as'slq ue d e 1a d1'f fe' renc:e qm• b as- 1 alors et avec olle le rapport de rOue ot de la nature. Au cu I~e et ~u XVIIIe siècle, la différence avait pour fonction de :eJier les eapèces les unos aux autres et de comblol' ainsi l'écart entre les extrémités de l'être; elle jounit un l'Ôle c caténaire Il : elle Hait 8115111 limitée, aussi mince que possible; eUe,so logeait dan!! le quadrillage 10 plus étroit; elle était. toujours diviB~le, et pouvait tomber mème au·dessoU!! du seUlI de la perception. A partir de Cuvier, au c~mtraire, ~lIe se mu1tipli~ ello-même, additionne, des formes diverses, diffuse et retentit li travers ]'orgnnisme, l'i!lOlant do tous los autres de diverses mnnières simultanées; C'C!!t qu'clle De se loge pas daDS l'inter!ltice des ~tre5 pour les relier entre eux; elle fonctionne par rapport à l'organisme, pour qu'il puisse c faire corps» avec lui-m~me et se maintenir en vie; elle ne comble pas l'entre-deux des êtres pnr des Unuilés suece9!livcsj elle le creuse en s'approfondis!l8nt elle-même, pour définir en leur isolement les grands types de compatibilité, La nature du xrxll sièole est discontinue daM la mesure même où elle est vivante. On mesure l'ÙDportance du bouJeversementj li l'époque claa­Bique, les êtres naturels formaient un ensemble continu parce qu'jJ~ êLaienl des êtres et qu'il n'y avait pas de raison àl'inle-r­ruptlon de leur déploiement, Il n'était pas possible do repré­senter. ce qui sé~arait.l'.être de lui-même; le continu de la repré­s~ ntatloD (ùes signes et des caractères) et le continu des êtres g.cxtr~me proximité des struct.ures) étaient donc corrélatifll. est c~tte trame, ontologique eL représentative à )0 fois, qui s~ déchire dëflnitivement avec Cuvier: les vivants, parce qu'ils v.lvent, ne peuvent. plus former un tissu de difIérences progre!l­dIves t~ graduées; ~ls doivef!1 ~e resserrer autour de noyau~ Vc: ro lerence parfaltoment dlstmct!! les uns des autre!!, et q;tI1 t comm~ autant de plans difTérents pour entreteuir la VIe. , tl'c clas~lque 6tait sans dHaut· ]0 vie elle est saus fran ..... ru ùl .... d' L" 'J' ~- , • 'l:>' A e, être s épanchait dans un immense tableau; la "dtoe Iso' le des formes' qUi se nouent sur eI l e9-m~es. L ' être se tior::i11 ~s l'espace toujours analysable de la représenta- , a Vle S6 retire dans l'énigme d'une force inaccessible en 1. G. Cuvier, lli~toi" du PQ;"on. (Paris, 1828). t. l, p.569.
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    286 Lu mo"t' ks chlJ8s, ~o.n essence, l8iBi8Sa~18 leulement d~nB J~s elTorts qu'elle r .. il ICI et là pOUl' Be manifesm et. 8e mamtelUl'. Bref, tout au long de l'Age classique la vie relevait d'Wle ontologie <I.ui CODCer­nait de la même façon toua les êtres maté~jul~. 80umlB à l'éten_ due, Il la pesanteur, ou mouvement; et c était en ce !leDS u. toutes lus sciences do 10 nature et singulièrement du viv~nt. avaient une pl'ofonde vocation mécaniste; Il partir de Cuvier le vivant. échoppe, au moina en première instance, aux loi~ généraleB de l'être étendu; l'être biologique Be régionalise et a'autonomise; la vie est, RUX confins de l'être, ce qui lui ett. extérieur et ce qui pourtant le manifeste en lui. Et si 00 pOSe la question de Bel rapports avec le non-vivant, ou culle de Iles dëtenninationa physico-cbimiques. ce n'eBt pal du tout don. la ligne d'un c mécanisme J qui ,'obstinait en Bes modalité. cl.8I1iques, c'est, d'une manière touLe nouvelle pour artioul.,r l'une 8ur l'autre deux natures. Mais puisque les discontinuités doivent être expliqu6cs par maintien de ]0 vie et. par scs conditions, on voit B'esquÏStler une continuité imprévue - ou du moins un jeu d'interal)o tions non oncore analysées - entre l'organisme et ce qui lui permet de viTre. Si les Ruminants B8 dist.inguent des Ron­geurs, et par tout un &ystllmc de ditréroncol! maHsivos qu'il n'est pas question d'atténuel', o'est parce qu'ils ont. une autre denLition. un autre appareil dige~if, une autre diRpnsition des doigtB et des ongles; c'cst qu'ils ne peuvent pos eoptur6l' la même nourriture, qu'ils ne pouvent pas la traiter de la môme façon; c'est qu'ils n'ont pas à digérer]a même nature d'"limontli. I.e vivant ne doit donc 1'1115 être compris seulement r,omrne UDIS certaine combinaison de molêcules portant des car8otèl'tlll définis; il dessine une organisation qui fie tient en J'Ilpports inin· terrompus avec de! éléments extérieurs qu'elle utili.~e (l'or III respiration, par la nourriture) pour maintenir ou développer I!a propre structure_ Aulour du vivant, ou plutôt à travers lui et par le JilLre de sa 8urCace, Il'eiIuct.ue Il wle circula lion continutlUe du dehors au dedans, et du dedanll au dehors, COllstamn~t1l1t entretenue et cependun!. fixée entre certaines limites. ~insl 11:5 corps vivants doivenl. être considérés comme des espèces de foyers dans 168'1,u616 les suhst.anctlB Ulortes sont.. porlées ~UCClJ>· sivoment pOUl' Il Y combiner entre elles de diverses manjère.~ 1 ': Le vivt.lnt, par le jeu cL la souveraineto.de colte ulêlll0 force ~IU le maintient. en discontinuité avec lui-mêmu, se t.rouve 1I0U!nlS à un l'apport continu avec ce qui l'entoure. Pour 'lue le VIVUUt pui8lle vivre, il fout CIU'n Y ait pLusieurs orgollisallODIi i.·rÏ!JuC" 1. G. Cuvier, LePIn. d'an.tomie (ampli"'., L. l, p_ "·5.
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    287 'bl lesune!! aux autres, et, aussi bien, un mouvement inin­li 61 U entre chacune et l'air qu'elle respiro, l'oou qu'elle ~e~if nourriture qu'eUe ab50rbe, Rompant l'ancionno conti­n~ iJ: classique de l'être et de la ,nature, la fo~e divisée. de la vie f ire apparAître des formes dl"persées, mats toutes liées li. des '8 ditiolls d'existence, En quelques années, au tournant du con e et du Xl'x.8 siède, la culture europr.enne a mod:fié entière-xVIII .,' f d t 1 d 't l" t la spatialisatIOn on amen 8 e U vIvan : l'our 8XJ'1e- III en . L' • , d . nee classique, ]e Vlvant vtalt une case ou une sene e case!! rdioen s la ~iROmr..4 un'IV orse 11 0 del '''"', LN; 8•. sa 1o c~ .I ~tl. on g.e o~. hilJuo avait un rôle (comme cbez Bulton), c étaIt pOUl' fa1l'e ~pparattre des variations qui étniel}t déjà possibles. A P!'!LÎr de Cuvier le vivant s'enveloppe sur lUI-même, rompt ses VOISlnago& taxino:W11ue@, s'arrache nu vost.e plan contraignant des cooti­nuité.", et se constitue un ~o~el ':8pace : espace double il vrai dire - puisque c'est MIUl, mtél'Jeur, dos cohérences Dnato­mi!'[ ues ot. dos compatibilités physiologiques, et celui, extérieur, des éMments où il réside pour en fnire Bon corps propre. Mais ces doux espaces ont uoe commande unitaire: ce n'est plus celui des possibilités de l'être, c'est celle de!! conditions de vie. Tout l'a priori historique d'uoe science dcs vivants sc trouve pOl' là bouleversé et renouvelé. EnviSAgée dan!! sa profondeur ol'llMologique et non pas au niveau plus apparent des décou­vertes, des discussions, théories, ou ùes options philosophiques, l'oeuvre de Cuvier surplombe de 10iD ce qui a1l8it être l'avenir de la biologie. On oppot!O souvent les intuitions c transformistes» d.e Lamarck qui ont. l'air de 1 préfigurer J ce qui sera l'évolu­tIonnisme, et 10 vieux fhùame, tout imprégné de préjugés ka­ditioonels et. de postulats théologiques, dans lequel s'obstinait Cu!Ïer. Et. par tout un jeu d'amalgames, de métaphores, d'ana­J? glel ~al contrôlées, on dessine le profil d'une penséo «réac­t! onua.rre », qui tient psssionnêment à l'immobilité des cholles, pour.braranLir l:ordre précaire des hommes; telle serait ln pbilo- 80phle de CUVIer, homme de tous les pouvoirs; en face, on retrace le destin difficile d'une pensée progres!!iste, qui croit à ~ force du l!'0uvement, il l'incessante n~uve~uté, à l~ vivacité es IdélJ.»ta~lons : Lamarck, le révolutlonnRIre, serait là. On donne aUlsl, sous le prétexte de faire de l'hi!ltoire des idél'.S e~_ un. sene rigoureusement historique, un bel exemple de :DnaJtv ete, Car dans l'historicité du savoir, ce qui compte, ce ne pas!es o{'inions, ni les ressemblances qu'à travers les Ages ent peu:...etabhl' entre eUes (il y a en effet une c r8llsemblance » eehrl . marck et un certain évolutionnisme, comme entre MailÏc;) et les j~ées de Diderot, de Robinet ou de Benoit de e ; ce qUI est import~nt, ce qui permet d'artieuler en
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    288 Lu mou8' Zt,s cllO.'p.8 elle-même rhisl.oirc de 10 l'en8~, ce lIont sel comlitiunll illtcrn el., pos!lihilité. Or, il sutTIt d'en essnyer l'analyse pOUl' s'aper e. voir aussitÔt quo Lamarck ne pensait lell traIlB(orrnatioQg r e9pr.ces qu'à partir de la continuité ontologique qui était. celi de l'hist~ire naturelle d.es cJa!lsique •. Il,supposait une gradatio~ progrc:I;qlVe, un perfectlOnnem~nt llon ~Jlterrompu, une grandit nuppe lnC6.'!sante des être!! qUI poul'l1uent se lormer les uns à. pllrtir des nutres, Ce qui renel pOBible la pensoe de Lamarck ce ~'(''S~ pas l'app~It~~ion lointaine d'un évolutionnisme ~ venal', c est la contmultlt dos êtres, telle quela découvraient et la supposaienL les tt méthodes 1 naLurelles. Lamarck est contem­porain d'A.-L. de JWlBieu. Non do Cuvier. Celui-ci a introduit dans l'échelle classique des êtres une discontinuité radicale' et par Je fail. même, il a lait surgir des notions comme celles dlin_ compa1.ibiliL6 biologique, de rapports 8UX élément. extérieurs de conditioDs d'existence; il a fliit surgir aussi une certaine rorc~ 'l.ui duit maintenir la vie et une certaine menace qui la sane­tllmne de mort; là se trouvent réunies plusieurs des conditions qui rendent possible quelque chose comme ln pensée de 1'6volu­tion_ La discontinuité des formes vivantes a permis de CODC6YOÎr une grande dérive temporelle, que n'autorisaiL pail, malgré des analogies de surface, la continuité des structure. et des carne­t~ res. Ona pu substituer une« bistoire 1 de la nature à l'histoire naturelle, grace au discontinu spatial, grâce à la rupture du tableau, grâce au lractionnement de cette nappe oil tous les êtres naturels venaient en ordre trouver leur pInce. Certes, l'8tipace c1as$ique, on l'a vu, n'excluaiL pas la possibilité d'un devenir, mais ce devenir ne lai sait rien de plus que d'u8IIuret' un parcours sur la tuble discrètement préalable des varia~ions POI­eible~. La ruptUl'6 dll cet espace a permis de découvrir une histo­ricit. é propre à la vie: celle de son maintien dans ses conditions d'oxistence. Le « fixisme 1 de Cuvier, comme analyse d'un tel maintien, a êt6 la manière ini~iale de réfléchir cette historicité, au moment oil elle affieurait, pour la première fois, dans le sovoir occidental. L'historicité s'est donc introduite maintenant dans la nature - ou plutôt dans le vivantj mais elle y est bien plus qu'une forme probable de successionj elle constitue comme un m~e d'être fondamental. Sans doute à l'époque de Cuvier, il n'eXl8te pas encore d'histoire du vivant, comule celle que décrira l'évo· lutionnisme; mais le vivant est pew;é d'entrétl de jeu avec l~ conditioos qui lui permeLlenL d'avoir une histoire. C'est. de la même façon que 165 ri cites ses avaient reçu lll'époque de Ricardo uu statut d'histuricité qui lui 11011 plus lie s'était pas .encore formulé comme bistoire économique. La stabilité prochame des
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    indu!ltricls, de lupopullllion et ùe la rente toile quo rll'~'tI~~' révue Ricardo, 10 Jixilé des espèces allirméo par Cuvior l'BV8l nt asser après un examon superficiel, pour Wl ro(us do lp'e .1~J!v. Lc O'rie.~ cn (uit ' R• icard() ct Cuv•i or Ile _r écu8uie, n~ que les• m•oda -., .1 é de la succeSSion chronologtque, toiles qu elles avuumt olé lat ,s L,u au ~"1J1l sièçlcj ils dénounient l'nppnrLonanco du temps "-.':n1~'l lt:,.Ir.e hiérarc l u' qlle ou l'" 1 • l' 11 (! aSSllwntcur r es roprescn at.lOns. fin à onruc lle colte u• nmol Il' l'I l é acluc1 1 e ou l uturc qu" 11 s de' crl.v O•l ent revu'ials, I Innonça"len1t, 1 s ne pOUv8'1en]t n conccvO.Ir q.u .H p.ar.tir dU ~ pu~sibililé d'une histoire; et celle·ci leur étllit donnée soit p:r ïtlti conditions d'existence du vivant, soit par les ~0~dilion9 de product.ion de la valeur. Paradoxalement, le pesSimisme de Ricardo, le fi,xism~ .ù~ Cuvier n'aPI?~raiss~ot que s~r un fon~ hititoriquc : Ils ,deilIUSllcnt la stab~llé d êtres qUI on~ drOit desormais, au Dlveau de leur JDOd~llé pro(onùe, ~ avoU' une histoire' l'id6e classique que les nchetiSe5 pouvaient croiLre aeloD u~ pro !!l'ès continu, ou que les espèces pouvaient aveo le ttlDJpa se ~nsformer lcs unes dans les autres, dêfuüssaiL au contraire lu mobilité d'ôtre8 qui, avant même toute histoire, oooissaient déjà à un système de variables, d'identités ou d'équi­valences, Il 8 lullu Je suspens et COJDDle la mise entre paren­thèses de cette histoire-là pour que les êtres de la nature et les produits du tra'vail reçoivent une historieit! qui permette à la pensée moderne d'avoir prise sur eux, et de déployer ensuite la science discursive de leur succession. Pour la pensée du XVIIIe siècle, les suites chronologiques ne sont qu'une propriété et une manifestation plus ou moins brouillée de l'ordre des êtres; il partir du )l'rxe siècle, elles expriment, d'une façoD plus ou moins directe et jusque dans leur interruption, le mode d'êLre profondément historique des choses et des hommes. En tout cas, cette constitution d'une hil!wricité vivants a eu pour la pensée européenne de votes conséquences. Aussi hllUlte~ B.ans doute que celles entrainées par la formation d'une storlClté économique. Au niveau superficiel des grandes dale!-,r8 imaginaires, la vie, désormais vouée à l'histoire, se esslne sous la funne de l'animalité. La hôte dont la grande menace ou l'étrangeté radicale étaient restées suspendues et dOllUDe dés~rmêe5 à la fin du Moyen Age ou du moins nu terme r e la R.ena'ssancc, trouve au XIXe siècle de nouveaux pouvoirs l"n~stlques. Entre-temps, ln nature classique avait privilégié 1:5 valeurs végét~1~8 -la plante portant sur sOn hlasonvisible 1arque sans retlcence de chaque ordre éventuel; avec toutes j;' .g~ déploy6u9 de la tige à la graine, de la racine au fruit, lra vegetal formait, pour une pensée en tableau, un pur, objet nSPatent aux socrets généreuaement retoumés. A partir du
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    290 la motset les Ch06811 moment où caractère! et 8tn1CtlrreS 8'éta~flnt en profondeur vers la vie - ce point de fuite ROuverain, Indéfiniment 61nign6 ~ais.constituaDt- alors, c'est l'animal qui devieut figure pri. viléwée, avec ses charpentes occultes, ses organes enveloPl1fl .tant de Conctions invisibles, et cette force lointaine, au fond d: t,out, qui I.e maintient en vie. Si le viyan~ est une classe d'êtr~, 1 herbe mieux que tout énonce lia limpide essence; mois si le vivont est une maniCerotation de la vie, l'animal lais!1e mielDt apercevoir ce qu'ost Bon énigme. Plus que l'image calme dea caractères, il montre le passage incessant de l'inorganique à l'orgnniqlle par 10 l'Cspiration oula nourriture et la transforma_ tion inverse, BOUS l'effot de la mort, des grandes architectures fonctionnelle! en poussière sans vio : «Les substances mortes sont portées vers les corps viwmt!l, disait Cuvior, pour y tenir une place, et y exercer unc action déterminées for 10 nature des combinaisons où elles sont entrées, et pour s en échapper un jour afin de rentrer sous les lois de la nature morle 1. » La plant.e régnait UtL" con6ns du mouvement et dc l'immobilité, du sen­sible et de l'insensible; l'animal, lui, se maintient aux confins de la vie et de la mort. Celle-ci, de toutes parts, l'assiège; bien plus, 'clle le menace aussi de l'intérieur, car seul l'orgarusloo peut mourir, et c'est du fond de leur vie que la mort survient aux vivants. De là, Bans doute, les valeurs ambiguës prises vera la fin du xvme siècle, par l'animalité: la bête apparait comme porteuse de cette mort à la queUe, en même temps, elle est soumise; il y a, on elle, Wle dévorution perpétuelle de la vie pRr elle-m~me. Elle n'appartient à la nature qu'en enfermant en Boi un noyau de contro-nature. Ramenant. sa plus liecrète essence du végétal il l'animal, la vie quitte l'espace de l'ordre, et redevient sauvage. Elle se révèle meurtrière dans ce même mouvement qui la voue li ln mort. EUc tue parce qu'elle vit. La nature ne sait plus ~tre bonne. Que la vie ne pui~se plus être séparée du meurnc, la nature du mal, ni les désirs do la contre-llature, Sade l'annonçait nu xyme siècle, dont il taris· Mit. le langage, et à l'âge moderne qui a voulu longtemps le condamner au muti!lIIle. Qu'on excuse l'insolence (pour qui?) : Les 120 Journées sont l'envers velouté, merveilleux de! l~çoM d'anatomie comparée. En tout cas, au calendrier de notre archéolugie, elles ont le même âge. Mais ce statut. imaginaire de l'animalité toute chargée de pouvoirs inquiétants et nocturnes renvoie plus profondémtlnt BUX fonctions multiples et simultanees de la vie dans la pellsée du XIXe siècle. Pour la première foi» peut-être dans la culture 1. G. Cuvier, Cour. d'anatomie pa/horogique, t.. 1. p. fi.
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    Travail, viii, langage291 'leow1e III vie écJ1RPI'o aux lois gén6rales de l'être, tcl qu'il occ:; one e~ s'analyse duns la représentatioD. De l'autre c6te d~ ,;,t611Ie5 chose. qui sont. en ~eçà môme. de ceUes qui, pe~vont êl les tlUpportliut pour les faire apporalt.re, et 1. detrwsont .n rno., "","e par )0 violence de la mort, ln vic devient une lorce ~.' f(lndamtlntale, et. qU,I s, o )1f:ose à l' être com!'l0 1e mouvement !l l'inupobiliLé, le t~DlpS. à 1 espace, ~e vouloIr secre,t. à la mam­festation visihle. La v!e cst la racIne ~e toute eXIStence, et !e Don.vivant, ]a nut.ure merte, ne liunt. Tien de plus que de la Vie l'tlwmbéu' l'être pur et simple, c'atiL le non-~tre de la vie. Car ceUc.ci et c'est Jluurquoi elle a dam la pensée du XiX· siècle, tw!: vllicur radicale, I:st à ]a lois le noyau de l'être et. du non­Otre: il n'y a d'~Lre que parce qu'il y Il vie et dans ce mouvement fomlllmcnLa] qui 165 voue à la mort, les êtres dispersés ct stables un illstant se rorment, s'arrêtent, la figent - et en un sena la tuent -, mais sont lA ll:ur tour détruits par cetUI force in6pui­IlIl, le. L'lIxpérioncc de la vie se donne donc COIDlDe la 'loi la plus générale des êtres, la mise à jour de ceUe force primitive li. p&rtir de quoi ils 60nt; tille fonctionne comme une ontologie IDuvRge, qui chercbcruiL à dire l'être et le Don-être indisso­ciables de tous les êtros. llais cette ontologie dévoile moins ce qui fondl: les êtres que ce qui les porte un instant àuneforme précaire et secrètement déjà les mine de l'int.érieur pour les détruire. Par rnpport à ]a "ie, les êtres De BOnt que des figures trunsiloires et J'être qu'ils mainûeonent, pendant. l'épisode de leur existence, n'est l'ion de p]ua que leur présomplion, Jeur volollt6 de subsister. Si biun que, pour la connaissance, l'~tre des choses est illusion, voile qu'il faut déchirer pour retrouver la violence muette et imisiblo qui les dé"ore dlUlS la nuit. L'~l,ltologie de l'anéantissemcot des êtres vaut donc comme Critique de]a connaissance: mais il De s'agit pliS tont de fonder le phéno~è!le, d'cn dire li. la rois ]a limiLe et la loi, de le rappor­ter ~ ]a .timtude qui ]e .rend possible, que de le dissiper et de le d~tnnr~ comme la VIC elle-même d6truit les êtres: car tout sun eLre.n est qu'ap'l8l'ence. 0ch "Olt se constituer ainsi tlne pensée qui s'oppose, presquo d~ ahclfn d~ ,se:- ~ermes,. à celle qui étai~ liée à la formatiun ~ne Istorl~lté econOlDlque. Cette dermère, nous avons vu lU el}e prenait appui sur une triple théorie des besoins irri- 1 ~.clables, de l'ohjeutivité du travail et de la fin de l'histoire. l'i:.tܰ!d )f!Yons au contraire 8e dévelol'per Ulle pensée où qu'u VI ua lté, avec &es formes, leS limites et 80S besoins, n'est tOIiL n toment précaire, promis à la destruction, formant en -.oiede ~our ~OUL.'Ul &.impIe obstacle qu'il s'agit d'écarter sur Ja teet aneantililement; une pensée où l'objecLivité des choses
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    Lu mol8 elles CliUSf.$ n'est qu'apparence. chimère de la perception, illusion qu'il faut dissiper et J'Oneire li la pure volonté snnB phf.nomène qui les a fait nattre et les a supportés un instlJnl; unc pensée cnfin pour la queUe le recommencement do la .... ic, BCB reprises ince.~­santos, 80n obstination excluent. qu'on lui pose une limite dana la durée, d'autant plus que le temps lui·mèmc, aveo SilS divi­siona chronologiques ct 80n calendrier quasi spatial n'cst. sons doute paa autre chose qu'une illusion de la connoissance. Là où une pensée prévoit la fin de l'histoire, l'altre Aunonce l'in­fini do la vie; oli l'une reconnait Jo production réelle clus choses par le tra .... ail. l'autre dis!1ipe lu chimères de la conscience; où l'une affinne avec les limites de l'individu les exigences de sa vie, l'autre les efface dans le murmure de la mort. Cette oppo­sition est-elle le signe qu'à partir du XIXtl siècle le chomp du s8voir ne peut plus donner lieu li. uno réflexion homugène et uniforme en tOUI les points? Faut-il admettre que dl:surmuis. cbaque forme de positivité a la c philosophie J qui lui revient: l'économie, celle d'un travail mllrqué au signe du btllioin, mois promis finalement à la grande récompense du temps? la biolo­gie, celle d'une vie marquée par cette continuité qui ne forme les êtres que pour les dénouer, et se trouve afTl'8nchic por là de toutos lea limites de l'Histoire? Et les sciences du langage, uno philosophie des cultures, de leur relativité et de leur pou­voir singulier de munirestation? IV. BOPP « Mais le point décisif qui éclairera tout. c'cst la structure interne des langues ou la grammaire comparée, laquelle nuuS donnera des solutions toutes nouvelles lIur la généalogie dei langues, de la même manière que l'anatomie comparée a répaml.u un grund jour sur l'histoire naturelle 1. 1 Schlegel le 8avUlt bien: la constitution de l'historicité dans l'ordre de la gram­maire s'est faite selon le même modèle que dans la scien~o du vivant. Et li. 'Vl'ui dire, il n'1 a li. cela rien de surprenant. pUIsque. tout au long de l'âge claSSique les mots dont on pen~art que le5 langues étaient composées, et les caractères par It:squ.els o~ essoyait de constituer un ordre naturel, avaient reçu, Iden1.l­quement, Je m~me statut: ils n'existaient. que par la valtlur 1. rr. S~hlest'I. lA l.auglle ~I III 1'Jril'l,nphic "cl·/anima (trad. françaI5r., Paris, 1837 J. J). af,.
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    Travail, "ie, langagiJ293 &lentative qu'ils détenaient, et le pouvoir d'analyse, d. rapr :Wlement de composition et de mise en ordre qu'on leur redo lissait à l'égard des choses "eprésentées. Avec JUllsieu recOJllDaml arek d'abord. avec Cuvier en.uite. le caraotère aVilit el. ù, u. "II fonctl, on repre' sentati•v e, ou p IU·AlN. t, 8" 11 pOUV81' t emlore per r:':cnter /1 et permettre d'établir de. "elations de voisinage ~redpeç ·p,l lrentô, ce n Je" tait pas pal' 1a vertu propre d e sa structure :ible ni des éléments descriptibles doot il était compos6, mais parce qll'il avait d'a~ord é~ rapporté à une org!,nisation d'en!ICmble et li. une Conetlon qu Il a~81l1'1? de façon dlrect~ ou indirecte Dlajeure 011 coUatérale, 1 pmnolfe Il ou 1 secondalte lt. Dans le domaine du langage, le mot subit, à peu près il la même époque, une transformation nnalogue : bien .Or, il ne ce~!!e pHB d'avoir un .eoa et de p'0uvoir c représenter Il quelque chO!le dan. l'esprit de qui l'utilise ou l'entend; mais ce râle n'est plui COD!!titutif du mot dans son ôtre même, dans son architecture es!lentieUe, dans ce qui lui permet de prendre place à l'intérieur d'une phrase et de s'y lier avec d'autres mots plus ou moins différents. Si le mot peut figurer dans un discours où il veut dire quoIque chose, ce ne Bera pas parla vertu d'une dÜicuraivité immédiate qu'il détieudrait en propre et par droit de Daissance, mais parce que daoa Ba forme mArne, dallll lea sonorités qui le composent, dans lei changements qu'il subit .don la {onction grammaticale qu'il occupe, daO! les modifica­tion' enfin auxquelles il se uouve soumis à travers le temps, il obéit à un certaID nombre de lois strictes qui l'égissent de foçon aemhlllbie tOU8 le!l autres éléments d. ]a même langue; si bien que le mot n'est plus attacbé Il une représentation que dans la mesure où il fait partie d'abord de l'organisatioD gramruaticalo por laquelle la lugue définit et a89ure sa cohérence propre. Ponr que le mot puisse dire ce quoil dit, il faut qu'il appartienne ~ une tota 1 ité grammaticale qui, par rapport à lui, est première. londnmentale et déterminante. f Ce .d6calage du mot, cette sorte de saut en arrière hors des ODCtiO~s représentatives, a été certainement vers la fia dll dYIllO Siècle un des êvénemeDta importants de la culture oeci-:: e1:'~ le. Un .de ceux ~UB8i qui est pa89é le plus inaperçu. O. ~ volontiers a ttentloD aux premiers moments de l'économie de ~tl:1de, ~ l'analyse par Ricardo de la rente foncière et du coût d' r .uctlon: on l'IIconnl1tt ici que l'événement Il eu de grandea pelIr1m1ie lllilO,Op!uli' sque, d e proche en proche, i•l a non !leulement Ilertai Il le ~e'oPPelment d'une science, mais aU!lsi entralné un nëgli ~ DO re de mutations écoDomiques et politiques, On De .cièD~ea~alll trop DOD plus les formllll nouveUes prises pal' les e a nature; et s'ü .tvrai que par une illusion rétros-
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    294 LM ma'"el les C1108/J8 peelive on valorise Lamarck l'lUX dépen!l de Cuvier, s'il est vr . qu'on ee rend mal compte que ln 1 vie 11 atteint pour la prellli~ 111 fois uvee les Leçom d'a'fD-wrnÜl com.pt.Zré~ SOb seuil de posil.iyil~: on a cepuudantlacobsclenCeaumolRsdtlTusequela cultureocc:' dentale s'est mise à port.er, de ce moment-là, un regard neur';:­le monde du vivant. ~n ~van~he, l'iloleme.nt. des langues il1r1o~ europée~Iles, la con6tltut~on d une !P'a~alle comparée, l' étude des UexIODS, la formulatlOD. des 1018 d alt.eruance vucoli'iue et do mutution consonantique - bref toute l'oeuvre philologique de Grimm, de Schlegol,'de Rask et de Bopp demeure dans IIl8 marges de notre conscience historique, comme si clle avaiL soulement fondé une discipline un peu lal.6r'd,le ct. ésotéri'1ue_ comme si, en fuit, ce n'était pas tout 10 modo d'litro ùullllll,luge (ct du natre) qui s'était modifié à truVIll'5 eux. Suns doute 88 Inut-i( pas chercher à justifier un tel oubli en dépit de l'im~or­tance du changement, mais au contraire à parti .. d'elle et de l'aveugle proximité que cet événement conserve toujours pour nos yeux mal détacbés encore de leurs lumières aCcOllttllutie1, C'est qu'à l'époque même où il s'est produit, il étAit d~jà enve­loppé sinon de secret, du moins d'une certaine discrét.ion. Peut­être leI changements dans le mode d'être du langage sont· il. conune les altératiulllS qui aOEectent la prononciation, la graDL­: maire ou la sémantique: aussi rapides qu'ils soient, ils ne sanL jamais clairement saisis par ceux qui parlent et dont le langage pourtant véllicu1e déjà ces mutations; un n'en prenù conscience que de biais, par ruomenLs; et puis la décÎliiorL u'et;l finalement indiqul.'O que sur 10 mode négatif: par la désuétude raùicale et immédiatementperceptiblc du langage qu'on employait. Il n'est 8Dna doute pas pnssible il UDe culture de prenùre conscitmce d'une m8nière thémntiryue et positive que Bon langoge cellije d'être transporent'à scsreprlsentations pour s'épaissir ot recevoir uno pesanteur pr0J;'J'e. Quand on continu8 il discourir, COUlment 88urait-on - sinon il traverl'l quelques indices obscU1'8 qu'on interprète à peine et mal - que le lungage (celui-là mêlUe dont on se serl) est en train d'acquérir une dimension irréducliJ,lc. à la pure discursivité? Pourtoute!l ces raisolls, sans doute, la nlll~­SAnce de la philologie est restée dans la cunscience occidenta!e beaucoup plus disciète que celle de ln hiologie et do l'écollorrllc polit.ique. Alors qu'die faisait partie du même Loulcv6J's"llIcn arcbëologique. Alors tlue pOlIl·être ses consp.qllenccs sc sont éten­dues Leau.~oup pluslllin encore dans notre cul turc, nu muilllS dnnll les couches ~oul.errail1es qui la }1!U'courent et Jo soutiennent .. ? CelLe positivilé philologique, comment s'ellt.-cllc (~rJll:1l Quatl'e lIej.lOlellts théoriques noui 8U eiJ.rnaleut 1ft C(IIl~lllllUi'" au début du Xlx,8 siècle - à l'époque de l'essai de Hchle:;c1 !l11f
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    TrtWaU, v&s, 14ngGge295 n ue 6t la philosophie du 1ndie", (1808), de la Deut8C11S ~ La n~tik de Grimm (1818) et du livre de Bopp sur le Jy,- ri;::; tÙ conj/lgaison du sanskrit (i8i6). . 1 Lo premier de ces sebrments eoncerDela maruère dont une ] ~c peut se caractériser de l'intérieur et se distinguer des ang, e. A l'êpoque classique, on pouvait définir l'individualité dau' r e" l. an"ue à partll. " de p lu9'1e urs Ol'.J t èr es: proportI.O n entl'O 16 8 d'~~ent!l"souS utilisés pour fOl'lDer des mots (il y a des langues A Imujoritê vcx:ulique et. d'au~ à n;tajorité cousoJUlDt.ique), pri­vilège accordé à. certames categorle~ de mo~ (langue) à 8~S­tantifs concrets, langues à substantIfs abstralts, etc.), manière de reprétientcr les relations (par des prépositions ou par des déclinaisons), disposition choisie pour mettre lei mots en ord1'6 (50it qU'OIl place d'abord, comme les Français, le sujet logique, ou qu'on donne la préséance aux mots les plus importants, comme en latin); ainsi on distinguait les langues du Nord et cellus du Midi, ceUes du sentiment et celles du besoin, celles de la liberté et celles ùe l'esclavage, celles de la barbarie et celles de la civilisation, celle .. du raisonnement logique et celles de l'ar"umentation rhétorique : toutes ces distincliollS enlre les Inn~es ne concernaient jamais que la manière dont eUe!! pou­vaient analyser la représentation, puis en composer les élô­ments. Mais à partir de Schlegel, les langues, au moins dans leur typologie la plus générale, se définissent par la manière dont elles lient les uns aux autrel les éléments proprement. verhaux qui la composent; parmi ces éléments, certains, bien sllr, sont représentatifs; ils possèdent en tout cas une valeur de repré­sentation qui est visible mais d'autres ne détiennent aucun 8C!lS, ct servent seulement par une certaine compo!>ltlon li déter­miner le sens d'un autre élément dans l'unité du discours. C'est cc ?llntéri!1U - fait de noms, de V6rbes, de mots en général, 11181S aussI dc syllabes, de sons - que les langues unissent entre cID'. P?Uf {onner des propositions et. des phrases. Mais l'unité matéMelle constituée par l'arrangement des sons, des syllabes el des mots n'cst pas régie pal' la pure ct simple coDwinatoÎre des é~ê~ents de la représentation. Elle Q ses principes propres, et q~ ddTèrent dans les diverses langues: la composition gram­~! I~c.ule .8 dcs régularités qui ne sont pas transparentes à la S!guificatlOn du discours. Or comme la signification peut pasli~r, à peu près intégralement, d'une lnn.l7.Ue dans une autre, d::li~t. d~s régularités qui vont permettre de définir l'iudivi­nom. une langue. Chacune a un espace grammatical auto­d'une, t 1 peut comparer ces espaces latéralement, c'est-à-dire e anguo à l'autre, sans avoir à passer par un l milieu _
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    Leif ITWU etlea c/lu'6lI commWl qui BeraiL le cbamp de la repréaentation -vell tout ses subdivisioDs pOllliibles. es Il est (acile de distinguer tout de Buite deux grands mod de combinaison entre les éléments grammntieaux. L'un consi,: à les juxtaposer de manière qu'ils se déterminent les un~ 1 autres; duns co cas. la langue est faiLe d'une poussière d'él~a ments - en général forL brefs - qui peuvent se combiner d' différentes mllnières, muis chacune de ces unités gardant 80: autonomie, donc la pMsibilité de rompre le lieu transitoiro qu'à l'intérieur d'une phrase ou d'une proposition, elle vient d'instaurer avec une autre. La langue se défiDit alors pal' 10 nombre de ses unités, et par toutes les combinaisons possibles qui peuvent daus le discours s'établir entre eUes; il s'agit alon d'un 1 al:lSemb1age d'atomes 1, d'une «agrégation mécanique op~réo par Ull rapprochement extérieur 11. Il existe un autre mode dtlliaison entre les éléments d'une langue: c'estlesystème des flexions qui altère de l'intérieur les syllabes oulcsmots e9sen. tiels -les {ormes radicales. Chacune de ces fonnes emJ.lOrte avec soi un certain nombre de variations possibles, déterrrun~e.~ l J'avance; et selon les autres mots de la phra~e, solon les rela. tion! de dépendance ou de corrélation entre ces mots, selon les voisinages et les associations, telle variable sera utilisée ou telle autre. En aJ.lparence, ce mode de liaison est moins riche que le premier pUIsque le nombre des possibilités combinatoires est beaucoup plus restreint.; mais, eo réalité, le système de la Uexion n'existe jamais sous BU Corme pure et la plus décharnée; la mudi1ication interne du radical lui permet de recevoir par addition des éléments eux-mêmes modifiables de l'intérieur, 'si bien que 1 cllaque racine est véritablement une sorte de germa vivonti car lei rapports étant indiqués par une modification intérieure et un lihre c11amp émut donn6 au développement du mot, C8 mot peut s'étendre d'une manière illimitée· 1. A ces deux grands types d'organisat.ion linguistique cor­respondent d'une part le chinois, où 1 les particules qui désigne. nt les idées 8ucces~ives sont des monosyllubes ayant leur ClOS' tence à port 1 et, de l'autre, le sanskrit dont lIa struct1;'re est tout à fait ol".,'1lwque, se ramifiant pour ainsi dire à l'lIlde ùes flexions, d4lti modifications intérieures et J.'entrela~emellt.s variés du l1ldical a 1. Entre ces modèles majeurs et. e){trô.mes, on peut répartir toutes le' autres langues quelles q Il' elle! SOient; 1. Fr. Schl~glll, Ellal ,ur la langue I!t la philollIphl, du Inriitnl (lrad. SflIUÇIÜ"', Pllri~, 1837), p. 57. 2. Id., Ibid. p. 56. :J.·ld., Ibid., p. 47.
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    Travail, II~, langage297 lura nêcellllairement. une organillat.ion qui la rapprG­chacun:, l'un des deux, ou qui la tiendra à égale distance, eh""'r u du champ ainsi d6fini, Au plus près du chinois, on au pu IJBe bosclue, le ~opte, 1ea langues américnines; elles lient trOU"· d éJ ' é hl ' • 1 s I,'ec les autres es emenh li para es; mais ceux-CI, e5,,!DU de demeurer toujours li l'état, libre, et. comme autant daI'l tolem es Terbaux l.r re'd llCl·o!LWI es, 1 commencent . de"J à à se ro nd re d:ns Je Dlot.; l:arebe se d~linit. pa,r Ull méla~e ent,re le sys­t' me des allixat.lon& et cehu dea DeXlODSj le celtique est presque e~c'usivemen une langue à flexion, m~iB OD y t.rouve encore des 1 vestigr.s de langues amxes 1. On dua peut-être que cette orrosition était déjà connue 8U xnne aièile, et. qu'on savait. depuis ]ongt.emps distiDlt"er ~a combinatoire des mots cbino,ia auX déclinaisons et. CODJugfllSons de langues comme le latlll et le grec. On objectera aussi que l'0rpositiqn absolue 6tablie par Schlegel fut très tôt critiquée pAr Bopp : III 06. Schlege! voyait deux 1)1'es de langues radicalement. massimilables l'un à l'autre, Bopp a Cllel'chê une origine commune; il essaie d'êta­blir 1 que les Dexioos ne sont pas une so11e de développement intérieur et spontané de l'élément primitil, mais des parti­Cilles qui se sont agglomérées à la syllabe radicale: le m de ]a premillre personne en lIan5krit (bl,avâmi) ou le , de la t.l'Oi­si~ me (b1uJlldû) sont. l'elTet de l'adjonction du radical du verbe du pronom 17Idm (je) et Mm (il). Mais l'important pOUl' la constitution de la phiJolo~ie n'est pas tellement de savoir si ]611 êléments de la conjugaIson ont pu bénéficier, dans un. pass6 plus ou moins lointain, d'une existence isolée avec une valeur autonome. L'es~entiel, et ce t(UÏ dist.in..crue les analyses de Schle­g~ et. de Bopp de celles qtu, au XVIIIe siècle, peuven.t anti­ciper ~pparcmment snI' elles " c'est que les syllabea primitives ne croJBS~nt. pas (par adjonction ou prolifération internes) sana Dn certaIn Dombre de modifications réglées dans le radical~ , IInl une lan"aue comme le chinois, il n'y 8 !lue des lois de JII;ctapusit~on; mail! dans des langues où les radICaux sont 80U­ilS à cr"?l!;sance (qu'ils soient monosyllabiques comme danl .c !IIln!lknt ou polysyllabiques comme l'hébreu), on trouve tou­JOurs des formes régu1ières de variations internes. On compl'eDd quel la nouvelle philologie, ayant maintenant pour coractéri­~.. f: ~8ngu68 ces critères d'organisation intérieure, ait aban­t Ounn : es classements hiérarchiques que le xvme siècle pra­i IIIllalt. : On admettait alora qu'il y avait des langues plue qlportantes que lcs autres, parce que l'analyse des représen-i ~o~, Uclltr da. Kon/ugallort,."""". dit' San.k~lI.pmcl1" p. 147. , lime Tooke, ParoI" r1Olanl" ,LondreS, 17D8),
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    298 tations yétait plus précise ou plus fine. Dêsormais t.out lei langues 8e , .. lent : elles ont seulement des organisatio es internes qui 80nt dilTérentell. De lil cette curiosité pOur d'fla langues rares, peu parlées, mali civilisées l, dOllt Rask a don': le témoignage dans sa grande enquête à travol'B la Scandioa vie, la Russie, le Caucase, la Pene et l'Inde. • 2. L'éLudo de ces fJtJriaûo1l8 in.t61'1UJ$ constitue 10 second se ment tMorique important. Dans ses recherchos étymOlo~iqu~ la grammaire généralo étudiait bien les tranRformations d~ mots et des syllabes à travers le temps. :Mais cette étude était limitéo pour trois l'Rison!!. Elle portaIt plutôt sur ln métamor. phose dcs lettres de l'alphabet que Bur la manière dont les sons effectivement prononc~ pouvaient ~tre modifiés. De plus ces transformations étaient considérées comme l'efTet, toujours possible, en tout temps et sous toutes conditions, d'une cer­taine affinité des lettres entre elles; on admettait que le p Ilt le b, le m et le n étaient assez voisins pour que l'un pdt a8 Sub!!Lituer à l'antre; de tels changements n'ëtaient provoqulis ou déterminés que par cette douteuse proximitê et la confu. sion qui pouvait s'ensuivre daus la prononciation ou dans l'audition. Enfiu, les voyelle. étaient traitées comme l'élément le plu.'i fluideetle pluB instabledullUlgage, alors que les consonnes passaient pour en former l'architect.ure solide (l'hébreu, par exemplo, ne disp'ense.t-il pas d'écrire les voyelles?). POlU' ln premlore fois, avec Rask, Grimm et Bopp, le Jangllge (bien qu'on ne cherche plus à le l'amener à sos cris orjginlliret) est tl'aité oomme un ensemble d'éléments phonétiques. Alors que, pOUl." la grammaire gén6rnle, le langage naissait lorsque le bruit de la bouche ou des lèvres était devenu hUre, on ad.net désormai, qu'il y a langage lorsque cC!! bruitll sc sont arti­culés et divisés en une série de aOM dist.inrl.s. Tout l'êt.re du langage est maintenant sonore. Ce qui 6X]11iq1le l'illtérêt. nou' veau, mauifcsté par les frères Grimm et 1'81' Raynouard, pour la littéruture non écrite. les récits populaires et It's dialcete8 parlés. On cl.terche le langage au plus près de ce qu'il est: d:Jns la parole - cette parole que l'écriture dessècllo et fige SlIr place. 'l'oule une mystique est eu lraill de mlÎtre : cel.1e (lu vorho, du pur éclat poétique qui passe sans trace, ne lal5!1ant d01Tière soi qu'une vibration un iJlstant suspendue. Eu. Ail Bonorit6 pfissagère et profonde, la parole devient som·crame• Et ses secrets poUVOIrs, l'animés du Bouffie des pl'OphèLe~~ 8'opposont rondnmentolement (m6me s'ils tolèrent qlllllqtlCS entrecroisements) à l'ésotérisme do l'éoriture qui, lui, 51lJll'~SC la pennanonce Tecroqucvill~c d'un secret uu centre de Ja y' rinthes visibles. Le langage n"e!!t plus tellcmenl. ce sigue - plus
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    Travail, vie, langage299 'ns lointain, reS1lemblant et arbitl'aire - auquel la oU ~OJ cû Port-RoYlIl proposait. comme modèle immédiat et Lo.~ql~ le portrait. d'un homme ou une carte de géographie. ~t'~ :~quis une nature vibratoire q~i le détll~he du !!i~e visible )'n)lproclll'r de la note do mUSique. Et. 11 " fallu Justement poeu Srauu ssure contourn~ ce mornen~ del a pAro ]e qm' fu t maj. eur qu toute la philologte du XIXt! SIècle, pour restaurer, au-delà ~~rormcs historiques, la ,dime.nsion ~e la langue en gén.éral, et rouvrir par-delà tant d oubh, 10 VIeux .problèm~ du 8Ign~, i ovoit anim6 toute la pensée Bans mterruptlon depws ~~rt-Royal jusqu'aux derniers Idéologues, , Au xlxe siècle commence donc une ~nalytlo du lang~ge tralt6 comme un ensemble de s~ns ~fTranchls d~B l~ttre~ qUi p~uvent les transcrire 1. EI!e a ête 131t-: dans ~OIS d11'C.c~lOns. D abord ln typologie des diverses sonorItés qui sont utilIsées daOll une longue: pour les voyelles, par exemple, opposition ontre les simples et les doubles (allongées comme dans d, 6; ou diphton­gtl~ l.'lI comme dans lB, ai); parmi les voyelles simples, opposi­tion entre les pures (a, i, 0, u) et les fléchies (e, 0, UJi panni le8 pures, il y a celles qui peuvent avoir plusieurs prononcia­tions (comme le 0), et celles qui n'eo oot qu'une (a, i, u); enfin parmi ces dernières, Jes unes sont sujettes au changement et peuvent recevoir l'Umlaut (a et u); le i, lui, reste toujours fixe 1. La seconde forme d'analyse porte sur les conditions qui peuvent déterminer un changement dans une sonorité sa place dans le mot est en elle-même un facteur important: une syUabe, si elle est terminale, protège moins facilement sa per- 7T!Rnenr.e que si elle constitue la racino; les lettres du radical, dIt Grimm, ont la vie longue; les sonoritês de la désinence Ont une vie plus brève. Mais il ya en outredcsdétcrminatioD8 positives, car «le maintien ou le changemeot lt d'une 8Onorit.6 qu~lconque «n'est jamais arbitraire s J. Cette absence d'arbi­trmM était pour Grimm la détermination d'un sens (dans le rnd!csl d'un grand nombre de verbes allemands le a s'oppose d~ , comm: le prétérit au présent). Pour Bopp, elle est l'effet un certain nombre de lois. Les unes définissent les règles de ~hnpgement lorsque deux consonnes se trouvent en contact: ~~~s(ld quI and 0!l dit. en sanskrit at-ti (il mange) au lieu de , c a racme ad, manger), le changement du d et t a (lll;n?l~ a lait ~uvent reproche A Grimm d'avoIr confondu leLLrel et lIOn! 6U.iL r1tnl~:hrlll c~ hUit t1t1ment.! paree qU'il diviEe , cn p eL on hl. Tant n 2. J Gri 110 traIter II! langllge comllle pur ~lement sonore. Ile se lrouvm~, Dtubche Grammallk (2o M., 1522), l. I, p. 5. Ce! 8nalysea 3. II!. i.el·dn PaBSdllDi la première 1ld111on (1818). 1 u ., p. •
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    300 P?ur .eaus~une loi .p1lrsique .• D'autr~ ~ér~issent le 1ll4,d d act.lon d une terminaIson 8ur les sonorltes du radicul . 1 il fi lois mécaniques, j'entends principalement les lois de lu Pf'SU ur teur et en particulier l'influence que le poids des clésjn;II~­personnelles exerce sur lu syllabe précédente 1. Il Enfin hl' de:. nière forme d'analyse porte 5111' )a constance des lran~ronl1i tions à travers l'HisLoire. Grimm a ainsi établi une tnhle t correspondance pour les labiales, les dentales et les gutturale: entre le grec, le It gothique J et le baut allemand: le p le b le f cles Grecs deviennent. respectivement r, p, b en go~hiqu~ et b ou v, f et p en haut allemand; t, d, th, en grec, ùC"'iennenL en gothique tlA, l, d, et en haut allemand d, %, t. Par Clsl ensemble de relations, Jes chemins de l'histoire se trOU'enL prescrits; et au lieu que les langues soient soumises à c.cll.t: JIletilll'e extérieure, à ces choses de l'histoiro humnine '1 1Ji devaient, poUl' la pensée classique, expliquer leurs ChllnrrCmCnl~ elloe détiennent elles-mêmes un prinCIpe d'évolution. Là comm~ aillours, c'est l' c anatomie 2 Il qui fixe le destin. 3. CeLte définition d'une loi des modifications consonan· tiques 011 vocaliques permet d'établir une ,Marie MUlielh du mdical. A l'époque classique, les racines se repéraient par un double système de comlantes : les constantes alphabétique! qui portaient BIll' uu nombre arbitraire de lettres (le cas échéant, il n'yen avait qu'une) et les constanles significatives qui regroupaient sous un t.hème général une quant.ité indéfiniment extensible de sans voisins; au croisement de ces deux con.~­tant. 6s, là Où un même sens se laisait jour par Wle même lettre ou une même syllabe, on individualisait Wle racine. La racine, e'êtait un noyau expressif transformable à l'infini à pnrtir d'une sonorité premit~re. Mais si voyelles et consonnes ne se transforment que selon certaines lois ct SOU9 certaines condi· tions, ulors le radical doit ètre une individualité linguislique 8t.8ble (entre certaines limites), qu'on peut isoler avec ses varin­tions éventuelles, et qui constitue avec ses différentes formes possibles un élément de langage. Pour déterminer les éléme~ts premiers et absolument simples d'une langue, lu graD!lIlal~ générale devait remonLer jusqu'au point de contact. unagl o naire où le SOR, non encore verbal, touchait en quelque soye à la vivacité même de la représentat.ion. Désormais !es e co lIlents d'une langue lui sont. intérieurs (même s'ils al'partulf!nent au.ssi aux autres) : il existe des moyens purement lingui:;uquils 1. Bopp, GrammaCre CQmpGrie (ll'lld. trançal5e, Paris, 1866), ~. 1, no';' 2. J. Grimm, L'()rigirn: du I4ngage (trod. CI".lIlçalBe, Paris, 1&19), po •
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    Travail, lIie, lnngngt!301 'é blir leur oomposilion constante et hl tabl. de leurs modl­d ·t~ n9 p~9iblC!1. L'étymologie va donc cesser d'être une lir.A LlOr che indéfiO•l ment re.gres'sIV e vers une ) aogue prI•m i"t IVe de:::: peuplée des premi~r~ cris .de. la naturej eUe devient une lOHhode d'analyse certaine et lImltée pour retrouver dans un rn t le radical li. partir duqncl il a été formé: Il Les racines de: m~ts ne rurc.nt mi~e!l cn é~idc!,ce ~u'uprès le succès de l,o na• vJ o~c. dl..-s flexIOns •e t des ddé l'lvatlons' )•• 00 peut ainsi établir que, aDS certomes angues comme les 'mitÎ(l'lCs ]~ rncines sont bi!yllabiques (en généra) de trois i:ttre5); q~e dans d'auLr~s (les indo-germaniI"(1I8s) eUes. Bont régulièrement monosyllabiques; quelques-unes sont constituées d;une !leule et unique voyelle (i ~st.'e ~adicul de.'1 ;verbes. qui veulent dire aller, " de ceux quI SIgnifient retenhr); millS la plupnrt du temps la racine, dans ces )nnglle~, comporte au JUojn~ une consonne ct une voyelle -la consonne pouvant âtre tenninnle ou initiale; dans le premier cas, la voyelle est néces­sairement initiale; dans l'autre cas, il arrive qu'elle soit suivi8 d'une seconde consonne qui lui sert d'appui (comme dans IR racine ma, mad qui donne en latin metiri, en allemand me.t­sen 1). Il arrive aussi que ces racines monosyllabiques soient redollblées, comme do se redouble dans le sanskrit dada mi, et le ~ec didümi, ou s'a dans tishtami et Ï8témi. 1. Enfin et surtout la natura de la racine et son rôle constituant danale langage sont conçus sur un mode absolument nouveau: au XVIIlO siècle, la racine êt.ait uu nom rudimentaire qui dési~ait, en son origine, une chose concrète, une représentation Ilomédiate, un objet qui se donnait au regard ou à l'un quelconque des sens. Le lan­gage se bâtissait à partir du jeu de ses caractérisations nomi­nales : la dérivation en étendait la portée; l'abstraction laisait fUtUre les adjectifs; et il suffisait alors d'ajouter il ceux-ci l'auLre élément irréductible, )a grande (onction monotone du verbe être, pour que se constitue la catégorie des mots conjugablcs - 1011e de resserrement en une rorme verbale de l'être et de l'épi­thète. Bopp admet lui aussi que les verbes sont des mixtes obtenus p:u-1a coagulation du verbe avec une racine. Mais son apalyse .dilIèro sur plusiours points essentiels du schéma clos­~ Iq~e : il ne s'agit pas de l'addition virtuelle, sous-jacente et tn~sible do )a fonction attributive et du sens propositionnel q.ul1n prète au vorbe êtrej ils'aO'it d'abord d'une jonction moté­fIe e entre un radical et les fories du verbe êtrB : le tU sanskrit " ~;. ;.~.rtmm, L'Origine du langag" p. 37. Cf. BU5Si lkul6elrt Grammallk, l ~~ Grimm, L'Origine du langage, p. 41. pp, Ueber da. KonjugqliollMjJ"cm dII Saruk""'praclls.
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    302 Be retrouvedanile sigma de l'aoriste grec, dans le IR' du plus. qU6-l'arfait ou du futur anûrieur latin; le bliu sanskrit retrouve dans le b du futur et de l'imparfait latins. De l:se cette adjonc~ion cl" nrbe être permet essentiellement d.!ttri~ buer au radical un templl et une personne (la dusinence cona­tituêe par le radical d" verbe être apportant en outre celui d1l pronom personnel, comme dans 6cript·,-i 1). Par suite, ce Il'est pas l'adjonction de lUTa qui transfonne une épithète en verbe' ]e radical lui-même dét.ient une signification verbale, à 18quell~ les dé.'Iinences d6riv6es de la conjugaison de Itra ajo1ltent seule­ment des modifications de personne et de temps. Les racin8S dei verbes ne désignent dono pas li. l'origine des 1 challes Il mais dOl actions, des procl'.S!ms, des désirs, des volontés; et c~ sont. elles qui, recevant certaines d6sinenoes issues du verbe être et des prono.IDS personnels, de"fÏennent susceptibles de conjubrai- SOD, tandiS que, recevant d aums suffixes, eux-mêmes modi­fiables, elles deviendront des noms susceptibles de déclinaison. A la bipolarité Doms-verbe être qui caractérisait l'analyse classique, il faut dODC substituer une disposition plus complexe: des racines à signification verbale, qui peuvent recuvoir des désinences de types difIérents et donner ainsi naistiance à dei verbes conjugables ou à des substantifs. Les verbes (et Jes pro­Doms personnels) devienoent ainsi l'élément primordial du lan­gage - celui il partir duquel il pellt se développer. Il Le verbe et les pronoms personnels semblent être les véritables leviers du langage s. 1 Les analyses de Bopp devaient avoir une importance capitale Don seulement pOUl' la d6cornl'osition interne d'uno langue, mais encore 'Pour définir ce que peut être ]e lang'dge ell Bon essence. Il n'est plus un système de repré.~cntations qui a J!0uvoir de découper et de recomposer d'autres repré;mntatloll8j il désigne en ses racines les plus constantes des actions, des états, des volontés; plutôt que ce qu'on voit, il veut dire origi­nairement ce qu'on lait ou ce qu'on subit; et s'il finit par mOD" trer les choses comme du doigt, c'est danll ]a mesure où elles sont ]e l'égnltat, ou l'objet, ou l'instrument de cette action; les noms ne découpent pas tellement le tableau complexe d'une représentation; ils découpoot et arrêtent et figent le pl'ocessUl! d'une actioD. Le langage 1 s'onracino 1 non pas du côté des choses perçue!!, mais du côté du sujet en son activité. Et peut­être alors est-il issu du vouloir et de ]a force, plutôt que de cette mémoire qui redouble la représentatioD. On parle parce qU'OD 1. nopp, loc. cif., p. 1.&7 Ill. 2. J. Grimm, L·OriflÎM du lDnflfJ~, p. 39.
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    303 • LDon point parce qu'en reconnaissant on connait. Comme 8Wt"e lu langage exprimo une volonté proConde. Ce qui a ld'actlo~·n~~quençç~. La première est paradoxale pOlir un regard hâeLllilrt 4:, ;cO',e~ st qu'au ~ome~t. 0.1•1 1 i Ph il 0l Ogl' ~ se const.i tue par 1I l dêcouv6rlu d'une dlmerullodn e 8 CgrBdmma,re p~'d~n se re~et auribuer aU langage 0 pro on a pouvo~ expressl0!l (Hwuholtlt. n'est pas seulement le, cO,ntempor'.un ~e ~?PP; il ais.~ait. tlon oeuvre et por le detail) : alors qu à 1 ep~e eola~l'q'ue la Con ct ion expressive du langage n'était rellUlse o u'~au~ p,oi nt d' orl•g •m e et pour expl 'l' ll1er 1111 u•l emont qu' u n son q ui!'!ie repr~~nter une chose, au XIXe Siècle, le langage ~a avoir, tout au long de son pa~cours ~t daJ~s ses fo~t:S les plus complexes, une valeur exl?rossLve qut ~st Irréductable; .. uc~ arbitraire, aucune conventlO~ gramm,atlcole no pouvent lobli:­térer car, si le langage exprune, ce 0 est pas dans la mesur6 ou il im;leruia. et redoublerait.lclI choses, mais dons la mesure où. il manifeste et traduit le vouloir Condamental de ceux qui parlent. La seconde conséquence, o'est que le langage n'est plus lié aux civilisations par Je niveau de connaissances qu'elles ont atteint (la finesse du resf'..8.U rcpré~entatif, la multiplicité des liens qw peuvent s'établir entre les élément.'I), m818 par l'esprit du peuple qui les a fait oatLre, les anime et peut se reoonnattr~ CIL elles. Tout comme l'organisme vivant manifeste par sa cohérence lel! fonctions qui le maintiennent en vie, le lant,'Ilgo, et. dans toute l'architecture de sa grammaire, rend visible la volonté fondamentale qui maintient un peuple en vio eL lui donne le pOIlVOir de parler un langage n'appartenant qu'à lui. DIl coup, les conditions de l'historicité du langage sont c:hang86$; les mutations ne viennent plus d'en haut (de l'élite des savants, du petit groupe des marchands et des voyageurs, d~ armées victorieuses, de l'aristocratie d'invasion), mais eUes naISsent obscurbment d'en bas, car le langage n'est pas un ins­tru! Dellt, ~u un produit - un ugon comme disait Humboldt-, i'~ UD~ lIlC6Stiante act.ivité - une energeùJ. Daru une langue, c.; ut qw parle, et qui ne cesse de parler dans un murmure qu' 00 Il entend pas mais d'oÏl vient pourtant tout l'éclat, c'est 10 peuple. Un tellllurmure, Grimm pensai!. le surprendre en écou­~ n~)", ~ltdeu.ts~/16 AI Bistergesang, ct Raynouard en transcrivant .1 ohu ,.or'8Hwlesdestroubadoul'B.L61angage e5t lié non plus ~ connaassance des choses, mais li la liherté des hommes: «Le el gage est .hll~in : il doit à notre pleine libtlrté son origine Où les ~~o,gr~; Il est notre histoire, notre héritage 1 •• Au moment on elirut les lois internes de la grammaire, OIL Doue une pro- 1. J. Griw'" L'Or'. j .... 191"" ut3 IGRl'lec, Po 60.
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    fonde parenté entrele langage et le libre destin dos homrne Tout au long ~~ XIX! siècle la pJu101ogie aura de pro(ond" résonances pohtJques. es 4. L'analyso des racines a rendu Jlossihle une nouvelle défi nition delf syBtèm68 dtJ parenté entre les langues. Et e'cst Ir. I~ quotrièmo grand segment thp..orique qui caractérise l'oppari~il')n de ln philologie. Cette définition suppose d'abord q1Je les langues 8e grouJlcnt en ensembles discontinus les uns par mpporL !lUX 8ulre~. La grammaire générale exc111ait la compnmison dan~ ln me~1Jre où elle admettait en toutes les lcuagucs, quelles qU'tilles soient, deux ordres de continuité: l'une verticale leur permet. tait de di!poser toutes du lot des racines les plus primi tives, (lui moyennant q~elqu~s tra~s.{~rmatio!)6, rattach~it chaque Illn~ goge aux artlculaLlons mltlalesi 1 autre, horlzont:lle, (ai5ai~ commuruqutlr les langues dans l'universalité de la représenta­tion. : toutes avaient à analyser, à décomposer et à rec:omposer des représentations qui, dons des limites allsez vastes, étaient les mêmes pour 10 gonre humain en son entier. De sorte qu'il n'était pas possible de comparer les langue!l sauf d'une manière indirecLe, et comme l'Ill' un cheminement triangulaire; on pou­vait analyser la manière dont telle et telle langue avait traité et modifi61'équipement comm1Jn des racines primitives; on pou­vait nussi comparer la manière dont deux langues découpaient et reliaient les m~cs représentations. Or, ce qui est devellu possible ~ partir de Grimm et de Bopp, c'est la comparaison directe et latérale de deux ou de plusieurs langue!!. Comparai­son directe puisqu'il n'est plus nécessaire de passer par les représentations pures ou .cl racine absolument primitive: il sulTit d'étudier les modifications du radical, le système de!! flexions, la série des désinences. Mais comparaison latérale qu! ne remonte pas aux éléments communs à toutes les langues Dl au fC?nd représentatif daJls lequel elles puisont : il n'e~t d.one p4~ pOlislble de rapporter une laJlgue à la forme ou aux prmclpes quI rendent toutes les autres possibles; il faut les grouper d'aptès leur proximité formelle: « La ressemblance se trouve non seu ~ ment dans le grand nombre des meines commune!;, malS encore elle s'éLend jusqu'à la structure int6rieure des langues et jusqu'à la grammaire 1 •• Or, ces structures grammaticales qu'il est po!!siblt) de .co~pa­rer directement entre elles offrent deux caractères partlc,!-hers. D'abord, celui do n'exister qu'en systèmes: avec des rad!C8U~ monosyllabiques, un certain nombre de flexions sont posslbli' le poids des désinences peut avoir des eilets dont le nombre et II. 1. Fr. SChlecet, l!:uQj .ur la langue lIf la philQlOphle de, Indi~nl. [" JI.
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    TrAvail, vie, langage305 ~ont déterminable.Q j les modp.s d'RlTaxation répondent l pat.ure ~ modèles parfaitement fixes; tandis que daDs le. quelqu Il radicllux polysyllnbique.q, toutes les modifications et Illngue:it.ions obéiront la. d'autres loi!!. Entre deux systèmes c(lmpo~ ceux-lit (l'un étant caractéri~tique des langues iudo­<: lIIum"enlle!' l'nutre dell lan~es sémitiques), on ne trouve pas euVI'~ , ., . d f d .. D' ~ '11 de lVlle illtermédl~lre DI. e. ?rmes. e ~ralls.t.lon- une &lUlU e kl'8utre, il Y a d.lscO!~Llnulte. ~la15, d autre I?arl, les systèm~ tmmut.icuu.'c l''llsqu dll pmcrlvera.t un cel'taan nombre de 10 .. r·''olut.ion cl de mutation permettent de fiXer, jusqu'à UIL cl.~tRin point, l'jndillc de vieillissflment d'une langue; J,our que 1,:110 fonne 811'(larai!lse à partir d'un cert.ain radical, 11 a fnllu t;'lIo ct. teUe tran!'formntion. A l'âge olassique, lorsque deux l~nguc8 IiC ressemblnient, il fallait ou bien It"n<; rattnchel' touler. del1-'C il ]a langue absolument primitive, ou bien admetl1'8 qua J'une venait de l'autre (mais le critère était externe, )a longue la plus dérivée était tout simplement celle qui étnit apparue dall.'i l'histoire à )1 dnte ln plus récente) ou bien encore admett1'8 des échanges (dus à des événement! extra-linKllistiques : inva­sion, commerce, migration). Maintenant, lorsque deux langues presentent. des systèmes analogues, on doit pouvoir décider soit que l'uue est dérivée de l'autre, soit encore qu'elles sont. toutes deux issues d'une troisième, à partir de laquelle eUes ont cha­cune développé des systèmes différents pour une part, mais pour une part aussi aOillogues. C'est ainai qu'à propos du !l8n~kril et du grec, on a successivement abandonné l'hypothèse de Coeurdoux qui croyait. à des traees de la lan~e primitive et cene d'Anquetil qui lIuppol'ait. un mélange à l'époque .du ro):aume de Baclf'ill!le; et Bopp a pu au~si réCuler Schlegel pour qm .' la langue andlenne était la plus ancienno, ct les aut.res (1lIbn, grec, laubrues germaniques et persanrul) étaient ph .. modt~r~e."1 et dl!rivées de lu première 1.,. Il a montré qu'ontrB le liunskrlt, )e latin et. le g~IlC, lell lungues germnniques, il y avait u~ rapport de c fraternaté Il, )e sanskrit n'étant. pas la langue d~lre des Rutres, muu; plutôt Jeur soeur ainée, la plus proC'.he une In~glle qui aurait. été à l'origine de toute cette famille. 1 On VOIt que l'hi.~l.oricité s'est introduite dans le domaine des .&IlJru~ comme dans celui des êtres vivants. Pour qu'URe eV~lit.l~n - qlü ne soit pas seulement parcours des continuités ~n 0 ogJqu~!I :-pllis~e être pensée, il a rallu que le plan inin­Jrr,?~ pu et h~lie de l'histoire naturene soit brisé, que la diseon- 8Il~nteddes ernhra~chement!l rasse apparattre les plans d'orgeni-on ans leur diversité sans intermédiaire, que les organismes 1 ...... Schlegel, F.~,"i ,ur la lanl/rlC cl III plrilOlophie dM Indt_, p. 12.
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    306 ,'ordoouent auxdispositions fonctionnelles qu'ils doivent 8sIIurer eL que se nouent ainsi les rapports du vivant avec ce qui lui perm"t d'exister. De la même façon, il a fallu, pour que l'lUstoire deI langues puisse être pensée, qu'oIllee détacbe de cetLe grande continuité chronologique qui Jes reliait Bllna rup­tUl' 6 jusqu'à l'origine; il a Lullu Buui Jell libérer de 111 nappe commune d6!l représentations où elles otaient prises; à la faveur de cette double rupture, l'hOtérogénéit6 des systèmes gramma­ticaux est apparue aveo ses découpes propres, les lois qui en chacun prescl'lvent.le changement, et les chtllIlÏns qui fixent let! possibilit~s de l'évolution. Une fois 8uRpondue l'histoire dus espèces comme suite chronologique de toutes les formes pos­sibles, alors, et seulement alors, le vivant. a pu recevoir llnu historicité; de la même fllçon, si on n'avait pas suspendu, daos l'ordre du langage, l'analyse de ces dérivations ind~finies et de ccs mélanges sans limites que la grammnire générale supposait toujours, le ]KIlgage n'aurait jamais été affecté d'une historicité interne. Il Il fallu traiter le sanskritt le grec, le latin, l'allemand dans une aimultanOité sYlitématique; On ft dli, en l'Upture de Ioule ohrollologie, les mstaller dans un temps fraternel, pour que Jeurs struotures deviennent transparentes et qu'une histoire des longu8l:i s'y laisse lire. Ici comme ailleurs, les mises en série chronologiques ont dO être oUacées,leurs éléments redistribués, et une histoire nouvolle B'est alors constituée qui n'énonce pas seulement ]e mode de Succtlssion des être5 et leur enchatnemellt dans Je temps, mais le9 modalités de leur furmation. L'empiri­cité - il s'agit aussi bien des individus naturels que des motl par quoi on peut les nommer - est. d6sormaÎs t.raversée par l'Histoire et dans toute l'épaisseur de son être. Ltordre du temps commence. Il y a cependant une différence majeure entre les langues et les êtres vivants. Ceux-ci n'ont d'hilltoire véritable que par un certain rapport entre leurs 'onctions et leurs conditiulls d'exis­tonce. Et il eat vrai que c'est leur composition interne d'~ldi­vidus orgauisés qui rend possible leur historicité, ct:lle-Cl ne devient histoire rûclle que par ce monde extérieur dans .Iequel il:i vivent.. Il a donc fallu pour que cette histoire 8pparUl.!ilitl e.n pleine lumière et soit décrite en un discour~t qU'à l'anatuull•C comparée de Cuvier s'ajoute l'analyse du milieu ct des coudl­lions qui. llgissent sur le vivant. L'Il anatomie li du langage, pour reprendre l'expression de GrimIrlt fonctionne en revanche dans l'élément de l'Histoire: car c'cst une anatomie des ehangemeDts possibles. qui énonce non pas ]0 coexistence réeJle des organes, ou leur exclu~ion mutuelle, mais le sens dans lequellcs muta­tions pourront ou ne pourront pas se faire. La nouvelle gram-
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    307 • tjmm~diaf.eJDent diachronique. Comment en aurait·il maire ~ mont puisque 118 positivité ne pouvait être instaur6e ~tê eU re une ~pture entre le langage et. la ropr6seDtatioD? 'P,ltl P':i~ation intérieure des la~gues, ~ qu'elles autol'Ù!ent et L or~ Iles oxcluent pour pouvOIr fonctl0I"ner ne pouvaIt plUli ce qu Il Il!' .. i que daDli la forme des mots mais, en elle-même, Itre resl! " 1 • • 1 tte forme Ile rcut énoncer 88 propre 01 que ft on a rap~rte ce états antérieurs, aux changementa dont elle e8t8usceptlble, • ses odiSootions qw' ne 8e produisent jamaia.. En coupant 1. laaunX IgeDdecequ.'lh eprésente,.on ] e fa'l8 81.t . certes appara1 t repOUl' la ~mière fois d~ns sa lég~l!té propre e~ d.u lI!ême coup' on, se vouait à ne pOUVOI!' le ressaISI!' que dans 1 ~tol~. On S~lt bien ua SaulIsur6 n'a pu échapper à cette vocation diachronIque de ~ pllilologic, qu'en restaura~t le rappol't du !ang~ge k la. repré­sentation quitte à reoonstltuer une «sémIologie 1 qw, k la manière de la grammaire générale, définit le 9ign~ pal' la liaison entre deux idées. Le même événement archéolOgique .'elt donc manifesté de façon partiellement diflérente pour l'histoire natu­relle et pOUl' le langage. En détachant les caractères du vivant ou les règles de la grammaire des loi. d'une représ8Iltation qui l'onalyse, on a rendu possible l'historicité de la vie et du lan­gage. Mais ceUe historieitA, dons l'ordre de la biologie, a eu bt".5oin d'une hist.oire lupplémontaire qui devait énoncer lus rapports de l'individu et du milieu; en un lens l'histoire de la vic 6.'It ext6rieure à. l'historicité du vivant; c'est pourquoi l'évo­lutionnisme cOlIStitue une théorie biologique, dont la condition de possibilité fut une biologie SODS évolution - celle de Cuvier. Au contmire, l'bititoricilé du langage découvre aussitôt, et sans intermêdiaire, son hilltoire; enes communiquent l'une avec l'autre de l'intérieur. Alurs que la biologie du XIX. sièc.e Il'avan· cera de plus en plUB ven l'extérieur du vivant, vers son autre CÔté. relll]llDt toujours plus 'perméable cette suriace du curps à. laquelle le rllgard du naturaliste 5'arrê~~it autr~fois.11I 'philologie dénouem les rapports que Je gramm81nen avait établis entre le ~ngage e~ l'hiatoire externe pour définir une histoire intérieure. d t cdl~cl, une fois assurée dans son objectivit!, pourra servir e fil dll'Il~teur pour reconstituer, 8U profit de l'Histoire pro­prement dite, des événements tombés bors de toute mémoire v. LB LANGAGB DBVBNU O.JE~ neOn peut. remarquer que les quatro segment» théoriques qui nnellt. d être analysés, parce qu'ils constituent lIaDi doute le
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    308 loi archéologiquede la philologie, correspondent torme à te et s'opposent à ceux: qui permettaient de définir la grllblln:ne générale 1. En remontant du dernier au preDÙer de ces ua~re segments, on voit que la théorie de la pu.rrmté entre Ics 1:0 rur• (discontinuitâ entre les grandes familles, et anulo17ies iUle;' es dans le régime des changements) fuit face à III théorie Ùij i: ddr;,pa!ion qui supposait d'incessants facteurs d'usure et d mélange, agissant de )a mArne façon sur toutes les lallgue: quelles qu'elles loient, à partir d'un principe externe et aVec dos effets illimités. La théorie du radical s'oppose Il celle de lu dé.8ignat',m : Ç8J' le radical est une individualité linguistiqllll Ïl;u­lable, intérieW'e à un groupe de langues et qui sert avant lout de noyau aux formes verbales; alors que )a racine, enjambant. le langage du cOt6 do la nature et du cri, s'épuiSAit jusqu'à n'ôtro plus qu'une sonoriLé indéfiniment transCormflble qui avait pour fonction une première découpe nominale des choses_ L'éluda des "n.rin,!Éo1l8 infiriBUr88 de la langue s'oppose également à 10 théorie de l'articulation représentative: celle-ci défiDissait lta mots et les individualisait les UM en lace des autres en les rapportant au contenu qu'ils pouvailmt signifier; l'articulation du langage était J'analyse visible de la représentation; mainte­nant les mots se caractérisent d'ubord par leur morphologie et l'ensemble des mutations que chacune de leur sonoriLé peut éventuellernellt subir. Enfin et surtout l'analysB intérieure ùe la langue laiL face au primat que la pensée classique accordait au verbe être: celui-ci régnait aux limites du langage, à la fois parce qu'il était le lien premier des mots et pareo '{u'il détenait le pouvoir fondamental de l'a(fumation; il marqUQ1t le seuil du langage, indiquait lia spécificité, et le l'attachait, d'une façon qui ne pouvait être effacée, aux: Cormes de la pensée. L'anulyse indépendante dos IIl.ruCT.W'es granunaticales, telle qu'on la pm­tique à partir du XIX!: siècle, Îl!ole au eontraire le langage, le traite comme un" urganisatioD autonome, ronlpt ses lieDS avec leI! jugements, l'attribution et l'aDirmation. Le passage ontolo­gique que le verbe &r8 assurait entre parler et penser se trouve rompu; le langage, du coup, acquiert un être propre. Et ç'est cet être qui détient les lois qui le régissent. L'ordre classique du langage s'est maintenant .referm~ sur lui-même. Il a perdu sa transparence et sa fonctIOB maJ~Ire duns le domaine du savoir. Au XVIIe et au XVI118 siècle, il était le d6roulement immédiat et spontané des représentations; c'était en lui d'abord qu'eUes recevaient leurs premiers signes, qu'e.JIes découpailmt et. regroupaient leurs traits COJDmuu.s, qu'elles Ins- 1. Cf. '.pra, p. 131.
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    Travail, ,ie, langaga309 '''nt des rapportl d'identité ou d'attribution; le langage tauraa 'f. u..n e connaI•s sance et 1a COQDa•l Ssance éta'lt de pl e'm d l'Q.l t uu 6~R~urs·. Par rapport li. toule coI1I1uissance, il s~ trouva~t. donc ddls une situation lont..Iamentale : on ne pouvait counBltre les ons , .1 • N 'il r' . 05es du monde qu cn passant par w. on par~ qu . alSalt e~rtie du morlde dnns,UIl enchev~~rem~nt OUlo)og~,ue ~comme ~ la Renai5Sance) mRIS parce qu il était. la pre.JUere ehauche d'un ordre .d~l'!s les. rep!ésentations d~ monde; parce qu'il ~tait la Juanière Illitiale, mévltable, d.c repretlente~ les represent!-,-UonB. C'est en lui que toute générahté se. fo~malt. La ~nnalssance cla,sique était. prorondém~nt nOlDl!Ialiste •• A partir du. XL",e siècle, le langage ~ ";phe 8ur .SOl, acqulI~.rt ~o.n 6p~ls~eur propre déploie UIle }Utltolre, des lOIS et UDe obJectlVlté qua n op­p8rt. ic~ncnt. qu'à lui. Il est devonu un objet de la connais.qance parmi tnnt d'autres Il côté des êtres vivants, Il côté des richesses ct. de la valeur, Il côté de l'histoire dcs 6v~ncmcnts et des hommes. n relève peut-être de concepts propres, mais les Innlyses qui portent sur lui sont enracinées au même niveau que toutes celles qui concernent les connaissances empiriques. Ce surhaussement qui permettait à ln grammaire générale d'êue en meme temps LoSÜJUfI et de .'entrecroiser avec elle, est désor­mais rabaUu. Coowûtre le langage n'est plus s'approcher au plus près de la connaissanco elle-même, c'est appliquer seule­ment le6 ulét.hodes du Bavoir en général à un dOIulIÏDe singulier de l'objectivité. Ce nivellement. du langage qui le ramène au pur statut d'objet se trouve cependant. compensé de trois manières. D'abord par le rait qu'il est.. une médIation nécessaire pour toute connais­sance scientifique qui veut 88 manifester comme discours. Il a beau être lui-même dis,P0sé, déploy6 et analysé sous le regard d'une science, il resurgtt toujours du cOté du sujet qui connatt - dès qu'il s'agit pilur lui d'énoncer ce qu'il sait. De là, deux 10ucis qui ont été constants au XIXe siècle. L'un consiste ft vo~loir neutraliser et comme polir le langage scient.iHque, RU pOl!1t que, désarmé de toute SIngularité propre, purifié de ses aC~ldcnt9 et. de 8es impropriétés - comme s'ils n'appartenaient pou~t Il son essence -, il puisse devenir le reflet exact, le double lI!êtlculeux, le miroir sans buée d'une connaissance qui, elle, n es~ pas. verbalo. C'est le reve positiviste d'un langage qui Beralt. maintenu au ras de ce qu'on sait: un langage-tableau ~oiwn~ celui sans doute auquel rêvait Cuvier; quand il donnait d a SCIence le projet d'être une «copie li de la nature; en faee tabthoses,.l~ discours scientifique en serait le « tableau Il; mMis av .~llU 8 ICI un sens fondamentalement différent de celui qu'il 81 IIU XYlUO siècle; il ,"agiasait alors d. répartir la nature
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    310 par unetable constante des identités et des dilTêrences POlit l~quelle le l.angogo fo~nillsait. UDe grille première, approXUna_ tlve et recti.6ablei bJaIntenant le langage est tableau muis eQ ce S8D6 que, dégRgé de cet.to intrication qui lui donll~ Un l'Ôle immédiatement c1as8i&cllteur, il Ile tient. à Ulle certaine Watarace de la nat.ure pour en incanter pur Ba propre docilit.é et. eQ reoueillir finalement le portrait fidèle'. L'aut.re BOuci - entiè­rement dilTérent. du premier bien qu'il en luit le corréll1til-a consis'6 b. chercher une logique indépendante dei grammaires, des vocubulllires, des lormes synth6tiques, des mols : une logique qui pdt. meUre au jour et utilitlCl" 108 implicat.ioWi uni­yerselles de lB pensée eo les tenant à l'abri des sillgularit.oe d'Url langage constit.u6 où. eUes pourraient êtremallquées.li 6tait. nécessaire qu'une logique symbolique nnillse, IlVec Boole, à l'époque même où les lungagtls devenaient objets pour lu philo­logie: c'est que malgr6 des ressemblances de surfuce et quelquea aD:Jlogies techniques, il n'était pal question de COJ18tituer 1111 langélbrtl universel comme ft. l'époque classique; mais de repréo aent.tlr 105 furmes et les enchatntlmentl de la pensée hors de 'ou, laDb'llg8i J)w.que celui-ci dov611uit objet de sciences, il fallai, inv6n1.ur un" langue qui fllt plutOt .ywLolisme que langage, et qui Il ce titre fût transpal'ente li. la peDllée dans le mouvemont. même qui lui permet de CGnnattre. OD pourrait dire en un SODI que l'algèbre logique et les langU88 indo-europienne~ lont deux produits de disluciation de la grammairlJ Bénérak : ceUes-ai montrant le glillSoluent du lan~g8 du cOLé dt! l'objet connu, celle-là, le mouvement qui le fait basculer du côté de l'acte de connattnl, en le dépouillant alors de toute [orme déjà consti­tuée. Mais il seraiL insuffisant d'énoncer le fait 80UI cette Corme purement n~gativo: au niveau archéologique, les conditions de possi1i1ité d'une logique non verbale et celle d'une grammaire hiltorique BOnI. les mêmes. Leur 801 de positivit.6 elt identique. La lecon~e. cGwpensatioo au nivellement du langage, c'~t III valour crltJque qu'on a prêt.ée Il Bon étude. DoveDu réalité historique épaisse et consistante, le langage fGrme 1. lieu dl!' traditions, des habitudes muettes de la pensée, de l'esprIt obscur des peuples; il accumule une mémoire fatale qui no BO connult. même pas comme mémoire. Exprimant leurs pelUl6ee daDs des motll dont ils ne sont pUB mattres, les logeant. dao,;! dei! fonnes verbales dODlles dimensions hilltoriques leu!' êcbappeu', Jes hommes qui croient que leu!' propos leur obêit, ne saveu' qu'ils se soumot.teut à ses exigences. LUB dispositions gramma" J. Cf. G. Cuvier, "apport ""'lH'IflIJ' .ur la ,..". du ."Rea nlllurdlll, Po 4.
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    311 • lesd'UD811lngue Bunt l'. priori de ce qui peut s'y énoncer. t:vérilé d~ discours ed piê~é~ par la phil.ologie • .De là, cette .' .. a.SI·lé de remonter de» OplDlODS, des philollophles, et peul- D"""" .., • 1 d ~u. mêllle deI! IIcle!,ces J,Uliq u. aux mots qUI e •• ont. r~n u. po~- aiLle:! eL, par·ùulà, Jusqu la Wie pensée dont la Vivacite ne serait "' e~core prititl dans le relleau. des grammaires. On cornprend !'w~i le renouveau, très mll1'llué au XIX· siècle, de toutes les teçhniques del'tlxégèse. CeLte réapparition east dUt! au fait que le langage 8 reprjs la densit.é éuigmatique qui 6t.ait la sienne lia RtlIIai:s5BnCe. Mais il ne s'agira pas mainteDBDt de retrouver Wle parole première qU'OD y aurait enrouie, mait; d'inquiéter lCS!l molli quo nous parlons, de dénoncer le pli grammatical de DOS id~"'Ii, de dissipor les mythes qui lUliment n08 molli, de rendre l nouveau bruyant et audible la part de silence que tout dis­cours emporte avec lIoi lorsqu'il s'énonce. Le premier livre du Capilal e5~ une exégè58 de la • valeur.j tout Nietzsche, une exégèliB de quclques mots grecs; Freud, l'exégèse de toutes ces phratieB muettes qui luutiennent et creulent en mème tIlnlpll DOS discours apparents, nos fantasmes, nOI rêves, notre corps. La plülologie comme analyse de ce qui Ile diL dans la profondeur du dÏlicours est dev8l1uel1l forme moderne de la critique. LlL oia i11'agilsait, ilIa fin du XVJI1e siècle, do fixer le. )imites de la conuai~!;ance, on cherchera la dénouer loe lIyntaxes, à rompre 1011 façollB contraignantes de parler, li. rotouroer les mots du côté de tout ce qui se dit à travers eux et malgré e~. Dieu aL peut-êt.re moins un au-della du savoir qu'un certain en deçil de nOI phrases; et si l'homme occidental est inséparable de lui, c:~ n'est pas par une propension invincible li. mnchir I~s fron­tières de l'expérience, mais parce que Ion langage le fomente SlIns cesse dans l'ombre de ses lois; « Je crains bien que nous De nous dêbarrassions jamais de Dieu, puisque noul! croyons encore à la grammaire 1. » L'interprétatioD, au XVIe siècle, allait d~ ~ond.e (chos~1 et textes ilia fois) à la Parole djvine qui S8 dec~II~~alt en IWj la nÔtre, celle en tout cas qui s'est formétl au ~u: :Iecle, va des homme!, de Dieu, dell connaissances ou des d. un res, aux motl qui les rendent pouillles; et co qu'eUe 1 ei~vre, ce n'est pas la souveraineté d'UD discours premier, c'est. de ~t. ,ue nous sommes, avant la moindre de nos paroles, déjà cd~es et transis par le langage. Étrangtl commentaire que 1 III auquel se Youe la critique moderne: puillqu'il ne va pas d. v"e:~~~:t.atio~ qu.'il y a du langage à la découverte de ce qu'il JnÎse --~ malS du déploiement du diseollfS manifeste à. la au JOur du langago en son être brut. 1. Nlettecl L I~, • C"pulCUfc /1" Idillei (lflld. francaliie, .,11), p. 130.
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    at2 Lu mouet les chollu Les mét.hodes d'interprétation Cont. ùunc Cace, dnns la Illln~' moùerne, aux techniques de formalisation: les premières a~!lt: la prétention de laire parler le langage au-dessous de h~1! môme, et au plus près tle ce 'lui so dit on lui, ~8n!l lui- ,: secondes avec la pretentiun de (:"ntrôler tout lun~n"e évell~lI(!1 eL du 10 surplomber par 1 .. loi do ce qu'il est po~sft,le dl! dire' l~tcrJlféLor ct rormuli~er sont ~o,":enuClllcs d.oux grlln~es romlf~~ d analyse do notre â~o : il vrai dire, nous n cn Cflnnmssons 1"15 d'autres. Mais connniflsonK-nollK Ill!; mpports de l'Ilx~gèse oL d;. ]a formalisation, "omm es-nous cnpnbles de les contrôlel' el do I('~ maîtriser? Gal' si l'exégèse nous conduit moins il. lm discollu premier qu'à l'existence nue de quel'lue cho~e comme un Inn­gage, ne va-t-elle pas être contrainte de dire seulement le~ formes pures du langage avant même qu'il ait pris un sens? Mais pour formaliser ce qu'on suppose êtrc un lal:gage, ne rauL-il pas avoir prnti(IUé un minimwn d'exégèse, et. illterprulu uu moiDs toutes ces figures lIlueLtes comme voulant dire qUllh(UIl cbose? Le partage entre l'interpri:lation et la rormalisa Lion - il est vrai qu'il nous presse aujourd'hui et DOW! domÎlle. ~hais il n'est pas assez rigoureux, la fourche qu'il dessine ne s'enfollce pas assez loin daIDI notre eulLure, ses doux branches saut trop conternpol".üoell pour que nous }JUissions dire·seulement c}u'il prescrit un choix simple ou qu'li nous invite à 0IJlel' enlre le passé qui eroynit au som;, ct le present (l'avenir) qUI a découvert le signi6unt. Il s'ngit en rait de deux techniques corrélati.;es dont ]e 1101 commun de possibilité est form() por l'être du langage, tel qu'il s'est constitué au seuil de l'âge moderne. La surélévaLion critique du langage, qui compensait son nivellement dans l'objet, impliquait qu'il soit rapproché à la Cois d'un acte de COli naître pur de toule parole, et de cela qui ne se connaît pas en chacun de nos discours. Il fallait ou le rendre transparent flUX rormes de la connaissance, ou l'enIoncer dans ]es contenus de l'ineoID'cient. Ce qui. explique bien Ja double marche du XIX:. sièelo yers le (orwablime de lu pensée et vers la découverte de 1 meonsclen~ - veMi Hussel el; vel'S lrreud. Et ce qui explique aussi lM tenl.a~lOnS pour infléchir l'ulle vers l'autre et entrecroiser ces doux dlre.:­t. iOIIS : tenlaLive pour mettre au jour par exemple les Io~me.1 pures, qui avant tout contenu s'imposent à notre inconSCient; ou onool'O oOEort pour lairo venir jusqu'à, notre discours le ~I d'expôrience, 10 sens d'être, l'horizon vécu de taules nos ~O!U1;l1~­sonces. I.e structul'8lisme et la ph~noménologje trouvent ICI, arc Jour disposition propro, l'ospace gén6rnl qui délinit leur ~ oommun. EnRn ln dernière des compensations au nivellement du I!ao­gage, la plus importanLe, la plus inat.tenduo au~i, c'est ap-
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    313 .' dela littérature. De 1. littérature comme telle, car Jlllrlli~nDante, depuis Homère, il 8 bien exi!tê dans l~ mond& ilep.d tal une fonne de langage que nous autrc~ maintenant OCCI e~pelol1!1 « littérature lt. Mais le mot est de fraîche date, nous 1 e5t récent aussi dans notre culture l'isolement d'un jmm,tc sïngulior dont la modalité propre esl d'être «littéraire •• ê,n~ qu'au début du X1Xe sièclo, à l'époque où le langage s'en-r e~ 1'" dons son épais!eur d'objet et se laissait, de l'urt. en part, onça .. . '1 ., '11 l verser pAr un saVOIr, 1 se reconstituait al eurl, ~ous une r'~me indépendante, difficile d'accè9, repliée sur l'énigme de o naÎlisunce ct tout. entière rMérée à l'acte pur d'écrire, La lit­:: rature c'est la contestation de la philologie (dont ell" est pnllrtant.la figure jumelle) : eUe ramène 10 langage de la gram­moire au pouvoi~ dénudé de parler, ct là elle renc~nt.re l'être fl8uvage et. impérieux des mots. De la révolte romantique contre un discoun immobilisé ùans sa cérémonie, jusqu'à la découverte mallarmêennc du mot en aon pouvoir impuissant, on voit bien quelle fut, au xa" siècle, la fonction de la littérature par rapport au mode d'êt.re moderne du langage. Sur le fond de co jeu essentiol, ]e reste est effet: la littérature se distingue de plus en plus du discours d'idées, et s'enferme dans une intran· sitivité radicale; elle B6 détache de toutes les valeurs qui pou­vaient à l'âge clnssique la faire circuler (le gotlt, le plaisir, le naturel, le vrai), et elle fait nattre dans son propre espace tout ce qui pout en assurer la dénq,l'lltion ludique (le scandaleux, le laid, l'impossible); elle rompt avec toute définition de c genres li comme formes ajustées à un ordre de représentations, et de,'icnt pure et simple manifestation d'un langage qui n'a poUl' loi que d'affinner - contre tous les autres discours - Bon existence escarpée; elle n'a plus alol'5 qu'à se recourber dans un perpétuel retour sur SOI; comme si son discours ne ~uvait avoir pour contenu que de dire sa propre {orme : elle s adres~e. à soi comme subjectivité écrivante, ou elle cherche li. rcssa,JSlr, dans le mouvement qui la fait naître, l'essence de ~oute lit.têrature; et ainsi tous ses fils convergent vers la pointe a plus fine - singulière, instantanée, et pourtant absolument jnlverselle -, Vers le simple acte d'écrire. Au moment où le angage, ~omme parole répandue, devient objet de connais­sance,. vOd,à q~'jl réapparaît sous une modalité strictement bfPosee : SIlenCIeuse, précautionneuse ùéposition du mot sur la 10 ancheur d'un papier, où il ne peut avoir ni souorité ni inter· Cute'!r, .où il n'a rien d'autre à dire que soi, rien d'aut.re à {aire que iClnt1l1el' dans 1'601&t de lion être,
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    CBÂP1TIIB IX L'hommeet ses doubles Avec la littérature, avec le retour de l'exêg~se et le souci de la formll1i~atjon, uvec la constitution d'une philologie, href avec la l'~RppRrition du langage dlUl8 Wl loisonnement ullùtiple, l'ordre de la pensée classique peut désormais !l'effacer. A cette date, il entre, pout' tout regard ultérieur, dam; uue régi un d'oOÙJre. Encore, n'est-ce pas d'obl'curité qu'il faudrdit parler, mais d'une lumièro un peu brouillée, law;sement évidente ot qui cache plus qu'elle ne manifeste: du savoir classique, il nous seDlùle en effet que noull connaissons tout, si nous compre­nons qu'il est rationaliste, qu'il accorde, depuis Galilée et Dt»;cartes, un pl'Ïvilège absolu la la Mécanique, qu'il suppose une ordonnance générale de la nature, qu'il admet une po~sÎ. bilité d'analyse assez radicale pour découvrir l'élôment ouJ'orj· gine, mais ïu'il pres5enl déjà, à travers et malgré tOIlS CIlS concepts de 'entendement, le mouvement de la vie, l'épaisse1!' de l'histoire elle dél:iordre, difficile à maîtriser, de la nature. MIIII ne reconnattre la pensée classique qu'à de tels signes, C'e5t ~n méconnaître la disposition fondamentale; c'est n~gligel' entiè­rement le l'opport entre de telles manifestll.tions et ce qui les rendait possibles. Et comment, après tout (smon par lme tech­Dique laborieuse et lente), retrouver le complexe rapport des représentations, des identités, dos ordres, des mots, des ~tre:' naturels, des désirs et des intérêts, h partir du moment. ?~ tout ce grand réseau s'est défait, où les besoÎW; ont organ!~t: pour eux-mêmes leur production, où les vivants Ile sont reph~ lIur les fonctions essentielles de la vie, où les mots se sonl alourdis de leur hi5loire matp.rielle - bref, il partir du ffi? J1lCnt où les identités de la repré~entation ont cessé de mum(ester
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    L'homme "' Be,doubles 3i5 6ticlmce ni résidu l'ordre des êtres? Tout. le ay!tème des ~r r qui analysoit. la lIuite des représentations (mince série 'j'~ cs relie se déroulant dans l'esprit des hommes) pour la faire .t,cmpOler pour l'arrêter, la déployer et )n réparLir en un tableau H~' rllB ile,n t. toutes ces e hl' eanes const"ltucos )par e s mol.8 et 1e ~i.:l1l"!1, p~r lei; CIIrae.tères et le cI8~semcnt, .pnr le~. équiva!e~c.:es et'I'échange, tlont mn.mtenant abohs, au pomt qu il est ';lilhcile de retrouver la manlôre. dl?nt cet en!lemble a pu~onct~o~er. l,a dernière « pi~ce li qm aIt sauté - ~t don~ In dlsp~rltl0!l a éloigné pour tO~Jours do no~ la pensee,classlque:- e est. .Jus­tflm6nt ln preuuère de CI)8 grilles: le diSCOurs 'lm 8RSunut. le dêploiement initial, spontané, naif de ]a représentation' en tubletlu. Du jour où il a ~clSê d'exister et. de fonctionner à f'in­térieur de ln représentation comme lia mise en ordre première, la pen!lée cla6~ique a ee!!Sl: du même coup de nous être direc­teillent accessible. Le seuil du classicisme à ]a modernité (mais peu importent les moL"! eux-mêmes - disons de not1'6. préhistoire à ce qui nous Mt encore contemporain) a été définitivement franchi Ior.;qllc les mots ont cessé de s'entrecroiser avec les représenta­tions ct de quadriller spontanément la connaissance des choses. An début du XIX8 siècle, ils ont retrouvé leur vieille, leur ~njgmntique épaissour; mais ce n'est point pour réintébrrer la courbe du mondo qui les logeait à la Rena;ssanr.e, ni pour se mêler aux choses en un système circu1aire de signes. Détaché de 111 représentation, 10 langage n'existe plus désormais, et jUl'flU' h nous encore, que sur un mode dispersé: pour les philo­logues, lesmoUlsont comme autant d'objets constitués et dépo.o;oe par l'J!istoire; pOUl' ceux qui veulent formaliser, le langage doit dé)101JJl1er son contenu concret et ne plus laisser apparaîtl'O 9ue les fonnes universellement valables du discours; si on yeut lJllIJrpréter, alors les mots deviennent texte à fracturer pour qu'on puisge voir émerger en pleine lumière cet autre sens qu'ils cachent; enfil!- il arrive au langage de surgir pour lui-même en ~I nete d'~cnre qui ne désigne rien de plus que soi. Cet épar­~ ille!llent .Impose au langage, sinon un privilège, du moins un t estlJ~ qui apparatt singulier quand on le compore à celui du fu~va~l ou, de la vie. Quand le tableau de l'hist.oire naturelle dISSOCIé, les êtres vivants n'ont pas été dispersés, mais rgrOrpés au c!lntraire autour de l'énigme de ]n vie; lorsque lIliD.a yse des nchesses eut disparu, tous les processus écona­l que I~ Bont regroupés autour de la production et de 00 qui g~~~n~alt Pissib!e; en revanche, IOf&q1le l'urutëdela grammaire a ra e - e discours - s'est dissipé, alors le IB~ange est l'paru &elon des modes d'être multiples, dont l'unité, sana
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    316 Lu mouet ks cTw,es doute, ne pouvait pas ~tre restaurée. C'est pOUl' cette l'iii peut-être, que la réflexion philosophique s'est tenue pend~ longtemps éloignée du langage. Alors qu'elle eherchoit. illiolo loblemcnt du côté de 10 vie ou du travail quoIque chose ui fût son objet, OU8CS modèles conceptuels, ou 80nsol réel et {ollla­. mental, elle ne prêtait au langage qll'une attention d'à c6tê' il s'agissait surtout pour elle d'écarter les obstaoles qu'il pouvait opposer à sa tâche; il iallait, par exemple, libérer les mots des contenus silencieux qui les alil!nnit, ou encore assoupli .. le langage et le rendre de l'intérieur comme fluide pour qu'alIrau­chi de8 spatialiso tions de l'entendement, il puisse rendre le mou. vement de la vie et sa durée propre. Le langage n'est rentr6 directement et pOIU' lui-même dans le champ de la pensée qu'à III fin du xlXe siècle. On pourrait même dire au xxe, si Nietztlche le philulogue - et là eucore il était si sage, il en savQit si long, il écrivait do si bons livres - n'avait le premier rapproché la tlÎche philosophique d'une rénexioD radicale sur le langage. Et voilà que maintenant daDs cet espace philosophique­philologique que Nietzsche Il ouvert pour nous, le langage Burgit scion une multiplicité énigmatique qu'il iaudrait maîtri­ser. Apparaissent alors, comme autant de projets (de chimères, 'I,ui peut le snvoir pour l'instunt?), leB thèmes d'une fonnalisa­tion universelle de tout discours, ou ceux d'une exégèse ÏDt6- grale du monde qui en sernit en mOmo tompsln pariait.e démys­tificRtion, ou ceux d'une théorie générale des signetl; ou meure le thème (qui fut sans doute historiquement premier) d'Ulle transformation sans reste. d'une résorption intégrale de tous les discours en un seul mot, de tous les livres en une puge, de toulle monde en un livre. La grande tâehe li. laquelle S'eIlt. voué Mallarmé. eL jWiqu'à la mort, c'est elle qui nous domine maiu­tenant; dans lion balbutiement. elle enveloppe tous nos elIorts d'aujourd'hui pOIU' ramcner à la contrainte d'une unit.6 peut­être impostUble l'être morcelé du langage. L'entreprise de M~l­larmé pour eniermer tout discours possible dans la iragtle épcus­seur du mot, dans cette mince et matérielle ligne noire tracée JlBr l'encro sur le }1llpior, rêpond BU foud à la questioD qUO Niet1.sche pre5Cl'ivait li. la philosophie. Pour Nietzschn, il Ile s'ngissoit J.'B8 de savoir cc qu'étaienL en eux-mêmes le bien et le mal, nuns qui étAit. dlit;igné, ou plutôt qui parlaitlor:!(llIe,.['out' sc désigner soi-m~lIle, on disnit AgalhOB, ct DeUos puur désigner les outres 1. Car c'est Ill, en celui qui tient. le discours et. plus profondément délient la parole, que 1e longage tout entier Si rassemble. A cette question nietzschéenne : qui parle? Ma· 1. NleUlChe. GtnéÎ:rlo,Ee de ta moral'. r. 1 6.
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    L'hontIM et 1168rlou.bTa 317 6 ré nd et ne cellie de reprendre sa réponse, en disant J.rrn q!:i pll:le, o'est. en. 18 lolit.ude, en sa VlDration fragile, en que ce élant le mot lui-même - non pas le sens du mot, mais IOn :tre énigmatique et. précaire. Alors que Nietzsche mainte· IO~L ju .. qu'ou bout l'inLerrogation aur celui qui parle, quitte en I~al de 'compte à lnire irruption lui-même à l'intérieur de ce bn IJ!LÏonnclilent pour le fonder sur lui-même, Bujet padant et gUt.errogennL : Ect:c homo, - Mallarmé ne cesae de ,'eaacer lui­~ ~1D0 de BOn. propro languge au point de "le plull vouloir y r.;Urer qu'l Litre d'exéouteur dans une pure cérémonie du Livre où le discours Ile comJ?Oseroit .de lui-même. li se pourrait. biea ue toutl'.8 1011 questIons qw traversent aot.uellement notre ~uriosiLë (Qu'ost-ce que le langage? QU'OBt.-ce qu'un ligne? Ce qui est mueL dans le monde, daM nos gBStes, dana tout le bln!!OD ënigmatique de DOS conduites, dans nos rêves et n08 malndies -tout cela parle-t-il, et quel langage tient-il, selon quelle grammaire? Tout est-il signifiant, ou quoi, et pour qui et telon qucUeIS règles? Quel rapport y a-t-il entre le langage e l'être, et IlIit-ce bien à l'être que toujours s'adresse le langage, celui, du Inuius, qui parle vraiment? Qu'est-ce donc que ce ]angngc, qui ne dit. rien, ue se tait jamais et s'appelle c littéra­t. ure ln - ilS8 pourrcÜt bien. que toutes ces questions se posent aujourd'hui dans la distance jamais comblée entre la question du Nietzsche et 1/1 réponse que lui fit MaUarmé. CIlIi questions, nous savons maintenant d'où eUes noui viennent. Elles ont été rendl1e& possibles par le fait qu'au début. du XIX! siècle, ID loi du discours s'étant dét.achée de la nsp~gentation, l'être du langago s'est trouvé comme fragmenté; OlillS elles sont devenues nê>.cessaires lorsque, aveo Nietzsche, avec Mullarmé, la pensée fut l'eooDduit.e, et violemment., vers le 1~Il~a~e lui-mérno, vers son être unique et difficile. Toute la cur,lOslle ùe notre pensée se loge maintenant dans ]0 qUllst.ion: Qu Cl'-t-.cc que le.langnge, comment le !»ntollmer pour le faire appll':'llre en lw-môme ct dans 58 p]émt.ude? En un seDS, CBtf.6 qU~tlOl1 prend la relève de celles qui au xrxe siècle CODcer­dalent la vie ou le travail. Mais le statut de cette recherche et ct ~outes le~ questions qui la diversifient n'est pas parfaitement 1 air. FauL-JI y pl'cssent.ir la naissance, moins encore, la première uour da u b. "-o d u cI.e 1 du'n· J our qUI. li ,a nnooce à pe.me,• mais 0: ... ... d~~ d'UOU~ déj~ que la pensée - &leUe pensée qui parle n èru -;s DuUênall'eS sans lavoir ce que ç'est que parler ru à 1 e qu elle parle - va &e ressaililr en &oa en,ier ets'iUuminer pr~~vc;u ~s l'éclair de l'ê're? N'est.-ce paIS ce que Nietzsche eL Die~l. 'la ir&ftU'à l'intérieur de son langage, il tuait l'homme a OlS. et promeUait. par là avec le Retour le scint.ille-
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    3i8 ment multipleet recommencé des dieux? Ou fnut-il admettre tout ei.mplc.ment q~e tant de questions sur 10 10ngAge ne foll1. que poursulvre, qu achever tout ou plus cet événement dont l'archéologie nous a appris l'existence et les prcmiers elrel~ dès la fm du xvme siècle? Le fl"ùetionncment du langAge, conl~ln­porain de lion passage il l'objectivité philologique, ne serait. alors que la conséquence la plus récemment visible (pareo qUe la plus secrèto et la plus fondamentale) de la rnpture do l'ordre clussique; on nous efforçant de dominer cette brisure et. du faire apparattre le langage en son entier, nous porterions à tian terme ce qui s'ost passé avant no ilS et slins nOIlS, vers la fin du rflue siècle. Mais que serait donc cet achèvement? En voulont reconstituer l'unité perdue du langage, est-ce qu'on va jusqu'"U bout d'une pensée qui est celle du Xlxe siècle ou est-cc qu'on s'lIdre!!se à do!! formes qui déjà lSont incompatibles avec clio? La dispersion du langage est lié.~, en effet, sur un motIe fondit­mental à cet événement archéologique qu'on peut désigner par la disparition du Discours. Retrouver en un espace unique le grand jeu du langage, ce pourrait être aussi bien fElire un bond décisi{ vers une forme t.oute nouvolle do pensée que refermer lIur lui-même un mode de savoir constitué 8U siècle priioodent. A ces questions, il est vrai que je ne sois pas répondre ni, dans ces alternatives, quel terme il conviendrnit de choisir. Je ne devine même pas si je poUITni y répondre jamai~, ou s'il me viendrn un jour des rnisons de me déterminer. Toutefois je sois maintenant pourquoi, comme tout Je monde, je peux me les poser - et je ne peux pas ne pas me les poser 8ujourd'hnt Seuls ceux qui· ne savent pas lire s'étonneront que je l'ai appris plus clairement chez Cuvier, chez Bopp, chez Ricardo que chez Kant ou Hegel. Il. LA. l'LACB DU ROI ~ur t.ant d'ignorances, sur tant. d'interrogations demellreas en suspens, il faudrait s'arrêter sans doute : là est fixée !j fin du discours, et le recommencement peut-être du URval. Il Y a encore cependant quelques motl! il dire. Dos D10l.! dont. le statut. sans doute est difficile à justifier, cal' il s'agit d'iulr~d'~17 nu dernier instant et comme par un coup de théâtre artlfiCIC J un personnago qui n'avait point encore figuré dons le gran jeu classique des représentations. Ce jeu, on aimerait en recO~' n81t1'll la loi préalable daolle tableau dea MéniJl88J où la repl'6"
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    L'homme et lUdOl'blu 319 Con ost repre~cntée en chacun de ses moments: Jlcintre, lel~l~, hrranùe surrnC6 Concée d~ la t.oile retourll~e, lableaux P" .hés ou mur, s)l8cLate1lrs qUl regardent, et qw Stlllt à leur a/lcroc~n;ndrés par CelL" qui les regurdent; enfin au centre, au ctooeuurr de lu rt:pr.c.~ent'uLlO n, au ' l UR proch. e d e. ce q!ll. es t essen- • 1 ID miroir qUI montro ce qUI est reprcsenle, mliiS comme un tle, u • r reflet. .1. d . '1 . 6 IIi lointain, !II e.n onca ans u~ espace ~~e,' 81 trsnger 11 touS les regards qUI se tournont lll11ours, qulln est plus que le redoubhmumt le plus frêle de lu rcprésontati0!l' :routes le6 lignes intérjeure~ du tableau, et colles sur. tout qui ~enn"nt d.u reflet central pomtent yers ~eta mê"!e qUI ~t represcnt~, ~aJ8 qui e~t ab~ent • .A la (OlS obJct - pmsque c est ce que 1 artiste représenté est. en train de reeopicr sur sa toile - ct sujet­p li~qlll' ce que le peintre avait devant les yeux, en se représen­tant dl~ns 8011 travail, c'était lui-même, pUÎ!lque les regards figurés !iur le tableau sont dirigés vers cet emplacement fictif du royal l'0rsOIUlalole qui est te lieu réel du peintre, puisque finalemllllL l'hôte de cette place ambiguë où alternent comme en un clignotement S'lUS limite le peintre et le souverain, c'est le spectaleur dont le regard transforme le tableau en un objet, pure rtJpresllntation de ce manque essentiel. Encore ce manque n'e8t-il pas une lacune, sauf pour le discours qui laborieuse­ment décompose le tableau, car il ne cestie jamais d'être habitfl. el r~tlllement COIIllIle le prouvent l'attention du peintre repré­lien lé, III reIlI'ect. des persollnages que le t.ableau figure, la pré­lilmce de la grande toile vue à l'envers et notre reg-.lrd à nous pour qui co tubleau Ilxis1.ü el. pour qui, du fond du temps, il a été di5posé. DRUS la pensée "IlISslque, celui pour qui la représentation existe, et qui se reprtÏtillute lui-mêmo en elle, s'y reconnaissant pour image ou feUel, celui qui noue tOU8 les fils entrecroisés de la • repr~~entat.ion lm tablenu l, - celui-là ne s'y trouve jamais pr~!'Ient lui·même. Avant la fin du xvme siècle, l'homme n'exis­tOIt t:as. Non plus que la puissonce de la vie, la -fécondité du travail, ou l'él'aiSlleur historique du langage. C'est une toute riic~nte.créll.tur6 que la démiurgie du savoir a fabriquée· de ses lU~ms, JI .y a ~oins de deux cents ans : mais il a si vite vieilli, qu on a Imaginé facilement qu'il avait attendu dans l'ombre pendont des millénaires le moment d'illumination où il serait e~ ,c<!nn~. Bion sûr, on pourra dire que la grammaire géllé­~ d e,1 hl!ltolre Wlturelle, l'analyse des richesses étaient bien en un sens dell manièros de reconnaître l'homme, mais il faut distin­gu lf. Sailli doute lc9 sciences naturelles ont. traité de l'homme bï:uoe d'une espèce ou d'un genre: la disoussion sur le pro- . me des races au XVIII!! siècle en Ilst le témoignage. La gram-
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    320 LeI TflVt6et les C'IUS~1I muire et l'~conomje d'tll1tro part. utilislIient de~ nolion. conUlIe colles de besoin, de désir, ou de mémoire et d'imagina~jun. Mllill il n'y avait pas de conscience 6piRtémologique de l'hommc comme tel. L'épisUmè classique s'artIcule selon des lignes qui n'isolent. en aucune manière un domaine propre et spêci tique do l'homme Et si on insisto encore, si on objecte que nulle époque pourtant n'a accordé davantago à ln natllre humaine, ne lui a donné de statut plus stable, plus définitif, mieux offert au diseours_ on pourra répondre en disant que le concept m~me de lu nature humaine et la manière dont il fonctionnait exduait qu'il y cù~ une science classique de l'homme. Il faut noter que dans l'épistémè classique les fonctions de )a c nature» et de la c natUTe humaine li s'oPPosllnt terme à terme: la nature, pu le jeu d'une juxtaposition réelle et désol'­donnée, fait surgir la difJérence dallS 16 continu ordonné des êtres; la nature humaine (ait apparaître l'idontique dun~ la chaine dé!ordonnée des représentations et ccci pur le jeu d'un étalement des images. L'une implique le brouillage d'une his­toire pour la cODlilit.ution des paysages actuels; l'outre impliqu6 la comparaison d'éléments inactuels qui déFont la trame d'Uni! suite cbronologiqu6. Malgré cette opposition, ou plutôt à tro­vers elle, on voit sc dos Biner 10 rupport po!itif de la nature et de la nature humaine. Elles jouent en elrat avec des éléments identiques (le même, le continu, l'imperceptible dilTérence, la succossion sans rupt.ure); toutes dcme: {ont apparaitre sur une trame inin1errompue la possibilité d'une analyse géuérale qui permet de répartir des identités i~olables et les visibles difTé­renees, selon un espnce en tableau, et une suite ordonnée. Mais elles n'y parviennent point l'une saDS l'autre, et c'est par là qu'elles communiquent. En effet, par J6 pouvoir qu'elle détient. de se redoubler (dans l'imagination et Je souvenir, et l'attention multiple qui compare), la chaine des représenta­bons peut retrouver, au-dessous du désordre dl) la terre, )a nappe saIlS rupture des êtres; la mémoire, d'ubord hasardeuse et livré6 au.""< caprices des représentllLions telles qU'illies a'offrent, se fixe peu à peu en UD tableau générlll de tout ce qui existe; l'homme peut alors faire entrer le mondo dans la souveraineté d'un discours qui a le pouvoir de représenter sa représentation. DallS l'acte de parler, on plutôt (en sc tenant au plus près de ce qu'il y a d'essentiel pour l'expérience c~as­sique du langage) dans l'acte do nommer, la nature humulIlc, comme pli de la rcprescntlltion sur eUe-même, transformo la suite linéaire des pensées en une table constante d'êtres pur­tiellt'lment différents : 10 discours où elle redoub16 ses repr~ licntations et lOB manifeste la lie à la nature. Inversement, la
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    [}!lftmme et SUdOlCbk .. f 321 1 ine des êtres est. liée li. la nature hwnaine par le jeu de la C lU re. puisque le monde réel, tel qu'il se dOWle aux regards, n~ll~X~B le déroulement pur et simple de la chaine foudamen­n ")' üQ êtres, mais qu'il en offre dus fragmenta emmft16a ta e ép6ulv.é s ct dl• sconll•D us -, 1 é' d _l..o • d r ft S rio es rcp...,..entatloIlll nos ~Irit n'est pllS contrainte de suivre le chemin continu de8 .J~érenceil imp~rcflptibles; les .extrêm~ 8'y ro~co~trcn~ les mêmes cboses 8 Y dOnQent pl~!lleUI'8 f?l~; les traita Jdcnti~1lI! te superposent d~ns ~~ f!1émolre; I.es dl~~renc.es écl!ltent. AinSI la grunùe napp,! Indefinie et ~ontmu? s lmpnme en cnra?tères distincts, en trolls plus ~u mOlDs géneraux, cn marques d .den­ti6cut. ion. Et, par ooWlequent, en mots. La cholne des êtres devienl discours, se liant pur là à la nature humaine ct â la .érie des l'eprésontations. Cette mise en communication de la nature et de la nature llumawe, il partir de deux fonctions opposées mai. complé­mentAires puisqu'elles ne peuvent .'exercer l'une san! l'autre, emporte avec soi de larges COQiéqueuces théoriques. Pour la l,eruêe classique, l'homme ne se loge pas dans la nature par l'intermédiaire de ceUe Il nature» régionale, limitée et Ipéci. fi1lue qui lui est accordée par droit de naissance comme li. tous les Butre.'I êtres. Si la nature humaine s'enchevêtre à la nature, c'est par les mécanismes du savoir et pu leur {onctionnementj 011 plutôt dans la grande disposition de l'épisUm~ classique, la Dllture, la nature humaine et leW"8 rapports sont. des mome.uta fonctionnels, définis ct prévus. Et l'homme, comme réalité éllfli~sc ct première, comme objet difficile et lIujet liouverain do toute connaissance possible, n'y a aucune place. Les thèm68 modernes d'un individu vivant, parlant et travaillant solon 168 lois d'une économie, d'une philologie et d'une biologie, mais quit Ilur une sorte de torsion interne et. de rccouYI'ement, aurait reçu. pal' le jeu de ces lois eUes-mêmes, le dl'oit de les coonattre et. Ù? ~es mettl'flentièrement au jour, tous ces thèmes pour nous fauuliers ct liés à l'existence des -sciences humaines. sont exclus par la pensée classique: il n'était pas possible cn ce ~eml's-lll que se dresse, à la limite du monde, cette stature etrallgD d'un être dont la nature (celle qui le détermme,le détient et le traverse depuis le rond des temp5) lierait de connaitre la nature, et soi-même par conséqlLeut comme être naturel. t ~n l'evnnche, au point de rencontre entro la représentation e ':tro, là où s'entrecroisent nature et nature humaine - en celle .plac~ où de nos jours noul! croyoOll reconnattre l'existence prculfère, Ir~cusable et énigmatique de l'honune - ce que la ~~=t1 cdil.l1sslque, elle, fait surgir, c'est le pouvoir du discours • • - re du langage en tant qu'il représente -le langage
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    322 Lu motseL les C'IOSU qui nomme, qui découpe, qui combine, qui noue et dénoue Ilia choses, en les fuisant voir dau la transparence des mots. En cc rôle, le langage transforme la suite dOl perçeptions en tuhleau et en retour déeoupe le continu des êtres, en car,lCt.lll'OO. Là o~ il y a discours, les représentations s'étalent et sc juxtaposent. les choses so rasselIÙllent et. s'articulent. La vocation pl'Orond~ du langage claHsique a toujours 6!.6 de (aire 1 tableau. : quo ce soit commo discours naturol, recueil dc la vérité, description des choses, corpu:. do connaissnnces exactes, ou dictionouil'O encyc1op~dique. Il n'existe donc quo pour être trnn~pHrent· il a perdu cette consistanco sccrète qUi, nu X''lI0 siècle, l'ép~ill.' si!lsait en une parole il déchiJTrer, ct l'enchevM1'8it avec les choses du monde; il n'a pns encore acquis cette existence multiple sur laquelle nous nous interrogeons aujourd'hui : la l'âge classique, le discours, c'est cette néces!lité translucide à traven laquelle passent la représentation et les êtres -lorsque les êtres lIont représentés au regard de l'esprit, lonque la repré­sentation rend visibles les êtres en leur vérité. La possibilité de connottre les choses et leur ordre passe, dans l'expérience clas­sique, par la souveraÏnetê des mots : ceux-ci ne lIont au juste ni dcamarquea àdéchifJrer (comme à l'époque Ù6 la Renaissance) ni des instruments plu.s ou moins fidèles et maUrÎsab]es (comme à l'époque du positivisme); ils forment plutôt .Je réseau inco­lore à partir de quoi ]es êtres se mani(egtent et. les reprêsenta­tions s'ordonnent.. Delà BaDS doute le luit que la réOexion clns­sique sur le langage, tout en faisant partJe d'une dis~silion générale où elle entre au mêmo titre quo l'analyse dcs l'Ichesses et l'bistoire natUJ'Clle excrce, par rapport li. elles, un rOle recleur. MalS la conséquence esscntielle, c'est que le langage classique comme discours commun de ln reprêBentation et des choses, comme lieu Il l'intérieur duquel nature et ualu", humaine s'entrecroisent, exclut absolument quelque chose qui Herait • science de l'homme 1. Tant que ce langage·lli a parlé dau la culture occidentale, il n'était pas poll3Ïble que l'existence humaine fût mise en question pour eUe-même, car ce qui ae nouait en lui, c'était la représentation et l'être. Le disoours qui, au XVIIe siècle, a lié l'un à l'autre le 1 ~e pense li et le « Je suis JI de celui qui l'eutreprenait - ce dJ5· cours-là est demeuré, BOUI uue forme visible, l'e1l5ence même ~u langage classique, car ce qui se nouait eu lui, de plein droit, c'l:taient la roprésentation et l'être. Le passage du 1 Je pense' au 1 Jo Buis 1 a'accomplillsait saus la lumière de l'é,,-idencc, à l'intérieur d'un discours dont tout le domaine et tout le foot­tioDDement consistaient à articuler l'un sur l'autre ce qu'on 110 représente et ce qui est.. Il n'y a donc à objllcter à ce passage
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    L'/wmm, el ~B6doublas 323 • e l'Otre en général n'est pos contenu dans la pensée ni que lU t.~tre lIiu!!Ulier tel qu'i) est désigné pnr le 1 Je suis J n'a pas ~~ intcrrog: ni analysé p.our lui-!"ême. Ou 'phlt~~ cos obj~cti?ns cuvent bitln nattre ct IOlre volOlr leur droit, mAlS Il porlar d un ~iscours qui est prorond~ment ~utre et q~ n'a pas pour raison d'~t.re le lien d~ la representatlon et de 1 !tre; seule une pro­bl~ lDatiquo qw. co?tourne .la. repré5c.ntatlO~ po~ formuler dtl pareilles obJtlcllons. MOIs tant qu a dure le discours clas­sique, une il1ltlr~gation sur 1.8 n;-ode d'être impliqué par le Co.". ito ne pouvait l,as être articulee. Ill. L'ANALYTIQUB DB LA. FINITUDB Lorsque l'histoire naturelle devient biologie, lorsque l'ana­ly5e des richosses devient économie, lorsque surtout la réUexion sur Ic longage se luit philologie et que s'etTuce ce dÏ800ura c1ns­eil) lIc où l'être et la représentation trouvaient leur lieu com­mun, {dors, dans le mouvement profond d'une telle mutation Dr(~héologiquc, l'homme oppnratt avec sa position ombigu~ d'objet pOlir un savoir et de sujet qui connaît: souverain sou­mis, !;peetntcur regardé, il surgit là, en cette ploce du Roi, que lui assignaient pnr avance les Méninu, mais d'où pendant longtemps sa présence réelle fut exclue. Comme si, en cet '-'l'pace vncant vers lequel était tourné tout le tableau de Vélas­q~ cz! mnis qu'il ne reOétait pourtant que par le llaurd d'un 8111'011' et comme par effraction, toutes les figures doot on tmupçonnnit l'alternance, l'excll.lSion réciproque, l'entrelacs et le papillotement (le modèle, le peintre, le roi, le spectateur) Cl'5~Ultmt tout à coup leur imperceptible danse, se fiaeaient en une f4,'111'C pleine, et exigeaient que fOt enfin rdpp~rté à un rcgllnl ùe chair tout l'espace de la représentation. Le motif de cette pr~sence nouvolle, la modalit6 qui lui est propre, ln dispositioll singulière de l'épistémè qui l'autorise, 11) l'lIl'port nouveau qui à travers ollo s'établit entre les mots, les Ch08.t;5 et leu~ ordre, - tout. cela ..,out être maintenant mis on ~Iml~re •. CuVIer et ses contcmporaID9 avaient demandé à ]n vie c ~?~Dlr cl1e-même, et duns 10 profondeur do son ~trc, Jes COn ,Itions de p085ibilit.é du vivant; de la même façon, Ricardo i'~~ht demandé au travail les conditions de possibilité do 1 c ango, .du profit et de la production; les premiers philo­tgues avalent aussi chercbé dans la profondeur historique des ~gu.es la possibilité du discours et de la grammaire. Du lait me, la représentation a cessé de valoir, pour les vivant.s, pour
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    324 LM mot8III le8 cJWIJ83 les b8lloins et pour les mots, comme leur lieu d'origine et. 10 siègu primitif de leur vérité; par rapport à eux, cllc n'est rien de plui, dhormaù, qu'un effet, leur répondant plus ou lUoins brouillé dans une conscience qui les saisit et les 1'6!1titue. La rel,réllentation qu'on se fait des choses n'a plus à déployer, cn un elll'uce souverain, le tableau de leur mise en ordre; elle est du côté de cet indivjdu empirique qu'est l'homme, le phêno~ mi'mo - moins encore peut·être, l'Ilppal'ence - d'un ordre qui B ppartien!. maiutenant aux choses memel! et à leur loi intérieure. Duns lu rcpré~cntation, lus êtres ne manifestent plul! leur iden­tité, mais Je rapIJort c."térieur qu'ils étabü~sent à l'être humain. Celui-ci, avec son être propre, uvec son pouvoir de se donner des représentations, surgit en un creux ménagé par les vivants, les objets d'échange et les mots lorsque, abandonnant III repn­sentatlon qui avait élll jusqu'alors leur site naturel, ils Be retirent dans ln profondeur des choses et s'enroulent Bur eux­mêmes selon les lois de la vic, de la production et du langage. Au milieu d'eux tous, serré par le cercle qu'ils fonnent, l'homme 'I8t ù~~igné - bien plus, requis-par eux, puisque c'est lui qui I,arle, puisqu'on le voit résider parmi les animaux (et en une place qui n'est pas seulement priviJé~ée, mais ordonnatl'Ïce de l'ensemble qu'illi furment : même s'il n'est pas conçu comme terme de l'êvolution, un reeonnait en lui l'extrémité d'une longue série), puisque enfin le rapport entre les besoins et les moyens qu'il a ùe les satisfaire elIt tel qu'iJ est nécessairement principe et moyen de toute production. Mais cette impériCUS6 ùésignntion est ambigu!!. Eu un sens, l'homme est dominé par le travail, la vie et le langage: son existence concrète trouve en eux ses déterminations; on ne peut avoir aecèti à lui qu'au tra­vers de ses mots, de Bon organisme, de8 objets qu'il fabrique, - COIllme si eux d'abord (eux seuls peut-~tre) détenaient la vérité; et lui-ru~me, dès ~u'il pense, ne se dévoile à IICS propres yelUt que sous la forme d un être qui est déjà, en une épaiSl!eur Dél:~tlairelnent sous-jacente, en une irréducunJe antériorité, un vivant, un instrument de production, un véhicule pour de!! mols qui lui préexistent. Tous ces contenus quo son savoir l~l révèle extérjeurs à lui et plus vieux que sa nais~onctl, lIut.· cil'Ilut sur lui, le surplombent de toute Jeur soliditll et le tra· vel'sent comme s'il n'était rien de plus qu'un objet do nature ou un vÏliage qui doit Il'etfacer dans l'histoire. La fini~uùe de l'IlOmme !;'UWlOnCe - et d'une manière impérieuse - duns ]a l,osiLivité du &avoir; on sait que l'hunune est fini, comme 011 connalt l'anatomie du cerveau,. le mécanisme des 'cotlts d6 prO" duc lion, ou 10 système de Ja conjuli.lÎllon indtreuropéennuj oU plutôt, au filigrane de toutes COB figures solides, positives et
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    326 • elon perçoit la finitudo et leB limiteB qu'ellell imposent, pl~ vine comme en blano tout ce qu'ellos rendunt impossible. on1tl~ à dire vrai, cette première découvorte do la fiD1tude est , .-'-le' rien De permet de l"arrêter sur eJ1e-m(!me; et ne pour­ms". 1 UoIn p, as 8Upposer qu• e I le promet aURSI' bl'C D ce m .~. m e lDtw!_u: 1111';1Ie refuse, selon le système de l"Htltualité? L'évolution de ~~pl:ce n'ost peut.être pas acbevée; l~s lormes de la produc?on et du travail De cessent de se modifier et peut-être un Jour l'hoJJ1D1C nc trouvera plus dans son labeur le principe de son aliénation ai daDs liel besoins le coutaut rappel de ses limites; et rien ne prouve non plui qu'il ne découvrira pas dos systèmes symboliques suffisamment purs pour dissoudre la vieille opacité dei langages historiques. Aunouc€:e daos la positivité, la fini­tude de l'homme 6e profile 80UIi la !orme paradoxale del'inùélini; elle indique, plutôt. que la rigueur de la limite, la 1lionotonÎe d'un cheminement, qui o'a SaDS doute pas de borne lllliis qui n'est peut-être pus 8UI espoir. Pourtant tous ces coDtenus, avec ce qu'ils dérobent et co qu'ils lais&onl aussi pointUl' vers les confins du temps, n'ont do positivité dans l'espace du savoir, ils ne s'offrent li la tache d'une connaissance possible que liâs de fond cn comble Il la finitude. Car ils ne seraient point Ill. dons cette lumière qui les illumine pour une certaine ~art, si l'hoDime qui se découvre Il travers eux était pris dans louver­ture muette, noctume, immédiate et heureuse de 1. vie uni­mole; moiti jls ne se dODnentient pas non plus sous l'angle aigu qui les dissimule à partir d'eux-mêmes ai 1'homme pouvait les parcourir sans reste daos l'éclair d'un entendement illûni. Mais li l'expérience de l'homme, un corps est douné qui e~llon corpll - fr:dgule~t d:espace ambigu, dont la spatialiLé propre et irré­ductlblo s articule cependant sur l'espace dei choses; à. cette même .expérience, 10 désir .ell donn6 cOlDWe appêt.it. primordial l pa~ duquel toutes les choses prennent valour, et valeur relative; Il cette même expBrÏence, un IaJq,ruge est donné dans le f!1 duquel tous les discows de tous les temps, toutes les mouos­lions et toutes les .imultanéités peuvent etre donnés. C'est dire qu~, chllcun~ de c~s fonnes pOliitives où l'homme peut apprendre 6~ 11 eat ~l!l ~e lm cil ~OJlllOO que s~r fond ~e ~ propre 6I!-i~c:- '. celle CI n est pas 1 CIi8811ce la mieux purifiee de la po:ntivllc. :0d' d' Il pnrlir de quoi il est possible qu'elle apparaisse. Le P Oe être de la vie, et ceJa même qui fait que la vie n'existe as sans m ' 1 ID e prescnre ses ,ormes, me sont donnés, fondamentale-te: td~ilr m;? cor~s; l~ mode d'être de la productioll,la pel'lan­} laI' JO Bes, ~terllWlatloDS sur mOD exidcJlce, me ~Ollt dODlléa d'hi t ~Il dOSlrj el Je mode d'être ùu li1ng'dgc, tout. le siUage a OUe que lea mots font luire dans l'instant. oÏl OD lus pro-
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    ô26 Le. mollet tu chaau donce, et peut-être même dans un temps plus imperceptible encore, nc me sont donnés qu'au long de lu mince chatDe do Dla pensée parlante. Au fondomont de toutOll los pusitivités empi. riques, et de cc qui peut. s'indiquer de limitations concrètes ft l'existence de l'homme, on découvre une finituùe - qui en un. Beni est la même: eUe est marquée par la spat.ialiL6 du corps la héance du désir, et le tempa du langage; et pourtant elle ~t radicalement autre : là, ]a limite ne Be manifeste pas comme détermination imposée à J'homme de l'extérieur (parce qu'il a une Dature ou une histoire), mais comme finitude fondamentale qui ne repose qUlllur son propre fait et s'ouvre sur la positiviu. de toute limite concrète. Ainsi, du coeur même de l'empiricit.6, a'ind ilJUe l'obligation de :remonter, ou, comIDe on vouùra de descendre, jusqu'à une ana­lytique de la finitude, où l'être de l'homme pourra fonder en leur positivité toutes les formes qui lui indiquent qu'il o'estpas in fin;' Et le premier caractèro dont cette analytique marquera le mode d'être de l'homme, ou plutôt l'espace dans lequel elle se déploiera tout cnti~ro sera celw de ln répétition, - de l'identité et de la difFérence entre 10 po:litiC .,1. le fondamental : la mort -qui ronge anonymement l'existence quotidienne du vivant, est la mêmH que ceUe, fondamentale, il partir de quoi 6e donoe à moi-mOrne ma vie empirique; le désir, qui li., et sépllre les hommes dans la neutralité do pro~essus économique, C'Clit le même à. partir duquel toute chose est pOUf moi désirable; ]e temps qui porLe les langages, 8e loge en eux et finit par les Usef, o'ost ce temp8 qui étire mon discours avant même que je l'aie prononco dans une succession que nul ne peut matt_. Du bout Il l'autre d., l'expérience, la flnitude se répond à olle­même; elle eat dans la fIgure du Même l'identité et la différenco dei positivités et de leur londement. On voit comment la réRexion moderne dès ln première amorce de cette analytique contourne vers une certaine pensée du Même - où la Dü!é­nnce eat la même chose que l'Identité -l'étalement de la représentation, avec son épanOUIssement en tableau, tel que l'ordonnait le savoir classique. C'est dans cet espace mince et immense ouvert par la répétition du positif daDsle fondamtl~­tul que toute cette analytique de ]a finitude, - si liée au deti~l de la ponsée moderne - va se déployer: c'est là qu'on Vil v91f Buccessivement le transcendantal répéter l'empirique, le COglto répéter l'impcDsê, le retour de l'origine répêter sou recul; c'est là que va s'amrmur à partir d'clic-même une pens6e du Môme irréducu'ble li ln philosophie clanique. On dira peut-être qu'il n'était pas besoin d'aLLeudr6 le XIX! siècle pour que l'id6e do la finitude soit mise nu jour. Il
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    L'MmTM et lUMublu ai qu'i] 1'0 peul-être seule meut ùêplacée dans l'espace de jl vr sée lui faisant jouer un rOlo plUli complexe, plus ambigu, ft p'e~ fa~ilo li couloumer : pour la pensée du XVIIe ct du JJlom~ .' d' .. l'h li ~ 11 ~iècle c'était sa fimtu 6 qm contflugnalt omme VIvre d~~ cl(ist~ncc animale, à travailler à la iueur de son front, Il nsor ~veo des mots opaques; c'était cette même finitude qui foe mpêchait de cODDaltre absolument Jes m6canismes de son e:rps les moyens de satisfaire ses besoins, la méthode pour ptlns:r Bans le pé~1l6~ secours d'un. langage t?ut tr~é d'~bi­tudes et d'imagmatlOns. Comme mad6quatioD à IlD6nt, la limit.e de l'homme rendait compto aussi· bion de l'existence de ces contenus empiriques que de l'impossibilité de les connattre immédiatement. Et ainsi le rappotl négatif à l'infini - qu'ü ltit conçu comme créatioD, ou chute, ou liaison de l'âme et du corps, ou dét.ermination à ~'intéric:ur de l'être infini, ~u point de vue [li~gulier sur la to~té, ou hen d.e Ja rcpr~enta_ti.~ aveo l'impressloD - se donnrut comme anterleur à 1 empmClté de l'homme et à la connaissance qu'il peut eD prendre. Elle fondait d'un 90ul mouvement, mais SIlIl8 renvoi réciproque ni circula­rité, l'existence des corps, des b8lloins et des mots, ct l'impossi­bilit6 de les maîtriser en une connaissance absolue. L'expé­rience qui se forme au d6but du XIXe siècle loge la découverte de la finitude, non plus à l'intérieur de la pensêe de l'infini, mois au coeur même de ces contenus qui sout donnés, par uri savoir fini, COmIue les formes concrètes de l'existence finie. De l~, le jlU interminable d'une r6férence redoublée: si le savoir de l'holWue est fiui, c'est parce qu'fi est pris, Bans libération pos­sible, dans les contenus positifs du langage, du' travail et de la vie; et inversement, si la vie, le travail et le langage se donnent dllDll leur positivité, c'est parce que la eonnaistillDce a des 1of!Ue!i finies. ED d'autres termes, pour la pensée cJassique, la finitude (comme détermination positivement colllitituée à partir de l'infioi) rend compte de ces formes négatives qui BOnt le corps, le besoin, le langage, et la connai88ance bombe qu'on ~eut en avoir; pour la peDsée moderne, la positivité de la: -ne, _e ~ ... production. et du travail (qui ODt leur existence, leur bisto­l'! clte et leurs 1018 propres) fonde comme leur conélatioD négtl­~~ le caractère borné de la cODDaissance; et inversemont les ~lMltcs ~e la c.onnllissance fondeDt positivement la possibilit6 e 8avol~, maIS dans une expérience toujours bornée, ce qua 8?Dt la VIe! le travail et le langage. Tant que ces contenus empi­nluea h é~t!nt logés dans l'espace de la représentation, one ~ lap y!lque de l'infini était DOD. seulement possible mais fe.fée d l} faU~t bien, en effet, qu'ils soient les formes mani-tlS e a finitude humaine, et pourtaot qu'ils puissent A'YOÏf
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    32B leur lieuet leur Y6rité ll'intérieur de la repré:.entatioQ; l'idée de l'ÙlOlli, et celle de Ba détermination dans la finitude p"rmeL­t. aieu l'!", et l'lluLre. Mai, lors~ue les c~lntenus e,upiriquetl furtmt d"bu:héa de la repré~entahon et (lU'ils enveloppèrent en 6ux-mêmQII le princip" d" leur existence, alors la métllphysique de l'infini devint inutile; III finitude ne CeHSIt plull de rtlnvu)'l!r à elle-mfnu., (de la positivitu detl uontonus aux limitatiuns de lit connuitltlunc", et de la positivité limitée de cellu-ci au 1I0VO~ borné dcs contenus). Alors, tout le chaIllp de la ptlW!6e occiden_ tale fut inversé. Là où jadis il y avait corrélation entre une méJ.aphY8ique de la représenLution lit d" l'infini et une annly" des êtres vivants, des désirs de l'hommo, et des mols de Sil Ift~e, on voit se constituer uue analytiqua de la finitude et dB l'exlStence humaine, et en opposition aveo elle (mais en unIS opposition corrélative) une perpêtuelle tentation de oonstituer une métaphYilÛjue de la vie, du travail et du langage. Mais ce n8 sont. jamais que des tentat.ions, aussitÔt contestées et comme minées de l'intérieur, car il no pellt s'agir que de métaphysique. metlurées par les finitudes humaines: métaphysique d'une vie convergeant. vers l'homme même si elle no s'y arrête pas; méta. physique d'un trnaillibérant l'homme de sorte que l'homme en reLow' puisse s'en libérer; métaphysique d'un langage que l'hommo pel1t 80 réapIJroprier daus la cowcience de sa propre culture. De sorOO que la pensée modernt: se conle:stera dlIDS ses propres avuncé611 mutaphysiqucs, et montrera que le~ réOtlxÎons sur la vio, 10 travail et. le langage, dans la Ill"l5Ure où elles valent comme analytiques de la finitude, manutlsteut la fin de la métaphysique: la philosophio dola vie dénonce la métaphy" sique comme voilo de l'illusion, ceUe du travail la dénOll~'e comme pensée aliénée et idéologie, celle dl1 langage COWIDe épi:;ode culturel. Mais la fin de la métaphysique n'est que la face négative d'un événement beaucoup plus complexe qui S'Ollt produit dans la pensét) occidentale. Cet événement, o'est l'apparitiou de l'humme. Il ne faudrait pas croire cependunt qu'il a surgi iI~U­dain dans nuue horizoD, en imposant d'une manière irruptl'le et. absolument. déroutaute pour Dotre réflexion, le fuit brutal de son corJ)s, de sun labeur, de son langage, ce n'cst pas )a miilèro pOSitive de l'homme qui a réduit violemment lu mé~­physique. Sans doute, au niveau des apparences, la moder!"té commence IOl':lquo l'êtr6 hwnaw se met à exister à l'Ùlt(mcur de son organisme, dUllii la coquille de sa tête, dans 1'8r!"at~re de ses membres, et parmi t.oute la nervure de sa physlO.l0~lej 1orsqu'il se met li. eXIStor au coeur d'un travail dont le prmclpO le domine et le produit lui échaPPoi lorsql1'illoge sa pensée danS
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    L'lwmme et SildoutM, 329 r lis d'un langage tellement plus yjeux que lui qu'il n'en les maltriser les significations ranimées pourtant par l'in­P. c':ance do sa parole. Mais plus iondamentalement, notre SISlture n franchi le seuil fi partir duquel nousrectmnnissons not.re cUodernité le jour où ln finit.ude 8 été pensée duns une réfl!­~ nce int.c~ahle il elle-même. S'il est vrai, au niveau des dilIérents savoirs, que la finitude est ~ujours dés,ignée à part~r do l'homme CODcret. et des formes empll'lques qu on pent aSSI-ra er à 90n elÙl:ilence, au niveau archéologique qui découvre priori historique et général de chllcun des savoirs, l'homme moderne - cet hommo assignable en son existence corporelle, laborieuse et parlante - n'est possible qu'à titre de figure de la finitude. La cullure moderne peut penser l'homme parce qu'ellc pense le fini à partir de lui-même. On comprend dans ces conditions que la pomée classique et toutes celles qui l'ont pré­cedée aient pu J.larler de l'esprit et. du corps, de l'ilt.re llUmain, do sa place si liuùtêe dans l'univers, do toules les bornes qui mesurent sa connaissance ou sa libert.é, mais qu'aucune d'enLre elles, jamais, n'aiL connu l'homme tel qu'il 6!t donné au ti8vOir moderne. L' , humanismo Il dola Renaissance, le Il ra tionalisme» des clllssiques ont bien pu donner une place privilégiée aux humains dans l'ordre du mondo, ils n'ont pu llonsur l'homme. IV. L'EHPnUQUB ET LB TRANSCENDANTAL L'homme, dans l'analytique de ]0 finitude, est un étrange doublet empirico-transcendantal, puisque c'est un être tel qu'on prendra en lui connaissance de ce qui rend possible toute cOllIUlissance. Mais ]a nature humaine des empiristes ne jouait. elle J'as, au xvme siècle, le même rôle? En lait, ce qu'on ana­lysait ~lors, c'étaient les propriétés et les formes de la repré­a~ n~llOn qui permettaient la connaissance en géntral (c'est 8Ulsl que Condillac définissait les opérations nêcessaires et su!­fi. s~l~s ponr que la représentation 80 déploie en eounaissance : l'eDllWsccncc, conscience de soi, imagination, mémoire); main­ten~ nt. que le lieu de l'analyse, ce n'est plus la représentation, mnls.l.homme en sa finitude, il s'a oit de mettre au jour les oo~dllions de la connaissanco li part.k des cont8D.U8 empiriques i:I1 don~ donnés, en elle. Peu importe, pour le mouvement gêné- 10 .e. a feens~ moderne, où ces contenus se sont trouvés 1.:115es: ~ poml n'est pas de savoir si on les a chorchés dims de tospeetton o~ da~s d'nutre~ formes d'analyse. Car le seuil notre modenuté n est pas Situé au moment où on a voulu
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    330 appliquor Ill'étude de l'homme des méthodel objectives, mais bum le JOUI' où. s'est conatitué un doublet empirico-trnnscendan_ tal qu'on a appelé l"homme. On a vu uaUre alon deux 8Ort.,. d'anal)'so8 : celles qui le sont logées dan. l'.pace du COrpl. et qui par l'étude de la perceptioD, des mécanismes sensoriels des schémas neuro-moteun. de l"atticuJation commune .~ cho8fl8 et à l'organisme, ODt fonctioDllé commo une sorte d'eathlh tique uanscendantale : on )' découvrait que la connaissance amt des condit.ions an.atomo-physiologiques, qu'elle se for­mait peu à peu dam J. DerYUre du corps, qu'elle y avait peut­être un siège privilébrié, que sea formes en tout cas ne pouTaiont pas être djsllocjées des singularités de son fonctionnement; bref, qu'il )' avait une nature de la connaissance humaine qui en déterminait 1118 (ormos et qui pouvait en même tomp. lui êt.re maoifelltée dam SIl8 propres contenus empiriques. 11 y a eu aussi les analyses qui pnr l'étude des illusions, plus ou moins anciennes, plus ou moins difficiles à vaincre de l'hwnanit.é, ont fonctionné comme une sorte de dialectique transcendan­tale; on mont1'8it ainsi que la connaissance avait des condition. historiques, sociales, ou économiques, qu'elle se formait Il l'in­térieur des rapports qui Be tissent eDtre lei hommes et qu'elle n'était pns indépendante de 1. figure particulière qu'ils pou­vaient prendre ici où là, bref qu'il y avuit une histoire de )a .. .onnaissance humaine, qui pouvait à )a fois êt.re donnée au savoir empirique et lui prescrire tiel formes. Or, ces analyses ont ceci de particulier qu'oU es n'ont, semble­ton, aul..'Ull besoin les unes dOl! autres; bien plus, qu'elles peuvent ae dispenser de tout recours à une analytique (ou li une théo­rie du lujet) : ellea prétendent pouvoir ne reposer que sur elles­mêmes, puisque ce sont lcs contenus eux-mêmes qui fonc­tiouent comme réOexion transcendantale. Mais, en fait, la. recherche d'une nature ou d'une histoire de )a connaissance, dans le mouvement où elle rabat la dimensioD propre de ln critique sur les contenus d'une connaissance empirique, sup­pose l'usage d'une certaine critique. Critique qui n'ell pas)'exel'* cice d'une réflexion pure, mais le résultat d'une série de partages plus ou moins oblC1ll"8. Et d'abord des partages rela­tivement élucidés, même s'ils sont arbitraires : celui qui dis­tinguo la connaissance rudimentaire, imparfaite, mal équili­brée, naissante, de celle qu'on peut dire sinon achevéo, du moins constituée dans sel (orJDea atables et d6Hnitives (ce part.agerend possible l'élude des conditions naturelles de la connaissance); celui qui distingue l'illusion de la vérité, la chimère idéologique de la thêorie Bcient.ifique (ce partage rend possiblel'êtude des conditions historiques da la connai88ance); ma;' il y ft un par-
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    L'!r.ommlJ et HBdoubles 331 lus obscur, et plus fondamental : ~'«;st. cel~i de ]a ~érit.6 tB"gt' Pftme • il doit. eXister, en effet, une venté qut 8.'t de 1 ordre ed ~ Cl'o-IbJjeItC., ,- ceUe qUi- peu Il peu s "0 MIlllsse, se.f orme, • '~ re laniCclle à travers le corps, et les rudiments de per-et se li' • d • .. 1 ill L'OII cello tim.lement qUl se e.'sme Cl mesure que es u-cer l, -eo- l'h"" d , Q le dillsinont, et que Islolre s mstaure ans un .tatut. 8d1é0sna.l.i éné; mU~ls i.l dO,it. .~Is ter.aussi, une ve• r'lté, qui. est d e l'o rd re du discours, - une v~ml.é qw permet. de te~ s,ur la ~at~ ou. l'hÜitoire de lu coonalSliance un langage qui solt vraL C eat. le stnlul de ce discours vrai qui demeure ambigu, De deux choses l'Wle : 011 ce discours vl'lli t.rouve Bon fondeIntmt et lion modèle elll'ette vhité empirique dont il rell'llce la genèlse dans la nat.ure et dam l'histoire, et on a une analyse de t.ype posiLivÜlte (la vérité de l'objet p~scrit la vé~t.é d,u. discolll'll qui el! ~écrit la formlltion)j ou le dillcours vrai anllClpe sur cette verlté dont il dHmit ~a Nlture et l'histoire, il l'esquisse k l'avance et la fomenl~ do loin, et alors on ft un diticours de type eschatologique (la vérité du discours philosophique constitue la vérité en for­mation), A dire vrai, il s'agit là moins d'une alt.emative que de l'oscillation inhérente à toute analyse qui fait valoir l'empirique au niveau du transcendantal. Comte e1. Marx eont bien témom. de ce {ait que l'eschatologie (comme vérité objective à venir du discours SOl' l'homme) et le positivi~me (comme vérit.6 du. discours définie il partir de celle de l'objet) sont archéologique­ment indissociables: un discours qui se veut. à la {ois empi­rique et critique ne peut être que, d'un seul tenant, positiviste et eschatologique; l'homme y apparatt comme une vérit.6 il la fois réduite et promise. La naïveté précritique y règne saDB partRge. C'est pourquoi la pensée moderne n'a pas pu éviter - et à partir justement de ce discours Daif - de cherch8l' le lieu d'un dÜicours qui De serait ni de l'ordre de la réduction ni de l'ordre de la promes.'Ie : un discours dont la tension mllmtiendrait sépa­réf. l:empirique et le transcendantal, ou pennettant 'pourtant de ylSer l'nn et l'auue en même temps; un discours qul permet­tnut. d'analyser l'homme comme sujet, c'est-à-dire comme lieu de ,connAiSSAnces empiriques mais ramenées au plus près de ce qu~ les rend pOtiSwles, et comme forme pure immédiatement préliente à ces cont.enus; un discours en somme qui jouerait p~r rapport à la quu8i-esthétique et à la quasi-dialeclique 16 d e d~une analyt.ique qui à la lois les fonderait dam une théorie Il ~~p't, et l~ur permettrait peut-être de .'arLÏculor en ce terme ~Jateme et lD.term~di8ire où s'enracÏDeraient à la {ois l'expé­:~~ du ~Orpil et celle de la culture. Un rôle si complexe, si elomuné et. si nécessaire, il a été tenu. dan. la peos(:o
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    332 Lu mot.el la CWfJ. modeme par l'annlyec du vécu. Le vEcu, en eRet, eat a J8 rois l'espace où tous les contenus empiriques sont donnê! li. L'exllê­nonce; il est aussi ln forme originaire qUl Jes rend en générul possibles et désigne ]our enracinement premier; il fait bien co~­muniqullr l'ospace du eol'Jls avec le temps de la culture les déterminations de ]a nature avec la pesanteur de l'histoke l condition cependant que ]0 corps ct, à travers lui, la nat.~ro Boient d'abord donnés dans l'expérience d'Wle spatialité irré­ductible, et que la culture, porteuso d'histoire, soit d'abord 6prouvée. dODs l'immédiat des significations sédimentées. On peut bien comprondre que l'analyse du vécu .'est instaurée, dans la réflexion moderne, comme une contestation radicale du posi­tivisme et de l'eschatologie; qu'elle a e.'1sayé de restaurer la dimension oubliée du transcendantal; qu'clle Il voulu conjurer le diacours naïf d'une vérité réduite à. l'empirique, et le diséoura prophêtique qui promet natvement la venue li. l'expérience d'un homme enfin. n o'en reste pas moins que l'analys8 du vécu est un di!lcours de nature mixte: elle s'adresse 11 une couche spéoi­fique mais ambiguA, assez concrole pour qu'on puisse lui appli­qucrun langage méticuleux et doscriptif, assez enretrnitcepen­dant sur la positivité des ehosos pour qu'oo puisse, li. partir de là, ~chapper la cette naïveté, ln contetter et lui quérir des .fondements. Elle cherche à. articuler l'objectivitê poSllihlo d'unD coJUlaÏssancè de la nature SUl' l'expérience originaire qui s'os­quiase. à travers le corps; et à articuler l'histoire pOlSible d'uDe çulture sur l'éraiBseur sémantique qui à la fois 8e cache et 1!8 montre dans 1 e?cpêrieoce vécue. Elle ne flUt. donc que remphr avec plus de !loin les exigences hâtives qm avaient été posées lorsqu'oo avait voulu, en l'homme. faire 'V8.10Ï'r l'elDpirique pour 18 transcendantal. On voit quel réseau serré relie, malgrê les ~pa16nces, les penséos do type poaitiviste ou eschatologique e marxisme étant au Elomier rang) et les rêDexions inspir~es e la phénoménologie. Le rapprochement récent o'est pliS de l'ordre dola conciliation t8:rdivo au niveau des configurations archéologtqu6B, eUes étaient n~cessaires les unes et les autres - et les unllll aux autres - dès la constitution du postulat. anthropologiqutl, c'est-à-dire dès le moment où l'homme est apparu eomm" doublet empirico-trnnsClCodaotal. • La vraie contestation du positivisme et de l'eschatolog18 n'est donc pos dans un retour au vécu (qui à vrai dire 1e9 confirme plutôt en les enracinant); mOlS Bi elle pouvait s'cxct'­cer, ce serait l pnrtÏl' d'nue question qui BaJ15 doute 6e'!lblo aberrante. tant elle est en discordance avec ce qui a rendulust.o­. riquement possible toute notre pensée. Cette quest.ion conSIS­terait à se demander si 'fraiment l'homm .. p.~iste. On croit qUO
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    333 , st'ouer le para(loxe que de supposer, un 11811 instant, ce ce !urrnioDt être le monde et la pensée et la vérit6 si l'homme q?~tt.ait. pUll. C'est que nous &ormlaes si aveuglés pRr la récente ~Ividence do l'homme, que IIOlUi n'avons même plus gardé dans :olre IOl1vonir le temps cependant. peu re,?ulé où ,existaient le onlle Hon ordre, IOll êtres humaUlll, mlliS pa!! 1 homme. On lcoJmplr'en d )e pouVO•i r d"ch r an1 o men. .. ql'l a pu aVO•Ir , et que gn rd e encore pour nous la pensée de NiolzllclJo, lors'lu'elle Il annoncé sOIlS la formo du l' ~vénement imminent, de la Promesse-~Icnace, que l'homme bientôt no sernit plus, - mais le surhomme; ce qui, dans uneIJhi)osopbi~.du Ro~w: voulait. dire que ~'hom"!e, depuÏti bicn 10ngtcllIll!1 delà, avait dJt!paru eL no CessaIt de dls­p~ raitre et que nol.re pensée modome do l'hoJUme, notre sol­licitude 'pour lui, noLre humllnisme donnaient liereinement sur BU grondnn,te inexi5t~nce. N,ous qui nous. croyons liés à une finitude qul n'ol'purt.leot. qu il nous et qw nous ollvre, par le connllître, la vérité du Inonde, ne faut-il pas nous rappeler que nous sommes attachés aur le dos d'un tigre? V. LR COGITO BT L'U1PB1'Csi :5i l'homme est bien, duns 10 monde, le lieu d'un redouble­ment empirico-t1'tlnsccndnntal, s'il doit être cette figure para­doxltle où 11'_'1 contenus empiritJ.ues de la connaissance délivrent, mais à partir de soi, les conditIOns qui les ont rendus possibles, l'homme ne peut pus se donner dans la transparence imm6- diate et souveraine d'un cogito; mais il ne peut pas non plus ré.'iider daos l'ioertie objective de cu qui, eD. droit, D'accède pas, et n'accédera jamais à )a conscience do soi. L'homme est un mode d'être tel qu'en lui se fonde cette dimousion toujours 0!1verto, jamais délimitée une fois pour tollt.es, maÏ& indé&­Dlment parcourue, qui va, d'une part de lui-même qu'il ne l'éflée!t!t pas ~~. UD. cogito, il l'acte de pensée ~nr quoi il la ressomt; et qw, lnversement va de cettepu1'8 susie li l'encom­brement empirique, il la m~ntée dé!Ordonnéo des conteous, BU snrplo~b des expérionces qui échappent il elles-mômes, à tout l'honton siloncieux de ce qui se donne dans l'étendue &~Llonneuse de la non-pel1llée. Parce qu'il est doublet empi­rJco- transcenùantal, l'homme est aU5lôi le lieu de la méconnais­aance, - de cette méconnaissance qui expose toujours sa pen­Ih li. être débordée par 60n êt.re propre, et qui lui permet. en
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    33~ Ler mut,et le, choses mi)me tempa de se rappeler b Itnrtir de ce qui lui ~chappe. C'est la raison pour laquelle la réflexion transcendllntale, BOUS BB forme moderne, ne trouve pas le point de 88 nécessité, comme cbez Kant, dans l'existence d'une science de la nnturo (il laquelle s'opposent le combat perpétuel et l'incl!rtitude de!! philosophes), mais dflng l'exillten~e muette, prête pourLant Il parler et comme toute traversée secrètement d'un dÎRoours virt.uel, de ce non-connu à partir duquel l'homme est Bnns cesse appelé à la conn8is~al1ce de soi. La que~tion n'est plus' comment peut-il le faire que l'expérience de la nature d(Jnn~ lieu à des j ugemenlB nC:cessaires? Mais: comment. pllut-il se Caire que l'homme pense ce qu'il ne pense pas, habite ce qui lni é,chnppe sur le mode d'une occupat.ion muette, anime, d'une lIorte de mouvement figé, cette figure de lui-milme qui se Jlr~­Bcnte Il lui SOUK la lorme d'une exlériorité t.ôt.ue? Comment l'homme peut-il être cette vie dont. le r6seau, dont lC8 p1l11l8- tions, dont 10 force enfouie débordent indéfiniment l'expllrienco qui lui en est immédiatement donnée? Comment pOlit-il être ce travall dont les exi~{mr.os et les lois s'imposent à ]ui comme une rigueur étrangère? Commnnt peut-il être le sujet d'un langage qui depuis des millénaires s'est lormé sans lui, dont le système lui échoppe, dont le liens dort d'un sommeil presque invincible dans les mots qu'il fait, un instant, scintiller par son discours, et à rintt~rieur duquel il e~t, d'entrée de jeu, contruint de loger !III porole et sa pensée, comme si clics 110 failiaient rien de plus qu':mimer quelque temps un sl!gment Bur cette trdme de possibilités innombrables? - Quadruple déplacement par fUJlPort. à la question kllnticnne, puisqu'il s'n~it non plus de la vérilê mais de l'~lre; nOlll'lu5 do la naturo mOlS de l'homme; non plus de ]a possibilit.é d'une connais­sance, muis do celle d'une méconnaissance première; non plu!! du caractère non fondé deI théories philosoplùques en face de ln science, mais de la reprise en une eonscience philoso­phique claire de tout co domaine d'expériences Don fondées où l'homme ne se l'econnatt pas. A partir de ce déplnGI'.ment de III question transcendantale, la pensée contl!mporaine ne pouvnit éviter de ranimer le thèmo du cogito. N'était-ce pas aussi la partir de l'erreul', de l'illu­sion, du rève et de la folie, de toutes les expériences de la pensée Don londée que De:lcartes découvrait l'impossihilitA qu'elles ne soient pas pensées, - si bien que la pengéo d~ 1/!31 pensé, du non vrai, du chimérique, du purement imngma,re apparaisllnit. comme lieu de possibilité de toutes ces expé­rÎt: nces et. première évidence ilTéeu~able? Mais le cogito mode~n6 est aussi diJIérent de celui de Dt:scurLes. que Dotre réflwuon
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    L'homme fiL 6eBdvublu 335 8CfJndantale e.'It éloignée de l'analyse kantienne. C'est qu'il trnDjs~8it pour Descortea de mett.re au jour la pensée comme IfI ligne la plus uénérale de toutee 009 penllées que BOnt. l'erreur orl .,... • 1 é '1 • 1 011 l'illusion, de manière u en conjurer e 'P ri , qUitte à ea trouver h la fut de !8 démarche, il Jes explaquer, et à donner relOl'c5 la 'mé t.hode P?tlr s' ené ~r v eru. r. D• ans 6I cog'tt o mo d erne, il l'IIgit nu co~tralre de .1a1ssel ~8101! selon aft plus grAn~e dillllui~ioll ]n, dltilonce ']'11 à la fOIlJ. sep~re e~ rehe la pensee r~!ienlc il SOI, et ce qUI de]a pen~ee, a enracme da1JJ! le non­~ 6u~é; il lui ra~t (ut c'est J?ourquoi il ea~ mo~na un~ évidence dtieollverte qu une tâche mcell~ante qUi dOlt toUjours être reprise) parcourir, redoubler et. réactiver 10US une forme expli­cito l'articulation de la pensée lIur ce qui en elle, autour d'eUe, au.dessous d'olle D'6lit pas pensée, mais Ile lui est pas pour autant étranger, seloD une irréductible, une infranollÏ:isable extériorité. Sous cette forme, le cogito De lIeru dODO pas la Ivudlline découverte illuminante que toute peDll8e est penBéo, mais ri n terrogntion touj 0111'8 recommencée poUl' savoir commlln t )a pensée habite hors d'ici, et pourtant au plus proche d'elle­ml! me, comment eUc peut ê'rlt sous les espèces du non-pensant. n ne mmène pas tout l'être des ChOS6S il la pensée sans mmi­fiel' l'être de ln pensée jusque dans 18 ne1'YtU'8 inerte da ce qui ne J1en~e pas. Co double mouvement propre au cogito moderne expliqua pourquoi le Il Jc pense lt n'y conduit pBS il l'évidence du c Je auis 11; aUMitôt, en effet, que le« Je pense» s'est montré engngé dans toute une épaisseur où il cat quasi présent, qu'il anime DulÏs sur le mode ambigu d'une veille sommeillante, il n'est pl,!!! poss,ible d'en faire su~vre ~'affirmation que '~e suis lt : PUU;-J8 dIre, en effet, que Je aUlB ce langage que le llarle et où ma pensée se glisse au point de trouver en lui le système de toutos SilS possibilités propres, mais qui n'existe pourtant que duns ln lourdeur de sédimentatioDS qu'elle ne seru jamais cal'lAb}o d'actualiser entièremenL7 Puis-je dire ~ue je suis ce travlul que je fais de mes mains, mais qui m échappe DOD 8eulllment I?rsque je l'ai fini, mais avnnt même que jo l'aie entam~? Pms-je dire que je suis cette vie que je sens au fond de ,mOI, mnis qui m'enveloppe à la fois par le temps formidable qu ~lIe po'!sse avec soi ct qui me juche un instant sur sa crète, jais aussI. par le temps imminent qui me prescrit ma mort? e1 pelu x dire aUS5i bien l11le je suis et que le ne suis pas tout cle a'' e c-o gl' t0 ne cond m1-t- pas à une affinnab• on d'être, mal•S 1 :uvre ~ustemllnt SUl' toute une série d'interrogations où il : ~est!on de l'être: que faut-il que je sois, moi qui pense qUI lUIS 1Dn perure. pour que je sois ce que je De penae pas,
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    336 pour quema pensée Boit co que je oe suis pas? Qu'est-ce donc que cet être qui scintille et pour ainsi dire clignote dao.a l'ou. ver Lure du cogito mais n'est pas donné souverainement en haï et pat lui? Quel ost donc le rapport eL la difficile apparteuance de l'être et de la pen~ée? Qu'est-ce que l'être de l'hornme et cODlWeot peut-il se faire que cet être, qu'on pourrait Bi aille­ment. caractériser par le fait qu' 1 il a de la pensée 1 ut que l'eut-être à lui seul il la détient, a un rapport inelTaçable et fondamental à l'impensé? Une forme de réUexion s'instaure fort éloibrnée du cartésianisme et de l'analyse kantierwe, o~ il ost questivn pour la première fois de l'i1tre de l'homme dans cet.te dimension lIelon laquelle ln pcnsélS s'adnstiso à l'impensé et 6'arLil~ultl sur lui. Ceci a deux conséquences. La première est négative, et d'ordre pUl·cmlmt historique. Il peut sembler quo la phénoménologie a joint l'un à l'autre le thème cartésien du cogito eL le moLÏi transcendantal que Kant avait d~.gagé de la critique de Hwue; Husserl aurait uinsi :ranimé la vocation la plus profonde do )a ralio oocidontale, Ja courbant Bur elle-môme en uno réUllxlon qui serAit radicalisation de Ja philosophie puro ot fondement de ]a possibilité de sa propre histoire. A dire vrai, Husserl n'a pu opérer cette jonction que dans la mesure où l'analyse t.rans­cendantale avait chang6 son point. d'application (celui-ci 61!'t trlln!lporté de ]0 pOllSibilil.6 d'une science de la nQtUM à la pos­sibilité pour l'homme de se power), et où le cogito avait modifié sa fonction (celle-ci n'est plus do conduire à uno existence apo· dictique, à partir d'une pensoe qui .'affame partout où elle pense, mais de montrer comment la pensée peut s'échapper Il elie-même et conduire ainsi à une interrogation m1ùtiple et proliCérante sur l'être). La phénuménologie est donc beaucoup moins )a ressaisie d'une 'Vieillo dostination rationnelle de 1'00' cident, q:.re le constat, fort sensiblo et ajusté, de )a grande rup­ture qui s'était produite dans l'dpÎaltfmà moderne au tournant du XVIUe et 'du xrx. siècle. Si cUo a parLie liée, c'est avec la découverte de la vie, du travail et du langage; ç'est aussi aV8~ cette ligure nouvelle qui. IOUS le vieux num d'homme, a surgi il n'y a pal encore maintenant deux siècles; c'est avec l'inter­rogation sur le mode d'être de l'homme et sur son rapport à l'impeosé. C'ost pourquoi la phénoménologie - même si elle s'est esquissée d'abord à travers l'antipsychologisme. ou plu­tôt dans la mesure même où, contre lui, cHe a rait resurgir ~e problème de l'a priori et le motif transccndantnl- n'a jamaIs pu conjurer l'insidieuse parenté, le voisina~ à la fois promeL­teur et menaçant, uvee les analyses empirique.,> sur l'homf!1ti c"est pourquoi aussi, tout en Il'inaUgurant pnr une réductloa
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    L',.ommt! Il' SMdoulMs 337 cogito elle ft toujoun été conduite Il des questions, il lG 8"elllion ~ntologique. ~OU5 nos yeux, le P!oj~t phénom6nolo: ~ ne cesse de so denouer en unc de.'!cnptlOn du vécu, qUI ~Ju:mpirique ~nlgrê ~lle, et une ontologie de l'imponsé qui met hors circUit la pnmauté ~u. c Jo pense 1. L'autre conséplCnce est posItive. Elle conceme le rap'p?rt. d l'homme à l'unpens6, ou plU! exactement leul' oPr.nrltlon . °melle dans la culture occidentale. On a facilement 1 impl'Cs­l~ on 'à partir du moment où l'homme siest constitué comme ~Ine ff,;ure positive 8ur le champ du savoir, le vieux privilège de la connai~saDce réfloxi,:e, de !a pens~ se ~~n~~t e1Jc-mêm~, ne pou,'oit manquer de dlsparaltre; malS qu 11 etmt pRr le rOlt m'I!me donné à u!,e pensée objec~Îve de parc,o,!r~r l'homme en 80n entier, - quItte li y découvr~r ce 9,w prccl~cment D~ pou­vait jamois être donné lBS ré1lexJon ru même à sa conscience: des mécBnÎl!mes sombres, des détenoinatioDS sans figure, tout un l'nysf:'ge d'o~re ~e dire~em~t o!, Îndirecle1!lcnt on a fll'Pclé l'mconsclent. L mconSClent n est-il pus ce qw se donne nêcossairement à la pensée scientifique que l'homme applique Il lui-même lorsqu'il cesse de se penser dans la forme de la réOexion? En fait, l'inconscient, et d'une façon générale 1cs fonnes de l'impensê o'ont pas êté ]0 r6compensc aller te à un savoir pOIlitif de l'homme. L'homme et l'impeDli6 sont, uu niveau archéologique, des contemporains. L'homme n'a pas pu le des5Îner comme une configuration dans l'dpisMma, sans que ). pensée ne découvre en m~me temps, li. la fois en soi et hors de soi, daos ses marges mais aussi bien entrecroisés aveo sa propre trame, une part. de nuit, une épaÏ!lseur apparemmont inerte où elle est. engagée, Un ÏJOpensé qu'elle contient de bout en bout, mais où aussi bien eUe se trouve prise. L'impensé (quel que soit le nom qu'on lui donne) n'est pas logé en l'homme comme une nature recroquevillée ou une histoire qui s'y scrait stratifiée, c'est, par rapport à l'homme, l'Autre: l'Autre fra­tomel et jumeau, né non pas de lui, ni en lui, mais à côté et ir 6m~me temps, ùans une identique nouveauté, dans une dua- .t SRDS recours. Cette plage obscure qu'on interprèle volon­tlllfS comme une région abyssale dans la nature de l'homme, o!, c?mme. une ~ortel'8S8e singulièrement cadenassée de sou ~toare, t!'1 est liée sur un tout autre mode; eUe lui est. à la 1~1I cxténeur~ et indispensable: un peu l'ombre portée de pa 0ë'de sur~~5ant dans le savoir; un peu la tache aveugle à pe r ~ e qU~l il est possible de le conuattre. En tout cas, l'im- 1'0 l1IIe a 8C":l li l'homme d'8ccompapement sourd et ininter­dor; J;t ~e~ws le JUXe l!i~c1e. Puisqu'" n'éta~ eu somme qu'un e Insistant, il n'a jamais éû rétlêchi pour lui-même Bur
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    338 Lu mof8et la COOIlB/J UD modo autonome; de ce dont il étalt l'Autre et l'umbre il a revu la forme complémentaire et le Dom inver!!é; il a ét.6 'l'An ~Wa en face du Für ~ich, dans la phénoménologie hégélienne' il 8 ~té l'Unbewus8t' pour Schopenl1auer; il a Hé l'homme Illiluê llour Marx; dana les anfllylles de Husserl, l'implicite, l'inactulll o sédimenté, le non-effectué : de toute façon, l'jnépuisahl~ doublure qui a'olYre au lavoir réfléclù COlllmll lu projection brouillée de ce qu'est l'homme eo Sil vériLIJ, mail qui joue ausai bien le rôle de fond préalable à partir duquel l'hommo doit. ae rassembler lui-même et. Be rappcler jusI!u'à IIll vérité. C'est. que ce double Il bei/u être proche, il est. étranger, et le r61e do la pensé", lion initiative propre, 8era de l'approcher BU plui près d'elle-rnême; t.oute la peDsée moderne est traversée pal' la loi de penser l'impeusé, - de réll~chir dans la forme d" Pour-soi lus contenus de l'En-soi, de déSllliéner l'homme en 10 réconciliant avec Ba propre essence, d'expliciter l'horizon qui donno aux expêrienees leur arrière-fond d'évidence immédillte et désannée, de lever le voile do l'Inconscient. de s'absorber dans BOn silence ou de tendre l'oreille vers Bon murmure ind6- fini. D8D9l'expérienee rnodeme,la possibilité d'instaurer l'homme dans un sa ... ·oir, la simple apparition de cette figure DouveUe dans le champ de l'~pütémè, impliquent un imp{:rati( qui hante la pensée de l'intérieur; peu importe qu'il lioit monuayé ~OUI les formes d'une morale, d'unt: politique, d'un humawsme. d'uD. devoir de prbe en charge du dllStin occidental, ou de la pure et simple cOJlllcieoce ù'accomplir dans l'histoire une tâche de fODctionnaire; l'esllenlie), c'est que la pOllHbe lIoit pour elle­meme et ùaoel'épaissour de son travail r. III fois savoir el moùi· fication de ce qu'elle sait, rlillexion et transformation du mode d'être de ce sur quoi eUe réOéchit. EUe fait aussitÔt bouger ce qu'elle touche: eUe De peut découvrir l'impensé, ou du moiDs aller ùans sa direction, sans l'approcher aussitÔt de soi, - ou peut-être encore sa ns J'éloigner, sans quel' être de l'homme, en tout cas, puisqu'il se déploie dans cette d Îstance, ne se trouve du fait même altéré. Il y a là quelque chose de (Irofondéme~t lié li. notre modernité: en dehors des morotle! religieus6S,l'Occl­dent n'a connu sans doute 'l'le deux fonnes d'éthiques: l'an­cienne (sous la forme du stotcisme ou de l'épicurisme) s'articu­lait Bur l'ordre du monde, et eD en décou.vrant la loi, ~Ue pouvait en déduire le principe d'u.ne 5agt:s~e ou unec:oneep?on de la cité: même la pel15ée politique ÙUXY lUe siècle appartleJl~ encore à cette forme séoéru)ej la moùerne en revlinche ne for· mul~ aucune moral" daus la mesurtl où tout wlpératif est lôg~ .1 l'intérieur de la penlée et de aon mouvement pOUl' resSBlSlt
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    339 l,u' opens~.. ,., c'est l.a ré'fle xion,1 c 'cat]a1 priae •d e Lco.n.s cience, •c 'ut l'61ucidotion du 8~lellCleUX, a paro ,6 reatit.uv~ u.. ce ,CJ)JJ est Jlue t • 10 vellue autour• de c•eUe• par•t d o•mbr•e qu I retire 1 homme• Il l 'même c'est U leanunatJon de 1 Inerte, c est tout cala qw Ult','tue ,; floi laul lQ contenu et 1. fonne de l'éthique. La COll!! ,.. .. d' • lI~e moderne n a lllm81a pu,. 1re vrin, proposer une rel ""le' mui.la raison n'en ell pa. qu'elle est pure spéculation; tmouu. t~ B.U coutr81•J '8, e1 1 e ellt. d' entrv.. e de 'le u, et. d ans S8 propJ'8 ê atÏascur un certain mode d".clion. Lai~sODS parler ceux CJUÏ ~citent l~ pensée llaort.ir de sa ntruite et la formuler sea choIX; luis80ns luire ceux qui veulent, hon de toule promesse et en l'Ilbsence de vertu, conBtituer une morale. Pour la pensée 1l1Oderne, il D'Y 8 pal de morale possible; car depUÏli le XIX· aiècle III pensée cst déjà 1 lortie 1 d'clle-mAme en SOIl être propre, eU. Diest plUB théorie; dès qu'elle ponlle, elle blll8l!e ou réconcilie, elle rapproche ou éloigne, elle rompt, elle dissocie, elle noue 011 renouei eUe nc peut .'empêcher de libérer et d'asllcrvÏ1'. Avant même do prescrire, d'esquisser un futur, de dire ce qu"i! faut 'aire, avant. même d"exhorter ou seulement d'alerter, lu pensée, lU ras de 60n existence, dès S8 forme la plu8 matinale, est. en elle-même une action. - un acte périlleux. Sude, Nietzsohe, Artaud et BIlt.1ÙlIe ront lU pour tous ceux qui voulaient l'jgno. rer; mais il est certain aussi que Hegel, Marx et Freud ]e lavajent. Peut-on dire que l'ignorent, en leur profonde niaiserie, ceux qui affirment qu'il n'y • point de philosophie sans chois: politique. que toute pensée tliit • progressiste» ou c réaction· naire -1 Leur sottise est de croire que toule pensée 1 exprime 1 l'idoo)ogie d"un6 cl&llse; leur involontaire profondeur, c'eat qu'ils montrent du doigt le mode d'être moderne de 1. pen· .h. A la superficie, on peut dire que la cOlUl8illllance de 1:~lommcJ à lu diJJêrence dOB Bciences deI. nature, est toujoun lIee, ~6me sous sa forme la plui indooise, ft des ét.hiques ou il dëa ~OLil.jques; plus fondamentalement, ]a r,ena6e moderne ."avaDe, ana cette direction où. l'Autre de 1 homme doit deveoir l, M~me que lui. VI. 1.8 RBCUL BT "B BBTOUR DB L'ORIGINB 1,. Le dernier trait qui caractérise lIa fois le mode d'être d, ODUne et la réOexi",n qui I"adrealie , lui, c'est le rapport ft qU~ 1 En"" lei deux, le I/Iument bnUm fl.IlL chllmière : c'e.ll. découverte "qui ':t'UJJet,1 el n ~lIt qu'li elt raJsoWlsble,le dUADIi Uul-w~me 511 propre 101 e 0 UIUVert;eUe.
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    340 l'origine. RapportLroe différent de celui que la pensée classi Ue o8suyait d'établir duns ses genèses idéales. Retrouvor l'ori~ne au xvm8 siècle, c'étnit se repInce!, au plus près du pur Cl simple redoublement de ln représentatlOn : on pensait l'économie à partir du troo, puree qu'en lui les deux représentations quo chacun des partenaires sc laisait de sa propriété ct de celle do l'autre, étaient équivalontes; offrant la satisfaction de deux désirs presque identiques; elles étaient, cn somme, c pareiUes. On pensnit l'ordre de la nature, avant t.oute catastrophe, comm~ un tablcRu où les êtres se seraient suivis dans un ordre si seM et sur une trame si continue, que d'un point b. l'autre de cet.~ 8uccession, on se serait déplae€! Il l'intériour d'une quasi-iden­tité, et. d'une ex.trémité à l'auLre on oUl'Qit été conduit par la nappe lisse du« pareil •• On pensait l'origino du langage, comme la transparence entre la représentation d'une chose et lareprê­aenlation du cri, du son, de la mimique (du langage d'actIon) qui l'accompagnait. Enfin l'origine de la connaissance étuit chercMe du côté de cette.suite pure de représentatioDS, - suite ai parfaite ct si linéaire que la scconde avait remplacé la pre­lDÏùro suns qu'on en prIt conscicnoo puisqu'elle ne luiétait.pas simultanée, qu'il n'était pns po~sible d'établir entre elle8 deux une diOérence, et qu'on ne pouvait éprouver la suivante autre­ment que Il poreille Il à la première; et c'est Beuloment.lorsqu·une sensotlon apparaissait, plus «pareille JI à une précédente 'JUe toutes les autre!!, que la réminiscence pouvait jouer, l'imagina­tion représenter à nouveau une repréiOentation et la connois­sance prendre pied en ce redoublement. Peu importait que cette nai8!lance tilt considérée conuoe fictive ou réeUe, qu'ello ait eu valeur .d'hypothèse explicat.ive ou d'événcmcnt histo­rique : à dire vrai ces distinct.ions n'exi8tent quo pOUl' nousi dan'll une pensée pour qui le développement chronologique 80 loge à J'intérieur d'un tabJeau, sur lequel il ne constitue qu'un parcours, le point de départ est b. la fois hors du temps réel, et on lui : il est ce pli premier pal' lequel tous les événement.s historiques peuvent avoir lieu. Dans la peruléo modame, unc telle origine n'est plus conr.e­vable : on a vu comment le travail, ]a -vie, le langage avaient acquis Jeur historicité J,roJlT'C, en laquelle ils étaient enConcé5 : ils ne pouvaient donc jamais énoncervéritab]ementleur origine, bien que toute leur histoire soit, de l'intérieur, &:Olnme pointée vers elle. Ce n'est plus l'origine qui donne lieu 1l1'hisloricil6; c'est l'historicité qui dans sa trame même laisse S8 profi1er ]11 néc68Sité d'unc origine qui lui serait à la {OiB interne et. étrou­gàre : comme le sommet virtuel d'un cône oia toutes les diffé­rences, toutes les dispersions, toutes les djllcontinuités seraient;
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    L'homme el BUdoubùs M1 rrées pour ne plus former qu'un point d'identité, l'impol­rell~ ie figuro du _Même, oyant pouvoir cependant d'éclater sur F, t. de dOVOlllr autre. aOL~Jj(llDme s'est. con~titué au début du XIX8 siècle en corréla­t' n oveo oCS historicités, avec toutes ces choses cnveloppées 10 ellcs-mômes et indillunnt, à travers leur Malement mais sunrr leurs lois propres, l'] 'd ent'lté m- 8CC6,';S ihl e d~ elur "orlg tDe. ~ourtant ce n'eBt pas sur le même mode que 1 homme a rap-téo rt à so~ origi~~, ~te~~ qu',en ~et~'ho~me !le 8& découvr~ que à une historlelte deJà ffute : 11 n est JamaIS contemporam de cette origine qui à traverlle temps des choses s'elquuse en Be dérobant; quand il etlliaie de se définir comme être vivant, il ne découvre 80n propre commencement que sur rond d'une vie qui elle-même a débuté bien ,av!,nt,lwi quand ,il essai" de se restioisir comme ~Lre au travail, 11 Il. en met au JOur les (ormes les plus rudimentaires qu'à l'intérieur d'un temps et d'un espace humains déjà. institutiolUUll.isés, déjà maltrisés par la société j et quand il essaie de définir son essence de sujet parlant, en deçà de toule ]angllo etreetivement consti~uéê, il ne trouve jamais que ]0 possibilité du langage déjà. déployée, et non pas ]e balbutiement, le premier mot à partir de quoi toutes Jes lan~es ct le langnge lui-même Bont devenus possibles, C'est touJours sur nn fond do déjk commencé que l'homme peut penser cc qui vaut pour lui comme origine, Celle-ci n'est donc pas du tout pour lui le commencement, - une sorte de premier matin de l'hinoire à partir duquel se seraient entassées les acqui~itions ultérieures, L'origine, c'est beaucoup plus tôt la Illunièrc dont l'homme en général, dont tout homme quel qu'il Boit, s'articule sur le déjà cOIDDlencé du travail, de la vie et du lungage; elle est à chercher dans ce pli où l'homme travaille en toute naïveté un monde ounagê depuis des millénaires, vit dlillS la fratcheur de Ion existence unique, récente et précaire, u~e vie qui s'emonee jusqu'aux premières formations orga­niques, ,compose en phrases jamais encore dites (même si des géné~tlOns les ont répétées) des mots plus vieux que toute mémOIre, En ce sens le. niveau de l'originaire est sans doute pour l'homme ce qui est le plus proche de lui: cette surface ql1'il tarcourt innocemment, toujours pour la première fois, et sur ,aquelle scs yeux à puine ouverts d6couvrent des figu.res aussi le1.1nes que sou regard, - des figures qui pas plus que lui ne peUvent avoir d'âbre, mais pour une l'oison inversa: ce n'est pas parce 'JU'elles liont toujours aussi teunes, c'est parce qu'clles appartiennent à un temps qui n'a ru les mêmes mesures ni les :!~es fOl·~dements que lui. Mais cette mince surface de l'ori- Dire qui longe toute notre existence et ne lui fait jamais
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    342 défaut. (paamême, surtout pns .l'im!tant. de la mort où eU. Be découvre au contraire comme Il nu) n'est. pas l'immédiat d'une naissance; elle est toute peupléo de ces médiations comploxes qu'ont iorroées et. déposées dans leur bistoire propre le travail la vie et le langage; de 80rte qu'en ce simple contact, dÙ!I I~ premier objet mauipulé, dèala manifestation du besoin le plll!! simple, à l'envol du mot. le plus neutre, ce sont tous les inter­mé, liai1'tls d'un temps qui le domine presque Il l'infini, «fUe l'homme sans le savoir ranime. Sans le savoir, mais il faut. bien que cela Boit. BI1 d'une certaine manière, puisque c"est par III que les hommes 8nt.rent. eo cOlDIDunication et se trouvent. dlUlS Je réseau déjà nou6 do lu compréhension. Et. pourtant. ce savoir e.'1t limité, diagonal, pnrLiol puiHqu'il est. entouré de toutll8 parts d'une immense ~gion d'ombr8 où le t.r!,~ail, la vie et. 10 lnngage eschent. leur vérité (et leur propre orJglDe) r& ceux mêmes qui parlent., qui existent et qui sont à l'ouvrage. L'originaire, tel que depuis la PlI8nomdlWlogio de rEspm, la pensée moderne n'a cessé de le décrire, est donc billu diffé­rent de cette genèlle idéale qu'avait tent6 de reconstituer l'Age classique; mais il est différent aUB5i (bien qu'il lui soit lié lIelon une corrélatioD fondamentale) de l"origin8 9.ui se dessine, duos une sorte d'au-delà ri:trospectil, à travers l'historicité des êtrello Loin de reoonduire, ou même seulement de pointer vera un 8Ommet, réel ou virtu"l, d'identité, loin d'indiquer le moment du Même où la dispel'tiion de l'Autre n'a point encore jou6, l'originaire en l'homme, c'est ce qui d'entrée de jeu l"articule Bur autre chose que lui-même; c'est ce qui introduit dans son expérience des contenus et dlls formes plus anciens que lui et qu'il ne mattrise pas; c'eBt ce qui, eD le liant à dlls chronologies multiplr.s, entrecrois6es, irréductibles souvent les UDes aux autTes, le disperse à travers le temps et. l'étoile au Illilieu de la durée des chOSeB. Paradoxalement, l'originaire, en l'homme, D'annonce pas le temps de SB naissance, ni le 1l0)'liU le plu» ancien de BOn expérience: il le lie à ce qui nia pas le mêwe temps que lui; et. il délivre en lui tout co qui ne lui est pus contem­poraio; il indique sans cesse et dans une prolifératIon toujours renouvelée que les choses ont commencé bien avant lui, el que pour cot.te même raison, nul ne saurait, à lui dont l'expérience est tout entière eonstituée et bornée par cel chose8, atilligner d'origine. Or cette ÏDlpQlIliibilité a eUe-même deux aspectlJ: elle eigni6e d'una part que l'origine de5 choses est toujours reculée, puisqu'eUe l'Cmonte à. un calendrier où l'homme ne figure pal; mais elle signifie d'autre part que l'homme, par oppositiol1. ll ces choses dont. le tomplllaisl:le apercevoir III naissance seint!l; Jante dana Bon épaissllur. 81t l'être &ans origine, çelui • qUI
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    L'/w.".. st lUdore"," 343 , ni patrie ni date., celui donL la uaÏIIS8Dce n'esL jamais Da 88,ible parce que jamaill elle n'a eu c lieu •• Ce qui s'annonce .:. l'immédiat de l'originaire, c'esL donc que l'homme est ~6pari de l'ori~l}e qui le rundrait. co~l.6m'por-din du lia propre xillt..ence : parmi toutes loe chO!ltIB qul n8JS!lent dans le tamils :, y meurent sans doute, il ost, séparé de toute origine, déjà là. Si bien que c'est en lui que les choses (celles-là même qU} le surplombenL) trouvont.loUl' commencement : plutôt que. Cica­trice manIuée en un Instant quelconque de la durée, il est l'ouverture à part~ d~ laquelle le temps en ~énéral peut se recoDstit.uer, la duree s écouler, et les choses faire, au moment qui leur est propre, leur apparition. Si dans l'ordre empirique 1.,. choses 60nt toujours reculées pour lui, insaisissables en leur point zéro, l'homme se trouve fondamentalement en recul par rapport Il ce recul des choses eL .. 'es, par là qu'elles peuvent. lUI' l'immédiat de l'expérience origwail'e, faire peser leUl' solide antériorité. Unc tache 88 donne alors Il la pensée : celle de contester l'origine des choSD8, maïa de la contester pour la fonder, en retrouvant le mode lIur lequel B8 constit.ue la possibilité du temps, - cette origine BaDS origine ni commencement la part.ir de quoi tout peut prendre naissance. Une pareille tache implique que soit mis en question tout ce qui a~artient au temps, t.out ce qui s'cst. formé cn lui, tout ce qul loge dans son élémont mobile, de manière qu'apparaisse la déchirure SBDS chronologie e' BlIns histoire d'où provient le temps. CeLm-cl alon serait suspendu dans cette pensée qui pourtant ne lui échappe pas puillCJu'ellc n'est jamais contemporaine de l'origine; mais ce suspens Burait.le pouvoir de faire basculer ce rapport. réciproque dIS l'origine et de la pensée; il pivoterait autour de lui-même et l'origine devenant ce que la penllée a encore à penser, et. toujours ~tI nouveau, elle lui aorait promise dans une imminence tou­JOurs plus proche, jamaÏ8 accomplie. L'origine est alors ce qui ilt en train de revenir, la rép6t.ition vers laquelle va la pensée, ~ rutour ~e ce qui a toujours déjà commoncé, la proxiuiité d !,ne.lu!'l~ère qui de toUII temps a êclair6. A!nsi, UDe ~roi8iëme fOl8, 1 onglne se profile il travers le temps; mBIS cette loIS c'est le ~ecÜI dans l'avenir, l'injonction que la pensée reçoit et se fait e e-même, d'avancer à pas de colombe vers ce qui n'a cessé ~e la rendre ~ossible, de guetter devant soi, sur la ligne, tou­~~~ e]n retmt, de son horizon, le jour d'où elle est venue et ou e le vient li profusion. h ~u moment même oil il lui 6tait possible de dénoncer comme i lIIlèr~ 1es genèses décrites au XVUle siècle, la pensée moderne nstaurtnt une problématique d.l'origine fort complexe e~ fort
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    encbevêtr6e; cotte problématiquea servi de fondement à nolm expérience du temps et c'est à partir d'elle que, depuis le XIX· siècle, 80nt né os toules les tentatives pour ressaisir ce que pouvaient être dans l'ordre humain, le commencement et. le recommencement, l'éloignement et la présence du début le retour et]a fin. La poru;ée moderne en efTet a établi un rapl:on à l'origine qui litait inverse pOUl' l'honune et pOUl' les choliln • elle autorisait ainsi - mais d6jouait à l'avuce et gardllit e~ face d'aux tout son pOl1voir do contestation -les ellorts positi­vistes pour insércr la chronologie de l'holDme à l'intérieur de cuUe dus ch,n;es, de manière que l'unit.6 du temps lIoit restaurée et que l'origine de l'homme ne fllt rien de plWl qu'une date, qu'un pli dans. la série l:lucC8!1sive des êtres (placer cet.te origine, et aveo eUe l'aPI,ar.it.ioD de la culture, l'aurore des oivilisutions dans le mouvement de l'évolution biologique)j eUe autorisait aUilai l'etTort invcrse et complémentaire ~our aligner 8010n la chro­nologie dB l'homme l'expérience qu'i] a des Ch0808, los connai .. 80nces qu'il en a prises, 1811 sciences qu'il a JIU ainsi con!JLituBr (de sorte que si tous les commencements de l'homme ont leur lieu dans ]e temps dos obo8es, le temps individuel ou culturel de l'homme perIDot, 8D une gunèse psychologique ou histo­rique, de définir le moment 011 les choses rencontrent pour la première fois le visage de leur vérité); en chacun de ces doux alignements, l'origine des choses et celle de l'homme so subor­donnent l'une Il l'outre; mais le seul fait qu'il y ait deux ali­gllements possibles et irréconciliables indique l'asymétrie fon­dllJucntale qui caractérise la pensée modeme de l'origine. ne phl!, ceLte pensée fait venir en une dernière lumière et comme daus un joUI' essentiellement réticent, une certaine couche de l'originllire où nulle origineJ Il vrai dire,n'était présente,nwis ollIe temps, tians commencement, de l'homwe manifestait pour uno mémoire pDijllible le temps saos souvenir des choses; de 111 une double tentation : psycbologiser toute cODIIBis!I8nce, qllello ql1'eUe soit, et faire de la psychologie uno sorte de science généralo du toutes les sciences; ou inversement décrire ceUe couc)le originairu dallB un alyle qui échappe à tout pOtiitivi5D1e de manière qu'ou puisse 11 partir de là mquiétor la positivité de toute science et revendiquer contre elle le earactère fonda­mental, incontournable de eetLe expél'ience. Mais on se donnant pour tàcllC de restituer le domaÎ11e de l'originaire, la pensée moderne y découvre austiitôt le recul de l'origino; et elle se propose paradoxnlement d'avancer daus la direction où ce re~ul .'accomplit et ne cesse do s'approfondir; eUe essaie de le f~lre apparattre dl l'autre côt6 de l'axpér.ience, comme ce qUI la loutient par SOD retrait même, comme ce qui est au plus proche
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    345 d apoiltlibilit6]a plus visible, comme ce qui est, en elle, immi-e It. et li le recul de l'origine se donne ainsi dan, sa plua DeD de olBrtl:, n'Mt-ce pas l'origino elle-même qui elt délivréo ~;"'onlll jUllqu'à soi dans la dynastie de SOD archal,me? C'est e ai la pensée modeme est vouée, de fond en comble, à la ~ur:le préoccupation du retour, au sOlJci de recommencer, à eHe étrange inquié1.ude sur place qui la met en devoir de ~ Hel' la répétition. Ainsi de Hegel à Marx el à Spengler s'est dfr,loy6 le .thème d:uno ~e!lSl:e qui p'a~ le.mounme,nt où e~le -'8ccomI,lit - totahté reJomte, resS8I~le Violente à 1 extrémlt.6 ~u dénull/lumt, déclin !!olaire - se courbe SUl' elle-même, illu­lIline S8 propre pl,'mitude, achève son cercle, se retrouve dans toutes lot; ligures étranges de son odyssée, et accepte de dispa­ruÎtre en ce mùme océan d'où elle avait jailli; à l'opposé de ce retour qui même s'il n'c~t pRS heure'lx est porfait. se dessine l'cxpêriellee do Hôldcrlin. de Nietzsche et de Heidegger, où le retour ne se donne que dans l'extrême r~cul de l'origine -là mi les dieux Ile liant dëtoumés, où ]e désert troit, où la 't~ n instalU, la domination de sa yolonté; d8 sorte qu'il ne 8 agit point. là d'un achèvement ni d'une courbe. mais plutôt de cette déchirure iJlcetlsaote qui délivre l'origine dans ln mesure m~m~ de lion retrait; l'extrême est alors le plus proche, Mais, que cette couche de l'oribrÎDairc, découverte par la pensée moderne dans le mouvement même où elle a inventé l'homme, promette l'échi:aoce de l'accomplissement et des pléoitudes achevées, ou restitue le viùu du l'originu - cului ménagé par lion recul et celui que croule son approche - de toute façon, ce qu'elle pres­crit de polltier, c'est quelque chose comme le & Même. : à tr<l­vers le domaine de l'originaire qui art.icule l'expêrience hwnaine Bur ]0 temps de la nature et do la yie, sur l'histoire, sur le passé sédimenté des cultures, la pensée moderne s'offorce ùe retrou­Yer l'honune en son identité - en cette plénitude 011. en ce r!c!l qu·i~.est lui-môme -, l'histoire et le temps en cetto râpé­tl~ llOn qu il!! rendent impossible mois qu'ils forcent li. penser, ct être en cela même qu'il est. ~l pnr là, dan~ cette t;Acbe infinie do penser l'origine nu plus pres et au plUlllum de SOl, la pensée découvre-que l'homme n'est pHS .contemporain de ce qui le fail être, - ou de ce li. partir de q~Ol il est; mais qu'il est pris à l'inl.êrieur d'un pouvoir qui le ~'SI'61'8e, ~e re~ire loin d8 sa propre origine, mais la lUl promet lUIS ~e ~lDcnce qui sera peut-être toujours dérobée; or, ce rOUvo}r .ne lw est pas étranger; il ne siège pas hors de lui dans ~ I~emlé des origines éternelles el sans cesse recommencées, cel . :ilS l'origine serait eiJectivement donnée; ce pouvoir est Ul e son, être propre. Le temps _ mais ce temps qu'il est
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    346 lui·même -l'écarteaussi bien du motin dont Il est i~,u que de celui qui lui est annoncé. On voit combien ce temps fondamllll­tal - cu temps à partir duquel le temps peut être donné à l'expérience - est dilTi!l'ent de celui qui jouait c.llllls la phi. losophie de la représentation : ]e temps alors disJ1er~nit III rcpré!;entatioii puisqu'il lui imposait la forme d'Wlc succossioD linéairej mais il appartenait à la représentation de lie resti. tuer à elle·mr,me dans l'imaginatioD, du se redoubler ainsi parraitement et de mattriser le temps; l'image permettait de reprendre le temps intégralement, de ressaisir ce qui avait ét~ concédé à la BUCCfll'l.'1ion, et do bâtir un savoir aUllsi vrai que celui d'un entendement éternel. Dans l'expérionce moderne au contraire, le retrait de l'origine est plus rondamentnl que toute expérience, puisque c'est en elle que l'expnrionce sein· tille et manifeste sa positivité; c'est parce que l'homrn~ n'est pas contemporain de lion être que les ehos&..'1 viennent ~e donner ane Wl temps qui leur est propre. bot on retrouve ici le thème initial de la finitude. Mais cette finitud" .JUi était d'abord annon· cée par Je surplomb des choses sur l'hoDame - par le fait qu'il était dominé par la vie, par l'histoire, par le langage -appa· raît maintenaDt à un Diveau plus fondamental : elle est 1" rapport ÏJlsunnontable de l'être de l'homme au temps. Aim;i en redécouvrant]a finitude dans l'interrognlionde l'ori· gine, la pans6e moderne referme le grand quadrilatère qu'elle p commencé à deflsiner lorsque toute l'iputémè occidentale :1 basculé ft Ja fin du xyme siècle : le lien des positivitts à ]n :finitude, le redoublement de l'empirique dans le transcendantal, Je rapport perpétuel du cogito il l'impensé, le retrait et ]e retour de l'origine définissent pour nous le mode d'être do l'homme. C'est sur l'analyse do ce mode d'~treJ et non plus sur celle de la représentation que depuis le xrx8 siècle la réflexion cherclll" à fouder philosophiquement ln possibilité dIt snvoir. vu. J.B DISCOURS ET L'tTBB DE L'nOMME On peut remarquer que ees quatre segments théoriques (ana· lyses de )a finitude, de la répétition empirico.t.ramcendantale, de l'impensé et de l'origine) entretiennont un certain rapport avec les quatre domaines subordonnés, qui, tous ensemble, constituaient à 1'~poqU6 classique la théorie générale du lan­gage 1. Rapport qui ost, ou premier regard de restiemblonce l'!t 1. Cf. 8upra. p. 131.
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    L'homme et 8Udoublu ! étrio, On Sft souviont que la théorie du Pero. expli­d: aiicommonl le InDWI~e pouvait duhorder hors ~e lui-~êrne ~, .. lIirlllcr l'être, - CClll duos un, mo~'ement. qU! a~~ul'8lt on tour l'I~tre même du Inngnge, p'uisqu il ne pOUVRIt. 6 mstaurer :~ ouvrir 501& e!lpace que là 01'1 al Y avait. déjà, DU moins 80US 1 ne forme t'I!crète, le verbo 1 être li; l'anlllyse de la (ini.tutùJ ~xplillllC do la mème façon comment l'être de l'homme se trouve dlil.r.rrbiné par des po!litivitês qui lui sont. extll~eures ct qui le lient il l'upaisllcur des choses, mai." comment en retour 1)'08t. l'être fini qui donne il toute détermination ]a po!lsibilité d'Ilpparnttl'c dans 611 vérité posit.ive. Tandis que la théorie de 1'.jrtieliWion momrait de quelle manière pouvait se faire d'un Stlul t.enallt ln découpe dol' mou et des choses qu'ils représen­ttlnt, J'anlllyso du rdtlo"b~ment empirico-'ransoerulantal mOlltre t.'omment !Ill corre!'IlOodl'lnt. on une oscilla Lion indéfinie ce qui eBt dunné dAn!! l'expr-riBollB et 00 qw rend l'expérience pO!isible. La recherr.lll~ nl1!! d;,siiRIJtiOnA prcmiill'l'ls du langage (aisuit jaillir, 311 coeur le plu!! ~ile'16iellx des mots, da.,> syllnbn.", des SODS oux­mt me!', lIne 1'f:p~('ntut.ion cn sommeil qui en formRit comme l'l1me ouhli"" (ct qu'il fallait. faiM revenir 8U jour, foire parler el. chall1er de nom'cau, pour une l'lus grande juste.clse de 1. I,ensée, pour lin plus merveilleux pouvoir de la J1o~n"ie); c'est slIr lin mode unalngue 'I"e pour la réflexion moderne l'épRis­,; eur inerte de l'iml'en3é est toujours habitée d'une certaine mAnière rar un cogil.o, et que cette pcnllée assoupie dans ce qui n'e~t pas pen~ée, il fHllt l'animer 11. nOllvcau et la tendre daos )R ~o ... veraillel.é du <II je Jlense Il. Enfin, il y avait. dans la réflexion clA~slque sur I~ langage une t.hllorie de la t16rivation: ello mOIl­traIt eO,"11I01lt le langttgu, dès Jo début. de son hifitoire et peut­être dallS l·j~,~la."l cie Ron origioB, 8U l'0intmllmooi! il se met.Lait. li l'arler, glll'Salt dllu~ l'lin I!ropre espnllO, tournait lIur lui­bJrm. e ell l'~ délourmmt de sn rcpré.~enlRt.ion premiilro et ne 11O~:nt ses mot.~, m/'!mu ]cs rlll~ nMiens, 'lue déployés déjà tout 811 101l!.:' des figures dc ln rhétorique; à cette analyse cor­rL::; J1o~d J'clIort J'onT pen."er une origine qui Mt toujours déjà cJ,",rllhl~p., l'our lS'av;R('.er clnns cette direct.ion où l'être del'homma l'~t. ,tfllJjOlUS tunu l'or rnpJlort à lili-même, daosl1n éloignement "l, I~) lJUIJ di~tflnce qlli le cOI1!!tituent. 1 Mrnl~ ce jcu db correllpnlld'lIlct'!S ne doit pas faire i]lusion. Il le uut p .... l'n· l' 1 l' .1 d' , ; ... Ii Ulglner 'lllt' una y56 c a!SMf}ue uU ISCOUrs s"'llt PUlIl'!llUVle ~. D" d'li . ] â ' ü 1 . "a ~ mo '1(;at'OI1 à travers es .... ~ Cil S apI' quant SI'IJ enteut fi 1 l' .,.- hl' t " • un nouve 0 )Jet; q Ile ln rorce de quel'l'le pesaDteur lif)~1 ItOi I~'I'" l.I.e ' l" 8 " • lnflmtelllie en son ulenulc, malgré tant de mu la-u' • OI~IIIIlS. En fait, lus qUlltro sULYlDcnls Lhéorj(lucs qw des- ~1/'iUl:llll'· d 0 elop(jce e la grammaire générale no 88 sont pail come ....
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    348 u. motsee 188 ohos" "és : mois ils sc lIoni dissociês, ils ont cbang6 de fonction et do niveau, il!! ont modifié tout leur domaine de validité lorsqu'à ]a fm du xvm8 siècle la théorie de la repr6sentntion Il disparu Pendant l'âge classique ]a grammaire générale avait pou; fonction de montrer comment à l'intérieur de la chaine 8ue. cessive des représentations pouvait s'introduire un langage qui tout. eu se manifestant dans ]a ligne simple et absolument t~nu~ du discours, supposait des formes de simultanéité (ailinnatioll des exi~tcnce6 et des coexistences; découpe des choses reprë. senlées et formation dei généralités; rapport originaire et. mef. fuçable des mots et des Ch06eSj déplacement des mols dons Jeur espace rhétorique). Au contraire l'analyse du mode d'être de l'homme telle qu'elle s'est développée depuili le XJ",e siècle ne se loge ros li. l'intérieur d'une théorie de la repr~8entationi sa tâche, 0 ost tout au contraire de montrer comment il se pout que les choges en g6néral 80ient donn6es 11 la l'eprllsentution, à quelles conditions, SUI' quel sol, dans quelles limites eUes peuvent apparattre en une positivité plus profondo que ]ca modes divers de la perception; et CIl qui 86 découvre alors, dans cette coexis­tence de l'homme ct des choses, li. travers le grand déploiement spatial qu'ouvre la représentation, c'est la finitude radicale de l'homme,ln di~persionqui àla fois l'écarte de l'origine etlalni promet, la distance incontournable du temps. L'anulytique do J'hoDWle ne reprend pas, teUe qu'elle a été constituée ailleurs ct que la tradition la lui a livrêe, l'analyse du discours. La pré­lence ou l'absence d'une théorie de la représentation, plU!! exactement 1., çaractère premier Ou la position dérivée de cette théorie modifie de Iond en comble l'équilibre du système. Tant que ln représentation va de soi, comme élément général de ]a pensée, la tMorio du discours vaut à la IoÏti, et dans un seul mouvement, comme fondement de touto grammuire possible ct comme théorie do ]a connaissance. :Mais dès que disputait le primnt de la représentation, alors ]a théorie du discours se dissocie, et on peut en rencontrer la forme désincarnée et méta­morphosée 11 deux niveaux. Au niveau empirique, lell quatro segments constitutirs se retrouvent, mois la fonction qu'ils exerçaient est entièrement inversée 1. : là où on analysait 10 privilège du verbe, son pouvoir de faire sortir 16 discours do lui·m~me et oe l'enraciner dans l'être de la représentation. on ~ substitué l'analyse d'une structure grammaticalo interne qUl est immanente à chaque langue et la con"titue comme un.ètrO autonome, alors sur lui-même; de même la théorie des Jlwaons , ]a recherche des loil de mutation propre aux mots remplacent 1. cr. 'Dpra, p. 308.
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    L'homme 8t ~urloublu 349 , 1 se de l'artjculation commune aux mot. et aux choses; ~ '~lorie du radical s'est substituée à l'analyse do ]0 racine • rÛlientllLivei enfin on a découvert la parenté latérale des JrtlP 'l'es III où on cherchoit la continuité sans Û'ontière des déri- IiDg· . • • r . . d votiODS. En d'autres termes tout ce qw avaIt onetl?nne aos la dimension du rapport entre Jcs choses (teUes qu ell~s sont repréllenwilti) et les mola (aveo Itlur valeur reprâentatlve) se trouve reprill à l'intérieur du langllge et. chargé d'aS!urer sa légillité inLerne. Au niveau dBS fondementl, les quatre segments de la th60rie du disco1!rs se retrouvent. e~core : conuue à râge cl1l8sique, ils lervent hlen, en cet.te analytique nouv~Ue de 1 èt.::e humain, li manifester le rapport aux choses; maJS ceUe (OJS la modilication est inverse de la précëdent.8; il ne s'agit plus de les replacer dans un espace intérieul' au langage, maia de la libérer du dOinaine de la représentation fll'intérioW' duquel ils étaient pris, et de les faire jouer dans cette dimension de l'extériorité où l'homme apparalt comme fini, déterminé, engAgé dons l'épaislleur de ce qu'il ne pense pas et soumis, en Ion être même, Il la dispersion du temps. L'analY80 clallSique du discours, Il partir du moment oà elle n'était plus on continuité avec une théorie de la représen­tation, s'ost trouvée comme fendue en deux: elle s'est, d'une part, investie dans UI1e conna!88&Dce empirique des fonnes grammaticalcs; et elle est. devonue, d'autre part, une ana­lytique de la finitude; mais aucune de ces deux translations n'a pu s'opérer sans une inv81'8ion totale du (onctionnement. On peut comprendre maintenant, et jusqu'à IOn (ond, l'in· compatibilité ~i rllgne entre l'existence du discours clàuique (1I1'?u>:ée sur 1 évi,dence non questionnée dola représentation) et. 18x1I;tence de 1 homme, teUe qu'elle est donnée à la pomée muder.ue (et avec la réOexion anthropologique qu'eUe auloris!) : q~el'luechosecommeuneanalytiqlledurnoded'dt.redol'homme n est devenue possible qu'une fois dissociée, transférée ot inver­aoe l'analyse du discours représentatif. On devine aussi par là que!le lDeD8CO fait peser sur l'être de l'homme ainsi dé6ni et sose, la l'~uppnrition contemporaine du laDgag~ dans l'énigmo e son umté et de son être. Est.-ce que notre tâche à venir est de :?US avancer vers un mode de pensée. inconnu jusqu'à ~résent d ~ns a<!lre. culture, et qui permettrait. de rélléchir à la fOIS, !lBas ) IllconbawLê ni contradiction, l'être de l'homme et l'être du Jl~;~g~? - ct dans ce cas. il faut cunjurer, avec les plus grandes ai ue ~ 100:', ~ut ce qui peut êLre retour naIt Il la théorie clas­es1 d'a ~d iscours (l'ctour dont la tentation, il laut. bien le dire, peaaer ~'ê:t ph~ ~nde qu.e nous sommes bien désarmés pour nt BCUllillanL lIUU5 abrupt du langage, alors que la
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    350 vieille théoriede la représentation est là, toute constituée qui noull offre un lieu où cet être pourra se loger et Be di!!souche en un pur fonctionnement). Mois il se peut aussi que soit àjamnia exclu le droit de penser à la fois l'être du langa~ et l'être de l'homme; il se peut qu'il y ait là comme une inefTaçable béance (celle en laquelle justement nous existons et nous parlons) si bien qu'il faudrait renvoyer aux chimères toute anthropoldgie où il serait question de l'être du langage, toute conception du langage ou de la signification qui voudrait rejohldre, mani­fester et lib6rer l'être propre de l'homme. C'est P.,ut·~tre là que s'enracine le choix philosophique Je Illu& important do nolre êf.0que. Choix qui ne peut se {aire que danl! l'épreuve même d une réflexion future. CIU' rien ne peut nous dire à l'avanc:e de quel côt.6 la voie est ouverte. La seule chose que nous sochions pour l'instant en toute certitude, c'est que jamais duns la culture occidentale l'êt.re de l'homme et l'être du langngo n'ont pu coexister et s'al'lieuler l'un SUl' l'autre. Leur incompn­tibilité a été un des traits fondamentaux: de notre pensée. La mutation de l'analyse du Discours en une analytique dela finitude a cependant une autre con~équence. La théorie clas­sique du eibrne et du mot devait montrer comment les repré­sentations, qui se suivaient en ulle chaine si étroite ct si serrëe '1"0 los distinctions n'y apparaiuaient pas et qu'ellcs étaient en Homme toutes pareilles, pouvaient .'étaler en un tableau permanent do dilIérences stables et d'identités limitées j il s'agis­sait d'une genèse de la Différence à partir de la monotonia secrètement variée du Pareil. L'analytique de la finitude ft UB rôle exactement invor8e : on montrant que l'homme est déter­miné, il s'agit pour elle de manirester que le fondement de CIlS déterminations, c'est l'être mômo do l'homme en ses limites radicales; elle doit manifester aWlsi qllO los contenus de l'expé­rience sont déjà leuTS propres conditions, que la pamée hanle par avance l'impensé qui leur échappe et qu'clle est toujours en tâche de ressaisir; elle montre comment cette origine dpl.IL l'homme n'est jamais le contemporain, lui est il lu fois n:tlreo ot donnée sur Je mode de l'imminence: bref, il s'agit tOllJOU~ pour elle de montrer comment l'Autre, Je Lointain est a~~1 bien 10 plus Proche et le Même. On est ainsi pn~sé d'IIDe réfleXIon sur l'OMO dos Dilférences (avec l'analyse qu'clle tlUPPOSO et cotte ontologie du continu, ceUe exigence d'un ètre pleul, !!811' rupture, d6ployê en sa perfection qui supposent une métaphy· sique) à une pen.<;oe du Même, toujoUl'li à conquérir sur 50.0 contradictoire: ce qui implique (outre l'éthique dont 00 a ~RJ'ltl) une dialectique et cette forme d'ontologie, qui pour n'avoIr pus besoin dll continu, l'our n'avoir il réfléchir J'être q1le dmls ses
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    351 r Cdlimitées ou dans l'éloignement de lia distance, peut et 0'1'1t1 se.. assor de me• taph ys'lq uO, Un 'Je u d1' 81 e ctl•q ue et une onto-dl 01, I!a~s métaphysique s'appellent et se répondent l'un l'autre lia gtIroa vers la pense. c.l!'0 de ~e et tout. au ] ong de son, h"1 !I~Olre.: r clle est une pensee qUI ne va plus vers la formatIon lamaIs :bovée de la DifIérence, mais vers. le dévoilement toujou:-s à accomplir du Mê~e, Or, un tel dévoilement n~ va pas S~D~ l ~p-nrition simultanee du Double, et cet écart, 1I16me maIs 1I1Vln­~ il,le 'lui réside dans 1" « et Il du recul et du retour, de la pensée et de'l'impensé, de l'empirique et du traDScendantal, de ce qui ~6t de 1'ordre de la positivité et de ce qui est de l'ordre des fonde­ments. L'identit.6 séparée d'elle-même daDli UIle distance qui lui est, en un sens, intérieure, mais en Wl autre ]a const.ituo, la répétition qui don De l'identique mais dans la forme do l'éloi­gnement sont tlaDS doute au coeur de cette pensée moderne à. 1011ue11e on prête hAtivement la découverte du temps. En Cait, si on regarde avec un pau plU8 d'attention, on s'aperçoit que III pensée classique rapportait 10. p098ibilité de spatialiser les choses en un tableau, il cette propriété de ]0. pure succession représentative de se l'appeler ft partir de soi, de se redoubler et de constituer une simultan6ité il partir d'un temps continu: le temps fondait l'espace. Dans la pensée moderne, ce qui se révèle au fondement de l'histoÏ1'e des choses et de l'historicité propre Il l"homme, c'est )a distance creU8ant le Même, c'est l'écart qui ]e dispe1"!!e et le rassemble aux deux bouts de lui· même, C'est cette profonde spatialité qui permet à la pensée moderne dcpensertoujours]e temps,-de]e connaître comme succession, de se le promettre comme achèvement, origine ou retour. VIII. LB 8011111181L .A.NTBROPOI.OGIQUB Il L'anthropologie comme analytique de l"homme a eu, à coup i:' un rôle constituant duns la pensée moderne pu isque pour une d hUe part encore nous n'en sommes pas détachés. EUe était eV~nue nécessaire Il portir du moment où la représentation aVQlt perdu le pouvl)ir de déterminer à elle seule et dans un ii~:ne'!lent uniquo ]e jeu de ses synthèses et de Iles analyses. u :ut que les synthèses empiriques fussent assurées ailleurs '1 e daus la souveraineté du 1 Je pense 1. EUes devaient ê1ro
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    352 re-IuisclI lb.où pr~oisément ceUe sOllvorainoté trouve III limite c'est-b.-dire dans III finit.ude do l'homme, - finitude 'lUi es~ autllü hion celle de la conscicnco quo celle do l'individu viVlUlt parlant, travaillant. Cola, Kant l'avait déjà fonnulé doru l' LOlliqr4~ lorllqu'il.ovait njout~ Il 50 ~rilogie. ~raditillnllclle un: ultIme mterrogutlon : les trOIs questions cntll}ues (quo puis'je lavoir? que dois-je laire? que m'est·il perDUI d'ellpérer?) ltI trouvent. nlors rnpportées à une quatri~me, et misel eo quelquo sorte' à Bon comptel: WtU ü& der MdlUc1& 1; Cette question, on l'a vu, parcourt la pensée depuis le début du Xlxe siècle : c'~st qu'elle opère, en sous-main et par avance, la eonru~ion de l'empirique et du transcendantal dODt Kant avait pourtant montré le partage. Par elle, une réflexion de niveau mixte S'811t constituée qui caractérise la philosophie moderne. Le souci qu'elle a de l'homme et qu'elle rovendlqt1e non seulement dans ses discours mais daus Bon pathos, 10 loin avec le({uel eUe tente de le défiuir comme être vivant, individu au travail ou lujet Jlarlant, ne lignaient que pour les belles Ames l'année enfin revenue d'un règne humain; en fait, il l'agit, et c'est plul }ll'O!laique et o'65t DIOinS moral, d'un redou­blement ompirico-critique par lequel on e88Bie de faire valoir l'homme de la nature, de l'échange, ou du discours comme le fowlemeut de 8a proprc finitude. En ce Pli, III Conction tmnscen­dantale vient recouvrir de Bon réseau impérieux l'espace inerte et gris de l'cmpiricitéj inversement, les contenus empiri'lllet l'animent, se redressent peu Il peu, S6 mettent debout et sont. Illbsllmés aussitÔt dans un discours qui porte au loin leur pré· lomption transeendnntale. Et voilà qu'en ce Pli la philosophie l'cst endormie d'un !IOmmeil nouveau; non plus celui du Dogma­tisme, mais celui de l'Anthropologie. Toute connai!Sance empi­rique, pourvu qu'elle concerne l'homme, vaut comme champ philosophique possible, où doit se découvrir le Eondement do la connaissance, ]a défmition de ses limites et finalement la vé~iLQ de touLe vérité. La configuration anthropologique de la phil!, lophie moderrl6 consiste k dédoubler le dogmatisme, à le réparlJt à deux niveaux dilIérenb! qui l'appuieut l'un sur l'autre et se bornent. l'wa par l'autre : l'analyse précritique de ce qu'et! l'homme en son essellce devient. l'analytique de tout ce qw peut 86 donner en gén6ral à l'expêrieuce del'howme. , POUl'réveiUcr III penllée d'un telsommeil-si pro(ond qu eUe l'éprouve paradoxalement comme vigilancc, taut eUe conrund la cil'Clllarité d'un dOgrDntisme Ile dédoublant pour trouve! ~ lui·même son propre appui aveo l'agilité et l'inquiétude dun- 1. Kant, Logi" (U""kI, éd. Cauirer, 1. VIn. p. 343).
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    l .. 'lwmmeet ,,, doublu 353 é rlldloolement philosopllique -, pour la rappeler il ses pene'lité& le8 plut matinales, il n'y a pu d'auLre moyen que do poSSl '~jusqu'en tlel fondements le 1 qUlldrilntèru oothropolo­CI~ t"lI On liait bicn, en tout cali, que tous les elTorts Fur penser gJquev' eau ,'en l,reoneut précisément. b lui: soit qu'al s'ogts8e de l no.u - cr le cbam1l uulb ro pol og'IC JUe el, s 'arhmc 'nn"t u l UI' li. part.i r U'II,c.o rI' 'fi' d e qu'il i!nonc6, de retrouver une OlltO ogle pun lee ou une ., c 1" h ' • ~ée l'IIdicale de être; 80lt encore que, mettant ors Clrcwt, pe~.... le plIychologi:nne et l'historicisme, toutes les formes ou...... '.1._ 1 • • d .' Crète. du préjugé I!UIoUl'OpO oglque, on essalo e remterroger lCllOl!l il imit.es de la pcnsu• c et.. d e renouer •• 1 • d' WUII avec. e. proJ.et une critique générale de III nIUion. Peut-êlre faudraIt-il VOir le pre­Jnier rJJorl ùe ce dérncinemeut de l'~throJXIlog~e, a~q."elsans doute est. vouée la pensée coutemponllue, danii 1 experlence de Nietzscbo : li travers une critique philologique, li travers une certaine fonu: de hiologisme, Nietzsche a retrouvé le powt où l'homme et Dieu s'apPl!rtiennent l'un ItauLre, où la mort du le(:ond ellt synonyme de ln dispariuon du premier, ct où la promesse du ~urhomme signifie d'abord et avant tout l'immi­nence de III JUort de l'homme, En quoi Nietzsche, nOU8 proposaut ce futur Il III fois comme éclléance et comme 1.licb6, Jnlirque le lIeuiJ à partir duquel la philosophie contem­poraine peut recoJUluencer li. penser; il continuera 8aDS doute ]ungt~llpt; li tlurplomver BOil cheminement. Si III. découverte du Rt:Lour c:>' Lien Itl fin dl! Iii philusophie, la 6n de l'homme, elle. eetle retuur du commencement de la puüosoJlhie. De nos jours 011 ne puut plus peWillr que dans lu vjde de l'homme disparu. CHr oe viùe ne creuse l'a~ un manque; il lie prescrit pas une IHcu~tI à cowLlcr. 11 n'CIlt rien de plus, rien de moins, que le dfpli d'uu espace où il cst. enfin à nou.veau possible de IleUler. L'An.thropologie constitue peut-être la disposition Condamen­tale 'il!-' Il cununandé et conduit]a pen Bée philo80phiIJ.ue depuia Kant Jutl9u'à nOUB, Cette dillposition, elle est essentlell8 puis­: r'ell~ faIt partie de noue histoire; mnis eUe est 8D train de 88 ISSOCler tIlWI nos yeux puisque DOUS commençons à y reCOD­mItre, Il y dénoncer sur un mode critique, b la fois l'oubli de ouvert~ qui l'a rendue possible, et l'obstacle -Wtu qui l'Op· pose obslJnêment k une pemée prochaine. A tous ceux qui ;.eulent encore parler de l'homme, de son règne ou de SB h"béra- 1::D, à WWI ceux qui posent eIlcore des questions sur ce qu'cst po ODUne !'Il 80n essence, IL loUIi ceux qui veulent partir de lui tee lU av.oll' accès à la vérit6, à tous ceux en revanche qui ~ onduuellt toute cOlUlai8Ballce aux vérités de l'homme lui- Ille. à tous ceux qui Ile veulent pa' formlÙÎl:iur JallS anthropo-
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    Lsa mati ctle, cl/DIu logiser, qui ne vllulcnt pas mythologi~er sans démystifier, qui 1. veulent pas penser anns penser aussitôt que c'est l'homme qui pense, à toutes ces formes de réflexion gauches et gauchies on no peut qu'opposer un rire philosophique - c'est.à.dir~' pour une certaine part, silencieux. '
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    CHAPITRE X Lessciences Tlumaines L LE TRlkDBE DBS SAYOIBS Le mode d'être de l'homme tel qu'ils'e8t constitué dan! 1. pensée moderne lui permet de jouer deux rOles : il est à la fois au fondement de toutes les positivités et présent. d'une façoo qu'on ne peut même pas dire privilégiée, dans l'élément des choses empiriques. Ce fait - il ne s'agit point là de l'essence en gënéral de l'homme, mais purement et simplement de cet a priori historique, qui depuis le XlXe siècle, sert de 801 p1'C8~ êvident à notre pensée - ce fait est sans doute déci3if pour 10 statut à donner aux « sciences humaines _, à ce corps de connaissances (mais ce mot même est peut-être trop fort : disons, pour être plus Deutre encore, à cet ensemble d~ d~c?urs) qui prond pour objet l'homme en ce qu'il a demplMquo. La première choso ft constater, c'est que les sciences humaines n'oot pas reçu en Mritnge 1Ul cortain domaine déjà dessiné, nrpenté pcut-Ôtre en son ensemhle, mais laissé en friche, et qu'elles .a1li'!licnt eu pour tâche d'élaborer avec des concepts enfin sCIent.lfiques et des méthodes pOsitJV8S; le XYlUQ siècle he le~r Il pas tmnsmis SOU9 le nom d'homme ou de nature llmtne un e.~pnce circonscrit de l'extérieUl', mais encore vide, CJu~ eUr rôle e(Jt Hé ensuite de couvrir et d'analyser. Le champ :r~3témolo.gique que parcourent les sciences humaines n'a pas t' prescrit b. l'avance: nulle philosophie, nulle option poli­nIJl';: ou mO",!le, nulle science empirique quelle qu'elle s.oit, d~ l;·obse.rvn~lon du corps humain, nulle analyse de ln sensation, llVIl~II.~lOntl0n ou des passious D'a jamais, au XVIIe et au l'homm5JeC~O, _ren~ontri quelque chose comme l'homme; car t.ravail)~ n iXI!!~'t pas (non plua que la vie, le ]angnge et le ,et es SCiences humaines ne Bont pal apparues lorsque,
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    35t1 Les motset 1('3 chose.· 80US l'efTet de quelque raLionalisme preltsant, de quelqllc pro blème scientilique non rÜliolu, de (1Ilelll'10 inlérôt. J1rn1.Î'111 • OD .'est décidê il loiro puStlcr l'homme (bon lolli:, mal gré, :t avec plu$ 011 moins de SUCcèll) du côLé des olJjeh !lcil!ntifiql1tlll -,au no;nbre desquels il n'tlst. peut-~lro l'as prOllYe cnr.1J1'& 'I" on pUIsse ab"olllmenl, 10 ronger; cHes sont "pparues tlu jour où l'homme 8'e"t constituû dllRlS III culturo occidflhtule à III fois comme ce qu'il faut prn!'er ot ce qu'il y a à 8llvoir. Il ne fnit pas de doute, certes, que l'émergence hisLol'Ï'llJo de chncune des scienCe!! hwnllines so soit fnite il l'occasion Ù'Wl prohlt~rlle, d'une exigence, d'un obstacle d'orriro théorilillo ou prnti'1'1e" il Q certainement. fallu les nouvelles norme,<; quo ln soci{~l.é inuus: trieUe Q imposées aux individu!! pour 'Ille, lentement, nll COllrs du lUXe siècle, la Pllychologie se const.lt.ue comme Rci~nr.ej il Il aussi fallu SBII8 doute les mcnaces qui depuis ln Révolution onl pesé sur les équilibres sociaux, et sur celui-là même 'lui avalt ÏRstaur6 la bourgeoisie, pour qu'apparaisse une rMlcxion de type sociologique. Mais ai ces références peuvent hien expli­quer pourquoi c'est bien en telle circonstance détenninée et poUl' répondre Il teUe queslion précise que ces sciences se sont articulées; leur possibilité intrinsèllue, le fait nu que, pour la première foia depuis qu'il exiaLe des êLres humains et qui vivent en société, l'homme, isoI6 011 en groupe, Boil devenu objet de science, - cela ne peut pas Otre considéré ni traité comme un phénomène d'opinion • 'l'est un év(memcnt duns l'ordre du lavoir. Et cet 6vénement Il'est lui-mftme produit dans une redi~lri­bilLion géDurale de l'ipûMmè : lorsque, quiLlaD1.l'espace de la représentat.ion, les êtres vivants se 80nt logés dllll5 la profon­dour spécifique de la vie, les richesses dons la pouHBée progres­sive des Cormes de la production, les mots dans le de .. "enir des lnngages. n éLait. bien nécessaire dons ces condit.ions que la connaissllnce de l'homme apparaisse, en sa vis68 scient.ifique, comme oontomporawe et de même grain que ln biologie, l'él:o­namie et la philologie si bien qu'on a vu en elle, tout Dat.Ul'GUo­ment, on des progrès les plus déciliiCs laits, dans l'hist.oire de la culture européenne, par la ratioDali1.é empirique. Mois puisqu'~11 mbne temps la théorie générale de la représentation dispar8l1!­lait et que s'imposait en retour la nécetillité d'intcl!~g~r"l'êt.r8 de l'homme comme fondemont. de toutes les pnSltlvlles, UJl déséquilibre ne pouvait pns manquer de Ile produire: l'J!omma devenait ce à partir de quoi toute connajsl'auee pOUVt"t .ê",,! constituée en Ion évidence immédiato et non problém!'tI!~, il devenait, a fortiori, ce qui Butorille la millo en q1~est.&,!n hie ."ute CDllnll.lU8.IlCe de l'homme. De là cette double et mévltB e
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    La sciencu humain.357 testnt.ion: ceUe qui forme le perp6tu1l1 d6bat entre les 8cienoos 1 ti1'homme et les sciencos tout com, les pl'6mièl'Os Byant lB d~tentjon invincible de fonder les secondos, qui 88ns e8.'lSe sont l' bJ'gécs de chercher leur propre fondement, lB juatificntion de î ~ méthode et la purification de leur histoire, contre le Il pAy­hologisme li, oont.oe le c sociologisme li, contre ]' • hL'Itoricisme JI; Ct cello qui lorme le perpétuel débat entre la philosophie qui e bjeete auX soioncea humaines la naïveté Avee laquelle elles :s!IIlient de se fonder el1es-m~mesJ et ces seiel!ces h,!maines.qui revendiquent oommeleur obJet propre ce qUI aurait constItué ·udi~ le domaine de la pbllosophi~.. • J Mais (lue toutes ces constatataons SOient néeenaJJ"es, cela ne veut pas dire qu'eUes se développent dans l'élément de la pure contradiction; leur existence, leur inlassable répétition (lepuis plus d'un sièolo D'indiquent pas la permanence d'un pro­blèmo indéfiniment ouvort; elles renvoient l une disposition épiiltémologiql1e pr~cise et fort bien déterminée dans l'bi,toire. A l'~puque classique, depuis le projet d'ulle analyse de la repré­sentation jusqu'au thème dola lIUJUle8is rmiverBalis, le champ du Avoir était 'Parfaitement homogèno : toute oonuaisijance, qutllle qu'elle fût, procédait aux mises en ordre par l'établis­leJDent des différences et définissait les diiléronces par l'ins­taurationd'unordre: ceci était vrai poUl'lesmatbématiques, Vl'lIi aussi pour les taxinomiB3 (au sens large) et les sciences de la nature; mais vrai ~galement pour toutes ces connaissonces approximatives, imparfaites et pour une grande part sponta­nées qui sont l l'oeuvre dans la constnJction du moindre dis­cours ou dans les procesms quotidiens de l'échange; o'était vrai enfin pour la pensée philosophique et ces longues chatnes ordonnées que les Idéologues, non moins que DCReartes ou Spinoza, mais sur un autre mode, ont voulu établir pour mener ~lcl',5sairemeDt. des idées les plus simples et les plus évidentes Jusqu'aux ~é.rit~s les p~us composées. Mai~ à partir ~u XIX8 siècle e ch~mp ~plstémologlque se morceUe, ou plutôt il éclate dans des dlrec~,ons dilJércotes. On échappe difficilement au prestige des claSSifications et des hiérarchies linéaires à la manière de COm!-ei mais chel'cher il ali!!llBr tous les savoirs modernes à sar~lI' ~e n:'"~hématiques, c'c~t soumettre au seul point de vue cde:'I obJe~tiVlté de la conDlli.~sance, III qucstiou de la pOliit.ivÎté &8·0.11:5, de leur mode d'être, de leur enracinement dans loi~ iQditlo~s de possibilité qui leur donne, duns l'histoire, à la 1 eur obJet et leur forme lIlodterrogé à Ce niveau arcl:éologic.ue, le cbamp del'ipistémè laiteera: ne s'or~onne pas à l'idêal. dune matltématisaLiun pa~ , e ne deroule pas à. partir dc la pureté (orollille une
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    358 longuo suitede connoi6~ances descondantes de plus en lus c:hargées d'clnpiricité. Il faut plutOt se représenter le dom~in de )' épi,'émè modemo comme un espace volumineux et ouve~ Bolon trois dimensions. Sur l'une d'ent.re elles, on situerait Ills Bciences mathématique! et ph)'liiquos, pour lesquelles l'ordre Mt. toujours uu onchainement déductif et linéaire de Proposi­tions 6videntel ou vérifiées; il y aurait, dans une nutre dimen_ aion, des sciences (comme cellos du langage, de la vic, de la production et de la distribution des l'iohoasea) (JlÜ procèdentll la mise on rapport d'éléments discontinua mBlB anologues Il hien qu'olim; peuvent établir entTe eux des relotions CftU!81~ et des constlmtes do structure. Ces deux premières dimeneioll& définissent entre eUes un plan commun: celui qui peut appa­rAître, scIon le 60ns dans Jequel on le parcourt, comme champ d'opplication des mathématiques l ccssciences empiriques. Oll domaine du mnthêmntisabJe dans la linguistique, la biologie et l'économie. Quant lIn troi!ième dimension ce serait celle de 1. réflexion philosophique qui se développe comme pensée du Même; avec la dimen!lion de la linguistique, de la biologie et de l'êconomie, eUe dessine un plan commun: là peuvent apparaitre et I!ont. en efT"t apparues les diversos philOliophies de la vie, de l'homme aliéné, des ronnes symboliques (lorsqu'ou trampose Il la philosophie le. concept! et les problèmes qui BODt Dés danl dilfêrents domaines empiriques); mRis là. aU98i Bont apparues, si on inteIToge d'un point de vue radicalement philosophique le rondement do ces empiricités, des ontologies régionales qui e!lloient de dérmir ce que &ont, en leur être propre, la vie, le travail et le langage; en6.0. la dimen!IÏon philosophique dé6nit; avec cene des disciplines mathématiques un plan COJDDlUD : celui de la formalisation de la pensée. De ce trièdre 6pist6mologique, les sciences humaines sont exclues, en c~ 8en~ du J!l0ins qu'on ne peut les trouyer ~U! aucune des dlmenslons Dl à la liUrraCe d'aucun des ploDli am3. dessinés. Mais on peut dire aussi bien qu'elles sont incluses par lui, car c'est dans )'interst:ce de ces savoirs, plus exactement dans le volume défini Jl81' leurs trois dimensions qu'elles trouvent leur place. Cette situation (en un sens mineure, en un autre privilégiée) les met en rapport avec toutell les autr~ fonnes de Bllvoir : elles ODt le projet, plus ou moins différé,. mali constant, de se donner ou en tout CIlS d'utiliser, à un ~"eau 011 il un outre, une formalisation mathématique; eUesprocedc.n" selon de!l mod~les ou des concepts qui sont ompruntés li la blo· logie, il l'économie et aux sciences du langngo; elles s'odreuehf. enfin à ce mode d'être de l'homme que la philosophie chere e il penser au niveau do la finitude radicale, tandis qu.' elles'même•
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    'i59 ul nt.eD parcourir les manifostations empiriques. C'est peut­YB ~ue répartitlon en nuage dons un espace Il trois dimen- 6~ qui rend 1," sciences humaines si dillicillls Il" shuer, qui ilOn: e 1I0D inéductilJle précarité Il leur localisation dans le ~on nille épistémologi'lue, qui les lait appurnit.re ilia fois pilril- I I)~As lit. en p6ril. Périlleuses, cal' elles représentent pour tou leI:IoUl ,a,,u tres savo•l ~ corJl!lle un d. l inger pC"!I'~lIen•. : ~ert.ca, ru• .1 e s 'eDcea déduotives, ru It;i sCiences empiriques, DI la réflcDon 'l:ilOdOphique ne rillquellt,.si ell~ demeureD~ dans leur dimOD­P. on propre de 1 pailler» aux IClence. humames ou de se char­;~ r dt! leur' impureté; mais on sait quelles difficultés, parfois! rencontre l'étnblitisement de ces plaBB intermédiaires qUI unissent les unes aux autres lei trois dimensionl de l'e.'1pllce épilltémulogi(IUC; o'est que la moÏlldre déviation par rapport l Cllti pl.us rigoureux, lait toDÙ/er la pensée da.ns le domaine iD'csÛ par les scie~cBS ~umaiDlls : de là lu ~anger du .c psycho­logio; ID6 " du 1 SOCiologISme l, - de ce qu on pourrut appeler d'ull mot 1'« .nt.hropologisme - - qui devisDt meuaçant dès quo plir exemple on ne réll60hit pas correetement 1. l'apports 111 la pensée et de la formalisation, 011 dès qU'OD n'analyse Pli' comme illaut les modes d'être de la vio, du travail et duwn­~ P: L'c anthropologisation 1 est de nos jours le grand daogOl' wtérieur du savoir. On croit facilement que l'homme Il'est .ffranchi de lui·mème depuis qu'" a découvert qu'il D'était ni au ceutre de la création, ni au milieu de l'espace, ni peut-être même au sommet et à la fin dernière de la vie; mais si l'homme n'est. plus 80uverain au royaume du monne, s'il ne règne plua au mitan de l'être, les c science! humaines» sont de dançereux intermédiaires dans l'espace du savoir. Mais à dire vrai cette posture même les voue à une instabilité essentielle. Ce qui upli'Juc la difficulté des • sciences humaines _, leur précarité, leur mcertitude comme sciences, leur dangereuse laroiliarite avec ln I!hilosophie, leur appui mal défini sur d'autres domaine. du. IiBv~lr, le~r c:uactère loujClUfIi secoud et dérivé,. mais leur ~rt;lIlntion à l UD1Ve1'8el, co n·est pal. cODIIDe on le dit louvent, l.extrême densité de leur objet.; ce n'est palle statul métaphy­"' Iue. ou l'iueallçable tl'lUlSCendllllce de cel homme dont eUell f.ar!ellt, mllis bien 1. complexité de la configuration épiatémo­l~ g~qu~ où e~lea 86 trouvent. placées, leur rltpport COJllitaut a~ OIS dl/Denslona «lui leur donne leU!' espace.
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    361) L6lI motsel lt' choIe. Il. LA. Fon:IB DES SCIENCES UUMAIN~q n raut eliquisser m!llntenant ln forme de cette POSilÎvil6 D'ordinaire, on euaie de la dêGnir en fonction des malhëllla~ tiques: Hoit qu'on cherche à lien approcher RU plus près en faisant l'inventaire de tout ce qui dans les sciences de 1't.o~lIl1e cst matMmnti~!Iblo, el en supposant que tout ce qui n'cst pa~ susceptible d'une p!lreille (ormalisation n'a pas encore reçu 811 posit.ivit.é scientifilJUo; Boit qu'on essaie au contraire de dia­tinguer avec l'loin le domaine du math6matisable, et cet autre qui lui serait irréductiblo, parce qu'il serait le lieu de l'inter­prétation, pa1'Ce qu'on y appliquerait surtout les méthodes de la compréhension, parce qu'il 50 trouverait resserré autour du pôle cliniquo du savoir. De pftreilles analyses ne 80nt pas scule­ment lassantes parce qu'clles sont u86cs, mais d'abord parce qu'eHcs manquent de pertinence_ Cortes, il n'y a pas de douto «Juo cetl" Lonne de savoir empirique qui s'applique il l'homme (et que, pour obéir à la convention, on peut encore appeler • sciences humaines» avant même de savoir en quel sem et dan!; quellos limites on peut les dire « scienr.es Il) a rapport aux mathématiques : comme tout autre domaine du savoir, elles peuvent, SOtl'J cortaines conditions sc servir de l'oulil mathé­matique; quelques-unes de leurs démard!es, plusieurs de leurs ré!.!ultats peuvent être lormalisés. Il est à coup sQr do première importance de connftttre ces outils, de pouvoir prntiquer ee, formalisations, de définir les niveaux auxquels elles peuvent être accomplies; il est SRns doute intéressant pour J'histoire de savoir comment Condorcet a pu appliquer le enlcul dos pro­babilités à la :politiquc, comment Fechner a défini le rapport lognrithmique entre la croissance de la sensation et collo de l'excitation, comment les Jlsychologues contempornins se servent de la théorie de l'infonnntion pour comprendre 1e! phr.nom~ncs de l'apprentissage. Mais malgré la spéc:ificité d~9 problèmcs posés, il est peu probable que 10 rapport aux mathe­matiques (les possihilit~s de mathémnti~ation, ou la résistance à tous les efforts de formalisation) soit eonstitulif de!! lIciencl';S humaines en leur positivité singulière. Et ceci pour deux rai­sons: paree 'I"e, pOUl' l'essentiel, ces problèmes leur sont c?m­muns avec bien d'autres disciplines (comme la biologie, la gené-tique) même s'ils ne sont pas ici et III ident!quem~nt les mêmfi et surtout parce que l'analyse archéologllluc n a pas d6ce c,
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    361 d l'apriori IU!ltoriCJue dos sciences de l'homme, une forme an8 ~llu ùe mathématIques ou lme brusque avancée de cellos-ci dno UV"l e "d omaine de l'uhrn"aIn , mms h oaucoup p 1u t.Au t lme Borte d:D~t.r'dit de la rn~"lit:si." une dis80cia~ion de ~OD .champ uni- ..... c' la libérat.lon, Tlar rapport b. 1 ordre linéalJ'o dos plua tUl ... , • ibl d' .. . , l 'tl'" dilfêrcnctlS pOS, ~, orgnm9lltioDs empmquo8 comme 1p. elv.ie~ le lon<"'dge, et 1e travai.l E ), .. d D ce eens oppant.lOn 0 li m:ne ct 1; const.itution des sciences humaines (ne ftlt-ce ~~ sous la fonne d'un I,rojet) seraient corrélatives d'uno !lorte ~c ede-mathématisation J. On dira sans doute que cette disso­cÏnlifJn ù'un snvoir con~u e~ SOD entier comme math~IA n'était pail un recul, d~s m~theUla.t.lques, pour la bon!,e rAison que.ce 1I11voir n'<w<llt. lamaiS meDU (tiIlU[ CD a!lt.rononue et sur eert.alDS points do p~y~!q~1f.,). à une mathémat.Ïtiation effective; en dis­p: lrllis~anl, il IIberult plu~t !a nature ct. t~ut. ]e ch:,mp. des cmpiri!!itéij .pour une appllcatlOD, à chaque mstant Imntee et contrlilée, des mathématiques; les premiers grands progrès de )a physique mathémotique, les premièrlls utilisations massives du calcul des probabilités ne datent-elIcs pas du moment. où on a renoncé à constituer immédiatement une science géné­ralo dus ordres Don quantifiables? OD ne peut nier en elIet que la renonciation à une mallaesu (au moins provisoirement.) a permis, en certains domaines du savoir, de lever l'obstacle de la qualité, et d'appliquer l'outil mathématique là où il n'avait pas encore pénétré. Mais si, au niveau de la physique, la disso­ciation du projet. de matftesu n'a {ait. qu'une seule et même ch~u avec la découverte de nouvelles applications des mathé­maliques, il n'cn a pas été de même nans tous les domaines : la billlu~,'ie, par exemple, s'e:;t const.ituée, hors d'une science des ordre!; qualitatifs, comme analYllu des rapports entre les organes et h .. s fonctions,6tude dea struct.ures et des équilibres, recherches ~ur.l~ur formation et leur développement darus l'histoire des l~dl'l.dus ou des espèces; tout cela n'a pas empêché la biologie d ,utiliser les mathématiques et celles-ci de pouvoir s'appliquer bIen plUiS largement que par le passé Il la biologie, Mais ce n'est pas dau5 son .rapport aux mathématiques que la biologie ft pris ion R';llunOIIllC et ft défini sa positivité. JI enaétédemêmepour ~'1 !lClcnces humaines: c'est le retrait de la mathulA, et DOD 1 aVfl~ce des mathématiques qui a permis li. l'homme de 88 constituer comme objet de savoir; c'est l'enveloppement sur dwc-~nêl1~e~ du travail, de la vie, et du langage qui a prescrit 1,6Il 1 ext.e r. ll!Ul' l'apparition de ce nouveau domaine,' et c'est d pparltion de cet être empirÏco-transcendanta1 de cet Atre e~nt ln ~I!nsée est indéfiniment tramée avec l'imprnsé, de cet re touJours Bêparé d'une origine qui IUl est promü~ dana
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    362 l'immédiat duretour, - c'est cette appnrition qui dOlUle aux IIciences hwoaines leur allure singulière. Là encore, comme dans d'aut.res diticipliul!s, il se peut bien que l'opplication des DUttb~_ matiques ait. été facilit.ée (et)e soittoujours davantn gel par toutes les modifications qui. 5e sont. produite!!, ou début du XllI'.lI l iècle, dana 10 Bavoir occidental. Moit imaginer que les sciences humoines ont .d6fini leur projet le plus radical et ont inauguré leuT histoire positive le jour où on a voulu appliquer le calcul des probabilités aux: pMnomène. de l'opinion politique et utiliser des logarithmos pour mesurer l'inlellllité croissllnte des sensations, c'e'st prendre un contre-e1l'et de surlace pour l'évé­nement fondamental. En d'autres termes, parmi les trois dimensions qui ouvrent aux sciences humaines leuT espace propre et leur ménagent 10 volume où eUes forment masso, celle des mathémat.iquos ellt peut-être la moins problérnutique; c'est aveu elle en tout cae que lell sciences humaines entretiennent les rapports les plU! clail'S, les plut' !ereins, et en quelque sorte 18.'1 plus transpal'enta: oUlI8i bien le recoW'S aux mathématiquM, aous une forme ou sous une outre, a-t-il toujours été la manière la plua aimple de prêter ou savojr posili( sur l'homme, un style, une Corme une justification IIcientiliques. En revanche, les dimcultlls les plus fondamentales, celles qui permettent de définir au mieux ce que 80nt, en leur Msence, les sciences humain89, S8 logent du cilté des deux autres dimensions du savoir : celle où se déploie l'analytique do la finitude, et celle au long de laquell8 ae répartissent los sciences empiriquett qui preDJ1ent pour objet Je langage, la vie et le travail. Les sciences humaines en effet s'adressent l l'homme dana la mesure où il vit, où il parle, où il produit. C'est comme litre vivant qu'il croit, qu'il Il de!'! fonctiOns et des besoins, qu'il voit s'ouvrir un espace dont il noue en lui-même les coordon­néel! mobiles; d'une façon g6n~rale, lion existence corporellf l'entrecroise de part en pal't avec 10 vivant; produisant dIV obje1.S et des outils, échangeant oe dont il a belioin, orga nisant tout un réseau de circulation au long duquel court ce qu'il peut consommer et où lui-même se trouvo défini comn.a un relais, il apparaît en son existence immédiatement eochev~ tr6 aux autres; eolio parce qu'il a un langage, il peut se coostl­tuer tout un univers symbolique, à l'intérIeur duqucl il a rap­port Il son pnssb, aUll'. choses, à autrui, ll partir duquel il peut également biiti1" ~uelque chose comme un savoir (sin..auli~re· ment ce savaiI' qu'il a de lui-mêmb et dont les sciences humame5 dessinent' une dOl ·formell possibles) On peut don" fixer le ai'tt' des sciences de l'hOD1lD8 dana le voisinage, aUll'. frontièree
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    363 , ~iotcset lur touto la lon"uucur de ces sciences où il caL un~t~'oD de la vie, du travail et du langage, Celles-ci no viennent-qUU5 1 {1'1.')·è Il O• J'ustement de se ormer à çpoque ou pour a prelui ro {eo Ï!C!~ lf'hi oD lwnc s'o~fe ~ l ~,poS91' b~'l 'I t é ,d ' UD 6~volr pOHI. t.ilr~ P,o ur-a n'I 1-1 biologie, m 1 cconomle, DI la plulologle no dOivent tl!alIn'e. prise' s pour les premI'e. res d es s~l. ence~ h T • 1 UmBlQCS DI Jl?ur ~s l 'fondumentales. On le reconnalt. sans mal pour la blOlogll) lp :~~ Il',,dres50 à bien d'autres vivants que l'homme; on a plus ditncuJlél! à l'admeure pour l'é,coDomie ~~ l,a ph~l~logio qui opt pour dornaine propre el exclusif des actlvlte~ spec:tfiqu.es do l'hommo, Mais on D~ so demamle,P?s pour~uoi la bIologie ou la physiolugie bumamcs, pOurqUOl 1 anatoIDle ~~s centres co~­tieaux du langarre ne peuvent en aucune manlere être CODS1- derr.(~s comme d~ sciences de l'bolDlDe. C'est que l'objet do celles-ci DC 68 donne jamais sur le mode d'Oue d'un fonction­nement biolorrique (ni m~me de Ba forme singulière et. comme de son prololl"'gement. en l'homme); il on est plutôt l'envers, la marque on creux; il commence là où s'ürrtte, non pas l'action ou les effets, maiti l'Mre propre de ce fonctionnomont, -là où 8e libèrent des représentations, vraies ou fausses, claires ou obscllre~, parfaitement conscientes ou engagées dans la pro­fondeur de quelque somnolence, observables directement ou indirectemcnt, olier tes en ce quo l'homme énonce lui-m~mo, eu repérables soulement de l'ext.érieur; la recherche de! liai­sons mtraeorticalcs enUe les diJIérentt centres d'intégration du langage (auditifs. visuels. moteUfll) ne relève pas des sciences humaincs; mais celles-ci trouveront leur espace de jeu dès qu'on int~:rrogcru cet espace de mots. cette présence ou cet oubli d.e leur sens, cet écnrt entre ce qu'on veut dire et l'articula­tion ~ù cette visée s'investit, dont le sujet n'a peut-êt.re pas ,,?nSCICncc, m3is qui n'auraient aueUD mode d'être aSliignable, 'l cc même sujet n'avait des repl'ésentntions. lJ'u.no façon plus générale, l'homme pour Ics scieDces hu~ame~, ce n'est pas ce vivant qui a une [orme bien porti­cuh.: re. (une, physio,logie as!ez spéci~18 et. une. autonomie ,li peu pres u~lque); c ~st ce VIvant qUI de 1'1Otérieur de la VIe li lllquclle Il appar-tlent de lond en comble et par laquelle il cst. tranrs~ en tout 80n être, constitue des représentations grAce uuxq~tJ~lc~ il vit, et à partir desquelles il détient cette êtrange f,bpaclte de ]lOuvoir se représenter justement la vie, De même, lIme a h~:lU être au monde, smon la seule espèce qui tra­:: 1 e, du ~Olns celle chez qui la production,la distribution, la fl.l:oTIu:n,ation ~es hiens ont pris tantd'importanco ctreçudes puur es il multiples et si dill6rcoci6es, l'économio n'eat pal Ce a une science humaine. On dira peut-êtra 'III'elle •
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    364 I..u mol8et lu cllo8u recours pour définÎr des lois qui sont pourtant intérieurell 'IUt mécanismes de la production (comme l'accumulation ùu cap· tal ou les rapports entrc Jo taux des salaires et les prix dl­revient) qui le fondent (l'intél·èt, la recherche du profit maximum t ten,dancc à l'éparb'Ie)} .mail" ce faisa~t, eUe utilise les repré;en~ tallons comme ~!lUl&lt d .un fon~~oDDement (qui passe, en effet, pnr une actiVIté humame exphclte); en revanche il n'y aura science de l'homme que si on a'adresse li la manière dont les individus ou les groupes se repr6sontent leurs partenaires dun.s la production et dans l'échange, 10 mode sur lequel ils écl~irent ou ignorent ou masquent ce fonctionnement et la position qu'ils y occupent, la façon dont il! 110 représentent la société où il Il liou, III mani~re dont ils se sentent int6grlls li. eUe ou isolé, dépendants, soumill ou libres; l'objet des sciences humaine: n'ellt paa cet homme qui depuis l'aurore du monde, ou le pre­mier il des comportements humains, et une repréBent8lio e eri de son ilge d'or est voué au travail; c'est cet être qui de l'intérieur des formes de ln production par lesquelles tou~ son existenco. est commandée, forme la reprêsentation de e~ besoins, de la Boeillt6 par laquelle, avec laquelle ou eontre ·laquelle il les Bntisfait, si bien qu'li. partir de là il peut fina­lement se donner la reprllsentation de l'économie elle-m~me. Quant au langago, il en est de même: bien que l'homme soit au monde le seul Atre qui parle, ce n'est point acience humaino que de eonnftttre les mutatioDII phonétiques, la parenté dos laogues, ]a loi des glissements Bémantiques; en revanch~, on pourra parler de science humaine dès qU'OD cherchera à définir la maDière dont les individus ou les groupes se représentent les mots, utilisent leur forme et leur sens, composeDt des discoun; réels, montrent et cochent on eux ce qu'ils pensent, disent, à lour insu peut-êtro, plus ou moins qu'ils ne veulent, laisse?t en tout cas, de ces pemées, une masse do traces verbal cs qu il faut dC:chiiTrer et restituer autant que possible à leur vivacité représentative. L·objet des sciences humaines, ce n'est dOlle pOl le langllge (parlé pourtant par les seuls hommes), c'est cet être qui, de l'intérieur du langage por lequel il est entou:~, se représente, en parlant, le sens des mots ou des propOSitiOns qu'il ênonco, et Be donne finalement 111 représentlltion du lao­gage lui-même. On voit quo les sciences humaines ne sont pas analyse do cd que l'homme est par nature; mais plutôt analyse qui s'ét~ entre ce qu'est l'homme en aa positivité (être vivant, tr~va( l~ tant, parlant) et ce qui permel à ce même être de savo~ 0 t de chercher à savoir) ce que c'est que la vie, en quoi eon5lSlen l'ossence du travail et ses lOÎli, eL de quelle manière il peut par-
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    Les sciencu humaille!365 1 J.es sciences humaines occupent donc ceUe distance qui ~~am (non snns les unir) la biolQgie, l'économie, la philologie, de Il ui leur donne po~sibi1ilé dllns l'être ml!me do l'homme. On oclul.1·.···t donc tort ,,l e rnire des sciences bUlnainoli le prolongementj • Ic' riorisé d:m'll c!lpèco IL lIlma•m e, da ns son orgoD.i smo comp1 e xl'l, IdI'II n.s 811 condul• lo ct do ns sa conSC.I ence, dc s m 6C3n'1l 1mes b1' 010 - gi.j l;r.S: non moins tort de placer à l'int6ricur des sciences hUIll~i~es la scienc~ de l'ocon0'!lie et du lan~g&. (dont ,l'irré­dl1l" tibiHté aux SCIences humlllDe9 est mamfest.-.e par 1 eiTort J,OUf constituer une âeonomie ct une linguistique pures). En fait., ll's scienc~s humaines. ne ~0l!t pns plus. à ~'in~éricllr de ce~ !lcienCt~!I qu elles ne les mt.énorlsent en les IRnCChl~s8nt vers la subjectivitl, do r.homm~; si ~lIr.s le,!' reprennent ~al!!I la dimr.n~ion de la representatlon, e est plutôt en les rcs~alS~lsant lIur leu1' verllunt extérieur, en Ie.o; laissant ~ leur opacité, en necueillant comme choses lell mécanismes et les (onetionne­mrnl. s qu'clles Î!;olent, cn interrogeant ceux·ci non pas en ce qu'ils sont, mais en ce qu'ils cessent d'être quand s'ouvre l'espneo de la représentation; et à partir de là elles montrent comment. peut naître et. sc déployer une représentat.ion de ce qu'ils sont. EUes reconduisent. subrepticement les sciences de lu vie, du travail et du langage dl1 côté de cetle llDalytique do la [init.udo qui montre comment l'homme peut avoir nlToire en son être à ces cholles qu'il connaU et conoaltra ces clllllics qui déterminent, dans la posit.ivité, son node d'être. Mais ce quo l'analytique requiert dans l'intél'ÏOl"llé ou dll moina dans l'appartenance profonde d'un êt.re qw ne doit sa finitude qu'à lui·même, los sciences humaines le développent dansl'oxté­riorité de la connaissance. C'est pourquoi le propre des sciences humaines, ce n'est pas la visée d'un certain contonu (cet objet aingulier qu'est l'Otre humain); c'eat beaucoup plutôt un ea1'llc­tère purement. (ormel: le simple fait qu'elles 80nt'1"I1' rapport aux sciences où l'être humain est donné comme objet (exclusif pourJ'é<;O~Omi6 et ln philologie, ou pal'liel pOD1" la biolOgie), dans une .po~ltlon. d~ redoublement, et que co redoublement peu~ valOIr a {umo" pour elles.même!! • . Cette pOliition est rendue sensible à deux niveaux : les jCU:lnces humaines ne traitent pas la vie, le travail et le :.arn gllge de l'homme dans la plus grande transparence où peuvent BO donner, mais dans eeUe couche des conduites, es compo~tements, des att.itudes, des gestes déjà faits, des PahrolS~ ~éJà prononcées ou écrit.es, à. l'intérieur de laquelle 1 li • on~ eté donnés par avance une première fois à. ceu,!= :Ul agl~ent, .sc conduisent, échangent., t.ravaillent et parlent; Un autre mvean (c'est toujoun la mêmp. propri6té (ormeUe,
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    366 LB. mou.t lfl. chose. maie d6veloppée jusqu'en Bon point. extrême, eL le plus rare) '1 est toujours possible da traiter en lityle de soiences humlii~: Ide psyohulogie. de sociologie, d'histoire des cultures DU.I • 1l dc' es ou d 811 sC.i ences) 1e ra'it . qu" l 1y l'ut l'oW' certal.lls 'ind ividUuIlsI o~ certain.os 80cicith quel'Jue chose comme un lIavoir spéçulu_ tal do la VIO, do la I,roducllon, et du I.mgage, - il lu limite une hiologio, une 6conornill et une philologie. Suru. doute, n'e_l-co Il que l'indicatiun d'une possibilité qui est roremont. effectuée et n'est pcut-être pas susceptible, nu niveau des cmpiritiLés d'olIm une granda richesse; mais le fait qu'clle eLsto CollUD~ distance éventuelle, comme espace de recul donnê aux seitmccs humaines pllr rapport Il cela même d'où elles viennent, le fait aussi que ce jeu peut s'apl'liquer à eUeI-mêmes (OD peut toujOUl'B faire les 8ciences humometi des sciences hwoaint:8, la psychulo­gie de la PlIYl:hologie, la sociulogie de la sociologie, ctc.) sum.ent ~ montrer leur singulière configuration. Par rapport lIa biolo­gie, lll'économie, aux sciences du langage, elles ne lont. dODO pns en défaut d'exactitude ou de rigueur; elles sont plut.ôt comme sciences du redoublement, dans une pOl:iit.ion c méta­épistémologique '0 Encore le préfixe n'ost.-il pout-être pas très hi en choisi: car on ne parle que de m6ta-lanbrage que l'ila'agit de définir les règles d'interprétation d'un langage premi"r. Ici les sciences humaines, quand elles redoublent les sciences du langage, du travail et de la vie, quand li. leur plus fine poinLe elles seredoublent eUes-mêmes, ne visent pas à 6tablir un di.· cours formalisé: ellos enfoncent au contraire l'homme qu'ellea prennent pour objet du côté dola finitude, de la relativité, de la perspective, - du cOté de l'érolion indéfinie du tomp.. 11 faudrait pellt-êt1'e mieux parler lieur sujet de position cana' ou. hypo-épiatémologique.; si on aOranehÏllsait ce demier pr6- flxe de ce qu'il peut avoir de péjoratif, il rendrait sans doute bien compte des choses: il ferait comprendre que l'invincible impression de Oou, d'inoxactitude, d'imprécision que laissent presque toutesle$ Iciences humaines n'est quel'ellet de surfllce de ce qui permet de les définir en leur positivité. Ill. LEI TROIS KOD ÈLBS En première 8PPI'ocbe. on peut dire que le domaine des aciences de l'homme est couvert par trois c scÎeuccs », - ou plutôt par trois r6gioDS épititémologiques, toutes subdivis6es l l'intérieur d'cllcs-mGlll611 et tOlltes entrecroisées les unes avec le8 autres; ces -/igions sonL iéfinies par le triple rapport dei
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    J67 • nCeshurnnlnes en genéral l ]a biologie, à l'économie. à ]a ICbl 'eI ologie. On pourra•i t d "l' • h r 8 mettre alOSI CJUO a 1 regton psyc o- li uo t a trouvé ln" lieu III où l'IUre vivant, dans Je prolon­o~~ n' de les fonction~, de ses schémall neuro-moteurs. de ses ~18Li"ns physiologi,{Ue~, maill aussi dans le IIlll1pens qui les interrompt et les limite, s'ouvre, ilIa P?"sib!lilé de la ~eprésen~ taUon' de la milmelaçonla. région SOCiologIque J auraIt trouve Ion Jit'l~ là où l'indiVidu travaillant, produisant et consommant. le uo~ne III repr6sentatioD de la lociét6 où s'exorce cette acl~­. iLé des groupes et delt individus entre le~'1up.llI ello 80 réparti~ des imporatifs, des I18nctionll, des rites. de~ fêtes et des croyances par quoi elle est soutenue 011 scandée; eofin dans ceUs rêgion où rl!~entles lois et les fa rIDes d'un langage, mais oil ce~8ndaot elletl demeurent au bord d'ella-mihnsl, permettant li. 1 homme d')" laire l'1158er le jeu deses reprêsentationl,lknaissentl' étudedea littérat.ure. et des mythes, l'analyse de toutes les manirestationa orales et de tOUI Ie.i documents écrits, bref l'allalyse des traces yerbnlr.s qU'Wle culture ou un individu peuvent laisser d'eux­mêmes, CeUe répartition, bien qu'eUe soit très sommaire, n'est Ions doute pu trop inexacte. Elle laisse pourtant entière deux problèmllS Iunùamentaux : l'un concerne la forme de positivité qui est prnpre aux sciences humaine. (les concepts autour des­quels ellUli s'organisent, le type de rationaliLé auquel elles se r6rèrent et par lequel elles cherchent à se cODit.it.uet comme Bavoir); l'aut.re, leur rapport à la représentation (et ce rail pOl'lldoxal que tout en prenant place là seulement oùil y a repré­~ enUit.ion, u'aat Il des mécanismes, des formes, des processus UlcoDlic1eoLs, u'est en tout cal aux limitell enérieurea de la cODicience qu'eUes s'adressent.). On connait trop bien les débats auxquels a donné lieu la rech.u;cbe d'une positivité spécifique dans le champ des scienc61 bWl1aulcl : analyse gënétique ou st.ructurale? explication pu comprehension? recours Il l' c inférieur 1 ou maintien du d~chifIrement au niveau de 111 lecture? A vrai dire toutes ces dJ~c~s8ions théoriques ne 80nt pliS néell et De ae sont pas pour­IUIVIel tout au long de l'histoll'6 des sciences humaines parce Clue ceUIl6-ci auraicnt eu afJ'aire, en l'homme, à un objet si complextl, qu'on n'aurait pas pu encore trouver en la direction ~(l~ode d'accèa unique, ou qu'on aurait été cont.raint d'eo ex~ IStI" tour Il tour plusieurs. En fait, ces discUlISÎons n'ont pu i'lIlSler,qu~ dans la mesure où la politivité des sciences humaines t' PPIU8 simultanément sur le transfert de trois modèlea di.­pb? U, Ce transftlrt n'est pas pour les sciences humain. ua pa:nomè!'& marginal (une sort.e de structure d'appui, de détour Une Ultelligibilit.ê extêrieure, de cOD6rmation du oeta dei
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    368 sciences déjàconstitu~es); co n'est pas non l)lus un épÏsod limité de leur hi~toirc (une crise do Cormation, à une ép Ue ~ Il é . • • , II . oq Ou Il cs lalent encore !Il Jel1ne~ qu 0 cs nc pouvaient sc fixer Il ~Ues.m~mes le!-lfs C?!leepl'l et !OI.l1'S lois). Il. s'ag~t d'un rait InelTa~able, q~ .es~ he, p(~ur tOUJOUT~, à leur dlsP~sllion propro dans 1 e~pacc cplstemologlllue. On dOIt, en clTct, dlslilJlruer dcult sorles de modèles utilisés par les !lcÏences hwnaillel! "(en Inél­tant à part les modèles de formalisation). Il y a Cil d'ulIf) purt - ct il ~ a ~ncol"e souvent:-de~ concepts qui sunt tl'llIllio porté~ li. parllr d un autre domame ùe la connaissance, ct (lui perdont nlurs toule ellicaeité opératoiro, 110 jouent. plus '1lJ'U~ rôlc d'imago (les métapholos organicistes dans ln sociologie du XIX8 si~c1ei les métaJ,lllll'es énergétiques chez .Janet· les mi~tnphores gêomél,riques ct ùynumiqulls chll~ Lewin). MI:is il y a aus~i 1/'.8 rnodillcs con!!tilunnts qui no Ionl. pns pour les science!! humaines cle.,> tcchniq1l4!S de Cormalisntion ni de ~;mplcs moyens pOli!' imaginer, li moindre fmi'!, des processus; ils per­meUent de Former des ensemble'! de phénomènes comme aulant d' c objets lt p01lr un savoir possiblc; ils Assurent leur liaigon dans l'empiricité, mais il~ les ofTl"ent à l'expérience déjà liés ensemble. Ils jouent le role de «catégories» dans le savoir singulier des science!! humaines. Ces modèles constituants 80nt empruntés aux trois domaines do la hiologie, de l'économie et de l'étude du langage. C'est sU!' la surface de project.ion de la biologie que l'homme nppno ratt comme un être ayant des fonctions, - recevant des stimuli (physiologiques, mais aussi bien sociaux, interhumains, cul­turels), y répondant, s'adaptant, évoluant, se Iwumeltant ault exigence.,> du milieu, composant uvee les modifications qu'il impose, chercll8nt à uliacer lus déséquilibres, a/"rissant ~elon des régu18l'ités, ayant en !iomme des conditions d'exist.ence et I~ possibilité de trouver des normes moyennes d'ajustemcllt .qui .IUI permettent d'exercer se8 fonctions. SUT ln surface de proJ~ctJOD de l'économie, l'homme apparaît comme uyant d~ beSOinS et des désirs, comme chcrc1IRnt il les sati~rnire oyant donc des intérêt.s, visant à des profit~, s'opposant à d'autres ht)J~lmcs; bref, il apparaît dans une irréductil)Je situation de conthli ce~ conllits, il les esquive, il les fui.t, ou il parvient li 1e5 ~onllner, à trouver une 501utioll qui ~n .apa~e,.au moin~ Il un ru.eau t pour un temps, la cunlradlcllon; il lUstaure un cnsemLle . e règles qui sont à la fois limitation el rebondissement du ~on!ht. Enfin, sur la surface de projection du langage, les condUltes ùo l'homme apparaissent comme voulant dire quelque cho;,e; se~ moindres gestes, jusqu'en leurs méca0Ï5mes invo]ontalfeS li jusqu'en leurs échecs, ont un ,elUj et tout ce qu'il dépose autOUr
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    369 d luien lait d'objets, de rites, d'habitudes, de dillcours, tout 10 ·llarre de traces qu'il laisse derrière lui conlltituo'un ensemble Il Iblé re1n> t et un systè• me de s·Ig nes. A"I DSI ces trOI.S coup1 e s de 11 ~nctilJn et do la ,:orme, du conflit et de .10 règle, de .la 8ign~fi­~,. on et du syst6me couvrent sans résIdu Je domame entIer d ln connaissance de l'homme. Il n ne faudrait. pas croire cependant que chacun de ces couples de concepts demoure localisé sur 11 surEace de projection où ils ont pu IIppRratt~ : la fonction .et ]a norme ne sont :en! des concept!; psychologiques .et ~xcl~,,:e~ent tels; le co~(ht et.la règle n'ont pas 1me apphcatloB JUBltee au seul domame SOCIO­logique; la signification et le 8y~1.ème ne valent pas seulement pour les IJbénomènes plus ou mOIDS apparentés au langage. Tous ces concepts 80nt repris dans le volume commun des sciencos humaines, ils valent en chacune des régions qu'il enveloppe: de là vient qu'il est difficile souvent de fixer les limites, non seule­ment entre les objets, mais entre les méthodes propres à ]a psychologie, à la sociologie, à l'analyse des littérat.ures et des mythes. pourtant, on peut dire d'une façon glohalequelapsy· chologie, c'est fondamentalement une étude de l'homme en termes de fonctions et de normes (fonctions et normes qu'on peut, d'une façon seconde, interpreter à partir dos conllits et des significations, des règles et des systèmes); ]a sociologie est fondamentalement une étude de l'homme en termes de règles et de conflits (mais ceux-ci, on peut les interpréter, et on est sans cesse amené à les interpréter secondairement soit il partir des fonctions, comme s'ils étaient des individus or~nni­qucD?- ent liés à eux-mêmes, soit à partir de systèmes de signi­fications, comme s'ils étaient des textes écrits ou parlés); enfin, l'étude des liUérdtures et des mythes relève essentielle­ment d'une analyse des significations et des systèmes signi­~ untSI t.nais On sait ~ien qu'on peut rep~ndre celle-ci en termes ~ ~oherence fonctJonnelle ou de conllits et de règles. C'est aUlIlI que toutes les sciences humaines s'entrecroisent et peuvent t?ujours s'interpréter les unos les autres, que leurs frontières 5.el~acent, que les disciplines intermédiaires et. mixtes se mul­t: Jtp h~nt. indéfiniment, que leul' objet propre finit même par dls~oudre. Mais quelle que soit ]a nature de l'analyse et le s:m~Ine 8u~uel tillo s'applique, on n un critère {ormel pour ouVdlr ~e qUI est du niveau de la psychologie, de la ~ociologieJ me : 1 analyse .d~s langngcs : c'est le choix du modèle londa­à n ~,etlaposlti)ndesmodèlessecond5 quipermettentdc52voir l'é'tud do~~n~ on c psychologise JI ou on Il 8ociologi~c Il d~8 CD sees ~tteratul'es et des mythes, à quel moment on fait, P Ycholog1e, du dêebiffrement de textes ou de l'analyse socio-
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    370 Lu motlet lu cMse. logique. Mais cette 8wimprellsion de pluiieurs modèles n'list pus un défaut de méthode. Il u'y a défuut. quo si lcs modèllls Ile sont pal! ordoDDéti et explicitement. arLiuulci8 let; uns lur lta autros. Ou suit. avec quelle précitiion admirable on Il pu couùuire l'étude des mytllOlogicll indo-Olll'Opéenneb on utili~ant, SUr fond d'une ullulyse des signifinnts et des 8ignilicutions, le IIIUùèle lIociologiqul;. On sait en revanche à quelles l,latitudes lIyncr~. tiques a mené ln toujours médiocre entrcprise de fonder UDO psychologie dite 1 clinique 1. Qu'il soit fondé et maitlÏsé, ou qu'il s'accomplisse daDa la confusion, cet entrecroisement des modèles constituants explique los discussions des méthodes qu'on évoquait. tout It l'heure. Elles n'ont pail leur origine et leur justificution daDa une complexité par(oia contradictoire qui serait le c:uractère propre dtsl'homme; muis danlile jeu d'opposition qui permet do ùélinir chacun des trois mudèles par l'apport ClUX ÙtlUX autre.. Oppuser lu gtlnèse à la IItructure, c'est OppOlltlf la fonction (en son développ6IJloot, en ses op6ratioQs progretisivement. divcr· BiHées, en ses adaptatiolll! acquÏl;es et éqUilibrées dans lu temps) au synchronisme du conflit ct de la règle, de la sibrnification e~ du système; opposer l'analyse par l' «inférieur J à cene qui S8 maintient au niveau de 80n objet, c'est oppuser le con m, (comme donnée première, arcllaIque, inscrite dès les besoins londamentaux de l'homme) à la fonction et à la signi6cation telles qu'eUes se déploient dOIl! leur accomplissement propre, opposer la compréhension à l'explication, c'est opposer la technique qui permet de déchiffrer un sens il partir du sy!!t~mts signifiant, à celles qui permettent de rendre compte d'un conllit avec ses (low;équeuces, ou des (ormes et des défomlutlonll qu8 peut prendre et subir unts fonction avec Iles organes. Mais il faut aller plUti loin. OIL sait que dalll les sciences humaines 18 point de vue de la discontinuité (seuil entre 1 .. nature et la culture, irréductibilité les uns aux autres des équilibres ou dlls solutions trouv6s par chaque suciété ou chaque indiviùu, ab3ence des lormes intermédiaires, inoxistonC6 d'un conLinuum donn6 dans l'e:>poce ou dans le temps) s'oppose au point dts vue de III continuité. L'existence de cette opposition s'c."<plique p'sr .Ie caractère bipolaire des mod~les : l'analyse cn style ùe contlllUl~ l'appuie sur la permanence des fonctions (qu'on retruuve ?epul.6 le fOIld de la vie da';!s une identité qui autorise et Illlrac:ne Iii adaptatiuDs successlves), sur l'encbalnement des conflits ( a ont beau preDdre des formes diverses, leur bruit de lond ne celse jamaü), IIUI' la trRIne des significations (qui se reprennJ~t les Ulles leti autres, et conttituent comme la nappe d'un Ill" coun); au contraire, l'analYlie doe discolltinwtéa cherche plu"
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    371 t l(pire surgir 10 coMmnee inteme de! systèmes signifiants, :0 r~ci6citê deli ensembles de règle!! et le e&fIlctère de décision Il ~ lies prennent por rapport à ce qu'il fnut régler, l'émergonce qdu le nonM ou-dessus des oscillations fonctionnelles, e OIn plour,rait peul-être rc:tracer t.out~ l'hI'S tOU'"de ~ Ii BC' lencBS humoioes, depuis le XIX· slèc1e, à partl,r de,ces ,troIS mod~188. JI~ en ont couvert, en eltet, tout)e devenir pU1!iqu on peut IUIVl'8 d· uis plus d'un siècle la dynastie de leun privilèges: le règne d~fbord du modèle biologique (l'homme, la psyché, son groupe, !la société le langage qu'il parle eXÏlltunt à. l'époque romontique ~omme d~8 vivants et. daos la mesure où en effet ils vivent; leur mode d'être est organique et on l'analyse en termes de fonction)j puis vient le règne ,du modèle, éeonolD;Ïque (l'homm~ ~t toute· eOD ocl.ivité sont le bcu de confhts dont ils 10Dt à la fOIS 1 expnl9- lIioD plus ou moins manifeste ot 10 solution plus ou moins r~u!­sie)' eolin - tout comme Freud vient après Comte et Marx­co~ eoc~ le règne du modèle philologique (quand il .'agit d'interpréter et de découvrir le sens cachll) et linguistique (quand il s'agit de stnlcturcT et de mettre 8U jour le système signifiant). Une vpste dérive a donc conduit les sciences humaines d'une forme plus dense en modèles vivants, Il une autre plus saturée de modèles empruntés au langage, Mai! ce gliqsemcnt a été doublé d'un autre: celui qui a fait reculer le premier terme de chacun des couples constituants (fonction, conOit, sigoi.6ca­ ·tioo), et fait surgir avec d'autant plus d'intensité l'importance du second (norme, règle, 8)'l1tême): GoldsteÏD, Mauss, Dumezil peu'ent représenter, l peu de choses près, le mOloent où s'e8t accompli )e renvenement en cbacun des modèles. Un tel ron­ve1"!! cment a deux sériel de conséquences notables: tant que le poiot de vue de la fooction l'emportait sur celui de la norme (tant que ce n'élait pas à partir de la nonne et de l'int~rieur de l'activité qui la pose qu'on essayait de comprendre l'accom­plissemcnt de la fonction), alon il follait bien partager de facto les fonctionnements normaux de ceux qui ne l'étaient pas; on admettait ainsi une psychologie pathologique tout à cOté de la nonnale mais pour en être comme l'image inverse (de là l'im­hirtanre du schéma jacksonnien do la désintêgrotion cher. (D bot ou Janet); on admettait aussi une pathologie de!'! sociétés urkheim), des formes irrationnelles et quo~j morbides de droyances (r..h-~·-Bruhl, Blondel); de mÔme tant que le point e 'ue du conflit l'emportait sur celui de la règle, on supposaIt !:lue, c,ertains conllits nc pouvaient pas ~tre surmontés, que le!! jdrv1dus et les lociétés risquoient de s'y abîmer; enfin aussi ongtemps que le point de vue de la signifieation l'emportait aur celUI du système, on partageait le ~ignifiant et l'insigni.
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    312 liant, onadmettait qu'en certains dOIllQinee du oom~ortelDen humain ou de l'espace social il y avait du seu, el 'l'' aiUeul'l J n'yeu avait pas. Si bien que lcs sciences humainee exerÇaient dans leur propre champ un partage essentiel, qu'eUes s'éten. dllient toujours eDtre un pôle positif et. un JlÔle n6gatir, qu'elles désignaient toujours Wle altérité (et. ceci à purtir de la conû nuité qu'elle5 analY5aienl). Au contraire, lol'Sque l'analyse .'es; fuite du point de vue de la norme, de la règle et du sysl.ème, cbllque ensemble a reçu de lw-même sa propre cohérenee et S8 propre validit6, illl'a plus été possible de parler mêlOe l propos dos maludoB de C cODscience morbide " même à pro­pos de sociét.és abandonnées par l'biBtaire, de « mentalités pri­mitiveB -1 même à prop08 de récits absurdes, de légendes aPIla­remment. sans cohérence, de c discourl insignifiallts J. 1'uut peut être pensé dans l'ordro du 8YliltèlDe, de la règle el de la nonne. En se pluralisant - puisque ICB s)'Btèlnell sont isol6s, pUÏ5QUf les règles forment des BDsemuleli cl06, pUÏ5que les normtlll .e po~ent dans leur autonomie-le champ des sciences humainoa S'fit truuvé unifié: il a cessé du coup a'être scindé selon une dichotomie de valeurs. Et. si on Bonge que Freud plws que toul autre a appl'Oché la connaissance de l'homme de Bon modèle philologiquo el liugtlistique, mais qu'il est aUll8i la pl'llmitlr fi avoir entrupris d'eUacer radicalement le partage du pOliitil et du négatif (du normal et du pathologique, du comprOhensible et de l'incommunicable, du signifiant et de l'insjgnifiant), on comprend commtlnt il annonce le passage d'une analyse ln termes de fonctions, de coullit.s et de significations Il Wle annlyse en termes de norme, de règles et de systèmes : el." est ainli que tout ce savoir fi. l'intilrieur duquel la culture occidentale .'était donnée en un lIièllle une certaine image de l'homme pivote autour de l'oeuvre de Freud, 880S Bort.ir pour autant de SB dis· position fondamentale. Maïa uncore n'ellt.-ce pas là - on Je verra tout à l'heure -l'importance la plus décisive d~ la psycbanalyse. En tout cas, ce passage 8U point de vue de la norme, de l~ règle, et du système nous approche d'un }IL'uLlème qui Il hte lwslié tin suspens : celui du rôlo dit lu rllpréseutation dans les sciencoli 'lwnaÎnes. Déjà il Jlouvait pal"o1itre bien cont.est'l'~le d'enclore celles-ci (pour les opposer li la biologie, à l'éconOl!lI~ il la philologie) dans l'espace de ln reprUsentaLiou; ne [allult­pas déjà faire valoir qu'une fonction peut 8'e.~ercer, un conUI. dê'lllol'per Iles conséquences, une significution imposer s0!l intelligibilité 5linS pall'er par le moment d'une conscience expli· ~it.,~ Et maintenant ne faut-il pas reconnnttro que le propre dit 1 .. norme, par rapport. à la [onction QU'elle dêterJDÏne, dd •
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    Lu ,cÏ8ncu humai,,"373 ~ 1 par rapport au conflit qu'clle r~git, du aystème. pur rapport l f :ignificaüon.qu'il rend poslible, c'est;prêcis6ment cie n'Atre a donné lA )a conscience? Ne faut-il pas, aux deux gradients "p':R l' oriques déJ•l l 1•1 10l é, esn B'J outer un trol•9 l' èm e, et d·I re que ,d . .8 p uis le xlxe lu• èc ) e. 1c s SC•I ences h Wllu.wes, Do nt. cesllu1- d' appro-le er de ceUe région de l'inconscient où l'ÏIlI;tance de )Il rcprC!­~~ talion est.tenue en s.uspens? En lait, la représell;ation ~'ellt us la COQl!ClencO, ot nen ne prouve que cette JDl8e au Jour ~'éléJlleDts ou d'organisations qui Ile lont. jamais donnl:s comme tels li la conscience fasse échapper les science8 humaines l la loi d. la représentation. Le rAIe, en ef1'et, du concept de signi­fication c'est do montrer comment quelque choso comme un langAge: même s'il ne s'agit pas d'un discours explicite, et m~rne s'il n'est pBB d6ployé {'our une conscience, peut en général etre dODné lIa repmsentatJon; le rôle du coucept complémen­taire de llysV.me, c'est do mont.rer comment la signification n'ert. jamOJB I?remière et contemporaÏDo d'eUe-même, mais tou­joun secohde et comme dérivée pal" rop~ort lt. un aystèR'e qui la pIicède, qui en cOIlllt.Îtue l'origine pO!l1tive, et qui se donne, peu Il peu, par fragments et profila à. travers elle; pRr rapport Il la cODscience d'une SignillClltioD, le sYltème est bien toujours ÏDcODl!cil:llt puisqu'il êtait déjà là. avant. elle, puisque c est en lui qu'uDe lie loge et lt. partir do lui qu'elle s'uf1'ectue; Dlm parce qu'il est. toujoun promis li. une consciencefut.uroqui peuL­Atre ne le totalisera jlWlais. Autrement dit, le couple .ignifi­' lllLÏou·.ystème, c'C$t ce qui 811ure li. la fois la repréllentabiliL6 du lan~gc (cOJWlle ~xte ou IItructure analysés par lu philologie eL lulinguist.iquo et. lu préloRce proche mais reculée de l'ori­gUle (tulle qu'elle est manifestée comme mode d'être de l'homme pllr J'unulyLique do Ip finit.ude). De III même façon, la notion de conflit montre comment. le hesoin, le désir ou l'intérêt même ,'ila nll sout. pas donn6s il la consciouce qui les éprouve, peuvent pl'l!udre (orme dans la représuntation; et le r61e du concept i~~ve;.;e du règle, o'est. de montrer comment la violence du conflit, 11l!!15~DCO apparemment sRuvago du hesoin, l'infini sans loi du délilr sont cn fnit déjà organisés pal un impensé qui non seu­le, meut. l'!ur prescrit leur règle, mais les rend possible .. Il parti. ~ ube ~glc. Le eouplc conflit-règle assure la représentahilité u. es.vU! (de ce besoin que l'économie 6tudio comme processus dbJeCl~ dans J(. trnvail et la production) ot la rUJlrésentabilité 1 e cet mlpense que dévoile l'analytique de l.s lliiitude. Enfin, e CUn(:cpt de lonction a pour rôle de montrer comment les (:ct~ de Ja "le peuvent donner lieu Il la rupré:ientation ~D!e IL elles n" aUI&t pal conscientes) et le concopL dit norme
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    37ft LBS motsel les chose, comment la lonction se donne il olle-même ses propres condi tionR de possibilité et les limites do Bon exercice. • Ainsi on comprend pourquoi ces grandtls catégories peuvent orgAniser tout. 10 champ des scienC',cs humaines: c'est qu'clles le traversent. do hout en bout, qu'elles tiennent li distance mais qu'elles joignent. aussi les positivités ompiriques de la vie dll travail et du langage (à partir desquellel:i l'homme s'est histori. quement détaché comme figure d'un savoir pOllswle) aux. formes dtl la finitude qui caractérisent le mode d'êt.re de l'houune (leI qu'il s'est constitué du jellr où la repmen'tation a cessé de définir l'espace général de la connaissance). COB catégories ne BOllt donc pas de simplOli concepts empiriques d'une assez grande généralité; eUes lIont. bien ce à partir de quoi l'homme peut s'olTdr à un sllvoir possible; eUes parcourent tout le chnmp de sa possibilité et. l'articulent fortement sur les deUX' dimoDl:iiollB qui le bornent. Mais ce n'est pas tout : elles permettent la diSSOeilltiClD, coroctérilltique de tout le savoir contemporain sur l'homme, entre lu conscience et la reprêsentation. Elles définissent ]a manière dont lcs empirieitês pouvent être données li. la représen tationmais sous une Eorme qui n'est pas présente à la conscience (la Eonction, le conDit, ]a significat.ion sont bien la manière dont la vie, le besoin, le langage sont redoublés dans la reprêsenta­tion, mais sous une forme qui peut être parfaitement incons· ciente); d'autre part, elles définissent la manière dont ]a fini. tude fondamentale peut être donnêe li. la représentation sous une forme positive et empirique, mais non transparente li. la conscience naïve (ni la norme, ni la règle, ni le système ne son' donné. à l'expérience quotidienne: ils la tru.veoeent, donnent lieu à. des consciences partielles, mais ne peuvent être bc1airr.s entièrement que por un savoir réflexif). De sorte que les sciences humaines ne parlent que dans l'élément du représentable, ntais eelon une dimension consciente-mconsciente, d'autant plua marquée qu'on essaie de mettre au jour l'ordre dos 6ystèmes, des règles et des normes. 'l'out se passe comme si la dichotomitt du normal et du pathologique tendait à s'effacer au profit de la bipnlaritê de la conscience et de l'inconscient. Il ne fout donc pas oublier que l'importance de plus en plus marquée de l'inconscient ne compromet en rien le primat de la reprp.sentntion. Cette primauté cependant soulève un impor tant problème. Mainlenah1: que les savoÎrll empiriques comm!l ceux de la vio, du travail et du langage échappent à sa ]01, maintenant qu'on essai" de définir hon. de son cbamp le mode d'Hre de l'homme, qu el:lL-Ce que ln repr~sentation, sinon un llhénomrlJl' d'ordrt> empirique qui 'le produit en "hotIUlle el
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    37& qu'on pourraitanalyser comme tel. Et si ]a représentntion se produit en l'ho~me, quelle dilIl:ronce, y a-t-il c?'tre clio et ]p conscience? Mms la représentatIon n est pas slmpltment un objet pour les sciences humaines; clio e~t., comme on vient de 10 voir, le chnmp milrne des sciencos humaine! et dans ~oute leur étondue; ellc c~t.le socle gê.nérel de cette Ionne de savoir, cc à partir do quOI Il cst pOSSIble. Do là deux: consêquences. L'une est d'ordre historiquo c'est le fait que Jes sciences IlUmaines, à la dilTérence des scicnces empiriques depuis ]e XIXU sièclo, et à ln dilrérenco de la pensée moderne, n'ont pu contourner le primat de la représentation; comme tout le savoir classique, elles se logent en elles; mais clics n'on 60nt pas du tout le~ hêritières 011 ln continuation, cal' touto la conliguration du savoir s'ost. modifiÏ'e, et allci ne sont nées que dans la mesura où est apparu, avec l'homme, un être qui n'existnit pas aupara­vant dans le chilmp de l'épi8témâ. Cependant, on peut com­prendre pourquoi chaque fois qu'on veut se servir des sciences humaines pour philosopher, reverser dans l'espace de la pende co qu'on 8 pu apprendre là où l'hommo était en quC'3tion, on mime la philosophie du xvrne siècle, dons laquelle l'homme pourtant n'avait pus de place; c'est qu'en étendant nu-delà. do ses limites ]e domlline du savoir de l'homme, on étend de m~me au-delà de lui le règne de la représentation, et on s'ins­talle li nouveau dans une philosophie de type classique. L'outre conséquence, c'e9t que les sciences humaines en traitant de ce qui est représentation (sous une forme consciente ou incons­ciente) 8e trouvent traÏ!.er comme leur objet ce qui est leur condition de possibilité. Elles sont donc toujours animées d'une sorte de mobilité transcendantale. Elles ne cessent d'exercer à I:égurd d'elles-mêmes uno reprise critique. Elles vont de ce qw est donné à la représentation, li ce qui rend possible la repré- 6entatioll, mais qui est encore une représentntion. Si bien ~'el1es. cllerchent moins, comme les autres sciences, à se gcnérahser ou à se préciser, qu'à se démystifier sans nlTôt : à I)as~er d'une évidence immédiate et non contrôlée, à des formes mOIDS transparentes, mais plus fondamentales. Ce chemine­dent. qunsi trnnscendantal se donne toujours sous la fOl'lJle du évOllement. C'est toujours en dévoilant que par contrecoup elles pe~'ent sè généraliser ou s'affiner jmqu'à penser les phéno­rnènes l!;dividuels. A l'horizon de toute science humaine, il y ri ]e pr?Jct de ramener ln conscience de l'homme à ses condi: l' OIlS re~lles, de la restituCl' aux contenus et aux formes quI ont !alt nattre! et qui s'esquivent cn eUe; c'cst pourquoi Je ~r:;le;e .de l'mconscient - sa possibilité, son statut, son e eXlStence,les moyens de Je connaître et dele mettre au
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    376 jour -n'cst pas simploment un probl6me intérieur aux seiellCe6 humaines et qu'ollcs rcncontreraient au hasard de leurs démarches; c'cst un problème qui est liDalement coexteQiiif à leur emtence m~mo. Une surélévation transcelldanta.le l"eloUf.. n6c en un dévoilement du non-conscient est constitutive de toutes Jes sciences de l'homme. Peul-Ô!.ro trouverait-on là le moyen do les cerner en co qu'cllOll ont d'essentie1. Ce qui manifeste en tout cas le propro des sciences humaines, on voit bien que ce n'est pas eet objet privilégié et singulièrement embrouillé qu'est l'honUDu. Pour la bonne raison «Jue ce n'es.t pus l'homme qui les constitue et leur 01lre un domaine spécifique; mais c'est la disposition générale de l'épÏ8ttime qui leur fait place, lcs appelle et lell inlltaure,­leur permettant. aiusi de constituer l'homme comme leur objot. On dira donc qu'il y a • science hl.l.lDlÜne , non pas partout où il est question de l'homme, mois partout où on unolyse,ùanslll dimension propre à l'inconscient, des normes, dcs règles, des oDliembles signifiants qui dévoilent li. III conscience les condi­tious de Bes larmes et de ses contenus. Parler de • sciences de l'homme' dans tout. aum cas, c'est pur et simple obus de langage. On mesure par là combien Bont vaines et oiseuses toutes les discussions encombrantes pour Bavoir si do telles eonnaissances pcuvent être dites réellement scientifiques ct li qucllos conditions elles devraiellt s'ussujett.ir pour Je devenir. Les • sciences de l'homme' {ont pal'tie de l'épilitimè moderno comme la chimie ou la médecine ou telle autre science; ou encore comme la grammaire et l'histoire nat.urelle faisnicnt partie de l'~p~lémè classique. Mais dire qu'elles {ont pnrtio d" champ 6pistémologique signifie seulement qu'elles y enra­cinent leur positiv.i1.é, qu'cllcs y trouvcnt leur condition d'cxis­tence, qu'clles ne Bont donc pas seulemcnt dcs illusions, do=! chimères pseudo-scientifiques, motivées au niveau dei opinioDll, des intér6ts, des croyances, qu'olles ne sont pas ce tILLe d'autrUI appellent du nOIll bizarre d'. idéologie J. Mai~ cela ne veut pas dire pour autant que ce sont ùes Bciences. S'il est Vl'Ili que toule science, quelle «Ju'elle soit, qcand on l'jnterroge au niveau archéologique eL quand on chercho à désensabler 10 sol de sa positivité révùle toujours la configura­tion épistémologique qui l'a rendue possible, en revanche toute configuration épist.6mologique, même si elle est pnrfaitemcnt lIssigD.able en sa positivité, peut lort bien n'être pas une scienc~: elle ne se réduit pns du Lait nl~me li. Wie imposture. Il faut ~. tinguer avec soin trois choi!!s : il y Il les thèmes à prélcnUon scientifique (Pl'On }'Icut rencontrer au niveau dcs opinions e' qui ne font pas (ou plus) parlie du réseau épistémolOgique d'UJIe
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    377 ulture :li. pl!'ti!' du XVII· si~cle, pal' exemple, la mngie natu­~ lIe. ecSlié d'appartenir k l'dpi,timè occidentnle, mais cne .'est rolongée longtemps dans !e jeu des croy:u~ces et de~ valorisa­fions atTceti'"es .. I~ Y 0 ensuite .Ics figures l:pl!ltêmologlques ~on~ le dell~in, la posItiOn, 10 fonctionnement peuvent être restituh e~ leur pO$itivitl: par une anal)'Be de type oTchéologique; et k leur tour, eUes peuvent obêir k deux organisations dilJérentes: les unes présentent dos caractères. d'objeclivi~é et de systéma­licité qui permcttent de los définir eODlDle sCiences; les autres lUl répondent pas à ces critàres, c'esl-à-dire que leur fonne de cohérence et leur rapport à leur objet lonl déterminés par leur aeule pO!litivité. Celles-ci ont beau ne pas posdder les critères formels d'une connaissance scientifique, elles appartiennent pourtant. BU domaine positif du savoir. Userait ~o~c .auui vain et injuste de les analyser comme phénomènes d oplD1on que de les confront.er par l'histoire ou la Cl'itiquo aux formationi pro­prement. scientifiques; il serllit plus absurde encore de les traiter comme uno combinaison qui mélangerait selon des proportionl variables des 161émenls rationnels 1 et d'autres qui ne le seraient pas. Il fnut. Ica replacer au niveau de la positivitê qui les rend p09~iblcs ct détermine nécessairement leur forme. L'arcb6ologie a donc à leur égard deux tiches : déterminer la manière dont ellcs se disposent. dans l'épütémè où elles s'enracinent; montrer al1~5i en quoi lour configuration est radicalement dilTérente de celle des sciences au sens strict. CeUe configuration qui leur est pnrticulii!rc, il n'y a pas à la traiter comme un pb~nomène négatif: ce n'est pas la prisence d'un obstacle, ce n'est paa quelque déficicnco interne qui les font échouer au seuil des (ormes scientifiques. Elles constit.uent en leur figure propre, Il c6té des sciences et sur le même loi archéologique, d'dUIru configurations du savoir. 1 De tolles configurations, on en a rencontré des exemples .wec a grammaire gênél'llle ou avec la t.héorie classique de la valeul'i ell~ avaient le même sol de positivité que la mathhmatique c .... t~slelllle, mais elles n'étaient pas dos sciences, du moins pour la p IIp~rt do ceux qui étaient leura contemporains. C'est. le ca8 dU~s~ ùe cc qu'on appelle aujourd'hui les sciences humaines; elles c,'SI~eDt, quand on en fait l'analyse archéologique, dei confi­guratIOns llllrfnitement positivcs; mais dès qu'on. détermine ces ~nra~r~tJons et ]a manière dont elles Bont disp9shei dans êt!uLS~eme ~oderne, on comprend pourquoi ellcs ne peuvent pu etrt • es 5~ences : ce qui les rend possibles en eJIet, C'8!t une de l~~ne tiJL~tion de 1 voisinage 1 Il l'égard de la biologie, n'ex.i.conomae, de la philologie (ou de ]a linguistique); eU. litent quo dans la mesure où eUes 80 logent Il cGl6 de eeUes·
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    37b .ut, mot:et ,es cflose. ci - ou plutôt fin dessous, dans leur elIpncc do projection. EUlla entretiennent cependant avec elles un rapport qui e~l radicale_ ment difTércnt de colui qui pout .'établir entre deux 8cicncII5 • connexes Il,OU ft nffin?s D: ce rappor~, en e.tJet, flUr.P05C 10 trons_ lert de Modeles extérlCurs ùans la dlDlenslon de 1 lnconscÎcnt et de la conscienco et le reflux de ]a réncxioD critique vers le lieu même d'ol viennent ces modèles. Inutile donc de dire que loe 1 8cicJ?-ces humaines J sont de fau?ses IIc~ences! ce ne sont pas des sCIences du tout; ]0 configuratIon qw définIt leur positivil6 et les enracine dans l'épislbnè moderne les met en mmne temps hors d'état. d'~tre des sciences; et si on demande alors pourquoi elles ont pris ce titre, ilsuffirn de rappelor qu'il nppnrtient à III définition urch6ologique de leur enracinement qll'elJc~ appellent et accueillent.]e trandert de modèles empruntés li des sciences. Ce n'est donc pall'irréduct.ibilité de l'homme, ce qu'on dÏ'_~i(ne comme son invinc.ible transcendance, ni m~mc !IR trop grande complexité qui l'empêche de devenir objet de science. La culture oecident.ale a constitué, 1I0US le nom d'homme, un être qui, pnr un seul et m~mc jeu de raisons, doit être domaine posi­tir du "o,IJoir et ne peut pas être objet de scÎenoe. IV. L'IIISTOIRB On 1 parlé des sciences bmnnines; on a parlé de ces grandes r6gions que délimitent A peu près ]0 psychologie, la 8ociologie, l'anlllyee dos litt6ratures et des mythologies. On n'a pal parlé del'Hiltoil'6, bien qu'elle soit la première et comme la mère de toute9 les sciences de l'homme, bien qu'elle soit aussi vieille peut-~tre que la mémoire humaine. Ou plutôt, c'est pour cette raison même qu'on l'a passée jusqu'à présent 90US silence. Peut-ètre, en effet, n'a-t-eUe pal place parmi les sciences humaines ni à côté d'elles : il est probable qu'elle entretient avec elles toutes un rapport étrange, indéfini, ineffaçable, et plus fondamental que ne le serait un. rapport de voisinnge da1l5 un espace commun. Il est ,-rai que l'Histoire 0 exist6 bien avant la constitution de5 sciences bumainc5j depuis le fond de l' Qge grec, ene R 6x~r~ dans la culture occidentnle un certnin nombre de fonctIons majeures mémoire, mythe, trnnmlission de la Parole et de l'Exemple, véhicule de la tradition, conscience critique du p1- aent, déchitJrement du destin de l'humanité, anticipation sur e futur ou promesse d'un retour. Ce qui C81'9ctêrÏBait cetto
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    Le. 4cisnces hU11UJinu379 Hilltoire - ce qui du moins peut la définir, en ses traits goné­aUX par opposition à la nOtre - c'est qu'en ordonnant 10 ~eDl~ dei humains au devenir du monde (dans une Borto de de chronologie cosmique comme che7. les stoioioRS), ou fn!:rsr:menl en étenùant jusqu'aux moindres porf~ones do la noture 10 principe et le mouvement d'une dostinat.ion humaine (un peu à la manière do la Providonce chrétienne), on concevait une grande histoire lis.~e, uniforme en chacun de ses points qui aurait t.ntrainé dans une même dérive, UDe même chute ou lme même ascension, un même cycle, tOU8 lei hommes et avec eux les choses, les animaux, chaque êue vivant ou inerte, et jusqu'aux visages les plus calmes dela terre. Or, c'est cette unité qui l'ost trouvée fracturée au début du XIX· siècle, dans le graad bouloverticment de l'épÏ8témà occidentale: on a découvert une historicité propre à la nature; on a même défini pour cJ13que grand type du vivant des formes d'ajustement au milieu q11i allaiont permettre de déGnir par la suite Bon proGl d'évolution; bion plus OD. a pu montrer que des activités aussi sÏDgulièrp,mcnt humaine. que le travail ou le langage déte­naient, en elles-mllmes, une historicité qui ne pouvait pas trouver sa place dans le grand récit commun aux choses 01. aux hommes la production a des modes de dével0l'pemont, le capital des modes d'accumulation, les prix des lois d'osoillation et. de changements qui ne peuvent ni so rabatt.re sur les lois naturelles ni se réduire à la marche généraJedel'humanitêj de Blême le langage ne se modifie pas tellement avec les migra­tioos, le commerce et. les guerres, au gré de ce qui arrive à l'homme ou à la fantaisie de ce qu'il peut. jnvenler, mais sous d.es conùitions qui appartiennent en propre aux formes phoné­tIques et gl'amrnaûcales dont il est constitué; et. ai on a pu dire que les divens langages naissent, vivent, pordent. de ltlur force 8!l vieillilisant el. lini!;sent par mourir, cette métaphore biolo­ltI, ue n'est. pas laite pour dissoudre leur histoire dans un temps qUI serait celui de la vie, mais plutôt pour souligner qu.'ils ont eux 8~l!si deti lois internes de (onctionnement et quo lour chro­nol~ gte 8e d~v81oppe selon un templi qui relève d'abord de Jeur coherence IIl117uhère. pli, indille d'ordinaire li croire que le Xlxe siècle pour des rnl~on~ cn majeure partie poliliques et sociales a porté une a,~t~nt!~n plus aiguë li l'hÏlitoire hwnaine, qu'on a abandonné ~!dre d un ordro ou d'un plan continu du. temps, celle également un p~ogrès ininterrompu, et qu'on voulant. racontcl" sa propre a~cen:'non, la bo11l'geoisie ft rencontré, duns le calenrlrier de sa ~Ib!l~, l'épaisseur historique des institutions, la pesanteur dos a ltu es et. des croyances, la vioJ.oce des luttes, l'alternance
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    380 des succèsd de!, 6checs. Et on 81JI'Jlnse qu'à pUl'l.Ïr de là on a éumdu l'historicité dr.couverto en l'hommo BUX objet., qu'il avuit. !ahriqlltls, au langage qu'il pnrlnit, et plus loin encore l la vie. L'élude des économies, l'Illstoirc des littératures et des gmmmail'tl~, en fin de compte l'évolution du vivant ne seraient rien que l'c1Tc. de dilT11sion, 8ur des plages de la r.onnaiss8llce de folua en plus lointnines, d'une hist.oricité découverte d'abord en 'homme. C'esL en wdlilli le contraire qui s'est pn!;sé, Les chOIes ont reçu d'abord UDe hist.oricité propre qui les a libérées de cet ellp8C6 continu qui leur impOliliit. la même chronologie qu'aux hommes. Si bien que l'homme ,'est trouvé comme dépo9&édé de ce qui ClODlltiLuaiL les contenus les plus manifestes de son Histoire: la nature no lui purle plus do ln création ou de la fin du monde, de ~a dépendance ou de 80n proclaain jugument.; elle ne porle pl1L'I quo d'uo temps naturel; ses richessus ne lui indiquent plus l"llnciennet6 01113 retour prochain d'un ûgo d'or; elle!! ne parlent ~11l8 que des conditions de la proliuction qui se modilient. dans 1 Histoire; le langngo ne porto l,lus les marques d'avant Babel 011 des premiers cris qui ont pu retentir dans la forêt; il porte les armes de sa propre filiation. L'être humoin n'a plui d'hi",toire : ou pluttlt, puisqu'il parle, trnvnille et vit, il se trouve, eu son, être propre, tout enchevêtl'6 li. des histoir6S qui ne lui 80nt ni lIubordonnées ni homogènes, Par 10 fragment.ation de l'espace oli s'êtendait continfuncot le savoir classique, (lRr l'enroulement de cbaque domaine ainsi afTranclai sur 80n.propre devenir, 1'1IOmme qui apparait au début dl1 XIXe siècle est 1 désbistoricitié •. Et les valeurs imaginaires qu'a pris alors le passé, tout lp hRlo lyrique 'lui a entouré, à cette époque, la conscience de l'histoire, la VIVO curiosité pour les docwnenta ou les traces que le temps R pu laisser derrière lui, - tout ceci manifeste en SUl'­face lc fnit nu quo l'homme s'est trouv6 vide d'hist.oire, mais qu'il était déjll li la 1.iche pour retrouver au rond de lui-mêule, et parmi toutes les choses qui pOllvoient oncore lui renvoyer son Image (les autres s'étant tues ct rCJllip.cs sur olles-mêlDes), une historicité qui lui fût liée essentiellement. Mais ccUe historicité est lout de suite ambiguë. l'uisque l'homme ne 50 dowae au savoir l,ositif que dans la mesure où il parle, travaille eL vit, son llisLoire 1'01.11'ra-1-01le être autre cho~ que le noeud inoxtrjcable de templi dilTércnts, qui leur sont étrangers et qlÜ sont laéLéro­gènes lus uns aux aull'es? L'histoire de l'homme sera-t-elle plus qu'une sorte de modulation cummune aux changements ditO! ltls condilions de vie (climats, fécondité du loi, modes ae eulLur'~, exploituLion des ricbllSlies), aux trclDsConuations de l'cconoPlle Cet par voie de consequence de la société eL de& institutions) e'
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    381 la succe~siondes larmes et des usa~e~ de la langue? Mois alol'S f.bomrne n'est pas h~i-mêm8 ~istol'Ique : le. temps lui venll;.nt d'lIilIeurs que de lw-même, 11. ~e se c~n~t1t~e Gomme 8ulet d'Histoire que par la I,,;p~rpo.sltlnn de 1 hl!tolre des ~tres, de l'histoire des choses, de 1 histoire des mots. 11 est lIoumlS Il leurs purs événements. Maia aussit~t ce rapport. de simr1e passivité ee r~m'erse : car ce qui parle daJll le langage, cc ql1l travaille et consomme dan!! )'éeunomie. ce qui vit dans 1. vie humnine, c'est l'hommc lui-même; et à ce titre, il a droit lui aussi Il ua de~enir tout aussi positif que celui des êtres et des choses. non Ploioe ant.onome. - et peut-êt.re même plus fondamental : n'est.-ce pail une historicit.é propre li. l'homme et inscrite profon­dément danll son Mre, qui lui permet de s'adapter comme tout vivant et. d'évoluer lui aUltii (mais grâce Il des outils. li. des tech­niques, à des organisatioDl qui n'appartiennent li. aucun autre vivant), qui lui permet d'inventer des lormes de production, de ltabiliser, ùe prolon~er ou d'abréger la validité des lois écono­migues par la conllClcnce qu'il en prend et. pur les institut.ioQi qU'lI aménage l partir d'elles ou autour d'elles, qui lui fermet enfin d'exercer sur le lan~age, en chacune des paroles qu il pro­nonce, une 80rte de pression int.érieure constante qui il1llensiblee ment le fait. glisser sur lui-même en chaque instant du tem~. Ainsi apparaît derrière l'histoire des positivitM, ceUe, plus radi­cale, du l'homme lui-même. Histoire qui conoorno maintenant­rOt. re même de l'homme, puisqu'il s'avère que non seulement il. a 1 aut.our de lui • de J'Histoire _. mais qu'il est lui·même en 80D hÎIlt.oricit.é propre ce par quoi se dessine une histoire de la Tie humaine, une histoire de l'économie, une histoire des lan­gl ges. Il y aurait. doac • ~n niveau trèll enfoncê une historicité de l'holwne qui Berait • elle-même sa propre hist.oire mais aussi J. dispenion radicale qui fonde toutes les autres. C'est bien cette érosion première que le XIX' siècle a ehercbê dllns 80n lI~uci. de tout hist.orjciser, d'écrire. propos de toute chose une histOire générale, do remonter IBDI cesse dans le temps, et. de ürlacer lei .choses 108 plus st.ables. dans la lib~ration du temp~. encore, 11 faut. sans doute révucr la manIère dont. on ~nt t.~ditionnQlIement. l'histoire de l'Histoire; on a l'habitude de dire qu'ave~ le XlXC siècle B OOtIs61a pure chroniquc des t'ivéne­n!~ tts, la IlIDJlle mémoire d'un passë pouplé seulement. d'indi­dl 118.et d'accidenta, et. qu'on B cherché los lois générales tlu everur. En fait, nulle histoire ne fut. plus c explicative II, plu r.~éocCUPé~ de lois générales et de constantes que celles de ~ ge class.'qu8, -lonque le monde et l'homme, d'un sou1 Q~nt! f;usaient corps en Ime hisl.oire unique. A partir du Xlx. Siècle, ce qui vient à. la lumière, o'ost. une formo nue de
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    382 LM mol"st lea cnoe/J8 l'historicité humaine, -le rAit que l'homme en tant que tel est expoa6 lA l'événement. De là, le souci soit de trouver desloia Il ceUe pure fonne (et ce sont de." philosophie'! comme celles de Spengler), soit de la dlifinir à partir du fait qucl'homme vit que l'homme travaille, C)ue l'homme parle et pense: et ce so~1. les interpr6tQtions de l'Histoire lA partir de l'homme envisagë comme e!!pèC8 vivante, ou à part.ir des lois de l'économie, ou il partir des ensembles culLurels. En tout cas, cette disposition de l'Histoire dans l'espace épis­témologique est d'une grande importance pour son rapport aux 8ciences humaines. Puisque l'homme historique, c'est l'homUie vivant, travaillant et parlant, tout contenu de l'Histoire quel qu'il soit relève de la ]lsrchologie, de la sociologie ou des sciences du langage. MalS lDversemcnt, puisque l'êLre hunmin est devenu de part en part ht'ltorique, nuoUll doe contenus analysés par les sciences humaines ne peut rester 6labla en lui­même ni échapper au mouvement de l'Histoire. Et ceci pOUl deux misons: !,aree que la psychologie, la sooiologie, la philoso­phie, même quand on les applique il des objets - c'ost-h.-dire il des hommefl - qui leur liont contemporains ne visent jamais quo des découpes synchronique:; à l'intérieur d'une historicité qui les constitue et les traverse; paree que les fonnes prisM successivement }lal' les sciences humaines, le choix qu'elles font de leur objet, les m6thodes qu'oUesleur appliquent sont donnés par l'Histoire, sans ec.'1ge portés par elle et modifiés il son gr6. Plull'llistoire c.'saie de dépassel' son propre enracinement his­torique, plus elle fait d'efforts pOUl' rejoindre, par-delà la rela­tivité historique de son origine et de sos options, la sphère de l'universaliLé, plus clairement elle porte les stigmates de S8 naissance historique, plus évidemment apparatt à travers eUe l'histoire dont elle-même fait partie (et là !lncore, Spengler e tous les pl~oa;ophes del'hisloÏre e~ I!O!tent témoi~Dage); inver­sement, nuoux olle accepte sa relatlvlte, plus elle s enfonce daDl le mouvement qui lui est commun avec ce qu'elle rllconle, p!~s alors elle tend li la minceur du récit, et tout le contenu ~o~Jllf qu'elle se donnait Il travers les sciences humaines Ile dil~lp". VHistoirc forme donc pour les 6citnces humaine.'! u~ mlhdu d'accueil à la lois privilégié eL dangereux. A chaque scumr.c e l'homme elle donne lm arrièro-fomi qui l'établit, lui fIXe un ~~l et comme une patrie: elle détermino la phtge culturello-l'épl­sodt chronologique, l"insertion géographÎtl'lO - où on peut reconnaîlre à ce savoir sa validité; mülS elle les CCl'no d'~n8 frontière qui les limite, et nline d'ent,roo de jeu Jeur pretention à valoir dam; l'élément de l"unlversnlité. Elle révèle de cctllt manière que Iii l'homme - avant mème do le savoir - a toU-
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    383 • ursété soumis aux détermir.ations que peuvent. manifester la JO ycholomo, la sociologie, l'analyso dus langages, il n'est. pas P~ur aut":.n1. l'objet. intemporel d'un savoir qui, au moins au Pivoau de ses droits, serait lui-mêmo snns âge. M~me lors­: u'elles évitent. toute rêCércn~e. à l'~istoire, ~cs sciences hu,!,oin~s (eL à ce titre on peut placer 1 histoire parmI ellcs) ne font JornOIS e meure en rupport un épisode culturel avec un outre (celui ::quel elles s'appliquent. c0rm.ne à leur objet, et cc~ui où elles ,'enracinent quant à leur exlstence, leur mode d être, lou1'8 oeéthodes et. leurs concepts)j et. ai elles s'appliquent Il leur propre aynchronie, c'cst il lui-même qu'elles rapportent l'épisode cult.urel dont clles sont. issues. Si bien que l'homme n'apparni~ jamais dans ss positivité saDI quo celle-ci soit. aussitôt limitée par l'illimité de l'Histoire. On voit. se reconstituer ici un mouvemeut. analogue il celui qui animait. de l'intérieur tout 10 domaine des Icienoes de l'homme: tel qu'il a été analys6 plus haut, ce mouvement. ren­voyait perpét.uellement des positivités qui déterminent l'êt.re d. l'homme à la finitude qui fait appnl'attre ces mOrnes polôitiviLés; de sorte que les sciences étaient prises elles-mêmes dans cette grande oscillation, mais qu'à leur tour elles la reprenaient dans la fonne de leur propn positivité en cherchant il aller S8ns cesse du consciont. il l'incoIlSclent. Or, voilà qu'avec J'Histoire unc oscil­lation semblable recommence; mais cette fois, elle ne joue pas entro la positiviL6 de l'homme pris comme objet (et manifo5t6 empiriquemont par le travail, la vie et le langage) et les limites zondicnles de son ôtrej elle joue entre les limites temporelles qui dl: finissent le.~ formes singulières du travail, de la vie et. du lan­gage, ct la positivité historique du lujet qui, par la connailisanoe, t:ou"'e accès jusqu'à eux. Ici encore, le sujet et l'ohjet. sont liés dans une mise en question réciJlroque; mais alors que là­bas ceUe mise en question sc faianlt il l'int6rieur même de la connllissnTlce positive, et par le progressif dévoilement de l'iu­c~ nilcicnt par la conscience, ici elle sc fait aux confins cxt6- t'leurs de l'objet et du sujet; elle désigne l'érosion Il laquelle tous deux sont soumis, la dispersion qui les écarte l'un de l'autre, le~ a':f8cba~t à une positivité calme, enracinée et dé6nitive. En tevo~ant. 1 Jnconscient comme leur objet le plus fondamental, es SClcnces humaines montraient qu'il y avait toujours li peMer ~ncore dllns ce qui était. déjà pensé au niveau manifeste; en h éc:ouyrant ,la .loi ~u temps COIlUDe limite e~terDe des sciences umamc9, 1 lIislolre montre que t.out ce qUI est pensé le sera encore par une pensée qui n'a pas encore vu le jour. ~{ais peUl-~tre, n'avons-nous là, SOUiI les formes concrètes de l'in­CO~ Clcnt et de l'Histoire, que les deux faces de ceUe finitude
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    381 qui endécouvrant qu'elle était h elle-même Ion propre {onlle. ment, n fait nppnrnttre 8U Xlxe siècle la figure do l'homme - UI fin!'tdu ~ sans lnf !ir"u , c est sans,J oute une lmit'u d0 qU'I n'a ja1-uInQÏs rom, qUI est touJours en rctrrut par rapport à e))o-mnme à qu' il rene encore quelque chose à penser dans l'imItant min'B 01 elle pense, à qui il reste toujours du telnps pour pORl1cr dB nou­venu ce qu'eUo a pensé. J?ans la peDl;ée modern~, l'l~is.torjcisme et l'ana1ltique 110 la fim1.uilo 110 {ont face. L'lustorlCltiffie ellt UDe mam~re de luirt; raloir pour lui-même le purpét.uel rapport critique qui joue entre l'Hisloire et les IIcienoos humainos. Mais ill'in!tauru uu 80ul niveau dss pOtiitivitéa : la oonnniss:mce positive de l'homme est Jimit6e rar la pooitivité hislonque dit sujct qui connalt. d., sorte que le moment de la finitude Mt dbsous dans 10 jeu d'une relativité à laquelle il n'est pas po~sible d'échapper et qui vaut elle-même comme un ahsolu. :Ittre fini, ce serait. t0l1Lsilll1'18!1Ulllt être J.lris pnr les lois d'une perspective qui ~ la fois permet unl certnme saisie - du type de la percept.ion 011 de la comprl:­heruion - et empêche que celle-ci soit jamais intellect.ion uni­verselle et définitive, Toute cOIUlaÙlsanc6 a'enraoine dans URe vie, une société, un langage qui ont une hi~t.oir6; 6t dans ceUe histoire même elle t.rouve l'élém61lt. qui lui pormot do commu· niquer avec d'ulllres- formes de vie, d'uutrlls t~ de soci6té, d'autres significat.ions : C'lIst pourquoi l'histc)[Jcismo implique toujours une corloine phIlosophie ou du moin~ tlne ccrtl'llne nuithodolugiu do la compréhension vivnnte (dans l'élément dola LabeTl8wlJ/.I,), de la communicat.ion interhumaine (sm fond des organisations llOClQ'C~) et de l'herméneutique (comme re:;saisie à travers le sens manifeste d'un discours d'un sellS à la fois second et premier, e'8..'1t-à-dire plus caché mais plus fondlmen· tal), Par là, les djlTérentes positivités formées par l'Histoire ct déposées en elle peuvent entrer en conlacl les unlls avec les nutres, s'~nvelopper sur le mode de la cOIUlaÎssance, libérer le contenu qui souulleille en elles; ce ne sont Jlas alors IIl8 limit~ elles-rnêml!5 qui appurdissellt dallsleur rigueur impiu-ieuse, maIS des lolalit.6s partielles, des tot.aliLés qui 50 trouvent Ijruit~es de fait. des tot.alités dont on pout., jusqu'li. un certain point, faire houger le .. Il'OnLières, mais qui De s'6tendront jnmoi~ Jans l'e.~. pace d'une analyse dbfiniLlvo, ot ne s'élèveront jumais Don plus jusqu'à la lululité absolue. C'est pourquoi l'analyse de ln finitude ne cesso de revendiquer contre l'hi!lrorici~D1o ln pa,rt que celui-ci avuit négligée: elle ft pour projet de laire surgi!', I1U londeIllcnt do tout.es les positivité,; et avant elle!, ln fin.itud.e qui les·cnd llossihles; là 04 l'historicisme cherchait la pO~1 bilitê et ]a Justification de rapports conCl'f"l:$ eutre des totalités
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    385 b néesdont le mode d'être était doun6 à l'avance par la vie otl~ f~rnll~a sociales, ou les significations du langngo, l'ana~ ;Utique de ln fmi.ude veut interrogm' ce rapport de l'ûtre humain l"~tre qui en d61Ügnunt la finitude rend pusaiblesles positivitél en leur mode d'~Lre eoDcret. v. PSYCD~N.u.YSn, BTBl'IOLOGIB La psychllnalyse et l'ethnologie occupent. da.ru notre S3.TOÏr UDe place ~m.·i1égiée. Non point S?M doute parce ~'eUe!l auraient, mIeux que toute autre SClr.nce humlllUe, 8SS15 leur po,itivité et accompli enfin le TÏeux projet d'être véritableDleot scientiûque9; plutôt parce qu'aux contin., de toutesJes connais­! lances eur l'homme, elles fonnent Il coup sQr un trésor iné­puisable d'expériences et de concepts, mais surtout un porp6- tUl1 principe d'inquiétude, de mÏ!e en question, de critique et de contealatÏon de ce qui a pu 8emblf)r, par ailleUl'll, aoquis. Or, il y ft 1& cela Ulle raillon qui tienl à l'objet. que rcspecLÏvement elles 8e donnent l'une et l'autre, Ul8ÎS qui tient plus encore à la poiition qu'elles occupent et à la fonction qu'elles exercent d8DII l'espace général de l' ~pi.eémi. La psychanalyse, en effet. se tient au plus prèti de cette {onc­tion critique dont on a vu qu'elle éLait. int6rieul'e ft toutes les sciencCli hlllDllÏlles. En Be donnant pour taohe de faire parler à trayon la conscience le discours de l'inconscient, la pBych!l.­nalyle avance dons la direction de cette l'égion fondamentale où le jouent les rapports de la représ