Art moderne

XIXe SIÈCLE / VISITE GUIDÉE

La révolution de papier des artistes nabis

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 15 octobre 2025 - 644 mots

En montrant sa collection éblouissante d’estampes nabies, la Bibliothèque nationale raconte une décennie qui a changé le paysage esthétique.

Henri-Gabriel Ibels (1867-1936), Les Fossiles : affichette-programme du Théâtre Libre, 1892, lithographie en couleurs. © BnF
Henri-Gabriel Ibels (1867-1936), Les Fossiles, affichette-programme du Théâtre Libre, 1892, lithographie en couleurs.
© BnF

Paris. La Bibliothèque nationale de France n’a pas eu à solliciter trop de prêts pour monter son exposition sur l’estampe nabie : seuls 26 des 189 objets exposés viennent de collections particulières ou des Musées Maurice Denis, Van Gogh (Amsterdam) et Orsay. Cette richesse des collections de la BnF (qui englobe aussi la bibliothèque Jacques Doucet et celle de l’Arsenal) est essentiellement due à la donation du collectionneur Atherton Curtis, entrée en 1943 : un trésor de papiers dans un état parfait qui fascine aujourd’hui le visiteur de l’exposition. Le propos est de montrer le laboratoire qu’a été l’art de l’estampe par les Nabis.

Les héritiers de Gauguin

Dans leur texte d’introduction, les commissaires, Céline Chicha-Castex et Valérie Sueur-Hermel, mentionnent Pierre Bonnard, Édouard Vuillard, Maurice Denis, Ker-Xavier Roussel, Félix Vallotton, Henri-Gabriel Ibels, Paul Ranson et Aristide Maillol, formant ce groupe ayant travaillé de 1890 à 1900 dans la même direction. Dans le parcours, elles leur adjoignent Ker-Xavier Roussel, József Rippl-Ronai et James Pitcairn-Knowles. Elles montrent que cette génération d’artistes, nés entre 1861 et 1870, a réalisé l’ambition de Paul Gauguin de produire à moindres frais un art bon marché, à la portée de toutes les bourses ou presque, qui soit présent dans la vie quotidienne mais aussi révolutionnaire, initiant un nouveau regard et à l’origine d’une partie de l’esthétique du XXe siècle. Le seul bémol qu’on puisse apporter au travail des commissaires est de ne pas avoir consacré un espace, même petit, à Gauguin, prouvant quel précurseur et modèle il a été.

Pierre Bonnard (1867-1947), affiche pour France-Champagne, 1891, lithographie en couleurs. © BnF, Estampes et photographie
Pierre Bonnard (1867-1947), affiche pour France-Champagne, 1891, lithographie en couleurs.
© BnF, Estampes et photographie

Au cours des salles, renseigné par les objets présentés, de nombreux cartels développés et par la démonstration très didactique de ce que sont techniquement la lithographie et la xylographie, le visiteur découvre à quel point les Nabis ont changé l’environnement des classes bourgeoises amatrices d’art, mais aussi du peuple des grandes villes. Le paravent La Promenade des nourrices, frise de fiacres de Bonnard, édité à 110 exemplaires en 1895 ou le papier peint Les Bateaux roses de Denis, édité en 1895, n’ont pas rencontré les foules mais les affiches, que tout le monde voyait, sont aussi présentes – en petit nombre puisque l’exposition « L’art est dans la rue » les a récemment mises en valeur au Musée d’Orsay.

Un autre propos structurant du parcours est l’importance du groupe militant qu’ont formé les Nabis et leur entourage. On voit le beau-frère de Bonnard, le compositeur Claude Terrasse, lui demander d’illustrer sa méthode de solfège. Des galeristes enthousiastes (Le Brac de Boutteville), des éditeurs engagés (André Marty, Ambroise Vollard, Julius Meier-Graefe), des critiques d’art (Roger Marx, André Mellerio) les soutiennent. L’imprimeur Auguste Clot conseille les artistes et seconde leurs désirs avec un talent fou. Les revues spécialisées comme L’Estampe originale, La Revue blanche ou La Plume sont présentées avec les estampes comprises dans l’abonnement, les portfolios qu’elles éditent ou les salons qu’elles organisent. L’époque marque la naissance du livre d’artiste qui bénéficie d’une place de choix dans le parcours. On y apprend qu’à la suite de Maurice Denis, qui collabore avec André Gide sur Le Voyage d’Urien (1893) édité par la Librairie de l’Art indépendant d’Edmond Bailly, les peintres se définissent comme « décorateurs de livres » et non illustrateurs : un total changement d’optique.

Ce qui transparaît partout est l’effet de groupe qui a propulsé ces jeunes gens dans un mouvement dépassant les individualités. Tout part ou s’enrichit d’amitiés de lycée (Denis, Vuillard et Roussel mais aussi le futur comédien et directeur de théâtre Lugné-Poe se sont connus à Condorcet), de mariages (Roussel avec Marie Vuillard), d’une vie mondaine autour de personnalités marquantes (Misia Natanson), une sociabilité qui soutient les stratégies des artistes et de leurs éditeurs. Parallèlement à la découverte d’œuvres d’exception qu’elle permet, l’exposition apparaît alors comme une célébration lumineuse de l’enthousiasme et de l’audace.

Impressions nabies,
jusqu’au 11 janvier, Bibliothèque nationale de France, site Richelieu, 5, rue Vivienne, 75002 Paris.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°662 du 3 octobre 2025, avec le titre suivant : La révolution de papier des artistes nabis

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque