Jeanne Paquin, première reine de la haute couture française
Jeanne Paquin est la première grande couturière française à connaître un succès international dès la fin du XIXe siècle. Retour sur son parcours grâce à Gallica.
Les débuts d’une grande maison de couture
Commençant son apprentissage en banlieue parisienne, Jeanne Beckers rejoint la chic maison Rouff avant d’intégrer Paquin, Lalanne et Cie. Elle y rencontre Isidore-René Jacob dit Paquin, qu’elle épouse en janvier 1891. Ensemble, ils ouvrent au cours de la même décennie une maison de couture au 3 rue de la Paix, « la plus célèbre rue du monde ».
Afin de développer ses affaires à l’étranger, des mannequins Paquin partent également faire une tournée sous la houlette de sa belle-sœur Madeleine Joire dans l’Est des Etats-Unis.
Connue pour son charisme et sa grande beauté, Jeanne Paquin est la première ambassadrice de sa propre maison en portant elle-même ses créations. Elle est sans doute la première créatrice de haute couture à devenir une icône de la mode, au service de sa marque, comme plus tard Coco Chanel.
Paquin, symbole de la mode en France et dans le monde
À la veille de la Première Guerre mondiale, la maison Paquin emploie 2 700 employés et est à son acmé. Depuis 1907, Jeanne Paquin gère pourtant seule l’entreprise suite au décès de son époux. Cela ne l’empêche pas de vouloir continuer à représenter par son nom l’industrie de la mode française à l’étranger et d’étendre l’influence commerciale de sa maison à l’international. Elle est ainsi à l’origine de la création du pavillon Paquin dans le parc Valentino à Turin.
Jeanne Paquin s’entoure des meilleurs dessinateurs de l’époque, Paul Iribe, Georges Barbier et Georges Lepape pour illustrer ses créations dans un album intitulé L'Eventail et la fourrure chez Paquin. Elle travaille également avec Léon Bakst, costumier des Ballets russes, pour qui elle réalise des robes.
Le travail de Jeanne Paquin, comme plus tard celui de Jeanne Lanvin et de Madeleine Vionnet, est récompensé par la Légion d’honneur en 1913. Elle est la première femme couturière à recevoir cette distinction.
Cette notoriété lui apporte toujours plus de clientes, issues des grandes familles américaines comme les Rockefeller ou les Vanderbilt, mais aussi des Allemandes admiratives de la qualité française et des Japonaises.
Les coulisses d’une entreprise florissante
En 1914, Paul Poiret et Worth fondent les bases d’un « syndicat de défense de la grande couture française », pour lutter notamment contre les copies et contrefaçons. La maison Paquin fait naturellement partie des membres. Cela fait suite ou précède de nombreuses affaires passées devant les tribunaux. La presse se fait l’écho des divers procès de la maison Paquin. Ces affaires concernent toutes le respect du droit d’auteur, que ce soit pour dénoncer des titres de presse qui dévoilent des modèles avant leur lancement officiel, des tentatives de copie par des maisons concurrentes ou divers profits grâce au nom de la maison. Les Paquin sont très soucieux de protéger leurs créations. Ces affaires judiciaires permettent aussi de connaître le quotidien d’une maison de couture, à travers les procédures lancées contre des impayés.
Les Modes : revue mensuelle illustrée des Arts décoratifs appliqués à la femme, janvier 1909
Les tribunaux relaient également les grèves qui émaillent l’histoire des ateliers Paquin. C’est particulièrement le cas pour celle de 1917 où Jeanne Paquin est témoin lors du procès Malvy. En 1917, les ouvrières des ateliers de couture sont en grève, bientôt suivies par celles de l’armement, en pleine guerre. Louis-Jean Malvy, ministre de l’Intérieur (1914-1917) est accusé par l’extrême-droite d’avoir favorisé l’ennemi en ne surveillant pas assez les opposants, notamment syndicalistes, et d’avoir fait pression sur les entrepreneurs pour qu’ils acceptent les revendications salariales et la semaine anglaise (lundi-samedi midi). Cela aboutit à un procès où Jeanne Paquin témoigne, avec son sens de la mise en scène, son « ruban rouge [de la légion d’honneur] sur le noir du crêpe du corsage [deuil] ».
Son témoignage fait sensation : elle dit être allée dans le bureau de Malvy en « mouton sûr d’être tondu » et indique la rémunération des petites mains. Le faible montant choque l’auditoire mais Jeanne Paquin rappelle que, fut un temps, les apprenties payaient pour apprendre. Les conditions de travail chez Paquin sont aussi décriées, ou chantées, lors de la grève des tailleurs en 1901 où Isidore est accusé de contrevenir au droit du travail, dans un contexte tendu, sur fond de polémiques antidreyfusardes autour de sa Légion d’honneur.
Les Paquin, par philanthropie ou par intérêt bien compris, ont cependant également mis en place des mesures en faveur de leur personnel : la Légion d’honneur d’Isidore est l’occasion d’un banquet avec les 800 employés, des villas au Touquet sont achetées pour permettre aux employés de partir en vacances. La maison met parfois en valeur le travail quotidien des ateliers comme le montre cet extrait de La Ville Lumière qui nous permet de visiter les locaux.
Des ateliers Paquin émergent des couturières de talent comme Jenny Sacerdote qui crée sa propre maison.
Jeanne Paquin participe aussi à de nombreuses œuvres de bienfaisance : fonds collectés pour la Cité universitaire, visite puis aide à la gestion des hôpitaux auxiliaires de Saint-Cloud et don de six ambulances au service de santé, don pour un prix d’hygiène, lutte contre l’alcoolisme ou encore développement de l’instruction populaire.
La couturière s’implique aussi dans la vie artistique, en soutenant notamment la carrière de certains artistes par la création du prix Isidore Paquin mais aussi par la commande. Elle lance ainsi la carrière du jeune Mallet-Stevens, avant qu’il ne devienne un des grands noms de l’architecture moderne. Robert Mallet-Stevens conçoit alors des décors historiques notamment pour le stand Paquin à l’exposition de Gand et aménage la villa de Deauville. Toutes ces actions sont aussi une façon de mettre en valeur la marque Paquin. La peinture de Gervex « Paquin à cinq heures » représente les salons d’essayage.
En 1920, Jeanne Paquin se retire des affaires. Restée proche des milieux politiques, elle se remarie avec un diplomate et sénateur du Gers en 1931. La maison Paquin se maintient. Madeleine Wallis puis la comtesse Ana de Pombo lui succèderont. En 1942, c’est Antonio del Castillo qui prendra le relais.
Ana de Pombo est notamment connue pour avoir introduit dans les collections Paquin une influence hispanique et gitane :


