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30 janvier 1875
L'amendement Wallon

Manuscrit de l'amendement Wallon

Manuscrit de l'amendement Wallon

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Le 30 janvier 1875 l'Assembl�e nationale adopte l'amendement propos� par Henri Wallon ayant pour objet d'ins�rer un article additionnel apr�s l'article premier du projet de loi constitutionnelle sur l'organisation des pouvoirs publics, et aux termes duquel � le Pr�sident de la R�publique est �lu � la majorit� absolue des suffrages par le S�nat et la Chambre des d�put�s r�unis en Assembl�e nationale. Il est nomm� pour sept ans. Il est r��ligible. �

L'amendement est adopt� par 353 voix contre 352 : le mot � R�publique � entre donc dans la loi constitutionnelle.

L'histoire dira, note Fran�ois Goguel, que � la IIIe R�publique a �t� fond�e � une seule voix de majorit�. Ce qui n'est pas tout � fait exact, car l'ensemble de la loi o� figure le texte propos� par Wallon sera adopt� beaucoup plus largement : or c'est l� le vote juridiquement d�cisif.. �


Compte rendu de la s�ance du vendredi 29 janvier 1875

Compte rendu de la s�ance du 30 janvier 1875

Proc�s-verbal de la s�ance du samedi 29 janvier 1875

Proc�s-verbal de la s�ance du samedi 30 janvier 1875

Proposition de loi d'Henri Wallon sur les pouvoirs du Pr�sident de la R�publique et le mode de r�vision des lois constitutionnelles

Henri Wallon (1812-1904), un itin�raire au service de la R�publique

Le 4 septembre 1870, la R�publique est proclam�e, deux jours apr�s la d�faite militaire de l'Empire � Sedan. Un Gouvernement provisoire est �tabli. Mais celui-ci n'est que provisoire. La question du caract�re d�finitif du r�gime politique n'est donc pas alors r�solue. Des �lections ont lieu le 8 f�vrier 1871, au scrutin de liste d�partemental majoritaire, conform�ment � la loi de 1849. L'Assembl�e nationale, � majorit� conservatrice, comprend 400 royalistes, 250 r�publicains mod�r�s et radicaux, 80 � centristes �, 15 bonapartistes ; 225 nobles sont �lus d�put�s. Elle est r�unie le 12 f�vrier, � Bordeaux, et confie � Thiers, le 17 f�vrier, la fonction de chef du pouvoir ex�cutif de la R�publique fran�aise, mais en attendant qu'il soit statu� sur les institutions de la France. Thiers s'engage � donner la priorit� au rel�vement de la France vaincue et � reporter tout d�bat institutionnel. Rendu public le 19 f�vrier, le programme de Thiers : � Pacifier, r�organiser, relever le cr�dit, ranimer le travail �, r�pond au voeu des d�put�s conservateurs. C'est le pacte de Bordeaux.

Le 31 ao�t 1871, la loi Rivet donne � Thiers le titre de Pr�sident de la R�publique fran�aise tout en le maintenant chef responsable du Gouvernement. Toutefois une disposition de cette loi, dite constitution Rivet, introduite par les royalistes, indique que l'Assembl�e entend � user du pouvoir constituant, attribut essentiel de sa souverainet� �. Mais un conflit �clate entre Thiers et l'Assembl�e � majorit� royaliste. Apr�s avoir affirm� le 13 octobre 1872 que � la R�publique sera conservatrice ou elle ne sera pas �, Thiers est contest� par les monarchistes qui consid�rent le pacte de Bordeaux rompu. Ceux-ci font adopter la loi du 13 mars 1873 dite loi de Broglie pr�cisant que le Pr�sident de la R�publique n'aura plus le droit de prendre la parole devant l'Assembl�e sauf par un droit de message ne donnant lieu � aucune discussion, selon une proc�dure qualifi�e par Thiers lui-m�me de � c�r�monial chinois �.

Adolphe Thiers

Adolphe Thiers

� La Documentation fran�aise

Le 24 mai 1873, Thiers r�pond par un message � une interpellation des d�put�s royalistes lui demandant de faire pr�valoir une politique conservatrice : � J'ai pris mon parti sur la question de la r�publique. Je l'ai pris, oui, vous savez pourquoi ?... Parce que pratiquement la monarchie est impossible : il n'y a qu'un tr�ne, et on ne peut l'occuper � trois ! � Il s'agit du comte de Paris, petit-fils de Louis-Philippe, du comte de Chambord, petit-fils de Charles X, et du prince imp�rial, fils de Napol�on III. Par 360 voix contre 334 l'Assembl�e vote un ordre du jour qui, sans remettre en cause la forme du Gouvernement, r�clame une politique � r�solument conservatrice, et regrette que les r�cents remaniements minist�riels n'aient pas donn� aux int�r�ts conservateurs la satisfaction qu'ils avaient le droit d'attendre. � Thiers d�missionne.

En raison de la persistance du comte de Chambord � vouloir renoncer au drapeau tricolore au profit d'un retour au drapeau blanc, il faut dans l'attente d'une solution �lire un nouveau Pr�sident de la R�publique.

D�cid� � s'effacer devant le roi si le tr�ne �tait r�tabli, le mar�chal Mac-Mahon est aussit�t �lu, ce 24 mai 1873, Pr�sident de la R�publique par 390 voix sur 721 pr�sents. Mais le comte de Chambord fait �chouer la restauration de la royaut� en faisant publier le 30 octobre dans le journal monarchiste l'Union une d�claration intransigeante : � Je veux rester tout entier ce que je suis. �

Henri comte de Chambord
Henri comte de Chambord

Biblioth�que de l'Assembl�e nationale

Le mar�chal de Mac-Mahon

Le mar�chal de Mac-Mahon

� La Documentation fran�aise

Tirant les cons�quences de cette situation l'Assembl�e adopte le 20 novembre la loi dite loi du septennat. Celle-ci dispose que � le pouvoir ex�cutif est confi� pour sept ans au mar�chal de Mac-Mahon, duc de Magenta, � partir de la promulgation de la pr�sente loi ; ce pouvoir continuera � �tre exerc� avec le titre de pr�sident de la R�publique et dans les conditions actuelles jusqu'aux modifications qui pourraient y �tre apport�es par les lois constitutionnelles �.

La loi pr�cise que dans les trois jours suivant sa promulgation � une commission de trente membres sera nomm�e en s�ance publique et au scrutin de liste, pour l'examen des lois constitutionnelles. �

R�union de la Commission des Trente
Une r�union de la Commission des Trente � Versailles

Les travaux de la commission des Trente nomm�e pour pr�parer le texte des lois constitutionnelles tra�nent en longueur depuis la fin 1873. Gr�ce � une entente des centres, entre les orl�anistes du centre droit et les r�publicains conservateurs du centre gauche, commence le 21 janvier 1875 la discussion des projets de loi relatifs � l'organisation des pouvoirs publics. Le d�put� Casimir de Ventavon en est le rapporteur qui r�sume les travaux de la commission en proposant de � laisser � l'�cart l'�tablissement d'un gouvernement d�finitif et d'organiser les pouvoirs du mar�chal de Mac-Mahon. � Le 22 janvier l'Assembl�e adopte la question de savoir s'il sera pass� � une seconde d�lib�ration sur les projets de loi relatifs � l'organisation des pouvoirs publics et entame le 25 janvier la premi�re d�lib�ration du projet de loi sur la cr�ation et les attributions du S�nat. Le 28 a lieu la seconde d�lib�ration. Selon l'article premier du projet, � Le pouvoir l�gislatif s'exerce par deux assembl�es. � �douard de Laboulaye propose un amendement : � Le Gouvernement de la R�publique se compose de deux chambres et d'un Pr�sident. � Une intervention de Louis Blanc suspend le vote que le marquis Antoine de Castellane fait renvoyer � la s�ance suivante au cours de laquelle l'amendement est repouss�. Puis a lieu le vote sur l'article premier qui est adopt� au cours de la s�ance du 29 janvier.

Henri Wallon propose un amendement. De lui, ses coll�gues savent qu'il est professeur en Sorbonne et catholique pratiquant. C'est un historien tr�s conservateur de la R�volution fran�aise, qui a publi� en 1847 une Histoire de l'esclavage dans l'Antiquit� qui l'a fait remarquer par Victor Schoelcher. Celui-ci le nomme, apr�s la R�volution de 1848, secr�taire de la Commission pour l'abolition de l'esclavage, avant de le faire �lire d�put� suppl�ant de la Guadeloupe � la Constituante. En 1849, les Guadeloup�ens le choisissent comme repr�sentant � la L�gislative. L'ann�e suivante il d�missionne en signe de protestation contre l'introduction de conditions de r�sidence abusives, portant atteinte au suffrage universel. Membre de l'Acad�mie des Inscriptions et belles-lettres, il se consacre � ses travaux, sans prendre aucune part � la vie politique du Second Empire. En f�vrier 1871 Wallon, natif de Valenciennes, est �lu dans le Nord. Apr�s avoir soutenu Thiers, il se rapproche du centre gauche, fondant un petit groupe � trait d'union � avec plusieurs dissidents du centre droit.

Portrait photographique d'Henri Wallon

Henri Wallon

Biblioth�que de l'Assembl�e nationale

L'amendement qu'il propose est ainsi r�dig� : � Le Pr�sident de la R�publique est �lu � la pluralit� des suffrages par le S�nat et la Chambre des d�put�s r�unis en Assembl�e nationale. Il est nomm� pour sept ans. Il est r��ligible. �

L'amendement reproduit le texte d'une proposition de loi faite par celui-ci et d�j� d�pos�e en commission.

Ventavon obtient le renvoi � la commission. En effet, selon le R�glement de l'Assembl�e, � Tout amendement propos� pendant la deuxi�me d�lib�ration est renvoy� de droit � l'examen de la commission, si le rapporteur le demande. �

Manuscrit de la proposition de loi d'Henri Wallon

Proposition de loi Wallon sur les pouvoirs du Pr�sident de la R�publique

et le mode de r�vision des lois constitutionnelles

Archives nationales

Des discussions se d�roulent : L�once de Lavergne d�tache du centre droit un sous-groupe lib�ral dont il est chef. Il n�gocie avec le centre gauche. Gambetta et Jules Ferry prennent part � la n�gociation.

Lors de la s�ance du 30 janvier Henri Wallon rappelle que l'amendement qu'il d�fend est l'article d�tach� d'une proposition dont toutes les parties �taient solidaires. � Avec le maintien de la loi du 20 novembre [...] cette proposition contenait un mode de r�vision des lois constitutionnelles dans le sens le plus large. Mais, comme ce n'est pas ma proposition qui vous est soumise, comme c'est le projet de la commission, j'ai d� n�cessairement la diviser en articles, afin de l'adapter � l'ordre que la commission a cru devoir suivre. La commission r�glant dans son article 1er le pouvoir l�gislatif, j'ai propos� comme article additionnel mon article 1er, qui r�gle le pouvoir ex�cutif. De m�me l'article de ma proposition relatif � la r�vision viendra lorsque nous arriverons � l'article de la commission qui r�gle le m�me sujet. �

Wallon r�pond aux objections soulev�es par son amendement : � on a dit qu'il semble ne pas tenir compte de la loi du 20 novembre, parce qu'elle n'y est pas mentionn�e. Messieurs, la loi du 20 novembre �tait rappel�e dans la proposition primitive que j'avais eu l'honneur de soumettre � l'Assembl�e. L'article rectifi� que j'avais remis � la commission portait ces mots : "Les pouvoirs conf�r�s pour sept ans � M. le mar�chal de Mac Mahon par la loi du 20 novembre 1873, seront exerc�s par lui, avec le titre de Pr�sident de la R�publique, dans les conditions ci-apr�s d�finies." La commission avait ins�r� dans son premier projet de loi un article �quivalent � celui que je viens de rappeler, et je ne demandais pas mieux que d'en reproduire les termes dans mon amendement. Mais, dans sa derni�re r�daction, la commission a supprim� son article primitif comme inutile; elle a jug� qu'il n'y avait pas lieu de rappeler une loi constitutionnelle qui nous r�git. C'est pour cela que moi-m�me j'ai supprim� l'article, correspondant dans la r�daction de mon amendement. Il n'y en a pas d'autre raison. S'il y avait le moindre doute � cet �gard, je ne demanderais pas mieux ou bien de dire en t�te de mon amendement : "A l'expiration des pouvoirs conf�r�s � M. le mar�chal de Mac Mahon, Pr�sident de la R�publique", ou bien d'y ajouter un troisi�me paragraphe qui ne changerait rien du tout � la forme de l'article et qui serait con�u dans ces termes : "Il n'est pas d�rog� � la loi constitutionnelle du 20 novembre 1873, qui conf�re pour sept ans le pouvoir ex�cutif au mar�chal de Mac Mahon, duc de Magenta, Pr�sident de la R�publique." Je crois que l'une ou l'autre de ces formes serait �galement accept�e, si M. le pr�sident ne jugeait pas qu'il conv�nt de supprimer l'une ou l'autre. �

Au milieu du bruit et des rumeurs il d�clare : � Mais, dira-t-on, vous proclamez donc la R�publique ?

� Messieurs, je ne proclame rien... (Exclamations et rires � droite) ; je ne proclame rien, je prends ce qui est. (Tr�s bien ! tr�s bien ! sur plusieurs bancs � gauche.) J'appelle les choses par leur nom ; je les prends sous le nom que vous avez accept�, que vous acceptez encore... (Tr�s bien ! � gauche. - Rumeurs � droite), et je veux faire que ce Gouvernement qui est, dure tant que vous ne trouverez pas quelque chose de mieux � faire.

� Mais, dira-t-on, vous n'en faites pas moins la R�publique ! A cela je r�ponds tout simplement, : Si la R�publique ne convient pas � la France, la plus s�re mani�re d'en finir avec elle, c'est de la faire. (Exclamations et rires ironiques � droite.) [...] �

Henri Wallon d�veloppe sa pens�e.

� Dans la situation o� est la France, il faut que nous sacrifiions nos pr�f�rences, nos th�ories. Nous n'avons pas le choix. Nous trouvons une forme de Gouvernement, il faut la prendre telle qu'elle est ; il faut la faire durer. Je dis que c'est le devoir de tout bon citoyen. J'ajoute, au risque d'avoir l'air de soutenir un paradoxe, que c'est l'int�r�t m�me du parti monarchique.

� En effet, ou la R�publique s'affermira avec votre concours et donnera � la France le moyen de se relever et de recouvrer sa prosp�rit�, de reprendre sa place dans le monde, et alors vous ne pourrez que vous r�jouir du bien auquel vous aurez contribu�. (Tr�s bien ! � gauche) ; ou bien votre concours m�me sera insuffisant ; on trouvera qu'il n'y a pas assez de stabilit� dans le pouvoir, que les affaires ne reprennent pas, et alors, apr�s une �preuve loyale (Murmures � droite), le pays reconnaissant des sacrifices d'opinion que vous aurez fait, du concours que vous aurez apport� � la chose publique, sera plus dispos� � suivre vos id�es, et ce jour l� vous trouverez le concours de ceux qui, aujourd'hui, ont une autre opinion, mais qui, �clair�s par l'exp�rience et voulant comme nous, avant tout, le bien du pays, vous aideront � faire ce que le pays r�clame. (Tr�s bien ! tr�s bien ! � gauche. - Rumeurs � droite.)

� Ma conclusion, messieurs, c'est qu'il faut sortir du provisoire. Si la monarchie est possible, si vous pouvez montrer qu'elle est acceptable, proposez-la. (Tr�s bien ! � gauche.) �

Inspir� par le duc de Broglie un amendement est ensuite pr�sent� par Albert Desjardins proposant de mettre avant l'article additionnel introduit par l'amendement Wallon, qui deviendrait l'article 2 du projet, la phrase suivante : � A l'expiration des pouvoirs conf�r�s � M. le mar�chal de Mac Mahon par la loi du 20 novembre 1873, et s'il n'est proc�d� � la r�vision des lois constitutionnelles, conform�ment aux articles ci-dessous... � Puis viendrait l'amendement de M. Wallon. L'amendement est rejet�, n'obtenant que 129 voix contre 522.

Le scrutin a lieu ensuite sur l'amendement Wallon.

� 18 h 45, le Pr�sident de l'Assembl�e nationale annonce le r�sultat du scrutin sur l'article additionnel que M. Wallon a propos� d'ins�rer apr�s l'article premier du projet de loi constitutionnelle sur l'organisation des pouvoirs publics :

Nombre des votants. 705

Majorit� absolue. 353

Pour l'adoption 353

Contre 352

L'amendement est adopt� � une voix de majorit�.

La R�publique l'emportait. La R�publique �tait fond�e.

L'Assembl�e adopta alors, le 24 f�vrier 1875, la loi relative � l'organisation du S�nat par 435 voix contre 234, puis le 25 f�vrier celle relative � l'organisation des pouvoirs publics par 425 voix contre 254, et enfin, le 16 juillet, par 520 voix contre 94, la loi sur les rapports entre pouvoirs publics. Ces trois lois forment ce qu'on a appel� la Constitution de 1875.

M. Wallon, par Gill, L'�clipse du 6 mars 1875

M. Wallon, par Gill.

Henri Wallon, sortant des nu�es, pr�sente le b�b� Constitution coiff� du bonnet phrygien.

L'�clipse du 6 mars 1875

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Voir aussi :

L'Assembl�e nationale (1871-1876)

Liste des d�put�s

La R�publique et le suffrage universel : la Troisi�me R�publique

Histoire de l'Assembl�e nationale : la Troisi�me R�publique

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