L’observation des conflits récents acte la double menace d’une contestation renforcée de nos moyens de supériorité aérienne et du caractère diversifié de la menace aérienne. Elle met ainsi en avant, pour l’armée de Terre, la nécessité de renforcer le champ de la Défense sol-air (DSA) sous peine de déclassement. Si la prise en compte des menaces par les belligérants diffère selon les théâtres, une constante demeure : l’importance de détenir un système de DSA multicouche.
La défense sol-air prend avant tout place dans une lutte pour la supériorité aérienne. Sur le théâtre ukrainien, la menace air-sol conventionnelle a été empêchée dès les premiers mois du combat. Aux premiers jours, les FAFR (Forces armées de la Fédération de Russie) ont massivement brouillé la DSA ukrainienne, avec une efficacité incontestable. Gênant les avancées au sol, un tel brouillage a rapidement dû être amenuisé. Conséquemment, les batteries de DSA ukrainiennes ont augmenté leurs destructions (neuf Su‑25, Su‑30 et Su‑34, sept hélicoptères de transport ou d’attaque sur les 15 premiers jours du conflit). Les FAFR ont alors cessé leurs vols à moyenne et haute altitude dans l’espace ukrainien pour se concentrer sur la basse altitude, malgré la menace MANPADS (Man-portable air defence system). Les sorties de nuit ont parallèlement augmenté à compter du 9 mars 2022 pour profiter de l’insuffisance d’équipement de vision nocturne des Ukrainiens jusqu’à la fourniture de moyens d’observation occidentaux.
La défense sol-air dans les conflits récents
La menace air-sol, en perpétuelle évolution, peut être classée selon trois effets principaux et cumulatifs observés dans les conflits contemporains : l’interdiction, le ciblage à haute valeur ajoutée et l’attrition. L’interdiction, stratégique ou opérationnelle, vise à frapper les arrières de la ligne de front pour empêcher, ou au moins contraindre, les flux logistiques. Elle s’illustre en particulier dans le conflit russo-ukrainien par des frappes de missiles air-sol et de drones à longue portée. Le ciblage à haute valeur ajoutée permet, quant à lui, de maximiser les effets d’une frappe au-delà du seul effet militaire. La plus-value de telles frappes est réelle, que la cible soit atteinte ou non. Les Forces armées ukrainiennes (FAU) ont ainsi réussi à paralyser jusqu’à 17 % des capacités de raffinage russe à l’automne 2024 et à détruire au moins 10 dépôts de munitions, dont celui, emblématique, de Toropets, dans la nuit du 17 au 18 septembre 2024 (accueillant 30 000 t de munitions, selon les services de renseignement estoniens). L’interception des frappes de ciblage contribue également à l’atteinte de l’objectif par l’assaillant, car elle induit une coûteuse dépense. Enfin, l’attrition capacitaire constitue le plus grand défi posé par la menace aérienne. En Ukraine, elle se fait notamment par saturation.
La reprise de l’offensive russe à l’été 2023 a ainsi reposé sur la neutralisation des défenses antiaériennes adverses (SEAD – Suppression of enemy air defenses) en frappant une centaine de sites de DSA ukrainiens, dont 75 % de sites fixes. Au-delà des effecteurs, l’attrition concerne également les munitions. Le Hezbollah et le Hamas, tout comme Ansar Allah, ont d’ailleurs tablé sur la saturation du système Arrow israélien. Les FAU ont, quant à elles, utilisé des systèmes allant de drones modifiés aux modèles plus spécialisés comme l’UJ‑22 Airborne, l’UJ‑26 Beaver, l’AQ‑400 Scythe (1) et le Palianytsia à réaction. Ainsi, la menace aérienne emploie un spectre particulièrement large de technologies, de la densification des vecteurs de basse couche, pour certains à bas coûts, jusqu’aux missiles air-sol longue portée à haute précision. La réponse ne peut donc être que multicouche en privilégiant la continuité de la défense sol-air à la lutte antidrone, afin de faire face aux missiles stratégiques comme aux nanodrones.
Des systèmes de protection antiaérienne intégrés qui s’adaptent
Comme dans tout conflit d’envergure, les adaptations face à une menace sont apportées dans un délai de plus en plus court, sur l’intégralité du spectre capacitaire. Dans le cas de la DSA, la première et la moins coûteuse est la généralisation de la défense passive. Tout d’abord, l’usage de protections additionnelles : grilles ou jupes de protection, briquettes de blindage réactif, toits grillagés équipent tous les matériels majeurs et coûteux. Ensuite, les véhicules de combat et d’appui sont enrichis d’équipements additionnels. Outre les filets de camouflage, les unités proches du front (Ukraine) se sont dotées de filets plus robustes pour se protéger des Munitions téléopérées (MTO) et des drones-suicides. On note également l’adjonction de systèmes de brouillage de courte portée pour lutter contre les drones. De la même manière, des systèmes acoustiques de détection sont déployés jusqu’au plus bas échelon tactique. Enfin, Russes et Ukrainiens ont de nouveau appris à se disperser et à s’enterrer.
La deuxième adaptation à la menace aérienne est la densification de la trame des défenses actives. Dans ce cadre, le retour du canon comme moyen de défense sol-air constitue une véritable surprise. En complément des systèmes de DSA de moyenne portée et en fonction des capacités livrées par ses alliés occidentaux, l’Ukraine a densifié ses défenses MANPADS (à l’instar du 9K38 Igla), son équipement en canons antiaériens tractés comme le ZSU‑23‑2, et elle a généralisé la dotation de SPAAG (Self-propelled anti aircraft gun). À titre d’exemple, les FAU sont dotées de Gepard (bitube de 35 mm sur châssis de Leopard 1) et du ZSU‑23‑4 Shilka (quatre canons de 23 mm). Ces derniers sont employables en tir direct, en autodéfense aussi bien qu’en DSA. Ils présentent une efficacité réelle face aux hélicoptères et aux drones. Les FAU généralisent également l’usage de drones FPV pour intercepter les MTO et chasser les drones ISR (Intelligence, surveillance, reconnaissance).
La troisième adaptation à la menace air-sol est l’évolution des organisations et des emplois pour certaines capacités. Sur le théâtre ukrainien, les aéronefs à voilure tournante sont employés comme porteurs de drones pour leur faire passer la couche de brouillage. Par ailleurs, les FAU ont généralisé l’utilisation de groupes mobiles de Lutte anti-drones aériens (LADA), en défense de sites, sur les pénétrantes des drones et dans la zone arrière proche des unités. En réponse, les FAFR ont fait voler leurs drones à très basse altitude sur les axes ou en suivant des cours d’eau, puis ont changé de mode opératoire avec l’effet inverse (très haute altitude puis charge en piqué).
















