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Au Mali, ces chauffeurs routiers qui défient la mort pour ravitailler Bamako en carburant

Depuis le début de septembre, les djihadistes du Groupe de soutien de l’islam et des musulmans, effectuent un blocus de carburant autour de la capitale malienne, en s’attaquant aux camions-citernes venant notamment du Sénégal et de la Côte d’Ivoire.

Le Monde avec AFP

Publié le 04 novembre 2025 à 12h07, modifié le 04 novembre 2025 à 13h25

Temps de Lecture 3 min.

Des chauffeurs de camions-citernes maliens, à la frontière entre la Côte d’Ivoire et le Mali, dans le village de Nigoun, près de Tingrela, le 31 octobre 2025.

« On ne sait jamais si on rentrera vivant », souffle Baba, le regard perdu dans le vide. Dans le Nord ivoirien, il s’apprête, comme des dizaines de collègues, à reprendre la route vers le Mali voisin, à bord de leurs camions-citernes chargés de carburant et d’angoisse. Un acronyme fait trembler tous les chauffeurs routiers : le JNIM – le Groupe de soutien de l’islam et des musulmans –, du nom de ce groupe djihadiste affilié à Al-Qaida qui a décrété, en septembre, que plus aucun camion-citerne ne pénétrerait au Mali en provenance d’un Etat voisin.

Depuis, les camions incendiés venant d’Abidjan ou de Dakar se comptent par centaines et font partie de la stratégie de djihad économique du JNIM, qui cherche notamment à étouffer Bamako et la junte militaire au pouvoir.

« En asphyxiant économiquement le pays, le JNIM cherche à gagner le soutien populaire en accusant le gouvernement militaire d’incapacité », note Bakary Sambe, directeur régional du groupe de réflexion Timbuktu Institute, établi au Sénégal, qui évoque un « problème structurel d’insécurité ».

Sur plus de 300 kilomètres dans le nord de la Côte d’Ivoire, de Niakaramandougou à Tingrela, dernière ville avant le Mali, l’Agence France-Presse a rencontré des dizaines de chauffeurs qui expliquent qu’ils continuent de rouler, mus par la « nécessité » financière, le « patriotisme » et une bonne dose de courage.

« On le fait par patriotisme »

« On le fait parce qu’on aime notre pays. On ne veut pas que les Maliens manquent de carburant », confie Baba (son prénom a été modifié), 30 ans, maillot de Manchester United sur les épaules. « Si on meurt, c’est pour la bonne cause », dit d’un air grave Mamadou Diallo, 55 ans, s’offrant un moment de répit sur un parking à Niakaramandougou, à cinq heures de la frontière. Les familles, elles, redoutent chaque départ. « Mais rester sans travail, c’est impossible », soupire de son côté Yoro, un autre routier.

Un peu plus au nord, à Kolia, Sidiki Dembélé déjeune avec un collègue, camions alignés au bord de la route, moteurs qui ronronnent doucement, prêts à repartir. De l’autre côté du goudron, pour alléger l’ambiance, des jeunes font vibrer Y que fue, tube latino de Don Miguelo sorti en 2023, rendu célèbre par la star mondiale du football, l’Espagnol Lamine Yamal. « Si les camions s’arrêtent, c’est tout un pays qui s’éteint », explique Sidiki Dembélé, entre deux bouchées de riz nappé de sauce arachide.

A la frontière entre la Côte d’Ivoire et le Mali, dans le village de Nigoun, près de Tingrela, le 31 octobre 2025.

En 2023, plus de la moitié des produits pétroliers exportés par la Côte d’Ivoire étaient destinés au Mali. Les camions maliens se chargent à Yamoussoukro ou Abidjan avant d’emprunter les deux corridors pour leur pays : celui de Tingrela ou celui de Pogo, où des escortes militaires prennent le relais côté malien, jusqu’à Bamako. Une escorte peut regrouper jusqu’à plusieurs centaines de citernes.

Mais, même sous escorte, les convois sont fréquemment pris pour cibles. Les zones les plus dangereuses dans le Sud malien sont les axes Kadiana-Kolondiéba et Loulouni-Sikasso. « Il y a deux mois, j’ai vu des djihadistes brûler deux camions. Les chauffeurs sont morts. J’étais juste derrière. Par miracle, ils m’ont laissé passer », raconte Moussa, 38 ans, polo rouge taché d’huile.

Bablen Sacko a aussi échappé de peu à une embuscade. « Des apprentis sont morts, juste derrière nous », dit-il. Puis, d’une voix ferme : « Chacun a un rôle dans la construction du pays. Le nôtre, c’est d’approvisionner le Mali en carburant. On le fait par patriotisme. »

Prime de risque

Mais, derrière la fierté, c’est l’amertume. Les chauffeurs dénoncent des conditions de travail indignes. « Pas de contrat, pas d’assurance, pas de retraite. Si tu meurs, c’est fini. Après ton enterrement, on t’oublie », déplore Bablen Sacko. Avec un salaire mensuel d’à peine 100 000 francs CFA (152 euros) et un bonus de 50 000 francs CFA par voyage, Yoro réclame une prime de risque, « parce qu’on ne sait jamais si on rentrera vivant ».

Face à cette insécurité croissante, certains transporteurs ivoiriens ont renoncé à la route du Mali. A Boundiali, dans le nord-est de la Côte d’Ivoire, Broulaye Konaté, gestionnaire d’un parc de 45 camions, a préféré immobiliser sa flotte. « J’ai demandé à un chauffeur de livrer de l’engrais au Mali. Il a refusé. Le camion est toujours garé à Abidjan », dit-il.

Un jerrican d’essence vide à Bamako, le 28 octobre 2025.

Pour Souleymane Traoré, chauffeur ivoirien depuis sept ans sur l’axe malien, chaque trajet est désormais une épreuve. « Tu prends la route, la peur au ventre », confie-t-il. Il se souvient avoir récemment compté, alors qu’il rentrait en Côte d’Ivoire, « 52 citernes calcinées. Et six autres brûlées plus loin », entre Kadiana et Tingrela.

Le premier ministre malien, Abdoulaye Maïga, a récemment qualifié le carburant que le Mali reçoit ces derniers temps de « sang humain », en reconnaissance aux militaires et aux chauffeurs tués sur les routes.

« La situation devrait rester la même, dans les prochains jours, concernant les ravitaillements de carburant. Sur la scène politique, il y a plus d’incertitude : je ne pense pas que le JNIM ait la capacité ou l’intention de prendre Bamako, mais la menace qu’ils font planer sur la ville est sans précédent », conclut Charlie Werb, analyste du cabinet de conseil Aldebaran Threat Consultants.

Le Monde avec AFP

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